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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral La nature juridique des ornamenta La politique de restauratio et l’usage des fragmenta de l’Antiquité classique Notes de bas de page Auteur

    Ruines politiques

    Ce livre est recensé par

    • Clément Ferrier, Frontière·s, mis en ligne le 31 mars 2025. URL : https://journals.openedition.org/frontieres/3771 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13ll2
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    Table des matières

    « Ce qui reste de Rome »

    Les ruines comme reliques politiques des États pontificaux

    Angela Quattrocchi

    p. 67-76

    Texte intégral La nature juridique des ornamenta La politique de restauratio et l’usage des fragmenta de l’Antiquité classique Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Ma contribution se veut la brève synthèse d’une étude que j’ai conduite sur les ruines de Rome du point de vue des systèmes institutionnels et normatifs qui ont régulé la gestion des « ornamenta1 » – dans le droit romain et canonique jusqu’à l’institution du Commissariat des antiquités par Paul III Farnèse en 15342. Cette étude trouve ses prémisses théoriques dans les importants travaux de plusieurs chercheurs3 parmi lesquels je tiens à évoquer Yan Thomas, qui a le mérite d’avoir remis l’histoire du droit au centre de l’intérêt de nombreux champs disciplinaires, éloignés entre eux4.

    La nature juridique des ornamenta

    2Pour observer les ruines de Rome du point de vue de la nature juridique des matériaux dont elles proviennent, il faut prendre ses distances avec l’influence du vaste répertoire littéraire et figuratif de lamentations déprécatoires qui se sont succédé pour dénoncer l’état déplorable des antiquités5, et raisonner sur la base des seuls arguments susceptibles d’intéresser le législateur.

    3Ces arguments sont importants pour toute une série de motifs, dont le premier est que la science juridique, le droit, avait un lien avec chaque branche du savoir et constituait le fondement de tous les « arts libéraux ». Dans l’esprit des érudits du Moyen Âge, l’enseignement ne pouvait être dispensé qu’en marge d’un texte officiel que le maître commentait à ses élèves : sans une œuvre ad hoc, il était impossible pour le magister d’assurer un cours, d’être en possession d’une science organisée en un domaine donné. Dans le droit, le texte ad hoc était fourni par les recueils de textes législatifs du droit romain et, comme l’affirme Ernst Kantorowicz6, les écrits des juristes du Moyen Âge – représentants de la classe cultivée du xiiie et du xive siècle, aussi bien des glossateurs que des commentateurs du droit romain et canonique – ont pu jouer un rôle non négligeable dans le développement des théories de l’art à l’époque de la Renaissance.

    4Le droit romain, donc, s’intéresse aux res du point de vue de leur régime patrimonial, mais « c’est la qualification juridique que le droit impose aux choses qui fixe les limites entre lesquelles il est permis au sujet d’en disposer7 ». Ce n’est pas ici le lieu de voir en détail comment la législation romaine distingue les différentes res et comment elle les classe. Pour notre propos, il suffit de savoir que, dans le droit sacré, les choses réparties en « sacrées », « religieuses » et « saintes », sont des biens extrapatrimoniaux ; il en va de même, dans le droit public, des choses « publiques ». En d’autres termes, elles s’inscrivent dans un régime d’indisponibilité, contraire à la vocation essentiellement patrimoniale et réalisable des res.

    5Ces domaines circonscrits de biens sont qualifiés de « res nullius in bonis », en d’autres termes choses dépendantes d’un patrimoine, qui n’appartiennent à personne, dont l’aliénation est interdite et dont il n’y a pas de commerce. Il existe en outre une autre catégorie qu’il faut évoquer, celle des choses sans maître et des choses vacantes, dites « res nullius ». Cette expression renvoie à un régime rigoureusement inverse à celui des « res nullius in bonis » : ce sont celles qui ne sont pas encore tombées dans la propriété de quiconque, c’est-à-dire des choses ayant une vocation patrimoniale qui se réalisera quand elles seront associées à leur premier maître ou patron. Si, dans le cas des sanctuaires païens, il ne pouvait exister aucun type de négoce dès lors que la vente-achat était hors du commerce humain (« ex natura rei »), pour empêcher le dépouillement systématiquement illicite des antiques édifices publics urbains afin d’en récupérer le matériau de pierres, on institua des règles susceptibles d’avoir un effet par action « ex lege ». Le but des mesures législatives promulguées au cours de la tardive période républicaine et impériale visait donc à protéger le droit du détenteur de la propriété afin que celle-ci ne fût pas violée.

    6Ces mesures présupposaient une définition juridique sans équivoque de ce qui pouvait être envisagé dans la totalité d’un immeuble8. Les juristes romains, pour déterminer ce que l’on pouvait considérer comme inclus dans un édifice, durent en définir un concept théorique en s’inspirant pour ce faire de la classification sur la nature des choses simples et des choses composées, exprimée dans la pensée philosophique de Sénèque. L’édifice, comme le navire, était composé de choses assemblées et fut toujours envisagé comme un assemblage multiforme d’éléments qui, comme « partes rei », s’intégraient dans l’unité totale de la domus. L’union des divers éléments constitutifs de l’édifice imposait en outre une définition claire de ce qui pouvait s’entendre comme partie principale et accessoire. Pour certains juristes, la cohésion physique et matérielle constituait le critère fondamental pour décider de la pertinence de la chose édifiée ; c’est pourquoi l’on considérait comme faisant partie intégrante de l’édifice ce qui formait un tout avec celui-ci par une annexion matérielle ; « res adfixae vel infixae, inclusae, insertae9 ». Par contre, une règle définissant ce qu’il fallait considérer comme nécessaire, parmi les choses importantes pour la perfectio de l’édifice, était fort difficile à établir de manière univoque. Le critère primitif initial d’utilité et de nécessité a laissé bien vite la place à une interprétation plus vaste, en évoluant au même rythme que le luxe exprimé par le raffinement du style architectural toujours plus riche de purs éléments ornementaux et symboliques.

