Le refus de l’autorité impériale

Le cas de la révolte des barons francs contre Robert Ier de Courtenay, empereur latin de Constantinople

Florence Sampsonis

p. 197-210


Texte intégral

1Robert de Courtenay, empereur latin de Romanie1 de 1221 à 1227, est un souverain relativement peu étudié. Filip Van Tricht a travaillé sur son règne et montré que la vision négative de ce souverain, inaugurée par Charles du Fresne du Cange, était fondée sur une lecture trop hâtive des sources2. Il a dressé un tableau plus nuancé de son règne, marqué néanmoins par de nombreuses pertes territoriales, la montée en puissance de l’Empire de Nicée et de l’État épirote.

2L’arrivée au pouvoir de Robert sur le trône de Constantinople, fut fortuite. Quand le premier empereur latin de Romanie, Baudouin de Flandre, décéda en 1205, la couronne resta au sein de sa famille : elle passa à son frère Henri, considéré comme le véritable fondateur de l’Empire latin, qui mena cet État à son apogée. À sa mort en 1216, son beau-frère Pierre, seigneur de Courtenay, fut couronné empereur, mais mourut avant d’arriver à Constantinople. La régence fut alors exercée par son épouse Yolande jusqu’à ce que leur second fils, Robert, accepte de régner, après le refus de son frère aîné Philippe, marquis de Namur. Cadet d’une branche cadette, Robert prenait la direction de l’Empire latin à l’âge de 21 ans environ3.

3Un des événements marquants de son règne fut la révolte des barons francs dirigée surtout contre son épouse et sa belle-mère au sein du palais impérial vers 1227. Sans qu’elle ne touche Robert dans son intégrité physique, cette attaque porta atteinte à l’autorité impériale. Les motifs mêmes des assaillants seraient d’ordre politique, et l’incapacité de gouverner de Robert est mise en avant dans les sources pour justifier cette révolte. Mais au-delà des difficultés qu’aurait eu ce souverain à exercer le pouvoir, la crise est révélatrice des difficultés intrinsèques au gouvernement de l’empire de Romanie, un État se voulant le continuateur de l’Empire byzantin, mais dont les structures étaient nettement féodales. Enfin, la résolution de cette crise – ou du moins les tentatives de résolution transparaissant dans les sources – est elle-même symptomatique de la dépendance de l’empire à l’égard d’acteurs extérieurs.

Robert de Courtenay, un empereur incapable de gouverner ?

Le soulèvement contre Robert

4Le soulèvement contre Robert se produisit dans un contexte difficile pour l’Empire de Romanie, en proie à des attaques grecques sur deux fronts principaux. À l’ouest, le souverain d’Épire Théodore Comnène s’empara d’une partie importante de la Thessalie dès 12184. L’armée alors envoyée par Robert pour aider le royaume de Thessalonique fut battue devant Serrès en 1224, et la ville de Thessalonique tomba peu après5. Théodore Comnène pilla la Thrace et serait même parvenu jusqu’aux portes de Constantinople6. La situation à l’est de l’Empire n’était pas meilleure. Si Robert conclut une trêve avec l’empereur de Nicée, Théodore Ier Laskaris, dont il était le beau-frère7, il dut reprendre les combats contre son successeur Jean Vatatzès8. Les troupes latines furent défaites en 1224 à Poimanénon et, durant l’hiver suivant, le basileus poursuivit son offensive en Bithynie, s’emparant de plusieurs places fortes franques. Robert signa en 1225 une trêve avec le basileus9. Tandis qu’Henri de Hainaut avait réussi à agrandir l’Empire, Robert se retrouvait ainsi au bout de quatre ans seulement de règne à la tête d’un territoire réduit, sans autre possession en Asie que la ville de Nicomédie. Au moment où la situation de l’Empire latin s’était stabilisée, survint entre 1225 et 1227 une révolte intérieure.

5Robert se serait en effet épris de la fille du chevalier d’Artois Baudouin de Neuville, tué à la bataille d’Andrinople en avril 120510. Celle-ci vivait à Constantinople avec sa mère. Vers 122511, l’empereur aurait décidé de l’épouser en secret puis l’aurait installée dans son palais12. La Chronique de Tours précise même qu’il l’aurait fait couronner13. Les barons, scandalisés par cette nouvelle et par le fait que l’empereur se préoccupât davantage de la jeune femme que des affaires de l’Empire, décidèrent d’agir d’un commun accord : « Il alerent en le cambre où li empereres estoit, si comme consaus lor avoit aporté, si [pristrent l’emperéor et] le tinrent ; et prisent le mere se feme, si le misent en I batiel, si l’envoierent noier en le mer. Après si vinrent à se feme, se le coperent le nés et le baulevre. Atant si laissierent l’emperéour em pais14. »

6Quittant Constantinople, Robert serait ensuite allé se plaindre du crime auprès du pape à Rome15. Il s’agit donc d’une révolte de palais, dont Robert ne fut pas directement victime. Toutefois, son honneur était atteint, car il n’a pas été en mesure de protéger sa femme et sa belle-mère. Les blessures morales du souverain sont soulignées dans la Chronique d’Ernoul qui évoque à la fois la honte – terme répété à deux reprises – et la douleur de l’empereur. Une autre caractéristique de cette révolte est le fait qu’elle soit menée par « li chevalier de Costantinoble16 » : aucun Grec n’y participe.

Les causes apparentes de ce soulèvement

7Les causes apparentes de cette crise, mises en avant dans les sources essentiellement latines, sont l’incompétence du souverain et son caractère influençable. Non seulement les chroniques donnent une vision négative de son règne, mais elles remettent en cause la personnalité même de Robert17. Aubri de Trois-Fontaines le qualifie de quasi rudis et idiota18, incompétent et ignorant, dénué des qualités requises pour régner19. L’auteur de la Chronique de Tours le trouve trop jeune pour gouverner et réprouve son mode de vie « dissolu20 ». L’historien grec Akropolitès précise quant à lui qu’il gérait les affaires plus mollement que son oncle21 : c’est donc bien sa faiblesse qui est reprochée à Robert. Sa lâcheté même au moment de l’attaque était incompatible avec les valeurs chevaleresques partagées par les barons latins. Par ailleurs, son incompétence en tant qu’empereur est soulignée dans les sources comme la Chronique d’Ernoul, qui précise que le souverain « ne fist gaires d’esploit en le tiere, car il n’avoit mie mené gent dont il peust granment esploitier22 ». Ses défaites face aux Grecs ne pouvaient que corroborer cette vision, renforcée par son attitude passive lors de l’attaque dont fut victime son épouse23.

