Les remparts urbains
De la destruction à la valorisation des ruines dans la France du Nord à l’époque contemporaine
p. 171-180
Texte intégral
1Au cours du xixe siècle, au sein de certaines municipalités, les enceintes fortifiées sont l’objet de débats politiques. Faut-il préserver ce qu’il en reste ? Les partisans du démantèlement utilisent plusieurs types de justification. La nécessité d’ouvrir la ville prisonnière de ses murailles est l’argument le plus utilisé par les édiles avec le soutien fréquent des artisans et commerçants locaux. D’autres municipalités sont à la recherche d’espaces libérés pour favoriser la construction d’habitations ou améliorer la circulation au sein de cet urbanisme médiéval souvent trop concentré. Après de longues négociations avec les pouvoirs publics, avec les ministères concernés, ils obtiennent satisfaction comme à Hesdin, Saint-Omer, Aire-sur-la-Lys notamment et procèdent alors au démantèlement de leurs « vieux murs » et se lancent ensuite dans une politique d’aménagement urbain.
2Dans d’autres communes telles que Montreuil-sur-Mer ou Le Quesnoy, les murailles sont l’objet d’un débat souvent intense entre les élus toujours soutenus par les « forces vives » et les défenseurs du patrimoine, de l’histoire locale. Soit à titre individuel ou en tant que responsables d’associations locales, départementales ou nationales vouées à la protection des « Monuments historiques », ceux-ci s’opposent à ces volontés destructrices au nom du respect de l’identité de la ville, de son cachet voire de son « génie propre ».
3Cette communication a pour objet d’étudier les types d’argumentaires des principaux protagonistes d’une part, les moyens utilisés d’autre part pour aboutir à des résultats totalement contraires. Seront ensuite proposés un bilan actuel de la politique de préservation ou non des ruines de ces remparts ainsi que les profits et difficultés rencontrés par les édiles actuels dans les villes ayant conservé intégralement ou partiellement leur enceinte.
Le Nord terre de frontières et donc de remparts
4C’est à un échantillon de dix villes que se réfère cette enquête : des petites cités à vocation militaire comme Montreuil1, Hesdin2, Le Quesnoy3, Bergues4, Gravelines5 ; des villes industrieuses, commerciales et administratives telles que Arras6, Boulogne7, Calais8, Saint-Omer9 et Saint-Pol-sur-Ternoise10.
Les petites cités à vocation militaire
5Montreuil-sur-Mer, tout d’abord, qui a connu une succession de forteresses en tant que ville-frontière au Moyen Âge entre la France capétienne et l’Angleterre, puis avec les possessions bourguignonnes au temps de Charles Quint pour aboutir à une enceinte resserrée sur la ville haute de 2,470 km sous François Ier. Surplombant la vallée de la Canche de 40 mètres, cette cité dispose d’une vocation de place forte grâce à cette position géographique privilégiée. Selon la tradition, la première enceinte est construite au ixe siècle par le comte Helgaud II. Renforcée au xiiie siècle, elle subit une diminution notable au xvie siècle après la prise de la ville par les Impériaux en 1537. L’enceinte basse du sud-est est abandonnée : Errard de Bar Le Duc, Antoine de Ville et Vauban sont successivement chargés de la conforter dans la partie haute sur près de 3 km : la ville devient un lieu de garnison. À l’ouest du dispositif défensif de la ville, le front se compose de cinq tours circulaires du xiiie siècle. Le front sud conserve deux tours médiévales. À l’opposé, le front nord est percé d’une porte, la porte de Boulogne, reconstruite en 182811.
6À quelques kilomètres de Montreuil, la cité d’Hesdin présente un cas particulier : celui de deux villes en une : l’ancienne date de l’époque médiévale, la ville nouvelle est créée de toutes pièces par la volonté de Charles Quint. Importante ville drapante de 5 000 à 6 000 habitants, la ville originelle passe dans plusieurs mains dont celles du comte Robert d’Artois et les ducs de Bourgogne. Elle possède un superbe château au milieu d’un immense parc où sont accueillis des souverains au gré des fêtes et des rencontres diplomatiques. Comme elle est située aux frontières du royaume de France et des Pays-Bas espagnols, elle est le siège de nombreux combats : en 1553, Charles Quint ordonne sa destruction complète. L’année suivante, il décide de reconstruire la ville à 5 km en aval sur la Canche, sur le site du Maisnil dans le village de Marconne où se trouvent un château fort et la maison de campagne de Marie de Hongrie sa sœur : ainsi naît Hesdinfert, Hesdinfort puis Hesdin. Entourée de remparts confortés par quatre puis six bastions, la ville espagnole est assiégée en 1639 par les troupes de Louis XIII et Richelieu sous le commandement du marquis de La Meilleraye. La cité devient française en 1659 lors du traité des Pyrénées12.