    7Le juriste sévérien Ulpien inséra parmi les « partes aedium » les nouveaux éléments nobles des revêtements décoratifs des intérieurs et des surfaces extérieures – des marbres, des stucs et des peintures murales – en les considérant en effet comme partie intégrante de la « domus ». Cette opinion jurisprudentielle entraîna une nouvelle définition ; elle fut conçue, désormais, « comme une très vaste coniuctio composée des matériaux les plus variés et les plus complexes, ornements et accessoires contraints pour le service qu’ils pouvaient prêter à l’édifice, service entendu cependant selon un critère moderne et flexible, conforme à la technique complexe et sophistiquée des constructions10 ». Malgré l’élargissement du concept d’édifice-unité, Ulpien veilla à ne pas incorporer comme « domus portiones » les choses dotées de leur propre singularité dont la connexion idéale ne s’avérait pas nécessaire à la « perfectio domus » ; la statuaire, par exemple, et les représentations iconographiques, s’inscrivaient dans la catégorie des « supellex », à l’exclusion, en vertu du principe de cohésion matérielle, de celles intégrées à la structure architecturale. Cet aménagement conceptuel, sommairement décrit, a constitué la base qui a permis de pouvoir considérer la « domus » comme une « unité protégée et pouvant être protégée », et de définir comme illicite le dépouillement des éléments architecturaux en les enlevant aux immeubles urbains, dès lors que leur enlèvement minait l’unité organique de la construction en séparant l’unité substantielle de la chose qui devait lui rester unie. L’illustre historien du droit montre qu’un édifice a juridiquement sa propre existence, distincte des matériaux dont il est constitué. Les matériaux ajoutés à la totalité des objets qui constituent l’édifice recouvraient, immédiatement après en avoir été séparés, le statut juridique qu’ils avaient eu avant d’avoir été incorporés.

    8Les ornements avaient un statut juridique totalement indépendant de celui du corps même de l’édifice. L’ornement est évoqué dans la législation romaine sous la forme quantitative. Orner signifie incorporer certains matériaux et certaines formes à la somme des matériaux et des formes qui constituent un patrimoine déjà capitalisé et permanent. La masse des ornements augmente et diminue : l’ornement augmente par ajout et diminue à cause de la négligence des hommes et de la dégradation du temps.

    9Cette accumulation, indivise dans la totalité postulée par les lois, correspond à une « universitas11 ». Le terme « universitas » appartient au latin classique et fait son apparition avec Cicéron, mais reste rare et il faudra attendre plus d’un siècle pour le retrouver chez Quintilien et chez d’autres auteurs. Les juristes utilisent parfois universitas dans son acception abstraite : le tout opposé aux parties. La signification fondamentale reste identique mais elle s’enrichit de dispositions juridiques spéciales qui donnent au terme une valeur propre quand on l’applique à certains ensembles de biens matériels : dans ce cas, l’universitas est régie par d’autres règles par rapport aux parties dont elle se compose. L’universitas créée par les Romains est un véritable sujet de droit : la collectivité possède sa propre personnalité, différente de celle de l’individu. Les juristes du Moyen Âge, même s’il ne faut pas négliger ce type d’universitates matérielles, semblent ne pas avoir fourni un apport complémentaire significatif.

    10Quelles sont les caractéristiques de cette universitas matérielle ? L’universalité postulée par les lois n’est pas sensible et n’est pas contenue dans un champ visuel. Elle s’incorpore dans une chose de genre déterminée par sa quantité. Comme l’affirme Yan Thomas : « Derrière le sens matériel se dessine un sens institutionnel12. » Au domaine de la perception se substitue la zone qui définit les contours de la matrice juridique d’un sujet de droit13. Les unités auxquelles adhèrent les marbres ne sont pas seulement celles que l’œil perçoit. Les règles de circulation sont accordées aux normes d’appartenance, en raison de la continuité des patrimoines auxquels ces ornements appartiennent et à l’intérieur desquels ils peuvent circuler.

    11Dans la ville dont l’essence juridique était purement nominale – nomen juris – et dont l’identité n’était pas lésée par les variations de son contenu, on peut rapporter à cette entité abstraite la quantité d’ornatus qui ne doit pas être diminuée. L’unité juridique se projette en une unité de lieu ; défendre comme le font les lois romaines l’intégrité des ornements urbains assure la conservation d’un patrimoine constant à l’intérieur d’un certain périmètre. Leur intégrité exige seulement la conservation du total. Dans leur organisation, les ornements prennent le statut de la totalité14. Par analogie avec la localisation patrimoniale des ornements privés, on peut dire que les marbres de Rome, quand ils sont transportés d’un lieu à un autre, continuent d’appartenir au même patrimoine urbain comme leurs anciens supports, et leur nouvelle utilisation est un attribut de l’État dans les limites d’un territoire circonscrit légalement par la limite d’un mille autour du pomerium.

    12L’idée hellénistique d’une unité supérieure qui préside à toute cohésion présente dans un compositum a influé sur la conception de l’édifice entendu comme un corpus unitaire prévue dans le système privé mais s’est répercutée également sur le droit public en donnant lieu, de la même manière, à un autre compositum rendu par la cohésion du complexe d’œuvres publiques, monuments et édifices privés, qui, en formant lui aussi un ensemble supérieur, une grande « construction urbaine », s’intègre dans la civitas unitaria. Les édifices urbains, qu’ils soient de nature publique ou privée, sont vus, donc, comme une partie d’un tout qui est la civitas entendue, en particulier, comme expression de l’espace politique et, par suite, tout aspect de construction esthétique et de disposition lié à la forma Urbis, concerne donc l’État dans sa mission publique de garant de la coexistence dans la sécurité et la stabilité. « Tout le traité De Architectura de Vitruve constitue une sorte d’indice programmatique de cet aspect public du système civique15. »

    13L’acte de séparer des éléments décoratifs d’un édifice pour les enlever et les revendre était défini comme illicite par le droit romain, tant privé que public, et ce pour une double raison : parce qu’il minait non seulement le droit du maître de la propriété violée, mais également la noblesse urbaine, l’unité et la cohésion artistique et architectonique des édifices, éléments cohérents à l’intérieur de l’unité supérieure de nature publique qu’était la civitas. Les ornements de la ville étaient vus comme une universalité homogène d’éléments et de matériaux considérés dans leur ensemble et de façon indivise. Pline définit cette unité d’un tout par le nom d’« universitas16 », dont l’intégrité comportait la conservation de la masse en termes quantitatifs ; par suite, à l’intérieur de l’espace urbain, les ornamenta pouvaient être réutilisés, sans sortir de la ville, au profit des édifices publics.