8Enfin, sa faiblesse de caractère l’aurait rendu particulièrement influençable. Selon la Chronique d’Ernoul, les chevaliers « en furent moult dolant de ce qu’il l’avoit espousée et de che qu’il estoit si assotés de li que pour besoigne que il euissent ne le pooient il traire de la cambre24 » : il ne participerait donc plus aux affaires de l’État. C’est d’ailleurs le mariage lui-même qui aurait rendu les chevaliers « moult dolant » : de fait, en épousant la fille d’un simple chevalier, l’empereur a fait un mariage hypogamique, qui choqua une partie de l’élite latine. D’autant plus qu’en 1221, un projet d’union avait été lancé entre Robert et Eudocie, la troisième fille de Théodore Laskaris, mariage nettement plus prestigieux qui, bien qu’annulé en raison de la mort du basileus25, aurait été reproposé par Jean Vatatzès après Poimanenon26. Les révoltés auraient-ils alors reproché à l’empereur d’avoir privilégié son intérêt personnel plutôt que celui de l’État ?

9Toujours est-il que l’identité même de sa femme semble être à l’origine de la révolte. En s’appuyant notamment sur la Chronique de Tours qui la qualifie de manière péjorative de « méchante Grecque » et même de « cuisinière grecque27 », Filip Van Tricht a montré qu’il s’agissait en fait d’une gasmule, dont la mère appartenait sans doute à l’aristocratie byzantine28. Ces deux femmes concentrent alors le mépris des chevaliers francs envers les Grecs, auxquels est reprochée leur superbia29, un topos littéraire certes, mais qui justifiait mutilation et assassinat. Finalement, étrangères, installées au palais impérial30, au cœur même de l’Empire, elles étaient accusées d’influencer le souverain en l’isolant. Elles étaient donc un péril pour l’Empire, d’où leur élimination.

10Robert serait ainsi responsable de cette révolte dans la mesure où il s’est révélé incapable, par son caractère comme ses actions, de diriger l’Empire, et où il serait manipulé par les Grecs. Il aurait perdu toute autorité impériale.

Les causes profondes de la révolte

11Mais si la personnalité même de Robert fut à l’origine de la réaction des barons, cette vision orientée ne correspond pas à la réalité. Filip Van Tricht a montré que l’empereur a été victime d’une véritable campagne de diffamation, et que les accusations à son encontre furent construites a posteriori par des chroniqueurs influencés par des Francs hostiles à l’empereur31. Cette attaque ne fut pas menée par tous les chevaliers, mais par une faction regroupant ceux qui étaient hostiles à la politique pro-byzantine du souverain. Ils s’attaquèrent aux deux femmes pour rappeler aux Grecs que les Latins contrôlaient l’empereur, et pour dissuader celui-ci de continuer à les favoriser. La Chronique de Tours précise d’ailleurs que la mutilation de la jeune femme aurait été précédée d’un massacre d’une grande partie de la population grecque de Constantinople32. Un groupe de Latins s’en est donc pris à la communauté grecque afin de garder le contrôle de l’Empire et de l’empereur33.

12Filip Van Tricht a repéré dans cette faction anti-grecque plusieurs individus ayant quitté l’Empire latin : des barons et prélats partis après les défaites de 1224-1225 mais aussi des chevaliers rentrés en Occident après la mort de Robert, parmi lesquels Thierry de Walcourt et Nicholas de Mainvault, vaincus lors de la bataille de Poimanenon34. Une fois rentrés en France, ils ont répandu une image négative de Robert afin de se disculper d’avoir abandonné l’Empire.

13L’attaque qui s’est produite contre Robert est donc une révolte dirigée contre un homme jugé, non pas tant incapable de gouverner, que trop enclin à intégrer les Grecs à son gouvernement. Ainsi, cette crise est moins révélatrice de l’incapacité de diriger de Robert que des difficultés profondes à gouverner l’Empire latin.

Une crise révélatrice de la difficulté de gouverner l’Empire de Romanie

14La révolte contre Robert met en lumière plusieurs caractéristiques de l’Empire latin, qui le rendent difficile à gouverner : un empereur qui se prétend successeur légitime du basileus mais dont le pouvoir est limité ; une structure féodale dans laquelle les vassaux, particulièrement revendicatifs, ont un rôle vital ; des forces centrifuges contribuant à briser son unité.

Un empereur au statut ambigu

15Une des raisons du soulèvement contre Robert est la tension existant entre deux visions de la fonction impériale. La convention de mars 1204 définissait les pouvoirs de l’empereur et des différents organes de l’État, ainsi que les relations qu’ils pouvaient entretenir avec leurs sujets35. Si le souverain est responsable de la défense et du maintien de l’Empire, ses pouvoirs sont limités par ce texte comme par la convention d’octobre 1205. En mars 1221, Robert confirme ainsi la partition de l’Empire byzantin au podestat de Venise, et s’engage à faire respecter toutes les conventions faites par ses prédécesseurs36, comme à ne pas agir de manière contraire à la justice37. De même, il a dû renouveler le traité conclu entre le régent Conon de Béthune et les barons de Constantinople d’un côté, et le clergé de l’autre sur les libertés et biens de l’Église38. Si l’empereur est à la tête de la hiérarchie féodale et voit ses pouvoirs limités, il semblerait qu’une vision plus impériale, plus byzantine, de son rôle se soit imposée à partir du règne d’Henri. Robert a ainsi, par certaines mesures, manifesté une manière plus autocratique de gouverner, agissant notamment de manière unilatérale dans le règlement de conflits avec Venise, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors39.

