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    Plan détaillé Texte intégral La révolution vidéoludique Objectif et plan de l’ouvrage Définir le jeu vidéo Les jeux vidéo et la fiction Les jeux vidéo comme dispositifs ludiques Les récits vidéoludiques Les émotions dans le jeu vidéo Faut-il avoir peur des jeux vidéo ? Le jeu vidéo comme forme d’art Notes de bas de page Auteur

    L’art des jeux vidéo

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Préface

    Alexandre Declos

    p. 7-30

    Texte intégral La révolution vidéoludique Objectif et plan de l’ouvrage Définir le jeu vidéo Les jeux vidéo et la fiction Les jeux vidéo comme dispositifs ludiques Les récits vidéoludiques Les émotions dans le jeu vidéo Faut-il avoir peur des jeux vidéo ? Le jeu vidéo comme forme d’art Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1« Les jeux vidéo ont toujours eu une sorte de problème d’image », écrit Grant Tavinor à l’orée de ce livre. Derrière cet euphémisme, il faut entendre que le jeu vidéo a très fréquemment été perçu comme un divertissement stérile et pour tout dire stupide, qui aurait en outre l’inélégance de nourrir à peu près tous les vices : il abrutirait la jeunesse, désensibiliserait les joueurs, inciterait à la vulgarité, à l’immoralité ou à la violence, provoquerait des comportements addictifs, entre autres griefs. L’idée que les jeux vidéo seraient nocifs pour les joueurs voire pour la société reste tenace aujourd’hui, comme beaucoup de parents inquiets en conviendront. À tout le moins semble-t-il évident aux yeux d’une majorité de gens que la pratique vidéoludique manque de sérieux et de profondeur. Après tout, que gagne-t-on vraiment à appuyer frénétiquement sur les boutons d’une manette pendant des heures, les yeux rivés sur l’écran, pour abattre des ennemis ou atteindre un nouveau high score ? Ne faut-il pas préférer la compagnie d’Anna Karénine à celle de Mario et de Lara Croft ? Bref, beaucoup seront d’avis que le jeu vidéo, s’il représente peut-être un passe-temps amusant ou une prouesse technologique, reste dépourvu d’une véritable envergure culturelle, artistique, et intellectuelle.

    2Cette conception dépréciative du jeu vidéo est contestable à de nombreux égards. Toujours est-il que c’est au moins en partie ce « problème d’image » qui a fait que le medium a longtemps été négligé par le monde universitaire. Lorsque le philosophe néozélandais Grant Tavinor a écrit ce livre, en 2009, il n’existait que très peu d’études proprement philosophiques sur le sujet. C’est avant tout pour parer à ce manque que Tavinor a souhaité écrire cet ouvrage. La volonté d’aborder le jeu vidéo en tant qu’objet proprement philosophique distingue l’approche de Tavinor des recherches menées dans le champ des game studies, qui s’intéressent au jeu vidéo dans une perspective pluridisciplinaire, à la croisée des sciences sociales, des études littéraires, de la théorie des médias et des sciences de l’information. L’art des jeux vidéo, en tant qu’analyse philosophique du medium et de la pratique vidéoludiques, est l’un des premiers livres en son genre, et il en est venu assez naturellement à tenir lieu de manuel dans le monde anglo-saxon. Sa traduction en français semblait donc s’imposer, d’autant que les études philosophiques synoptiques sur le jeu vidéo restent encore relativement rares dans le monde francophone1.

    3L’ouvrage de Tavinor, comme le suggère son titre, s’inscrit plus particulièrement dans le domaine de la philosophie de l’art. Cet angle d’attaque permet d’interroger la relation du jeu vidéo à d’autres formes artistiques, comme la littérature, le cinéma, les arts visuels, ou encore les arts de la scène. Il invite aussi à poser très frontalement la question de savoir si les jeux vidéo sont (ou peuvent être) de l’art. Lorsque Tavinor a écrit ce livre, cette optique était plutôt novatrice. La philosophie de l’art a en effet eu tendance, elle aussi, à négliger le jeu vidéo, que ce soit par méconnaissance de la forme, par refus théorique de considérer ce loisir de masse comme une forme artistique, ou bien en raison d’une forme de snobisme académique qui fait qu’il est mieux vu de parler de Proust et de Bach que de Solid Snake. On notera que Tavinor s’inscrit plus particulièrement dans le sillage de la philosophie de l’art de tradition « analytique ». Celle-ci diffère dans ses méthodes et ses préoccupations de l’esthétique telle qu’elle se trouve traditionnellement pratiquée en France, qui reste souvent dominée par des grilles de lecture héritées de la phénoménologie, de l’idéalisme allemand, ou de l’histoire philosophante de l’art. C’est à un tout autre corpus que Tavinor renvoie ici, lorsqu’il propose de défendre le statut artistique du medium vidéoludique. Cette optique, qui mêle jeu vidéo et philosophie analytique de l’art, ne se retrouve dans aucun ouvrage de philosophie en français. Il y avait donc là une raison supplémentaire de rendre L’art des jeux vidéo accessible au public francophone.

    La révolution vidéoludique

    4L’ouvrage de Tavinor entend ainsi démontrer que le medium vidéoludique possède un véritable intérêt philosophique et artistique. Avant de voir comment il donne plus précisément corps à cette idée, sans doute convient-il de rappeler pourquoi il est devenu impossible d’ignorer l’importance du jeu vidéo, dont le développement depuis deux ou trois décennies est phénoménal à plusieurs niveaux.

    5La révolution des jeux vidéo est avant tout technique. Aux représentations 2D pixélisées des années 1980, ont succédé des jeux 3D photoréalistes ou hautement stylisés, qui simulent en temps réel des environnements souvent époustouflants sur le plan graphique. Là où les premiers jeux vidéo se composaient de niveaux linéaires, clos et répétitifs, certains des plus récents consistent en d’immenses mondes ouverts, qui visent à maximiser la liberté d’action du joueur, les possibilités de gameplay, et l’ouverture du récit. Ces jeux « open world » ou « sandbox », comme y insiste Tavinor, sont des prouesses technologiques, ludiques, et artistiques. Certains, comme Minecraft ou No Man’s Sky, recourent à la méthode de « génération procédurale », qui consiste à créer automatiquement et aléatoirement l’environnement du jeu à mesure de la progression du joueur, produisant ainsi des environnements ludiques quasiment infinis et hautement variables d’une partie à l’autre. D’autres, comme World of Warcraft ou EVE Online, prennent la forme d’univers en ligne « persistants2 », où des millions d’individus peuvent jouer simultanément, sans jamais que le jeu prenne vraiment fin. À côté de ces réalisations contemporaines, force est de dire que les tout premiers jeux vidéo comme Spacewar! (1962) font figure de dinosaures.

    6La conception de jeux vidéo s’est elle aussi drastiquement complexifiée ces dernières décennies, au gré de l’évolution rapide de la technologie informatique, du développement des plateformes de jeu, et de la croissance du marché du jeu vidéo. La machinerie qui se tient derrière les productions vidéoludiques contemporaines a de quoi donner le tournis3. La programmation du moteur de jeu, la conception de la physique et des animations, l’écriture du scénario, le design de la bande-son, des textures, des personnages et des niveaux, le paramétrage de l’interface utilisateur, l’ajustement du gameplay, entre autres choses, réclament souvent le travail sur plusieurs années de dizaines sinon de centaines d’individus. Ce degré de sophistication technique sans précédent a pour résultat des jeux qui sont non seulement plus convaincants sur le plan graphique, mais aussi plus immersifs, plus riches narrativement, et plus satisfaisants en termes de gameplay.

    7La mutation du jeu vidéo se vérifie sur d’autres plans encore. Du statut de divertissement plus ou moins confidentiel, essentiellement masculin et adolescent, il en est venu à conquérir près de la moitié de la population mondiale. La pratique vidéoludique transcende désormais les âges, les origines et les catégories socioprofessionnelles. Autrefois confinés aux salles d’arcade, les jeux vidéo se sont frayé un chemin dans la vie domestique, avec les consoles de jeux et les ordinateurs personnels. L’apparition des consoles de jeu portables puis du jeu sur smartphone fait que l’on peut désormais se consacrer à la pratique vidéoludique (presque) partout. La popularisation du jeu sur Internet, quant à elle, fait que l’on peut jouer tout le temps : en ligne, il y aura toujours quelqu’un avec ou contre qui jouer. Cette démocratisation du jeu vidéo s’est accompagnée d’une démultiplication des genres vidéoludiques. Si certaines formules de gameplay sont désormais éminentes et bien codifiées (RPG, FPS, RTS, MOBA, etc.4), on ne cesse d’expérimenter en croisant les types et les styles de jeu, et d’optimiser les mécaniques qui ont déjà fait leurs preuves. Cette diversification du medium fait que tous types de publics peuvent y trouver leur compte, du joueur occasionnel qui passe le temps sur Candy Crush en attendant le métro, jusqu’au hardcore gamer qui dédie des centaines d’heures à essayer ou à optimiser différents builds sur Dark Souls.

    8Le jeu vidéo s’impose aussi désormais comme un phénomène commercial et industriel de masse. Il s’agit de l’un des produits les plus lucratifs de l’industrie du divertissement, qui génère maintenant des profits largement supérieurs à ceux de l’industrie du cinéma et de la musique combinés. Toutes plateformes confondues, des milliers de jeux vidéo sont créés chaque année, sans compter les « DLC » et « patchs » qui viennent ajouter du contenu ou mettre à jour des titres vidéoludiques déjà sortis. Les superproductions des grands studios vidéoludiques s’écoulent régulièrement en millions d’exemplaires dès la première semaine de vente, à grands renforts de campagnes marketing titanesques. À côté de ces blockusters vidéoludiques, il existe aussi une scène vivante du jeu vidéo indépendant ou « indie », qui n’a pas hésité à ressusciter des genres vidéoludiques passés de mode ni à formuler des propositions de gameplay plus expérimentales. Toujours est-il que ce marché globalisé et toujours plus rentable n’est pas sans impact sur la pratique vidéoludique et sur les jeux vidéo eux-mêmes, qui se retrouvent graduellement inféodés à des logiques marchandes (comme en attestent la généralisation récente des « microtransactions » en jeu, du « pay to win », des « packs » de contenus additionnels, ou des services d’abonnements de jeux en ligne).