    La politique de restauratio et l’usage des fragmenta de l’Antiquité classique

    14Savoir comment, à travers l’affirmation de l’extrapatrimonialité, se révèle un processus progressif d’application aux biens patrimoniaux de l’Église est une question historique désormais résolue. Les pontifes assurent à leur tour un contrôle de cette fonction royale, organisatrice d’unité et d’adhésion à une structure politique universelle17.

    15Le système normatif des ornamenta s’est maintenu inaltéré dans son aménagement conceptuel jusqu’à la Renaissance, en donnant lieu à une pratique de réemploi juridiquement définie et adaptée au nouveau visage de la ville médiévale, puis renaissante. C’est selon cette clé de lecture différente que devraient être interprétés tant les statuts que les brefs émis par les pontifes pour la protection des antiquités de Rome. Le Liber Statutorum Urbis conservé dans les Archives historiques capitolines reporte le texte du premier corpus organique statutaire de la ville de Rome et il est considéré comme le plus fidèle à l’original, vraisemblablement copie officielle à l’usage du Sénat romain18. La rédaction du corpus statutaire est datée de 1360, mais les statuts ne sont approuvés par Martin V qu’en 1435. Le corpus statutaire est réparti en trois livres. Dans le deuxième livre, au feuillet 57, est reporté le chapitre ccxlii :

    « De antiquis edificiis non diruendis. Ne ruinis civitas deformetur et ut antiqua edificia decorem Urbis publice representent statuimus quod nullus sit ausus aliquod antiquum edificium Urbis diruere vel dirui facere intra Urbem ad penam C librarum prov., cuius pene medietas sit Camere et alia medietas sit accusantis. Et Senator teneatur ad hoc inquirere nec dominus Senator vel aliquis alius possit dare licentiam contra predicta et si dederit incidat in pena C florenorum auri, camere applicandorum, et nichilominus licentia data non valeat19 » (fig. 1).

    Fig. 1. – Liber Statutorum Urbis, chapitre ccxlii.

    Image

    ASC Rome.

    16Le texte du chapitre concerne cet ensemble particulier de biens qui forment un tout soumis juridiquement à des règles spéciales : les « ornamenta Urbis ». Il est expressément interdit à quiconque de détruire ou de faire détruire les édifices anciens de la ville, et il est prescrit au sénateur d’agir, dans de tels cas, per « inquisitionem ». Le texte dit ensuite qu’aucune des autorités communales, en commençant par le sénateur, ne peut octroyer de licences pour détruire les édifices anciens et dans l’hypothèse où, en contradiction avec le statut, ces licences auraient été octroyées, elles sont déclarées nulles et sans effet.

    17Si nous analysons le bref Cum almam nostram urbem du 28 avril 1462 de Pie II Piccolomini, nous voyons qu’il énonce :

    « ne vouloir en aucune façon directement ou indirectement, en public ou en privé, démolir, détruire, réduire, abattre ou transformer en chaux aucun édifice, ancien, public ni des vestiges de celui-ci sur terre aussi bien dans l’Urbe que dans son district, même s’ils se trouvent dans leurs champs privés ou dans les maisons de la Ville […]20 ».

    18Dans ce cas également, il est évident que la masse des ornamenta ne s’identifie pas à une unité de lieu mais de patrimoine.

    19Dans le traité De Re Aedificatoria, conclu par Léon Battista Alberti en 1472 mais donné à l’imprimerie seulement à la fin de 1485, les livres 6 à 9 sont dédiés à la « venustas » des édifices dans les deux modalités de « pulchritudo » et « ornatus ». Dans leur organisation, les ornements prennent le statut de totalité21.

    20La première distinction qui s’opère dans la possibilité de réutilisation à l’intérieur de la masse des ornamenta advient dans le bref de nomination de Raphaël aux fonctions de préfet des antiquités de 1515 à 1520. Ce qu’il faut mettre en rapport dans ce cas, ce sont les études épigraphiques et de latin classique qui imprègnent la culture humaniste de l’époque. Si on lit le bref, on voit clairement ressortir le fait que la nomination lui est conférée en conformité avec le rôle d’architecte de la Fabrique de Saint-Pierre, pour lui permettre ainsi de prélever la quantité de matériaux de pierre nécessaire à l’approvisionnement du chantier de pierres, sous réserve de la seule clause de préserver toute inscription retrouvée par les employés au cours des campagnes de fouille. Le texte, quand il énonce l’interdiction d’inclure également les marbres s’ils portaient des inscriptions gravées, en explicite clairement le motif, en se référant strictement à la valeur textuelle des épigraphes pour le culte des lettres :

    « quoniam certior sum factus, multum antiqui marmoris, et saxi, literis, monumentisque incisi, quae quidem saepe monumenta notam aliquam egregiam prae se ferunt, quaeque servari operae precum esset ad cultum literarum, Romanique sermonis elegantiam excolendam, […]22 ».

    21L’intérêt de la conservation des épigraphes se référait à la question soulevée par les hommes de la génération de Leonardo Bruni, Poggio Bracciolini et surtout de Lorenzo Valla, sur la pureté de la latinitas non corrompue que seuls les textes classiques transmis conservaient intacte et dont les épigraphes, en tant que fragmenta de cette latinité classique, témoignaient fidèlement.

    22Au vu de la différence d’intention de programme qui distingue le bref d’institution du commissaire des antiquités, daté du 8 novembre 1534, on peut affirmer que, dans ce cas seulement, il est justifié de parler de création d’un institut préposé à la protection des antiquités, précurseur de l’organisation structurée postconciliaire de 1561 et qui perdurera, avec des hauts et des bas, jusqu’à son abolition, décrétée le 8 novembre 1870.