16Il y a donc une certaine ambiguïté dans le statut de l’empereur, à la fois chef féodal, mais aspirant à une autorité plus impériale. Le sceau de Robert reflète cette double nature du statut du souverain40. Il ne manifeste pas d’innovation par rapport à ceux de ses prédécesseurs, et mêle des éléments occidentaux et grecs. Robert est représenté assis sur une chaise curule à tête de lions41, portant une couronne à pendentifs. Il tient dans sa main droite un sceptre cruciforme, et dans l’autre un globe crucigère. Mais son costume reste de type occidental, identique à celui présent sur les sceaux des rois de France42. Sur le contre-sceau figure une représentation de Robert de type équestre : monté sur un cheval galopant vers la droite, il porte une armure, tient dans sa dextre une épée soulevée, dans sa main gauche un bouclier. Sa tête est recouverte d’un heaume et l’épée, comme les jambes et la queue du cheval dépassent les bords. C’est une représentation classique des nobles, destinée à mettre en exergue les valeurs chevaleresques du souverain43.

17Même s’il relève d’une double tradition, ce sceau reste de type largement occidental44 : les éléments grecs sont réduits à la légende et à la sélection de certains attributs du pouvoir (globe, sceptre, couronne à pendeloques qui est une spécificité byzantine) ; Robert n’a pas repris le costume impérial45. Il souhaitait néanmoins diffuser par cette image une double filiation, occidentale et byzantine.

18L’ambition impériale fut d’ailleurs plus limitée chez lui que chez son oncle Henri qui avait adopté à un moment de son règne le titre d’autocrator, « prince absolu ». Robert quant à lui conserva la titulature byzantine d’« empereur très fidèle dans le Christ, couronné de Dieu, gouverneur de Romanie et toujours auguste46 ». Mais les barons latins les plus hostiles ont pu lui reprocher d’adopter un mode de gouvernement trop impérial. Cette manière d’agir ne correspondait pas à la vision qu’ils avaient de leur souverain, une vision occidentale et féodale, d’autant plus qu’ils étaient pour la plupart originaires de Flandre. Leur démonstration de force fut finalement un moyen de rappeler à l’empereur qu’il n’était pas tout puissant47.

Le poids des vassaux dans un Empire en régression

19Cette révolte manifeste ainsi très clairement le caractère féodal de l’Empire – bien qu’il se présente comme le continuateur de l’Empire byzantin – et en particulier le poids des vassaux. Si les chroniqueurs rapportant le soulèvement contre Robert ont amplifié (voire inventé) son incompétence afin d’expliquer le geste des barons, ils montrent aussi l’attachement de ces chevaliers aux valeurs féodales (Robert incarnant par son comportement des valeurs négatives). Ces sources témoignent notamment de l’importance accordée au devoir de conseil dû au seigneur. Plusieurs éléments tendent à prouver que les barons sont particulièrement choqués du fait que Robert prenne des décisions majeures sans leur demander conseil. D’une part, son mariage avec la jeune femme aurait été conclu « en secret48 » et le fait de l’apprendre après coup suscite leur mécontentement. Ils lui reprochent donc de ne pas tenir compte de leur avis49. Il y a ainsi, aux yeux de ces chevaliers une rupture du contrat féodal, ce qu’a souligné Filip Van Tricht50. Leur attachement à ces valeurs se voit d’autre part dans le fait qu’ils ne s’en prennent pas directement à l’empereur, mais veulent simplement lui donner un avertissement.

20Par ailleurs, il ne faut pas oublier que dans les années 1225-1227, l’Empire latin est dans un état de guerre quasi-permanent. Même si une trêve a été conclue avec Vatatzès, elle n’est que provisoire, et le souverain d’Épire reste menaçant. Cette situation ne peut donc que renforcer l’importance de la collaboration active des vassaux et leur sentiment d’être indispensables à l’empereur. Leur rôle militaire est vital pour la survie de l’Empire, d’où sans doute cette crispation sur le besoin d’être consultés.

21En outre, plusieurs chevaliers ont perdu leurs fiefs à la suite des défaites de 1224-1225, et par là même leurs revenus, ce qui ne pouvait qu’accroître leur colère contre l’empereur. Robert s’était engagé en mars 1221 à « défendre et maintenir l’Empire51 » : il a donc failli. Un indice du lien de causalité entre cette perte de fiefs et un ressentiment très net à l’égard du souverain se trouve dans l’hostilité d’Aubri de Trois-Fontaines envers Robert. Le chroniqueur avait vraisemblablement comme source l’archevêque Jean de Lesbos qui perdit son île à la suite de l’avancée de Laskaris, puis se rendit en Occident. Jean reprochait certainement à l’empereur de ne pas avoir été capable de défendre son fief52.

22Cette question des pertes de revenus féodaux est centrale pour comprendre la révolte des barons. L’empereur en a lui-même conscience et a rapporté en 1227 au pape les conséquences désastreuses pour l’Empire de ces difficultés financières : faute de moyens, plusieurs chevaliers préfèrent en effet quitter Constantinople que de rester la défendre53. Ces départs aggravent la situation des Francs qui sont largement minoritaires (sous Henri, l’armée impériale ne compte pas plus de 600 chevaliers, peut-être 10 000 sergents, des arbalétriers, des archers, et les troupes auxiliaires des « Turcoples »), et rendent la survie de l’Empire incertaine. Comment dès lors gouverner un État en régression dont les forces vives s’amenuisent ? Une poignée de chevaliers seulement vint aider l’empereur54. C’était là une des principales difficultés à surmonter pour arriver à gouverner l’Empire, difficulté à laquelle furent confrontés tous les empereurs latins, et particulièrement Robert.

