L’honneur de l’armée impériale et le risque que prend celui qui ose l’insulter
p. 207-220
Texte intégral
Introduction
1Réfléchir sur l’honneur de l’armée impériale présuppose d’avoir une conception sociologique de cette armée en tant que phénomène historique. En abordant ce sujet j’aimerais rendre hommage à Paul Veyne, qui, en découvrant la relation entre professionnalisme et honneur, a initié une Histoire culturelle du Politique sur laquelle je cherche à m’aligner.
2L’armée de l’Empire romain était un organisme social différencié tant d’un point de vue technique que social et politique. L’élément principal des forces armées était les légions. C’étaient des unités militaires remarquablement homogènes ; elles étaient composées de citoyens romains. De plus elles avaient un équipement parfaitement identique et étaient entraînées de la même façon. Bien que la iiie Gallica fût stationnée en Syrie et la XIe Claudia en Illyrie, des sous-officiers circulaient aisément d’une légion à l’autre1. Les autres troupes, les auxiliaires, étaient composées de non-romains libres de l’Empire. Leur équipement était plus léger et différait considérablement selon leur fonction spécifique. Bien que ces soldats obtinssent la citoyenneté romaine après leur service régulier de 25 ans, leurs unités gardaient des traits caractéristiques et, par conséquent, étaient dépourvues de l’homogénéité impressionnante des légions. Dans l’ensemble des forces armées, les auxiliaires occupaient donc une position de second rang. Nettement inférieurs, et donc tout en bas de l’échelle militaire, on trouvait les marins des deux flottes romaines, composées largement d’affranchis. Pendant l’époque du Haut-Empire, quand un prétendant défiait l’empereur régnant et que les armes devaient décider entre les deux, c’étaient toujours les légions qui dominaient lors des batailles. Jamais pendant l’époque du Haut-Empire des unités auxiliaires n’osèrent élever un prétendant. Ce privilège du pronunciamiento revenait exclusivement aux légions. Les auxiliaires suivaient normalement leur légion. Une analyse sociologique de l’appareil militaire de l’Empire doit tenir en compte de cette hiérarchie politique ostensible et indiscutable.
3Pour définir les aspects qui permettent de mettre en évidence les éléments constitutifs de l’honneur de l’armée romaine, il faut donc écarter les auxiliaires et les marins. L’honneur de l’armée impériale est largement déterminé par l’honneur des soldats-citoyens, par les légions. Il faut donc aborder les traits significatifs de cette partie privilégiée des forces armées.
4L’armée de l’Empire fut créée par le princeps Auguste. C’était la première armée professionnelle de l’histoire mondiale, une « organisation formelle » d’une efficacité extraordinaire. Cette armée était séparée de la société topographiquement et socialement à un degré étonnant.
5Le professionnalisme militaire se manifeste par des traits spécifiques dont j’énumère les plus importants2 :
Les soldats acquéraient et maintenaient des connaissances et des capacités techniques spécialisées au cours d’un entraînement long et intense.
L’homogénéité de cet « appareil » militaire dépassait celle de toutes les autres armées de l’Antiquité : formation, condition de vie et profils de carrière étaient identiques dans toutes les unités de cette « organisation formelle »3.
La durée du service avait des conséquences décisives sur la vie des individus : servir activement pendant vingt ans et rester en réserve encore cinq ans voulait dire que la perspective d’une vie sociale après ces vingt-cinq ans était largement déterminée par l’habitus acquis par le légionnaire et par une conscience de soi imprégnée des valeurs militaires. Le fait d’être soldat conférait une dimension existentielle4.
6L’armée romaine était séparée du reste de la société. Cette séparation était radicale : les soldats n’étaient pas stationnés dans des villes de garnison, bien qu’un tel stationnement eût été beaucoup moins coûteux. Par contre, les légions étaient stationnées dans des camps militaires bien éloignés, déployés le long de la frontière de l’Empire5. Les soldats étaient juridiquement hors d’atteinte de toute relation clientéliste et même de la patria potestas ; en plus ils n’avaient pas le droit de se marier et de fonder une famille jusqu’à l’époque de Septime Sévère. Les cas fréquents de concubinages hors connubium n’avaient pas de valeur juridique. Les relations personnelles officialisées d’un légionnaire n’excédaient donc pas les limites du camp militaire. Ce manque de relations familiales faisait que les liens avec la région de stationnement restaient faibles ; et cela permettait à l’empereur d’organiser et de réorganiser les légions à son gré, c’est-à-dire, en fonction des options politiques de l’Empire. Normalement les relations familiales et sociales d’un légionnaire étaient contraintes. Par conséquent il ne vivait pas seulement dans une « organisation formelle », mais dans une « organisation totale », et ses énergies psychiques étaient – à la rigueur – totalement absorbées par les relations intra-organisationnelles6. Cette séparation sociale empêchait que les loyautés d’un soldat se partagent et entrent en conflit. La loyauté indivisible revenait à l’imperator auquel chaque soldat avait prêté serment, un serment qu’il renouvelait le 1er janvier de chaque année.
