Chapitre III. Symbiose entre l’usine et son environnement minéral
p. 101-146
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Index géographique : France
Texte intégral
1Le grand programme d’approvisionnement établi en 1862 laisse transparaître une certaine inquiétude, en ce qui concerne l’approvisionnement charbonnier de l’usine. La transformation du site du Creusot implique un très fort accroissement de la consommation de matières premières et de combustibles. Si les exploitations de minerais de fer sont capables, nous venons de le constater, de supporter ces nouvelles exigences, l’approvisionnement en charbon est plus problématique. Certes, les difficultés d’approvisionnement en houille n’impliquent pas l’ensemble des services de l’usine. Mais Le Creusot, à l’instar de la majeure partie de la sidérurgie française, risque de souffrir de la rareté des charbons cokéfiables. Jusqu’à présent, pour ce type de houille, la houillère du Creusot a été à peu près en mesure de répondre aux besoins des hauts fourneaux. Mais avec l’augmentation attendue de la production de fonte, le modeste gisement creusotin devient incapable de soutenir la croissance de la production sidérurgique.
2La possibilité de s’approvisionner auprès des exploitations les plus proches, celles de Montchanin et de Longpendu, ne semble pas suffisante pour accompagner l’augmentation de la consommation de houille. Ces deux mines laissent entrevoir les prémices d’un appauvrissement prochain. Elles ne sont pas de taille à figurer au rang de partenaires commerciaux exclusifs. De plus, leurs faibles moyens financiers ne permettent pas à leurs dirigeants d’envisager le renouvellement de leurs ressources, par l’approfondissement de leurs champs d’exploitation. Si les concessions de houille restent nombreuses en Saône-et-Loire1, les interlocuteurs sérieux sont rares. Seules les houillères de Montchanin et de Longpendu sont en communication avec Le Creusot, mais elles ne produisent pas de charbons cokéfiables. Quant aux mines d’Épinac et de Blanzy, elles sont des fournisseurs potentiels. Blanzy, depuis 1848, est en mesure de commercialiser des houilles à coke. Épinac réalise des efforts importants en vue d’améliorer la qualité des charbons depuis qu’elle doit subir les effets de la disparition de sa clientèle traditionnelle, c’est-à-dire la sidérurgie du Nord de la Bourgogne. Mais il n’existe encore, au cours des années 1850, aucune possibilité pour relier ces exploitations au Creusot, autrement que par le voiturage sur route. Par conséquent, au moment d’assurer la sécurité des approvisionnements charbonniers de son usine, Eugène Schneider dispose de plusieurs solutions qui, prises individuellement, ne peuvent suffire aux besoins grandissants. La stratégie sur laquelle il s’appuie repose sur trois aspects. C’est d’abord à partir de sa propre houillère qu’Eugène Schneider entend trouver les combustibles nécessaires au développement de sa production sidérurgique. Pour cela, un important programme de recherches est lancé dans le périmètre de la concession du Creusot, accompagné de la généralisation de méthodes d’exploitation susceptibles d’extraire la totalité du charbon reconnu, en reprenant aussi les zones maladroitement exploitées par le passé.
3La croissance attendue de la production de la houillère doit laisser le temps à l’entreprise de tisser des liens avec des fournisseurs extérieurs, du bassin de Bourgogne-Nivernais et de Saint-Étienne, dans l’espoir que les rapprochements en cours seront favorisés par la création du réseau ferré.
4Enfin, et c’est ce qui constitue sans doute, avec la méthode d’exploitation inventée au Creusot, l’aspect le plus original de la politique d’approvisionnement en combustibles, des efforts importants sont réalisés au niveau de l’utilisation des charbons. Comme les houilles cokéfiables se raréfient au Creusot et restent rares auprès des fournisseurs extérieurs, des efforts précoces sont réalisés dans le but d’adapter les fours à coke et les hauts fourneaux aux spécificités des houilles utilisées. Cette approche est prolongée à l’ensemble des ateliers par la mise en place de machines à vapeur spécifiques, beaucoup plus complexes que celles destinées aux clients et aptes à réduire la consommation de charbon.
La houillère, au terme de sa modernisation
5Dès 1852, devant la confirmation de la reprise de l’activité industrielle, Eugène Schneider se préoccupe à nouveau du devenir de la houillère du Creusot. Les puits possèdent encore des réserves pour quelques années. Leurs chantiers se concentrent désormais à de grandes profondeurs. Aux puits du Sud et Saint-Éloi, le seuil des 200 mètres est dépassé. Au-delà, le gérant du Creusot ne peut s’appuyer que sur quelques certitudes. La question de l’appauvrissement du gisement creusotin se pose et doit le conduire à infléchir sa politique minière.
6Au fur et à mesure que les anciens puits sont abandonnés, la nature des charbons extraits se modifie. Les variétés grasses et demi-grasses, destinées en particulier aux fours à coke, ont toujours constitué l’essentiel de la production. Mais, au cours des années 1850, elles voient leur proportion se réduire, au profit des charbons maigres et des anthracites. La houillère n’est plus en état de répondre à l’ensemble des exigences d’une usine métallurgique. Malgré les efforts consentis pour renouveler le matériel et l’adapter aux caractéristiques des charbons locaux2, Schneider et Cie souffrent d’un déséquilibre entre les charbons extraits et ceux nécessaires à l’usine. Pourtant, d’un point de vue quantitatif, le programme d’amélioration des équipements lancé à la fin des années 1830 peut être considéré comme un succès. Entre 1843 et 1853, la production de la houillère n’a cessé de s’élever pour passer progressivement de 57 074 à 137 504 tonnes. Par conséquent, elle a plus que doublé en une dizaine d’années. Mais un sommet a été atteint que les ressources disponibles n’autorisent pas à dépasser.
7À partir 1854, la houillère est momentanément dans l’incapacité de suffire aux besoins charbonniers. Alors que la production s’est élevée, au cours de l’exercice 1852-1853, à 1 700 000 hectolitres, Eugène Schneider annonce pouvoir la porter à deux millions d’hectolitres l’année suivante3. Mais, à la suite de précipitations d’une violence exceptionnelle, des inondations rendent impossible l’accès aux chantiers souterrains pendant plusieurs semaines. La production de la houillère, malgré l’appoint des mines de Montchanin, est insuffisante. C’est une mise en garde, bientôt accompagnée d’autres signes inquiétants. Le 10 mai 1856, de nouvelles pluies torrentielles, au cours d’une année où les accidents climatiques sont décidément très nombreux, provoquent un excédent de plus de 100 000 mètres cubes d’eau, dans les travaux souterrains ; ce qui conduit les exploitants à abandonner, pendant près de quatre mois, l’extraction depuis les puits Saint-Louis et Saint-Éloi. Pour la première fois depuis 1843, la production diminue. Elle n’atteint plus que 171 000 tonnes contre 189 527 tonnes, l’année précédente. Il est aussi difficile de chercher des charbons complémentaires dans la mesure où les autres exploitations de Saône-et-Loire ont subi les mêmes désagréments climatiques.
8Ces ralentissements liés aux intempéries révèlent en fait une tendance plus lourde de conséquences. Le reflux ne cesse de s’accentuer au cours des années suivantes. En 1860, l’extraction ne s’élève plus qu’à 126 757 tonnes, sans que les ressources disponibles ne laissent augurer d’une rapide reprise de l’extraction4.
9Il faut envisager de se tourner vers des fournisseurs extérieurs, pour compenser les effets de la disparition des houilles grasses et mi-grasses. Les exploitations proches de Montchanin et de Longpendu ne peuvent produire davantage faute de pouvoir disposer des capitaux nécessaires à la réalisation d’un programme de recherches et au renouvellement du matériel d’extraction. Et quand bien même ces deux mines seraient capables d’augmenter leur production, elles ne répondraient pas aux besoins immédiats du Creusot qui portent essentiellement sur les charbons cokéfiables.
10En fin de compte, Saint-Étienne et ses houilles particulièrement bitumineuses retiennent l’attention du maître de forges du Creusot. C’est d’ailleurs à la suite des problèmes d’exhaure de 1854 que les premières tonnes de charbon de la Loire sont acheminées au Creusot. D’exceptionnelle, la solution stéphanoise devient bientôt permanente. La supériorité des houilles stéphanoises est rapidement démontrée. Il est donc décidé de poursuivre les achats de charbons bitumineux stéphanois, pour des volumes encore minimes. Mais cet expédient se révèle à la fois onéreux et peu fiable.
11Faute de pouvoir être acheminés dans de bonnes conditions, les modestes appoints stéphanois deviennent, dès 1858, insuffisants. À partir de moyens de transport inadaptés, ils ne peuvent, pour l’heure, prendre davantage de place au sein des approvisionnements creusotins. C’est auprès des houillères locales qu’il convient de rechercher le charbon le moins médiocre possible, pour étaler dans le temps les effets de l’appauvrissement des dernières réserves de charbon cokéfiable dans la concession du Creusot. Eugène Schneider n’a pas attendu cette dégradation pour prendre des mesures. Il entend rechercher de nouvelles ressources, au sein de sa concession. Il convient de renouveler les quantités de charbon extraites au cours des années précédentes. Depuis l’arrivée de la famille Schneider au Creusot, l’intensité de l’extraction n’a cessé d’augmenter. Alors qu’entre 1812 et 1837, la quantité de charbon extraite n’a été que de 811 200 tonnes, entre 1837 et 1857, elle s’est élevée à 2 065 628 tonnes. Dans le même temps, l’entreprise, spécialisée dans les activités sidérurgiques et mécaniques, n’avait pas vocation à se lancer dans un programme de recherches. C’est pourquoi aucune découverte d’envergure n’a été réalisée dans le périmètre de la concession depuis la reprise par les frères Schneider. Sous la pression des événements, les établissements Schneider doivent accomplir une mue les obligeant à intégrer dans leurs pratiques industrielles, celles qui sont caractéristiques des compagnies minières.
12C’est entre 1853 et 1862 que les principaux efforts sont consentis. Ils doivent permettre de résoudre l’équation suivante : accroître fortement l’extraction et concentrer l’exploitation sur un minimum de puits, afin de faciliter la préparation et la manutention du charbon, tout en limitant les dégâts de surface qui commencent à prendre des proportions inquiétantes.
13L’approche rationnelle, privilégiant une valorisation à long terme des ressources en cours de mise en valeur marque une rupture par rapport aux périodes antérieures au cours desquelles le plus grand désordre a régné dans l’exploitation du gisement. Jusqu’à présent, le fonçage de plusieurs dizaines de puits s’est accompagné de la mise en œuvre de méthodes de travail génératrices d’immenses gaspillages. Le gérant décide d’achever la reconnaissance du gîte creusotin en effectuant des travaux de recherches de grande envergure qui sortent du périmètre étroit dans lequel les travaux miniers sont restés confinés. Il fait appel aux compétences de Fournet, ingénieur civil des mines et professeur à la faculté des sciences de Lyon, afin de foncer des puits de recherche et réaliser une impressionnante série de sondages. Par rapport au programme d’aménagement réalisé au moment de la reprise, la géologie a fait, localement, d’importants progrès. Entre 1840 et le début des travaux de Fournet, quatre publications sont venues préciser la connaissance des terrains permiens et carbonifères5. Sous l’impulsion des ingénieurs des Mines et dans le prolongement des premiers travaux destinés à réaliser la Carte Géologique de la France, la connaissance du sous-sol du bassin de Bourgogne-Nivernais s’est nettement améliorée. Prenant appui sur les travaux les plus récents et ses compétences reconnues, Fournet compte supprimer le risque d’épuisement rapide de la houillère, en dépassant les apports de ces publications. Il doit surmonter la difficulté suivante :
« Sans doute n’est-il pas encore arrivé le jour où les amateurs vont venir tâter au poids de l’or, les échantillons de houille grasse et de houille anthraciteuse, pour les placer dans leurs collections, avec la souscription anciennes exploitations du Creusot. Cependant, il est aisé de prévoir que la dévorante activité des ateliers forcera dans l’avenir plus ou moins prochain, le mineur à faire tomber le dernier bloc du banc confiné dans la vallée6. »
14Le principal espoir de découverte repose sur la proximité entre les gisements de Blanzy et du Creusot. Fournet cherche à confirmer l’hypothèse selon laquelle il existerait une communication souterraine, entre les bassins de Blanzy et du Creusot. Il tente de résoudre cette interrogation pendante depuis la découverte du charbon à Montchanin, concernant la concordance ou la discordance, entre les terrains houillers du Creusot et ceux de Blanzy. Le Creusot n’est-il qu’un lambeau relevé d’un grand bassin du Centre ou un bassin isolé ?
15Les renseignements commencent à affluer à partir de 1857. Ils sont encore fragmentaires et contradictoires, laissant Eugène Schneider dans l’expectative. Les fouilles de Fournet, assez maladroites, aux dires postérieurs de l’ingénieur des Mines Delafond, n’apportent pas de réponses claires7. Par conséquent, les exploitants de la houillère restent dans l’ignorance quant aux capacités productives futures de leur exploitation. Les sondages et puits plus éloignés n’ont apporté aucune information précise quant à la concordance entre les couches exploitées au Creusot et celles de Blanzy.
16Prouesse technique sans lendemain, le sondage de la Mouillelongue parvient à 911,6 mètres. En atteignant une telle profondeur, Schneider et Cie entrent à nouveau dans l’histoire des techniques puisqu’il s’agit du sondage le plus profond jamais entrepris en France8. Les travaux, très dispendieux, ont traversé d’importantes couches de schistes et de grès du Permien et rencontré quelques veinules de houille sans importance. Ils sont interrompus à la suite d’un accident au niveau du trépan. Le doute subsiste concernant la présence des terrains carbonifères, entre le Permien et le socle. Seule évidence assez rassurante, le socle n’a pas été atteint, ce qui laisse une lueur d’espoir pour l’avenir. En tout état de cause, comme il n’existe pas encore de moyens d’extraction susceptibles d’atteindre une pareille profondeur, la mise en valeur de ces hypothétiques ressources n’est pas envisageable immédiatement. Les explorations de Fournet, à défaut de déboucher sur une connaissance complète du bassin permo-houiller du Creusot-Blanzy, permettent de cerner définitivement le profil des couches exploitées. Si les sondages et les puits les plus éloignés de l’usine n’apportent pas de résultats probants, les recherches situées dans le prolongement des travaux d’exploitation en cours sont plus encourageantes. Ainsi, une grande masse de charbon est découverte, au niveau du puits Saint-Laurent. Tout laisse à penser qu’il s’agit bien du prolongement des massifs houillers exploités sur les autres points de la concession. La grande couche et ses deux couches secondaires sont parfaitement identifiables9.
17Ces découvertes prolongent d’une vingtaine d’années la durée de vie de l’exploitation, tout en favorisant un accroissement important de la production. Mais comme il s’agit de ce que les géologues appellent, en raison de sa forme, un fond de bateau, c’est-à-dire la partie la plus profonde d’une couche, il est acquis qu’il n’existe plus d’espoir, au terme de ces découvertes, de trouver de nouvelles ressources en houille à proximité de l’usine.