7Le Quesnoy est l’une des nombreuses constructions défensives du pré carré de Vauban. Dès le xiie siècle, le comte de Hainaut Baudouin IV dit le bâtisseur, entoure la cité de fossés et de remparts et édifie en son centre un château. Jusqu’en 1678 date à laquelle Valenciennes devient française, la ville est le bastion avancé du royaume de France. Dès lors, Vauban modifie et renforce les cinq bastions au profit d’un corps de place de huit bastions en forme d’octogone de 3,5 km de long flanqué, outre les bastions, d’ouvrages extérieurs, tenailles, demi-lunes et de fossés inondables13. Plus au nord, la cité de Bergues est créée en bordure d’une région marécageuse, sur un ressaut de terrain. Les fortifications installées dès la fin du ixe siècle par le comte de Flandre pour se protéger des Vikings sont renforcées au xive siècle par un rempart en parement de briques flanqué de tours. Au xvie siècle, les Bourguignons ajoutent des demi-lunes et des bastions notamment à proximité de l’abbaye de Saint-Winoc. Le traité d’Aix-la-Chapelle en 1668 redonne la ville au roi de France et là aussi Vauban fait son œuvre. Bergues est reliée à Dunkerque par un canal fortifié14.
8La ville de Gravelines enfin est installée sur les bords de l’Aa, fleuve frontière entre la Flandre et le Calaisis. Une telle situation en fait un enjeu décisif pour le contrôle de la région. À ce titre, la forteresse est souvent l’objet d’attaques. Le roi de France, Philippe Auguste, en 1213 choisit le port de Gravelines comme lieu d’embarquement des troupes en vue de l’invasion de l’Angleterre. Condamné par le pape Innocent III, il doit abandonner son projet mais le monarque décide alors de retourner son armée contre le comte de Flandre. Au milieu du xvie siècle, les Espagnols qui dominent les Flandres s’emparent de la ville fortifiée. Après la prise par le duc de Guise de la ville de Calais au nom du roi de France, Paul de La Barthe, seigneur de Thermes, dit le maréchal de Thermes, tente en vain de reprendre la ville tenue par les troupes espagnoles du comte d’Egmont. En décembre 1565, une solution de compromis est trouvée entre les belligérants dans le cadre d’une négociation entre représentants de chacune des puissances à Gravelines : une nouvelle frontière est ainsi définie. Toujours propriété espagnole au xvie siècle, l’empereur Charles Quint fait reconstruire le château et en renforce la défense grâce à de nombreux bastions. Son fils, Philippe II, installe un fort sur la dune15.
Des villes industrieuses, commerciales et administratives
9Située au cœur de l’Artois, la ville de Saint-Pol-sur-Ternoise, possession de la famille des Luxembourg, dispose d’un château datant de l’époque médiévale. La présence d’un éperon naturel et de la Ternoise ont incité la famille princière à construire un château divisé en deux espaces qualifiés pour le premier de « vieux château » à l’est vers le plateau et d’un « neuf château » sur la partie occidentale en surplomb de la Ternoise. Le bourg, installé au pied de cette forteresse, lui-même fortifié depuis le xiiie siècle, est traversé par le fleuve. En 1537, les troupes de Charles Quint s’emparent de la place qui est saccagée avant d’être reconstruite par son fils. Le roi de France reprend cette ville un siècle plus tard, en 164916.