7Sept composantes se combinaient pour déterminer une condition de vie spécifique : a) un service de durée fixé exactement et assez longue, b) un salaire régulier qui dispensait le soldat de toute préoccupation de survie matérielle, c) des carrières standardisées avec des perspectives calculables d’ascension dans la hiérarchie militaire, d) un système de promotion interne selon des critères transparents qui se référaient aux compétences individuelles dans le cadre d’une compétitivité sur la base de standards de performance ; ce mode d’ascension sociale se distinguait fondamentalement des formes de mobilité sociale dans la société romaine7, e) un encouragement permanent à se comporter selon les normes inhérentes au fonctionnement de l’unité militaire, f) l’internalisation d’un « esprit de corps », g) une forte « identité de groupe ». Les légionnaires ne pouvaient pas s’en empêcher de développer une conscience d’élite, au sens fort8. Cette armée n’était pas une clientèle militaire de l’empereur ; et elle était encore mois une armée mercenaire9.
8Dans aucune entité sociale il n’est possible d’éliminer des conflits de normes ; mais dans une organisation telle que la légion de l’Empire ces conflits peuvent être réduits considérablement10. Si un soldat souffrait d’un conflit normatif, ce conflit même se référait normalement à des situations ayant cours dans son unité, quelquefois aussi à la relation entre d’un côté son unité ou l’armée entière et de l’autre l’empereur.
9Ce type d’organisation militaire se distingue nettement et des armées mercenaires et des armées de l’Europe des xviie et xviiie siècles. Il n’y avait pas de recrutement forcé jusqu’à l’Antiquité tardive. Les soldats forcés au service ont toujours du mal à intérioriser les normes régnantes dans l’organisation militaire, ce qui explique le phénomène de la désertion dans l’histoire moderne11. Par contre, l’armée impériale recrutait des volontaires12. La sélection dans le recrutement pouvait même être assez faible – en ce qui concerne la situation sociale des jeunes recrues et même leur comportement moral –, car le service était si long et l’entraînement dans cette « organisation totale » si extensif, que la socialisation « tertiaire » permanente et intense était en état de compenser largement les déficits de la socialisation antérieure. Même si l’on doit regretter que les sources soient largement absentes, on constate une internalisation efficace des normes militaires et des normes sociales inhérentes à cet appareil militaire. Le soldat individuel n’avait pas de choix : il devait s’efforcer d’apprendre vite et profondément les règles de comportement valides à l’intérieur de son unité13. Il y réussissait seulement s’il se dévouait totalement au service, sinon il risquait de ne pas gagner la reconnaissance et le respect de ses camarades. Le premier résultat de cette adaptation accélérée était naturellement que le légionnaire s’identifiait avec son unité et par conséquent avec la raison d’être de l’armée impériale. Ici nous touchons au phénomène du code d’honneur.
10En tenant compte de ces faits, on commence à comprendre que les légions impériales atteignaient un degré d’homogénéité inconnu jusqu’alors dans l’histoire de l’Antiquité. Cette organisation totale effaçait les effets des socialisations antérieures et donc les divergences de « mentalités » des citoyens romains qui se trouvaient rassemblés dans une unité. Que les soldats eussent été élevés dans des familles romaines en Asie Mineure ou en Espagne n’avait plus guère d’importance pour la cohésion sociale dans les unités. L’ordre équestre et même l’ordre sénatorial n’atteignirent jamais une homogénéité sociale et même éthique comparable à celle des légions.
11La régularité de la vie quotidienne dans les camps de légion pourrait faire présumer que ses effets « léthargiques » subvertissaient constamment l’esprit de corps et le code d’honneur des légionnaires. En dépit de cette tendance, le système de normes était orienté vers le cas extrême, c’est-à-dire vers le combat dans la bataille. L’entraînement fréquent et les cérémonies festives rappelaient à chacun que la fin de son existence était justement de donner le meilleur de soi-même quand le cas extrême surviendrait. Automatiquement la vie quotidienne était ressentie non pas comme un état « normal », mais comme un délai et un temps d’attente. L’effet de cette perspective sur les acteurs change radicalement le cadre conceptuel de la recherche historique sur l’armée impériale. Car il faut dépasser l’histoire sociale qui s’en tient à la condition sociale immédiate, pour tenir compte des orientations et du système normatif des acteurs historiques. La conscience d’appartenir à une élite était accrue par la fierté d’être prêt à sacrifier sa vie pour le salut de l’Empire et de l’imperator ; une fierté remémorée et réactualisée dans le cadre d’occasions précises et fréquentes, une fierté largement sous-estimée par l’histoire sociale.
