Les cheveux de Sidoine Apollinaire
Identifier le « corps de l’honneur » dans l’Antiquité tardive (ive-vie siècles après J.-C.)
p. 259-276
Texte intégral
Introduction
1Traiter du sens de l’honneur dans la société romaine tardo-antique pourrait sembler une gageure, tant les sources dont l’historien dispose sont parcellaires, et traitent d’abord et avant tout de l’honor entendu comme une rétribution sociale concrétisée par l’octroi d’une magistrature, celle-ci résume alors l’adéquation entre les virtutes et les officia publica qui, une fois corrélés, permettent l’objectivisation sociale de la dignitas d’un individu1. Pourtant, la question des rapports entre l’honor et l’honneur-estime se posent et se révèlent encore plus explicitement dans le latin carolingien, comme l’illustre un capitulaire de Louis le Pieux2.
2Mon propos sera précisément d’essayer d’esquiver cette lecture sémantique et institutionnelle limitée par l’inadéquation entre l’« honneur-estime » et l’honor3, pour s’inscrire plutôt à la suite des réflexions de Georg Simmel et de l’anthropologue Julian Pitt-Rivers afin d’analyser les liens étroits qui unissent l’honneur à l’individualité dans la romanité tardive. En effet, on sait l’importance d’une gestuelle quotidienne contemporaine dans l’identification sociale, qu’il s’agisse de céder le pas, de serrer la main, de se lever ou de s’asseoir selon un agencement et un ordre convenus, ou tout autre rituel qui exprime la reconnaissance d’un statut honorifique par l’attitude corporelle4.
3L’Antiquité tardive n’a guère été interrogée sur ces démonstrations physiques de l’honneur et moins encore sur les éventuelles adaptations des pratiques afférentes à celui-ci au cours des évolutions structurelles survenues au cours des ive-vie siècle apr. J.-C.5. À cet égard, il paraît donc utile d’analyser ce que j’appellerai les atteintes au « corps de l’honneur » et d’analyser certaines logiques partagées, en s’attachant plus au contexte de situation qu’au relevé lexicologique, et en gardant à l’esprit toutes les difficultés que l’historien peut rencontrer lorsqu’il aborde une notion qui relève de la sensibilité, et non d’une factualité juridique ou événementielle.
L’atteinte au « corps de l’honneur » : les difficultés d’identification du sensible
4En effet, il est notable de relever l’absence apparente de phénomènes assimilables au point d’honneur médiéval, ou au duel de l’époque moderne dans l’Antiquité gréco-romaine. En 1880, Arthur Schopenhauer – l’un des rares philosophes modernes à avoir traité de l’honneur – distinguait clairement celui-ci du rang et soulignait l’absence de tout sentiment d’offense à l’insulte et l’indifférence proclamée des Anciens à l’honneur corporel, lesquels se manifestèrent par l’absence de la culture du duel encore si vivace au xixe siècle6. De prime abord, des exemples semblent pouvoir lui donner raison. Tite Live met ainsi en scène Marius, défié par un chef teuton, qui refuse le duel sans n’en retirer aucune honte7. Plutarque loue quant à lui la patience de Thémistocle prêt à se faire frapper par Eurybiade, sans aucune intention de répondre au soufflet8. Socrate semble tout aussi passif face au coup reçu9. Mieux encore, le cynique Cratès, frappé au visage par le musicien Nicodrome, déambule avec une pancarte marquée « Nicodrome a fait cela » : on aurait ri de son agresseur10.
5Dans les Nuits attiques, Aulu Gelle rapporte le cas de Lucius Veratius, qui souffletait des hommes libres dans la rue, suivi d’un esclave porteur de monnaies de cuivre qui servaient à payer immédiatement l’amende légale de 25 as, somme qui paraît bien trop faible pour empêcher ce qui était bel et bien considéré comme une iniuria11. À cette occasion, Aulu Gelle rapporte que les préteurs auraient alors décidé de donner des juges pour évaluer les injures. Dans le même temps, la loi du talion exposée dans les Douze Tables est présentée comme irréaliste12.
6Un autre exemple remarquable de l’indifférence supposée des Anciens à l’offense physique peut être lu dans le De constantia de Sénèque où, traitant des outrages (contumelia), le philosophe loue l’exemple de Caton d’Utique qui, frappé au visage et sa toge arrachée, ne tira aucune vengeance de son traitement, pas plus qu’il ne le pardonna13. En fait, Schopenhauer estimait que cette absence d’honneur « chevaleresque », qui laisse même à peine place au système judiciaire, était due à une conception naturaliste typique des Anciens : un coup n’aurait été qu’un coup. En cela, il les présente tacitement comme des exemples à suivre face à ses contemporains du xixe siècle, apeurés par « un soufflet à l’Assemblée nationale à Paris14 ». Et d’en conclure que l’évolution du développement d’un « honneur-estime » violent est due à la place croissante prise par la femme dans les sociétés, laquelle encouragerait tacitement une surenchère de l’exploit et de la brutalité virile15.
7La lecture de ces exemples classiques paraît toutefois souligner le primat d’une constantia philosophique qui sublimerait la maîtrise de soi comme vertu supérieure, au-dessus de la considération d’un « corps de l’honneur » dont l’atteinte humiliante supposerait réparation. Dans le même temps, ces exempla moralisants illustrent la valeur de l’offense, et ce par l’insistance avec laquelle on admirera celui qui fait fi de son honneur personnel, ou le situera au-delà de sa corporalité.
8Certes, il semble difficile de considérer les pratiques d’humiliation ritualisées telles que celle de la deditio pratiquée depuis les premières conquêtes républicaines, et dont Ammien Marcellin fournit encore quelques exemples notables au ive siècle apr. J.-C., tel qu’à l’occasion de l’imploration de Constance II par les Sarmates du prince Zizaïs16. Ces pratiques s’insèrent davantage dans une relation contractuelle et asymétrique que dans une authentique atteinte à l’honneur : on sait même des deditiones utilisées par les prétendus vaincus pour tenter de s’en prendre à l’empereur en personne17. Les passages sous le joug pratiqués tour à tour par les Samnites et les Romains sont également révélateurs, bien que la mesure semble avoir été exceptionnelle18.
9Les narrations qui, au-delà de la description pathétique, rapportent des inversions volontaires de l’ordre social et le traitement déshonorant dont un individu peut être l’objet, sont tout aussi éloquentes. Sur ce point, l’image de désolation illustrée par des primores défilant à pied est d’autant plus remarquable qu’elle souligne l’humiliation d’une déchéance symbolique sur laquelle notre regard contemporain passe sans doute trop rapidement. Ainsi, Olympiodore décrit Galla Placidia marchant devant sa propre monture pendant douze milles (soit environ 17 km), sur ordre du wisigoth Sigéric19. Il ne s’agit pas ici d’un geste à portée utilitaire, réglé par le droit ou la nécessité, mais d’un simple souhait d’humilier la sœur d’Honorius, par ailleurs veuve d’Athaulf, successeur et parent d’Alaric. La précision visant à souligner la présence de la monture et de la distance parcourue rapproche la scène d’un triomphe inversé, Sigéric figurant comme triumphator, tandis que la future augusta doit parcourir une distance telle qu’elle n’en avait sans doute jamais parcourue à pied. On se souviendra en effet qu’Ammien Marcellin, tout officier militaire du corps des domestiques qu’il fût, se plaignit d’avoir à parcourir dix milles à pied, soit 15 km tout au plus, lors de sa fuite d’Amida mise à sac en 359 apr. J.-C. Il s’explique en effet en rappelant qu’il est « bien né » (ingenuus)20.
10Néanmoins, des sanctions visent clairement à signaler une attitude déshonorante. Un exemple tardif peut être lu chez Zosime qui évoque la sanction choisie par l’empereur Julien pour sanctionner une unité de cavalerie qui avait fui au premier heurt au cours de la bataille de Strasbourg : tous les soldats furent contraints de s’habiller en femmes21. Il s’agit ici clairement d’humilier les soldats en leur retirant leur virilité de manière symbolique. Ce faisant, l’empereur allait encore plus loin qu’avec l’exclusion du camp qui pouvait être attestée chez d’autres auteurs des périodes précédentes22. Chose remarquable, une unité qui se déshonorait au combat pouvait être décriée par les soldats eux-mêmes, comme l’illustre le cas des Tertiaques lors de l’expédition de Perse de 361 apr. J.-C. Ceux-ci auraient déstabilisé l’armée en hésitant à l’assaut : on leur retire leurs enseignes (exauctoratio) et leurs lances sont brisées. On leur impose ensuite de marcher avec les bagages et les prisonniers. Ce fut donc une sanction déshonorante, réclamée par l’armée elle-même, que sanctionna l’empereur Julien23. Il n’est pas étonnant que l’on trouve de telles mesures dans le domaine militaire : elles ont valeur d’avertissements et alimentent l’émulation des soldats.
