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Le court métrage français de 1945 à 1968

 | 
Dominique Bluher
, 
François Thomas

Post-scriptum

Quelles sources pour l’étude du court métrage français ?

François Thomas

Texte intégral

1Le court métrage français de l’après-guerre aux années 60 est raisonnablement commenté dans la littérature cinématographique aujourd’hui, et la bibliographie du présent volume s’en fait l’écho. Les principaux genres, les principaux films continuent de vivre à travers l’exégèse, même si l’accès aux œuvres reste souvent difficile au moins pour les cinéastes qui n’ont pas fait carrière dans le long métrage. Je me propose ici de peindre un panorama des sources écrites d’époque qui permettent l’étude du court métrage : l’information factuelle disponible (en incluant aussi les catalogues récents) ; l’héritage laissé par la critique cinématographique qui a vécu à chaud l’âge d’or du court métrage et sa dissolution.

2Disons-le d’emblée : les films sortis en salles ne bénéficient pas tous, loin de là, d’une vraie information disponible ou d’un commentaire critique détaillé. Plus malaisé encore est de rassembler des éléments sur les innombrables films professionnels non distribués, les films commandités à usage interne et les films amateurs.

1. La documentation

Statistiques

3Les statistiques officielles du CNC portent uniquement sur les courts métrages français « commerciaux », ceux qui aspirent à sortir en salles et dont moins de la moitié y parviennent. Elles n’établissent pas le nombre de courts métrages produits chaque année, mais retiennent d’autres critères.

4À partir de 1948, ces statistiques sont d’abord fondées sur les visas de censure, plus doucement appelés visas d’exploitation. À partir de 1955, elles recensent aussi les autorisations de production délivrées par le CNC (une décision réglementaire de cette année-là subordonne la réalisation d’un court métrage 35 mm à cette autorisation). À partir de la même date, elles comptabilisent les films qui font l’objet d’une demande de soutien financier (prix et primes).

5Ces trois critères ne permettent de se faire qu’une idée approximative de la production française de courts métrages. L’octroi de l’autorisation de production ne signifie pas nécessairement que le film ait été tourné. Les courts métrages non commerciaux n’ont pas besoin d’autorisation de production ni de visa d’exploitation. Certes, rien n’interdit d’entreprendre un film commandité à usage interne ou un film en 16 mm (format « substandard » ou amateur) et de solliciter après coup un visa, mais le producteur ne peut alors demander le soutien financier. Le gonflage en 35 mm, qui se développe dans les années 60, remanie la donne.

6Toutes sortes de films, donc, échappent aux statistiques officielles, ou se glissent dans l’une et non dans l’autre. Un no man’s land existe alors, qui contraint soit à se référer à de multiples sources complémentaires dès que l’on veut établir un état des lieux sur un point précis, soit à se résigner à exploiter des données que l’on sait approximatives.

Catalogues

  • 1 Dans Roger Odin (dir.), L’Âge d’or du documentaire, t. I, L’Harmattan, 1998, pp. 53-62. Voir aussi (...)

7Michèle Lagny aborde la difficulté d’établir aujourd’hui un catalogue dans son article « À la rencontre des documentaires français1 », où elle dresse le bilan d’un projet collectif de catalogue des documentaires français (tous métrages confondus, mais la plupart des films répertoriés sont des courts). Plusieurs groupes de recherche universitaires ont participé à ce projet aujourd’hui suspendu, dont celui animé par Lagny à l’université Paris III qui travaillait sur les années 1946-1955. Lagny s’explique sur certains choix. Par exemple, son groupe n’a répertorié, parmi les films dits « spécialisés » (d’entreprise, d’éducation, scientifiques), que ceux qui ont « dépassé les frontières de leurs institutions commanditaires ».

  • 2 Mémoires de cinéma, 1996.

8Concernant une période qui recoupe pour six ans notre champ d’étude, le Catalogue : courts métrages français de fiction (1929-1950) de Raymond Chirat et Jean-Claude Romer2 offre des génériques soignés, vérifiés sur les copies lorsque celles-ci sont disponibles, ainsi que des index des réalisateurs, des sociétés de production et des comédiens. C’est le seul outil disponible de cette qualité.

9Les catalogues d’époque, en revanche, aussi indispensables soient-ils, manquent tous de rigueur et de fiabilité. Certains n’indiquent pas même les critères de sélection des films, critères que le lecteur devra tenter de déduire par lui-même.

  • 3 Les deux éditions antérieures sont bisannuelles : 1946-1947 et 1948-1949.
  • 4 Voir le compte rendu de l’index 1965 par Patrick Brion, Cahiers du cinéma n° 173, décembre 1965, p (...)

10Ainsi, l’Index de la Cinématographie française, qui paraît annuellement depuis 19503, comporte une rubrique à l’intitulé trompeur : « Analyses des courts métrages réalisés en [telle année]. » Les analyses ne sont que des génériques expéditifs, non harmonisés entre eux, accompagnés d’un résumé et de l’indication du ou des formats dans lesquels le film est accessible. Et il y a confusion sur l’objet même puisque les films inventoriés sont ceux distribués en salles (y compris des rééditions) pendant l’année. Dans le détail, cet index est souvent maladroit4. Il recense indifféremment dans certaines de ses éditions films suisses ou surtout belges. Les coquilles surabondantes imposent une méfiance continuelle.

  • 5 Catalogue général des films français de court métrage (éducatifs – documentaires – scientifiques e (...)

11Les catalogues d’exportation d’Unifrance Film sont édités de façon irrégulière à partir de 19535, puis ils sont annuels à partir de 1960 sous le titre La Production française des films de court métrage. Dépourvus de toute introduction rédactionnelle, ils regroupent les films par catégories (« Arts et lettres », « Sciences », etc.) avec des informations succinctes d’où ressortent surtout un vague résumé du sujet et la société responsable des ventes à l’étranger. Ils sont fantaisistes sur bien des points.