    23Le rôle dont fut investi le Commissariat, avec les instruments prévus pour tenter d’endiguer la destruction et la dispersion des vestiges de l’Antiquité, constitue un premier acte fondamental d’un programme idéologique sur plusieurs niveaux thématiques dont les intentions sont explicitées dans le bref de nomination.

    24Le texte déclare que le pontife doit également veiller à ce que dans la ville de Rome, outre le culte religieux, soit respectée la mémoire des monuments antiques dès lors que Dieu a voulu qu’elle fût le premier siège de l’empire universel et, par la suite, de la religion chrétienne. Que la capitale de la chrétienté ait été érigée dans le lieu d’où l’empire le plus puissant avait rayonné n’est pas sans rapport avec la dignité et la gloire de la foi. Après la disparition de l’Empire, conséquence de l’instabilité des choses humaines, la religion lui a succédé afin de resplendir avec plus d’éclat auprès des puissances terrestres. Après la fin de la culture idolâtre et le passage au culte de Dieu et des saints, les monuments anciens devaient être restaurés pour qu’on y célébre les mystères divins. La réalité, par contre, était que les ornamenta tombaient en ruine, que les arbres y poussaient, que s’y entassaient de misérables cabanes et que l’on transférait les pierres hors de l’Urbs ou qu’on les broyait pour en faire de la chaux. Dans cette dispersion, outre l’offense faite à la majesté de Rome, on commettait un sacrilège car on soustrayait les os des martyrs enterrés dans les ruines. Pour conserver le décorum et la dignité de la patrie, non seulement pour des motifs administratifs mais par amour envers celle-ci, on nomme le commissaire général chargé de veiller sur tout ce qui pouvait être considéré comme “antiquité” ou “monument”, afin de pourvoir à la restauration, au déblaiement de la végétation et des constructions nouvelles, tout en interdisant la destruction ou l’exportation, sous peine d’une amende et de l’excommunication après avertissement préalable. Pour ce qui concerne la typologie des biens préservés, la liste comprend :

    « Monimenta, Arcus, Templa, Trophea, Theatra, Amphitheatra, Circi, Naumachiae, Porticus, Columnae, Sepulchra, Epitaphia, Elogia, Moles, Aquaeductus, Statuae, Signa, Tabulae, Lapides, Marmora, & denique quicquid nomine Antiquitatum vel Monimentorum comprehendi potest23. »

    25Faire se souvenir, affirmait Varron dans De lingua latina, équivaut à conserver la mémoire, c’est presque comme être la mémoire, « parce que celui qui fait se souvenir est comme la mémoire », et donc « toutes les choses écrites ou faites pour transmettre la mémoire sont appelées monimenta24 ». Les monumenta sont les témoignages existants. Dans le document, on trouve les traces d’une conceptualisation de l’ancien au sens propre, celle d’une antiquité différente du passé dans son ensemble. « Antiquitas » est ce qui ressort de la « venustas ». Le bref d’institution du Commissariat est le manifeste de la justification idéologique qui aurait habilité toute opération entreprise au fil du temps, résumée dans l’idée que « Rome est le résultat inextricable de son Empire et de sa Religion25 », et ses ruines sont en ce sens des ruines politiques.

    26La récupération physique de la Rome antique est fonction d’une vision idéologique de l’Église, de la reprise et acquisition du mythe de l’Empire romain de la part de la papauté. Les ruines assument une signification politique dans la mesure où l’ensemble des ornamenta de Rome, dont l’identité est durablement conçue en termes d’une présence massive à l’intérieur du premier mile de l’espace entourant le Pomerium, acquiert pour la cité une valeur juridique et honorifique. Il s’agit d’une création juridique qui sous-tend et réglera par la suite aussi l’encadrement des fouilles d’antiquités – les concessions de licences, la réglementation des mesures d’interdiction de l’exportation de marbres et les autorisations de dérogations relatives à celles-ci. C’est une unité patrimoniale dont les Mirabilia Urbis Romae ont sans doute pu constituer dans le passé un premier témoignage de reconnaissance dont les objectifs apparaîtraient plus clairement s’ils étaient interprétés dans le contexte social, administratif mais aussi juridique d’origine. Une explication analogue, liée à la recherche des présupposés juridiques de l’idéologie municipale, s’imposerait, comme l’avaient déjà suggéré les éditeurs du Codice topografico della città di Roma, pour la Descriptio Urbis Romae eiusque excellentiae de Signorili26.

    ⁂

    27Pour conclure, je voudrais évoquer une représentation de l’idée exprimée dans cette dernière citation, expression que l’on trouve dans l’Architectura picta de Raphaël27. En tant qu’artiste, dans la demande de récupération de l’Antiquité, il exprime toute la tension pour la sauvegarde des témoignages sécularisés de la traditio de l’art qui, intrinsèque à l’œuvre d’art elle-même, ne pouvait être redécouverte comme modèle de génie et de conception créatrice qu’à travers la survie matérielle des vestiges de l’Antiquité pour en permettre l’étude et le dessin.

    Fig. 2. – Le Forum romain vu du mont Palatin.

    Image

    Luigi Canina, Esposizione storica e topografica del Foro Romano e sue adiacenze, Rome, Tipi dello stesso Canina, 1845.

    28Dans la pièce de L’Incendie de Borgo au Vatican, la fresque (voir cahier couleur, fig. 4), réalisée en 1514, qui représente l’événement tragique, est disposé un aménagement scénographique novateur, basé sur des quintes architecturales, constituées de deux groupes de colonnes, l’un en perspective et l’autre frontal, qui coïncident avec la transposition exacte de groupes analogues, disposés sous les pentes du Capitole (fig. 3), appartenant aux vestiges des temples de Saturne et de Vespasien avec la seule variante des chapiteaux (fig. 4).

    Fig. 3. – Élaboration par le maître Giancarlo Micheli de L’Incendio di Borgo de Raphaël.

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    En grisé : les colonnes des temples de Saturne et de Vespasien.