12Un dernier aspect concerne le contrôle social et les types de pouvoirs nécessaires pour exercer ce contrôle. Grosso modo il y a trois sortes de pouvoir qui servent à maintenir ce contrôle : le pouvoir de force (punitions), le pouvoir utilitaire (stimulants « matériels »), et le pouvoir normatif (louanges publiques, décorations). La diversité étonnante des actes et des célébrations qui fournissaient des occasions cérémonielles pour décorer publiquement des soldats méritoires, et en plus les symboles matériels qui documentaient les distinctions honorifiques (torques, armillae, coronae, phalerae) démontrent amplement combien était important le pouvoir normatif à l’intérieur de l’armée impériale du Haut-Empire14. Mais que ce pouvoir fût efficace ou non dépendait justement de l’identification assez forte des individus avec la raison d’être de cette armée. Et cet aspect nous mène directement au cœur du problème de l’honneur d’un légionnaire romain.
13Si l’on résume de manière synoptique ces dix points il devient évident que le phénomène de l’honneur s’explique en grande partie par la relation entre l’orientation et le système normatif de chaque soldat individuel, son identification avec sa légion et avec l’armée entière d’un côté et de l’autre côté son intérêt pour que l’armée et sa raison d’être fussent respectées et reconnues par tous les autres groupes de la société de l’Empire. Certes, l’honneur d’un légionnaire individuel n’était pas identique avec l’honneur de sa légion ; mais l’auto-estimation de chaque soldat était inextricablement liée à l’estimation politique dont jouissait l’armée dans sa totalité.
14Or ce type d’honneur, qui est d’une qualité tout à fait différente de l’honneur chevaleresque ou de l’honneur d’un Achille, posait des problèmes politiques souvent latents mais graves. Il trahit une dialectique dangereuse qui traverse les entités sociales caractérisées par une haute densité sociale, une densité qui concerne autant l’extensivité et l’intensité de la coordination des actes collectifs que la cohésion affective des membres. De telles entités sociales dépendent à un très haut degré d’une communication symbolique qui vise à justifier régulièrement la raison d’être de l’organisation entière, à l’actualiser et à la confirmer. Certes, cette densité sociale augmente énormément l’efficacité des actions collectives. Mais cette densité sociale atteinte dans l’armée impériale a eu un prix politique : des crises éclatèrent aussitôt que cette communication fut gravement endommagée. Car la communication symbolique nourrissait la certitude indispensable à l’armée romaine. Toute incertitude quant au fait d’être honoré ou non par le reste de la société et surtout par l’empereur lui-même, était susceptible de faire éclater des situations périlleuses, de provoquer des réactions politiques.
15L’honneur de l’armée était un fait social : il ne suffisait pas que les troupes se respectent mutuellement, il fallait en plus que les autres secteurs importants de la citoyenneté respectent l’honneur de l’armée dans son ensemble. Cette reconnaissance venant de l’extérieur était indispensable pour l’auto-estimation de l’armée. Et donc cette reconnaissance était une nécessité politique. Mon premier exemple illustre cette nécessité ; il se réfère à la crise de décembre 68 apr. J.-C.
16Sulpicius Galba, proclamé empereur pendant la chute de Néron, le 8 juin 68, perdit son trône et sa vie sept mois plus tard. Contre lui se révoltèrent simultanément et les légions de la Germanie et les prétoriens à Rome. Galba commit plusieurs actes qui le privèrent de la fides de l’armée, dont un était spectaculaire et décisif. Le début du règne de Galba fut assombri par des rumeurs qui se répandirent surtout dans les camps légionnaires en Germanie. C’était d’abord la nouvelle effrayante que le nouvel empereur avait fait massacrer plus d’un millier de soldats à Rome15. Les légions de Germanie, chez lesquelles Galba avait été commandant en chef vingt-neuf ans auparavant, conservaient un assez mauvais souvenir de cette période, et ce n’était pas un hasard si la rumeur que Galba envisageait aussi de faire décimer les légions de Germanie naquit justement dans ces garnisons. Les rumeurs disent beaucoup sur l’image que l’on se faisait d’un empereur. Face à cette situation inquiétante le nouvel empereur refusa de payer un donativum.
17Or qu’était-ce que le donativum ? C’était un don qu’en de grandes occasions les empereurs faisaient aux troupes, mais seulement aux soldats qui étaient citoyens romains. Plus de la moitié de l’armée romaine, à savoir les troupes auxiliaires, n’en reçut jamais sous le Haut-Empire. Les empereurs étaient obligés de donner un donativum au moins une fois, au début de leur gouvernement. Le montant de ce cadeau honorifique était resté le même pour les légionnaires depuis le temps d’Auguste : 75 deniers, c’est-à-dire quatre mois de solde. La plèbe urbaine recevait la même somme, on ne l’appelait pas donativum mais congiarium, et la plèbe le recevait plus souvent que les légionnaires, parce que les empereurs donnaient ces largesses aux citoyens de la capitale. La garde prétorienne, elle, recevait un donativum qui était six fois le montant de celui des légionnaires, et dès l’époque de l’empereur Claude cinquante fois ce montant16.