18La découverte des charbons maigres, dans une zone complètement vierge de toute exploitation, impose le déplacement et le renouvellement des installations d’extraction de la houillère. La mise en valeur de la grande masse de houille commence le 1er février 1856, avec les premiers coups de pioches qui annoncent la création des deux puits du Guide. Les travaux d’aménagement de ces puits jumeaux débutent un mois plus tard. Par la suite, ils reçoivent les noms de puits Saint-Pierre et Saint-Paul. Le fonçage du premier est interrompu en janvier 1858, à la profondeur de 376 mètres alors que le second atteint 302 mètres, sa profondeur maximale, en février 1860. En 1862, débute la période de traçage des premiers quartiers au charbon, au niveau des deux puits jumeaux10. Elle aboutit à la suppression de l’extraction, la même année, aux puits Sainte-Barbe, Saint-Éloi et du Sud. L’implantation des nouveaux puits est plus réfléchie que par le passé. La zone qui se trouve à l’aplomb de la grande masse de charbon accueille la gare de triage de l’usine et les aires de stockage afin de ne pas exercer une pression trop importante sur le sous-sol en cours d’exploitation. Les bouleversements sont tout aussi spectaculaires dans les aménagements extérieurs de la mine11. La croissance de la production nécessite la création de puits associant désormais, sur un même site, l’extraction et la préparation du charbon. Les puits jumeaux Saint-Pierre et Saint-Paul démontrent la réussite de cette stratégie. Leur présence dans l’ensemble des publications qui décrivent Le Creusot, au cours des années 1860, en témoigne.
19L’exploitation minière du Creusot devient une vitrine de la technologie Schneider, esquisse d’une politique industrielle et commerciale dans laquelle l’entreprise s’engage, plus massivement encore, après 1872. L’extraction est assurée par une machine à vapeur d’une puissance de 150 chevaux, qualifiée par l’ingénieur des Mines de Chalon de « modèle de machine pour le service d’un grand puits12 ».
20En raison de la profondeur qu’atteignent les nouveaux chantiers, les moyens d’exhaure utilisés jusqu’à présent ne sont plus adaptés. Les travaux souterrains atteignent désormais 350 mètres de profondeur. Le puits Saint-Laurent, puits de recherche foncé à la limite sud-est des affleurements houillers, se trouve à proximité de la Grande Forge. Pour ne pas fragiliser les nouvelles constructions, il perd son intérêt en tant que lieu d’extraction potentiel. Eugène Schneider et Petitjean, directeur de son exploitation minière, décident d’en faire un site exclusivement consacré à l’exhaure. Commencée le 1er mai 1866, la transformation est achevée en 1869, époque de la mise en route d’une puissante machine Woolf de 300 chevaux qui actionne quatre pompes établies le long de la colonne du puits, étagées tous les quatre-vingts mètres et recevant l’eau grâce à deux pompes élévatoires installées quelques mètres au-dessus du niveau d’épuisement13. Les galeries du nouveau champ d’exploitation sont donc protégées des venues des eaux jusqu’à plus de 400 mètres de profondeur. Les pompes du puits Saint-Laurent sont capables d’assurer l’épuisement de 3 200 m3 d’eau par jour.
21Quant au charbon qui est effectivement reconnu dans cette zone, il est laissé en réserve. Le puits Saint-Laurent forme, en quelque sorte, une borne au-delà de laquelle le charbon est reconnu, mais à une profondeur telle qu’il n’est pas envisageable de fragiliser la Grande forge pour l’extraire, à près de 500 mètres de profondeur. Afin de ne pas affecter les installations de surface, les nouveaux puits sont placés loin des autres services. Ils ne sont plus en contact avec les affleurements et disposent d’un important massif de protection afin d’assurer la conservation de leur tube. Ils sont implantés dans des argiles dures, pour profiter de la résistance plus grande des terrains14. Contrairement aux puits foncés depuis les débuts de la mise en valeur du charbon creusotin, les installations sont prévues pour durer jusqu’au terme du déhouillement des quartiers exploités.
22Au cours de la décennie 1860, la mine de charbon du Creusot jouit d’une renommée considérable au regard de la modestie de sa production. Les orientations techniques adoptées sont particulièrement innovantes et reposent sur la volonté d’extraire l’ensemble des ressources charbonnières encore accessibles. Illustrant cette réussite, plusieurs articles sont consacrés à la houillère du Creusot dans les principales revues minières françaises (Annales des Mines, Bulletin de la Société de l’Industrie Minérale) et dans les cours d’exploitation des mines15. Le Creusot devient un exemple dont on s’inspire, en Saône-et-Loire en particulier, mais aussi dans les bassins de la Loire et de l’Allier, c’est-à-dire dans la plupart des houillères où les mineurs sont confrontés aux difficultés inhérentes à l’exploitation de couches puissantes. L’accroissement rapide de la production de la houillère du Creusot entraîne, par contrecoup, de nombreux bouleversements dans les procédés d’exploitation de la mine. Des nouveautés particulièrement remarquables apparaissent à la fin des années 1840, avant d’être généralisées au cours de la décennie suivante16. La mise en valeur de la houillère du Creusot est poursuivie méthodiquement et transforme la réputation auparavant déplorable de cette exploitation. La mine la plus dangereuse du département, où se sont déroulés de spectaculaires accidents, devient, entre 1855 et 1865, une exploitation modèle, à différents titres. Les éboulements cessent, à la suite de la mise en pratique d’une méthode spécifique aux couches puissantes, dite méthode en travers, avec remblais complets. Cette technique n’est pas nouvelle. Mise au point par Aumont, le directeur de la houillère, elle est parfaitement décrite dès 1847, grâce aux expériences menées depuis le puits du Sud, c’est-à-dire là où sont situés, à cette époque, les travaux les plus profonds de la houillère. Elle porte rapidement ses fruits puisque dès 1848, l’ingénieur des Mines note : « Mine du Creuzot. Ce fut le théâtre de grandes catastrophes et le tombeau de beaucoup d’ouvriers. Aujourd’hui, le mode d’exploitation est notablement amélioré17. » Bien que parfaitement maîtrisée dès cette époque, la méthode en travers n’est pas encore utilisée systématiquement. Elle s’impose progressivement, en raison du pendage très important de la couche, de sa puissance et de la nature instable des terrains. Avec elle, le glanage systématique, c’est-à-dire l’exploitation du charbon laissé dans les parties déjà exploitées, devient possible. Il en résulte bien un renchérissement du prix de revient18 de la tonne extraite, mais comme le charbon est consommé sur place et que, dans le même temps, la concentration des sites d’extraction réduit les dépenses d’exploitation, cette innovation permet d’obtenir un combustible de qualité à un prix désormais très intéressant.
23Les débuts de la modification du mode d’exploitation interviennent quand la crainte de manquer de charbon est forte, au moment où l’usine voit sa consommation augmenter, sans qu’elle puisse être reliée à la voie ferrée, ce qui rend impossible le recours à des fournisseurs extérieurs, autres que Montchanin et Longpendu. La mise au point d’une méthode économe des ressources charbonnières s’impose donc de toute urgence.
24Les incendies qui ont gangrené l’activité des chantiers sont aussi éliminés par un système de cloisonnement des quartiers au charbon. Les différents champs d’exploitation sont divisés et dispersés ; ce qui permet de circonscrire un feu, tout en poursuivant l’exploitation dans le reste des travaux. Dans ce dessein, il suffit de confiner le feu à l’intérieur du massif dans lequel il s’est déclaré. Puisque celui-ci ne s’étend que sur une cinquantaine de mètres, la perte de charbon reste minime. L’exploitation peut continuer dans les autres massifs19. Comme les différents quartiers sont exploités avec ordre, leur déhouillement rapide limite les possibilités d’échauffement au sein de la couche20. En outre, depuis la mise en place systématique des remblais, les vides dans lesquels l’air confiné s’échauffait et provoquait l’allumage de feux dans les anciens quartiers ont disparu et, avec eux, un des principaux dangers de la houillère du Creusot.
25Il semble que ce soit l’abandon brutal, en 1855, des chantiers du puits Chaptal qui ait accéléré la transformation de l’activité souterraine. Le feu qui touche la couche de charbon ne peut être immédiatement éteint, ce qui amène le directeur de la mine à préparer la généralisation de la méthode en travers qui restait essentiellement confinée aux travaux du puits du Sud. Quant aux explosions, elles se raréfient, malgré la croissance de l’extraction, en raison du glissement de l’exploitation vers des quartiers de charbons anthraciteux, peu propices à la rencontre du grisou. Les deux dernières victimes sont recensées en 1859. À cette époque, c’est surtout la présence du gaz carbonique, plus importante dans les zones anthraciteuses du gisement, qui met en danger la vie des mineurs. L’utilisation, dans l’ensemble des puits, de la nouvelle méthode d’exploitation n’intervient pourtant en définitive qu’au début des années 1860. Près de quinze ans ont donc été nécessaires, laps de temps très long qui s’explique par la nécessité d’attendre l’abandon progressif des anciens chantiers. Malgré le succès des premières expérimentations de la méthode en travers avec remblai complet, de multiples contraintes pèsent sur les exploitants miniers lorsqu’ils décident de modifier les techniques d’extraction. Par exemple, la lenteur avec laquelle les houillères de Blanzy sont parvenues à modifier leurs pratiques antérieures confirme cette difficile transformation, propre au monde de la mine.
26La principale nouveauté de ce type d’exploitation réside dans la mise en place d’un remblai complet et stable sur lequel s’appuie l’exploitation des étages supérieurs, tout en réduisant les mouvements de terrain à la surface. C’est une des grandes originalités de cette méthode que de pouvoir enlever systématiquement le charbon de bas en haut et non plus en descendant, comme par le passé21. Lorsqu’un nouveau puits entre en activité, l’abattage débute dans les parties les plus éloignées du tube, là où la couche atteint une profondeur maximale. Le remblai ne peut être posé avec l’utilisation des seuls stériles fournis par les galeries au rocher. Il faut donc recourir aux matériaux provenant du jour, ce qui oblige les exploitants à ouvrir des carrières à cet effet, avant de comprendre tout l’intérêt qu’ils peuvent tirer des déchets des hauts fourneaux et des ateliers de préparation du charbon. La généralisation des remblais autorise la mise en exploitation de nouveaux chantiers. Pourtant, elle ne doit pas occulter le fait que, dans une mine où les terrains exercent une pression intense, même en s’éloignant du charbon, il est difficile de maintenir très longtemps les voies de communication souterraines. Par conséquent, le remblayage dit complet ne l’est pas tout à fait. D’après les analyses faites par Biauzat, ingénieur qui succède à Petitjean à la tête de la houillère, il est difficile de remblayer plus de la moitié des vides produits par l’abattage du charbon. Il n’en demeure pas moins que, pourtant obtenu dans des conditions difficiles, le remblayage au Creusot reste de meilleure qualité que celui effectué dans les exploitations environnantes et ce, même après la généralisation de cette pratique à Blanzy. Dans ce domaine, les résultats de la houillère du Creusot semblent équivalents à ceux des mines stéphanoises et seules, dans l’exploitation des couches puissantes, les mines de Commentry parviennent à un taux de remplissage des vides qui excède celui du Creusot.
27Même imparfaits, les remblais sont posés avec une certaine logique, afin de parvenir à un maximum d’efficacité22. Les rochers volumineux, qui proviennent le plus souvent des galeries tracées au rocher, sont assemblés pour former des murets distants d’un mètre cinquante les uns des autres. Les matières plus légères, plus compressibles, issues des carrières au jour, des déchets de triage, des fragments de schistes de lavage et des matériaux provenant des hauts fourneaux sont disposées dans les intervalles. Par conséquent, si la méthode en travers avec remblais complets ne supprime pas les dégâts de surface, elle les atténue de manière significative.
28En comparant les exploitations locales situées dans des conditions géologiques proches et la houillère du Creusot, celle-ci démontre sa supériorité technique, notamment par rapport à Blanzy et à Épinac. De précurseurs, Schneider et Cie se transforment même en un modèle régional, pour ce qui concerne les méthodes d’exploitation des couches puissantes. La houillère du Creusot est la première où est définitivement abandonnée la pratique du foudroyage. C’est en s’appuyant sur la réussite de l’expérience creusotine que les concessionnaires d’Épinac se sont lancés, au début des années 1860, dans l’adoption de la méthode des tranches horizontales avec remblais. En raison de l’irrégularité de son propre gisement et de la nécessité de reprendre les importants massifs de charbons abandonnés au sein de l’amas Quétel, Charles Avril est aussi prompt à engager les mines de Montchanin dans la voie tracée par Le Creusot23.
29Le contraste est saisissant entre les puits de Montceau, où est toujours pratiqué le dangereux recours au foudroyage, générateur de feux multiples, d’un gaspillage énorme, source de nombreux accidents et la méthode des galeries au rocher avec remblais complets adoptée au Creusot24. Blanzy n’amorce qu’à partir de 1863 l’application de cette méthode. Mais devant les difficultés qu’il rencontre, Jules Chagot est contraint d’engager Petitjean, l’ancien directeur de la mine du Creusot. L’écart entre les techniques utilisées à la houillère du Creusot et celle de Blanzy démontre les relations différentes que des exploitants peuvent entretenir avec leur mine. Au Creusot, le problème du coût d’extraction n’est pas essentiel dans la mesure où le produit ne supporte aucun frais de transport et de commercialisation. À l’inverse, sa rareté, la valeur du patrimoine immobilier à la surface imposent d’extraire la quasi-totalité du charbon que recèlent les couches, tout en préservant les installations.
30C’est vers cet objectif que tend la méthode en travers, avec remblais complets. Pour Blanzy, il importe, au contraire, d’extraire le charbon au moindre coût, pour pouvoir poursuivre l’extension de l’aire de vente. Mais la question des remblais vient contrarier les tentatives pour comprimer le prix de revient25. En raison de l’influence qu’exerce la houillère du Creusot, les sollicitations à l’encontre de Jules Chagot se font jour, bien avant qu’il n’accepte, sous le poids des événements, le principe de la généralisation du remblayage. En juillet 1859, Estaunié, ingénieur ordinaire des Mines, prescrit au Conseil des Mines de contraindre les exploitants de Blanzy à opter, le plus rapidement possible, pour l’usage des remblais. La diminution des accidents au Creusot constitue son principal argument en vue d’imposer à Jules Chagot le changement de ses méthodes d’exploitation et une meilleure prise en compte de la sécurité de ses mineurs. L’ingénieur Estaunié demande notamment que les puits les plus dangereux, où la présence du grisou est constamment relevée, soient adaptés à la méthode par remblais. Il cite l’urgence à appliquer ce procédé, dans un puits en particulier… le puits Cinq-Sous.