12Dans les années 60, l’Index de la Cinématographie française, les catalogues Unifrance et d’autres sources recensent fréquemment comme des courts métrages des émissions de télévision. Ils n’aident guère à distinguer les films destinés uniquement à l’exportation, ni ceux qui font une carrière en salle dans un pays, sur le petit écran dans d’autres.

13À partir de 1946, l’Annuaire de programmation en format réduit permet de savoir annuellement quelles firmes prêtent, louent ou vendent les copies 16 mm de courts métrages, mais les titres de films ne sont accompagnés d’aucune autre indication que le métrage approximatif.

14Il faut aussi compter avec une masse de documents non publiés mais consultables en bibliothèques, inégalement détaillés. On glanera l’information dans de nombreux catalogues thématiques : films sur l’art (plusieurs catalogues de l’Unesco par exemple), films éducatifs (Institut international du cinématographe éducatif, Centre national de documentation pédagogique), journées nationales du film industriel, triennales internationales du film pour le travail et l’industrie… Ou bien dans les catalogues des cinémathèques, des sociétés de production, des commanditaires institutionnels ou industriels : fonds du service cinématographique des Armées, du service du Film de recherche scientifique, des Laboratoires Sandoz… Ces outils à usage interne, sans doute maniables instantanément dans le contexte pour lequel ils ont été conçus, sont aujourd’hui difficiles à déchiffrer. Tel catalogue non daté de la section centrale cinématographique de la SNCF donne ainsi un bref descriptif des films sans date ni nom de réalisateur (Pacific 231 de Jean Mitry s’y trouve mêlé indistinctement à des films très divers). Dans beaucoup de cas, le lecteur ne peut déduire si les œuvres sont documentaires ou de fiction. On se doute que, pour le court métrage non commercial, la complexité du recensement est infinie.

Filmographies et génériques

  • 6 Le Cerf, 1988.

15Les filmographies des réalisateurs sont malaisées à établir. Le hasard fera dénicher ici ou là des titres absents des filmographies officielles : des metteurs en scène réputés ne tiennent pas forcément à se voir rappeler des courts métrages de jeunesse ou des opérations alimentaires, ou les considèrent comme relevant de leur apprentissage et non de leur œuvre. Beaucoup de filmographies ne prennent pas en compte la distinction entre courts métrages amateurs et courts métrages professionnels. On se penchera par exemple sur la filmographie de Patrice Leconte, abondante dès les années 60. Dans le dictionnaire 900 Cinéastes français d’aujourd’hui dirigé par René Prédal6, certains auteurs de notices ont fait un travail de recherche sur des filmographies peu connues.

16L’Annuaire des anciens élèves de l’Idhec (plusieurs éditions) fournit la filmographie des techniciens et réalisateurs issus de cette école. On découvre que de nombreux opérateurs et autres collaborateurs de création ont réalisé, à leurs débuts ou même par la suite, quantité de courts métrages documentaires de commande. Sinon, rares sont les filmographies publiées de techniciens ou de comédiens qui dressent la liste de leurs courts métrages.

17L’établissement de génériques détaillés se heurte également à des obstacles. Les indications figurant sur le film lui-même sont loin de citer tous les collaborateurs, et il est plus difficile que pour un long métrage de combler les manques par des sources externes. Les listes, données par la presse corporative, des autorisations de production mentionnent uniquement le producteur, le réalisateur et l’opérateur prévus. Le récitant, souvent, ne figure pas au générique. C’est même le cas de Nuit et Brouillard d’Alain Resnais, où Michel Bouquet n’a pas voulu que son nom interfère avec la gravité du propos. Les catalogues de nombreux organismes produisant des courts métrages utilitaires, tels que le service cinématographique des Armées ou les ministères, relèguent dans l’anonymat jusqu’aux réalisateurs et comédiens.

18Le minutage ou le métrage sont souvent arrondis, d’autant que les sources successives entérinent généralement les informations transmises par les producteurs sans se reporter à la durée effective des copies. Il est fréquent aussi que les durées proposées se fondent sur un montage provisoire.

19Certains instruments de travail, comme les catalogues Unifrance, ne donnent pas la date des films. D’une source à l’autre, les écarts de deux ou trois ans, parfois davantage, sont monnaie courante. La date de naissance officielle du film est la date d’octroi du visa d’exploitation. Or il s’écoule parfois plusieurs années entre le tournage et l’achèvement (en particulier lorsque les prises de vues sont lancées sans garantie d’obtenir le financement pour la sonorisation), ou entre l’achèvement et la diffusion. Pour ne rien dire des films auxquels le visa est refusé.

20Le plus malaisé est probablement d’exhumer la date de distribution éventuelle des courts métrages et, au-delà, de retracer leur carrière commerciale. L’Index de la Cinématographie française ne signale ni la date de sortie, ni les salles, ni le « grand film » accompagné. On parvient souvent à trouver l’indication a posteriori que tel court métrage a été diffusé en première partie de tel long métrage, mais était-ce lors de la première exclusivité de celui-ci ou lors d’une reprise un peu plus tard ? À Paris ou en province ? Connaître les salles où le complément de programme était annoncé n’apporte pas la preuve qu’il y ait été effectivement projeté, les entorses à la législation étant coutumières.

21Plusieurs versions d’un même court métrage peuvent coexister ou se relayer dans le temps. Les montages révisés ont rarement conduit les auteurs de filmographies à corriger la nouvelle durée et autres éléments qui auraient changé. C’est le cas par exemple des Mistons que François Truffaut ramène de 26 minutes à 18 minutes lorsqu’il le remonte en 1967, dix ans après sa réalisation, pour accompagner la reprise parisienne des Quatre Cents Coups. Concernant les films tournés en 16 mm, puis refaits en 35 mm sous l’égide d’un producteur installé (le plus connu est Van Gogh de Resnais), les génériques dont nous disposons risquent fort soit de correspondre à une seule des deux versions, soit de se contredire entre eux sans que la cause en soit indiquée. Plus simplement, des films sont rebaptisés : les titres La Fille de Paname et le Gars de Padoue et Capito ? cachent un même court métrage de Luc Moullet, répertorié différemment d’une source à l’autre.