18Les auteurs antiques manifestent habituellement leur indignation contre cette coutume des empereurs. Ils condamnent le donativum aux soldats et voient en lui un acte d’achat17. Auguste aurait acheté les troupes, selon Tacite. Corruptis militibus – « après avoir corrompu les soldats » – c’est la formule habituelle que l’on trouve dans Tacite, Suétone, Cassius Dion, Plutarque, Aurelius Victor, etc.
19Il est étrange que ces auteurs ne se fâchent jamais à propos des congiaria donnés aux citoyens de la capitale. Or ces congiaria coûtaient plus cher au fisc impérial que le donativum parce que la plèbe urbaine en recevait régulièrement. Apparemment, les auteurs romains avaient deux poids et deux mesures pour la plèbe et pour l’armée. Plus étrange encore, les cadeaux gigantesques que les empereurs donnaient avec une belle régularité aux sénateurs – non pas soixante-quinze ridicules deniers mais des centaines de milliers –, et qui formaient quelquefois plus de la moitié de la fortune d’une famille sénatoriale, nos auteurs les passent sous silence18. S’il y avait vraiment achat, alors c’étaient les sénateurs qui étaient achetés par l’empereur. Mais tel n’était pas l’avis de Tacite ou de Suétone. Ce qui est bon pour l’aristocratie et même pour la plèbe, ne semble pas être bon pour les soldats. Ce qui est un don pour les uns est un acte d’achat pour les autres, les vénaux. Il est évident que cette classification relève de la sémantique politique et de la valeur politique de l’honneur, comme Paul Veyne l’a brillamment démontré19.
20Le discours des historiographes anciens s’oppose à une réalité sociale bien fondée, car l’armée romaine avait un statut politique privilégié, comme la plèbe urbaine et comme les sénateurs. La monarchie romaine était fondée sur le consensus de ces trois secteurs de la citoyenneté. Depuis la mort de Tibère en 37 apr. J.-C., c’étaient les soldats qui faisaient le premier pas et saluaient le nouvel empereur en l’acclamant du nom d’imperator. Puis le Sénat reconnaissait l’empereur en lui conférant quelques titres de la titulature impériale. Ensuite la plèbe de Rome votait une lex de imperio. Ces trois secteurs jouaient donc un rôle précis dans la procédure d’intronisation d’un empereur. Néanmoins il est indubitable qu’il revenait à la garde prétorienne d’initier la séquence des trois actes qui transformait un prétendant en empereur. Cette priorité se manifesta pour la première fois lors de l’avènement de Caligula en mars 37 apr. J.-C. Le rôle de l’armée était donc essentiel dans la constitution non-écrite de la monarchie. Si l’armée retirait sa confiance, l’empereur tombait.
21Pour se démarquer en tant que groupe privilégié, il fallait à Rome des signes visibles pour les autres groupes sociaux. Le signe le plus efficace était de recevoir un cadeau de la part de l’empereur, lors d’un événement important. Dans une société où l’on se faisait des cadeaux sans cesse, et où, dans les rapports clientélistes, amicaux et familiers, il était obligatoire de faire des dons et des contre-dons, il n’existait aucune relation personnelle en dehors de ce système d’échange20. Dans la société romaine, tous les groupes sociaux, du sénateur jusqu’à l’affranchi, étaient avides de manifester ostensiblement le nombre et l’étendue de leurs relations personnelles, et le poids de leur honneur social, un honneur presque mesurable, dont un élément était la visibilité publique des dons reçus. Certes, ce n’était qu’un élément parmi ceux qui constituaient l’honneur romain, mais c’était assurément un facteur essentiel.
22On comprend mieux maintenant pourquoi les soldats citoyens avaient un besoin urgent de recevoir un donativum. Pour les humbles légionnaires et pour les prétoriens, le donativum revêtait une double valeur : d’abord c’était le symbole politique d’une proximité avec l’empereur et d’une relation personnalisée avec lui, bien que cette relation ne pût être proprement personnelle. L’empereur n’était pas en mesure d’entretenir un rapport de connaissance mutuelle ni avec les légionnaires ni même avec les prétoriens. Pourtant cette relation existait et elle était forte, car elle impliquait un dévouement intense de la part des soldats. Cette relation devait être nourrie par des symboles et par des gestes de la part de l’empereur lointain21. La communication symbolique maintenait et renouvelait sans cesse une relation personnalisée avec ces 180 000 Romains excellemment entraînés, dont la loyauté et la vaillance garantissaient la survie de l’empire, et qui en plus devaient être prêts à mourir pour lui, l’empereur. Mais, en plus, le donativum était le signe ostensible que les soldats réclamaient à juste titre un honneur dû à leur statut, un honneur attaché à l’armée parce qu’elle occupait une position importante dans le système politique. C’est la raison pour laquelle le montant du donativum est presque accessoire ; car c’était un don symbolique, comme l’a dit Paul Veyne22.