11Dans un article consacré aux outrages aux magistrats à la fin de la République, Marie-Claire Ferriès n’a pas discerné de seuil évident à partir duquel l’homme romain pouvait se sentir physiquement atteint dans son honneur. Si l’on met dès à présent de côté la multitude d’exemples de mutilations post mortem24 ou des mutilations juridiques spécifiques telles le « décret des mains coupées » athénien (akrôtêriasmos) étudié par Jean-Christophe Couvenhes, rien ne semble clair ni pérenne. On peut certes imaginer la colère du consul Bibulus recevant un panier d’ordures en plein visage en 59 av. J.-C. ou l’agacement mesquin de P. Servilius Isauricus qui fit condamner un homme qui n’était pas descendu de cheval à son passage25. Toutefois, parler d’atteinte à l’honneur semble ici excessif et la négation de la reconnaissance statutaire n’entre pas forcément en adéquation avec le sentiment réel et sensible d’avoir été déshonoré26.
12Si une gestuelle du déshonneur semble pouvoir être dégagée, est-il possible d’identifier plus précisément un « corps de l’honneur » ? Sur ce point, un trait récurrent des situations relevées est le souci des auteurs pour la localisation de l’injure, notamment lorsque le visage est atteint. Ainsi se devine l’insistance sur la force morale de Cratès ou de Caton, d’autant plus méritoire qu’on a attenté à leur dignité par le visage, et ce à la face de tous27. Cette importance de l’atteinte au visage de la publicité de l’affront figurait d’ailleurs dans les dicta du juriste Labéon rapportés dans le Digeste de Justinien, comme un motif d’aggravation de l’iniuria, laquelle était d’ailleurs qualifiée d’atrox28.
13Le visage et les « ornements29 » qui caractérisent la tête sont-ils plus sensibles aux gestuelles honorifiques ou, au contraire, aux marques d’humiliation ? À la suite du philosophe Kwame Anthony Appiah, on soulignera quelques récurrences linguistiques : en ashanti twi, se voir déshonoré revient à constater que « son visage est tombé », tout comme un Français ou un Chinois dira qu’il a « perdu la face ». On courbe la tête et l’on baisse les yeux, que cela s’inscrive dans cette « autocontrainte » de civilisation qu’évoquait Norbert Elias ou, plus ponctuellement, dans une situation d’infériorité manifeste qui suppose la démonstration d’une honte30. Mais au-delà de la gestuelle, c’est bien même de la corporalité de l’honneur qu’il sera ici question, en se remémorant par exemple le célèbre épisode du sac de Rome de 390 av. J.-C., au cours duquel les Gaulois trouvèrent les anciens magistrats qui avaient souhaité rester et mourir « avec les insignes de leur ancienne condition, de leurs honneurs et de leur mérite » (« ut in fortunae pristinae honorumque aut uirtutis insignibus »). Ceux-ci attendaient « à l’entrée de leurs demeures » (« in aedium uestibulis »)31 et, assis, se tenaient immobiles telles des statues (simulacra) jusqu’à ce que l’un d’entre eux, Marcus Papirius, se fasse caresser la barbe par l’un des envahisseurs. En lui frappant la tête de son bâton d’ivoire (scipio eburneo), il devait déclencher le massacre général qui s’ensuivit32. Le contact de la barbe, qui n’est pas décrit comme violente (permulcere), est présenté par Tite Live comme la frontière symbolique que ne pouvait souffrir le vieux patricien.
14Le problème posé par l’existence de continuités symboliques ou représentatives propres au corps semble donc se poser de manière particulièrement aiguë pour ce qui constitue les ornements premiers de la tête d’un individu à savoir sa chevelure, ainsi que sa barbe dans le cas d’un homme. Aussi je m’intéresserai à ce cas particulier et aux problèmes que pose ce qu’on pourrait appeler « l’honneur capillaire » dans les sources latines de l’Antiquité tardive, en partant d’un exemple singulier33.
Se « démettre » de sa chevelure dans la Gaule du ve siècle apr. J.-C. : un geste d’humilitas volontaire
15Au début de l’année 470 apr. J.-C., l’ancien préfet de Rome Sidoine Apollinaire, gendre du défunt empereur Avitus, écrit depuis Clermont menacé par la progression des Wisigoths d’Euric à son parent Ecdicius :
« Toutes les perspectives d’espoir, tous les actes de désespoir, on est résolu à les envisager, mais avec toi, sous ton commandement. Si l’État n’a plus ni forces ni soldats, si (comme le bruit en court) l’empereur Anthémius n’a plus de ressources, la Noblesse est décidée, sous ta conduite, à renoncer soit à sa patrie, soit à sa chevelure34. »
16Par cet appel désespéré, celui qui était désormais l’évêque de la cité des Arvernes soulignait l’imminence du péril qui guettait ses compatriotes, en rappelant à lui celui qui, par ses propres ressources, allait parvenir à soutenir la cité arverne assiégée. André Loyen, dans une note afférente, explique à cette occasion qu’il voit dans la formule « capillos dimittere » une mention à la tonsure monastique, telle qu’elle se développait alors depuis le ive siècle apr. J.-C. à travers les différents mouvements érémitiques. Il renvoie par ailleurs à ce titre à une autre épître de Sidoine célébrant la sainteté de Maximus, ancien officier du palais devenu religiosus. Sidoine mentionne à cette occasion les coma brevis et la barba prolixa qui indiquent le nouveau propositum auquel il s’est consacré, une fois abandonnés les fastes séculiers35. Qu’on interprète ou non ces coma brevis comme une tonsure, on pourra également ajouter l’exemple du portrait de l’évêque Faustus de Riez brossé par Sidoine. Celui-ci ne laisse pas croître sa chevelure et ne tire pas gloire du pallium ou du clauus qui sont autant d’insignia des « sophistes ». On retrouvera d’ailleurs à cette occasion l’idée de la perte de la chevelure (mais également du sourcil) de la Philosophie en personne, dépouillée de ses attributs « sacrilèges » dans cette même lettre36. Toutes ces mentions soulignent le lien entre l’ascétisme chrétien et l’abandon de la chevelure.
17Sans surprise, la cause première de cette pratique peut se trouver dans les Écritures. Ainsi la première lettre aux Corinthiens (1 Cor 11, 13-15) et l’Ancien Testament (Lv 19, 27) mentionnent clairement la nécessité pour l’homme de se couper les cheveux et aux femmes, de les garder. Comme c’est bien souvent le cas, on trouvera néanmoins des arguments pour des attitudes inverses dans la Genèse (Gn 1, 26-27 : 9, 6) et les lettres de Paul (1 Co 11, 7 ; Col 3, 10)37. Différentes interprétations ont donc pu se développer et les représentations sociales et culturelles préexistantes jouèrent très probablement un rôle tout aussi essentiel que les interprétations scripturaires chrétiennes.
18La tonsure est une pratique bien attestée par les textes des Pères de l’Église. Si celle-ci s’est répandue sous des formes variées que l’on peine encore à saisir, elle connut un développement en Occident dès la deuxième moitié du ive siècle38. En Occident, saint Augustin appelait les moines récalcitrants à cesser d’arborer leur chevelure39, et la tonsure avait suffisamment imprégné la culture latine du début du ve siècle pour que le concile de Carthage de 398 apr. J.-C. impose la coupe de cheveux. Différentes sources témoignent du développement de cette norme. Ainsi Prudence évoque la perte de la « chevelure flottante » (defluea caesaries) de Thascius Cyprianus, devenu saint Cyprien, au profit des « cheveux courts » (breves capillos)40. Dans la Gaule du tournant des ive et ve siècles, Hilaire d’Arles semble corroborer l’idée du rejet des honneurs par l’adoption des breves capillos, tout comme l’abandon des luxuriantes comae du jeune Honorat à l’occasion de sa conversion41.
19La mise en place d’une telle pratique ne se fit pas sans heurt dans l’empire, et l’on peut mesurer l’importance de la chevelure à l’occasion d’un incident rapporté par Ammien Marcellin. À l’en croire, les Alexandrins mirent en pièce le comte Diodorus qui avait fait tailler les boucles des pueri en y percevant une tradition païenne à la fin des années 350 apr. J.-C.42. L’interprétation du passage est incertaine. En effet, si Jacques Fontaine a pensé trouver une trace d’un culte isiaque dans les cirros puerorum, on notera toutefois qu’Ammien prend une nette distance avec l’interprétation religieuse faite par le malheureux comes par l’utilisation du participe existimans. Néanmoins, Pierre Brûlé a illustré le rôle que pouvait jouer l’offrande de mèches de cheveux aux divinités à travers des attestations de l’Anthologie palatine43. Dès lors il est difficile de déterminer ce qui relève de la religiosité, de la coutume ou tout simplement de la mode, toutes ces réponses ne s’excluant nullement44.