Un Empire soumis à des forces centrifuges

23Cette crise révèle enfin un dernier élément rendant l’Empire latin complexe à diriger : l’accroissement des divisions entre les différents acteurs. La révolte contre l’empereur a été menée par un simple groupe de barons latins. L’élite franque ne formait donc pas un front uni contre ses ennemis, et les tensions étaient fortes entre anciens et nouveaux arrivants. Se trouvaient en effet parmi les auteurs du soulèvement des chevaliers arrivés dans l’Empire aux côtés du souverain en 1221, tels Thierry de Walcourt et Nicolas de Mainvault. Commandants des troupes latines à Poimanénon, aux côtés des deux frères de Laskaris passés au service de Robert après la mort de Jean Ier55, ils avaient perdu avec la défaite tout rêve de faire fortune, comme ceux qui s’emparèrent de Constantinople en 1204. Ces hommes ambitieux ont dû être particulièrement désappointés de ne pouvoir se constituer des fiefs – l’Empire se réduisant tel une peau de chagrin. Cette réaction fut sans doute partagée par les autres barons mentionnés dans les sources aux côtés de Robert à Constantinople56. D’où leur ressentiment à l’égard d’un souverain qui ne leur a pas garanti le succès.

24Ce manque d’adhésion à l’empereur, cette division des élites, peuvent-ils expliquer les défaites des Francs57 comme l’affirme Filip Van Tricht ? Ou, à l’inverse, ces échecs militaires n’ont-ils pas entraîné l’apparition de tensions entre anciens chevaliers couronnés de succès, et barons qui, malgré leur accès à des postes importants de l’armée, ont échoué à maintenir l’intégrité de l’Empire ?

25La révolte révèle enfin la difficulté d’intégrer les Grecs au gouvernement de l’Empire. Ce sont l’épouse gasmule et sa mère grecque qui furent agressées. Plusieurs éléments, mis en exergue par Filip Van Tricht, montrent en effet que Robert essaya d’associer des Byzantins au gouvernement impérial, politique instaurée par Henri puis par sa sœur Yolande : la présence de Grecs parmi ses conseillers, comme les frères Alexis et Isaac Laskaris en 1222-1224, l’influence de sa sœur, Marie, épouse du basileus Jean Ier Laskaris, et enfin son mariage avec une gasmule58. Ces mesures étaient certainement une réponse à la nécessité de rallier toutes les forces possibles pour lutter contre les États grecs voisins. Associer les Grecs au gouvernement permettait de les rassurer, d’obtenir leur adhésion et d’éviter qu’ils ne rejoignent l’Empire de Nicée. Or, une partie des Francs – les nouveaux arrivants – s’est clairement opposée à cette politique, le manifestant par les mutilations effectuées à la manière byzantine59. On retrouve dans l’histoire de Byzance plusieurs précédents concernant notamment la mutilation du nez : souvent associée à une sanction pour adultère60, elle fut aussi utilisée dans les luttes pour le pouvoir ; plusieurs empereurs eurent le nez coupé, tel Justinien II dit Rhinotmetus en 69561. L’objectif d’une telle mutilation était de la rendre visible à tous et ainsi d’empêcher les victimes de gouverner – la honte étant incompatible avec la dignité impériale. C’était aussi un avertissement destiné aux Grecs62, afin de les exclure du sommet de l’État. Au lieu d’agréger dans une même adhésion ses différentes composantes, latines et grecques, l’Empire latin était donc soumis à des forces centrifuges et à des divisions particulièrement violentes. Les difficultés à gouverner l’Empire sont aussi visibles à travers la tentative de résolution de crise mise en place par Robert.

Une tentative de résolution de crise témoignant des fragilités de l’Empire de Romanie

26Le voyage de Robert auprès du pape puis du prince de Morée au lendemain du soulèvement témoigne des fragilités de l’Empire, fortement dépendant d’acteurs extérieurs.

Le recours à la papauté, signe de dépendance de l’Empire

27Robert se rendit auprès de Grégoire IX en 1227, sans doute non pour y chercher du réconfort après l’attaque portée contre sa femme, comme le prétend la Chronique d’Ernoul qui vise ainsi à souligner la faiblesse du souverain, mais plutôt pour demander du secours matériel63. Le pape apparaît comme le soutien le plus ferme de l’Empire latin depuis 1204, d’autant plus que l’empereur échoua à obtenir l’aide du roi de France64, comme du roi d’Angleterre65.

28L’appel au Saint-Siège était d’autant plus justifié que l’empereur et la papauté se sont soutenus mutuellement les années précédentes : Robert contribua ainsi à augmenter les revenus pontificaux en s’engageant à faire payer la dîme aux orthodoxes de l’Empire66. En juin 1221, il confirma l’accord concernant les possessions ecclésiastiques conclu en 1219 par le légat du pape Jean de Colonna et le régent Conon Ier de Béthune67. Enfin, en 1222, il mit fin à un conflit entre l’Église de Constantinople et l’Empire68.

29Le pape, quant à lui, manifesta à plusieurs reprises son soutien à Robert, mentionnant dans ses lettres l’affection qu’il lui portait69. Honorius III accueillit avec bienveillance l’envoyé de l’empereur en septembre 122270 et il lui apporta une aide financière : en novembre 1224 à la suite de la défaite de Poimanénon, il demanda aux clercs de la région à l’est de Makri de verser au bénéfice de l’Empire 10 % de leurs revenus71 ; enfin, en avril 1227, après la venue de Robert, Grégoire IX s’engagea à affecter « au service de l’Empire l’argent des casaux ruraux pontificaux » concédés temporairement à l’empereur par le patriarche de Constantinople Mathieu72. La survie de l’Empire dépendait donc des moyens dont disposait la papauté, seule puissance occidentale à lui apporter une aide financière. Cet argent était destiné à permettre aux chevaliers latins de rester dans l’Empire et de le protéger73. C’était sans aucun doute aussi un moyen pour Robert de s’assurer la fidélité de ses chevaliers, à un moment où son autorité était remise en cause : comme le précise la lettre du pape, « il ne reste pas de ressources sauf en argent ». De fait, les terres concédées en fiefs furent pour la plupart reprises par les Grecs. L’argent était l’unique source de revenus que pouvait accorder Robert à ses vassaux ; seule l’aide financière du pape pouvait les maintenir sur place.