23Mais cette position politique de l’armée fut justement remise en cause. L’aristocratie romaine n’a jamais accepté que l’armée détienne cette position politique. Nos auteurs, qui appartiennent tous aux couches supérieures de la société, ont poursuivi dans leurs textes cette lutte sémantique contre la position politique de l’armée. En contestant qu’il soit conforme à la dignité des soldats romains de recevoir des donativa, ils affirment que l’armée se trouve en dehors du cercle des groupes dignes de recevoir des cadeaux impériaux. Comme on ne pouvait pas offrir un cadeau aux soldats, on pouvait seulement les acheter. Acheter veut dire : l’armée n’a pas droit à une position politique reconnue comme équivalente de celle de la plèbe à Rome et du Sénat. Par conséquent, elle n’a aucun honneur politique dans le sens étroit du terme : avoir l’honneur d’être un secteur dominant dans la monarchie romaine23. En qualifiant d’« achat » le donativum, les historiographes voient dans cette pratique politique un abus qui inévitablement devait ruiner la morale des troupes romaines. Ces auteurs ne luttent pas contre la monarchie, mais contre la position politique d’un groupe rival dans le système politique de la monarchie romaine.
24Une simple réflexion nous aide à comprendre ce qui est en jeu. Brian Campbell a prétendu, dans son livre The emperor and the Roman Army, que l’armée impériale aurait été une armée privée, mercenaire des empereurs. Et il ajoutait que l’on pouvait acheter cette armée – l’armée était « up for sale to the highest bidder » – vénale pour celui qui offrait le plus24. Qu’on en imagine simplement les conséquences : Si l’on avait pu vraiment acheter les légions romaines, il n’aurait pas manqué de candidats pour le faire. Le résultat est évident : il y aurait eu des usurpations chaque mois. Mais ce que les sources nous disent est net et clair : parmi les usurpations, jusqu’en 193 apr. J.-C., pas un seul candidat au trône ne fit la moindre tentative pour appâter les troupes de l’adversaire par des promesses financières. Apparemment, les usurpateurs romains, qui étaient tous des sénateurs, savaient très bien qu’une telle tentative ne menait à rien. Incontestablement le savoir pratique des sénateurs ne coïncidait pas avec leur discours aristocratique sur les troupes ; apparemment les expériences réelles contredisaient les préjugés idéologiques. Cette incohérence est un fait social normal dans les sociétés humaines, car la « logique des pratiques » ne joue pas sur le même plan que les discours et leurs effets sur l’imaginaire politique d’une classe dominante25. Mais il existe des cas où cette incohérence entre dans les textes même et fait éclater leur logique interne. Ainsi Tacite, qui partage les préjugés sénatoriaux, dit clairement qu’il était indubitable que le moindre donativum aurait suffi à calmer les esprits (« constat potuisse conciliari animos quantulacumque parci senis liberalitate »)26. Arrêtons-nous un instant sur l’énoncé de cette phrase : selon cette dernière le montant de la somme était sans importance. Cet énoncé présuppose donc que l’acte même de donner se trouvait au centre de la communication entre l’imperator et son armée. Or, c’est avouer qu’il ne s’agissait ni d’achat ni de vente, mais d’un don symbolique. Le commentaire par Tacite de l’avarice de Galba contredit l’imaginaire sénatorial, dans lequel les citoyens romains armés ne constituent plus qu’une masse vénale. La fissure logique dans le texte tacitéen fait entrevoir un savoir social implicite selon lequel les troupes romaines auraient dû réagir à un donativum quasi mécaniquement. Ce savoir est si peu explicite que l’auteur ne se rend pas compte à quel point les notions centrales de son discours moral contredisent – et se heurtent contre – ce savoir27.
25Voyons maintenant comment Galba a justifié son refus de payer un donativum. Suétone nous informe28 :
« …et subinde iactavit legere se militem, non emere consuesse. »
« … et il se vanta à plusieurs reprises qu’il avait l’habitude de recruter les soldats, pas de les acheter ».
26Cet énoncé, de la bouche de Galba, nous est rapporté aussi par Tacite et par Plutarque29. C’est sans doute un énoncé authentique de Galba, un énoncé qui atteste bien que l’empereur commettait une double erreur :
Les soldats-citoyens du premier siècle n’étaient pas du tout des conscrits comme à l’époque républicaine. Ils étaient quasiment tous des volontaires. De plus, ces professionnels avaient une conscience d’élite et ne se laissaient pas traiter comme on avait traité les conscrits de la République.
En qualifiant le donativum d’achat, Galba adopta pleinement le discours aristocratique selon lequel ni les légions ni la garde n’occupaient une position politique forte, c’est-à-dire une position politique décisive dans le système monarchique. En termes politiques, le nouvel empereur manifesta sa conviction qu’il n’y avait dans la monarchie romaine que deux groupes qui occupaient une position politique : les sénateurs et la plèbe urbaine, mais pas l’armée. Ce faisant, Galba renonçait à tout signe visible d’une proximité affective entre lui et les troupes, et il priva l’armée de la reconnaissance impériale. Si Galba était d’avis que la monarchie romaine avait pour base le consensus de deux secteurs seulement – au de lieu de trois –, il adhérait à une conception de la monarchie romaine différente de celle d’Auguste.