20La chevelure se présente bel et bien ici comme l’une des manifestations sociales du christianisme en expansion, en ce que sa déposition codifiée incarnait visuellement l’humilitas exigée de l’individu, au-delà de l’orthopraxie civique traditionnelle. Ainsi, de la même manière que Césaire d’Arles exhortait régulièrement ses ouailles à des postures d’humiliation volontaire et condamnait – par exemple – les fidèles qui restaient debout lors des cérémonies liturgiques45, la depositio capillorum consacrait l’abandon de tout attachement aux honores saecularum46. On pourra néanmoins être surpris du paradoxe qui veut que là où les mouvements érémitiques marquent l’humilitas par la tonsure, c’est au contraire la longueur désordonnée du poil qui signale dans l’usage classique tout à la fois la démonstration publique d’une honte à conjurer, ou le deuil personnel à surmonter.
21Mais ce mouvement général n’était pas univoque, et le rejet de saint Martin par les autres évêques de Gaule, tel que rapporté par Sulpice Sévère, illustre la concurrence de deux visions de la chevelure : Martin était « méprisable » (indignum) en ce qu’il avait notamment les « cheveux souillés » (crine deformem)47. L’expression renvoie à la même honte qu’évoquait Cicéron brocardant les accusations calomnieuses à l’encontre de Caelius. Les cheveux du saint sont bien une insulte au decus et à l’existimatio qu’un évêque gaulois du ive siècle, souvent issu des domi nobiles, se doit de préserver48. Sur ce point comme sur d’autres, saint Martin se démarque et détonne dans sa conception même de l’humilitas.
22On retiendra toutefois que la différence opposant la tonsure de conversion et les ex-voto capillaires païens s’exprime tout entier par l’opposition entre la formule attribuée par Plutarque à Caton d’Utique qui, lors de son suicide, pouvait dire « maintenant je m’appartiens » (Nun emos eimi) et la réponse que semble lui avoir fait Paulin de Nole dans les années 380 apr. J.-C. : « nous ne sommes pas nôtres » (non sumus nostri)49. Au-delà de la capacité de l’homme à maîtriser son corps, se profile à nouveau ici la délicate question de ce « souci de soi » que décrivait Michel Foucault.
23Il semble donc que l’hypothèse de la conversion de la noblesse arverne n’est pas impossible, et l’exemple de l’empereur Avitus devenu évêque de Plaisance à l’occasion de sa destitution en 456 apr. J.-C. est là pour nous rappeler le refuge que pouvait constituer le clergé pour des aristocrates en péril50. Dès lors, la cause semble entendue et la brève allusion de Sidoine Apollinaire à la « chevelure de la noblesse », lorsqu’elle est mentionnée, semble bien corroborer l’idée de l’essor du mouvement monastique dans cette Gaule de l’Antiquité finissante.
Tondre, raser, scalper : la mise à mort honorifique d’un vaincu
24Pourtant, on pourra rester perplexe devant la signification profonde d’un appel qui offrirait comme alternative l’abandon de la civitas (seu patriam dimittere) ou la fuite vers le clergé (seu capillos), ce qui déprécierait d’ailleurs considérablement l’image du conversus indubitablement valorisé par Sidoine dans le reste de ses œuvres. En fait, une reprise attentive des mentions de la chevelure dans les œuvres de Sidoine nous paraît élargir le champ des interprétations.
25D’autres éléments tendent à s’écarter de la seule conception religieuse et philosophique de la chevelure, pour y rattacher d’autres pratiques. En effet, si l’évocation de la chevelure barbare constitue également un topos de la littérature latine, on trouve trace d’une manipulation symbolique de celle-ci51. En effet, une autre épître de Sidoine Apollinaire écrite vers 476 apr. J.-C. est bien plus explicite sur l’importance de la chevelure au-delà de l’identification sociale ou ethnique. À cette occasion, l’évêque évoque le Sicambre qui se serait « rasé la nuque » (hic tonso occipiti) après une défaite face aux Wisigoths, tout comme Claudien avait déjà évoqué le detonsa Sygambria dans son Contre Eutrope52. Si l’on est tenté d’y voir une simple réminiscence poétique de la honte de la défaite, on pourra également établir un lien avec une remarque de l’évêque formulée lors de sa description du siège de Clermont par les Wisigoths, à l’occasion duquel il précise que ceux-ci décapitèrent les cadavres de leurs propres morts au cours de la nuit afin, rapporte Sidoine, qu’on ne puisse « reconnaître un barbare chevelu aux touffes de poil de sa tête » (« quam uillis agnosci crinitum dimisisse truncatum »)53. Si l’on met de côté les interrogations sur la pratique de la décapitation post mortem, on ne peut que souligner le lien tentant entre la perte de la chevelure redoutée plus haut par la noblesse arverne et la tonsura du Sicambre, véritable métaphore de sa défaite.
26Par ailleurs, le retrait de la chevelure est clairement attesté dans les sociétés barbares du ve-vie siècle apr. J.-C. Sans multiplier les citations, on citera l’exemple que fournit la Loi burgonde, laquelle indique que frapper un homme paraît moins grave qu’attenter à sa chevelure. En effet, si la pulsatio est sanctionnée d’un solidus par coup, tirer les cheveux l’est de deux, et même de quatre si l’agresseur a eu recours aux deux mains54. Au-delà même du geste, le soin pris à préciser ce cas de figure reste remarquable. Pour ce qui est des femmes libres, quatre lois fixent les injures qui peuvent leur être faites, et toutes concernent la chevelure. Si l’on ne découvre aucune sanction pour d’éventuels coups reçus, celui qui s’en prend aux cheveux des femmes paiera toutefois douze solidi (qu’il ait coupé ou tiré les cheveux, que la chose fût publique ou non)55. Bien évidemment, il n’est pas question de surévaluer l’importance de la pilosité, qui n’est qu’un ornement de ce que j’appelle ici l’« honneur corporel ». Ainsi le plus grand déshonneur d’une femme demeure incontestablement l’adultère56.
27Néanmoins, l’intégration de la chevelure au « corps de l’honneur » semble ici clairement établie. Plus généralement, si les lois burgondes sanctionnaient a posteriori l’affront subi, on notera qu’elle pouvait activement jouer du mécanisme de l’honneur, en humiliant publiquement un condamné. Ainsi, le voleur d’un chien de chasse devait embrasser le postérieur de celui-ci « devant tout le peuple réuni en assemblée » (in conventu coram omni populo)57. Il va de soi qu’une telle sanction ne peut se comprendre qu’au regard de l’humiliation subie.
28Le motif de l’atteinte à la chevelure perçu comme atteinte à l’honneur et à la réputation se retrouve tout autant dans les lois wisigothiques que lombardes. Tandis que les lois wisigothiques témoignent du caractère public de la tonsure et interdisaient à ceux qui avaient été victimes de cette sanction de bénéficier d’un poste dans l’administration palatine58, les Lombards allaient même jusqu’à raser ceux qui commerçaient avec les Romani59. Concernant les Wisigoths, Bruno Dumézil a bien retracé le développement progressif de cette « mise à mort sociale », qui fut de plus en plus largement pratiquée en Espagne au cours des vie et viie siècle apr. J.-C.60. La récurrence de l’emploi des adverbes turpiter et viliter souligne l’infamie qui retombait sur la victime. De la même manière, les évocations des mutations de la chevelure et de la barbe sont fréquentes dans l’œuvre de Grégoire de Tours61 et l’on rappellera la sentence de Clotilde à qui l’on proposait de tondre ou de tuer ses petits-enfants : « Satius mihi enim est, si ad regnum non ereguntur, mortuos eos videre quam tonsus62. »
29Plus qu’une aura magique entourant la chevelure, celle-ci semble bel et bien avoir matérialisé l’honneur d’un individu, et se rattache donc tout naturellement à son rang dans le cadre d’une société hiérarchisée. Ainsi, il semble que la chevelure ait marqué formellement la distinction entre homme libre et esclave pour la loi burgonde, et l’image d’Épinal des « rois chevelus » renvoie explicitement à cet attribut royal63. Dans un contexte certes différent mais particulièrement évocateur, on signalera également la hiérarchie capillaire qui ressort d’un passage de la Táin Bó Cúalnge de l’Irlande préchrétienne, où l’on voit défiler les Celtes d’Irlande à Cruachain Aí. Trois contingents arrivent tour à tour, se distinguant par leur origine et leur armement d’un apparat croissant. Or si les premiers ont la tête totalement rasée, les suivants ont les cheveux « fraîchement coupés » et le dernier tiers arbore une chevelure largement coupée au-devant, mais de longues mèches blondes à l’arrière, tandis qu’ils portent des manteaux pourpres et marchent au pas cadencé64. Il semble bien qu’on puisse ici parler de gradation honorifique dans laquelle la chevelure prenait toute sa place.