22Pour donner un exemple des difficultés rencontrées, prenons le film d’art de Robert Hessens Statues d’épouvante, à la gestation complexe puisqu’il en existe deux montages très différents et peut-être une version intermédiaire. Selon les sources, on trouvera les dates 1953, 1954, 1956, 1957 ; les titres Le Cubisme, Cubistes ou Statues d’épouvante ; le texte du commentaire attribué à Hessens (première version) ou à Sylvain Dhomme ; le compositeur Michel Ciry (première version) ou son successeur Pierre Barbaud ; l’assistant opérateur Sacha Vierny tantôt identifié comme tel, tantôt mis sur le même plan que le chef de poste Ghislain Cloquet ; les durées 23 ou 24 minutes ; les métrages 600 mètres, 620 mètres, 659 mètres. Certaines sources des années 60 mentionnent uniquement la première version caduque, ou répertorient séparément deux des trois titres sans signaler leur parenté.

2. L’héritage critique

23Mon parcours dans les journaux corporatifs, les hebdomadaires culturels et les revues cinéphiles aura essentiellement trait au court métrage commercial. Avant de l’entamer, rappelons quelques points qui toucheront aussi aux films non commerciaux.

  • 7 « Luc Moullet tourne son premier film », Radio-Cinéma-Télévision n° 563, 30 octobre 1960.

24Les textes consacrés au court métrage commercial sont en premier lieu des articles sur des films ou des programmes de films, des articles sur les réalisateurs et autres collaborateurs ou des entretiens avec eux, des textes généraux sur l’histoire ou l’esthétique du court métrage ou de tel de ses genres (avec un avantage certain au film d’art, le plus prestigieux d’entre eux). Les comptes rendus de tournage, en revanche, sont très rares, et souvent liés aux relations confraternelles. Jean Collet relate ainsi la première expérience de plateau de Moullet, Un steack trop cuit, dans les colonnes de Radio-Cinéma-Télévision où ils écrivent tous deux7. Il faut cependant aller chercher l’information ou le commentaire dans deux autres types de textes.

25D’abord, durant toutes les années 50, de nombreux articles abordent les difficultés du court, la bataille du court ou plutôt les batailles du court puisque, en dehors même des remous causés par l’application de la loi de 1953 et menant à la création du groupe des Trente, la survie du court métrage paraît continuellement menacée.

  • 8 « Les Journées de Tours 1958 », Téléciné n° 80, janvier-février 1959, pp. 1-8.

26Ensuite, le festival de Tours, créé en 1955, offre l’occasion d’un bilan annuel. Les comptes rendus des premières éditions commentent surtout la production française, théoriquement le haut du panier. Quand la compétition devient internationale en 1958, peu avant le déclin du court, le bilan français n’est fréquemment plus qu’un passage obligé dans les articles, vite expédié les années maigres. Se pose l’éternel problème du compte rendu : faut-il parler de tout ou être sélectif ? Gilbert Salachas, dans son article exceptionnellement détaillé de Téléciné sur le festival 1958 jugé enthousiasmant8, conclut ainsi qu’avoir tâché de faire un sort à tous les films qu’il a vus est un « réflexe de journaliste plutôt studieux » et expose ses doutes : « À force d’inventorier un à un les arbres qui la constituent, le critique risque d’oublier la forêt. » De fait, de nombreux textes essaient si bien de démêler le bon grain de l’ivraie, en une savante gradation, que tout est nivelé. Tels articles qui n’accordent que trois lignes à chaque court métrage ne donnent guère le moyen de se faire une idée. D’autres fournissent des appréciations argumentées dont l’éventuelle sortie des films en salles n’offre pas toujours l’occasion.

27Les sections court métrage hébergées à Venise et à Cannes, puis les festivals internationaux de Cork en Irlande (très peu fréquenté par la presse française), de Mannheim et d’Oberhausen en Allemagne donnent lieu à des commentaires plus épars. Pour l’animation, en revanche, le festival d’Annecy suscite une littérature abondante.

  • 9 L’Harmattan, 2001.

28En ce qui concerne le cinéma documentaire et spécialement de commande, il faut prendre en compte les publications professionnelles liées au sujet traité. On ira donc aussi chercher tel article sur Pacific 231 dans La Vie du rail. On mesure l’ampleur du travail qui mobiliserait plusieurs bataillons de chercheurs en consultant une bibliographie comme celle de Michel Ionascu dans son Cheminots et Cinéma9, qui recense les articles parus dans cinq revues ferroviaires.

  • 10 Pour un exemple, voir Claude de Givray, « Bruxelles 58 : c’est l’expérience qui manque le plus au (...)

29Le court métrage expérimental, dans la période qui nous occupe, est à peu près passé sous silence, ou dénigré par la cinéphilie10. C’est ce que Dominique Noguez a appelé un cinéma expérimental fantôme. Les articles ne portent guère de discours global sur la tendance française, mais s’attachent plutôt aux rares programmes collectifs montrés en salles ou à des festivals internationaux (Bruxelles 1958, Knokke-le-Zoute 1958, 1963 et 1967). La vraie floraison du discours sur le cinéma expérimental date des années 1968 et suivantes.