27Cette interprétation n’est pas issue des recherches de l’historien antiquisant. Bien au contraire, elle se trouve déjà dans un texte de Plutarque qui nous explique la conséquence de ce refus impérial dans les camps légionnaires : « Ils pensèrent en effet qu’il ne serait pas le seul à les frustrer, mais qu’il faisait de cette conduite une loi, et qu’il enseignait aux empereurs qui lui succéderaient à agir de même30. »
28Si nous nous en tenons strictement à cette information qui est une interprétation, une chose devient évidente : Les légionnaires étaient moins préoccupés par la perte matérielle qu’ils subissaient – et qui était en fait d’une maigre importance –, que par le fait que l’empereur allait changer le statut politique de l’armée tout entière. Éliminer l’armée du cercle intérieur du système politique équivalut à altérer la monarchie augustéenne. Cette altération n’était rien d’autre qu’un attentat contre la constitution établie, contre ce que Paul Veyne a nommé « le pacte historique31 ». Un tel attentat peut réussir dans des circonstances particulières ; mais il peut tout autant échouer. Dans notre cas, l’auteur de l’attentat le paya de son trône et de sa vie. La défection des légions à Xanthen et à Mayence se déroula le 1er janvier 69 apr. J.-C. lors du renouvellement du serment militaire sur le nom de l’imperator ; le 3 janvier les légions du Rhin élevèrent Vitellius, tandis qu’à Rome la garde prétorienne, sans avoir connaissance des événements au nord des Alpes, acclama Othon au matin du 15 janvier et attaqua le palais impérial où Galba fut tué. Résumons avec sang-froid : En défendant leur honneur, les prétoriens et les légions de la Germanie défendirent la constitution augustéenne.
29La garde prétorienne était un corps à part, et son code d’honneur différait de celui des légionnaires32. Quand il y avait une usurpation, et quand l’armée du prétendant et celle de l’empereur s’affrontèrent dans une bataille, les légions vaincues abandonnèrent le combat et se rendirent. C’est la raison pour laquelle une usurpation n’était pas une guerre civile ; la capitulation immédiate après la bataille perdue empêcha le conflit armé de se prolonger et de coûter cher à la population civile33. Mais la garde prétorienne avait quelquefois tendance à poursuivre le combat tant que leur imperator était en vie. La différence renvoie à une divergence de normes, et par-là à une conception différente de la notion d’honneur. Voyons un exemple concret. Après la défaite de l’armée othonienne contre les troupes de Vitellius près de Bedriacum, le 16 avril 69 apr. J.-C., les légions vaincues envoyèrent des parlementaires aux commandants ennemis afin d’offrir leur capitulation. Mais la garde prétorienne refusa de se rendre, résolue à continuer un combat sans espoir. Seulement quand les prétoriens apprirent que leur empereur vaincu s’était suicidé, ils furent prêts à capituler. Mais pas tous. Quelques-uns se suicidèrent auprès du bûcher sur lequel le cadavre de leur empereur extrêmement populaire brûlait34. Comment comprendre cette adhésion qui allait au-delà de la mort ? Je suppose que ce phénomène s’expliquait davantage par la définition et l’image que les soldats se donnaient d’eux-mêmes que par un attachement affectif de dimension névrotique. Et cette image de soi-même correspondait à un code d’honneur qui était susceptible de se détacher largement ou – dans un cas extrême – complètement de la fonction concrète d’une garde.
30Pour illustrer cette possibilité, prenons un exemple étrange et inquiétant, presque toujours omis par les histoires événementielles du ier siècle apr. J.-C. En juillet 69 apr. J.-C. le commandant des légions orientales, Vespasien, se révolta contre l’empereur Vitellius. L’armée vespasienne battit les troupes de Vitellius près de Cremona au nord de l’Italie, le 24 octobre 69 apr. J.-C. Les légions vaincues firent ce qu’il fallait faire, elles se rendirent. Elles prêtèrent serment sur le nom du vainqueur Vespasien ; et à partir de ce moment les soldats vaincus se trouvèrent dans la même situation réglementaire que les légions victorieuses ; elles maintenaient leur statut comme troupes impériales et leur intégrité organisationnelle. Après le 25 octobre le régime de Vitellius n’avait plus de chances de survivre. Pourtant Vitellius, loin de se suicider comme il aurait dû le faire, chercha à prolonger un combat insensé, étant donné qu’il ne lui restait que la garde prétorienne et les cohortes urbanae. Le 18 décembre l’armée vespasienne attaqua la capitale ; et le lendemain elle envahit Rome en trois endroits. Alors se déroula un événement qui mérite une attention interprétative : les trois cohortes prétoriennes qui étaient restées à Rome combattirent jusqu’à la mort. Tacite décrit ce combat final en termes percutants35 :