31L’attitude des dirigeants de Blanzy choque les ingénieurs des Mines. Après avoir visité la mine, Delafond note : « Au point de vue humanitaire, il est du devoir de l’exploitant de prendre toutes les précautions nécessaires pour garantir la vie des ouvriers et il n’est malheureusement que trop prouvé que dans de nombreux accidents comme ceux qui ont eu lieu à Blanzy, les méthodes de foudroyages qu’on avait vantées comme si économiques offrent les plus grands dangers26. »
32Les accidents qui se multiplient, au cours des années suivantes, prouvent qu’il n’a pas été entendu. Avant même que ne survienne la terrible explosion de 1867, Blanzy figure déjà parmi les exploitations les plus dangereuses de France. Cette évolution dramatique provient des développements très importants que les dirigeants de Blanzy donnent à l’abattage, dans des couches propices aux accidents. L’accentuation des menaces qui pèsent sur les mineurs de Blanzy est directement liée aux orientations techniques de leur dirigeant. Au milieu des années 1850, Jules Chagot a décidé d’abandonner la technique traditionnelle dite de Blanzy ou méthode Harmet, du nom de son inventeur. Économiquement, ce changement peut être considéré comme un succès puisqu’il apporte une hausse significative de la productivité des mineurs.
33Humainement, les résultats sont aussi spectaculaires, mais dans un sens beaucoup moins positif. Avec la nouvelle méthode, les mineurs travaillent dans d’immenses chambres dont ils peinent à purger correctement le toit. Le jugement que porte l’ingénieur des Mines de Chalon-sur-Saône est sans appel :
« Les accidents se succèdent tous les jours et presque dans les mêmes conditions : le charbon est sans doute souvent très dur, mais il est découpé par des failles et des blocs quelquefois de plusieurs mètres cubes s’écroulent, sans que rien n’ait prévenu de leur chute prochaine. Quelle que soit la surveillance apportée par les maîtres mineurs, rien ne peut conjurer ce péril. Le plus souvent, dans les mines, les accidents sont produits par l’imprudence ou l’inexpérience des ouvriers, mais dans la méthode actuelle, les plus grandes précautions sont vaines, et parfois l’ouvrier le plus habile est atteint, sans avoir soupçonné aucun danger. Il n’y a pas longtemps que l’un d’eux était écrasé au milieu du chantier à côté du maître mineur27. »
34Les statistiques de la mortalité par accident confirment cette impression. La comparaison avec les résultats obtenus dans les houillères du Creusot et de Montchanin qui exploitent, en comblant les vides par des remblais, une couche d’une puissance assez semblable, ne plaide pas en faveur de Blanzy.
35Entre 1842 et 1858, dans cette exploitation, un mineur est tué par éboulement, en moyenne toutes les 46 000 tonnes de charbon extraites. À Montchanin et au Creusot, la mine « ne » tue que pour une extraction moyenne de 70 000 tonnes. Les résultats sont encore plus révélateurs entre 1856 et 1858, époque où la pose des remblais est devenue systématique, au Creusot comme à Montchanin. Nous avons retenu ces années car aucune catastrophe d’envergure ne vient impliquer une des exploitations du bassin du Creusot-Blanzy. Pourtant, au cours de cette période, Blanzy régresse encore et subit un tué par éboulement pour 45 000 tonnes extraites. Dans le même temps, Le Creusot et Montchanin améliorent nettement la sécurité de leurs mineurs avec un ouvrier tué pour 155 000 tonnes. La différence devient énorme et fait ressortir une variation du simple au triple. Évoquant ses mineurs spécialisés dans les chantiers les plus dangereux, Arnoux, ingénieur principal de la mine de Blanzy, affirme que peu d’hommes conviennent à cette tâche. Ils doivent être d’un caractère aventureux et « un peu casseurs d’assiettes28 ».
36L’adaptation progressive de la méthode des remblais à la houillère de Blanzy ne constitue pas le seul emprunt de Jules Chagot aux pratiques creusotines. Pour les types de fours à coke, les choix du Creusot dictent ceux des exploitants de la houillère de Blanzy qui adoptent aussi les fours Appolt29. Le recours à des mélanges identiques à ceux établis par Schneider et Cie est repris, en 1859, par Jules Chagot mais les coûts de production dépassent ceux que peut accepter sa clientèle30.
37Certains aménagements extérieurs, les puits en particulier, ne sont pas sans présenter quelques ressemblances avec ceux du Creusot. C’est à la suite des succès rencontrés dans la construction des puits Saint-Pierre et Saint-Paul, au Creusot, que Blanzy s’engage aussi dans le fonçage de puits jumeaux.
38La présentation des pratiques innovantes apparues à la houillère du Creusot au cours des années 1850 et surtout 1860, méritait d’être exhaustive. Certes, la mine du Creusot s’est montrée incapable de tenir les taux de croissance de la production des mines de Blanzy. Mais, par rapport aux spécificités du gisement creusotin, le legs des ingénieurs civils des mines Aumont, Petitjean et Biauzat est considérable. Ils sont à l’origine des recherches les plus profondes réalisées à cette époque en France, d’une nouvelle méthode d’exploitation destinée à la mise en valeur des couches puissantes, d’équipements au jour remarquables et économes en charbon. Dans une France où le charbon reste rare au regard des besoins et où certains bassins anciens font déjà apparaître les symptômes d’un épuisement prochain, la gestion particulièrement rigoureuse des ressources, telle qu’elle est pratiquée au Creusot, ne peut que susciter un intérêt soutenu.
39Rendant compte des différentes méthodes d’exploitation présentées à l’exposition universelle de 1867, le rapporteur Chanselle accorde une place particulière à celle du Creusot. Il note :
« Un certain nombre de mines font aussi usage de galeries au rocher parallèles aux couches, soit au point de vue des galeries dans des couches ébouleuses ou ébranlées par l’exploitation, soit au point de vue des incendies. Je citerai entre autres la mine de Rochebelle, près d’Alais, Blanzy, où les galeries sont faites dans le mur, ce qui vaut mieux que dans le toit, le mur étant une grauwacke très dure et souvent très aquifère. C’est aux mines du Creusot que le traçage des galeries de roulage dans le rocher a été pour la première fois érigé en système31. »
40Pousuivons cette présentation emphatique de la houillère du Creusot par celui qui l’a décrite avec le plus de justesse, l’ingénieur des Mines Delafond : « Il nous paraît équitable de rappeler que c’est à une houillère de Saône-et-Loire, celle du Creusot, que revient le mérite d’avoir, la première, appliqué la méthode des tranches horizontales, et d’avoir ainsi montré la voie dans laquelle se sont engagées ensuite la plupart des autres houillères32. » Un demi-siècle plus tard, dressant l’historique des mines du bassin de la Loire, J. Siegler évoque l’importance que les houillères du Creusot ont eue dans l’histoire minière française. Il écrit : « Cette méthode du Creusot constituait pour l’époque une innovation bien marquée, et les principes qui l’avaient inspirés sont encore aujourd’hui à la base des méthodes d’exploitation dans les couches inflammables33. »
Valoriser les charbons
41Afin d’utiliser au mieux les charbons plus anthraciteux extraits des nouveaux puits Saint-Pierre et Saint-Paul, un atelier de criblage est intégré aux installations d’extraction, ce qui permet aux différents calibres de combustibles d’être affectés dans les ateliers, quelques heures seulement après avoir été remontés au jour. C’est une nouvelle politique de stockage qui débute. Cette gestion permet, comme dans le cas des minerais de fer, de réduire le capital circulant. De plus, comme le charbon est une matière fragile, qui supporte peu les outrages du temps, le consommer rapidement évite tout risque de dépréciation du stock. En fait, seuls quelques types de houilles, les plus importantes comme celles destinées à la cokéfaction, doivent être conservées au Creusot. Elles représentent même, dans la mesure du possible, un mois de consommation. Leur préservation fait l’objet d’une attention soutenue. Contrairement aux autres charbons, ceux transformés en coke sont placés dans des lieux couverts, à l’abri de l’humidité.
42Depuis le chantier d’abattage, l’ensemble est organisé d’une manière extrêmement rationnelle. Après avoir rempli leur berline, les mineurs plantent des tiges de bois dont le nombre indique la qualité de la houille. Lorsque le charbon parvient à la recette supérieure, l’encageur, en fonction des indications des mineurs, dirige les berlines vers les cribles affectés à chaque qualité.
43Une fois extrait et classé, le charbon est ensuite affecté dans les différents services de l’usine. En raison de sa pureté, il est rarement lavé.
44Du fait d’une meilleure connaissance des charbons et de leurs usages, cette phase fait apparaître des modifications assez significatives par rapport à la période antérieure. Les menus mi-gras et anthraciteux sont dirigés vers la plate-forme des hauts fourneaux, afin d’être mélangés, comme nous le constaterons au cours des paragraphes suivants, avec des charbons bitumineux stéphanois. Les chatilles mi-grasses sont mises à la disposition des puddleurs. Les chatilles anthraciteuses sont employées au chauffage des chaudières34. Le gros anthracite est destiné au commerce, en raison de sa haute valeur marchande. Quant au charbon gras, il est devenu une rareté, relégué au rang d’échantillon muséographique qui n’a plus d’affectation précise. Cela signifie que l’usine se réserve l’ensemble des charbons de petits calibres, c’est-à-dire ceux qui ont la plus faible valeur commerciale ; les ingénieurs des ateliers devant trouver ensuite le moyen de les valoriser au mieux. Les morceaux de gros calibres, dont la valeur marchande est élevée en raison du haut pouvoir calorifique des anthracites du Creusot, sont abandonnés au commerce.
45La maîtrise optimale de l’usage des charbons conduit l’entreprise à être à la fois acheteuse des charbons qui deviennent rares comme les houilles bitumineuses et vendeuse de charbon, pour les variétés excédentaires. Cette situation intervient surtout à partir de 1862. Les mines du Creusot produisent essentiellement des charbons maigres, anthraciteux qui ne peuvent être intégralement destinés aux activités sidérurgiques. Schneider et Cie se trouvent dans l’obligation de placer d’importants volumes de charbons. Les usines du Creusot sont confrontées au paradoxe suivant : la production de la houillère est désormais insuffisante pour répondre à l’ensemble des besoins sidérurgiques. À l’inverse, elle engendre un surplus de charbons anthraciteux dont l’usine ne sait que faire. Schneider et Cie sont contraints de rechercher des partenaires commerciaux susceptibles d’acquérir ou d’assurer le placement de l’anthracite. Comme il n’est pas possible de rivaliser avec les grandes exploitations du Centre qui disposent déjà d’un réseau commercial assez dense, ni judicieux de concurrencer fortement ses propres fournisseurs, les regards se tournent vers l’Est de la France. Épinac est alors dans une situation précaire qui laisse aux établissements Schneider la possibilité de prendre pied sur les marchés de cette houillère.
46Hormis Ronchamp, en Haute-Saône, les houillères sont peu présentes au-delà de Besançon. Il existe des places commerciales à prendre. À partir de 1862, les ventes d’anthracite du Creusot accompagnent l’essor de l’activité minière, jusqu’à devenir le facteur essentiel de son développement. Dans la continuité de la progression rapide de la production de fonte et de fer au Creusot, la houillère découvre le principe des économies d’échelle, avec la hausse de son extraction35. La vente au commerce des anthracites de gros calibres répond à la volonté de céder une partie du charbon à un tarif supérieur au prix de revient. Cela permet de réduire d’autant le prix des menus anthracites destinés à la cokéfaction36. Comme le coût des investissements est intégralement absorbé par le prix de revient des charbons extraits de la houillère, l’augmentation de la production, qui n’est possible qu’en plaçant une partie des charbons extraits auprès de clients extérieurs, fait supporter cette prise en compte sur un tonnage plus important. Avec les économies d’échelle réalisées, le prix des charbons facturés aux ateliers peut être comprimé.
47À partir de 1863, des contacts sérieux et durables aboutissent. Ils conduisent à l’expédition annuelle de 600 000 hectolitres de charbon, en direction de Mulhouse37. Les usines textiles forment rapidement la majeure partie des débouchés alsaciens, pour l’alimentation des chaudières de leurs machines à vapeur. En 1865, Schneider et Cie parviennent à placer, sur le marché charbonnier, 20 % de la production de leur houillère. Mais après des débuts prometteurs, les ventes sont rapidement contrariées. Le prix de vente de la tonne de Pérat anthracite s’effondre de 13,50 francs à 9,38 francs, entre 1867 et 1869. Le ralentissement de la production creusotine puis la guerre de 1870 viennent définitivement clore le bref épisode des liens commerciaux avec l’industrie textile alsacienne.
48Depuis la découverte de la grande masse d’anthracite située entre le puits Sainte-Barbe et les puits jumeaux Saint-Pierre et Saint-Paul, Le Creusot se trouve confronté au problème de l’utilisation de ses propres charbons qui ne sont guère adaptés aux usages sidérurgiques. Les réserves de houille migrasse, variété la plus recherchée par une usine sidérurgique, s’amenuisent. L’anthracite, un charbon maigre, est doté d’un important pouvoir calorifique, mais il est difficilement cokéfiable. Or, les menus maigres représentent une part importante de la production. Hormis la chaufournerie, ils possèdent peu d’emplois industriels. Par conséquent, pour profiter au mieux des caractéristiques spécifiques des produits de la houillère, la direction de l’usine est contrainte d’adapter les installations de préparation et de consommation du charbon. Les premières tentatives sont mentionnées en 1856. Elles portent sur la carbonisation des houilles maigres. Les difficultés que Le Creusot rencontre, à cette époque, pour acheminer les charbons bitumineux en provenance de la Loire justifient ces expériences.
49Elles marquent une inflexion par rapport à la politique d’approvisionnements pratiquée depuis la reprise. Il s’agit d’une rupture avec le déterminisme géographique et géologique qui a auparavant prévalu. Comme la houillère ne produit plus l’ensemble des charbons nécessaires à l’usine et que les houillères qui doivent fournir le complément en sont souvent incapables, il semble plus prudent d’adapter les principaux organes consommateurs aux caractéristiques des charbons les plus accessibles.
50Eugène Schneider précise cette nouvelle orientation :
« Nous avons fait les premiers essais d’une innovation qui dès à présent a reçu chez nous une application pratique sur une grande échelle et qui doit être pour nous d’une réelle importance en raison de la richesse que nous possédons en charbons anthraciteux. Cette innovation consiste à faire pour les fours à coke, un mélange intime de ces charbons broyés avec les charbons gras pulvérisés. Le bitume des uns sert à empâter les autres38. »
51Mais les premiers résultats concrets ne surviennent que deux ans plus tard. L’invention du four à coke Appolt, dont le brevet est déposé en 185739, modifie radicalement les conditions de la production de coke40. À la même époque, l’entreprise tente, à partir de ses propres études, de résoudre le problème de la cokéfaction des charbons anthraciteux. Mazerat, secrétaire général de l’entreprise, signale alors que « J’ai appris avec le plus grand intérêt le résultat de vos nouvelles expériences de coke anthraciteux. Voilà qui ajournera sans doute pour longtemps ce dont nous nous préoccupions, il y a quelque temps41. » Ces tentatives ne débouchent sur aucune application industrielle, en raison des possibilités immédiatement offertes par les fours à coke Appolt, étudiés depuis quelques années dans le bassin stéphanois42. Pourtant, en dehors du Creusot, ce type de fours rencontre peu de succès en France43. Les mines de la Loire l’abandonnent rapidement après une campagne d’essai. Mais en raison de la particularité des charbons creusotins, Eugène Schneider en fait la base de sa fabrication de coke et de l’élévation de sa production de fonte. À l’automne 1858, un ingénieur de MM. Appolt frères entreprend des essais de carbonisation des charbons maigres du Creusot. Les résultats obtenus sont suffisamment intéressants pour motiver des essais, sur une échelle industrielle. Les fours Appolt donnent des cokes plus denses, moins poreux que par le passé. Surtout, ces fours favorisent l’emploi des houilles maigres. Les charbons gras, comme ceux de la Loire, ne donnent que des résultats médiocres quand ils sont utilisés seuls. Ces fours sont construits selon un mode assez particulier. Ils forment de grands massifs qui renferment 18 compartiments. Chacun d’entre eux comprend une cornue verticale. Un accord est signé entre l’entreprise sidérurgique et les constructeurs, au début de 1862. Il prévoit la construction de six à sept fours de 18 compartiments. À l’origine, ces fours à coke avaient plutôt vocation à rendre cokéfiables les charbons sarrois. Mais il s’avère, en pratique, qu’ils correspondent parfaitement aux besoins spécifiques du Creusot.