    Fig. 4. – L’Incendio di Borgo de Raphaël (1514).

    Image

    Musées du Vatican, Vatican, source : Wikimédia Commons.

    29On a pu expérimenter comment, en identifiant la position du point de fuite de la perspective représentée dans la fresque conçue par le maître, il était possible de reconstruire une perspective analogue à cette zone des Fora, en se basant sur un relevé métrique effectif. Sur la reconstruction en perspective obtenue, on a ensuite composé le Tabularium et superposé à celui-ci le fragment de la façade de l’ancienne basilique de Saint-Pierre avec la loggia des bénédictions. Le résultat de la restitution est intéressant non seulement du point de vue de sa conformité à la réalité, mais également parce que la méthode du relevé scientifique a été appliquée à une représentation qui est le manifeste idéal de la nouvelle Rome, entendue comme caput de la sancta christiana religio dans l’Empire romain. Le message, dans son contenu, à la signification historique prégnante, de L’Incendie de Borgo, est renforcé ultérieurement par la relation et le rapport réciproque avec la vision directe des ruines monumentales de la Rome païenne et chrétienne.

    Notes de bas de page

    1 ThLL. IX 2, col. 1008-1016 ; 1017-1022 ; voir les articles « Ornamentum » et « Ornatus », dans le Novum glossarium mediae latinitatis (NGML), Copenhague, Munksgaard, fasc. Ordior-Oz, 1983, col. 807-811 et col. 812-816, et Pierre Gros, « La notion d’ornamentum de Vitruve à Alberti », Perspective, 1 (2010), p. 130-136. Particulièrement éclairant pour la compréhension du concept, ce passage chez Jean-Claude Bonne, « Les ornements de l’histoire (à propos de l’ivoire carolingien de saint Remi) », Annales. Histoire, Sciences sociales, 51(1), 1996, p. 37-70 : « Les ornamenta sont d’abord des choses et leur beauté conçue comme une qualité objective. C’est de ce caractère “chosal” et pas seulement de sa visibilité, que l’ornement est censé tirer une part de son efficace […]. Le “supplément” (de beauté) que l’ornement confère à un objet est un hommage censé correspondre à un surcroît de valeur en lui. La beauté extérieure, la parure, le lustre (en latin decor) doit convenir (decet) d’un point de vue esthétique et axiologique à l’éminence de l’objet ou de la personne qu’il s’agit d’honorer ; l’honor ainsi attribué par le decor est appelé decus, qu’on pourrait traduire par beauté honorifique. […] De l’idée d’ornement comme un complément (d’être) fonctionnel, nous sommes passés à celle d’un supplément (esthétique) qui est dû et sans lequel la chose ne serait pas pleinement elle-même ni reconnue pour ce qu’elle est » (p. 45-46).

    2 Commissariato delle Antichità dello Stato Pontificio (istituzione 8 novembre 1534 abolizione 8 novembre 1870). Voir Ronald T. Ridley, « To protect the Monuments: the Papal Antiquarian (1534-1870) », Xenia Antiqua, 1992, I, p. 117-154.

    3 Dont Patricia Falguières que je remercie beaucoup. J’ai suivi en 2010-2011 son cours « Arts de la Renaissance : les marbres » dans le programme de l’EHESS à l’INHA de Paris : De Vivès à Vico : Institutions, catégories et disciplines du savoir dans l’Europe de la Renaissance par Patricia Falguières, Daniela Gallo, Philippe Sénéchal, Nataša Petrešin-Bachelez, Hans-Ulrich Obrist et Élisabeth Lebovici. Voir Patricia Falguières, « De Vivès à Vico : institutions, catégories et disciplines du savoir dans l’Europe de la Renaissance », Annuaire de l’EHESS, 2009, p. 516.

    4 Je remercie Paolo Napoli, directeur d’études à l’EHESS – Centre d’études des normes juridiques « Yan Thomas » – Institut Marcel Mauss, qui m’a autoriséE à consulter le fonds Yan Thomas. La communication écrite est basée sur les textes suivants de l’auteur, en particulier : id., « Les ornements de la Ville », Traverses, 1993, p. 100-108 ; « Les ornements, la cité, le patrimoine », in Clara Auvray-Assayas (éd.), Images romaines, Paris, PENS, 1998, p. 263-284 ; « Res, chose et patrimoine. Note sur le rapport sujet-objet en droit romain », Archives de philosophie du droit, 25, 1980, p. 413-426 ; « Corpus aut ossa aut cineres. La chose religieuse et le commerce », Micrologus, Il cadavere/the Corpse, 7, 1999, p. 73-112 ; « La construction de l’unité civique. Choses publiques, choses communes, choses n’appartenant à personne et représentation », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, 114, 2002-1, p. 7-39 ; « Res religiosae: on the Categories of Religion and Commerce », in Alain Pottage et Martha Mundy (éd.), Law, Anthropology, and the Constitution of the Social: Making Persons and Things, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 40-73.

    5 Antonio Giuliano, « Roma decore nudata prostrata iacet », in Atti della Accademia Nazionale dei Lincei. Classe di scienze morali, storiche e filologiche, Memorie, série IX, vol. 14, 3 (2002), p. 187-382 ; voir Sabine Forero Mendoza, Le temps des ruines. Le goût des ruines et les formes de la conscience historique à la Renaissance, Paris, Champ Vallon, 2002.

    6 Ernst Kantorowicz, « La souveraineté de l’artiste. Note sur les maximes juridiques et les théories esthétiques de la Renaissance », in id., Mourir pour la patrie et autres textes, Paris, Presses universitaires de France, 1984, p. 43-73 ; voir P. Falguières, « Rome, dépouilles et parures. Les ornements de la ville », in Aux origines des cultures juridiques européennes. Yan Thomas entre droit et sciences sociales, Rome, École française de Rome, 2013, p. 47-69, ici p. 49 et note 6 ; id., « L’ornement du droit », in Questionner l’ornement, Paris, Les Arts décoratifs/INHA, 2013, mis en ligne le 17 janvier 2014.