10La ville de Saint-Omer dispose d’une enceinte médiévale qui est renforcée au xvie siècle. Quand la ville redevient française à la fin du xviie siècle, certaines fortifications sont remaniées ; des ouvrages avancés accueillent les nouveaux types d’armement. Au xixe siècle, la révolution industrielle n’affecte pas vraiment la structure urbaine17. Arras est une ville d’origine romaine qui s’entoure de remparts à l’époque médiévale. Les plus vieilles constructions subsistantes se situent à proximité du beffroi au niveau de la Grand-Place et du tribunal de grande instance. La citadelle est installée au sud-ouest ; son emplacement choisi au xviie siècle résulte d’une volonté d’inonder les fossés avec l’eau du Crinchon18.
11Boulogne possède le même profil qu’Arras mais une enceinte y est conservée autour de la vieille ville ou haute ville. Celle-ci est construite sur l’emplacement d’un camp romain qui est ensuite occupé par la cité gallo-romaine. Ce rempart qui ceinture la vieille ville est réalisé entre 1227 et 1231 par l’un des fils de Philipe Auguste, Philippe dit « Hurepel ». Il forme avec le château inséré dans la fortification un des ensembles les mieux conservés du nord de la France. Sa voisine et longtemps rivale, Calais, est prise en charge par le comte de Flandre Baudouin IV dès 997 : celui-ci dote le port de deux grosses tours qui dateraient de l’empire romain, l’une située au milieu de sables au nord de la ville, l’autre protégeant l’embouchure du fleuve côtier qui est alimenté par le marais de Guînes à l’époque situé sur le littoral. Le même fils de Philippe Auguste, trois années avant d’entreprendre les travaux à Boulogne, fait fortifier la ville en installant un rempart flanqué de petites tours. L’histoire de la ville est marquée par plusieurs sièges notamment durant les conflits qui opposent successivement la France et l’Angleterre au xive siècle, puis le duc de Bourgogne aux mêmes Anglais et enfin lors de la reprise par le roi de France au xvie siècle, après deux siècles sous occupation anglaise. L’enceinte fortifiée est conçue sous les rois d’Espagne, qui la dotent de bastions d’angle couverts par un système de demi-lunes, de fossés en eau profonde et de contre-garde. Elle est légèrement remaniée à la fin du xviiie siècle19.
Les choix en faveur ou contre la destruction des remparts
12Exceptée la ville de Saint-Pol qui a déjà perdu l’essentiel de son enceinte avant la Révolution française, c’est le xixe siècle qui porte un coup fatal à certaines fortifications.
Les choix de démantèlement
13Avant de connaître les raisons, les justifications de cette destruction, il est intéressant d’examiner les méthodes utilisées.
14La première passe par le déclassement faute d’intérêt militaire. C’est le cas de la ville d’Hesdin. À partir du moment où l’État ne considère plus une place forte comme utile, nécessaire pour la défense du territoire, il la déclasse et rend de ce fait possible le démantèlement des fortifications. Un premier enjeu pour les élus hesdinois consiste donc à obtenir le droit d’opérer la démolition des remparts. La ville peut disposer gracieusement des terrains, soit 56 ha, à la condition d’opérer le nivellement de l’ensemble des fortifications en vingt ans, en commençant par les bastions20. Dans le même registre se situe le cas calaisien. Pour ne pas déplaire aux militaires, en 1849, lors de l’arrivée des premiers trains en provenance de Paris, il a fallu faire preuve d’ingéniosité. Les remparts sont préservés puisque les voies ferrées contournent la citadelle pour rallier la gare. La guerre de 1870 ayant montré les limites des anciennes fortifications, la mise en place d’un projet de nouvelle enceinte fortifiée en 1882, englobant Calais et Saint-Pierre-lès-Calais, permet de faire tomber les dernières réticences des militaires à un moment où les négociations pour le mariage des deux cités étaient en bonne voie21.
15La seconde méthode s’appuie sur la demande des édiles aux pouvoirs publics. Souhaité depuis 1850, le démantèlement des remparts de Saint-Omer n’intervient qu’à partir de 1892, à l’issue d’une convention mise au point le 2 avril 1891 entre les représentants de l’État et ceux de la municipalité. La ville s’engage à exécuter à ses frais, dans un délai de deux ans, à dater du décret de déclassement, et sous la surveillance du service du Génie, la totalité des travaux jugés nécessaires pour le démantèlement de la place. Durant les années 1892 et 1894, les fortifications sont donc arasées et les terres nivelées de telle sorte que leur surface se raccorde d’une façon régulière à celle des rues et places de la ville.