30Le court métrage « parallèle » – puisque les films militants tournés de façon clandestine sont presque tous des courts métrages – est beaucoup plus commenté, bien que peu vu autrement qu’en ciné-club ou lors de projections privées, sans droit d’entrée. Quand un court métrage a des ennuis avec la censure, qu’il soit commercial (Les statues meurent aussi de Resnais, Chris Marker et Ghislain Cloquet, Dimanche à Pékin de Marker) ou parallèle (J’ai huit ans sur les orphelins de guerre algériens évacués en Tunisie par le FLN, Sucre amer sur la campagne législative de Michel Debré à La Réunion après une première élection invalidée pour fraude, deux films réalisés ou coréalisés par Yann Le Masson), la presse relate de façon précise ses mésaventures.

  • 11 « Bibliographie chronologique des principales revues (1855-1990) », Communications n° 68, « Le cin (...)

31Le cinéma amateur est l’occasion d’articles de temps en temps dans les publications culturelles. Il dispose d’une certaine visibilité (le festival de Cannes a même longtemps ouvert une section amateur), et d’un surcroît d’attention dans les années 60 avec le développement des festivals spécialisés. Des dizaines de revues de cinéma amateur sont fondées dans la période qui nous occupe. On peut entrevoir le travail à accomplir en lisant le recensement impressionnant de ces publications par Gabriel Ménager11.

La presse corporative

32Les hebdomadaires La Cinématographie française et Le Film français (fondés en 1918 et 1944, ils fusionnent en 1966 sous le second titre) ont pour mission première d’informer la profession. En 1945, La Cinématographie française crée une rubrique occasionnelle « Films de complément », et, au début des années 50 encore, les deux journaux livrent la critique en quelques lignes de certains films de première partie. Mais Pierre Autré, le rédacteur en chef du Film français de 1948 à 1971, est hostile au court, que son journal, comme La Cinématographie française, accuse progressivement de rebuter le grand public, relayant le point de vue majoritaire des exploitants. Les comptes rendus expéditifs et convenus des festivals ne servent guère qu’à vanter la production française. Les articles de La Cinématographie française sur Tours sont parfois signés Charles Ford, le critique le plus déconsidéré de l’époque auprès de ses confrères cinéphiles.

33Le mensuel Le Technicien du film, lancé en 1954, est en revanche une source majeure. La fondatrice Henriette Dujarric maintient un intérêt pour le court jusqu’à la fin de notre période et au-delà. Soutenant d’emblée le groupe des Trente, la revue propose une rubrique « La vie du court métrage » (tantôt intermittente, tantôt régulière) qui donne les principales informations officielles : listes des autorisations de production, listes des films retenus par la commission de présélection puis listes des films primés, listes des bénéficiaires du prix de soutien. Les sélections pour les festivals sont également recensées. S’y ajoutent de vrais comptes rendus des festivals, des points de vue, des brèves, des interviews de producteurs, réalisateurs, techniciens, etc. Les articles y sont parfois signés de réalisateurs ou producteurs. Le Technicien du film est une source privilégiée pour les rapports entre court métrage et industrie, pour le film commandité, témoin plusieurs numéros spéciaux sur le cinéma au service de l’entreprise.

  • 12 Jacques Bauvy, « Le court métrage français assassiné légalement », France Film international n° 4, (...)

34Les autres publications corporatives (Cinéopse, L’Exploitation cinématographique, France Film international, L’Objectif…) ne se penchent qu’épisodiquement sur le court métrage. France Film international, par exemple, ne tient une rubrique régulière qu’en 1947-1948 (le journal s’appelle alors encore France-Film information) avant de développer une hostilité virulente envers la loi de 1953 et le groupe des Trente et de déplorer que les prix à la qualité déprécient la « valeur de spectacle » au profit de « l’esthétisme militant12 ».

Les hebdomadaires culturels

  • 13 Les Lettres françaises n° 439, 13 novembre 1952.

35Les critiques des hebdomadaires (comme, plus rarement, ceux des grands quotidiens) mentionnent parfois le complément de programme dans leur dernier paragraphe ou dans un post-scriptum. Mais ils se plaignent que ce passage de l’article soit fréquemment supprimé par la rédaction en chef pour raison de place ou… pour épargner au lecteur ce qu’il n’aurait pas envie de lire. Certains journalistes préfèrent ne parler que des courts métrages qu’ils aiment : terminer un éloge du long métrage avec la condamnation d’un court affligeant est préjudiciable au long. Ils valorisent aussi parfois le court métrage au détriment du long. Josette Daix, des Lettres françaises, illustre ce militantisme avec son article « Le Trou normand : moyen, mais Hôtel des Invalides est un grand film13 » : plutôt qu’au grand film (au sens de long métrage) de Jean Boyer avec Bourvil, elle consacre l’essentiel de l’article au documentaire de Georges Franju.

36Les critiques vantent les courts métrages sans guère pouvoir indiquer, faute d’informations, dans quelles salles ils sont projetés. L’Écran français et Radio-Cinéma-Télévision, au début des années 50, font volontiers état de nombreuses lettres de lecteurs protestant contre l’impossibilité de savoir où passent les courts qui les intéressent. Les rédactions réagissent ponctuellement, par exemple dans ce numéro de Radio-Cinéma-Télévision (14 décembre 1952) qui publie un tableau de soixante-neuf courts métrages dont les deux tiers sont distribués par les fédérations de ciné-clubs. Puis la cause est perdue et cette doléance n’apparaît plus guère. Pour la plupart des organes de presse, la valorisation du court métrage s’estompe ou disparaît au cours de la première moitié des années 60. Seule ou presque la sortie en salles de quelques programmes collectifs, ou de programmes consacrés aux films d’un même réalisateur, permet ensuite au court métrage de survivre dans les colonnes des journaux.

37Je développerai ici le cas des hebdomadaires dépouillés pour la bibliographie du présent volume : Radio-Cinéma-Télévision (futur Télérama), Arts, France Observateur (futur Nouvel Observateur) et Les Lettres françaises, ainsi que L’Écran français.