52Devant le succès rencontré au cours de la fabrication du coke par le procédé Appolt, Le Creusot est doté, en définitive, de 13 fours Appolt qui représentent 234 compartiments à côté des 190 fours horizontaux utilisant des charbons cokéfiables traditionnels.
53Le fonctionnement des fours est réglé selon une minutie d’horloger. Les chargements restent rigoureusement de 18 hectolitres. La carbonisation, très rapide, s’achève au bout de 24 heures. Les fours Appolt fonctionnent sans discontinuer, dimanche et jours de fêtes compris. Ainsi, les installations sont préservées plus longtemps. Leur activité soutenue, au lieu d’accélérer le vieillissement des parois intérieures et des maçonneries, assure la conservation des massifs des fours à coke. Dans ce domaine, l’avance de Schneider et Cie, par rapport aux autres entreprises équipées d’un matériel identique, Blanzy notamment, semble considérable44. La régularité du fonctionnement de la batterie du Creusot, le soin dans la préparation des charbons et la certitude de pouvoir écouler la production auprès des hauts fourneaux du Creusot se traduisent par une capacité à préserver les équipements en bon état de fonctionnement. À l’inverse, Blanzy, tributaire des commandes de la clientèle et de l’interruption de la cokéfaction le dimanche est obligée de mettre régulièrement hors feu ses installations ; les changements brutaux de températures fragilisant les maçonneries.
54En aval des modifications entreprises dans la fabrication du coke, Eugène Schneider se préoccupe aussi d’adapter la forme des hauts fourneaux aux caractéristiques du coke obtenu en utilisant les fours Appolt. En effet, si ces fours répondent aux espérances placées en eux, le coke qu’ils fournissent ne présente pas une solidité exceptionnelle. Aussi est-il impossible d’ériger, au Creusot, des hauts fourneaux de grande dimension. Pour éviter que les charges de minerais ne pèsent trop sur le coke et ne viennent le briser, les hauts fourneaux construits ne dépassent pas 20 mètres. Leur production unitaire reste donc assez faible, ce qui explique l’importance des constructions. À la fin des années 1860, le nombre des hauts fourneaux du Creusot finit par s’élever à 13 unités, réparties en deux batteries perpendiculaires, le long de la plate-forme à laquelle ils sont adossés.
55Autre facteur de réussite des coulées, pris en compte plus précocement que la hauteur et le profil des hauts fourneaux, les machines soufflantes sont particulièrement puissantes.
56Dans une usine dont la principale source d’approvisionnement montre ses limites, la volonté de poursuivre l’effort en vue d’économiser le combustible reste aussi un souci constant. À tous les stades du processus de fabrication, les ingénieurs de l’usine font preuve d’une grande aptitude à réduire la consommation de charbon. Au cours des années 1860, différentes réalisations apportent des résultats significatifs. Désormais, les machines soufflantes des hauts fourneaux sont alimentées par les gaz de ces derniers et non plus avec du charbon, ce qui entraîne une économie annuelle de plusieurs milliers de tonnes de combustibles45. Dans le même temps, les ateliers se penchent sur la possibilité de valoriser les gaz excédentaires, afin d’alimenter certaines chaudières des ateliers de construction. La houillère contribue aussi activement à cette politique. Les machines d’extraction qui équipent les puits possèdent un haut degré de technicité et sont particulièrement économes en charbon. À ce titre, la comparaison avec le comportement des Houillères de Blanzy est à nouveau particulièrement enrichissante46. Bien que les machines et les chaudières soient fournies par les mêmes ateliers, elles présentent, à puissance équivalente, d’importantes différences de construction. Au Creusot, où la qualification du personnel permet d’assurer un entretien rigoureux et des réparations rapides, les machines sont très sophistiquées. Le savoir-faire en matière de machines à vapeur pour les chemins de fer, activité où la consommation des combustibles est particulièrement surveillée, joue un rôle indéniable. Les machines des puits Saint-Pierre et Saint-Paul sont munies de deux cylindres, avec distribution par tiroirs. Elles sont à détente, avec condensation. À Blanzy, au contraire, les installations d’extraction restent très rustiques et consomment beaucoup de charbon. Cette mine n’a pas le personnel doté des compétences techniques suffisantes pour conduire des machines perfectionnées. Par contre, elle dispose de beaucoup de charbons inférieurs dont elle ne sait que faire puisque, localement, la clientèle industrielle est encore insuffisante pour pouvoir les absorber dans leur ensemble.
57Malgré les efforts importants consentis en vue de développer la production de la houillère du Creusot, l’ensemble des besoins en charbon ne peut être couvert par ce biais. C’est pourquoi la nécessité de se tourner vers des fournisseurs extérieurs s’impose. Les premiers contacts avec les entreprises spécialisées dans l’exploitation de la houille font ressortir, là encore, d’importantes différences quant à l’attitude vis-à-vis du produit. Il existe, chez Schneider et Cie, un degré d’exigence très élevé en ce qui concerne la qualité des charbons ; exigence qui intervient moins chez les fournisseurs qui sont, pour la plupart, plus soucieux d’accroître le niveau de leur production que de valoriser davantage, par une préparation mécanique notamment, les charbons destinés à la clientèle. Cette pratique commerciale est logique. Elle repose sur la faiblesse de la production charbonnière française et sa croissance inférieure à celle de la demande. Puisque, en général, l’écoulement des charbons est aisé, il n’est pas nécessaire d’avoir à répondre aux demandes des acheteurs imposant les conditions les plus drastiques.
58En fait, c’est surtout auprès des compagnies secondaires qui subissent l’hégémonie des entreprises les plus puissantes que peut être constatée une réelle volonté d’améliorer la qualité de leur charbon. Dans le bassin de Bourgogne-Nivernais, une telle stratégie est notamment perceptible auprès des mines de Decize (La Machine) dans la Nièvre et d’Épinac, dans le Nord de la Saône-et-Loire. Au début des années 1860, ces deux exploitations sont confrontées à la montée en puissance des houillères de l’Allier et surtout de celles de Blanzy.
59C’est pourquoi Le Creusot doit adapter sa politique d’approvisionnement en fonction des particularités du marché houiller du Centre de la France. Les accords commerciaux les plus importants sont passés avec les houillères d’envergure. Ils concernent surtout les charbons les plus communs. Pour des charbons plus spécifiques, le recours à des entreprises plus modestes, mais susceptibles d’accepter les exigences particulières de l’établissement sidérurgique, est indispensable. Cela signifie cependant que la majorité des charbons acquis auprès des fournisseurs extérieurs n’a subi aucune préparation. Ils ont souvent une teneur en cendres, un degré de saleté, qui dépassent ce que Schneider accepte de la part de sa propre exploitation. Pour pouvoir utiliser au mieux les houilles extérieures, de concert avec les charbons de la houillère, la création d’équipements de valorisation et de mélange des charbons devient indispensable. Cette phase constitue une des clés du programme de croissance de la production de fonte.
60En effet, si les charbons creusotins font l’objet d’une attention particulière, l’obligation de recourir à un approvisionnement extérieur, de se tourner vers des compagnies moins soucieuses de la qualité de leurs produits que les consommateurs, implique la réalisation d’installations de grande envergure, afin d’apporter une attention soutenue à la préparation des charbons destinés à être consommés au Creusot. La plate-forme des hauts fourneaux concentre l’ensemble des activités destinées à élaborer un coke acceptable. Si le lieu porte le nom de plate-forme des hauts fourneaux, ceux-ci ne sont que le dernier stade du processus de fabrication. L’organisation du lavage, du broyage, du mélange et de la cokéfaction des charbons, la disposition rationnelle des cases illustrent, davantage que la dimension des hauts fourneaux, les prouesses techniques qui se multiplient localement. Avant de décrire les différentes opérations en vue de préciser les conditions de fabrication du coke, une présentation d’ensemble de la plate-forme s’impose. D’une hauteur de douze mètres, elle couvre un immense massif de 500 mètres de long et de 60 à 120 mètres de large adossé d’un côté, au versant de la vallée et soutenu de l’autre, par un impressionnant mur, en grande partie conservé. Un viaduc relie la plate-forme au réseau général de voies ferrées de l’usine47. Contrairement à des batteries plus traditionnelles, comme les premiers fours horizontaux Coppée qui lui sont contemporains, le système Appolt carbonise un charbon qui a subi, au préalable, quelques transformations48. Au niveau du lavage, en raison de la pureté de ses charbons, Le Creusot ne figure pas parmi les établissements de pointe.
61En 1855, Eugène Schneider entame quelques démarches pour obtenir la cession de licences d’utilisation des brevets de Bérard, un inventeur de lavoirs stéphanois. Jugeant trop élevées les prétentions tarifaires de Bérard et de son associé49, il préfère attendre que leurs études tombent dans le domaine public, en 1863.
62L’aménagement des aires de stockage et de préparation du charbon s’impose pendant la transformation de l’usine alors que, progressivement, l’amélioration des conditions de transport se traduit par des flux de plus en plus massifs de charbons extérieurs en direction du Creusot.
63L’ouverture, en 1861, de la voie de chemin de fer depuis Chagny permet un contact direct entre Saint-Étienne et Le Creusot. Comme les équipements de l’usine sidérurgique sont axés sur l’obtention de produits homogènes, à la composition régulière, il est indispensable de disposer d’approvisionnements connus dont la composition reste stable. L’utilisation d’autres charbons que ceux du Creusot implique de nouvelles tâches de préparation pour lesquelles aucun espace n’a été initialement prévu. Les sidérurgistes creusotins prennent conscience des efforts auxquels ils doivent encore se soumettre, pour parvenir aux mêmes réussites que celles obtenues avec les minerais de fer. La classification des charbons prend davantage d’importance que par le passé. Comme la carbonisation s’effectue dans de mauvaises conditions si le charbon n’a pas été suffisamment égoutté, après lavage, Le Creusot porte une attention particulière au taux d’humidité des combustibles qui lui sont expédiés depuis Saint-Étienne. Il s’agit aussi d’éviter de payer le transport d’une trop grande proportion d’eau. Les menus à coke sont ensuite placés dans des entrepôts couverts. Les ingénieurs de l’usine se sont aperçus de l’impact de l’humidité, source de ralentissement de la cokéfaction et d’altération du coke. Une fois lavés50, les charbons de différentes origines sont broyés séparément, avec soin, par des appareils spécifiques, en fonction des types de fours auxquels ils sont destinés51. Le mesurage des différents charbons se fait par le biais d’une noria, en fonction de proportions de plus en plus scientifiquement déterminées. Un trommel vient ensuite mélanger les charbons. Ces opérations ne représentent guère que 1,5 % du prix de revient total du coke, coût modique au regard des avantages immenses qu’elles procurent. L. Simonin fournit une description moins technique que celle de Turgan, plus imagée, mais somme toute assez explicite de la préparation des charbons :
« Dans les ateliers de pulvérisation et de mélange, le travail est encore plus curieux que dans ceux de lavage et d’épuration. Des appareils automatiques exécutent toutes les manipulations, charrient la houille, la lavent, en dosent et pèsent les mélanges, qu’ils chargent eux-mêmes dans les wagons. Aujourd’hui, la machine, en quelque sorte intelligente, a presque partout remplacé la main de l’homme, et nulle part ce fait ne se vérifie mieux qu’au Creusot52. »
64La préparation et les mélanges des charbons font donc l’objet d’une mécanisation très poussée, non pour limiter les frais de main-d’œuvre, mais surtout pour que les proportions des différents charbons soient parfaitement respectées.
65Les expéditions irrégulières doivent aussi céder la place à des marchés à long terme et à fort tonnage. La disparition des pratiques commerciales antérieures est indispensable, au moment d’établir les fours Appolt. En effet, outre leur construction et leur entretien particulièrement délicats, il est essentiel de veiller à la nature des charbons utilisés car celle-ci influe énormément sur l’allure des fours. Dans son traité de métallurgie, Percy note : « L’étude de leurs qualités et de la proportion des mélanges est indispensable avant de décider la construction d’un four [Appolt]53. » Le 15 décembre 1860, un premier contrat d’importance est signé avec César Courtin, le directeur de la Société Anonyme des Houillères de Saint-Étienne. Cette compagnie s’engage à expédier annuellement 25 000 tonnes de charbon, en provenance d’une couche particulièrement appropriée à l’obtention de menus fins à coke. Les charbons recherchés auprès des Houillères de Saint-Étienne doivent se distinguer, par leur régularité et leur pureté, de ceux de Saône-et-Loire. Le choix de développer les achats auprès des puits des Houillères de Saint-Étienne se justifie aussi par la capacité de cette compagnie à répondre aux attentes quantitatives du Creusot. Elles fournissent aussi le charbon qui, lors des essais des différents combustibles stéphanois, a présenté le plus fort pouvoir agglomérant. Cela signifie que cette houille convient parfaitement à l’amalgame d’une quantité importante d’anthracites du Creusot54. Soucieux de la qualité des combustibles qui lui sont expédiés, Le Creusot se montre très rigoureux lors de l’analyse des échantillons. Un ingénieur civil, répétiteur de chimie à l’école des Mines de Saint-Étienne, est désigné pour confronter les avis des deux sociétés. Les échantillons sont contenus dans des sacs clos sur lesquels sont apposés les cachets de cire des Houillères de Saint-Étienne et de Schneider et Cie. La teneur en cendres acceptée par Le Creusot reste très faible, avec une moyenne de 9,5 %. Cela implique une attention soutenue de la part du fournisseur. Le Creusot s’accorde le droit de refuser les convois qui dépasseraient 10,5 % de teneur en cendres. Aucun wagon ne doit, sous peine d’être rebuté, excéder 11,5 % de cendres. Ce sont des conditions beaucoup plus rigoureuses que celles auxquelles sont habituées les houillères.