16Une dernière solution, plus intéressante pour les responsables municipaux, consiste à faire appel à des aménageurs, des lotisseurs, des industriels. À Saint-Omer, la destruction des remparts à la fin du xixe siècle entraîne le début d’une période de grands travaux qui modifient sensiblement les abords de la cité. Les terrains gagnés sur les fortifications vont permettre le développement d’industries implantées quai des Salines. La seconde phase débute avec la construction, en 1913, de la cité Ribot, premier exemple d’habitations à bon marché. Selon le principe des cités jardins, les maisons y sont regroupées autour d’une voirie courbe, voirie qui porte aujourd’hui le nom de Joseph Lardeur, le principal acteur du logement social à Saint-Omer22.
17Parmi les causes de cette décision, la volonté de gagner de l’espace pour le développement est la première motivation invoquée : à Saint-Omer, la disparition du corset de briques permet une extension par étapes successives. En 1891, la convention du démantèlement prévoit l’arasement et le démantèlement des fronts occupés par le jardin public. À Calais, sur le front est, la démolition des remparts s’accompagne de celle du cours Berthois. La même opération à l’est débute l’année suivante et permet de développer un nouveau quartier, celui de l’Europe. Les remparts nord, vers le bassin du Paradis, pour ne pas déplaire aux militaires, tardent à tomber. Les derniers ne sont arasés qu’en 189523.
18Une autre raison s’impose : le sentiment d’un corset qui étreint la ville. À Hesdin, dès 1839, Charles Garbé évoque l’avenir : « Quand notre ville sera rattachée par chemin de fer aux centres de consommation, elle changera rapidement de face. Les nouveaux débouchés donneront à ses produits un écoulement plus facile et la valeur des denrées y prendra le niveau général : ce sera pour les campagnes environnantes ainsi que pour Hesdin une source de richesse et de développement. » L’avocat estime en effet que désormais la ville n’est plus frontalière : « Ville de l’intérieur, elle n’avait que faire de conserver des fortifications, qui, par suite des progrès de notre siècle, étaient devenues sans valeur. » À partir de 1857, les 56 ha que la ville récupère aboutissent à une véritable opération de désenclavement. Les fossés sont comblés, les nationales 28 et 29 s’installent à chaque sortie de ville. À mesure que les fortifications sont nivelées, les nouveaux espaces sont lotis et vendus de manière à remplir les caisses de la municipalité24.
19Une dernière raison exprime le souhait d’extension du territoire. Au début du xxe siècle, les boulevards créés à la périphérie de Saint-Omer ménagent pour la première fois une circulation continue et aisée autour de la ville. Après la Seconde Guerre mondiale, l’avènement de l’automobile entraîne progressivement la déviation des nationales sur le pourtour ouest de la ville25.
Les choix de préservation
20Les tactiques utilisées se révèlent assez concordantes. La première consiste à s’adresser à la Commission départementale des monuments historiques. Le secrétaire de l’instance départementale, Roger Rodière, Montreuillois de résidence, face à l’usure du temps et au pillage des monuments justifie cette solution : « Le remède, ma foi, je regrette de le dire, mais je n’en vois qu’un : le classement officiel. Ah ! je le sais, l’État n’a que trop de propension à se mêler de tout et personne n’est plus hostile que moi à ses empiétements sur tout autre terrain : mais en archéologie, je suis comme Didron : “Je ne connais ni père, ni mère”26. » À Montreuil, pour éviter le risque de démantèlement, une volonté se manifeste dès 1882 dans un rapport de Victor Dubourg, qui s’oppose à la démolition de la porte de Boulogne en rappelant son « effet décoratif » et le risque de disparition de « la belle promenade des remparts, la seule que possède la ville ». Les fortifications sont sauvées par l’intervention de Georges de Lhomel, fils de l’ancien maire, qui obtient de la Commission des monuments historiques, lors d’une réunion le 4 mai 1905, le classement de l’enceinte à l’unanimité des membres. Le conseil municipal, le 31 mai 1905, « accepte la proposition de M. de Lhomel […] à condition que cela n’entraîne aucune charge pour la ville ». L’esplanade de la citadelle est également proposée au classement en avril 1911 après avoir constaté qu’« il n’y a rien à payer, seulement l’entretien27 ».