30L’usage réitéré du verbe decalvere pose toutefois difficulté et si certains, comme Jean Hoyoux en 1948, ont pu y voir le signe d’une pratique du scalp, Bruno Dumézil s’est contenté d’y lire un retrait total de la chevelure par rasage65. S’il semble difficile de prétendre trancher définitivement ce point de traduction, l’infamie et le déshonneur qui frappaient la victime de cette pratique paraissent sans équivoque66. Un autre passage des epistulae de Sidoine peut être interprété à l’aune de cette hypothèse. L’évêque décrit alors la figure archétypale d’un parvenu gallo-romain paré de tous les défauts, nouveau Gnathon parasitant les banquets67. Alors qu’il décrit la laideur de ce repoussoir social, l’évêque s’attarde sur son crâne « sillonné de nombreuses traces de coups, qui n’est guère plus couvert, comme chacun peut le voir, de cheveux clairsemés que de cicatrices68 ». En décalage avec les sarcasmes accompagnant la calvitie, attribut classique de la figure de l’eunuque, cette description tendrait à nous rappeler l’infamie de la decalvatio qu’on a vu couramment pratiquée dans les législations barbares que devait bien connaître l’ancien préfet de Rome.
31Ainsi, au risque de « rebarbariser » la figure du Germain généralement revalorisée par l’historiographie récente69, on pourrait être tenté de lire ici une attestation supplémentaire de la pratique d’une tonsure violente – voir d’un scalp – par impacts répétés70. Mais le contexte est ici purement romain, et Sidoine Apollinaire n’invoque aucune figure barbare dans la présente description. Durant les mêmes années, Césaire d’Arles (470-542 apr. J.-C.), recommandait de réprimander, de frapper, voire de couper les cheveux de ceux qui perpétuaient les anciens cultes71. Là encore, le but est de signaler publiquement et durablement la honte des récalcitrants. Plus encore, un fragment de Dion Cassius est également là pour nous rappeler que l’Antiquité romaine peut laisser entrevoir la pratique du scalp parmi d’autres traits d’une culture dont on oublie parfois la violence ambiante. Ainsi durant la guerre sociale (90-88 av. J.-C.) :
« Les Picentins subjuguèrent tous ceux qui n’avaient pas fait défection avec eux et les insultèrent en présence de leurs amis et ils arrachèrent (ἀπέσπασαν) les cheveux (τὰς κόμας) des femmes (τῶν γυναικῶν) de leur tête (ἐκ τῶν κεφαλῶν) avec la peau (σὺν τῷ δέρματι)72. »
Chevelure et barbe du Romanus : une question d’honneur ?
32La question posée revient en fait à celle de la perception de l’honorabilité de la chevelure ou plus largement de la pilosité pour un Romain de l’Antiquité tardive. S’il paraît impossible de prétendre fournir une description uniforme de la coiffure courante des Romains des ive-vie siècles, et de préciser notamment la longueur usuelle de la chevelure qu’il était tenu pour respectable d’arborer, on signalera néanmoins que les mentions répétées des cheveux « souples » (molli) du César Gallus ou des « bouclés parfumées » (myrobrechis cincinnos) de Mécène doivent nuancer l’image de la culture du poil court73. Si Varron nous décrit l’irruption du premier barbier sicilien comme une petite révolution, c’est d’abord et avant tout pour souligner le goût des riches Romains pour les coiffures soignées, pour ne pas dire sophistiquées74. En témoignent d’ailleurs les remarques amusées ou sarcastiques de Cicéron, Ovide ou Quintilien, et différents portraits d’empereurs75. Néron a même pu laisser tomber ses cheveux sur ses épaules76. Les femmes arboraient également des coiffures codifiées telles que les vittae77. Le voile, s’il préexistait évidemment au christianisme sous diverses formes, voit son développement chrétien initié par Tertullien qui précisait dès le iiie siècle apr. J.-C. qu’« une chevelure abondante est un honneur pour la femme » (« quod honor sit mulieris redundantia capillorum78 »). Les penseurs semblent donc avoir été sensibles à l’utilisation honorifique de la chevelure, comme le signale indirectement Tertullien qui évoque l’utilisation faite par les insignia des hommes que sont les « plumes des Garamantes » (« aut pennas Garamentum »), les « rubans des barbares » (« stropulos barbarorum »), les « cigales des Athéniens » (« cicadas Atheniensium79 »), les « mèches des Germains » (« cirros Germanorum ») au même titre que les « tatouages des Brittons » (« stigmata Britonum80 »).
33Il semble indubitable que, à l’instar du vêtement, le ive siècle vit des évolutions sensibles accentuées par les profondes mutations sociales et culturelles à l’œuvre81. Dans la Gaule du ve siècle, Sidoine décrit la mise et l’élégance quotidiennes (« cotidie habitu cultuque ») du sénateur Germanicus qui se manifeste notamment par ses cheveux « en forme de roue » (« crinis in rotae ») et sa barbe bien taillée82. Ailleurs, il s’adresse à la « jeunesse rassemblée » (« conuocata pubes ») en lui souhaitant « qu’une main parfumée du suc de l’amome lisse [ses] cheveux hérissés » (« hispidos capillos »)83. S’il n’est pas question d’imaginer un romanus crinitus, on constate néanmoins que la coiffure du sénateur gallo-romain du ve siècle faisait partie d’un decus à soigner, ce même decus qui, aux yeux des tenants de l’ascétisme chrétien, devait constituer la démonstration d’une superbia contraire aux Écritures.
34Au-delà de l’affirmation sociale du Romain par la chevelure, la composante honorifique de celle-ci interpellait déjà Plutarque. Dans ses Étiologies romaines, ce dernier établit un lien direct entre le culte à Honos et le fait qu’il se pratiquait tête nue84. Pour lui, c’est bien parce que l’honos était similaire à la phèmè ou à la timè, autrement dit à la fama ou l’existimatio latines, qu’il devait être vu (et qu’à l’inverse Tertullien entendait la voiler pour les femmes). Par ailleurs, tout comme aujourd’hui, le Romain se découvrait devant les personnalités reconnues85.
35Barbe et chevelure se rejoignaient dans la mise en scène de ce qu’on pourra percevoir comme un « deuil de l’honneur ». Ainsi, si Marc Antoine se laissait pousser cheveux et barbes après sa défaite de Modène, Auguste ne se rasait plus après l’annonce du désastre de Varus86. Auparavant, le consul Varron avait déjà « soumis ses cheveux et barbes négligés » (« barbam capillum que summisit ») après la défaite de Cannes87. L’emploi du verbe submittere est ici éloquente par le double sens qu’on pourrait lui attribuer : barbes et cheveux poussent autant qu’ils se soumettent et s’abaissent. S’agit-il ici d’une spécificité culturelle romaine ? On pourrait l’avancer, si l’on se souvient que certaines sources attestent que les Thessaliens et les Macédoniens se rasaient la tête ainsi que la crinière de leurs chevaux ou de leurs mulets en signe de deuil88. On en doute à la lecture de Grégoire de Tours, qui affirme que les Saxons ayant survécu à une lourde défaite face aux Suèves dans les années 560 apr. J.-C. jurèrent de ne plus se couper cheveux et barbes avant d’avoir pris leur revanche89.
36Cette gestion démonstrative du « corps de l’honneur » se retranscrit dans les scènes de procès, et ceci de manière encore vivace en plein ve siècle apr. J.-C., avec parfois des regards bien opposés. Ainsi Orose rapporte le procès de P. Rutilius Rufus (92 av. J.-C.), un « homme très intègre » (« uir integerrimus ») qui, nous dit-il, « ne laissa pas pousser ses cheveux ou sa barbe » (« ad cognitionem neque capillum barbamue promiserit »), pas plus qu’il ne chercha à amadouer les juges par de telles pratiques90. Nous avons là le contre-exemple d’un accusé si sûr de lui qu’il ne s’inscrit pas dans le processus de contrition volontaire par lequel l’accusé rend public l’atteinte à son honneur, en espérant qu’on le lui restitue, selon un schéma proche de celui de la deditio. On retrouve un tel mécanisme dans le procès d’Arvandus rapporté par Sidoine Apollinaire au cours de l’année 468 apr. J.-C. Accusé de conspirer en faveur des Wisigoths, Arvandus méprise l’accusation et se présente devant ses juges « coiffé et épilé » (« detonsus pumicatusque »)91. Les plaignants sont eux en deuil semipullati et usent de la gestuelle du suppliant traditionnelle : ils l’emporteront, tout comme les accusateurs de P. Rutilius Rufus l’avaient emporté quelques siècles plus tôt. La force de cette tradition s’inscrivait à ce point dans les usages que le Digeste rapporte une interdiction de porter des cheveux longs (« habere capillumve summittere ») au nom de l’accusé, à moins d’être si proche de lui qu’on serait incapable de l’accuser jamais92. Dans tous les cas, la déchéance passe par l’inversion de l’ordre naturel et la perte des repères qui s’expriment à travers le traitement de sa pilosité93.