« Multi semianimes super turres et propugnacula moenium exspiravere ; convolsis portis reliquus globus obtulit se victoribus, et cecidere omnes contrariis volneribus, versi in hostem : ea cura etiam morientibus decori exitus fuit. »
« Beaucoup d’eux, déjà demi-morts, rendirent l’âme sur les tours et les murs de parapet. Quand les portes furent enfoncées, le reste de la troupe se jeta sur les vainqueurs ; et ils tombèrent tous avec des plaies dans la poitrine, faces aux ennemis. Même en mourant ils furent remplis de ce souci d’une mort honorable. »
31Pourquoi ces presque trois mille hommes ne se rendirent-ils pas ? Pourquoi préférèrent-ils mourir ? Expliquer cet événement extrême veut dire expliquer les conditions sociologiques de cette conduite collective36. Je propose de rejeter deux approches faciles. En premier lieu il faut éviter tout recours à ladite « psychologie de masses ». Cette pseudo-théorie n’explique rien de notre événement. En deuxième lieu, il faut congédier toute histoire sociale qui est basée sur le concept de l’intérêt, si l’intérêt est conçu comme la résultante de la condition sociale au sens matériel. Je m’en tiens à ce que j’ai appris de Pierre Bourdieu, à savoir que les motifs des agents sociaux surpassent de loin les prétendus intérêts. Entrons dans l’analyse :
32Primo. La garde prétorienne fut recrutée depuis 95 ans sans exception parmi les couches supérieures des municipes purement italiens. Cependant, ces trois cohortes se composaient de légionnaires ordinaires. Pourquoi ? Vitellius a interrompu une continuité de quatre-vingt – quinze années dans le recrutement des prétoriens en congédiant la garde prétorienne qui avait servi Nero, Galba et Othon, et en construisant une garde tout à fait nouvelle, composée uniquement par des légionnaires. Il a augmenté le nombre des cohortes praetoriae de douze à seize ; or, l’effectif d’une cohorte était de 1 000 soldats37, donc le double d’une cohorte de légion. Vitellius transféra donc 16 000 soldats des légions britanniques et germaniques à Rome, privant celles-ci d’environ 20 % de leur effectif. Il fit usage d’une ascension intra-organisationnelle et sociale inouïe afin de récompenser ses légions pour le soutien de son usurpation. Cette mesure équivalut à une atteinte effrayante à l’homogénéité de l’appareil militaire de l’Empire. Non pas que les légions germaniques et britanniques durent remplacer la perte de leurs meilleures cohortes par des recrutements et des promotions de masse accélérés pour remplir les rangs des sous-officiers, ce qui perturba grièvement la socialisation normale des recrues et abaissa indubitablement les standards de performance ; mais – pire encore – cette sorte de promotion de masse pour les adhérents de l’empereur endommagea directement l’homogénéité morale de l’armée romaine ; les légionnaires des autres unités dans l’Empire comprirent : si cet exemplum réussissait, chaque usurpateur victorieux élèverait ses propres légions à un statut supérieur du reste de l’armée ; l’armée romaine finirait par devenir un ensemble hétérogène, à l’intérieur duquel dominerait la clientèle personnelle de l’empereur régnant. Il est compréhensible que presque tout l’appareil militaire se fût révolté contre une telle scission entre les troupes dès que la première occasion se présenta. Revenons à notre sujet, le combat des trois cohortes prétoriennes, le 19 décembre 69 apr. J.-C. Ces soldats n’avaient servi guère plus de six mois comme prétoriens quand ils moururent. Néanmoins ils se comportèrent en véritable garde – et la garde ne se rend pas, elle meurt, comme dit un mot célèbre de l’histoire française.
33Secundo. Les trois cohortes ne défendirent aucunement leur empereur. Vitellius fut abandonné par tout le monde dans le palais vide, et là il fut capturé par des légionnaires de Vespasien. Sa garde, en revanche, se retrancha dans le camp prétorien, au nord-est de Rome, donc à 2 kilomètres et demi du Palatin, et là elle succomba. Il est évident que la garde n’envisagea point de défendre son imperator, bien au contraire elle l’abandonna exprès. En ne pas défendant pas le palatium mais les castra praetoria, la garde se distingua ostensiblement. Il n’y a qu’une seule réponse à cela : la garde avait honte de son empereur indigne qui ne sut pas se donner la mort quand la situation politique l’exigea, honte d’avoir servi ce lâche.
34Tertio. Ces anciens légionnaires surent qu’ils n’avaient aucune chance de défendre ni la capitale ni le camp prétorien. Si ces trois mille hommes s’étaient rendus, tous auraient continué leur service militaire sous le nouvel imperator de l’Empire. Certainement s’attendaient-ils à perdre leur position de prétoriens et à être renvoyés dans leurs légions. Or, ils savaient que les camarades vaincus en octobre avaient prêté serment à Vespasien et gardaient leur position comme légionnaires romains sans aucun désavantage. Ils auraient pu faire aisément autant.