21Un autre moyen, presque paradoxal, consiste à s’appuyer sur les positions intransigeantes des militaires sur la préservation de certaines fortifications.
22La place du Quesnoy est déclassée en 1867. Après la guerre de 1870-1871, les études faites pour la défense du pays par le général Séré de Rivières prévoient la défense de la forêt de Mormal et la formation d’un camp retranché à Valenciennes. Le Quesnoy est reclassé en 1878 pour servir de fort d’arrêt et jalonner la ligne Valenciennes-Mormal. Des abris casematés sont construits sur les remparts et les portes sont remises en état. L’apparition des obus chargés d’explosifs brisants devant lesquels ne peuvent plus tenir les fortifications anciennes, amène l’abandon du réseau de forteresses remises en état après 1870. Le Quesnoy est déclassé le 6 juillet 1901. Son administration fait preuve de sagesse et de clairvoyance en conservant son enceinte fortifiée qui lui garde son charme, alors que sa disparition l’aurait transformé en une sorte de grand village28.
23Une dernière solution consiste à s’adresser à l’opinion publique. La ville de Boulogne conserve 1 500 mètres de fortifications. Celles-ci décrivent un vaste quadrilatère de 325 mètres sur 410, percé de quatre portes et régulièrement flanqué de 17 tours semi-circulaires sauf sur le flanc nord-est où elles ont disparu. Dans l’angle oriental échancré se loge le château comtal. L’enceinte ne se présente plus dans ses dispositions primitives. Grâce à la résistance de la population, seuls disparaissent les ouvrages érigés devant l’enceinte médiévale depuis notamment le xvie siècle29.
Bilan actuel de la politique de valorisation
24Il faut éviter le manichéisme : chaque entité cherche à retrouver son patrimoine surtout dans le cadre d’une véritable et salutaire prise de conscience depuis les années 1970.
La volonté de valoriser les « restes de patrimoine »
25À Arras, après la destruction des remparts, deux ensembles sont l’objet d’un traitement de valorisation différenciée : les deux places et la citadelle. À la suite de bombardements de septembre 1914 et de mai et juin 1915, les deux places, le palais Saint-Vaast, la cathédrale, le beffroi et l’hôtel de ville sont détruits. Seulement 5 % des maisons de la ville sont indemnes ; les autres sont soit irréparables soit endommagées. La reconstruction devient une priorité. Confiée à l’inspecteur général des Monuments historiques, Pierre Paquet, elle se réfère à la loi du 17 avril 1919 sur les dommages de guerre qui préconise la reconstruction à l’identique. Après le classement, dès décembre 1918, des maisons des places, de l’abbaye Saint-Vaast, du beffroi et de la façade de l’hôtel de ville, les travaux s’étalent de 1919 à 1934. La méthode utilisée s’appuie sur des relevés précis des façades dont les deux tiers sont très endommagés. Le beffroi est conservé dans son allure générale mais il s’ancre sur une solide armature en béton armé. Cependant, jusqu’aux années récentes, la reconstitution du centre historique perd de son attraction au profit d’autres quartiers plus « modernes ». Une politique volontariste de revalorisation est engagée depuis quelques décennies avec le repavement de la place et de zones piétonnes dans les arcades ainsi que sur la place de l’hôtel de ville. L’instauration d’un parking souterrain, une politique systématique de mise en lumière des places entraînent une redynamisation telle que le beffroi, construit entre 1463 et 1554 et classé au patrimoine mondial de l’Unesco en 2005, avec son style gothique flamboyant et son fameux carillon vient d’être élu en 2015 le monument préféré des Français30. La citadelle d’Arras ne fait pas l’objet de grands investissements depuis la Révolution. Propriété de la Communauté urbaine d’Arras depuis juin 2010, elle est inscrite dans un programme global de reconversion avec l’objectif d’en faire un nouveau quartier de la ville doté d’une mixité de fonctions. Une réflexion a aussi été menée pour le mobilier urbain comme les bancs, les poubelles, mais aussi la signalétique31. Plus modestement, la ville d’Hesdin dispose d’une porte des remparts. La ville fortifiée comptait deux portes. La cité demeure cependant marquée par les traces de la présence militaire et en garde de nombreux vestiges : Manège de cavalerie, bâtiments, noms de rues.