38L’hebdomadaire spécialisé L’Écran français (fondé en 1945, absorbé en 1953 dans Les Lettres françaises) rend compte régulièrement, par une politique volontariste, des courts métrages distribués. Le précurseur des combattants futurs est ici Jean Thévenot. De 1949 à 1951, il publie une batterie de feuilletons ou d’articles isolés sur les grandeurs et malheurs du court métrage dans les pages de l’hebdomadaire ou de son supplément mensuel Informations Ufocel (ce bulletin de l’association de ciné-clubs Ufocel accompagne L’Écran français de 1947 à 1949). Thévenot s’investit par la suite à la radio et à la télévision naissante comme praticien et chroniqueur, mais il garde un œil sur le court métrage, publiant sur le sujet dans Radio-Cinéma-Télévision, Les Lettres françaises et France Film international.

39Radio-Cinéma-Télévision (fondé en 1950, rebaptisé Télérama en 1960) signale assez fréquemment à ses débuts le court métrage haut de gamme dans sa critique du long métrage. À la fin des années 50 et au début de la décennie suivante, Gilbert Salachas, Jean Collet, Claude-Marie Trémois et André S. Labarthe surtout s’intéressent au court ; d’autres travaillent en service plus commandé. Les courts ont parfois droit à une critique à part entière au même titre que les longs. Puis, en 1962-1963, Télérama commente encore fidèlement les programmes de courts métrages du Studio du Val-de-Grâce… mais, en dehors du compte rendu annuel de Tours, c’est désormais son seul mode d’intervention ou presque sur le sujet.

40Arts, créé en 1945, n’a jamais été très engagé en faveur du court. L’hebdomadaire, pendant sa première décennie, ne publie guère que la critique anodine des longs métrages de l’actualité, puis il développe de façon influente le traitement du cinéma à partir de l’été 1954, quelques mois après le recrutement du jeune Truffaut. La rubrique cinéma, exceptionnellement vivante, suit longtemps la stratégie polémique de Truffaut. Celui-ci ouvre les colonnes d’Arts à ses amis des Cahiers du cinéma Charles Bitsch, Claude de Givray, Jean-Luc Godard, Luc Moullet, Jacques Rivette ou Éric Rohmer, auxquels succédera notamment Jean Douchet. Or, parmi eux, seul Rohmer parle volontiers et spontanément des courts métrages. Pour la défense du court, Arts sollicite des plumes extérieures comme celles d’André Bazin (qui sera un des premiers jurés du festival de Tours) ou du réalisateur Georges Régnier. Les critiques rassemblés autour de Truffaut font du court métrage une annexe mineure de la politique des auteurs et ne commentent guère que le haut de gamme (Resnais, Marker, Roger Leenhardt, Mario Ruspoli…) ou les auteurs naissants (Jean-Daniel Pollet). Les comptes rendus de Tours sont moins favorables qu’ailleurs, et celui de Douchet en 1960 s’intitule « Un genre qui se meurt ». Les années 1959-1961 sont celles d’une reprise en main par la direction du journal qui fait cohabiter les piliers Douchet et Moullet avec d’éphémères contrefeux insipides puis avec une équipe anti-Nouvelle Vague plus aguerrie : René Cortade (pseudonyme du futur éditeur Bernard de Fallois, 1959-1960) ou Jean Domarchi (pourtant issu des Cahiers du cinéma, 1960-1961). Arts délaisse complètement le court après le départ de Douchet à l’été 1961 et l’instauration d’un tandem composé d’abord de Jean-Louis Bory et Roger Boussinot, puis de Bory et Pierre Marcabru. Le recrutement du romancier Bory marque le début d’une tendance dans la presse culturelle : le remplacement des cinéphiles par les littéraires qui changent de rubrique. Les mentions désormais exceptionnelles du court métrage dans Arts, à peu près limitées au festival de Tours, sont dues à Guy Allombert, également collaborateur de La Cinématographie française et d’Image et Son, qui se montre surtout attaché au point de vue du grand public.

  • 14 Le Nouvel Observateur n° 40, 18 août 1965.

41France Observateur (rebaptisé ainsi en 1954 après s’être appelé L’Observateur à sa création en 1950 puis L’Observateur d’aujourd’hui, et relayé par Le Nouvel Observateur en 1964) est longtemps un haut lieu du court. Celui-ci y est d’emblée défendu par Jacques Doniol-Valcroze (qui y règne pendant les onze premières années) et Bazin, puis aussi, à la fin des années 50 et au début des années 60, par Robert Benayoun (un des animateurs de Positif, qui cohabite cinq ans avec ses frères ennemis), Pierre Billard (le rédacteur en chef de Cinéma) et Louis Marcorelles (qui publie dans diverses revues spécialisées). L’hebdomadaire consacre plus facilement que d’autres un article à un court métrage seul. En 1964, l’arrivée dans la rubrique cinéma du critique théâtral Michel Cournot modifie la donne. Cournot, ennemi déclaré de la demi-mesure, néglige délibérément le court, allant jusqu’à signaler les horaires permettant d’arriver pour le long métrage. Sous le titre « Zakouskis-cauchemar », il publie un pamphlet anti-première partie de progamme14 : « Abruti par les actualités, le spectateur de cinéma reçoit alors le coup de matraque de ce qu’on appelle le court métrage. » Tout en sortant du lot un petit nombre de courts qui sont en réalité des films de télévision ou des épisodes de films à sketches, il ajoute que « le festival de Tours n’accepte que des monstres ». Le Nouvel Observateur s’abstient donc même de rendre compte du festival avant le recrutement fin 1966 du transfuge d’Arts Bory, novice en matière de court métrage mais curieux et à qui son nouvel employeur donne plus de liberté que l’ancien.