    9Corrélativement, l’influence culturelle du jeu vidéo se fait sentir partout. Mario, Sonic et Pikachu sont devenus des icônes de la pop culture. Les critiques et chroniques vidéoludiques ne sont plus l’apanage des forums et sites Internet spécialisés, mais se retrouvent jusque dans les médias mainstream. L’empreinte des jeux vidéo sur d’autres types de productions culturelles, comme les dessins animés, les films d’animation, la bande dessinée, mais aussi la publicité et d’innombrables produits dérivés, n’est plus à démontrer. À l’inverse, les jeux vidéo multiplient les jeux de renvoi culturels. Le récent Elden Ring, pour ne prendre qu’un exemple, revisite les codes de la dark fantasy par le prisme des légendes arthuriennes, de la mythologie nordique, de la peinture de ruines, et des sagas de J. R. R. Tolkien, M. Moorcock ou George R. Martin, produisant une esthétique mélancolique qui rappelle le romantisme et la théorie du sublime. Les jeux vidéo, enfin, étendent leur sphère d’influence. Ils font désormais des excursions jusque dans les salles de classe, les laboratoires, les musées. Ils semblent en marge de s’insinuer dans de nombreux aspects de la vie quotidienne via le phénomène de « ludification » (gamification), dont les vertus et les dangers restent aujourd’hui sujets à discussion5.

    Objectif et plan de l’ouvrage

    10Ces quelques remarques suffisent à montrer que le jeu vidéo est l’un des phénomènes technologiques, industriels, sociaux, et culturels les plus importants de ces dernières décennies. Les neuf chapitres de l’ouvrage de Tavinor proposent de montrer qu’il soulève aussi une foule de questions philosophiques fascinantes. Après quelques considérations d’ensemble sur le medium vidéoludique et son évolution jusqu’à la fin des années 20006 (chapitre i), Tavinor aborde la question de la définition des jeux vidéo (chapitre ii), puis considère en détail la nature et le mode de fonctionnement des fictions vidéoludiques (chapitres iii-v). Il s’intéresse ensuite aux caractéristiques et au rôle du récit dans les jeux vidéo (chapitre vi), aux émotions vidéoludiques (chapitre vii), et aux problèmes éthiques soulevés par les jeux vidéo (chapitre viii). L’ouvrage se conclut sur un examen de la question de savoir si le jeu vidéo est une forme d’art (chapitre ix).

    11La thèse centrale défendue dans cet ouvrage est que les jeux vidéo sont singuliers à plusieurs titres. Ils peuvent avant tout être considérés comme un « nouveau medium », ou du moins comme une utilisation inédite du potentiel représentationnel de la technologie informatique. Caractériser les jeux vidéo comme des artefacts numériques et multimédias n’est toutefois pas suffisant. Tavinor affirme qu’il convient aussi d’y voir des fictions d’un type spécifique, « virtuelles » et « interactives ». Ces artefacts sont aussi à l’évidence des jeux, mais dont les mécaniques et les potentialités diffèrent à plusieurs égards de celles des jeux traditionnels. Enfin, Tavinor tâche de défendre que le jeu vidéo incarne une « nouvelle forme d’art représentationnel », dont le potentiel créatif n’a encore été qu’imparfaitement mesuré ou exploité.

    12Si Tavinor insiste sur ce qu’il y a d’inédit ou de singulier dans le jeu vidéo, il ne s’agit pourtant pas de succomber aux sirènes de la nouveauté. L’ouvrage prête attention à ce que la forme vidéoludique possède d’insatisfaisant, de problématique, ou de mal dégrossi. L’ouvrage ne considère pas non plus les jeux vidéo en vase clos, dans la mesure où il ne cesse d’insister sur ce qui les rattache à d’autres formes de médias, d’art, de jeux, et de phénomènes culturels. De ce fait, il ressort des analyses de Tavinor que les jeux vidéo ont une nature plurielle : « les jeux vidéo ne sont pas caractérisés par un unique trait distinctif, mais sont plutôt constitués d’un ensemble variable de telles conditions » (p. 53). S’ils sont certes des jeux d’un certain type, les jeux vidéo sont aussi « en partie des récits, des fictions, et des artefacts graphiques » (p. 146). Le jeu vidéo figure en ce sens une sorte d’« ornithorynque culturel » (p. 52), au sens où il mêle différentes formes artistiques et culturelles préalablement existantes, quitte parfois à en transformer ou à en subvertir les caractéristiques.

    13Cela étant dit, on peut maintenant considérer un peu plus en détail certaines des analyses et des thèses centrales de l’ouvrage.

    Définir le jeu vidéo

    14Un premier point d’importance est le travail mené par Tavinor sur le problème de la définition du jeu vidéo. Comme il le rappelle, plusieurs modèles concurrents se sont très tôt opposés dans la littérature des game studies. Les approches narratologiques proposent de raccorder le jeu vidéo aux textes et aux récits. Les théories ludologiques les considèrent dans la lignée des jeux traditionnels. La théorie de la fiction interactive, enfin, rapproche les jeux vidéo d’artefacts comme les « hypertextes » ou les « livres dont vous êtes le héros ». Ces différentes théories ont cependant rarement pris la forme de définitions en bonne et due forme du jeu vidéo. Peut-être faut-il y voir la marque d’un certain pessimisme quant à la possibilité de définir les jeux en général, selon lequel ces derniers n’entretiendraient au mieux que des « ressemblances de famille7 ». Si Tavinor concède qu’il serait vain de chercher à découvrir « l’essence » des jeux vidéo, il soutient qu’il reste à la fois possible et utile d’en proposer une définition. Après avoir montré en quoi les théories narratologiques, ludologiques et interactivistes souffrent de contre-exemples lorsqu’elles sont érigées au rang de définitions, il avance sa propre caractérisation du jeu vidéo. Celle-ci est composée de trois conditions :

    « x est un jeu vidéo si x est un artefact dans un medium numérique visuel, si x est conçu à des fins de divertissement, et si x vise à produire un tel divertissement par l’un et/ou l’autre de ces modes de sollicitation : le gameplay basé sur des règles et des objectifs, ou la fiction interactive » (p. 69).

    15La première condition de cette définition rappelle que les jeux ont pour particularité de se pratiquer – et d’être affichés – sur des écrans ou des moniteurs. Après tout, c’est de là qu’ils tirent leur nom (on rappellera que « video » signifie « je vois » en latin). Les jeux vidéo ont donc pour caractéristique d’être des artefacts graphiques ou représentationnels. Ils opèrent aussi dans un « medium numérique », au sens où ils dépendent essentiellement de la technologie informatique. Les jeux vidéo, autrement dit, impliquent la simulation d’éléments visuels produits par ordinateur.

    16La seconde condition de la définition est requise afin de distinguer les jeux vidéo d’autres sortes de media et d’artefacts numériques. Les simulateurs de conduite dans les auto-écoles, des sites Internet comme Wikipédia ou des logiciels comme Excel sont sans contredit des artefacts numériques et graphiques. Ce ne sont cependant pas des jeux vidéo, dans la mesure où leur fonction propre ou envisagée n’est pas de divertir leurs utilisateurs. Indépendamment de la question de savoir si un jeu vidéo réussit en fait à produire un divertissement, reste qu’il doit en droit avoir cette visée pour pouvoir compter comme tel8.

    17Si les deux conditions précédentes sont nécessaires, elles ne sont cependant pas suffisantes : tous les artefacts numériques conçus à des fins de divertissement ne sont pas des jeux vidéo. Les dessins animés en images de synthèse, par exemple, satisfont les deux premières conditions de la définition, sans pourtant compter de ce fait comme des jeux vidéo. D’où la nécessité de la troisième et dernière condition. Celle-ci prend la forme d’une disjonction : un jeu vidéo doit impliquer un gameplay basé sur des règles et des objectifs ou une fiction interactive. Aucun de ces disjoints n’est individuellement suffisant. Certains jeux vidéo encouragent une activité de « jeu libre », au sens où le gameplay n’est pas inféodé à des règles et objectifs explicites. C’est le cas par exemple dans Minecraft ou Les Sims, où il n’y a pas de buts clairement définis, ni de consignes concernant ce qu’il est possible ou non de faire au sein du jeu. À l’autre extrême, il existe des jeux vidéo dont la dimension fictionnelle est minimale voire absente. Ainsi pour Tavinor de certains jeux vidéo « transmedia » (comme les échecs ou le solitaire vidéoludiques), ou encore de Tetris, qui « ne semble pas être une fiction, puisqu’il ne fait pas partie de ce jeu que l’on imagine un monde fictionnel correspondant » (p. 67).

    18La définition de Tavinor permet ainsi d’accommoder les cas de jeux vidéo qui ne satisfont pas l’un ou l’autre des disjoints de la troisième condition. On notera cependant que la plupart d’entre eux impliquent un gameplay basé sur des règles et des objectifs et une fiction interactive – le « ou » de la clause disjonctive doit ainsi s’entendre en un sens inclusif. Quoi qu’il en soit, il ne saurait exister de jeu vidéo qui n’aurait ni l’une ni l’autre de ces dimensions. Ainsi, si un artefact satisfait les deux premières conditions de la définition et au moins l’un des disjoints de la troisième condition, c’est un jeu vidéo. Comme le remarque Tavinor, cette définition permet d’« atténuer les différends théoriques qui opposent ludologistes, narratologistes et théoriciens de la fiction interactive » (p. 68), dans la mesure où elle rend compte la nature multifactorielle des jeux vidéo, qui sont aussi bien des jeux et des fictions que des dispositifs interactifs.