37Quant à la barbe, saint Augustin évoque encore au ive siècle apr. J.-C. l’ornement de la uirtus qu’elle représente, comme il ne manque pas à plusieurs occasions de le répéter dans ses œuvres94. Dans un Sermon (XXIV), l’évêque d’Hippone rapporte l’enjeu que constitua la barbe d’une statue d’Hercule à Carthage, et l’affront (« ignominiosus, dedecus ») que subirent les païens suite au rasage forcé de la divinité sur ordre du proconsul.
38Faut-il donc entendre que la noblesse arverne envisage sérieusement de se dépouiller de la chevelure tout aristocratique pour se convertir en masse ? On l’imagine peu. Sera-t-elle vaincue et tondue par les Barbares ? La chose n’est pas exclue. Néanmoins, une troisième hypothèse, si classique qu’André Loyen ne l’avait pas envisagée, surgit à la lecture de l’un des Commentaires de saint Jérôme, lequel traite précisément de la chevelure des prêtres :
« Et ils ne se raseront pas la tête, pas plus qu’ils ne laisseront croître leur chevelure, mais ils tondront bien leurs têtes, car comme il est dit clairement, ils ne doivent pas avoir la tête rasée comme les prêtres et les adorateurs d’Isis et Sérapis, ni laisser de nouveau flotter leur chevelure (nec rursum comam dimittere), ce qui est le propre des débauchés, des barbares et de ceux qui sont sous les armes95. »
39L’expression rappelle bien étrangement celle employée par Sidoine, lequel donnerait une réponse apparemment décevante tant elle s’inscrit en fait dans une tradition classique : la noblesse s’apprête à faire le deuil de sa romanité, se transformant elle-même en « Barbares chevelus ». Dès lors résonnaient comme un avertissement les critiques outrancières écrites par l’évêque lors de la description du vicaire des Gaules Seronat, lequel est présenté comme un allié du roi goth Euric alors que ce dernier réalise ses projets d’expansion au détriment des Arvernes. En effet, ce « Catilina » aurait forcé les hommes à laisser pousser leurs cheveux tandis qu’il ferait couper ceux des femmes, transformant ainsi les Arvernes en romani criniti96.
⁂
40Aussi, au terme de cet excursus auquel nous invitait le problème posé par la lecture de l’appel à l’aide lancé par Sidoine Apollinaire, il semble bien difficile de prétendre dégager une conclusion univoque. Si l’honneur est protéiforme, les représentations idéelles de la chevelure le sont tout autant. Du deuil et de la honte matérialisés par la longueur des cheveux en passant par sa glorification martyriale, l’humiliation du retrait public de la chevelure dans la Gaule tardive se déploie dans une hétérogénéité des pratiques et des codes sociaux. Toutefois, cette imbrication de sens de la chevelure tardo-antique entrecroisant usages et traditions classiques et règles d’un ascétisme chrétien qui reposait sur des interprétations scripturaires ne manque pas de souligner le lien profond entre l’individu et sa chevelure, expression directe d’une condition morale ou sociale.
41En ce sens, intervenir dans cet espace corporel précis était particulièrement significatif, au point que Sidoine finit par identifier la noblesse des derniers gallo-romains à sa chevelure, et à mettre sur le même plan la perte de celle-ci et l’abandon de leur patrie. Ainsi, et malgré des contradictions et des polysémies symboliques, s’esquissent les contours d’un « corps de l’honneur » dans toute sa matérialité historique. En cela, la chevelure semble constituer une « intersectionnalité symbolique » par son rôle récurrent dans l’affirmation de soi et la reconnaissance sociale de cette expression, nous ramenant ainsi aux fondements de la signification même du sens de l’honneur et de la dignité97. Cet entremêlement de l’« honneur estime » et de l’« honneur rang » ne doit pas nous surprendre. Consciemment ou non, Charles le Téméraire imitera les Antiques après avoir été défait à Morat par les cantons suisses en 1476, jurant de laisser croître sa barbe jusqu’à les voir écrasés. Au xviie siècle encore, les « têtes rondes » aux cheveux courts de Cromwell affronteront les « Hommes d’honneurs » du roi Charles Ier d’Angleterre, lesquels arboraient de longues boucles. Et comment ne pas rappeler les femmes tondues en Rhénanie occupée par l’armée française au début des années 1920 pour avoir eu des relations sexuelles avec l’occupant, comme le furent ensuite les Françaises accusées de collaboration en 1944 ? Parfois présenté comme le dernier des Romains, Sidoine Apollinaire est peut-être le premier à avoir aussi explicitement établi le lien entre l’honor et la chevelure.
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Notes de bas de page
1 La bibliographie de l’honneur statutaire est considérable. Voir notamment Drexler Hans, « Honos », Romanitas, no 3, 1961, p. 135-157 ; Hellegouarc’h Joseph, Le vocabulaire latin des relations et des partis politiques, Paris, Les Belles Lettres, 1963, p. 383-387 ; Lendon Jon E., Empire of honour: the art of government in the Roman world, Oxford, Oxford University Press, 1997, p. 30-55 et 272-276. Certains auteurs se sont également confrontés à la dimension honorifique de la noblesse sans pour autant traiter directement de cette problématique. Voir par exemple Badel Christophe, La noblesse de l’empire romain : les masques et la vertu, Seyssel, Champ Vallon, 2005. L’auteur traite souvent de ces « marques de distinction » caractérisant l’honneur comme éthique sociale, au sens où l’entend par exemple Ajerar Hassane, « L’honneur : éthique et sociabilité », Année sociologique, no 43, 1993, p. 55-84.
2 Le latin honor ne rend aucunement la sensibilité et les émotions liées au code de l’honneur, si l’on admet sa validité pour l’Antiquité. Voir Barton Carlin A., Roman honor, The Fire in the Bones, Berkeley/Los Angeles/Londres, University of California Press, 2001, p. 10. Cependant le latin n’exclut pas intrinsèquement cette sensibilité, ainsi que l’illustre un capitulaire du ixe siècle. Des commissaires carolingiens y sont chargés de s’assurer que les délégations se rendant ou revenant du palais impérial peuvent être hébergées dans les relais des routes publiques sans que ceux-ci ne soient accaparés par des utilisations abusives de potentats locaux. Il en irait de l’honneur de l’empereur de ne pas pouvoir héberger ces délégations : Cap. I., no 150 (823-825), c. 18 : De honoratione quoque regis et regni et mala fama in exteras nationes dispersa propter neglegentiam eorum (etc.). Voir Magnou-Mortier Élisabeth, Aux origines de la fiscalité moderne. Le système fiscal et sa gestion dans le royaume des Francs, Genève, Droz, 2012, p. 597.
3 Sur la notion d’« honneur-estime », on se reportera à Peristiany John G., Honour and Shame: The Values of Mediterranean Society, chap. iii, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 1965.
4 Simmel George, The sociology of George Simmel, trad. en anglais par Kurt Wolf, Londres, Free Press, 1950, p. 321 ; Pitt-Rivers Julian, Anthropologie de l’honneur, Paris, Hachette, 1977 (trad. fr. 1997).
5 L’un des seuls articles traitant de l’honneur à cette période se révèle disparate, et n’aborde pas cette question. Voir Grandowicz-Pancer Nira, « “L’honneur oblige”. Esquisse d’une cartographie des conduites et des stratégies de l’honneur aux ve et vie siècles », Revue belge de philologie et d’histoire, no 74.2, 1996, p. 273-293.
6 Schopenhauer Arthur, Aphorismes sur la sagesse dans la vie, Paris, PUF, 1981 (5e édition 1998). Pour le philosophe, l’honneur est l’« opinion qu’ont les autres de notre valeur, et, subjectivement, la crainte que nous inspire cette opinion ». p. 47 : « La discussion sur l’honneur sera beaucoup plus difficile et plus longue que celle du rang. » En cela, l’honneur romain lui semblait évidemment lié à la pudeur (verecundia).
7 Tite Live, I, 68, c12. Marius lui propose un gladiateur comme adversaire. Mépris du duel ? Refus de l’égalité sociale que présuppose l’offense ? Il semble difficile de trancher ici.