    7 Y. Thomas, « La valeur des choses. Le droit romain hors la religion », Annales. Histoire, Sciences sociales, 57-6, 2002, p. 1431-1462 ; voir la traduction italienne : Y. Thomas, Il valore delle cose, éd. M. Spanò, Macerata, Quodlibet, 2015, p. 21-84.

    8 José Luis Murga Gener, El edificio como unidad en la jurisprudencia romana y en la lex, Séville, Servicio de Publicaciones de la Universidad, 1986.

    9 Ibid., p. 25.

    10 Ibid., p. 28.

    11 Y. Thomas, « Les ornements de la Ville », art. cité, p. 100-108 ; id., « Les ornements, la cité, le patrimoine », art. cité, p. 263-284.

    12 Ibid., p. 276.

    13 Ibid., p. 278.

    14 Ibid., p. 280.

    15 J. L. Murga Gener, op. cit., p. 51-53.

    16 Pierre Michaud-Quentin, Universitas. Expressions du mouvement communautaire dans le Moyen Âge latin, Paris, Vrin, 1970, p. 289.

    17 Salvatore Settis, « Continuità, distanza, conoscenza. Tre usi dell’antico nell’arte italiana », in id. (dir.), Memoria dell’antico nell’arte italiano, vol. 3 : Dalla tradizione all’archeologia, Turin, Einaudi, 1986, p. 373-486.

    18 Alfonso Salimei, « I più antichi “Statuta Urbis” in un codice capitolino », Capitolium, XII, 1933, p. 628-636 ; voir Paola Pavan, « Intorno agli Statuti di Roma del 1363 », Bollettino della Deputazione di storia patria per l’Umbria, CXII, fasc. I-II, 2015, p. 367-388.

    19 ASC Rome, Liber Statutorum Urbis, Cred. XV, t. 45 : « Pour que, concernant les ruines, la cité ne soit pas déformée et parce que les édifices antiques représentent publiquement le décor de la Ville, nous statuons que personne n’ose détruire des édifices antiques de la Ville ou en faire détruire à l’intérieur de la Ville, sous peine de 100 lires provinoises, à payer à moitié à la Chambre, à moitié à l’accusateur. Et le sénateur est tenu de procéder par inquisition, et ni le sénateur ni autre personne ne peut donner licence contraire à cela, et qui la donne sera taxé d’une peine de 100 florins d’or appliquée par la Chambre, et néanmois la licence donnée ne sera pas valide. »

    20 Augustin Theiner, Codex diplomaticus dominii temporalis S. Sedis : recueil de documents pour servir à l’histoire du gouvernement temporel des États du Saint-Siège extraits des archives du Vatican, vol. 3, Rome, Imprimerie du Vatican, 1862, p. 422-423.

    21 Patricia Falguières, « Alberti, l’ornement, la nature et le droit (L.B. Alberti, De re aedificatoria, VI, 2, 93) », Albertiana, XX (n. s. II), no 1, 2017, p. 97-144.

    22 Le texte est cité par William Roscoe, The Life and Pontificate of Leo the Tenth, 4 vol., Londres, T. Cadell, 1827 (3e éd.), p. 474 (« car j’ai été informé que de nombreux marbres antiques et de pierre sont incisées de lettres et de textes qui sont souvent d’une qualité extraordinaire et qu’il est précieux de conserver pour la culture des lettres et pour augmenter l’élégance de la langue romaine »).

    23 ASV, Minutae Brevium, Arm. 41, t. I, n. 41 ; voir Luigi Gaetano Marini, Degli Archiatri pontifici, 2 vol., Rome, Stamperia Pagliarini, 1784, vol. I, p. 280-283 (« monuments, arcs, temples, trophées, théâtres, amphithéâtres, cirques, naumachies, portiques, colonnes, tombeaux, épitaphes, inscriptions, blocs, édifices, acqueducs, statues, images, tableaux, pierres, marbres, et enfin tout ce qui peut se considérer sous le nom d’antiquités ou de monuments […] »).

    24 Elisa Romano, « Il concetto di antico in Varrone », in Mario Citroni (dir.), Memoria e identità. La cultura romana costruisce la sua immagine, Florence, Dipartimento di Scienze dell’Antichità, 2003, p. 99-117.

    25 Luigi Spezzaferro et Richard Tuttle, « Place Farnèse : urbanisme et politique », in Le palais Farnèse, éd. André Chastel et Georges Vallet, 3 vol., Rome, École française de Rome, 1981, vol. I, p. 85-123 (pour la citation, p. 106).

    26 Roberto Valentini et Giuseppe Zucchetti, Codice topografico della città di Roma, vol. IV, Rome, Tipografia del Senato, 1953, p. 152-153 et P. Pavan, « Intorno agli Statuti di Roma del 1363 », Bollettino della deputazione di storia patria per l’Umbria, CXII, 2015, p. 367-388, n. 29. Voir également A. Quattrocchi, « Gli Epigrammata Antiquae Urbis della Biblioteca Angelica appartenuti a Latino Giovenale Manetti », in Joan Carbonell Manils et Gerard González Germain, The Epigrammata Antiquae Urbis (1521) and Its Influence on European Antiquarianism, Rome, «L’Erma» di Bretschneider, 2020, p. 41-53.

    27 Voir Gianfranco Spagnesi, Mario Fondelli et Emma Mandelli (éd.), Raffaello, l’architettura picta: percezione e realtà: Roma-Urbino-Firenze-Milano, Rome, Multigrafica, 1984, en particulier p. 218 ; Claudio Strinati, Raffaello, inserto di «Art e dossier», Florence, Giunti, 1995.