66Pour le gérant du Creusot, l’approvisionnement en charbon stéphanois reste la clé de voûte de la réussite du programme de transformation. Jusqu’à ce que les projets Talabot concernant les minerais africains aboutissent, la question des combustibles pèse bien davantage sur les destinées du Creusot que les problèmes de minerais. En avril 1862, Eugène Schneider autorise Alfred Deseilligny à se rendre dans le bassin stéphanois pour étudier les capacités d’extraction des différentes compagnies. Son secrétaire l’écrit au Creusot :
« M. Schneider m’a chargé de vous dire qu’il était d’accord sur votre voyage à Saint-Étienne. Il ne voit rien de plus important, de plus capital pour nous en ce moment que d’assurer à de bonnes conditions notre approvisionnement en charbon de Saint-Étienne. Il ne compte pas d’ici à longtemps sur Épinac. Il ne craint pas de manquer de minerais. La bonne marche et la belle production des fourneaux se confirment de jour en jour, c’est donc seulement par le Saint-Étienne que nous pourrions être limités dans notre développement. Donc intérêt extrême à concentrer nos vues et nos efforts sur cette question pour la mener à bien55. »
67Outre les analyses à Saint-Étienne, les prises d’essais sont effectuées, à l’arrivée, par le laboratoire du Creusot pour lequel viennent d’être recrutés les deux chimistes. Rapidement, ils mettent en exergue l’incapacité des houillères à proposer un charbon de la pureté requise et spécifiée par contrat, ce qui oblige l’usine à élever temporairement la proportion de charbon stéphanois dans les mélanges à coke, au-delà d’une proportion de 60 %. Pour atténuer les conséquences de l’impéritie des Houillères de Saint-Étienne, Eugène Schneider prend la décision, en octobre 1862, d’installer un agent sur place, afin de contrôler, au départ, la qualité des livraisons. Dès lors, les prises d’essai sont opérées quotidiennement, sur la totalité des wagons expédiés au Creusot, avec une incinération contradictoire effectuée par les agents des deux compagnies56.
68Mais devant la raréfaction des houilles mi-grasses au Creusot, les tonnages expédiés en vertu des premiers marchés se révèlent rapidement insuffisants. En 1863, les réceptions de charbon stéphanois au Creusot s’élèvent déjà à 32 000 tonnes57. Les contrats signés avec les Houillères de Saint-Étienne font l’objet d’avenants qui témoignent de la croissance des besoins creusotins58. Cela signifie aussi qu’entre-temps, les espoirs placés dans certaines houillères locales n’ont pas été concrétisés. Blanzy notamment, qui extrait des charbons cokéfiables depuis 1848, est, en pratique, incapable de fournir des charbons similaires à ceux du bassin stéphanois.
69À partir de 1864, les enlèvements annuels auprès des Houillères de Saint-Étienne, contractuellement limités à 25 000 tonnes, sont relevés pour atteindre rapidement 50 000 tonnes. Cependant, face à cette croissance rapide, l’ensemble des charbons menus extraits du puits du Grand Treuil ne suffit plus. Il faut prévoir, à moyen terme, le recours à des charbons en provenance d’autres puits. Un nouveau marché est signé entre les deux entreprises, en 1866. Il prend effet en 1867. Si Le Creusot demeure un client privilégié, Eugène Schneider n’est pas pleinement satisfait des conditions qui lui sont proposées. Il lui faut accepter un contrat dont la durée n’excède pas huit ans, bien inférieure à ce qu’il espérait pour régler définitivement la question de l’approvisionnement de ses usines en charbons cokéfiables.
Faire face aux comportements opportunistes
70En marge du problème particulier soulevé par les charbons à coke, il devient dangereux, dès 1858, de circonscrire les approvisionnements charbonniers à la seule mine du Creusot. Il est presque acquis que les ressources mises en valeur à la fin des années 1850 ne doivent pas, avant longtemps, être renouvelées par de nouvelles découvertes. Mais, dans l’immédiat, il n’est pas possible de demander davantage aux houillères de Blanzy et de la Loire. Comme la production charbonnière creusotine doit se maintenir jusqu’à la fin des années 1860, les exploitants disposent du temps nécessaire pour réagir. Il importe de préserver d’abord le présent et, par conséquent, d’augmenter rapidement la production du gisement, en espérant que les exploitations du Centre de la France seront en mesure, à terme, de compenser l’épuisement des charbons creusotins.
71Les exploitants de la houillère du Creusot remportent un succès remarquable. Il suffit, pour s’en convaincre, de citer un extrait du procès-verbal de visite de la houillère du Creusot rédigé en 1866, par l’ingénieur des Mines Jordan :
« L’extraction de la concession du Creusot a grandi aussi d’une manière notable : le chiffre qu’elle atteint et qu’elle paraît devoir dépasser est considérable eu égard à l’étendue assez restreinte du gîte connu. Mais grâce à l’ordre qui règne dans les travaux, cette activité ne nuit en rien au bon aménagement de la richesse minérale dont l’abattage est très méthodique et très complet59. »
72Il n’en demeure pas moins qu’au terme des recherches, malgré la qualité des installations et de la méthode d’exploitation, en évoquant la houillère du Creusot, il est toujours possible d’écrire : « Là, un gîte limité devait alimenter une grande consommation60. »
73En 1866, la production globale de la mine du Creusot atteint 196 000 tonnes. Deux ans plus tard, l’extraction s’élève à 235 000 tonnes. La progression a donc été spectaculaire. Le personnel de la mine du Creusot devient, lui aussi, important. Il comprend, pour cette même année 1868, une moyenne de 919 mineurs au fond et un personnel au jour de 520 personnes. Pourtant, la volonté de produire 300 000 tonnes n’est jamais concrétisée.
74Au contraire, le déclin est rapide. Après 1869, notamment à la suite du renvoi d’ouvriers grévistes, la production diminue brutalement pour tomber à 203 000 tonnes ; le passage sous la barre symbolique des 200 000 tonnes intervient dès l’année suivante. Les progrès rencontrés dans l’organisation de la houillère se sont donc révélés efficaces pendant une quinzaine d’années, de 1855 à 1870. Dans un gîte aussi bien reconnu, il n’est pas envisageable d’espérer une nouvelle hausse de la production.
75Au-delà des charbons creusotins et stéphanois, il devient donc indispensable de se tourner vers des fournisseurs extérieurs pour assurer l’approvisionnement de l’ensemble des variétés de houilles qui sont consommées aux usines du Creusot. Les ventes à l’extérieur sont presque supprimées. Il devient préférable de broyer les charbons de gros calibres pour pouvoir les consommer sur place.
76Le marché charbonnier du département est lui aussi affecté par les transformations de l’usine et plus généralement de l’industrie régionale. La croissance du Creusot a dépassé les possibilités des houillères du bassin de Bourgogne-Nivernais et ceci d’autant plus que les houillères ne souhaitent pas forcément étendre leurs relations commerciales avec Le Creusot. Les marchés à long terme contractés avec l’usine sont intéressants par les volumes qu’ils représentent. Mais les prix proposés par l’établissement sidérurgique restent bien inférieurs à ceux qui sont acceptés par la clientèle particulière. Il n’est pas non plus acceptable, pour les houillères, de transformer en petits calibres, pour l’industrie, des fragments adaptés aux poêles domestiques. Les rapports de force entre les différentes exploitations connaissent de profonds bouleversements. Outre l’élévation de la consommation, la période 1860-1869 est marquée par l’apparition de charbons d’autres provenances. En 1860, seul le charbon stéphanois est présent en Saône-et-Loire, au côté des charbons locaux. Entre 1860 et 1869, les expéditions de charbons stéphanois vers la Saône-et-Loire connaissent d’ailleurs une croissance importante. Elles passent de 91 950 à 137 500 tonnes61. Dans le même temps, les charbons de Commentry, de Decize, de Brassac, d’Ahun et de Saint-Éloy commencent à apparaître sur le marché des combustibles locaux.
77Dans le cas des charbons d’Ahun, de Saint-Éloy et de Brassac, cette présence est directement liée aux commandes du Creusot. Mais il ne s’agit que de modestes exploitations, tout au plus capables de fournir quelques appoints ponctuels. Entre 1868 et 1869, le bassin de Commentry expédie des quantités plus significatives de charbons. Les quelque 35 000 à 40 000 tonnes que reçoit la Saône-et-Loire démontrent l’ampleur des difficultés auxquelles sont confrontées les houillères pour répondre, même localement, aux besoins de la demande62.
78Si la nécessité de développer les acquisitions en provenance de bassins plus lointains, comme la Loire, se fait sentir au milieu des années 1850, il demeure évident que pour les charbons industriels standards, il reste préférable de multiplier les achats auprès des exploitations riveraines. Traditionnellement, des liens très étroits unissent les usines du Creusot aux exploitants de la concession des Brosses de Montchanin. L’activité de celle-ci, malgré les débuts prometteurs de 1838, n’a jamais véritablement décollé. L’essor rapide de Blanzy, au cours des années 1830 et 1840, a vite entravé les possibilités de développer la clientèle, faute de pouvoir s’insérer dans le maillage commercial très étroit tissé par les Houillères de Blanzy. Par conséquent, le 4 juin 1857, la création de la société des Houillères de Montchanin vient sanctionner l’échec des exploitants précédents63. Charles Avril, le nouveau gérant, a formé une société en nom collectif et en commandite dans laquelle il devient seul responsable. Le fonds social est fixé à 3 400 000 francs, divisé en 6 800 actions de 500 francs64. Une impulsion nouvelle est donnée aux travaux, ce qui soulève un sentiment mitigé de la part d’Eugène Schneider. Au réconfort de voir, à proximité, une houillère aux assises financières solides accroître son extraction se mêle l’impression que les mines de Montchanin cherchent surtout à se défaire du simple statut d’annexe dans lequel le maître de forges est parvenu à les confiner. Avril entend limiter l’emprise du Creusot. Jusqu’à présent, chaque réduction de la production sidérurgique a mis en péril les houillères de Montchanin qui servaient de soupape de sécurité.
79Au cours de l’exercice 1848-1849, la consommation de charbon de l’usine du Creusot tombe de 1 594 434 à 1 460 065 hectolitres. Alors que la production de la houillère du Creusot ne diminue que de 1 289 465 à 1 211 143 hectolitres, les expéditions de Montchanin subissent une forte réduction de 300 000 à 248 030 hectolitres65. Elles n’atteignent plus que 131 600 hectolitres au cours de l’exercice 1850-1851. Montchanin subit les effets de la plus grande partie de la baisse de la consommation, situation difficilement admissible dans la mesure où une exploitation minière entraîne de nombreux coûts fixes. Le Creusot avait donc pris le parti, logique, de faire supporter à son fournisseur, la hausse de coûts unitaires, tout en utilisant la faiblesse de la demande pour exiger une réduction des prix pour les marchés à venir.
80Profitant de ces multiples avantages, Eugène Schneider entend poursuivre l’utilisation du charbon montchaninois pour les usages industriels standards. Depuis 1853, après plusieurs années sans véritables marchés, des relations commerciales stables sont instaurées. Des contrats de trois ou sept ans sont venus préciser les quantités de charbon que Le Creusot entend acquérir. Il s’agit de régulariser les enlèvements du Creusot qui, jusqu’à présent, n’ont été opérés que dans l’intérêt de l’établissement sidérurgique. Si l’usine est astreinte à plus de régularité, elle conserve quelques avantages à s’approvisionner auprès des mines de Montchanin. L’élasticité du marché de 1854 reste très importante. Les enlèvements s’élèvent à 750 000 hectolitres, au minimum et à 1 300 000 hectolitres, au maximum. Ce marché est original. Jusqu’à présent, le prix facturé diminuait à mesure qu’augmentaient les quantités livrées. Ce n’est plus le cas puisque les 500 000 premiers hectolitres sont facturés à 70 centimes l’unité contre 90 centimes pour les 300 000 derniers hectolitres. C’est un moyen pour inciter la mine à produire plus lorsque les besoins du Creusot augmentent. Un autre aspect du contrat présente un intérêt considérable pour l’usine. Comme elle n’est pas encore reliée à la voie ferrée, au-delà de Montchanin, seule l’exploitation située sur cette commune peut fournir, avec un coût de transport acceptable et tout au long de l’année, les charbons indispensables. Par conséquent, les livraisons doivent être plus importantes pendant les mois d’interruption de la navigation sur le canal du Centre66. Ainsi, Le Creusot limite les effets des oscillations du marché charbonnier, très saisonnier, car dépendant des achats domestiques et de la médiocrité des voies navigables.
81Des pourparlers s’engagent aussi avec les mines d’Épinac. Les difficultés qu’elles rencontrent favorisent ce rapprochement. Au début des années 1860, Épinac tente de réorienter l’écoulement de sa production, à la suite de la disparition des établissements sidérurgiques de Côte-d’Or, un de ses débouchés traditionnels. Les mines d’Épinac présentent le double avantage de ne pas être trop éloignées, à une cinquantaine de kilomètres du Creusot, et de fournir des charbons d’une qualité satisfaisante. Les discussions portent sur la fourniture annuelle de 10 000 tonnes environ67. Eugène Schneider fonde beaucoup d’espoirs sur les liens futurs avec Épinac68. Il est même rassuré par la bonne santé retrouvée de l’exploitation minière. Le fonçage du fameux puits Hottinguer constitue le point de départ de la relance de l’extraction69. Des machines neuves sont commandées en Belgique et un lavoir à charbon Évrard vient d’être installé.
82Mais l’absence de liens ferroviaires entre la mine de houille et l’usine sidérurgique empêche, jusqu’en 1867, de transformer les pourparlers en de véritables contacts commerciaux.
83Concluant une lettre à son père concernant une éventuelle consommation de charbon d’Épinac, Henri Schneider signale :
« Tant que nous n’aurons pas cette ressource, nous ne pouvons nous dissimuler que notre combustible est cher, c’est même la seule réponse que je puisse faire aux réflexions encourageantes contenues dans ta lettre d’hier. Tu dis dans cette lettre que notre position sera comparable à celle des usines les mieux situées ; hé bien, j’ai peur que ce ne soit contestable tant que nous serons pour la question houillère dans cette détestable situation d’être tributaires de Saint-Étienne pour 90 000 tonnes nous coûtant 22 francs ici, et pour le reste d’avoir à consommer du Montceau flambant, mais maigre et sale et du Montchanin maigre et à 20 % de cendres. Ce ne sont pas là de belles conditions… mais il existe à 48 kilomètres de nous une houillère riche en charbons gras (Épinac), n’ayant pas beaucoup de débouchés, pouvant communiquer avec nous par nos trains quand nous ou Lyon [PLM] aurons rempli la lacune de 3 kilomètres qui sépare les Menaults (Mine de fer de Change, terminus du chemin de fer de Créot) de Nolay70. »
84Comme la question du transport reste en suspend, les accords de principe ne débouchent sur aucune livraison.
85En fait, en raison du volume de l’extraction, c’est surtout auprès des mines de Blanzy qu’Eugène Schneider tente d’établir un partenariat. Un marché de grande envergure est signé le 1er août 1857, pour douze années. Il prend effet à partir de janvier 1858, pour trouver sa conclusion à la fin de 1869. Au cours des premières années, le recours systématique à la voie d’eau implique, entre Blanzy et Le Creusot, de multiples ruptures de charge, ce qui ralentit l’essor du courant commercial entre les deux sites industriels et contraint Le Creusot à acheter les charbons plus onéreux de Longpendu71. Par conséquent, Jules Chagot et Eugène Schneider attendent avec impatience l’ouverture du tronçon de la ligne PLM, de Nevers-Chagny, qui doit relier Le Creusot à Montceau, pour renforcer leurs relations. La proximité entre les deux sites devient pleinement profitable, dès l’achèvement d’une voie ferrée directe, en septembre 1861.