Le recours à Geoffroy de Villehardouin

30Enfin, pour s’assurer de la fidélité de ses vassaux et mettre fin à la crise, Robert a, semble-t-il, voulu recourir à l’aide militaire du plus puissant de ses vassaux, le prince de Morée. En rentrant de Rome, il décida de s’arrêter en Morée, où il mourut peu de temps après, sans doute en novembre 122774. Il n’y était pas passé en 1221, ayant préféré emprunter la route de la Hongrie. En 1227 son trajet moréote peut donc être compris comme une recherche d’aide.

31Le prince de Morée était alors Geoffroy Ier de Villehardouin, avec lequel Robert avait des relations à la fois familiales et féodales. Dans le souci d’assurer la prééminence de sa famille au sein de l’Empire, ce prince avait organisé en 1217 le mariage de son fils aîné Geoffroy avec la sœur de Robert, Agnès75. Cette alliance était doublée d’un lien de vassalité, le prince reconnaissant la suzeraineté de l’empereur depuis 1209. En 1223, Robert avait fait accepter son arrivée sur le trône à Geoffroy Ier76.

32S’arrêter en Morée était donc pour Robert l’occasion de s’assurer de la fidélité de ce prince qui avait conquis le Péloponnèse et disposait de forces importantes. C’était aussi s’appuyer sur l’un de ses plus puissants officiers, puisque Geoffroy Ier exerçait la fonction de sénéchal77 : cet office faisait de lui un des grands dignitaires de la cour de Constantinople78. Supprimée en France par Philippe Auguste en 1191 en raison justement de son importance, cette charge persistait dans les principautés et recouvrait des fonctions politiques et militaires.

33Si le contenu de la rencontre entre les deux hommes demeure inconnu, on peut supposer que Robert a voulu s’assurer de la capacité du prince à l’aider contre les barons révoltés79. Ce détour par la Morée révèle la fragilité d’un empereur dépendant d’un vassal plus puissant que lui. Aucune intervention n’eut cependant lieu puisque Robert mourut en Morée où il fut enterré80.

Le sort des coupables ?

34Quant au sort des coupables, nous n’en avons malheureusement aucune trace dans les sources. Les barons latins auraient quitté l’Empire assez rapidement, puisque les principaux protagonistes, Nicholas de Mainvault et Thierry de Walcourt, revinrent dans leur région d’origine peu après la fin de règne de Robert81.

35Ce retour peut être interprété de différentes manières : ont-ils fui l’Empire pour éviter d’être jugés au retour de Robert ? L’empereur les aurait-il sanctionnés avant son départ pour Rome, en leur interdisant de rester en Romanie ou en les privant de leurs revenus82 ? En tout cas, ces hommes ne remirent pas en cause l’autorité de Marie, la sœur de Robert qu’il nomma régente au moment de son départ, signe que l’action impériale n’avait pas été entravée par les révoltés.

36En conclusion, la crise de 1225-1227 contre Robert révèle combien l’Empire latin de Constantinople était quasiment impossible à gouverner. Les problèmes s’accumulaient : difficile association des Grecs à sa direction alors que l’Empire prétend être universel ; poids d’une féodalité indocile qui n’hésite pas à intimider son seigneur ; division au sein des Latins entre différentes générations de chevaliers ; rétraction de l’Empire entraînant l’inexorable diminution des moyens de financer sa défense ; difficultés pour l’empereur à affirmer son statut impérial, lui-même incarnant une double tradition ; enfin dépendance de l’Empire envers la papauté et la principauté de Morée. Ces difficultés ne furent d’ailleurs pas résolues par les successeurs de Robert, et contribuèrent à la disparition de l’Empire en 1261, d’autant plus qu’elles furent exploitées à leur avantage par les Grecs de l’Empire de Nicée.

Notes de bas de page

1 L’Empire latin de Constantinople est le nom donné à ce que les Francs nommaient « Empire de Romanie ».

2 Van Tricht Filip, « Robert of Courtenay (1221-1227): An Idiot on the Throne of Constantinople? », Speculum, 88/4, octobre 2013, p. 996-1034.

3 Selon Filip Van Tricht, il serait né vers 1200 (art. cité, n. 101, p. 1021).

4 Voir Osswald Brendan, L’Épire du treizième au quinzième siècle : autonomie et hétérogénéité d’une région balkanique, thèse d’histoire, dir. Bernard Doumerc, université de Toulouse, 2011, p. 56-57.

5 Longnon Jean, L’Empire latin de Constantinople et la Principauté de Morée, Paris, Payot, 1949, p. 162-163 ; Brendenkamp François, The Byzantine Empire of Thessaloniki (1224-1242), Thessalonique, Thessaloniki History Center, 1996, p. 76-77.

6 Longnon Jean, L’Empire latin de Constantinople, op. cit., p. 163.

7 Le basileus avait épousé Marie de Courtenay, la sœur de Robert (ibid., p. 160).

8 Ibid., p. 160-161.

9 Ibid., p. 161 et Setton Kenneth M., The Papacy and the Levant 1204-1571, t. I : The thirteenth and the fourteenth centuries, Memoirs of the American Philosophical Society, 114, Philadelphie, 1976, p. 52.

10 Sur Baudouin de Neuville, voir Van Tricht Filip, art. cité, p. 1013-1014.

11 Ibid., p. 1011.

12 « Si l’espousa coiement, et le mist aveuc lui en son manoir et le mere ensement » (Chronique d’Ernoul et de Bernard le trésorier, éd. Louis de Mas Latrie, Paris, Jules Renouard, 1871, ch. 33, p. 394).

13 Eam […] ad imperium coronavit (Chronique de Tours, in Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. 18, éd. Michel-Jean-Joseph Brial, nouvelle éd. Léopold Delisle, Paris, Victor Palmé, 1879, p. 311).

14 Chronique d’Ernoul, op. cit., ch. 33, p. 394.

15 « Quant li empereres vit le honte c’on li ot fait de se feme, que on ot le nés copé, et de se mere que on ot noié en le mer, si fu moult dolans. Si fist armer galies et entra ens, si lassa Constantinoble et s’en ala a Rome. Quant li vint a Rome, si se plainst à l’apostole de le honte que si homme li avoient faite » (ibid.).