Un patrimoine préservé et valorisé : un atout d’hier à demain
26La persistance des remparts à Montreuil-sur-Mer est devenue son atout principal en matière d’attractivité. La balade, longue de 2,5 km, livre un panorama exceptionnel sur la ville et ses vallées. Le bourg poursuit une politique de restauration en lien avec l’architecte des bâtiments de France grâce à des subventions de la région et de l’Union européenne. Cette promenade est accessible de deux façons : en suivant le chemin bordé d’arbres, en contrebas du talus ou en longeant le sommet des murs sur le chemin de ronde. La ville de Gravelines a su conserver intacte son enceinte renforcée de demi-lunes et de contre-garde. Près d’un tiers des remparts a déjà bénéficié d’une restauration. L’apport précieux des rentrées liées à la centrale nucléaire permet de poursuivre cette œuvre de longue haleine et lourde en termes d’investissement financier. Pionnière en la matière, elle ne cesse de valoriser son patrimoine militaire. Extérieur aux remparts, le glacis compte 35 km de berges de terre prise entre les fossés et les fortifications avancées. À l’entretien pris en charge par les soldats, se substituent désormais les activités ludiques des habitants qui viennent y courir, pédaler, jouer, pécher32.
27La ville de Bergues a célébré le 15 mai 2013 dernier, l’inauguration des remparts du front de la porte d’Honschoote restaurés, dans la salle de l’Abattoir, sur le Marché aux fromages de Bergues. Ce projet a bénéficié du soutien comme mécène de la Fondation Total, partenaire de la Fondation du Patrimoine, sous l’égide de laquelle une souscription populaire a été lancée afin de mobiliser la population. Depuis sa création au ixe siècle, la ville de Bergues a su préserver l’intégrité de ses fortifications pourtant sérieusement touchées lors de la Grande Guerre et classées Monument historique depuis 1936. En 1949, la commune devient propriétaire des murailles, tours, portes et ouvrages associés. Depuis cette acquisition, une restauration parcellaire s’effectue33.
Conclusion
28Contrairement à ce que l’opinion commune pourrait croire, les ruines ne sont pas forcément le signe d’un déclin irrémédiable d’une cité. Certes seules les villes qui bénéficient de revenus importants peuvent faire de ces handicaps des leviers de développement mais il est incontestable que les mentalités ont évolué de manière significative depuis les années 1970. La notion de patrimoine mise en valeur de manière systématique tant par les édiles locaux que par les pouvoirs publics qu’ils soient nationaux ou européens avec notamment les journées du patrimoine a installé une véritable émulation faisant de ces « vieilles pierres » des atouts incontestables pour ceux qui ont la chance d’en avoir préservé une partie ou encore mieux la quasi-totalité. Cette attractivité qualitative indéniable se mesure à la course aux labels que se livrent les différentes cités bénéficiant de ces « bienheureuses ruines » : c’est ainsi que les dix villes ayant fait l’objet de cette étude sont labellisées. Le label Unesco est reconnu à Arras, Calais, Hesdin, Boulogne, Gravelines pour leur beffroi. De même le réseau Vauban valorise Arras et Le Quesnoy s’est porté candidat. Parmi les cent plus beaux détours de France se trouvent Montreuil-sur-Mer, Gravelines, qui possèdent également le prestigieux label national des quatre fleurs des villes et villages de France. La distinction la plus importante demeure cependant le label ville ou pays d’art et d’histoire qui revient à Saint-Omer, Arras et Boulogne-sur-Mer. Dans le circuit des villes fortifiées de la région se retrouvent Bergues, Gravelines, Calais, Saint-Omer, Boulogne, Le Quesnoy, Montreuil-sur-Mer soit sept des dix villes qui ont ainsi reconnu l’intérêt de leurs ruines !