86L’accroissement des quantités à livrer pendant la durée du contrat laisse augurer de la volonté d’étendre les productions sidérurgiques du Creusot. Si les expéditions de charbons se limitent à 295 000 hectolitres en 1858, l’ouverture du chemin de fer doit permettre de passer de 375 000 à 475 000 hectolitres, entre 1860 et 1861. Enfin, lors de la dernière année du marché, les houillères de Blanzy s’engagent à expédier 900 000 hectolitres de charbon, soit plus de 110 000 tonnes par an.
87Au total, le marché représente un volume de 7 610 000 hectolitres de charbon, soit près d’un million de tonnes. Le prix modéré, un franc par hectolitre, rend ce contrat particulièrement attractif. Pour autant, les heurts futurs entre Blanzy et Le Creusot sont déjà en germe. Afin de s’assurer de la fidélité commerciale de son nouveau partenaire, Blanzy a limité ses exigences tarifaires, mais a aussi fait ajouter une clause imposant à l’usine de se reporter obligatoirement vers elle, pour combler d’éventuels besoins supplémentaires. Eugène Schneider peut craindre de se retrouver les mains liées face à la compagnie minière qui domine le commerce charbonnier régional. La volonté manifestée par Blanzy de s’attacher la clientèle du Creusot dans des conditions extrêmement favorables s’explique par différentes difficultés que connaît la houillère pour poursuivre son extension. Le seuil contre lequel bute Jules Chagot n’est pas sans rappeler celui auquel est confronté son homologue sidérurgiste. Une des particularités de cette houillère réside dans le fait qu’elle ne peut axer son développement que sur quelques consommateurs industriels locaux. Pour le surplus, elle est contrainte de placer au loin ses charbons, ce qui signifie qu’elle reste tributaire des conditions climatiques et qu’elle souffre dans les mêmes proportions que Le Creusot des différentes sécheresses qui entravent, au cours des années 1850, la circulation des produits sur le canal du Centre72.
88La houillère se voit ponctuellement obligée de mettre en stocks l’ensemble de sa production. Même au prix d’une compression passagère de l’extraction, une grande partie des difficultés demeurent, en été comme en hiver. Jules Chagot subit la cessation de ses expéditions tout en se retrouvant face à des coûts fixes importants. Il en découle une élévation sensible du prix de revient de la tonne. Le marché passé avec Le Creusot présente donc, malgré son faible prix, de multiples avantages. Il permet d’assurer toute l’année le placement des variétés de houilles les moins estimées, peu vendues jusqu’à présent. Cela rejaillit sur l’intensité de l’extraction, mieux équilibrée au cours de l’année. Avec le marché creusotin, Jules Chagot limite les mouvements du prix de revient73. Les expéditions de charbons vers Le Creusot présentent, à partir de 1861 et grâce à la voie ferrée, une régularité qui a, jusqu’à présent, fait défaut.
89Dès que le chemin de fer reliant les deux sites fonctionne, Le Creusot assure, en accord avec le PLM et moyennant une indemnité, le transport des charbons de Blanzy vers l’usine. Les chargements s’effectuent selon un rythme journalier qui n’est pas seulement avantageux pour la houillère. Le Creusot limite ses stocks. Ils ne représentent qu’un à deux jours de consommation. C’est à la houillère de tenir disponible les charbons nécessaires. Schneider et Cie utilisent donc le même procédé qu’au Creusot, en réduisant le fonds de roulement de l’entreprise. Le fournisseur doit en supporter les conséquences. Mais, pour Chagot, la contrepartie est importante. Le partenariat avec Schneider lui apporte une expertise technique qu’il ne maîtrise pas et dont il profite, en définitive, à bon compte.
90Dans le cas du Creusot, la participation à la croissance de la production de Blanzy n’est pas désintéressée. Elle signifie, à court terme, la vente de nouveaux équipements. L’arrivée du chemin de fer provoque, à Blanzy, une réorganisation des installations de transports de surface. Au cours de l’exposition universelle de Londres, en 1862, la compagnie minière a fait l’acquisition d’une petite locomotive, pour son réseau intérieur. Quelques mois plus tard, une commande est passée auprès du Creusot pour la construction de deux locomotives du même modèle. Autre facteur important, les houillères de Blanzy subissent la pression de l’administration des Mines pour s’inspirer des méthodes d’exploitation par remblais. Ce changement impose une transformation radicale des sièges. Les colonnes des puits sont élargies et les fosses sont équipées de machines plus puissantes, destinées à accompagner la croissance de la production et la descente des remblais dans les puits74.
91Ce renouvellement des équipements de force motrice s’inscrit aussi dans le cadre des relations de bons voisinages qu’entretiennent les deux compagnies. Les ateliers du Creusot reçoivent bien évidemment commande des machines d’extraction. Jules Chagot profite d’ailleurs de cette proximité et de l’élévation des besoins en houille du Creusot pour le contraindre à livrer dans des conditions inhabituelles. En 1863, en arguant de la possibilité d’accroître les expéditions de charbons à coke, Jules Chagot parvient à imposer un délai de livraison de seulement cinq mois pour l’assemblage d’une machine d’extraction. Constatant le résultat de la modernisation de Blanzy-Montceau, Delafond est enchanté : « Je n’ai jamais eu dans mon voyage occasion de voir de plus belles machines et de plus splendides installations75. » Pour les expéditions lointaines, Blanzy met en place ce qui devient, en définitive, la plus importante flotte fluviale de France. Cela implique la commande de remorqueurs à vapeur auprès de Schneider et Cie76. L’imbrication entre l’entreprise sidérurgique et la compagnie charbonnière est donc très forte, mais n’en implique pas moins une lutte de puissance.
92L’incidence des choix de Jules Chagot se manifeste rapidement. Son exploitation a connu, à la fin des années 1850, une activité chaotique. Entre 1857 et 1858, la production chute même de 3 042 576 à 2 668 846 hectolitres. C’est ensuite l’amorce d’une ascension à la fois rapide et régulière. De 3 662 240 hectolitres en 1861, la production de Blanzy s’élève à 4 969 450 hectolitres, en 186577. Pourtant, une première série d’accidents soulève déjà quelques interrogations quant à la poursuite de l’expansion de Blanzy. Faute d’une expérience suffisamment grande dans ce domaine, il apparaît que le gérant des établissements Schneider a signé avec son homologue de Blanzy des contrats qui, à l’usage, se révèlent incomplets et sources de tension.
93Mais, si Eugène Schneider peut redouter les conséquences des tentations hégémoniques de Jules Chagot, il parvient à y échapper partiellement, à la faveur des difficultés que celui-ci rencontre pour assumer pleinement ses engagements envers sa clientèle.
94À partir de 1862, le charbon cokéfiable est censé représenter une part sans cesse croissante des expéditions vers les usines Schneider ; le volume de cette qualité passant de 160 000 à 235 000 hectolitres. Pour être en adéquation avec les exigences du client, Jules Chagot met à contribution les nouveaux champs d’exploitation des Houillères de Blanzy. Mais le nouveau puits Saint-Claude, dévolu à cet effet78, ne répond pas aux espérances du Creusot79. Le charbon reçu est sale et irrégulier. Gustave Deseilligny lui impute, à plusieurs reprises, la médiocre qualité du coke retiré des fours, ce qui occasionne une répartition beaucoup plus coûteuse des différentes variétés de charbons. Au lieu de pouvoir s’appuyer sur des proportions identiques de charbons creusotins, montcelliens et stéphanois, il faut élever à plus de 50 % la part de la houille stéphanoise, la plus onéreuse des trois. Mais, en définitive, Eugène Schneider utilise les insuffisances qualitatives et quantitatives de son principal fournisseur pour se rapprocher d’autres sociétés et se défaire de la clause d’exclusivité dont il avait mal appréhendé le danger qu’elle représentait.
95Hormis Blanzy et, dans une moindre mesure, Montchanin, les environs du Creusot semblent peu susceptibles de subvenir aux besoins grandissants des usines. Il faut se tourner vers des horizons plus lointains. Dans ce contexte, afin que les frais de transport ne grèvent pas excessivement le prix de revient de la tonne de charbon rendue au Creusot, seules les Houillères de Decize (situées à La Machine), dans la Nièvre, apparaissent comme un partenaire commercial fiable. La rencontre entre ces deux sociétés n’est pas surprenante dans la mesure où l’importance de la consommation du Creusot peut compenser, en partie, les marchés perdus par les mines de La Machine, auprès des usines proches. Celles du Nivernais et du Berry, exploitées par la société Boigues, Rambourg et Cie (Commentry-Fourchambault), se fournissent chaque année davantage auprès des mines de Commentry, au détriment des Houillères de Decize.
96En quelques années, à la suite de leur rapprochement, Commentry et Fourchambault sont parvenues à constituer un grand groupe intégré, depuis l’extraction du charbon et du minerai de fer jusqu’aux produits métallurgiques finis. Pour les mines de La Machine, les conséquences d’un tel rapprochement s’avèrent considérables. Les ateliers de Fourchambault ont, jusqu’à présent, constitué une importante voie d’écoulement de leurs charbons.
97Le courant d’expéditions en direction des usines du groupe Commentry-Fourchambault se tarit. Les houillères de Commentry connaissent alors un fort accroissement de leur production. Elles disposent de la priorité pour alimenter les ateliers de Commentry-Fourchambault. Ainsi, la production de houille dans le bassin de Commentry peut s’élever de 363 000 tonnes en 1854 à 778 000 tonnes, dix ans plus tard. Dans un laps de temps identique, les expéditions de charbon de Commentry vers la Nièvre augmentent à un rythme soutenu, passant de 1 300 à 68 000 tonnes. À partir de 1864, les ventes de charbon provenant du bassin de Commentry dépassent, dans la Nièvre, celles des Houillères de Decize80. Cette politique voit sa portée accentuée en 1862. Boigues, Rambourg et Cie obtiennent la réunion de la concession de Montvicq à celle de Commentry81. En l’espace de quelques mois, leur société acquiert, face aux Houillères de Decize, un pouvoir de marché indéniable, conforté par la construction du chemin de fer entre Moulins et Nevers. L’impact de cette alliance entre les pôles industriels de Commentry, de Montluçon et de Fourchambault dépasse le cadre de la vente des charbons. La mine de La Machine tire une partie substantielle de ses profits de la cokéfaction. Cette fabrication est, en effet, estimée et utilisée, le plus souvent, avec du charbon de bois, dans les hauts fourneaux employant un combustible mixte. Mais la progression rapide de la production de coke à Commentry, la concentration de la production de fonte à Montluçon et enfin la mise hors roulement progressive des hauts fourneaux du Berry et du Nivernais ne peuvent qu’accélérer la disparition rapide de ce débouché.
98L’indépendance des approvisionnements énergétiques au sein du nouveau groupe est progressivement atteinte et la répercussion d’une telle politique sur les mines de Decize se précise comme l’atteste cet extrait de discours prononcé à l’attention des actionnaires de l’entreprise :
« Vous connaissez tous, messieurs, l’ancienne et excellente réputation de nos fontes mixtes de Torteron. Nous nous étions proposés, dès le début, d’expérimenter dans cette usine l’emploi des cokes de Commentry en échange des cokes de Decize, Blanzy et Saint-Étienne que nous y consommions ; mais cette expérience était subordonnée à la condition absolue de ne pas toucher à la qualité des fontes. Ce résultat est aujourd’hui entièrement obtenu. Nous sommes pleinement en mesure de vous déclarer que le coke de Commentry se substitue, dans l’usine de Torteron, avec avantage de prix et de qualité pour la fonte, aux cokes de Decize et de Blanzy, avec égalité de qualité et grand avantage de prix, aux cokes de Saint-Étienne. La fonte, en résumé, est ou meilleure que les fontes des années précédentes, ou égale, et le prix de revient s’est sensiblement abaissé. L’usine de Torteron ne sera en pleine possession de ces avantages que lorsque nos derniers marchés de coke avec Decize seront épuisés. Mais ce moment n’est pas loin82. »
99En fait, La Machine est dans une situation proche de celles des mines d’Épinac puisqu’elle vient de perdre la clientèle sidérurgique. D’où le besoin, là encore, de se tourner vers Le Creusot pour pouvoir maintenir le niveau de l’extraction.
100Au cours des années qui précèdent les premiers contacts d’envergure avec Le Creusot, la production des mines de La Machine, contrairement à l’ensemble du bassin de Bourgogne-Nivernais, stagne. Entre 1860 et 1863, elle oscille entre 89 000 et 95 000 tonnes. Ce n’est qu’à la suite de la signature du premier contrat avec Le Creusot, en 1864, que la barre symbolique des 100 000 tonnes est franchie83. La direction de La Machine a bien cherché d’autres sources de consommation de ses charbons, en prenant le contrôle de verreries locales notamment84. Ce processus reste cependant nettement insuffisant pour justifier de nouveaux investissements, dans un secteur où le rendement des capitaux est particulièrement faible. Outre le développement de Commentry, La Machine se retrouve confrontée à la puissance de Blanzy, de sa batellerie et ne peut que constater la contraction de son aire de vente. La clientèle implantée sur les bords de Loire est contestée par Blanzy qui s’appuie sur sa nouvelle succursale nantaise85. La modification de la nature des charbons extraits par Blanzy, avec l’émergence de variétés mi-grasses, plus riches en matières volatiles, extraites depuis les puits Cinq-Sous et Saint-Claude, conforte sa puissance commerciale, à l’encontre de La Machine86. Ces types de charbons sont les plus rémunérateurs. Auparavant, quand Blanzy ne produisait que des houilles maigres à longues flammes, les charbons des deux compagnies étaient destinés à des usages différents. Ils se trouvaient rarement en concurrence directe. Au cours des années 1860, grâce à sa situation de carrefour et à la qualité de sa flotte fluviale, Blanzy prend le contrôle de l’axe Rhin-Saône-Loire. Au cœur du marché charbonnier régional et en position de force par rapport à ses concurrents, Jules Chagot, le gérant de Blanzy, poursuit un objectif sans s’en détourner ; celui de limiter autant que possible la production de charbon dans le bassin Bourgogne-Nivernais afin d’assurer la fermeté des cours. Mais il entend faire en sorte que les effets de cette ébauche de cartel pèsent surtout sur les autres membres. C’est dans ce contexte que sont établis les premiers contacts entre La Machine et le Creusot.
101Dès 1863, deux bateaux d’essai sont expédiés vers le port de Bois-Bretoux, à Montchanin. Les résultats des analyses et des essais à grande échelle sont assez encourageants pour qu’un premier marché soit signé, le 24 décembre 1863. Il porte sur une quantité légèrement supérieure à un million d’hectolitres, livrables en cinq ans. La proximité du canal latéral à la Loire suffit à peine à rendre supportable les frais de transport des quelque 90 kilomètres qui séparent La Machine des usines du Creusot. Les expéditions de La Machine sont d’abord limitées à 180 000 hectolitres en 1864 pour atteindre 210 000 hectolitres par la suite.