    Auteur

    • Angela Quattrocchi
      Angela Quattrocchi est architecte, diplômée de l’université La Sapienza de Rome. Depuis 2003, elle est chercheure et professeure adjointe au département Architettura e Territorio de l’université Mediterranea de Reggio Calabria, où elle enseigne les disciplines de la restauration architecturale et la théorie et l’histoire de la restauration. Son activité de recherche est orientée sur les fondements théoriques de la protection des bâtiments, l’histoire des origines des institutions chargées de la protection du patrimoine historique-monumental et l’analyse de l’œuvre dans sa cohérence figurative, matérielle et constructive dans son développement diachronique. Consultant pour le ministère du Patrimoine culturel et pour des instituts de recherche, elle a récemment publié l’essai « Gli Epigrammata Antiquae Urbis della Biblioteca Angelica appartenuti a Latino Giovenale Manetti », in Carbonell Manils et J.-González Germain (dir.), in « The Epigrammata Antiquae Urbis (1521) and Its Influence on European Antiquarianism », «L’Erma» di Bretschneider Roma, 2020, p. 41-53.
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    1 ThLL. IX 2, col. 1008-1016 ; 1017-1022 ; voir les articles « Ornamentum » et « Ornatus », dans le Novum glossarium mediae latinitatis (NGML), Copenhague, Munksgaard, fasc. Ordior-Oz, 1983, col. 807-811 et col. 812-816, et Pierre Gros, « La notion d’ornamentum de Vitruve à Alberti », Perspective, 1 (2010), p. 130-136. Particulièrement éclairant pour la compréhension du concept, ce passage chez Jean-Claude Bonne, « Les ornements de l’histoire (à propos de l’ivoire carolingien de saint Remi) », Annales. Histoire, Sciences sociales, 51(1), 1996, p. 37-70 : « Les ornamenta sont d’abord des choses et leur beauté conçue comme une qualité objective. C’est de ce caractère “chosal” et pas seulement de sa visibilité, que l’ornement est censé tirer une part de son efficace […]. Le “supplément” (de beauté) que l’ornement confère à un objet est un hommage censé correspondre à un surcroît de valeur en lui. La beauté extérieure, la parure, le lustre (en latin decor) doit convenir (decet) d’un point de vue esthétique et axiologique à l’éminence de l’objet ou de la personne qu’il s’agit d’honorer ; l’honor ainsi attribué par le decor est appelé decus, qu’on pourrait traduire par beauté honorifique. […] De l’idée d’ornement comme un complément (d’être) fonctionnel, nous sommes passés à celle d’un supplément (esthétique) qui est dû et sans lequel la chose ne serait pas pleinement elle-même ni reconnue pour ce qu’elle est » (p. 45-46).

    2 Commissariato delle Antichità dello Stato Pontificio (istituzione 8 novembre 1534 abolizione 8 novembre 1870). Voir Ronald T. Ridley, « To protect the Monuments: the Papal Antiquarian (1534-1870) », Xenia Antiqua, 1992, I, p. 117-154.

    3 Dont Patricia Falguières que je remercie beaucoup. J’ai suivi en 2010-2011 son cours « Arts de la Renaissance : les marbres » dans le programme de l’EHESS à l’INHA de Paris : De Vivès à Vico : Institutions, catégories et disciplines du savoir dans l’Europe de la Renaissance par Patricia Falguières, Daniela Gallo, Philippe Sénéchal, Nataša Petrešin-Bachelez, Hans-Ulrich Obrist et Élisabeth Lebovici. Voir Patricia Falguières, « De Vivès à Vico : institutions, catégories et disciplines du savoir dans l’Europe de la Renaissance », Annuaire de l’EHESS, 2009, p. 516.

    4 Je remercie Paolo Napoli, directeur d’études à l’EHESS – Centre d’études des normes juridiques « Yan Thomas » – Institut Marcel Mauss, qui m’a autoriséE à consulter le fonds Yan Thomas. La communication écrite est basée sur les textes suivants de l’auteur, en particulier : id., « Les ornements de la Ville », Traverses, 1993, p. 100-108 ; « Les ornements, la cité, le patrimoine », in Clara Auvray-Assayas (éd.), Images romaines, Paris, PENS, 1998, p. 263-284 ; « Res, chose et patrimoine. Note sur le rapport sujet-objet en droit romain », Archives de philosophie du droit, 25, 1980, p. 413-426 ; « Corpus aut ossa aut cineres. La chose religieuse et le commerce », Micrologus, Il cadavere/the Corpse, 7, 1999, p. 73-112 ; « La construction de l’unité civique. Choses publiques, choses communes, choses n’appartenant à personne et représentation », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, 114, 2002-1, p. 7-39 ; « Res religiosae: on the Categories of Religion and Commerce », in Alain Pottage et Martha Mundy (éd.), Law, Anthropology, and the Constitution of the Social: Making Persons and Things, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 40-73.

    5 Antonio Giuliano, « Roma decore nudata prostrata iacet », in Atti della Accademia Nazionale dei Lincei. Classe di scienze morali, storiche e filologiche, Memorie, série IX, vol. 14, 3 (2002), p. 187-382 ; voir Sabine Forero Mendoza, Le temps des ruines. Le goût des ruines et les formes de la conscience historique à la Renaissance, Paris, Champ Vallon, 2002.

    6 Ernst Kantorowicz, « La souveraineté de l’artiste. Note sur les maximes juridiques et les théories esthétiques de la Renaissance », in id., Mourir pour la patrie et autres textes, Paris, Presses universitaires de France, 1984, p. 43-73 ; voir P. Falguières, « Rome, dépouilles et parures. Les ornements de la ville », in Aux origines des cultures juridiques européennes. Yan Thomas entre droit et sciences sociales, Rome, École française de Rome, 2013, p. 47-69, ici p. 49 et note 6 ; id., « L’ornement du droit », in Questionner l’ornement, Paris, Les Arts décoratifs/INHA, 2013, mis en ligne le 17 janvier 2014.

    7 Y. Thomas, « La valeur des choses. Le droit romain hors la religion », Annales. Histoire, Sciences sociales, 57-6, 2002, p. 1431-1462 ; voir la traduction italienne : Y. Thomas, Il valore delle cose, éd. M. Spanò, Macerata, Quodlibet, 2015, p. 21-84.

    8 José Luis Murga Gener, El edificio como unidad en la jurisprudencia romana y en la lex, Séville, Servicio de Publicaciones de la Universidad, 1986.

    9 Ibid., p. 25.

    10 Ibid., p. 28.

    11 Y. Thomas, « Les ornements de la Ville », art. cité, p. 100-108 ; id., « Les ornements, la cité, le patrimoine », art. cité, p. 263-284.