42Les Lettres françaises (créé clandestinement sous l’Occupation) est le seul hebdomadaire à rester fidèle au court métrage sur l’ensemble de la période, tout en marquant lui aussi un fléchissement à partir de 1963. Georges Sadoul, le ténor de la presse communiste, parle assidûment du court dans les années 50 (comme Josette Daix, Thévenot et d’autres), puis occasionnellement jusqu’à sa mort en 1967. Dans les années 60, la politique du journal est de mettre en relief ce qui se fait ailleurs que dans le cinéma dominant : 16 mm, documentaire, festivals étrangers de court métrage. La plupart des rédacteurs de la décennie délaissent cependant le court. C’est encore Sadoul qui fait le voyage pour Tours. La relève est assurée principalement par Marcel Martin, arrivé en 1960, qui écrit de nombreux articles sur le sujet et tient la rubrique d’encadrés « La vie du court métrage », où il signale épisodiquement (mais précieusement pour nous) un choix de courts métrages, en indiquant les longs métrages auxquels ils sont associés. De plus en plus irrégulière, la rubrique s’éteint au printemps 1967. On comprend cette lassitude : il n’y a plus grand-chose dont parler.

43Entre 1961 et 1964, donc, Télérama, Arts et France Observateur cessent de parler du court. Le découragement a sans doute primé pour Télérama, et la venue d’une nouvelle génération de critiques pour les deux autres hebdomadaires. De son côté, Les Lettres françaises met la pédale douce tout en résistant plus longtemps. La couverture assez large du court métrage dans les années 50 s’expliquait aussi par la présence dans la presse culturelle de critiques aspirants cinéastes qui côtoyaient les court-métragistes ou qui en étaient eux-mêmes, tel Doniol-Valcroze. Par la suite, hormis Benayoun et Christian Ledieu du Nouvel Observateur, rares sont les critiques de la grande presse qui aspirent au court métrage.

Les mensuels spécialisés

44À des titres divers, les quatre principales revues cinéphiles qui apparaissent dans les années 50 (les Cahiers du cinéma, Positif, Image et Son, Cinéma) soutiennent et commentent le court métrage, prennent parti pour le groupe des Trente et envoient leurs journalistes à Tours. Là encore, une césure se produit aux alentours de 1963.

  • 15 Cahiers du cinéma n° 71, mai 1957.
  • 16 Critique de danse qui écrivait déjà sur le cinéma scientifique au début des années 30, collaborate (...)

45Les Cahiers du cinéma (fondés en 1951) rendent compte dans les années 50 des courts métrages les plus ambitieux, dans la même rubrique souvent que pour les longs métrages. Le cofondateur Doniol-Valcroze écrit fidèlement sur les films de son ami et confrère Pierre Kast et s’attarde parfois de manière plus générale sur le court métrage. De leur côté, Truffaut et les autres hitchcocko-hawksiens qui occupent le devant de la scène à partir de 1954 lancent la stratégie qu’ils transposeront dans Arts. La revue publie alors peu d’articles de fond sur le court en tant que tel : en dehors d’un texte de Doniol-Valcroze sur les « Problèmes du court métrage15 » et des synthèses d’André Martin sur l’animation, ce sont trois articles de Pierre Michaut sur le film d’art, le documentaire ou le « film de schéma animé16 ».

  • 17 « Tours 1961 », Cahiers du cinéma n° 127, janvier 1962, p. 42.
  • 18 « Submilers », Cahiers du cinéma n° 161-162, janvier 1965.

46Concernant Tours, les Cahiers du cinéma adoptent une attitude musclée qui s’affiche dans la recension du festival 1961, signée Douchet, Labarthe, Moullet, Rohmer et François Weyergans et dont voici l’entrée en matière : « Une période du festival de Tours s’est terminée il y a trois ans, avec l’apogée de l’école française de court métrage (Le Chant du styrène, Le Bel Indifférent, Du côté de la Côte, Blue Jeans). Depuis, Tours s’est aligné sur Cannes. On s’est mis à fabriquer des films pour Tours, des poncifs se sont créés17. » Les auteurs défendent en tout et pour tout un seul film : Gala de Pollet. Marcorelles, pour les éditions 1957, 1959 et 1960 dont il était chargé, s’était montré moins polémique, tempérant même à l’occasion la mauvaise humeur de la critique française. Dans les années 60, Jean-André Fieschi surtout s’intéresse au court, et un article de Moullet de 196518, dressant un bilan économique, politique et esthétique, fournit des clés toujours indispensables aujourd’hui.

47Positif (fondée à Lyon en 1952, montée à Paris deux ans plus tard), à la parution irrégulière jusqu’en 1966, s’engage en faveur du groupe des Trente, rend fréquemment compte de courts métrages isolés et des festivals, notamment sous les plumes de Benayoun, Bernard Cohn, Louis Seguin et Jean-Paul Török. En revanche, le ténor surréaliste Ado Kyrou, réalisateur d’une douzaine de courts métrages professionnels, refuse de juger ses confrères français. Seul texte de fond en dehors de ceux liés à la bataille du court, la revue propose en décembre 1962 (n° 49) un « Dictionnaire partiel et partial des réalisateurs de courts métrages français », qui témoigne d’une lutte de clans avouée. Y sont vantés les réalisateurs issus de la revue ainsi que Robert Enrico, Pierre Étaix, Edmond Lévy ou le futur téléaste Raoul Sangla, et traités avec dédain les membres ou les proches des Cahiers du cinéma.

48Les deux autres principales revues spécialisées émanent de groupements de ciné-clubs qui leur apportent un lectorat considérable. Or le court métrage bénéficie du soutien inconditionnel de ces groupements : présentation régulière d’un court à chaque séance ; programmes de courts ; publication de notes d’information aux animateurs.

  • 19 En 1953, l’association prend le nom d’Ufoleis (Union française des œuvres laïques d’éducation par (...)