    Les jeux vidéo et la fiction

    19Une autre part substantielle de l’ouvrage est consacrée à l’analyse des fictions vidéoludiques. Les jeux vidéo sont dans l’immense majorité des fictions, au sens où il s’agit d’« artefacts représentationnels qui dépeignent des situations dont l’existence n’est qu’imaginaire » (p. 84). Tavinor reprend plus précisément à son compte l’influente théorie de Kendall Walton (1990), qui caractérise la fiction en des termes psychologiques et pragmatiques9. Dans cette optique, les fictions se comprennent comme des formes plus sophistiquées de l’activité imaginative impliquée dans le jeu enfantin, que Walton appelle le « faire-semblant » (make-believe). Lorsque nous jouons à Warcraft III, par exemple, nous faisons-semblant de croire que nous commandons (voire que nous sommes) des elfes ou des orcs, ou encore, qu’il existe une épée maudite appelée « Frostmourne ». En cela, notre activité est semblable à celle des enfants qui, lorsqu’ils jouent, peuvent feindre d’être des policiers ou faire-semblant de croire qu’il existe des superhéros. Pour Walton, les jeux imaginatifs de « faire-semblant » s’appuient sur des supports (props) – on pensera, par exemple, aux soldats de plomb ou aux poupées dans le jeu enfantin. Dans le cas des jeux vidéo, les supports du jeu de faire-semblant sont les représentations audiovisuelles affichées à l’écran, et parfois éventuellement d’autres éléments comme des feedbacks haptiques. Les fictions vidéoludiques sont sous-tendues par ces supports, qui guident l’imagination et déterminent les caractéristiques du monde fictionnel qui est imaginé.

    20Après avoir expliqué en quel sens précisément les jeux vidéo s’insèrent dans la théorie de Walton, Tavinor montre qu’ils comptent comme un type spécifique de fiction. Les fictions vidéoludiques ont avant tout pour caractéristique de dépendre d’un arrière-plan technologique. La représentation de mondes fictionnels vidéoludiques repose en effet sur la simulation informatique en temps réel d’environnements 2D ou 3D ; qui sont à même de réagir aux inputs du joueur. Il en ressort que « les jeux vidéo sont donc souvent des fictions virtuelles […] [qui] se caractérisent par leurs media représentationnels hautement dépendants, par leur caractère réactif, ainsi que par les possibilités d’interaction qui en découlent » (p. 100). Tavinor examine plus en détail certains composants techniques des supports des fictions vidéoludiques. Parmi eux, on mentionnera la « caméra virtuelle », qui fournit (et limite) l’accès épistémique du joueur au monde fictionnel ; et le « personnage-joueur » ou avatar, qui se comprend comme « le substitut fictionnel du joueur dans le monde du jeu » (p. 125).

    21Tavinor insiste également sur le fait que la plupart des jeux vidéo sont des fictions interactives. En un sens minimal du terme, les media interactifs sont ceux qui « permettent aux utilisateurs de contrôler la séquence dans laquelle ils accèdent au contenu10 », comme c’est le cas par exemple avec les hyperliens d’un site web ou dans les « livres dont vous êtes le héros ». Les jeux (vidéo ou non) sont cependant interactifs en un sens bien plus fort. Lorsque je déplace mon cavalier en C3 aux échecs, ou que j’appuie sur un bouton de la manette pour sauter dans Super Mario World, je ne choisis pas l’ordre d’accès à un contenu prédéterminé et préexistant. Bien plutôt, ma décision et mon action constituent ou génèrent le contenu de la partie que je suis en train de jouer. Par là, j’actualise un certain état de jeu plutôt qu’un autre, ce qui singularise la partie que je joue par rapport à d’autres parties possibles. Les jeux vidéo sont donc fortement interactifs11, au sens où ce qui est affiché à l’écran varie corrélativement aux actions et inputs du joueur. La structure du jeu ne préexiste pas à l’input du joueur, mais est largement façonnée par les activités de ce dernier.

    22L’interactivité des jeux vidéo se comprend à deux niveaux. Elle est avant tout physique : la pratique vidéoludique implique un face-à-face avec la machine et requiert une interaction réelle avec le hardware (qu’il s’agisse de presser des boutons sur une manette, de manipuler un joystick, de cliquer, etc.). En ce sens, le contenu représenté dans un jeu vidéo dépend de l’interaction réelle du joueur avec le système de jeu12. Mais lorsque nous disons que le joueur « saute au-dessus de la lave » ou « affronte un monstre », l’interaction en question n’est évidemment pas physique. Elle est fictionnelle. Les jeux vidéo sont donc également interactifs au sens où le joueur « adopte un rôle fictionnel – agit – dans le monde fictionnel du jeu » (p. 106). La nature et les modalités de cet agir fictionnel, qui relie le gameplay et la fiction, est un point que Tavinor explore en détail.

    23L’interactivité forte du medium vidéoludique a pour conséquence remarquable que le joueur contribue, au moins en partie, au contenu de la fiction à laquelle il se rapporte. Dans Skyrim, vous pouvez choisir de rejoindre la « Légion Impériale » ou bien vous rallier aux « Sombrages ». Choisir une faction vous rend aussitôt ennemi de l’autre. Comme le révèle ce simple exemple, différentes parties d’un même jeu vidéo peuvent dépeindre des fictions non équivalentes. Il devient « vrai dans la fiction » de certaines parties de Skyrim que votre avatar rejoint la Légion Impériale et devient l’ennemi des Sombrages, tandis que c’est l’inverse qui est vrai dans d’autres parties.

    24C’est cette dépendance partielle du contenu fictionnel à l’égard de l’input du joueur, en dernier lieu, qui fait que les jeux vidéo sont des « fictions interactives », à la différence de la plupart des fictions traditionnelles13. En règle générale, dans un roman ou un film, la structure de l’œuvre est ce qu’elle est indépendamment de la façon dont vous y accédez : elle est déjà fixée au préalable par les créateurs de l’œuvre. Par contraste, dans les jeux vidéo, la fiction est sous le contrôle du joueur à certains égards14. Les jeux vidéo, de ce fait, semblent être moins des fictions déterminées que « des machines à fictions », qui génèrent des mondes fictionnels susceptibles de varier plus ou moins d’une partie à l’autre.

    Les jeux vidéo comme dispositifs ludiques

    25Un autre objectif des analyses de Tavinor est de situer les jeux vidéo vis-à-vis d’autres types de jeux (comme les sports, les jeux de plateau, de société, de rôle, de hasard, etc.). Il existe assurément une continuité très forte entre les jeux vidéo et ces formes plus traditionnelles de jeux, comme en attestent au premier les jeux « transmedia » (tels que les échecs ou le Sudoku), qui peuvent être transposés indifféremment d’un medium physique à un medium vidéoludique. Pourtant, les jeux vidéo peuvent se distinguer des jeux traditionnels à plusieurs niveaux.

    26Premièrement, la manière dont les règles sont présentées et mises en œuvre diffère dans les jeux vidéo et les jeux traditionnels. Les règles vidéoludiques ne sont généralement pas consignées dans un livret de règles, ni implémentées mentalement par les joueurs ou par les propriétés physiques de l’environnement de jeu. Elles sont encodées sous forme d’algorithmes dans un programme informatique, qui les exécute automatiquement. Cela permet aux jeux vidéo d’avoir des règles qui non seulement sont plus complexes que celles des jeux traditionnels, mais qui régissent en fait bien plus de paramètres que les simples « règles du jeu » au sens ordinaire. La structure algorithmique complexe du programme rend possible quelque chose que ne permettent pas les jeux traditionnels, à savoir la simulation graphique en temps réel d’un environnement dynamique et réactif, et plus précisément d’une physique où des forces multiples peuvent s’exercer et interagir entre elles. Laisser la maîtrise des règles au programme, d’autre part, permet de produire beaucoup plus systématiquement de l’aléatoire et d’en faire usage dans le gameplay, comme Tavinor y revient par exemple en considérant le phénomène de la « génération procédurale ». Enfin, le fait que ce soit le programme du jeu qui gère les règles permet à de nombreux jeux vidéo de ne pas révéler d’emblée au joueur quelles sont les règles du jeu. Celles-ci peuvent être dévoilées au cours de la partie, ou bien encodées à titre de simples potentialités que l’on peut décider d’exploiter ou non.

    27En second lieu, les jeux vidéo n’ont pas toujours des résultats « quantifiables ». Dans les jeux traditionnels, on peut savoir à l’avance ce qui compte comme une victoire, une défaite, ou un match nul, et les conditions de fin de partie sont généralement explicites. Les jeux vidéo, cependant, ne satisfont pas toujours ce desideratum. Dans un jeu vidéo comme World of Warcraft, il n’y a pas d’état final de la partie, comme le mat aux échecs ou le game over des jeux d’arcade. L’avatar du joueur ne peut jamais vraiment mourir, puisqu’il peut toujours ressusciter ou « respawner » après avoir été vaincu. La dimension multijoueur et évolutive de ce World of Warcraft fait que le jeu ne possède pas à proprement parler de dénouement. S’il y a bien des quêtes et des missions à compléter, des objets à obtenir, des lieux à explorer, il n’y a cependant pas de victoire ou de défaite, de high score, de boss final à vaincre, ou de crédits de fin. Les joueurs pourraient en principe rester indéfiniment dans le monde du jeu, continuant sans cesse à poursuivre de nouveaux objectifs ou à interagir avec d’autres. En ce sens, de nombreux jeux vidéo vont à l’encontre de cette idée d’un résultat quantifiable, que l’on retrouve dans la plupart des jeux traditionnels.