102La construction du chemin de fer Nevers-Chagny n’est pas un élément déterminant en vue d’expliquer la signature de ce marché. Lorsque cette ligne est effectivement terminée, en 1867, le charbon de La Machine continue d’être acheminé par le canal latéral et le canal du Centre, jusqu’au dépôt de charbon des établissements Schneider et Cie, à Montchanin. L’aménagement de la gare du Creusot, réalisé dans l’urgence, se prête encore très mal à la réception des marchandises qui viennent du côté de Nevers. Il faut attendre la fin des années 1870 pour que le chemin de fer soit utilisé régulièrement.
103Comme l’illustre l’exemple de Commentry, un intense processus de concentration s’est manifesté, au cours des années 1840 et 1850, au sein du secteur minier du Centre de la France. Ce phénomène prend plusieurs formes et finit par affecter l’ensemble des exploitations, avant d’aboutir, dès la fin des années 1860, à la constitution de grands groupes miniers.
104La compagnie de Blanzy fait figure de précurseur. Elle inaugure le rachat de sociétés rivales, dans le bassin de Bourgogne-Nivernais. Elle intègre la quasi-totalité des concessions qui périclitent, dans un espace dominé par son réseau de ventes87. Dès qu’une acquisition est réalisée, Blanzy se hâte d’interrompre l’extraction, afin de déplacer les mineurs des exploitations abandonnées vers ses propres puits.
105Les motivations de Jules Chagot sont doubles. Il entend s’affranchir des difficultés de recrutement que connaissent ses houillères, en absorbant les bras des environs mais il cherche surtout à créer une rareté factice du charbon, dans le dessein d’augmenter le prix88. C’est ce que signale un ingénieur des Mines, dès 1856, lorsqu’il écrit :
« La main-d’œuvre manque plutôt que les mines en activité. Cette concentration de mines dans les mêmes mains est néanmoins très regrettable ; si elle n’existait pas, il est probable que la production n’augmenterait pas, parce qu’elle est limitée par la main-d’œuvre, mais la concurrence ferait baisser les prix au moins sur les bords du canal du Centre. Très certainement à Blanzy, le prix de vente est plus du double du prix de revient89. »
106Localement, Chagot jouit désormais d’un pouvoir de monopole grâce auquel il peut vendre ses charbons domestiques à des prix rémunérateurs. Il peut ainsi favoriser, en les vendant à vil prix, le placement des houilles qui se heurtent à des marchés plus concurrentiels90. Ce processus se dessine précocement. Il est prolongé jusqu’à ce qu’un décret de 1852 ne vienne limiter les possibilités de réunion de concessions, à la suite du fâcheux précédent des Mines de la Loire. Le mouvement de concentration des exploitations du bassin du Creusot-Blanzy est certes interrompu mais très tardivement.
107Entre-temps, Blanzy a pu constituer un vaste domaine. Le 28 août 1841, elle s’est portée adjudicataire de la compagnie des mines de la Theurée-Maillot qui est parvenue auparavant à regrouper les concessions des Badeaux, des Porrots et de la Theurée-Maillot. En 1842, la concession des Crépins et surtout celle, immense, de Saint-Bérain, sont entrées dans le giron de Blanzy. Par la suite, Jules Chagot a tenté de passer outre le décret du 23 octobre 1852. Il est même devenu acquéreur, par le biais d’un prête-nom, des concessions du Ragny et des Perrins.
108C’est la confirmation que les mines de Blanzy sont entrées dans une intense politique d’acquisitions qui n’avait d’autres objectifs que de faire cesser la concurrence à leurs portes, tout en limitant la croissance de la production charbonnière régionale91.
109En dehors de la politique minière menée par Jules Chagot, le marché charbonnier de Bourgogne et du Nivernais subit les effets des rapprochements qui surviennent entre les exploitations minières et les entreprises sidérurgiques des départements de l’Allier et de la Nièvre.
110Face à la croissance soutenue des houillères de Blanzy et de Commentry, Charles Avril, le gérant des mines de Montchanin, ne peut développer son rayon de vente. Les tentatives pour trouver quelques accommodements avec Jules Chagot restent sans suite. Avril considère toujours que sa société demeure trop tributaire de son principal client, les usines du Creusot. Pour remédier à cette situation, il entend développer ses activités vers l’aval et tente d’implanter des ateliers annexes qui consommeraient une importante part de la production de son exploitation. Ce processus n’a rien de très original. L’implantation de verreries, de tuileries a toujours été recherchée, voire favorisée par les houillères. C’est une orientation commerciale classique, face aux difficultés de placement des combustibles les plus médiocres. Que ce soit Commentry, Decize, Blanzy et Épinac, chaque mine s’est tournée plus ou moins précocement vers cette solution de facilité. Le cas auquel est confronté le gérant de Montchanin présente pourtant une différence notoire. Il ne peine pas pour vendre ses charbons les moins estimés puisque le débouché des usines du Creusot lui est assuré. Ce sont les exigences tarifaires de son client presque exclusif qui conduisent Charles Avril à développer les industries dans la zone d’activité de son exploitation92.
111Au début, Charles Avril se contente de petites réalisations, d’ateliers qui présentent encore un caractère artisanal évident, mais confortent l’emprise de la compagnie minière sur la ville de Montchanin. Un moulin à vapeur permet de ravitailler une population ouvrière grandissante, des fours à chaux bénéficient des programmes de construction, que ce soit à Montchanin ou au Creusot. Mais la première extension d’envergure de Charles Avril destinée à desserrer l’étreinte creusotine survient le 15 mars 1860, avec la constitution de la société « Auguste Georges et Cie » dont Charles Avril se fait le commanditaire93. De cette démarche naît l’importante tuilerie de Montchanin. Au fur et à mesure de l’expansion de la tuilerie, Charles Avril injecte sans cesse de nouveaux capitaux dans cette entreprise que sa propre société finit par absorber, en 1863.
112Pour se mettre à l’abri d’éventuels risques d’absorption, le gérant de Montchanin entre dans un processus qui vise à faire de sa société un ensemble suffisamment important pour repousser les appétits extérieurs. Il cherche à accroître le volume de charbon produit par sa compagnie et rachète, en 1864, la concession de Longpendu, limitrophe de la sienne94. Mais, se faisant, il fragilise son entreprise car ses efforts sont déséquilibrés. Avril parvient effectivement à accroître la production et les débouchés, mais, faute de capitaux, il ne peut faire les recherches destinées à renouveler les charbons extraits. Charles Avril perçoit que sa propre concession, les Brosses de Montchanin, n’a guère d’avenir puisque l’énorme amas de houille dit amas Quétel est en voie d’épuisement. Les recherches en profondeur n’ont pu que confirmer son amincissement. Le rachat de la concession de Longpendu laisse augurer d’une relance de la production, à condition de renouveler rapidement les réserves de la mine. Il mène, de concert, des travaux aux charbons et une campagne de recherches. Il acquiert, à son tour, une dimension qui lui permet de peser sur les approvisionnements creusotins. En rachetant les houillères de Longpendu, il a aussi repris leurs différents marchés contractés vis-à-vis du Creusot.
Conclusion
113Au cours des années 1860, l’adéquation entre les usines du Creusot et leur environnement minéralogique est très nette, à défaut d’être parfaite. Les travaux engagés avec vigueur depuis la fin des années 1850 sont poursuivis et trouvent leur aboutissement vers 1865-1867. À cette époque, la production de la houillère du Creusot et des mines de fer de Mazenay-Change atteint des sommets qui ne sont plus dépassés par la suite. Ces facteurs donnent aux maîtres de forges du Creusot une supériorité par rapport à leurs confrères du Centre de la France. Il s’agit du seul établissement pouvant s’appuyer sur une telle densité et une telle variété de ressources minérales dans un espace réduit, la Saône-et-Loire. La mise en valeur, toujours au cours des années 1860, des premiers gisements de fluorine de Voltenne95 et du manganèse de Romanèche s’ajoutent aux ressources connues, depuis longtemps, sous forme de castine, dans les carrières de calcaire de la région de Chagny.
114Les approvisionnements disponibles à proximité représentent donc un volume très important qui couvre la plus grande partie des besoins de l’usine. Cependant, l’expansion du Creusot reste ralentie par l’absence chronique des combustibles et des matières premières les plus recherchés. La présence de ressources bon marché facilite pourtant l’achat de minerais de qualité, onéreux en raison de leur provenance lointaine. L’usage immodéré du minerai de fer de Mokta-el-Hadid ne peut se concevoir sans l’utilisation d’un minerai particulièrement bon marché, celui de Mazenay-Change en l’occurrence. Le même phénomène se reproduit dans le cas des charbons. Le flux sans cesse plus important de charbon stéphanois n’est supportable qu’à la suite du succès des recherches menées, à propos des mélanges de charbon et du profil des hauts fourneaux. Sans être exceptionnels, les cokes métallurgiques du Creusot conservent une dureté suffisante, dès lors que le charbon broyé destiné à la cokéfaction contient, à parité, des houilles grasses de la 8e couche du bassin de Saint-Étienne et des anthracites du Creusot. Mais, la transformation des conditions d’utilisation des charbons n’est pas sans soulever quelques craintes pour l’avenir. Techniquement, les établissements ont appris à utiliser avec profit les spécificité des fours à coke Appolt. Ils permettent effectivement de mieux valoriser les charbons creusotins. Pour autant, l’emploi des fours Appolt fait apparaître une faiblesse accrue de l’entreprise. Elle est désormais pleinement dépendante du bassin stéphanois et devient tributaire de la parfaite exécution du contrat signé avec les Houillères de Saint-Étienne. Avec un emploi massif des fours Appolt, il n’existe plus d’alternatives aux charbons stéphanois. En acceptant de s’équiper avec ce type de fours, l’entreprise a pris le risque de se couper des autres sources d’approvisionnement potentielles. Blanzy ne peut plus être d’un grand secours, contrairement à ce qui était espéré quelques années auparavant. À cause des fours Appolt, il n’est plus envisageable d’utiliser les charbons d’Épinac et de La Machine dans le but de produire du coke. Par conséquent, les orientations techniques déterminées à la fin des années 1850 et au début des années 1860 se traduisent par l’émergence d’une certaine rigidité au niveau des approvisionnements en houille. En outre, une dépendance accrue intervient entre les différents ateliers, l’installation d’équipements spécifiques à un stade de la production sidérurgique se traduisant par la nécessité d’adapter les autres étapes du processus de fabrication. De l’origine des minerais, de la préparation des charbons découlent le profil des hauts fourneaux, les qualités de produits sidérurgiques et les spécificités des produits finis. La firme intégrée devient alors particulièrement adaptée pour valoriser au mieux les ressources minérales locales.
115Mais, à moyen terme, le développement de l’usine du Creusot épuise très rapidement les ressources de la houillère. Cette situation est connue des compagnies minières de Bourgogne. Cela conduit à fragiliser Le Creusot dont les possibilités d’approvisionnement en charbon sont extrêmement assombries à l’horizon 1869. En 1865, Charles Avril n’a-t-il pas écrit à Jules Chagot : « Les charbons manquent partout, voilà le vrai et l’essentiel. Ils manqueront encore longtemps donc vendons les chers96. » Ce constat qui émane des deux principaux fournisseurs extérieurs régionaux n’est guère encourageant, au moment de renforcer l’orientation de l’usine du Creusot vers des productions métallurgiques à bon marché. Il devient évident que l’emprise exercée par Blanzy sur les approvisionnements charbonniers du Creusot ne peut que se renforcer. Comme dans les années 1840, au moment des premiers pas dans le Berry, l’entreprise voit son développement entravé par l’attitude de son principal fournisseur. Or, le comportement des exploitants miniers du bassin de Bourgogne ne peut pas être remis en cause par l’immixtion de nouveaux partenaires commerciaux, soucieux d’étendre leur aire de vente traditionnelle. Au milieu des années 1860, l’ensemble de la production charbonnière nationale se montre incapable d’accompagner le rythme de croissance de l’industrie, à tel point qu’Armand Behic, le ministre du Commerce et des Travaux publics de Napoléon III décide, en 1866, de lancer une grande enquête en vue de déterminer l’origine des carences de l’industrie extractive française97.
Notes de bas de page
1 La SIM signale cependant une diminution du nombre de concessions exploitées en Saône-et-Loire. 11 concessions sont exploitées en 1860, 9 en 1864 et 7 en 1869.
2 AFB, 187 AQ 2, Rapport du gérant à l’assemblée générale du 15 janvier 1851, Exercice 1849-1850.
3 AFB, 187 AQ 2. Rapport du gérant à l’assemblée générale du 21 janvier 1854, Exercice 1852-1853.
4 Arch. nat., F14/4067, Redevances des mines de Saône-et-Loire pour les années 1856 à 1859 et F14/4174 B. Redevances des mines de Saône-et-Loire pour les années 1843, 1853 à 1861 complétées par J. Bouvier, F. Furet, M. Gillet, Le Mouvement du profit en France au xixe siècle, Paris, Mouton, 1965.
5 Il s’agit des travaux de Rozet, « Mémoire géologique sur la masse de montagne qui sépare le cours de la Loire de ceux du Rhône et de la Saône », Bulletin de la société géologique de France, 1840, Élie de Beaumont et Dufrénoy, Explication de la carte géologique de la France, deux tomes, Imprimerie nationale, Paris, 1841 et 1848 et A. Burat, Mémoire sur le gisement de la houille dans le bassin de Saône-et-Loire, 1842 et W. Manès, Mémoire sur le bassin houiller de Saône-et-Loire, 1844.
6 AFB, Salon Schneider 0298, Fournet, Mémoire manuscrit sur le bassin houiller de Saône-et-Loire, 1853.
7 F. Delafond, « Les bassins houillers de Blanzy et du Creusot », Compte rendu mensuel de la société de l’industrie minérale, 1902, p. 194.
8 « Exposition universelle de 1867 », Usine du Creusot. Catalogue des objets exposés.
9 Archives de la DRIRE Bourgogne, Concession du Creusot, A. Deseilligny, Courrier à l’ingénieur des Mines à Chalon-sur-Saône, Le Creusot, le 6 mai 1858.
10 AFB, 01MDL 006, POISAT, Notes chronologiques, Le Creusot, le 18 avril 1889.
11 Décrivant les puits jumeaux, L. Simonin note : « Aujourd’hui, l’extraction est concentrée sur les puits jumeaux Saint-Pierre et Saint-Paul. Les autres puits ne servent plus qu’à l’extraction des eaux, à la descente des remblais ou à l’aérage de la mine. Les abords des puits jumeaux présentent un coup d’œil monumental. » L. SIMONIN, Le Creusot…, op. cit., p. 180-181.
12 Arch. nat., F14/3877, Procès-verbal de visite de la mine du Creusot de 1862.
13 J. Camusat, « Bassins houillers et permiens du Creusot », Bulletin de la société d’histoire naturelle d’Autun, tome XVII, 1904, p. 239.
14 J. Aumont, « Note sur le système d’exploitation appliqué à la couche de houille du Creuzot », Bulletin de la société de l’industrie minérale, 1re série, tome I, p. 198.
15 Aumont a même eu l’honneur de publier un article consacré à la méthode d’exploitation qu’il a inventée à la houillère du Creusot, dans le premier numéro du Bulletin de la société de l’industrie minérale, en 1855-1856.