49Image et Son prend le relais en 1951 d’Informations Ufocel, le bulletin cité plus haut de l’Ufocel (Union française des offices du cinéma éducateur laïque19). La revue, dont la priorité initiale est l’éducation populaire permanente, n’a pas de rubrique critique avant la fin des années 50, ce qui ne l’empêche pas d’affirmer des choix. Ses premiers rédacteurs en chef officiels, Jacques Chevallier (1952-1960), qui continue à écrire bien après avoir cédé la place, et François Chevassu (1960-1974), sont des hérauts infatigables du court métrage. Ils en suivent de près le développement, y compris en participant aux commissions d’aide, et tiennent un rôle important, au quotidien, dans sa défense et illustration. Image et Son revient régulièrement sur le sujet, établit des « fiches culturelles » sur des courts, publie des entretiens avec les réalisateurs dans les années 60, au cours desquelles Hubert Arnault et Guy Gauthier se joignent à leurs prédécesseurs. C’est la revue qui commente le plus longuement le court métrage, jusqu’à la fin des années 60, en portant un intérêt régulier au 16 mm et au film de commande.

50En avril-mai 1962 (n° 150-151), la revue consacre au court métrage un dossier coordonné par Chevassu qui pose les fondations pour les chercheurs d’aujourd’hui et, sur le plan de l’information historique, est une des sources premières. Il comporte notamment une « Petite chronologie du court métrage français », un « Dictionnaire des auteurs », des repères économiques et les textes de loi. La bibliographie établie par Philippe Esnault a été un tremplin pour la nôtre. On pourra s’y reporter pour des rubriques non retenues dans la nôtre (cinéastes, films, festivals autres que celui de Tours) ou pour des textes de circonstance.

51En 1957, les animateurs d’Image et Son lancent La Saison cinématographique, répertoire critique de la production annuelle. Pour le court métrage, le travail est tributaire des forces en présence. Les premières années, la Saison livre un bilan de deux ou trois pages… ou rien. De 1961 à 1967, Chevassu tantôt coordonne, tantôt même assure à lui seul une rubrique détaillée, abordant les courts présentés dans les festivals français ou ceux, ayant reçu la mention spéciale du CNC, qui se portent candidats au prix à la qualité quand Chevassu siège au jury de celui-ci. En 1968, Jacqueline Lajeunesse prend le relais, avant que l’édition 1969 renonce à l’analyse de courts métrages.

52Cinéma, créée en 1954 sous le patronage de la Fédération française des ciné-clubs (FFCC), s’affirme elle aussi progressivement comme revue critique. Les principales plumes attachées au court sont celles du rédacteur en chef Pierre Billard et de Marcel Martin, également pilier des Lettres françaises. Leur préoccupation est cependant relativement peu partagée, et la revue publie peu de textes généraux. Le dossier de mars 1963 (n° 74) n’a pas la solidité de celui d’Image et Son l’année précédente mais propose un lexique des réalisateurs. Il tente de promouvoir une « nouvelle Nouvelle Vague » qu’incarneraient Maurice Pialat, Serge Korber, Georges Dumoulin, Maurice Cohen et Louis Terme – panthéon dont on devine qu’il n’a guère exercé d’influence.

53En 1961, la FFCC édite par ailleurs une brochure de Jacques Courcier, Connaissance du court métrage. L’auteur, responsable d’un ciné-club charentais, signe également quelques textes sur le court dans Cinéma. Son « recueil de notes » est destiné à aider les programmateurs et animateurs de ciné-clubs dans leur travail de documentation. L’essentiel en est composé de notices sur plus de deux cents films français et sur les principaux réalisateurs.

54Deux autres revues émanant de fédérations de ciné-clubs ont un moindre rayonnement. Téléciné, créée en 1946, aborde surtout le court métrage par le biais du festival de Tours, qu’elle délaisse au milieu des années 60. Jeune Cinéma, qui naît après la bataille, en 1964, a peu d’occasions de se pencher sur le court.

  • 20 Le Cerf, 1965.

55La plupart des revues éphémères apparues à la fin des années 50 et au début des années 60 (La Méthode, Miroir du cinéma, Présence du cinéma…) accordent elles aussi très peu de place au court. Une exception est L’Écran, fondée par Labarthe en 1958, mais qui meurt après trois livraisons. Connaissance du cinéma (rebaptisée Cinématexte, 1962-1964, treize numéros) offre pour sa part une rubrique « Vie du court métrage ». Son rédacteur en chef François Porcile publie à l’âge de vingt et un ans l’indispensable Défense du court métrage français20, pendant longtemps le seul livre sur le sujet. Choisissant de parler uniquement des films 35 mm, il analyse la politique économique, livre une histoire critique des genres et des formes du court métrage, et propose un lexique détaillé des réalisateurs.

  • 21 Une liste sélective en est donnée dans Claire Vassé et Jacky Évrard (dir.), Cent pour cent court : (...)

56Dans un genre différent, L’Avant-Scène cinéma affiche son soutien au court métrage dès sa création en 1961. La revue publie régulièrement la description rapide d’un court ou le texte de son commentaire off, puis de vrais découpages après montage21. Sa première année d’existence met l’accent sur Godard, Truffaut, Resnais et sur une demi-douzaine des courts métrages les plus remarqués et les plus primés en festival des trois années précédentes, mais qui depuis ont vu à tort ou à raison leur réputation pâlir ou s’éteindre : X.Y.Z. de Philippe Lifchitz, Paris la Belle de Pierre Prévert, Actua tilt de Jean Herman, L’Eau et la Pierre de Carlos Vilardebo, La Chevelure de Kyrou, La Rivière du hibou d’Enrico. Remarquons qu’un bon nombre des films sélectionnés sont produits par Pierre Braunberger ou Anatole Dauman. La revue poursuivra cette politique à long terme, s’intéressant même après coup à des courts métrages de notre période, par exemple dans son original « Spécial entreprise » (n° 199-200, 1er janvier 1978).