16 Ibid.

17 Cette image négative fut diffusée, comme l’a montré Filip Van Tricht, par trois sources principales : la chronique d’Aubri de Trois-Fontaines, la Chronique de Tours, et deux continuations de l’Historia de Guillaume de Tyr : la Chronique d’Ernoul et Bernard le trésorier, et L’Estoire d’Eraclès empereur et la conquête de la terre d’Outremer (art. cité, p. 1000-1015).

18 Trois-Fontaines Aubri de, Chronica, éd. Paul Scheffer-Boichorst, Monumenta Germaniae historica, Hannovre, Hahn, Scriptores 23, 1874, p. 910.

19 Étant le fils cadet de Pierre de Courtenay et de Yolande, il n’aurait pas dû accéder au trône (Van Tricht Filip, art. cité, p. 1001).

20 Robertus Constantinopolis Imperator, juvenili admodum animo et aetate et plus loin : dum idem Imperator ita dissolute viveret (Chronique de Tours, op. cit., p. 311).

21 Μαλακώτερον ἐχρῆτο τοῖς πράγμασι (Acropolitès Georges, Historia. Georgii Acropolitae Opera, éd. August Heisenberg, 2 vol., Leipzig, Teubner, 1903, rééd. Peter Wirth, Stuttgart, Teubner, 1978, § 18). Pour Filip Van Tricht, cette expression signifie que Robert menait une politique moins agressive que celle de son oncle (art. cité, p. 1018).

22 Chronique d’Ernoul, op. cit., ch. 33, p. 393-394.

23 La Chronique d’Ernoul souligne son incapacité à réagir, puis sa fuite à Rome où le pape l’aurait réconforté « drument » (ibid., p. 394-395).

24 Ibid., et n. 4, p. 394. Je suis du même avis que Filip Van Tricht qui suit les versions du manuscrit mentionnant « de la cambre » plutôt que « de Costantinoble » (art. cité, n. 33, p. 1005).

25 Voir Longnon Jean, L’Empire latin de Constantinople, op. cit., p. 160. Ce projet aurait eu lieu entre mars et novembre 1221 (Akropolitès Georges, The History. Introduction, translation and commentary, trad. Ruth Macrides, Oxford, coll. « Oxford Studies in Byzantium », 2007, p. 157). Il échoua pour diverses raisons (voir ibid., n. 4, p. 158 ; et Van Tricht Filip, art. cité, p. 1024 et n. 140, p. 1029).

26 Voir Van Tricht Filip, art. cité, n. 53, p. 1011. Sur le projet de mariage entre Robert et Eudocie, voir aussi Angold Michael, « The Latin Empire of Constantinople, 1204-1261: Marriage Strategies », in Judith Herrin et Guillaume Saint-Guillain (éd.), Identities and Allegiances in the Eastern Mediterranean after 1204, Farnham, Ashgate, 2011, p. 52-53.

27 « Quandam Graeculam » et plus loin « focariam illam Graecam » (Chronique de Tours, op. cit., p. 311).

28 Van Tricht Filip, art. cité, p. 1015.

29 Chronique de Tours, op. cit., p. 311.

30 Voir Van Tricht Filip, art. cité, n. 74, p. 1015.

31 Ibid., p. 1033.

32 « Latini, nec aetati parcentes nec sexui, in Graecos irruunt, omnesque quos possunt assequi, perforant gladiis et occidunt » (Chronique de Tours, op. cit., p. 311).

33 Filip Van Tricht remet en cause l’existence d’une attaque d’une telle ampleur, soulignant qu’Acropolitès n’aurait pas manqué d’en parler si tel avait été le cas (art. cité, p. 1018). Cela dit, Acropolitès ne mentionne pas non plus l’attaque menée contre la jeune femme, ce qui pourrait signifier que les deux étaient bien liées.

34 Sur ces deux hommes, voir ibid., p. 1006-1007 (notamment n. 39), p. 1023 et p. 1026.

35 Considérée par Benjamin Hendrickx comme l’« embryon d’une véritable constitution », cette convention « settles, defines and determines the powers of the leader and of the most important organs of the state » (« The Main Problems of the History of the Latin Empire of Constantinople [1204-1261] », Revue belge de philologie et d’histoire, 52-4, 1974, p. 794).

36 « Omnem ordinationem, particionem et examinationem factam per partitores, qui fuerunt constituti per dominum B[alduinum], memorati imperii imperatorem, et per dominum Henricum Dandulum […] inrevocabiliter confirmamus » (acte de mars 1221, Tafel Gottlieb et Thomas Georg [éd.], Urkunden zur älteren Handels und Staatsgeschichte der Republik Venedig mit besonderer Beziehungen auf Byzanz und die Levante, t. II [1205-1255], no CCLX, Vienne, 1856, p. 227-228).

37 « Dominus siquidem Imperator nemini contra justitiam aliquo tempore facere debet » (ibid., no CCLX, p. 229).

38 Hendrickx Benjamin, « Régestes des empereurs latins de Constantinople (1204-1261/1272) », Byzantina, 14, no 146, 1988, p. 101 ; Wolff Robert Lee, « Politics in the Latin Patriarchate of Constantinople, 1204-1261 », DOP, 8, 1954, p. 298-301.

39 Selon Filip Van Tricht, le caractère byzantin de son règne se voit notamment à travers une charte accordée à Venise en février 1225 par Robert de manière unilatérale, alors que, jusque-là, les différends territoriaux entre la Sérénissime et l’empereur étaient réglés par l’intermédiaire de représentants des deux parties (art. cité, p. 1030-1031).