16 D’après l’ingénieur des Mines Delafond, ce second facteur est le plus déterminant car il supprime tout à la fois les coups de grisou, l’inflammation des poussières charbonneuses, tout en facilitant la conduite de l’aérage, Bibliothèque de l’ENSMP, F. Delafond, op. cit.
17 ADSL, S 943, Rapport sur l’ensemble de l’exploitation des mines, minières et carrières pendant l’année 1848.
18 L’ingénieur des Mines Estaunié note d’ailleurs : « Il est impossible de ne pas croire que ce système doit être perfectionné au point de vue de l’économie. » Arch. nat., F14/3877, Procès-verbal de visite de la houillère du Creusot pour l’année 1865.
19 J. Aumont, « Note sur le système d’exploitation… », op. cit., p. 200.
20 Arch. nat., F 14 3869, Procès-verbal de visite de la mine du Creusot de 1847.
21 F. Delafond, op. cit., p. 47-48.
22 Arch. nat., F14/3877, Procès-verbal de visite de la houillère du Creusot pour l’année 1865.
23 ADSL, Annuaire de la Saône-et-Loire, 1865, p. 132.
24 L. Peyronnard, op. cit., p. 215 à 220 décrit la conversion de Blanzy à la méthode en travers avec remblais complets, sans pour autant insister sur l’importance du Creusot. Il limite sa présentation à l’influence de Commentry.
25 Parmi les avantages économiques de la méthode de Blanzy, Delafond note qu’outre le prix de revient très bas, cela permet d’obtenir une forte proportion de gros, élément essentiel pour une exploitation qui ne peut s’appuyer sur un tissu industriel dense pour consommer ses charbons de petits calibres. F. Delafond, op. cit., p. 13.
26 Bibliothèque de l’ENSMP, F. Delafond, op. cit.
27 Archives de la DRIRE de Bourgogne, Liasse Blanzy, Ingénieur des Mines Estaunié, Mines de Blanzy, Nouveau mode d’exploitation, Chalon, le 8 juillet 1859.
28 Bibliothèque de l’ENSMP, F. Delafond, op. cit.
29 CAMT, 92 AQ 12, Houillères de Blanzy, Délibérations des assemblées générales de 1862 à 1873, 11 janvier 1863.
30 L. Peyronnard, op. cit., volume I, p. 228 précise que les fours Appolt furent installés, à Blanzy, entre 1859-1861 puis entre 1863-1867.
31 M. Chanselle, « Note sur les méthodes d’exploitation à l’exposition de 1867 », Bulletin de la Société d’Industrie Minérale, 1re série, tome XIV, Saint-Étienne, Théolier, 1868-1869, p. 8.
32 F. Delafond, op. cit., p. 73.
33 J. Siegler, « Sur le développement de l’exploitation des mines dans le bassin de la Loire de 1855 à 1908 », Bulletin de la société de l’industrie minérale, 4e série, tome 10, 1909, p. 14.
34 Bibliothèque de l’ENSMP, Fortin, Compte rendu du voyage de première année, 1875.
35 Arch. nat., F14/3877, Rapport de l’ingénieur ordinaire des Mines sur la situation de l’industrie minérale dans le département de la Saône-et-Loire, pour l’année 1863.
36 AFB, Salon Schneider 1071, G. Deseilligny, Courrier à Eugène Schneider, Le Creusot, le 2 mars 1863.
37 Arch. nat., F14/4175 A, Redevances des mines de Saône-et-Loire pour les années 1862 à 1864 et F14/4175 B, Redevances des mines de Saône-et-Loire pour les années 1865 à 1866.
38 AFB, 187 AQ 3, Rapport du gérant à l’assemblée générale du 28 novembre 1857, Exercice 1856-1857.
39 B. Gille, « L’évolution de la technique sidérurgique », Revue d’histoire des mines et de la métallurgie, tome II, n° 2, 1970, p. 189.
40 Nous avons préféré insister sur les conditions d’utilisation de ces fours, sur leur intérêt particulier pour Le Creusot. Une description de ces appareils est donnée, en 1859, dans le tome 21 de la 5e série des Annales des Mines.
41 AFB, Salon Schneider 292, Mazerat, Correspondance au départ, 1er avril 1857.
42 A.-F. Garçon, Entre l’État et l’usine. op. cit., p. 253-254.
43 Les premières applications du procédé Appolt ont été réalisées dans le bassin de la Sarre qui rencontre les mêmes difficultés que Le Creusot, faute de pouvoir s’appuyer sur des charbons à fort pouvoir agglomérant. Il ne s’agit pourtant pas de charbons similaires. Percy, Traité complet de métallurgie, 5 volumes, Paris, Baudry, 1864-1867, tome I, p. 492.
44 Les comparaisons avec les exploitations de la Loire ne sont pas envisageables en raison des différences de qualité qui existent entre les charbons stéphanois et les mélanges utilisés au Creusot.
45 On peut établir approximativement cette économie à 30 000 tonnes par an. Auparavant, Le Creusot consommait 15 000 tonnes de charbon pour fournir la quantité de vent nécessaire à l’élaboration de 45 000 tonnes de fonte. Avec une production multipliée par deux, la consommation est devenue nulle. AFB, 187 AQ 3, Rapport du gérant à l’assemblée générale du 30 novembre 1863, Exercice 1862-1863.
46 Le principe appliqué par Blanzy est le suivant : « On doit toujours choisir les machines les plus simples parce que ce sont celles qui se dérangeront le moins souvent. Or, de toutes les machines, les plus simples sont celles qui n’ont pas de détente et pas de condensation. Sans doute ces machines sont peu économiques mais dans une mine de houille où l’on a toujours une grande quantité de menus qu’on ne peut livrer au commerce en raison de leur mauvaise qualité, on ne doit pas chercher l’économie. » Bibliothèque de l’ENSMP, Delafond, op. cit.
47 J. Turgan, Les grandes usines. Études industrielles en France et à l’étranger. 1860-1882. Le Creusot, Paris, Michel-Lévy, 1870, tome VI, p. 27.
48 Percy note : « Le four Appolt ne fonctionne bien, par exemple, qu’avec des charbons lavés. » Percy, op. cit., tome I, p. 409.
49 AFB, Registre de copies de marchés, volume 5, f° 336, Appareil pour l’épuration des houilles, Bérard et Levainville, Paris, octobre 1855.
50 Parmi les différentes phases du processus de préparation des charbons, le lavage semble celle qui a apporté les plus grandes améliorations. Percy note : « Les progrès de la sidérurgie sur le continent, pendant ces dernières années, sont dus en grande partie à l’épuration des houilles… les cokes provenant de charbons épurés ont apporté des améliorations sensibles dans la marche des hauts fourneaux et dans la qualité de leur produit. Le lavage est une source d’économie et contribue à la durée des appareils à flammes libres, parce que leurs combustibles, dégagés des matières corrosives qui les attaquent, ont plus d’effet utile. » Percy, op. cit., tome I, p. 408-409.
51 Percy note, p. 492 : « Les principes généraux sur lesquels repose le four Appolt sont les suivants : division de la houille à carboniser en parties plus ténues qu’elle ne se présente d’ordinaire pour les autres dispositions de fours. »
52 L. Simonin, Le Creusot…, op. cit., p. 182.
53 Percy, op. cit., tome I, p. 494.
54 AFB, Registres de copies de marchés, volume 8, f° 251, Marché avec César Courtin, directeur de la société anonyme des Houillères de Saint-Étienne, le 15 décembre 1860.
55 AFB, Salon Schneider 296, Courrier de Mazerat destiné à A. Deseilligny, Paris, le 23 mai 1862.
56 AFB, Registre de copies de marchés, volume 9, f° 289.
57 Arch. nat., F14/3877, Rapport de l’ingénieur ordinaire des Mines sur la situation de l’industrie minérale dans le département de la Saône-et-Loire, pour l’année 1863.
58 AFB, Registre de copies de marché, volume 9, f° 341, 13 janvier 1864, Nouveau marché de 25 000 tonnes.
59 Arch. nat., F14/3877, Procès-verbal de visite de la houillère du Creusot pour l’année 1866.
60 Amiot, Mémoire sur les méthodes d’exploitation des couches puissantes de houille en France, Paris, Dunod, 1873, p. 8.
61 Tous les chiffres cités dans ce paragraphe sont extraits de la Statistique de l’Industrie Minérale.
62 Ce phénomène est en grande partie lié aux conséquences de l’accident du puits Cinq Sous, des houillères de Blanzy, sur lequel nous reviendrons au cours du chapitre IV.
63 AFB, Salon Schneider 0949-06. Société des Houillères de Montchanin, 1838-1860, Historique.
64 ADSL, Fonds des Houillères de Blanzy, 181-63-C-1, Dossier de renseignements sur les sociétés minières étrangères, 1834-1898.
65 AFB, 187 AQ 2, Rapport du gérant à l’assemblée générale du 15 janvier 1850. Exercice 1848-1849.
66 Le contrat du 2 février 1854 précise : « L’importance de vos besoins une fois fixée vous devrez opérer vos enlèvements journaliers en proportion à peu près régulière avec le chiffre arrêté de façon à ce que les livraisons mensuelles représentent à peu près encore le 12e de la quantité ferme, étant entendu toutefois que les mois de janvier, février, mars, mai et décembre seront ceux de l’année pendant lesquels vos enlèvements devront être plus considérables. »
67 AFB, Registre de copies de marchés, volume 9, f° 179, Houillères d’Épinac, 7 octobre 1862.
68 AFB, Registre de copies de lettres non côté, Mazerat ? Lettres du siège au Creusot, Courrier à M. Henri, Schneider, au Creusot, Paris, le 12 juin 1865.
69 AFB, Salon Schneider 1071, Courrier d’Henri Schneider à Eugène Schneider, Le Creusot, le 25 mai 1865.
70 AFB, Salon Schneider 1071, Lettre d’Henri à Eugène Schneider, Le Creusot, le 23 mai 1865.
71 AFB, Registre de copies de marchés, volume 6, f° 351, Transport de charbons de Blanzy.
72 CAMT, 92 AQ 2, Houillères de Blanzy, Rapport du gérant, Assemblée générale du 14 janvier 1858 et CAMT, 92 AQ 12, Houillères de Blanzy, Délibérations des assemblées générales de 1862 à 1873, Assemblée générale du 14 janvier 1862.
73 CAMT, 92 AQ 19, Conseil d’administration des houillères de Blanzy, Séance du 10 janvier 1859.
74 Archives de la DRIRE Bourgogne, Dossier Blanzy, Rapport et projet d’arrêté sur la méthode d’exploitation des mines de Blanzy, Suppression des grandes chambres de dépilage, 27 mai 1866.
75 Bibliothèque de l’ENSMP, Delafond, op. cit.
76 CAMT, 92 AQ 12, Houillères de Blanzy, Délibérations des assemblées générales de 1862 à 1873, 11 janvier 1863.
77 A. Burat, Société des houillères de Blanzy. Situation de ses établissements en 1877, Paris, Gaudry.
78 Arch. nat., F14/3877, Rapport de l’ingénieur ordinaire des Mines sur la situation de l’industrie minérale dans le département de la Saône-et-Loire, pour l’année 1863. Il note : « La Cie du Creusot a acheté à la Cie de Blanzy tout le charbon mi-gras que peut extraire le puits Saint-Claude. »
79 AFB, Salon Schneider, 0282-A-06, Lettre adressée à M. Schneider, Le Creusot, le 29 août 1866.
80 Statistique de l’Industrie Minérale pour l’année 1864.
81 CAMT, 65 AQ K 52, Commentry-Fourchambault, Rapport à l’assemblée générale de 1866, Exercice 1865.
82 CAMT, 65 AQ K 52, Commentry-Fourchambault, Rapport à l’assemblée générale de 1859, Exercice 1858.
83 AFB, 01G0590, Études sur les Houillères de Decize, à La Machine, 1907-1914.
84 N. Sougy, « La société anonyme des mines de houilles de Decize (1838-1868) : quand les Lorrains investissaient dans le monde nivernais », Regard sur la Nièvre n° 1, 1999, p. 52-53.
85 ADSL, Fonds des houillères de Blanzy, Dossiers préparatoires des États des redevances proportionnelles, 1858-1863, n° d’ordre 216, n° de classement 198 ; Série F, Sous-série 3, Dossiers préparatoires des États des redevances proportionnelles, 1864-1869, n° d’ordre 217, n° de classement 199, Série F, Sous-série 3.
86 ADSL, Fonds des Houillères de Blanzy, 182-8-A-2, Historique de l’entreprise : événements exceptionnels.
87 Archives DRIRE Bourgogne, Anciens dossiers sur Blanzy et ADSL, Fonds des houillères de Blanzy, Historique de l’entreprise, Événements exceptionnels, n° d’ordre 182, n° de classement 8, Série A, Sous-série 2.
88 Ruolz, Questions des houilles, t. II, Imprimerie nationale, 1872-1873, p. 782
89 Arch. nat., F14/3859. Rapport de l’ingénieur ordinaire sur la situation des mines de Saône-et-Loire en 1856.
90 Cette politique commerciale préfigure celle des houillères du Nord de la France, au début du xxe siècle. Cf sur ce point A. Aftalion, « Les cartels dans la région du Nord de la France : le cartel des mines de charbon du Nord et du Pas-de-Calais », Revue économique internationale, 1909, p. 274 à 308.
91 Il est donné, en général, une autre version de la réunion des deux concessions… Camus et Chagot aurait négligé de faire enregistrer l’acte de vente. L. Peyronnard, op. cit., p. 126-127. Ce récit est une reconstitution, a posteriori, de Chagot. Il n’est pas étayé par le contenu des fonds de l’administration des Mines (DRIRE Bourgogne).
92 ADSL, Annuaire de Saône-et-Loire, 1865, p. 132.
93 N. Perraudin-Leininger, La tuilerie mécanique de Montchanin-les-Mines en Saône-et-Loire de 1860 à 1938, Mémoire de Maîtrise, Besançon, 1996, p. 10 et 12.
94 La demande de réunion de la concession de Longpendu à celle des Brosses de Montchanin est approuvée par décret impérial du 17 février 1866, Annales des Mines, 6e série, tome V, p. 20.
95 La fluorine ou spath-fluor est un fondant universel, c’est-à-dire qu’elle est adaptée à tous les lits de fusion. A. de Vathaire, Études sur les hauts fourneaux et la métallurgie de la fonte, Paris, Librairie polytechnique de J. Baudry, 1866, p. 39.
96 ADSL, Archives des Houillères de Blanzy, 212-78-C-2, Correspondances : rapports avec les pouvoirs publics, rapports avec les membres de la profession, 1824-1893.
97 Cette mission est conduite par l’Inspecteur général des Chemins de fer Ruolz qui rend ses conclusions, en 1869. A. Lemenorel, « La crise houillère en France : 1870-1875. Crise des structures ou crise conjoncturelle ? » Revue historique, t. 256, Paris, 1981, p. 401-402 et Ruolz, Questions des houilles, Trois volumes, Imprimerie nationale, 1872-1873, 719, 410 et 593 p.
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