    28Enfin, à la différence des jeux traditionnels, les jeux vidéo n’assignent pas forcément des valeurs différentes aux différents résultats possibles. Dans le jeu d’échecs, il est entendu à l’avance qu’une victoire est préférable à une défaite, qu’il vaut mieux être mis pat que mat, et que certains mouvements sont contextuellement meilleurs que d’autres. Beaucoup de jeux vidéo, en revanche, ne se calquent pas sur ce modèle. Dans Les Sims, jeu vidéo publicisé comme un « simulateur de vie », les joueurs désignent un avatar (ou « Sim ») dont ils façonnent la personnalité, les hobbies, la maison, entre autres choses. Ce jeu n’a pas de but clairement défini. Vous pouvez jouer un Sim riche ou pauvre, sociable ou solitaire, célibataire ou en couple, etc. Vous pouvez à dessein le rendre malheureux. Si bon vous chante, vous pouvez même tuer votre Sim d’une pléthore de façons plus cruelles les unes que les autres. Le jeu lui-même ne prescrit et ne proscrit rien. Il ne présente pas certaines issues comme intrinsèquement préférables à d’autres. En ce sens, ce jeu laisse le joueur assigner différentes valeurs à différents résultats. C’est plus généralement aussi la marque du « jeu libre » et du gameplay émergent, dans lesquels le joueur, jusqu’à un certain point, s’assigne lui-même des objectifs et construit ses propres règles.

    29Les jeux vidéo peuvent donc différer des jeux traditionnels à plusieurs niveaux. L’une des thèses centrales de Tavinor est de dire que les jeux vidéo ont également pour caractéristique d’apparier le gameplay et la fiction : ce sont « des jeux via la fiction » (chap. v). Cela se vérifie par exemple à travers l’idée d’« affordances fictionnelles ». Une affordance se comprend comme une possibilité d’action, quelque chose qui, au sein d’un environnement, se signale par son caractère opératoire aux yeux d’un agent15. En ergonomie et en design, le terme réfère de manière plus restreinte à la capacité d’un objet à suggérer son propre usage. Comme le défend Tavinor, les environnements vidéoludiques sont composés d’affordances fictionnelles, c’est-à-dire de choses que l’on peut fictionnellement faire. Certaines parties de l’environnement de jeu se signalent explicitement comme des « actionnables ». Un objet en surbrillance, par exemple, signale généralement une possibilité d’interaction. De même, la configuration particulière de corniches ou de plateformes suggère la possibilité de se frayer un chemin en sautant sur ces dernières. L’environnement de jeu se rend ainsi lisible dans ses fonctionnalités et ses potentialités. Les affordances, cependant, ne sont pas toujours immédiatement perceptibles. Souvent, elles doivent être progressivement découvertes. Certaines prennent la forme d’incitations tacites. Lorsqu’une arme se trouve non loin de mon avatar, je ne suis pas forcé de la ramasser ni de l’utiliser. La seule présence de cet item incite toutefois tacitement à un certain type de gameplay. Jouer à un jeu vidéo, en ce sens, c’est découvrir ce que l’on peut fictionnellement faire. Les affordances de l’environnement vidéoludique encapsulent donc tout à la fois la fiction et le gameplay.

    30Enfin, il faut noter que la dimension ludique des jeux vidéo, selon Tavinor, ne se réduit pas à des aspects « formels » comme les règles ou objectifs. Outre ces caractéristiques qui relèvent du game, Tavinor insiste aussi sur différents facteurs qui conditionnent l’activité vidéoludique, c’est-à-dire le play. Cette dernière est encadrée et rendue possible par un ensemble de paramètres « situationnels ». Sous ce terme, Tavinor renvoie à un ensemble de normes d’arrière-plan, de pratiques et de comportements prescrits ou recommandés, qui régulent la pratique vidéoludique. On s’entend, par exemple, sur le fait que les jeux sont « séparés » de la vie ordinaire, au sens où ils forment un espace distinct, dans lequel les actions ont des conséquences limitées sur la vie hors du jeu. L’investissement du joueur, son engagement à respecter les règles et à se conformer à « l’esprit du jeu », la dimension solo ou multijoueur, coopérative ou compétitive, sont d’autres paramètres situationnels qui permettent d’utiliser le système formel d’un jeu pour l’inscrire dans le cadre d’une pratique ludique dotée de ses propres codes et attendus.

    Les récits vidéoludiques

    31Tavinor s’arrête également sur la question des récits vidéoludiques et de leur mode de fonctionnement. Il est clair que les jeux vidéo racontent très souvent des histoires, dans lesquelles le personnage-joueur a généralement un rôle clé. Cette mise en récit vidéoludique n’en passe pas seulement par le scénario du jeu, les dialogues ou les encarts narratifs. Elle procède aussi par l’intermédiaire des cinématiques, du level et du sound design, et du gameplay, entre autres choses. Les récits vidéoludiques posent cependant plusieurs problèmes, sur lesquels revient Tavinor en détail.

    32Avant tout, force est d’admettre que beaucoup de récits vidéoludiques sont de piètre qualité, soit parce qu’ils tendent à reprendre les codes et les clichés de mauvais films d’action, ou bien parce que les développeurs délaissent le contenu narratif au profit de l’optimisation du gameplay ou des graphismes. Dans beaucoup de cas, le récit d’un jeu vidéo semble donc inessentiel, surajouté plutôt qu’intégré au gameplay. Plus fondamentalement, Tavinor identifie une tension qui opère à plusieurs niveaux, dans les jeux vidéo, entre le gameplay et le récit. Cette tension est régulièrement palpable via les cinématiques qui viennent abruptement interrompre la partie et qui soustraient la progression de l’intrigue à l’emprise du joueur. Elle se manifeste aussi par l’impossibilité d’intégrer parfaitement les activités du personnage-joueur (parfois répétitives ou absurdes) à la trame narrative plus généralement présentée par le jeu. L’interactivité du medium vidéoludique s’avère ici plus un problème qu’une promesse, puisqu’elle rend difficile la cohabitation des éléments ludiques et diégétiques : céder le contrôle de la fiction au joueur, c’est du même coup menacer la cohérence, la plausibilité, ou la durabilité du récit. De ce fait, et comme y insiste Tavinor, la liberté ou non-linéarité du gameplay, qui est souvent valorisée par les joueurs, ne fait pas bon ménage avec le « scriptage » qui semble indispensable à la construction de récits convaincants. Bref, le gameplay implique souvent la mise à distance du récit, alors que le récit peut venir interrompre voire contrecarrer l’activité ludique.

    33Si Tavinor prend toute la mesure de ce hiatus entre gameplay et narration dans les jeux vidéo, et s’il admet que « le jeu vidéo a encore bien du chemin à faire s’il prétend offrir des récits qui soient satisfaisants pour un public adulte et artistiquement instruit » (p. 176), il évoque toutefois quelques possibilités de réconciliation amorcées dans certains jeux vidéo récents. Parmi elles, on trouve la prise en compte des actions et décisions du joueur dans le déroulement du scénario, le repli du contenu narratif sur le gameplay, la fictionnalisation du « HUD » et des menus, l’usage de cinématiques interactives, ou l’implication du joueur dans la reconstitution ou la résolution de l’intrigue. L’idée d’un récit joué, qui en passe par gameplay ou la découverte des affordances, plutôt que par les dialogues et les cinématiques, promet d’atténuer partiellement la tension précédemment évoquée. Les récits vidéoludiques semblent ainsi pouvoir recourir à différents moyens qui atténuent la tension constitutive des aspects narratifs et ludiques.

    34Peut-on envisager une intégration parfaite du gameplay et du récit au sein des jeux vidéo ? Certains pensent qu’une telle promesse se réalisera par le biais des « récits interactifs ». En un sens faible du terme, ce qualificatif s’applique bien aux jeux vidéo « à fins multiples » ou à ceux dans lesquels le joueur « est étroitement impliqué dans la découverte, l’interprétation, et la reconstruction du contenu narratif » (p. 194). Toutefois, si « récit interactif » renvoie plus fortement au projet de laisser le joueur déterminer intégralement la nature de l’intrigue en fonction de ses décisions, force est de dire que nous sommes loin d’une telle prouesse. Si certains discernent les prémisses d’un tel objectif dans les jeux à « choix multiples », les embranchements narratifs y restent cependant très limités, pour des raisons à la fois techniques et financières. Tavinor dit aussi son scepticisme quant à la possibilité d’une narration entièrement « procédurale », qui serait directement produite par le programme et générée à mesure des activités du joueur. Plus probante en revanche semble l’idée d’une « narration émergente », où le joueur crée de la narration à partir des idiosyncrasies de sa propre partie. Ainsi du joueur de Minecraft qui doit précipitamment construire son abri avant la tombée de la nuit. La narration, ici, s’invente dans l’interaction singulière du joueur avec le jeu. Comme le suggère finalement Tavinor, les procédés de la mise en récit vidéoludique restent ainsi largement à explorer16.

    Les émotions dans le jeu vidéo

    35Tavinor consacre également un chapitre entier à l’étude des émotions vidéoludiques. Le point de départ est ici le célèbre « paradoxe des émotions fictionnelles » : étant donné que les événements et personnages représentés dans les fictions sont dépourvus d’existence, comment peuvent-ils nous émouvoir ? La question se transpose de toute évidence au jeu vidéo, qui parvient incontestablement à susciter chez les joueurs toute une palette d’émotions : allégresse, frustration, tristesse, émerveillement, surprise, peur, culpabilité, etc. Comment comprendre ces émotions suscitées par les jeux vidéo, étant donné qu’elles semblent dirigées vers des états de choses dépourvus d’existence ? Bref, quel est l’objet des émotions vidéoludiques ?