40 Gustave Schlumberger ne connaissait aucun sceau de Robert (« Sceaux et bulles des Empereurs latins de Constantinople », Bulletin Monumental, t. 56, IV, 1890, p. 13). En revanche, deux sceaux de cet empereur ont été reproduits par Georges Zacos et Alexander Veglery (Byzantine Lead Seals, I, 1, Nos. 1-1095. Imperial seals: Vth to XVth centuries, Bâle, no 113a et no 113b, 1972, p. 103). Voir aussi Catalogue of Byzantine Seals at Dumbarton Oaks and in the Fogg Museum of Art, t. 6 : Emperors, Patriarchs of Constantinople, Addenda, no 98.1, éd. John W. Nesbitt, Washington D. C., Dumbarton Oaks, 2009, [https://www.doaks.org/resources/seals/byzantine-seals/BZS.1951.31.5.2938]. Un sceau du même type a été publié par Gjuzelev Vassil, « Drei in Bulgarien Gefundene Bleisiegel Lateinischer Kaiser von Konstantinopel: Historische Interpretation », in Cordula Scholz et Peter Schreiner (éd.), ΠΟΛΥΠΛΕΥΡΟΣ ΝΟΥΣ: Miscellanea für Peter Schreiner zu seinem 60. Geburtstag, Munich/Leipzig, K. G. Saur, Byzantinisches Archiv 19, 2000, p. 40-41.

41 Voir Morrisson Cécile, « Sceaux et bulles des empereurs latins de Constantinople : l’assimilation de l’héritage byzantin », in 1204, la Quatrième croisade. De Blois… à Constantinople. Éclats d’Empire, catalogue des expositions tenues au musée-château de Blois et au cabinet des Médailles de la BnF (octobre 2005-janvier 2006), publ. sous la dir. d’Inès Villela-Petit, Paris, Éditions du Léopard d’or, 2005, p. 118.

42 Ibid., p. 117.

43 Ibid., p. 118.

44 Ibid., p. 117.

45 Comme le souligne Marie-France Auzépy, « le costume et la couronne constituent à Byzance l’essentiel des insignes matériels du pouvoir portés par le souverain ». Or, les premiers empereurs latins n’ont pas repris ce costume mais d’autres insignes insistant sur certains aspects du pouvoir, comme le globe crucigère, « symbole de la domination impériale sur le monde » (« Les aspects matériels de la taxis byzantine », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles, 2005, [http://journals.openedition.org/crcv/2253]).

46 « Dei gratia fidelissimus in Christo imperator, a Deo coronatus Romanie moderator et semper augustus » (acte de mars 1221, Tafel Gottlieb et Thomas Georg [éd.], Urkunden zur älteren Handels und Staatsgeschichte der Republik Venedig mit besonderer Beziehungen auf Byzanz und die Levante, t. II [1205-1255], no CCLX, Vienne, 1856, p. 227). Même titulature dans les actes du 15 avril 1223 et du 20 février 1224 (ibid., no CCLXVII, p. 253 et no CCLXIX, p. 255).

47 Ils ne s’en prirent pas à la personne même de l’empereur qu’ils laissèrent finalement « em pais » (Chronique d’Ernoul, op. cit., ch. 33, p. 394).

48 Il s’était marié sans consulter ses vassaux, ayant épousé la jeune femme « coiement » (ibid.). La Chronique de Tours précise qu’il l’épousa clanculo (op. cit., p. 311).

49 À l’inverse, la Chronique d’Ernoul met l’accent sur le fait que les chevaliers ont agi après s’être concertés : ils « prisent consel ensanl, qu’il feroient » (op. cit., ch. 33, p. 394). L’importance du conseil dans le monde féodal est ici soulignée.

50 Van Tricht Filip, art. cité, p. 1008.

51 « Dominus vero imperator omnes alias res et expensas ad defendendum et manutenendum imperium statim omni tempore facere debet » (Tafel Gottlieb et Thomas Georg, op. cit., no CCLX p. 228).

52 Voir les analyses de Filip Van Tricht (art. cité, p. 1001-1003).

53 « Dum ipsis militatibus ex hiis non potest in sufficientibus stipendiis provideri, terram deserere compelluntur, in ipsius imperii maximum detrimentum » (lettre du pape du 7 avril 1227, Les registres de Grégoire IX, éd. Lucien Auvray, t. I, no 47, col. 23, Paris, Ernest Thorin, 1890).

54 Ainsi, dans une lettre adressée à Robert le 27 juin 1222, Honorius III accorde l’indulgence de la Terre sainte à « nobili viro Huberto, comiti de Blandraco et socii ejus, in subsidium imperii venientibus » (Baronius Caesar, Raynaldus Odoricus et Laderchius Jacobus, Annales Ecclesiastici, éd. Augustinus Theiner, t. 20, Bar-le-Duc, Guérin, 1870, p. 454).

55 Voir Van Tricht Filip, art. cité, p. 1006-1007.

56 En mars 1221, dans la confirmation de la partitio Romanie faite par Robert, sont mentionnés les « barones, qui nobiscum venerunt, morati in imperio » (Tafel Gottlieb et Thomas Georg, op. cit., no CCLX, p. 230).

57 Van Tricht Filip, art. cité, p. 1033.

58 Ibid., p. 1029. Le gouvernement de Robert serait selon lui « the culmination » de cette politique d’équilibre latino-byzantin.

59 Il ne semble pas exister l’équivalent au même moment en Europe occidentale. Peine appliquée à l’époque carolingienne pour sanctionner le viol, l’amputation du nez ne serait plus pratiquée au xiiie siècle (Gonthier Nicole, Le châtiment du crime au Moyen Âge, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1998, n. 147, p. 69).

60 L’homme et la femme, puis uniquement la femme adultère, se virent punir d’une mutilation du nez. Voir Paradiso Annalisa, « Mutilation par voie de justice à Byzance », in Jean-Marie Bertrand (dir.), La violence dans les mondes grec et romain, Paris, Publications de la Sorbonne, 2005, p. 309-310.

61 « L’ablation du nez paraît être une pratique courante dans le cadre des luttes politiques à Byzance, accompagnée d’autres mutilations, notamment à partir du viie siècle » (ibid., p. 313).