8 Plutarque, Vie de Thémistocle, XI.
9 Diogène Laerte, II, 21 : « Si un âne m’avait frappé, irais-je porter plainte ? »
10 Diogène Laerte, VI, 89.
11 Aulu-Gelle, Nuits attiques, XX, 1, 13. L’iniuria était réprimée par la loi des Douze Tables. Il semble difficile d’assimiler l’iniuria à une atteinte à l’honneur, car le terme incorpore aussi bien les offenses verbales, sonores ou les caricatures. L’offense se mesure en fait par la circonstance et la qualité de l’agresseur. Le juriste Paul divise les injures en trois catégories, celles dirigées contre le corps, celles commises en action et celles commises en paroles (II, 3, 4). Les iniuriae ont relevé longtemps de l’édit du préteur. Au ier siècle av. J.-C., la législation s’est précisée. Depuis Sylla, la quaestio du préteur juge l’iniuria, mais elle ne concerne que les privati. Les magistrats relèvent d’une autre législation, la loi de majesté. Sur l’iniuria, voir Polay Elemer, Iniuria Types in Roman Law, Budapest, Akademiai Kiado, 1986.
12 Lois, VIII, 2. Voir notamment l’extrait rapporté par Cicéron sur les récitations publiques attentant à la fama (De Re publica, IV, 4). Aulu-Gelle, Nuits attiques, XX, 1.
13 Sénèque, De constantia, II, 3, 2 : « Huic tu putas iniuriam fieri potuisse a populo quod aut praeturam illi detraxit aut togam, quod sacrum illud caput purgamentis oris adspersit ? Tutus est sapiens nec ulla adfici aut iniuria aut contumelia potest. »
14 Schopenhauer soulignait ici le décalage qu’il ressentait entre la société gréco-romaine et la période moderne et contemporaine, lesquelles étaient empreintes d’une véritable culture du duel. Voir Brioist Pascal, Drévillon Hervé et Serna Pierre, Croiser le fer : violence et culture de l’épée dans la France moderne (xvie-xviiie siècle), Seyssel, Champ Vallon, 2012 et Jeanneney Jean-Noël, Le duel : une passion française (1789-1914), Paris, Perrin, 2011.
15 Schopenhauer Arthur, Aphorismes sur la sagesse dans la vie, op. cit., p. 62 sq.
16 Ammien Marcellin, XVII, 12, 9 : Ce dernier se jette à terre devant l’empereur après s’être dépouillé de ses armes, et reste silencieux. L’Auguste le rassure et celui-ci peut se relever. C’est alors au tour de tous ses hommes de jeter leurs armes et d’implorer.
17 Ammien Marcellin, XIX, 11.
18 Tite Live, IX, 5, 6.
19 Olympiodore, fr. 26.
20 Ammien Marcellin, XIX, 8, 6 : « et incedendi nimietate iam superarer ut insuetus ingenuus ». Il nous semble assez évident qu’Ammien utilise le terme dans sa connotation la plus aristocratique, et l’on se rappellera qu’Ovide l’utilise pour désigner ce qui est frêle, ou délicat (Tristes, I, 5, v. 72).
21 Zosime, III, 4-5. Zosime est néanmoins le seul à rapporter ce fait. Contra Ammien Marcellin, XVI, 12 et Libanios, Or. XVIII, 58 sq.
22 Polybe, VI, 38, 3 ; Tite Live, X, 4, 4 ; Valère Maxime, II, 7, 15 et Frontin, Strategemata, IV, 1, 18 ; Tacite, Annales, XIII, 36, 3.
23 Ammien Marcellin, XXV, 1.
24 On citera l’exemple de l’attention portée à la mutilation de la dépouille de Gallus, défiguré et décapité (Ammien Marcellin, XIV, 11, 23).
25 Pour Bibulus, voir Plutarque, Vie de Caton le Jeune, XXXII, 3. Pour P. Servilius Isauricus, voir Valère Maxime, VIII, 5, 6 et Dion Cassius, XLV, 16, 1-2.
26 Sur ce qu’on appellera la « hiérarchie des corps romains », voir Moreau Philippe, « Positions du corps, gestes et hiérarchie sociale à Rome », in Philippe Moreau (dir.), Corps romains. Actes de la table ronde organisée à l’École normale supérieure en janvier 1999, Grenoble, Jérome Millon, 2002.
27 Qu’il s’agisse de Caton, de Cratès ou des victimes de Lucius Veratius.
28 Digeste, XLVII, 10, 8. « Atrocem autem iniuriam aut persona aut tempore aut re ipsa fieri Labeo ait. Persona atrocior iniuria fit, ut cum magistratui, cum parenti patrono fiat. Tempore, si ludis et in conspectu: nam praetoris in conspectu an in solitudine iniuria facta sit, multum interesse ait, quia atrocior est, quae in conspectu fiat. Re atrocem iniuriam haberi Labeo ait, ut puta si vulnus illatum vel os alicui percussum. » On rappellera que les iniuriae peuvent tout aussi bien être des pulsationes que des gestes ou des paroles (Paul, II, 3, 4).
29 Nous reprenons ici l’expression d’Augustin d’Hippone. Voir Cité de Dieu, XXII, 24 : « Sunt uero quaedam ita posita in corpore, ut tantummodo decorem habeant, non et usum. »
30 Appiah Kwame A., Le code d’honneur : comment adviennent les révolutions morales, Paris, Gallimard, 2010 (trad. fr. 2012), p. 20. Dans la langue twi, l’honneur se dit animounyam. Il contient la racine « nim » qui signifie « visage ».
31 Dans l’atrium selon Ovide (Fastes, VI, v. 357). Sur le forum selon Plutarque, Vie de Camille, XXII, 5.
32 Tite Live, V, 41, 8-9.
33 Sur les liens entre dérision, rire, peines infamantes et régulation sociale, voir Allard Jean-Noël, « Régulation sociale et dérision », in La cité du rire. Politique et dérision dans l’Athènes classique, Paris, Les Belles Lettres, 2021, en particulier p. 371-379.
34 Sidoine, Épitres, II, 1, 4 : « Quicquid sperandum, quicquid desperandum est, fieri te medio, te praesule placet. Si nullae a republica vires, nulla praesidia, si nullae, quantum rumor est, Anthemii principis opes, statuit te auctore nobilitas seu patriam dimittere seu capillos. »
35 Sidoine, Épitres, IV, 24, 3 : « Habitus viro, gradus pudor, color sermo religiosus, tum coma brevis barba prolixa, tripodes sellae, Cilicum vela foribus appensa, lectus nil habens plumae, mensa nil purpurae, humanitas ipsa sic benigna quod frugi, nec ita carnibus abundans ut leguminibus. »
36 Sidoine, Épitres, IX, 9, 12 : « philosophiam scilicet, quae uiolenter e numero sacrilegarum artium exempta raso capillo superfluae religionis ac supercilio scientiae saecularis ». 14 : « Tum praeterea non caesariem pascere neque pallio aut claua uelut sophisticis insignibus gloriari aut affectare de uestium discretione superbiam. »
37 Attenter au naturel de l’Homme, en se rasant notamment, peut revenir à offenser l’œuvre du Créateur. Voir Clément d’Alexandrie, Le pédagogue, III, 3.
38 Sur son développement et ses variations, voir Auzépy Marie-France et Cornette Joël, Histoire du poil, Paris, Belin, 2011, p. 71-78. Voir également Leclercq Henri, art. « chevelure », dans Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, t. III, Paris, 1913, col. 1307-1320.
39 Saint Augustin, De opere monachorum, XXXIII, 41 : « Sed alii sunt, quos isto sermone corripimus: illos autem qui hoc uno uitio capillorum contra praeceptum apostolicum dimissorum offendunt et perturbant ecclesiam. »
40 Prudence, Passio Cypriani, v. 30 (= Peristephanon, XIII) : « Deflua caesaries compescitur ad breues capillos. »
41 Hilaire d’Arles, Vita Honorati VIII, 1: « Rediguntur ad breues capillos luxuriantes comae. »
42 Ammien Marcellin, XXII, 11: « Alter quod dum aedificandae praeesset ecclesiae, cirros puerorum licentius detondebat, id quoque ad deorum cultum existimans pertinere. »
43 Brulé Pierre, « Dans les épigrammes de l’Anthologie grecque, offrir sa sainte chevelure aux dieux », in Bertrand Lançon et Marie-Hélène Delavaud-Roux (dir.), Anthropologie, mythologies et histoire de la chevelure et de la pilosité, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 117-133.
44 Sur les sens symboliques de la chevelure chez les Anciens, on mentionnera la thèse de Lavergne David, La chevelure sacrée : pilosité, religion et société dans l’Antiquité, thèse sous microforme, dir. Pierre Villard, Lille, 2008.