Notes de bas de page
1 Bruno Béthouart (dir.), Histoire de Montreuil-sur-Mer, Montreuil-sur-Mer, Éd. Henry, 2008.
2 Id. (dir.), Histoire d’Hesdin, Lillers, Éd. Les Échos du Pas-de-Calais, 2013.
3 Bruno Carpentier, Le Quesnoy, l’archétype du Hainaut, Charleville-Mézières, SOPAIC, 2005.
4 Robert Noote, Bergues de A à Z, Tours, Éd. Sutton, 2011.
5 Martin Barros, Nicole Salat et Thierry Sarmant, Vauban – L’intelligence du territoire, Paris, SHAT, 2006.
6 Alain Nolibos, De Nemecatum à la communauté urbaine, Lille, Éd. La Voix du Nord, 2003.
7 Alain Lottin (dir.), Histoire de Boulogne-sur-Mer, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2014.
8 Alain Derville et Albert Vion (dir.), Histoire de Calais, Dunkerque, Éd. des Beffrois, 1985.
9 A. Derville (dir.), Histoire de Saint-Omer, Lille, Presses universitaires de Lille, 1983.
10 B. Béthouart (dir.), Histoire de Saint-Pol-sur-Ternoise, Lillers, Éd. les Échos du Pas-de-Calais, 2005.
11 Id. (dir.), Histoire de Montreuil-sur-Mer, op. cit., p. 50-55.
12 Id. (dir.), Histoire d’Hesdin, op. cit., p. 148-169.
13 Bernard Debrabant, Vauban et la fortification du Quesnoy au xviie siècle, Le Quesnoy, Éd. Invenit, 2008, p. 134-135.
14 M. Barros, N. Salat et T. Sarmant, Vauban – L’intelligence du territoire, op. cit., p. 167.
15 Ibid., p. 166.
16 B. Béthouart (dir.), Histoire de Saint-Pol-sur-Ternoise, op. cit., p. 133-150.
17 A. Derville (dir.), Histoire de Saint-Omer, op. cit., p. 187-188.
18 A. Nolibos, De Nemecatum à la communauté urbaine, op. cit., p. 81-89.
19 A. Derville et A. Vion (dir.), Histoire de Calais, op. cit., p. 157-158.
20 B. Béthouart (dir.), Histoire d’Hesdin, op. cit., p. 325-337.
21 A. Derville et A. Vion (dir.), Histoire de Calais, op. cit., p. 195.
22 A. Derville (dir.), Histoire de Saint-Omer, op. cit., p. 230.
23 Ibid., p. 196.
24 B. Béthouart (dir.), Histoire d’Hesdin, op. cit., p. 339-347.
25 A. Derville (dir.), Histoire de Saint-Omer, op. cit., p. 216.
26 Stéphane Curveiller et Patrice Marcilloux (dir.), Regards sur l’histoire du Pas-de-Calais. Études en l’honneur d’Alain Nolibos, Arras, APU, 2003, p. 95-103.
27 Arch. mun. Montreuil-sur-Mer.
28 B. Carpentier, Le Quesnoy, l’archétype du Hainaut, op. cit., p. 162-180.
29 A. Lottin (dir.), Histoire de Boulogne-sur-Mer, op. cit., p. 116-117.
30 « Le beffroi d’Arras est le nouveau monument préféré des Français », L’Express, 16 septembre 2015.
31 A. Nolibos, De Nemecatum à la communauté urbaine, op. cit., p. 154.
32 R. Noote, Bergues de A à Z, op. cit., p. 102.
33 Ibid., p. 115.
Auteur
-
Bruno Béthouart
Bruno Béthouart est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université du Littoral Côte d’Opale (ULCO). Il a soutenu une thèse de doctorat qui a donné lieu à la publication d’un ouvrage sur le MRP dans le Nord-Pas-de-Calais (1944-1967) aux éditions des Beffrois, Dunkerque en 1982 puis une habilitation à diriger des recherches sur le « MRP et la question sociale » en 1998. Il a fait paraître une Histoire du ministère du Travail et de la Sécurité sociale de la Libération aux débuts de la Ve République aux Presses universitaires de Rennes. Il s’est également spécialisé dans la recherche régionale et patrimoniale avec notamment une Histoire de Montreuil-sur-Mer en 2008, une participation au tome VI de l’Histoire des Provinces françaises du Nord, sous la direction d’Alain Lottin en 2015 et une Histoire d’Aire-sur-la-Lys en 2019.
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