62 Voir Van Tricht Filip, art. cité, p. 1007.

63 Ce voyage réalisé avant avril 1227 a pu avoir lieu au lendemain de l’attaque des barons (ibid., p. 1027-1028).

64 Le pape avait demandé le 20 mai 1224 à la reine Blanche de convaincre le roi de France d’aider Robert (Potthast August, Regesta Pontificum Romanorum inde ab anno 1198 ad annum 1304, I, Berlin, 1874, no 7258, p. 626 ; voir aussi Setton Kenneth M., op. cit., p. 51). Une demande de secours auprès de Louis VIII est aussi évoquée par Philippe Mouskès : « Autresi de Constantinoble, / L’emperial, la cité noble, / Vint nouviele que tot pierdoient, / Se proçain soucors n’atendoient (Philippi Mousket « Historia regum Francorum », Adolf Tobler et Oswald Holder-Egger [éd.], in Monumenta Germaniae historica, Hannover, Hahn [Scriptorum series, 26], 1882, v. 26875-26879, p. 791) : envoyé par Robert, Hugues, châtelain d’Arras, se rendit auprès du roi entre juin et septembre 1226. Il obtint une promesse d’aide de deux ou trois cents chevaliers (ibid., v. 26884 et 26887-26890, p. 791 ; voir aussi Van Tricht Filip, art cité, p. 1002). Mais Louis VIII n’établit aucun acte en sa faveur (voir le catalogue de ses actes édité par Petit-Dutaillis Charles, Étude sur la vie et le règne de Louis VIII [1187-1226], Paris, É. Bouillon, 1894, p. 449-508).

65 Van Tricht Filip, art. cité, p. 1027 (notamment n. 133).

66 Sur la question de la dîme due par les Grecs, voir Richard Jean, « Le paiement des dîmes dans les États des croisés », BEC, 50-1, 1992, p. 80-83. L’accord de 1219, accepté par Robert en juin 1221 et confirmé par le pape en mars 1222, précise que « Les Latins donneront intégralement les dîmes sur les biens secs et liquides, les bêtes menues et les oiseaux et leurs fruits ; les autres, qui sont sous la domination des Latins, donneront pour les dîmes la trentième partie comme les Latins donnent la dixième, pendant dix ans : ensuite ils paieront les dîmes entières, à moins que l’Église de Rome les leur remette ou que ce terme soit prorogé » (ibid., p. 82). Par ailleurs, cet accord augmente la proportion des biens de l’Église grecque pris par les Francs au profit de l’Église latine : elle passe de un douzième à un onzième (Coureas Nicholas, « The latin and greek churches in former byzantine lands under latin rule », in Nickiphoros I. Tsougarakis et Peter Lock [éd.], A companion to Latin Greece, Leyde/Boston, Brill, 2014, p. 161).

67 Tăutu Aloysius L. (éd.), Acta Honorii III (1216-1227) et Gregorii IX (1227-1241), no 95, Rome, Typis Polyglottis Vaticanis, 1950.

68 La fin de ce conflit est évoquée dans la lettre d’Honorius III à Robert du 27 juin 1222 (Baronius Caesar, Raynaldus Odoricus et Laderchius Jacobus, Annales Ecclesiastici, op. cit., p. 454 ; voir aussi Potthast August, Regesta Pontificum Romanorum, op. cit., no 6868, p. 595).

69 Par exemple, le 27 juin 1222, Honorius III manifeste sincerae dilectionis affectum à l’égard de Robert (Baronius Caesar, Raynaldus Odoricus et Laderchius Jacobus, Annales Ecclesiastici, op. cit., p. 454) ; le 7 avril 1227, le pape lui écrit : « nos ergo, qui te sinceritatis brachiis amplexamur » (Les registres de Grégoire IX, op. cit., no 47, col. 23).

70 Le 24 septembre 1222, une lettre d’Honorius III mentionne l’envoyé de Robert, maître G. chanoine de Sainte-Sophie (Pressutti Pietro, Regesta Honorii Papae III, II, no 4118, Rome, Typographia Vaticana, 1895, p. 94).

71 Tăutu Aloysius L. (éd.), Acta, op. cit., no 128. Voir aussi Van Tricht Filip, art. cité, p. 1026.

72 Les registres de Grégoire IX, op. cit., no 47, col. 23.

73 « Te non sine dolore didicimus referente quod Constantinopolitanum imperium in eo difficultatis articulo est constitutum, quod nonnisi monete duntaxat proventus restare videtur, quibus milites ad tuitionem imperii teneantur, et ipsi etiam redditus sunt adeo tenues et exiles quod, dum ipsis militibus ex hiis non potest in sufficientibus stipendiis provideri, terram deserere compelluntur, in ipsius imperii maximum detrimentum » (ibid.).

74 Selon la Chronique d’Ernoul, rentrant à Constantinople après sa visite auprès du pape, Robert « arriva en le tiere Joffroi de Vile Harduin. Là li prist maladie, si fu mors » (op. cit., ch. 33, p. 395). Filip Van Tricht date sa mort de novembre 1227 (art. cité, p. 1028).

75 Longnon Jean, L’Empire latin de Constantinople, op. cit., p. 157.

76 Van Tricht Filip, art. cité, p. 1024.

77 Il obtint cette charge suite au parlement de Ravennique du 2 mai 1209 (Valenciennes Henri de, Histoire de l’empereur Henri de Constantinople, éd. Jean Longnon, Paris, Geuthner, coll. « Documents relatifs à l’histoire des croisades publiés par l’Académie des inscriptions et belles-lettres », 2, 1948, § 670).

78 Voir Longnon Jean, L’Empire latin de Constantinople, op. cit., p. 111.

79 Les deux hommes ont pu, selon Filip Van Tricht, discuter de la manière de restaurer la puissance de l’Empire latin (art. cité, p. 1028).

80 Le monastère des Blachernes aurait été construit près de Clermont par Agnès de Courtenay pour honorer la mémoire de son frère (Longnon Jean, L’Empire latin de Constantinople, op. cit., p. 168).

81 Van Tricht Filip, art. cité, p. 1006-1007.

82 Selon Filip Van Tricht, leur retour « can be interpreted as an indication that things had not worked out as they had anticipated » (ibid.).


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