    36Tavinor commence par écarter les théories qui cherchent à rendre compte des émotions vidéoludiques en termes de croyances. Selon lui, il est plus plausible de penser que l’« imagination elle-même peut nous conduire à éprouver des émotions » (p. 209). Par l’intermédiaire des représentations audiovisuelles des jeux vidéo, nous sommes conduits à imaginer ou à faire-semblant de croire que certaines choses sont le cas. S’appuyant sur la littérature récente en psychologie cognitive et en neurosciences, Tavinor suggère que les émotions vidéoludiques sont parfois déclenchées de manière automatique et inconsciente par les propriétés perceptuelles des supports graphiques (ainsi du sursaut produit par l’apparition soudaine d’un ennemi). Elles peuvent aussi être produites par des états cognitifs d’ordre supérieur, et notamment par les croyances feintes (make-beliefs) qui caractérisent l’engagement imaginatif. Par exemple, ce qui est affiché à l’écran me permet d’imaginer qu’il y a un mutant devant moi et que celui-ci représente une menace, ce qui produira en moi une réaction émotionnelle de peur ou de panique.

    37Tavinor examine aussi de plus près certaines manières spécifiques par lesquelles les jeux vidéo suscitent des émotions. La peur, en général, procède d’une limitation épistémique imposée au joueur, qui peut par exemple être produite par le positionnement de la caméra virtuelle, l’obscurité de l’environnement, le « brouillage des scènes auditives », ou la restriction du pouvoir d’agir du personnage-joueur. La curiosité peut être suscitée par les environnements ouverts et non linéaires qui sont propres à encourager le plaisir de l’exploration et du vagabondage. Tavinor revient aussi sur la manière dont les jeux vidéo suscitent la compassion. Dans la mesure où ceux-ci sont généralement cantonnés à la représentation externe d’actions, ils peuvent difficilement donner accès au vécu « interne » des protagonistes, comme le font souvent les œuvres littéraires. Pourtant, ils peuvent susciter la pitié chez les joueurs, lorsqu’ils donnent une épaisseur narrative et une dimension tragique aux personnages. Des jeux comme Bioshock ou Spec Ops, plus radicalement, mettent directement le joueur en face des conséquences fictionnelles de ses actes violents ou immoraux. Cela s’avère être un moyen efficace de produire de la culpabilité chez le joueur ; une émotion qui ne se retrouve généralement pas dans notre interaction avec d’autres formes de fictions.

    38Tavinor insiste enfin sur le fait que les jeux vidéo ont ceci d’intéressant qu’ils intègrent les émotions à l’activité ludique et à la fiction. Les émotions du joueur ont une fonctionnalité dans le gameplay. Par exemple, la peur incite à la prudence ou à la fuite, la curiosité encourage l’exploration, la frustration invite à la persévérance. Les réactions émotionnelles du joueur sont également intégrées à la fiction : si j’éprouve de la compassion envers un personnage qui ne me veut aucun mal et qui possède une histoire tragique, mon émotion est susceptible de guider ou de façonner ma réponse fictionnelle au monde du jeu. Dans les jeux vidéo, autrement dit, les émotions ont une incidence sur ce que fait fictionnellement le joueur. En cela, elles deviennent elles-mêmes des supports du jeu de faire semblant, et de là, des parties du monde fictionnel. Cette intégration des émotions à la fiction renforce l’immersivité et la richesse des fictions vidéoludiques. Pour Tavinor, cette « aptitude des jeux vidéo à mobiliser nos émotions sociales et à les utiliser pour conférer un supplément de sens à nos actions au sein du jeu […] est ce qu’il y a de vraiment prometteur pour l’art futur des jeux vidéo » (p. 224).

    Faut-il avoir peur des jeux vidéo ?

    39Les jeux vidéo soulèvent également une foule de préoccupations éthiques. On s’inquiète régulièrement d’un lien entre l’exposition répétée à des scènes de violence graphique et la violence réelle, de l’influence des jeux vidéo sur le comportement des enfants, et des valeurs potentiellement nocives qu’ils véhiculent. Le sujet fait fréquemment les gros titres, certains ayant même prétendu déceler un lien entre la pratique des FPS (« first-person shooter ») et les tueries de masse en milieu scolaire aux États-Unis.

    40Tavinor aborde sans détour ces critiques récurrentes du medium vidéoludique. Il faut commencer par admettre que les jeux vidéo sont parfois choquants et dérangeants. Il n’est pas dénué de signification morale que l’on puisse battre une prostituée à mort dans Grand Theft Auto V ou torturer gratuitement notre avatar dans Les Sims. La violence vidéoludique est d’autant plus problématique que le photoréalisme des jeux récents tend à lui donner un tour plus cru. Surtout, l’interactivité du medium fait que c’est le joueur qui se trouve partiellement à l’origine de cette violence, ce qui « semble le rendre bien plus complice de l’immoralité fictionnelle représentée à l’écran » (p. 243). D’un autre côté, beaucoup seront d’avis qu’on ne doit pas céder à la panique morale. Après tout, personne n’est vraiment lésé, lorsque j’abats un ennemi dans Counter-Strike ou que je maltraite mon Sim. Il ne faut pas oublier que « ce n’est qu’un jeu ». Si je ne fais effectivement de mal à personne, pourquoi penser que la violence vidéoludique serait préoccupante ou même condamnable ?

    41Tavinor examine, avant d’écarter, les critiques morales de type conséquentialiste, qui attaquent les jeux vidéo en raison des effets qu’ils auraient supposément sur les joueurs. Un premier problème est que les études à ce sujet restent lacunaires et qu’elles sont peu concluantes, que ce soit en raison de biais méthodologiques ou par manque de méta-analyses. Il y a lieu de penser, en ce sens, que « l’effet des jeux vidéo sur les attitudes, les valeurs et les comportements extérieurs à la pratique vidéoludique n’a pas été démontré à la satisfaction générale » (p. 235). Surtout, le plaidoyer conséquentialiste souffre de lacunes argumentatives. Premièrement, quand bien même nous pourrions démontrer l’existence d’un « effet observé » du jeu vidéo sur les comportements agressifs ou violents, reste plus fondamentalement à démontrer que « l’immoralité fictionnelle est aussi réellement immorale » (p. 238). Ensuite, il y a lieu de douter que l’approche conséquentialiste soit réellement suffisante pour expliquer les intuitions morales que nous avons au sujet des jeux vidéo. Le meurtre fictionnel, dans la pratique vidéoludique, ne nous choque généralement pas. Après tout, personne n’est véritablement lésé : « c’est juste de la fiction ». Pourtant, nous serions indubitablement dérangés par un jeu vidéo dans lequel nous pourrions commettre des agressions sexuelles sur des enfants. Prétendre que de tels actes n’auraient pas d’importance morale, dans la mesure où ils sont fictionnels et ne font pas de victimes réelles, semble hautement contestable. Ce problème, qui est très discuté dans la littérature17, révèle selon Tavinor les limites foncières du conséquentialisme, puisqu’il montre que nos intuitions morales au sujet des jeux vidéo « persistent même en l’absence de conséquences notables » (p. 232).

    42Tavinor juge que la critique morale du jeu vidéo est plus convaincante lorsqu’elle se construit comme l’idée que les représentations graphiques ou les fictions vidéoludiques pourraient elles-mêmes faire directement l’objet d’une évaluation morale, quoi qu’il en soit de leurs conséquences réelles ou supposées18. Nous pouvons dénoncer un roman qui fait l’apologie du viol ou de l’esclavage non en raison de ses supposées conséquences, mais simplement au motif que le contenu de cette fiction ou le point de vue qu’elle adopte est intrinsèquement dérangeant. Il en va exactement de même dans le cas des jeux vidéo. Ce n’est pas parce que des représentations ou des actions sont fictionnelles qu’elles ne sauraient faire l’objet d’une évaluation morale. L’excuse du type « ce n’est qu’un jeu » ou « c’est juste une fiction » montre ici ses limites.

    43Tavinor mentionne cependant divers facteurs qui peuvent atténuer les préventions morales à l’encontre du jeu vidéo. Premièrement, le contexte dans lequel est présenté le contenu vidéoludique peut complètement changer sa valeur morale. La description minutieuse d’un crime horrible dans un rapport de police n’est pas moralement condamnable, alors qu’elle le serait peut-être dans d’autres cas, comme dans un magazine people sensationnaliste. De même, un jeu vidéo qui représenterait de manière crue la violence infligée aux femmes dans l’objectif explicite de sensibiliser le public à ce sujet ne semblerait pas moralement condamnable, étant donné ce facteur contextuel. Ce sont moins les représentations choquantes ou violentes en elles-mêmes qui nous semblent répréhensibles que « celles qui sont dépourvues de tout contexte amoindrissant ou atténuant » (p. 245). De même, Tavinor remarque que l’humour peut venir tempérer et contextualiser le contenu fictif choquant ou apparemment immoral. Le gore, le démembrement de zombies ou de mutants, sont souvent dépeints de manières dérisoires et grotesques, et sont donc à prendre au second degré. De même, comprendre que la violence des jeux de la série GTA emporte une forme de satire sociale et d’humour noir permet d’en relativiser la portée.

    44Tavinor rappelle aussi qu’une bonne part de la violence vidéoludique n’existe qu’en tant que condition de possibilité du gameplay. Les ennemis, dans les jeux de tir en première personne, tiennent souvent lieu de « chair à canon vidéoludique », qui n’existent au fond qu’en tant qu’obstacles ludiques. Le joueur n’y voit généralement pas autre chose. Il abat ces adversaires non parce qu’il prendrait plaisir à tuer fictionnellement, mais simplement pour les objectifs du gameplay. Autre manière de dire que la défense du type « ce n’est qu’un jeu » n’est pas sans fondement : la violence ou le contenu graphiquement choquant ne sont souvent que des prétextes au gameplay.