45 Césaire d’Arles, Serm. LIII et LVI.
46 Les appels chrétiens à l’humilitas et au rejet des honores ne s’accompagnent pas d’un rejet de l’honor, et l’on soulignera au contraire le déplacement de celui-ci vers la ferveur religieuse. La littérature hagiographique gauloise en offre un bel exemple à travers Hilaire d’Arles, Vita Honorati, VII, 4. On mentionnera également les efforts de Pélage pour ménager le « sens de l’honor » de l’aristocratie romaine qu’il fréquente (voir Salamito Jean-Marie, Les virtuoses et la multitude : aspects sociaux de la controverse entre Augustin et les pélagiens, Grenoble, Jérome Millon, 2005, p. 139-146). L’épigraphie témoigne également de la permanence de la valorisation de l’honor (ICUR NS 2, 4219, v. 5-14). Venance Fortunat évoque encore le « Sénat des anges » dans la Gaule mérovingienne (Ép., II, 13 et IV, 5).
47 Sulpice Sévère, Vita sancti Martini, IX, 3 : « Un petit nombre pourtant, et quelques-uns des évêques que l’on avait fait venir pour installer le prélat, y faisaient une opposition impie. Ils disaient que c’était un personnage méprisable, et qu’un homme à la mine pitoyable, aux vêtements sales, aux cheveux en désordre, était indigne de l’épiscopat » (« dicentes scilicet contemptibilem esse personam, indignum esse episcopatu hominem uultu despicabilem, ueste sordidum, crine deformem »).
48 Cicéron, Pro Caelio, 3 : « quae accusatores deformandi hujus causa dixerunt. »
49 Plutarque, Vie de Caton, LXX, 2 ; Paulin de Nole, Épitres, XXXIV, 4. On nuancera toutefois cette opposition schématique par l’entremêlement de deux conceptions pratiques et religieuses du corps. Ainsi, la lecture de Paulin de Nole illustre le maintien de la cérémonie traditionnelle de la depositio barbae (Nat., XLVII, 283-287 : Carm XXI, 377-378) au cours de laquelle Paulin de Nole dédie sa première barbe à saint Félix de Nole. Sur la depositio barbae ou barbatoria voir Pétrone, Satiricon, LXXIII, 29 ; Juvénal, Satires, III, 186. Il n’y avait pas d’âge apparent pour cette offrande. Octave avait 24 ans (Dion Casssius, XLVIII, 34), Caligula en avait 19 (Suétone, Caligula, 10) et Néron 23 (Suétone, Néron, 12).
50 Grégoire de Tours, Hist., II, 11. On se souviendra que la consécration de Sidoine Apollinaire à l’épiscopat, survenue peu après l’affaire Arvandus qui l’avait compromis, a peut-être également constitué une échappatoire de même nature.
51 Coumert Magali, « La pilosité barbare dans les premiers siècles du Moyen âge occidental », in Bertrand Lançon et Marie-Hélène Delavaud-Roux (dir.), Anthropologie, mythologies et histoire de la chevelure et de la pilosité, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 181-191, p. 181-191. De Tacite (Germanie, 38) à Sidoine Apollinaire (Carm. XII, v. 3-7) en passant par Ammien Marcellin (XVI, 2, 36), l’évocation de la coiffure barbare fait partie du lieu commun de la perception du barbare. L’anonyme du De Physiognomonia Liber (qui date sans doute du ive ou ve siècle apr. J.-C.) précise que les cheveux tournés vers le haut du crane caractérisent les barbares et que les cheveux blonds, épais et décolorés (capilli flaui et crassi et albidiores) sont de type germanique (§ 14). La chevelure reste un motif de distinction essentiel entre Romains et Barbares, comme l’atteste certainement l’édit impérial de 416 qui proscrit les cheveux longs et les vêtements de peau à Rome (Code Théodosien, XIV, 10, 4).
52 Sidoine, Épitres, VIII, 9, 5, v. 28. Claudien, Contre Eutrope I, v. 383.
53 Sidoine, Épitres, III, 3, 7.
54 Lex Burg., V, 4 : « Si quis ingenuum hominem per capillos corripuerit, si una manu. II solidos inferat, si utraque, solidos IIII, multae autem nomine solidos VI. » La peine est inférieure si la victime est un affranchi ou un esclave (LB, V, 5).
55 Lex Burg, XXXIII, 1 : « Si qua mulier ingenua in domo sua a quocumque ingenuo aut in via innocens discapillata fuerit aut detracta et testibus hoc potuerit adprobare, inferat ei auctor facti solidos XII, et de multae nomine solidos XII. » Les trois leges suivantes fixent des amendes inférieures en fonction du statut social.
56 On notera d’ailleurs que la loi burgonde semble parfois estimer que la perte de sa réputation constituait une sanction suffisante en soi. Voir Lex Burg., XLIV, 1 : « Illa vero facinoris sui dehonestata flagitio amissi pudoris sustinebit infamiam. »
57 Lex Burg, XCVII : « Se quis canem veltravum aut segutium vel petrunculum praesumpserit involare, iubemus, ut in conventu coram omni populo posteriorem ipsius canis osculetur. »
58 Leges Vis., XII, 3, 21 et II, 1, 6.
59 Loi d’Aistulf, 4.
60 Dumezil Bruno, « La peine de decalvation chez les Wisigoths », in Bertrand Lancon et Marie-Hélène Delavaud-Roux (dir.), Anthropologie, mythologies et histoire de la chevelure et de lapilosité, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 181-191 ; p. 135-147.
61 L’exemple le plus éloquent semble être celui de Gondovald qui portait de longs cheveux qu’on a mutilés, tout comme sa barbe, une fois tué (Grégoire de Tours, Hist., VI, 24 et VII, 38).
62 Grégoire de Tours, Hist., III, 18. Bien que Jean Hoyoux voie ici une allusion à sa crainte de les voir souffrir (Hoyoux Jean, « Reges criniti : chevelures, tonsures et scalps chez les Mérovingiens », Revue belge de philologie et d’histoire, no 26, 1948, p. 479-508, en particulier p. 507-508), une formulation antérieure de Grégoire de Tours montre qu’il s’agissait bien ici de leur couper les cheveux et non pas de les scalper (« utrum incisa caesariae ut reliqua plebs habeantur »).
63 Lex Burg, VI, 4 : « Quicumque ingenuo aut servo fugienti nesciens capillum fecerit, V solidos perdat ; si sciens capillum fecerit, fugitivi pretium cogatur exsolvere. » Voir Cameron Averil, « How did the Merovingian Kings wear their hair », Revue belge de philologie et d’histoire, no 43, 1965, p. 1203-1216.
64 La Razzia des vaches de Cooley, éd. et trad. par Christian J. Guyonvarc’h, La Razzia des vaches de Cooley, Paris, Gallimard, 1994, ch. iii. Sur la datation préchrétienne des récits du cycle d’Ulster mis par écrit au xie siècle. Voir Lambert Pierre-Yves, Les Littératures celtiques, Paris, PUF, 1981, p. 12.
65 Hoyoux Jean, « Reges criniti : chevelures, tonsures et scalps chez les Mérovingiens », Revue belge de philologie et d’histoire, no 26, 1948, p. 479-508 ; Contra Dumézil Bruno, « La peine de décalvation chez les Wisigoths », in Bertrand Lançon et Marie-Hélène Delavaud-Roux (dir.), Anthropologie, mythologies et histoire de la chevelure et de la pilosité, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 181-191 p. 135-147. Outre la difficulté d’appréciation des risques de décès par septicémie, l’usage fait par Jérôme du verbe decalvere pour désigner la tonsure montre qu’il ne saurait être clairement assimilé et limité à la pratique du scalp (voir notamment Saint Jérome, Ép. 122 et Adversus Jovinus I, 23).
66 On soulignera toutefois le problème que posent certaines formulations qui tendraient à montrer que les coups de bâton accompagnant la sanction semblent également le moyen employé pour retirer la chevelure de la victime. Voir Leges Visigothorum, VI, 4, 5 (« Adque insuper C publiée flagellorum verberibus cesus ad perennem infamiam deformiter decalvetur ») ; XII, 3, 2 (« De blasphematoribus sancte Trinitatis… blasphemator ipse centenis decalvatus flagellis ») ; XII, 3, 6 (« decalvatus verberibus centenis ») ; XII, 3, 9 (« Ne Judei religioni nostri insultant esesctam suam defendere audeant, ac ne a fide nostra refugientes eos susci piat… quisquis ilte fuerit transgressor inventus et centenis decalvatus multabitur plagis… ») ; XII, 3, 17 (« Quod si non habuerint, unde conponant, centenis decalvati flagellis subjaceant »). Si Bruno Dumézil évoque à raison les risques de septicémie qui auraient probablement provoqué le décès de la victime d’un tel traitement, Jean Hoyoux invoquait lui la faible mortalité statistique de blessures similaires dans le cadre de conflits du xixe siècle (op. cit., p. 504-505).