57Les autres revues cinéphiles publient sporadiquement le scénario ou le commentaire off de courts métrages, en particulier pour soutenir les essais d’un de leurs rédacteurs dans la mise en scène ou pour s’engager en faveur d’un film censuré. Certains commentaires (de Marker, de Raymond Queneau…) appelés à devenir des classiques sont ainsi reproduits plusieurs fois.

Bilan

  • 22 Le Technicien du film n° 105, mai 1964.

58Dans un premier temps, l’écriture sur le court métrage dans la presse culturelle ou spécialisée est un exercice largement partagé, pas si dissociable de l’écriture sur le cinéma. Tout le monde n’y prête pas main forte, mais les chefs de file Bazin, Doniol-Valcroze, Sadoul ou Benayoun multiplient les interventions à coups aussi bien d’articles généraux que de critiques ou de comptes rendus de festivals, sans parler de leur engagement dans la bataille réglementaire. Passé 1963 environ, la politique de défense du court métrage disparaît, sauf résurgences. Le dernier texte significatif que j’aie trouvé, signé Georges Régnier en 1964, s’intitule d’ailleurs « Feu le court métrage22 ». Quelle que soit la plus longue résistance de tel critique ou de tel support, le discours sur le cinéma s’éloigne du court, et pour longtemps. Les documentaristes de commande sont désormais davantage séparés des autres court-métragistes, or de quel militantisme a besoin une forme exclusivement fondée sur la commande ? Et si le court métrage de fiction est vécu par les cinéastes comme antichambre du long, faut-il le valoriser pour lui-même ?

59De 1963 à 1968, la critique se penche sur d’autres solutions de rechange par rapport au long métrage dominant. C’est d’abord le cinéma 16 mm, soutenu par de nouveaux festivals. En 1963, Chevassu crée pour l’Ufoleis la Semaine du 16 mm d’Évreux, transportée à Évian les années suivantes. En 1965, pour la même association de ciné-clubs, Philippe Durand et Jacques Zimmer, autres piliers d’Image et Son, et Marin Karmitz créent à Paris l’éphémère Festival du film libre, qui montre majoritairement des courts métrages amateurs. La revendication par critiques et cinéastes de l’annoblissement du format 16 mm conduira le CNC à renoncer à le considérer comme substandard en 1968. C’est ensuite le cinéma direct : l’apparition de nouveaux outils de tournage et l’évolution esthétique qu’elle entraîne pour la fiction comme pour le documentaire en font une cause plus urgente à soutenir pour la critique. Quant aux courts politiques ou « parallèles », ce qui prime dans le regard porté sur eux est leur teneur militante et non pas leur appartenance au monde du court métrage. Pour toutes ces nouvelles formes, l’accent s’est déplacé. Le lieu où découvrir les films courts exigeants de la nouvelle génération n’est plus la salle, avant le long métrage, mais le festival – celui de Tours ou ses rivaux plus radicaux. Le discours de la critique s’est alors lui aussi déplacé : il ne porte plus sur le court métrage commercial, mais, sans vraie distinction de longueur, sur le cinéma souterrain ou sur le cinéma futur qu’il appelle de ses vœux.

Notes

1 Dans Roger Odin (dir.), L’Âge d’or du documentaire, t. I, L’Harmattan, 1998, pp. 53-62. Voir aussi Michèle Lagny, « Le document cinématographique français : sources et inventaires », Mscope n° 7, mai 1994, et « De la fabrication d’un catalogue général pour des recherches sur le documentaire français », dans Irène Bessière et Jean A. Gili (dir.), Histoire du cinéma : problématique des sources, Institut national d’histoire de l’art/ Maison des sciences de l’homme/université Paris I, 2004.

2 Mémoires de cinéma, 1996.

3 Les deux éditions antérieures sont bisannuelles : 1946-1947 et 1948-1949.

4 Voir le compte rendu de l’index 1965 par Patrick Brion, Cahiers du cinéma n° 173, décembre 1965, p. 124.

5 Catalogue général des films français de court métrage (éducatifs – documentaires – scientifiques et techniques), t. I, 1953, t. II, 1955, t. III, 1958.

6 Le Cerf, 1988.

7 « Luc Moullet tourne son premier film », Radio-Cinéma-Télévision n° 563, 30 octobre 1960.

8 « Les Journées de Tours 1958 », Téléciné n° 80, janvier-février 1959, pp. 1-8.

9 L’Harmattan, 2001.

10 Pour un exemple, voir Claude de Givray, « Bruxelles 58 : c’est l’expérience qui manque le plus au film expérimental », Arts n° 668, 30 avril 1958.

11 « Bibliographie chronologique des principales revues (1855-1990) », Communications n° 68, « Le cinéma en amateur », 1999.

12 Jacques Bauvy, « Le court métrage français assassiné légalement », France Film international n° 4, 20 mars 1956.

13 Les Lettres françaises n° 439, 13 novembre 1952.

14 Le Nouvel Observateur n° 40, 18 août 1965.

15 Cahiers du cinéma n° 71, mai 1957.

16 Critique de danse qui écrivait déjà sur le cinéma scientifique au début des années 30, collaborateur attitré de La Cinématographie française, Michaut publie dans de nombreux autres supports avant sa mort en 1956.

17 « Tours 1961 », Cahiers du cinéma n° 127, janvier 1962, p. 42.

18 « Submilers », Cahiers du cinéma n° 161-162, janvier 1965.

19 En 1953, l’association prend le nom d’Ufoleis (Union française des œuvres laïques d’éducation par l’image et le son).

20 Le Cerf, 1965.

21 Une liste sélective en est donnée dans Claire Vassé et Jacky Évrard (dir.), Cent pour cent court : cent films pour cent ans de cinéma français, Côté court, Pantin, 1995, pp. 141-142.

22 Le Technicien du film n° 105, mai 1964.

© Presses universitaires de Rennes, 2005

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