    45S’il n’ignore pas ce que le contenu vidéoludique peut avoir de préoccupant ou de dérangeant, Tavinor défend finalement que le « jeu vidéo et les joueurs sont bien plus réfléchis qu’on ne leur accorde souvent » (p. 249), et que le medium montre des signes de maturation sur le plan éthique. Les critiques morales catégoriques, de ce point de vue, ne sont pas satisfaisantes. On doit leur préférer une évaluation plus fine, qui suppose de prêter attention, au cas par cas, au contenu des jeux vidéo, à leur ton, au point de vue qu’ils expriment, etc.

    Le jeu vidéo comme forme d’art

    46Pour finir, Tavinor demande si les jeux vidéo peuvent raisonnablement être considérés comme une forme d’art. Cette interrogation ne se confond pas avec la question de savoir si les procédés et techniques propres au medium vidéoludique peuvent être utilisés à des fins artistiques ou être intégrés à des œuvres d’art, comme c’est le cas dans le « machinima » ou dans certaines œuvres d’art contemporain. Il ne s’agit pas non plus de demander si la confection d’un jeu vidéo implique l’exercice d’un art, au sens où elle emporterait un savoir-faire ou une maîtrise technique. Ce que Tavinor veut examiner, c’est la question de savoir si les jeux vidéo sont de l’art au sens fort du terme, de même par exemple que le sont Les Ménines, Hamlet, ou les cantates de Bach.

    47Intuitivement, beaucoup pourraient vouloir répondre par la négative à cette question. Si j’allais aborder un inconnu en train de jouer sur son téléphone dans le métro, en lui demandant quelle œuvre d’art il est en train de contempler, il me regarderait sans doute avec perplexité. Ne serait-il pas étrange de dire que jouer à Sonic ou à Dark Souls revient à apprécier une œuvre d’art, exactement de la même façon que lorsque je vais me promener au Louvre ou admirer Notre-Dame ? Aux yeux de certains, comme le journaliste et critique cinématographique Roger Ebert, la réponse semble de toute évidence négative :

    « À ma connaissance, personne […] n’a jamais été capable de citer un seul jeu vidéo qui serait digne d’être comparé aux œuvres des grands dramaturges, poètes, réalisateurs, romanciers, et compositeurs. Qu’un jeu puisse aspirer à une importance artistique en tant qu’expérience visuelle, je veux bien l’admettre. Mais pour la plupart des joueurs, les jeux vidéo représentent une perte de ces heures précieuses que nous avons à disposition pour nous rendre plus cultivés, civilisés, et empathiques19. »

    48On fera cependant remarquer, contre ce genre de préventions, que la question du mérite artistique (« est-ce de l’art réussi, ou de qualité ? ») ne se confond pas avec celle du statut artistique (« est-ce de l’art ? »). Tavinor est le premier à admettre que beaucoup de jeux vidéo restent incomparables en termes de qualités artistiques aux chefs-d’œuvre de la littérature et d’autres formes d’art, et que beaucoup sont tout simplement dépourvus de mérite artistique. Toutefois, force est aussi d’admettre que la même remarque s’applique à peu près à toutes les formes d’art, où la plupart des œuvres sont médiocres ou mauvaises. Dire que les jeux vidéo ne sont souvent que des divertissements puérils ne semble pas non plus un bon argument ; car la même remarque vaut également pour beaucoup de choses qui sont pourtant considérées comme des œuvres d’art de plein droit.

    49La question de savoir si le jeu vidéo est de l’art suppose bien sûr d’avoir une certaine compréhension de ce qu’est l’art. Tavinor propose de reprendre à son compte les approches « cluster » de l’art, comme celles de Denis Dutton et Bery Gaut. Ces théories défendent que l’art ne saurait être défini via un ensemble de conditions nécessaires et suffisantes, mais qu’il doit plutôt être caractérisé par le biais d’un ensemble disjonctif de conditions qui, lorsqu’elles sont satisfaites, font pencher la balance en faveur du fait qu’un objet compte comme de l’art. En ce sens, il ne s’agit pas de nier qu’il puisse exister des œuvres d’art qui échouent à satisfaire l’une ou plusieurs de ces conditions. La théorie cluster affirme simplement qu’« on ne saurait imaginer d’œuvre privée de la plupart d’entre elles » (p. 262).

    50Parmi les conditions identifiées dans les théories cluster de Gaut et Dutton, on trouve notamment : le fait de susciter un plaisir en vertu de qualités esthétiques, le fait d’être une représentation, de susciter une expérience imaginative, de refléter un talent ou une virtuosité, d’exemplifier un style, de faire montre d’innovation et de créativité, d’exprimer une individualité, de donner lieu à des activités de critique, de susciter un défi intellectuel, et de s’inscrire dans une tradition et des institutions artistiques. Tavinor montre pas à pas que les jeux vidéo satisfont tous ces critères, si bien qu’ils comptent effectivement comme de l’art aux yeux de la théorie cluster. Non sans mordant, il avance même qu’ils ont une meilleure prétention à ce titre que certaines productions de l’art contemporain, qui ne semblent exister qu’afin d’alimenter les polémiques et les arguties : « les jeux vidéo semblent posséder une plus grande part du cluster de propriétés qui caractérisent les œuvres d’art […] que certaines instances de l’art contemporain d’avant-garde, qui paraissent souvent dépourvues de telles qualités » (p. 285). Autant dire que si nous acceptons de considérer Fountain comme une œuvre d’art, nous avons d’autant moins de raisons de refuser d’appliquer ce même label à Skyrim ou Bloodborne.

    51Si les jeux vidéo ont de très nombreux points communs avec les œuvres d’art, ils possèdent néanmoins certaines caractéristiques qui ne sont pas typiques de l’art. L’activité de jeu libre, la présence de règles et d’objectifs, la résolution de puzzle et d’énigmes, par exemple, ne sont pas des qualités standards des œuvres d’art. Certains aspects des jeux vidéo semblent même compter contre l’idée qu’ils puissent être des œuvres d’art. C’est le cas par exemple du gameplay compétitif, dans la mesure où « les activités compétitives, y compris celles qui possèdent des qualités esthétiques, sont plus souvent caractérisées comme des jeux ou des sports20 ». On ne considère pas un match de football ou une partie d’échecs comme des œuvres d’art. Pourquoi en irait-il alors autrement avec des jeux vidéo d’échecs ou de football comme Playchess ou Fifa 22 ?

    52En guise de réponse, Tavinor défend que rien n’empêche d’élargir la théorie cluster et d’y ajouter de nouveaux critères : « les jeux vidéo sont un ornithorynque culturel, qui relie des catégories – l’art et le jeu – autrefois jugées distinctes. À l’instar les ornithorynques non métaphoriques, leur découverte devrait occasionner la révision subtile de nos schèmes classificatoires » (p. 283). Après tout, notre compréhension de l’art a évolué au fil du temps, souvent à l’aune de révolutions techniques. Aussi peut-on défendre que « la révolution des fictions numériques interactives a équipé les artistes de l’aptitude à explorer et à développer des champs largement inédits de possibilité artistique ». Tavinor en reste toutefois à une conclusion mesurée : il est possible que la philosophie de l’art en vienne à réviser les conditions qui comptent en faveur du fait qu’une chose soit de l’art, pour y inclure plus nettement les jeux vidéo. Mais l’inverse est possible. À tout le moins doit-on reconnaître, si l’on accepte de caractériser les jeux vidéo comme de l’art, qu’ils sont « un art singulier, qui possède notamment ses propres modes d’appréciation » (p. 282).

     

    53Pour finir, disons que ce livre opère un travail remarquable d’analyse de ce medium passablement récent qu’est le jeu vidéo, en prenant le parti de les considérer principalement à partir d’une théorie philosophique de la fiction21. L’étude de Tavinor a ceci d’intéressant qu’elle propose une vue d’ensemble des problèmes philosophiques que pose le jeu vidéo. Un autre de ses mérites est que le propos s’appuie systématiquement sur des exemples concrets et des anecdotes de gameplay. Ce livre se veut donc accessible à tous ceux qui s’interrogent sur le medium et la pratique vidéoludiques, qu’ils soient ou non des gamers aguerris.

    54Nombre des thèses avancées par Tavinor, bien sûr, sont discutables. Ainsi de la défense morale partielle du jeu vidéo esquissée ici, que certains jugeront trop légère pour pleinement convaincre. De même pour la défense du statut artistique des jeux vidéo, qui suppose d’accepter une théorie cluster de l’art. Il semble également contestable de dire, comme le fait Tavinor, que les jeux vidéo les plus anciens « semblent bien moins artistiques que les jeux récents » (p. 267). Un tel parti pris le conduit à penser que Pacman et Spacewar ne comptent vraisemblablement pas comme de l’art, à la différence de Skyrim ou de BioShock. Cette position semble difficilement tenable, dans la mesure où les premiers jeux vidéo possédaient déjà nombre des caractéristiques que Tavinor juge caractéristiques de l’art. Elle est aussi mise à mal par la popularité actuelle du retro gaming et par l’abandon du photoréalisme dans beaucoup de jeux vidéo récents, qui en reviennent à une esthétique pixélisée et des bandes-son 8-bits.

    55L’ouvrage passe également sous silence certains points qui auraient mérité un examen plus poussé. Par exemple, Tavinor ne s’étend pas ici sur la question de savoir ce qui fait que deux artefacts ou parties données sont des instances d’un même jeu vidéo, ni ne précise à quel type de modification un jeu vidéo peut survivre tout en restant le « même » jeu vidéo22. Un autre aspect relativement négligé dans l’ouvrage est celui de la valeur cognitive ou épistémique des jeux vidéo, qui ne concerne d’ailleurs pas forcément seulement les serious games et les jeux expressifs ou engagés23. D’autres sujets, enfin, ne sont pas traités dans cette étude, mais simplement dans la mesure où le jeu vidéo a continué d’évoluer rapidement depuis la fin des années 2000. Ainsi par exemple du jeu sur smartphone, du développement de la scène des jeux indie, de phénomènes tels que le streaming ou le speedrun, ou de la technologie « réalité virtuelle » (à laquelle Tavinor a consacré son dernier livre24).