67 Le parasite de Térence. Voir Eunuque, II, 2, 33.
68 Sidoine, Épitres, III, 13, 7 : « Taceo cerebrum crebra vibice peraratum, quod parum amplius tegi constat capillis quam cicatricibus. » On pourra également rapprocher cette description de celle d’Eutrope brossée par Claudien (Contre Eutrope. I, v. 113-121), pour lequel les « intervalla comae » de l’eunuque sont une marque d’infamie (v. 120 : « hoc dedecus adidit ») qui ajoutent à l’injure faites à la trabée (v. 119 : « ut trabeis injuria cresceret olim »).
69 Ward-Perkins Bryan, The Fall of Rome and the End of Civilization, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 5-10.
70 Dumezil Bruno, « La peine de decalvation chez les Wisigoths », in Bertrand Lancon et Marie-Hélène Delavaud-Roux (dir.), Anthropologie, mythologies et histoire de la chevelure et de lapilosité, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 181-191, p. 135-147.
71 Césaire d’Arles, Serm. LIII : « Vos ergo, fratres, quicumque estis, qui tantum malum christo propitio non fecistis, videte ne aliquando faciatis, videte ne vos circumveniant homines perditi atque perversi, ut post christi sacramenta ad diaboli venena redeatis ; sed magis castigate quoscumque tales cognoscitis, admonete durius, increpate severius. Et si non corriguntur, si potestis, caedite illos ; si nec sic emendantur, et capillos illis incidite. » Le canon 39 du Concile d’Epaone (517) autorise le propriétaire d’un esclave réfugié dans une église à le tondre, mais pas à le blesser. On serait tenté de mettre en lien le développement de la tonsure d’esclaves avec l’interdiction de les marquer au visage mentionné dans le Code Théodosien (IX, 40, 2).
72 Dion Cassius, frag. livre XXIX, 98, 3 (éd. Loeb) : « καὶ τῶν γυναικῶν τὰς κόμας σὺν τῷ δέρματι ἐκ τῶν κεφαλῶν ἀπέσπασαν » (trad. personnelle). Les Scythes semblent également avoir pratiqué ce type de mutilations (Hérodien, IV, 64).
73 Ammien Marcellin, XIV, 6, 6 ; Suétone, Auguste, 86.
74 Varron, De re rustica, II, 11, 10.
75 Cicéron, In Catilinam II, 10 ; In Pisonem, 25 ; Pro Sestio 18 ; Post red.. in senat., 12 ; Ovide, Ars amat. III, 434 ; Quintillien., Instit. or. XII, 47.
76 Suétone, Néron, 51: « circa cultum habitumque adeo pudendus, ut comam semper in gradus formatam peregrinatione Achaica etiam pone uerticem summiserit ».
77 Badel Christophe, « Le voile féminin dans la Rome antique », in Les voiles dévoilés, pudeur, foi, élégance, Lyon, Éd. lyonnaises d’Art et d’histoire, 2009, p. 30-35.
78 Tertullien, De virginibus velandis, VII, 8-9 : « Sed etsi contaminatas iam feminas angeli illi appetissent, tanto magis propter angelos uirgines uelari debuissent, quanto magis propter uirgines angeli deliquisse potuissent. Si autem et naturae praeiudicium adicit apostolus, quod honor sit mulieris redundantia capillorum, quia coma pro operimento est, utique hoc maxime uirgini insigne est, quarum et ornatus ipse proprie sic est, ut concumulata in uerticem ipsam capitis arcem ambitu crinium contegat. » La coiffure rassemblée au sommet du crâne est destinée pour lui à protéger « cette citadelle qu’est la tête » (« capitis arcem »). Tertullien précise par ailleurs que la Nature n’a pas donné de longs cheveux aux hommes, aussi n’est-il pas honteux pour eux de les garder plus courts (VIII, 1). Il condamne également toutes les exemptions coutumières du port du voile pour certaines femmes, précisément au titre de la visibilité de leur honor (IX, 2-4).
79 Il s’agit là du port d’épingles-cigales dans les cheveux masculins, tel que l’évoque notamment Aristophane (Cavaliers 1331, Nuées 984, Guêpes 1266. Paix 1159…).
80 Tertullien, De virginibus velandis, X, 2 : « Debedunt etiam et ipsi aliqua sibi insignia defendere, aut pennas Garamentum aut stropulos barbarorum aut cicadas Atheniensium aut cirros Germanorum aut stigmata Britonum. »
81 Cf. Baratte François, « Le vêtement dans l’antiquité tardive : rupture ou continuité ? », Antiquité tardive, no 12, 2004, p. 121-135.
82 Sidoine, Épitres, IV, 13, 1: « Crinis in rotae specimen accisus, barba intra rugarum latebras mersis ad cutem secta forpicibus. »
83 Sidoine, Épitres, IX, 13, 5, v. 1 et 42-43 : « Manus uncta suco amomi domet hispidos capillos. »
84 Plutarque., Questions romaines, 266 F, q. 13 : « Pourquoi sacrifie-t-on également la tête découverte au dieu dit Honos ? On pourrait traduire Honos par considération ou réputation. Est-ce parce que la considération est une chose brillante, évidente et visible – c’est pour cette raison qu’on se découvre devant les hommes de valeur et honorés – qu’on vénère de la même manière le dieu qui tire son nom de la réputation ? »
85 Plutarque, Vie de Pompée, VIII, 4 ; Vie de Crassus, VI, 5, et Questions romaines, 266 C, q. 10 ; Valère Maxime, V, 2, 9 et Macrobe, Saturnales, I, 8, 2.
86 Plutarque, Vie d’Antoine, XVIII, 2 ; Suétone, Auguste, 23.
87 Frontin, Strategemata, VI : « Varro collega eius uel maiore constantia post eandem cladem uixit, gratiae que ei a senatu et populo actae sunt, quod non desperasset rem publicam. Non autem uitae cupiditate sed rei publicae amore se superfuisse reliquo aetatis suae tempore adprobauit ; et barbam capillum que summisit, et postea numquam recubans cibum cepit ; honoribus quoque, cum ei deferrentur a populo, renuntiauit, dicens felicioribus magistratibus rei publicae opus esse. » Voir également Valère Maxime, III, 4, 4 ; IV, 5, 2 et Paul diacre, Hist. rom., III, 10.
88 Euripide, Alceste 425-429, Plutarque, Vie de Pélopidas, XXXIII, 3 et Vie d’Alexandre, LXXII, 3.
89 Grégoire de Tours, V, 15.
90 Orose, V, 17, 12 : « Rutilius quoque uir integerrimus adeo fidei atque innocentiae constantia usus est ut die sibi ab accusatoribus dicta usque ad cognitionem neque capillum barbam ue promiserit, neque sordida ueste humili ue habitu suffragatores conciliarit, inimicos permulserit, iudices temperarit, orationem quoque a praetore concessam nihilo summissiorem quam animum habuerit. »
91 Sidoine, Épitres, I, 7, 9 : « Procedit noster ad curiam paulo ante detonsus pumicatusque, cum accusatores semipullati atque concreti nuntios a decemviris opperirentur et ab industria squalidi praeripuissent reo debitam miserationem sub invidia sordidatorum. »
92 Digeste, XLVII, 10, 27 : « Vestem sordidam rei nomine in publico habere capillumve summittere nulli licet, nisi ita coniunctus est adfinitati, ut invitus in reum testimonium dicere cogi non possit. »
93 Cette inversion fut très bien perçue par Plutarque, Questions romaines 267 A, q. 14. Plutarque approuve également sa femme de ne pas s’être coupé les cheveux après la mort de sa fille (Consolatio ad uxorem 609 B).
94 Augustin, Serm., 24 et 243 ; Contra litteras Petiliani, II, c. 104 ; Cité de dieu, XXII, 24 ; Comm in psalm XXXIII, Serm. 1 et 2.
95 Jérome, Com. Ez., XIII, 44 (PL 587) : « Caput autem suum non radent, neque comam nutrient, sed tondentes attondebunt capita sua, perspicue demonstratur, nec rasis capitibus sicut sacerdotes cultores que isidis atque serapidis nos esse debere, nec rursum comam demittere, quod proprie luxuriosorum est barbarorum que et militantium » (trad. personnelle).
96 Sidoine, Épitres, V, 13, 3 : « Crinem uiris nutrit, mulieribus incidit. » Seronatus est explicitement assimilé à Catilina (Épitres, II, 1, 1).
97 Nous nous inspirons ici du concept développé par les gender studies et défini par Crenshaw Kimberlé « Cartographie des marges : intersectionnalité, politiques de l’identité et violences contre les femmes de couleur », Les Cahiers du genre, no 39, 2005, p. 51-82 (publication originale : « Mapping the Margins: Intersectionality, Identity Politics, and Violence against Women of Color », Stanford Law Review, no 43.6, 1991, p. 1241-1299).
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