    12 Ibid., p. 276.

    13 Ibid., p. 278.

    14 Ibid., p. 280.

    15 J. L. Murga Gener, op. cit., p. 51-53.

    16 Pierre Michaud-Quentin, Universitas. Expressions du mouvement communautaire dans le Moyen Âge latin, Paris, Vrin, 1970, p. 289.

    17 Salvatore Settis, « Continuità, distanza, conoscenza. Tre usi dell’antico nell’arte italiana », in id. (dir.), Memoria dell’antico nell’arte italiano, vol. 3 : Dalla tradizione all’archeologia, Turin, Einaudi, 1986, p. 373-486.

    18 Alfonso Salimei, « I più antichi “Statuta Urbis” in un codice capitolino », Capitolium, XII, 1933, p. 628-636 ; voir Paola Pavan, « Intorno agli Statuti di Roma del 1363 », Bollettino della Deputazione di storia patria per l’Umbria, CXII, fasc. I-II, 2015, p. 367-388.

    19 ASC Rome, Liber Statutorum Urbis, Cred. XV, t. 45 : « Pour que, concernant les ruines, la cité ne soit pas déformée et parce que les édifices antiques représentent publiquement le décor de la Ville, nous statuons que personne n’ose détruire des édifices antiques de la Ville ou en faire détruire à l’intérieur de la Ville, sous peine de 100 lires provinoises, à payer à moitié à la Chambre, à moitié à l’accusateur. Et le sénateur est tenu de procéder par inquisition, et ni le sénateur ni autre personne ne peut donner licence contraire à cela, et qui la donne sera taxé d’une peine de 100 florins d’or appliquée par la Chambre, et néanmois la licence donnée ne sera pas valide. »

    20 Augustin Theiner, Codex diplomaticus dominii temporalis S. Sedis : recueil de documents pour servir à l’histoire du gouvernement temporel des États du Saint-Siège extraits des archives du Vatican, vol. 3, Rome, Imprimerie du Vatican, 1862, p. 422-423.

    21 Patricia Falguières, « Alberti, l’ornement, la nature et le droit (L.B. Alberti, De re aedificatoria, VI, 2, 93) », Albertiana, XX (n. s. II), no 1, 2017, p. 97-144.

    22 Le texte est cité par William Roscoe, The Life and Pontificate of Leo the Tenth, 4 vol., Londres, T. Cadell, 1827 (3e éd.), p. 474 (« car j’ai été informé que de nombreux marbres antiques et de pierre sont incisées de lettres et de textes qui sont souvent d’une qualité extraordinaire et qu’il est précieux de conserver pour la culture des lettres et pour augmenter l’élégance de la langue romaine »).

    23 ASV, Minutae Brevium, Arm. 41, t. I, n. 41 ; voir Luigi Gaetano Marini, Degli Archiatri pontifici, 2 vol., Rome, Stamperia Pagliarini, 1784, vol. I, p. 280-283 (« monuments, arcs, temples, trophées, théâtres, amphithéâtres, cirques, naumachies, portiques, colonnes, tombeaux, épitaphes, inscriptions, blocs, édifices, acqueducs, statues, images, tableaux, pierres, marbres, et enfin tout ce qui peut se considérer sous le nom d’antiquités ou de monuments […] »).

    24 Elisa Romano, « Il concetto di antico in Varrone », in Mario Citroni (dir.), Memoria e identità. La cultura romana costruisce la sua immagine, Florence, Dipartimento di Scienze dell’Antichità, 2003, p. 99-117.

    25 Luigi Spezzaferro et Richard Tuttle, « Place Farnèse : urbanisme et politique », in Le palais Farnèse, éd. André Chastel et Georges Vallet, 3 vol., Rome, École française de Rome, 1981, vol. I, p. 85-123 (pour la citation, p. 106).

    26 Roberto Valentini et Giuseppe Zucchetti, Codice topografico della città di Roma, vol. IV, Rome, Tipografia del Senato, 1953, p. 152-153 et P. Pavan, « Intorno agli Statuti di Roma del 1363 », Bollettino della deputazione di storia patria per l’Umbria, CXII, 2015, p. 367-388, n. 29. Voir également A. Quattrocchi, « Gli Epigrammata Antiquae Urbis della Biblioteca Angelica appartenuti a Latino Giovenale Manetti », in Joan Carbonell Manils et Gerard González Germain, The Epigrammata Antiquae Urbis (1521) and Its Influence on European Antiquarianism, Rome, «L’Erma» di Bretschneider, 2020, p. 41-53.

    27 Voir Gianfranco Spagnesi, Mario Fondelli et Emma Mandelli (éd.), Raffaello, l’architettura picta: percezione e realtà: Roma-Urbino-Firenze-Milano, Rome, Multigrafica, 1984, en particulier p. 218 ; Claudio Strinati, Raffaello, inserto di «Art e dossier», Florence, Giunti, 1995.

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    Quattrocchi, A. (2024). « Ce qui reste de Rome ». In A. Burkardt & J. Grévy (éds.), Ruines politiques (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.195218
    Quattrocchi, Angela. « “Ce qui reste de Rome” ». In Ruines politiques, édité par Albrecht Burkardt et Jérôme Grévy. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2024. https://doi.org/10.4000/books.pur.195218.
    Quattrocchi, Angela. « “Ce qui reste de Rome” ». Ruines politiques, édité par Albrecht Burkardt et Jérôme Grévy, Presses universitaires de Rennes, 2024, https://doi.org/10.4000/books.pur.195218.

    Référence numérique du livre

    Format

    Burkardt, A., & Grévy, J. (éds.). (2024). Ruines politiques (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.194258
    Burkardt, Albrecht, et Jérôme Grévy, éd. Ruines politiques. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2024. https://doi.org/10.4000/books.pur.194258.
    Burkardt, Albrecht, et Jérôme Grévy, éditeurs. Ruines politiques. Presses universitaires de Rennes, 2024, https://doi.org/10.4000/books.pur.194258.
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