    56S’il appelle donc à la discussion, l’ouvrage de Tavinor a ceci d’intéressant qu’il révèle la nature plurielle et complexe des jeux vidéo. Jouer à un jeu vidéo, ce n’est simplement jouer à un jeu. C’est aussi s’engager dans une activité imaginative, suivre le fil d’un récit, éprouver des émotions qui alimentent et orientent le gameplay, décrypter les affordances d’un environnement, apprendre à maîtriser une gestuelle, reconnaître des patterns, déchiffrer des énigmes, et prendre un plaisir esthétique à certaines qualités. Si Tavinor a raison, c’est aussi parfois entrer aux prises avec une œuvre d’art. Quoi qu’il en soit, cette étude permet de mesurer que l’esthétique philosophique ne saurait ignorer cet « ornithorynque culturel » qu’est le jeu vidéo25.

    Notes de bas de page

    1 À titre d’exception notable, on mentionnera l’ouvrage de Mathieu Triclot : Philosophie des jeux vidéo, Paris, Zones, 2011.

    2 Sous cette appellation, on désigne les environnements de jeu en ligne qui continuent d’exister et d’évoluer même après que le joueur se déconnecte. L’un des mondes persistants les plus célèbres, que Tavinor évoque dans cet ouvrage, est celui de World of Warcraft.

    3 Pour un aperçu de cet envers du décor de la création vidéoludique, voir Olivier Lejade et Mathieu Triclot (dir.), La fabrique des jeux vidéo. Au cœur du gameplay, Paris, Éditions de La Martinière, 2013.

    4 Ces acronymes barbares signifient, respectivement : « Role-Playing Game » (jeu de rôle), « First Person Shooter » (jeu de tir en première personne), « Real-Time Strategy » (jeu de stratégie en temps réel), « Multiplayer Online Battle Arena » (arène de bataille en ligne multijoueur). Ce qui ne représente que quelques genres vidéoludiques, parmi bien d’autres.

    5 Sur la gamification et ses enjeux, voir Jane McGonigal, Reality is Broken: Why Games Make Us Better and How They Can Change The World, New York, Penguin Book, 2011 ; ainsi que Steffen Walz et Sebastian Deterding (éd.), The Gameful World: Approaches, Issues, Applications, Cambridge, MA, MIT Press, 2015.

    6 Rappelons L’art des jeux vidéo a été publié en 2009. Étant donné la rapidité avec laquelle le jeu vidéo évolue, certaines choses qui apparaissaient inédites ou novatrices à Tavinor sont déjà de l’histoire ancienne de notre point de vue. S’il n’enlève rien à la pertinence de son propos, le côté un peu daté de certaines de ses analyses est un point à garder en mémoire en lisant ce livre.

    7 Voir Ludwig Wittgenstein, Recherches philosophiques, Paris, Gallimard, 2005, § 66-67.

    8 On pourrait rétorquer qu’il existe une pléthore de jeux vidéo « éducatifs » ou « sérieux », qui visent autre chose que la production d’un divertissement. Tavinor anticipe cette objection et répond que ce genre de finalité extrinsèque (qu’elle soit éducative, scientifique, commerciale) compte dans ce cas une fonction étendue (extended function), qui présuppose une fonction « locale » ou « propre » de divertissement.

    9 Voir Kendall Walton, Mimesis as Make-Believe. On the Foundations of the Representational Arts, Cambridge MA, Harvard University Press. Pour une étude de la pensée de Walton, voir Guillaume Schuppert, Retour à la mimêsis. La philosophie de Kendall L. Walton, Rennes, PUR, 2021.

    10 Dominic Lopes, « The Ontology of Interactive Art », Journal of Aesthetic Education, vol. 35, no 4, 2001, p. 67.

    11 Ibid., p. 68.

    12 Cette analyse correspond à la notion courante d’interactivité. Deux items sont dits interagir lorsque l’action ou le comportement de l’un a un effet sur l’autre et inversement. L’interactivité se comprend ainsi comme un processus d’action réciproque et d’influence mutuelle. Dans le cas des jeux vidéo, les relata de cette boucle de feedback sont le joueur, d’une part, et le couple software/hardware de l’autre, c’est-à-dire le programme en tant qu’il est exécuté sur une plateforme matérielle.

    13 Il serait erroné de considérer que seuls les jeux vidéo sont des fictions interactives. Une telle caractérisation, comme le note Tavinor, s’applique aussi bien à des choses comme « le théâtre improvisé, la pantomime, le jeu de rôle papier, ou les jeux enfantins de faire-semblant » (p. 111).

    14 La distinction waltonienne entre « monde de l’œuvre » et « monde de jeu », de ce fait, se trouve affaiblie dans les jeux vidéo. Sur ce point, voir les explications de Tavinor au chapitre iii, ainsi que Jon Robson et Aaron Meskin, « Video Games as Self-Involving Interactive Fictions », Journal of Aesthetics and Art Criticism, vol. 75, no 2, p. 184-187.

    15 Voir James J. Gibson, The Ecological Approach to Visual Perception, Boston, Houghton-Mifflin, 1979.

    16 Pour une étude de la narration vidéoludique, voir notamment Fanny Barnabé, Narration et jeu vidéo. Pour une exploration des univers fictionnels, Liège, Presses universitaires de Liège, 2018 ; et Pierre-William Frégonèse, Raconteurs d’histoires : les 1 000 visages du scénariste de jeu vidéo, Paris, Pix’n Love Éditions, 2019.

    17 Voir Morgan Luck, « The Gamer’s Dilemma: An Analysis of the Arguments for the Moral Distinction between Virtual Murder and Virtual Paedophilia », Ethics and Information Technology, vol. 11, no 1, 2009, p. 31-36. Ce problème a donné lieu à de nombreuses discussions. À ce sujet, on pourra notamment consulter : Christopher Bartel, « Resolving the Gamer’s Dilemma », Ethics and Information Technology, vol. 14, no 1, 2012, p. 11-16 ; Stephanie Patridge, « The Incorrigible Social Meaning of Video Game Imagery », Ethics and Information Technology, vol. 13, no 4, 2011, p. 303-312 ; Ali Rami, « A New Solution to the Gamer’s Dilemma », Ethics and Information Technology, vol. 17, no 4, 2015, p. 267-274 ; et Garry Young, Resolving the Gamer’s Dilemma, Cham, Springer International Publishing, 2016.

    18 Pour une discussion récente à ce sujet, voir Christopher Bartel, Video Games, Violence, and the Ethics of Fantasy, Londres, Bloomsbury Academic, 2020.

    19 Roger Ebert, « Why did the chicken cross the genders? », Chicago Sun-Times, 27-11-2005. Voir [https://www.rogerebert.com/answer-man/why-did-the-chicken-cross-the-genders] (consulté le 03-03-2022).

    20 Brock Rough, « The Incompatibility of Games and Artworks », Journal of the Philosophy of Games, vol. 1, no 1, 2018, p. 1-21.

    21 D’autres approches sont cependant possibles. Le jeu vidéo peut être abordé dans sa relation aux œuvres filmiques (Berys Gaut, A Philosophy of Cinematic Art, Cambridge, Cambridge University Press, 2010), aux arts de masse (Noël Carroll, A Philosophy of Mass Art, Oxford, Clarendon Press, 1998), aux arts interactifs (Dominic Lopes, A Philosophy of Computer Art, Abington, Routledge, 2009), ou encore, dans le prolongement de la philosophie du sport et en tant que medium de « l’agentivité » (Thi Nguyen, Games: Agency as Art, New York, Oxford University Press, 2020).

    22 Sur cette question, voir par exemple Shelby Moser, « Videogame Ontology, Constitutive Rules, and Algorithms », in Robson J. et Tavinor G. (éd.), The Aesthetics of Videogames, Londres, Routledge, 2008, p. 42-59 ; et Alexandre Declos, « Fact, Fiction, and Virtual Worlds », in Pouivet R. et Granata V. (dir.), Épistémologie de l’esthétique, Rennes, PUR, 2020, p. 195-219.

    23 Voir Alexandre Declos, « Videogame Cognitivism », Journal for the Philosophy of Games, vol. 3, no 1, 2021, p. 1-31.

    24 Grant Tavinor, The Aesthetics of Virtual Reality, Londres/New York, Routledge, 2021.

    25 Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont aidé dans ce projet de traduction. Parmi elles : Grant Tavinor, Pierre-Henry Frangne, Arnaud Guilloux, Roger Pouivet, Annie Declos, Guillaume Schuppert, Alexis Anne-Braun, Clément Bachellerie, et Pierre-William Frégonèse.

    Auteur

    Alexandre Declos

    Collège de France

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    Voir plus de livres
    Comprendre la mise en abyme

    Comprendre la mise en abyme

    Arts et médias au second degré

    Tonia Raus et Gian Maria Tore (dir.)

    2019

    Le cinéaste et le philosophe

    Le cinéaste et le philosophe

    Philippe Grosos

    2020

    La philosophie architecturale de Le Corbusier

    La philosophie architecturale de Le Corbusier

    Construire des normes

    Mickaël Labbé

    2021

    Retour à la mimêsis

    Retour à la mimêsis

    La philosophie de Kendall L. Walton

    Guillaume Schuppert

    2021

    Le nocturne et l’émergence de la couleur

    Le nocturne et l’émergence de la couleur

    Cinéma et photographie

    Judith Langendorff

    2021

    Penser la laideur dans l’art italien de la Renaissance

    Penser la laideur dans l’art italien de la Renaissance

    De la dysharmonie à la belle laideur

    Olivier Chiquet

    2022

    Du sublime dans l’œuvre gravé de Rembrandt

    Du sublime dans l’œuvre gravé de Rembrandt

    Claire Charrier

    2022

    L’engagement esthétique

    L’engagement esthétique

    Arnold Berleant Bertrand Rougé (trad.)

    2022

    Le théâtre et la vie

    Le théâtre et la vie

    Éthiques et scènes contemporaines

    Rochel Rajalu

    2021

    L’esthétique, une philosophie de la perception

    L’esthétique, une philosophie de la perception

    Bence Nanay Jacques Morizot (trad.)

    2021

    Penser le discours musical électroacoustique

    Penser le discours musical électroacoustique

    Trajectoire Boulez-Nono

    Kevin Gohon

    2022

    Un art documentaire

    Un art documentaire

    Enjeux esthétiques, politiques et éthiques

    Aline Caillet et Frédéric Pouillaude (dir.)

    2017

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    Tonia Raus et Gian Maria Tore (dir.)

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    Judith Langendorff

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    De la dysharmonie à la belle laideur

    Olivier Chiquet

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    Du sublime dans l’œuvre gravé de Rembrandt

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    1 À titre d’exception notable, on mentionnera l’ouvrage de Mathieu Triclot : Philosophie des jeux vidéo, Paris, Zones, 2011.

    2 Sous cette appellation, on désigne les environnements de jeu en ligne qui continuent d’exister et d’évoluer même après que le joueur se déconnecte. L’un des mondes persistants les plus célèbres, que Tavinor évoque dans cet ouvrage, est celui de World of Warcraft.

    3 Pour un aperçu de cet envers du décor de la création vidéoludique, voir Olivier Lejade et Mathieu Triclot (dir.), La fabrique des jeux vidéo. Au cœur du gameplay, Paris, Éditions de La Martinière, 2013.

    4 Ces acronymes barbares signifient, respectivement : « Role-Playing Game » (jeu de rôle), « First Person Shooter » (jeu de tir en première personne), « Real-Time Strategy » (jeu de stratégie en temps réel), « Multiplayer Online Battle Arena » (arène de bataille en ligne multijoueur). Ce qui ne représente que quelques genres vidéoludiques, parmi bien d’autres.

    5 Sur la gamification et ses enjeux, voir Jane McGonigal, Reality is Broken: Why Games Make Us Better and How They Can Change The World, New York, Penguin Book, 2011 ; ainsi que Steffen Walz et Sebastian Deterding (éd.), The Gameful World: Approaches, Issues, Applications, Cambridge, MA, MIT Press, 2015.

    6 Rappelons L’art des jeux vidéo a été publié en 2009. Étant donné la rapidité avec laquelle le jeu vidéo évolue, certaines choses qui apparaissaient inédites ou novatrices à Tavinor sont déjà de l’histoire ancienne de notre point de vue. S’il n’enlève rien à la pertinence de son propos, le côté un peu daté de certaines de ses analyses est un point à garder en mémoire en lisant ce livre.

    7 Voir Ludwig Wittgenstein, Recherches philosophiques, Paris, Gallimard, 2005, § 66-67.

    8 On pourrait rétorquer qu’il existe une pléthore de jeux vidéo « éducatifs » ou « sérieux », qui visent autre chose que la production d’un divertissement. Tavinor anticipe cette objection et répond que ce genre de finalité extrinsèque (qu’elle soit éducative, scientifique, commerciale) compte dans ce cas une fonction étendue (extended function), qui présuppose une fonction « locale » ou « propre » de divertissement.

    9 Voir Kendall Walton, Mimesis as Make-Believe. On the Foundations of the Representational Arts, Cambridge MA, Harvard University Press. Pour une étude de la pensée de Walton, voir Guillaume Schuppert, Retour à la mimêsis. La philosophie de Kendall L. Walton, Rennes, PUR, 2021.

    10 Dominic Lopes, « The Ontology of Interactive Art », Journal of Aesthetic Education, vol. 35, no 4, 2001, p. 67.

    11 Ibid., p. 68.

    12 Cette analyse correspond à la notion courante d’interactivité. Deux items sont dits interagir lorsque l’action ou le comportement de l’un a un effet sur l’autre et inversement. L’interactivité se comprend ainsi comme un processus d’action réciproque et d’influence mutuelle. Dans le cas des jeux vidéo, les relata de cette boucle de feedback sont le joueur, d’une part, et le couple software/hardware de l’autre, c’est-à-dire le programme en tant qu’il est exécuté sur une plateforme matérielle.

    13 Il serait erroné de considérer que seuls les jeux vidéo sont des fictions interactives. Une telle caractérisation, comme le note Tavinor, s’applique aussi bien à des choses comme « le théâtre improvisé, la pantomime, le jeu de rôle papier, ou les jeux enfantins de faire-semblant » (p. 111).

    14 La distinction waltonienne entre « monde de l’œuvre » et « monde de jeu », de ce fait, se trouve affaiblie dans les jeux vidéo. Sur ce point, voir les explications de Tavinor au chapitre iii, ainsi que Jon Robson et Aaron Meskin, « Video Games as Self-Involving Interactive Fictions », Journal of Aesthetics and Art Criticism, vol. 75, no 2, p. 184-187.

    15 Voir James J. Gibson, The Ecological Approach to Visual Perception, Boston, Houghton-Mifflin, 1979.

    16 Pour une étude de la narration vidéoludique, voir notamment Fanny Barnabé, Narration et jeu vidéo. Pour une exploration des univers fictionnels, Liège, Presses universitaires de Liège, 2018 ; et Pierre-William Frégonèse, Raconteurs d’histoires : les 1 000 visages du scénariste de jeu vidéo, Paris, Pix’n Love Éditions, 2019.

    17 Voir Morgan Luck, « The Gamer’s Dilemma: An Analysis of the Arguments for the Moral Distinction between Virtual Murder and Virtual Paedophilia », Ethics and Information Technology, vol. 11, no 1, 2009, p. 31-36. Ce problème a donné lieu à de nombreuses discussions. À ce sujet, on pourra notamment consulter : Christopher Bartel, « Resolving the Gamer’s Dilemma », Ethics and Information Technology, vol. 14, no 1, 2012, p. 11-16 ; Stephanie Patridge, « The Incorrigible Social Meaning of Video Game Imagery », Ethics and Information Technology, vol. 13, no 4, 2011, p. 303-312 ; Ali Rami, « A New Solution to the Gamer’s Dilemma », Ethics and Information Technology, vol. 17, no 4, 2015, p. 267-274 ; et Garry Young, Resolving the Gamer’s Dilemma, Cham, Springer International Publishing, 2016.

    18 Pour une discussion récente à ce sujet, voir Christopher Bartel, Video Games, Violence, and the Ethics of Fantasy, Londres, Bloomsbury Academic, 2020.

    19 Roger Ebert, « Why did the chicken cross the genders? », Chicago Sun-Times, 27-11-2005. Voir [https://www.rogerebert.com/answer-man/why-did-the-chicken-cross-the-genders] (consulté le 03-03-2022).

    20 Brock Rough, « The Incompatibility of Games and Artworks », Journal of the Philosophy of Games, vol. 1, no 1, 2018, p. 1-21.

    21 D’autres approches sont cependant possibles. Le jeu vidéo peut être abordé dans sa relation aux œuvres filmiques (Berys Gaut, A Philosophy of Cinematic Art, Cambridge, Cambridge University Press, 2010), aux arts de masse (Noël Carroll, A Philosophy of Mass Art, Oxford, Clarendon Press, 1998), aux arts interactifs (Dominic Lopes, A Philosophy of Computer Art, Abington, Routledge, 2009), ou encore, dans le prolongement de la philosophie du sport et en tant que medium de « l’agentivité » (Thi Nguyen, Games: Agency as Art, New York, Oxford University Press, 2020).

    22 Sur cette question, voir par exemple Shelby Moser, « Videogame Ontology, Constitutive Rules, and Algorithms », in Robson J. et Tavinor G. (éd.), The Aesthetics of Videogames, Londres, Routledge, 2008, p. 42-59 ; et Alexandre Declos, « Fact, Fiction, and Virtual Worlds », in Pouivet R. et Granata V. (dir.), Épistémologie de l’esthétique, Rennes, PUR, 2020, p. 195-219.

    23 Voir Alexandre Declos, « Videogame Cognitivism », Journal for the Philosophy of Games, vol. 3, no 1, 2021, p. 1-31.

    24 Grant Tavinor, The Aesthetics of Virtual Reality, Londres/New York, Routledge, 2021.

    25 Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont aidé dans ce projet de traduction. Parmi elles : Grant Tavinor, Pierre-Henry Frangne, Arnaud Guilloux, Roger Pouivet, Annie Declos, Guillaume Schuppert, Alexis Anne-Braun, Clément Bachellerie, et Pierre-William Frégonèse.

    L’art des jeux vidéo

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    Declos, A. (2024). Préface. In L’art des jeux vidéo (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.195584
    Declos, Alexandre. « Préface ». In L’art des jeux vidéo. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2024. https://doi.org/10.4000/books.pur.195584.
    Declos, Alexandre. « Préface ». L’art des jeux vidéo, Presses universitaires de Rennes, 2024, https://doi.org/10.4000/books.pur.195584.

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    Tavinor, G. (2024). L’art des jeux vidéo (A. Declos, trad.; 1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.195161
    Tavinor, Grant. L’art des jeux vidéo. Traduit par Alexandre Declos. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2024. https://doi.org/10.4000/books.pur.195161.
    Tavinor, Grant. L’art des jeux vidéo. Traduit par Alexandre Declos, Presses universitaires de Rennes, 2024, https://doi.org/10.4000/books.pur.195161.
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