35Nous ne découvrirons jamais les motifs ultimes qui convainquirent ces trois mille soldats de préférer la mort à leur statut antérieur de légionnaires. Mais il est hors de doute que l’attachement à leur statut nouveau était si fort que leur conscience de soi ne leur laissa aucune alternative. Ils se gérèrent en exemplum pour la postérité, sacrifiant leur vie en faveur d’une image idéale de soi-même, d’un soi individuel et collectif. L’honneur de l’armée impériale pouvait donc se dissocier complètement de la reconnaissance sociale, en plus il pouvait se dissocier de la fonction sociale de l’organisation militaire de l’Empire, et, plus ultra, il pouvait se dissocier de la fonction même d’une garde impériale.
36L’honneur pouvait devenir un fait autoréférentiel menant à son paroxysme et par-là à des actes autodestructifs. Mais « autodestructif » pour qui ? Les légionnaires victorieux étaient sans aucun doute remplis d’admiration pour ces camarades ennemis qui, faute de s’autodétruire, atteignirent le but ultime d’achèvement d’une vie honorifique. Ce qui nous étonne – pas en tant que spectateurs/lecteurs, mais en tant qu’historiens –, c’est l’incongruence entre un système normatif – lequel selon notre bon sens devrait être adéquat à la fonction sociale du groupe en question – et les motifs d’action qui surpassent de loin le système normatif reconstructible.
37Pour conceptualiser l’honneur spécifique d’un groupe social, il est légitime qu’une sociologie historique recherche les conditions sociales de ce groupe et qu’elle enquête toutes les composantes du système normatif et du comportement collectif. Pourtant l’histoire culturelle trouvera toujours un décalage entre la fonction sociale d’un groupe et les motifs qui dirigent le comportement de ce groupe entier ou d’une partie de celui-ci. Les cas extrêmes de ce décalage se présentent à première vue comme des cas de pathologie sociale, mais en réalité ce sont des événements qui révèlent des contradictions qui tendent à être imperceptibles dans la vie quotidienne et « normale ».
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Notes de bas de page
1 Birley Eric, « Promotions and Transfers in the Roman Army II: The Centurionate », in Eric Birley (dir.), The Roman Army. Papers 1929-1986, Amsterdam, Gieben, 1988, p. 206-231 ; Dobson Bryan, « The Centuriate and Social Mobility during the Principate », in Recherches sur les structures sociales dans l’Antiquité classique. Caen 25-26 avril 1969, Paris, CNRS, 1970, p. 99-115.
2 Ce sujet est traité dans Flaig Egon, Den Kaiser herausfordern. Die Usurpation im Römischen Reich, Francfort/New York, Campus verlag, 1992, p. 132-144.
3 Keppie Lawrence, The Making of the Roman Army, from Republic to Empire, Londres, Routledge, 1984 ; Wesch-Klein Gabriele, Soziale Aspekte des römischen Heerwesens in der Kaiserzeit, Stuttgart, Steiner, 1998.
4 Schössler Dietmar, Militärsoziologie, Königstein, Athenäum, 1980 ; Maier Franz G., Neque quies gentium sine armis: Krieg und Gesellschaft im Altertum, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1988 ; Flaig E., op. cit., p. 142 sq.
5 Sur la dislocation des troupes voir Ferril Arther, Roman Imperial Grand Strategy, New York, University Press of America, 1991.
6 Voir Goffmann Erving, « On the Characteristics of Total Institutions: the Inmate World », in Donald R. Cressey et Johan Galtung (dir.), The Prison. Studies in Institutional Organization and Change, New York, Holt, Rieinhart et Winston, 1961.
7 Domaszewski Alfred von et Dobson Bryan, Die Rangordnung des Römischen Heeres, Cologne/Graz, Böhlau, 2e éd. 1967 ; Dobson Bryan, « The Centuriate and Social Mobility during the Principate », in Recherches sur les structures sociales dans l’Antiquité classique. Caen, 25-26 avril 1969, Paris, CNRS, 1970, p. 99-115 ; Birley Eric, « Promotions and Transfers in the Roman Army II: The Centurionate », in Eric Birley (dir.), The Roman Army. Papers 1929-1986, Amsterdam, Gieben, 1988, p. 206-231 ; Le Bohec Yann (dir.), La hiérarchie (Rangordnung) de l’armée romaine sous le Haut-Empire, Paris, De Boccard, 1995.
8 Herzog Dietrich, Politische Führungsgruppen, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1982, p. 18-25 ; Keller Suzanne, « Elites », IESS, no 5, 1968, p. 26-29 ; Bottomore Thomas B., Elite und Gesellschaft. Eine Übersicht über die Entwicklung des Eliteproblems, Munich, Beck, 1969, p. 46 sq.
9 Adolf von Premerstein a créé le concept de la « Heeresklientel » (Premerstein Anton von, Vom Werden und Wesen des Principats, Munich, Beck, 1937) ; B. Campbell défend le concept de l’armée mercenaire. La réfutation élaborée de ces deux concepts se trouve chez Egon Flaig, op. cit., p. 164-173.
10 Etzioni Amitai, « Social Control II: Organizational Aspects », IESS, no 14, 1968, p. 369-402.
11 Voir Flaig Egon, Den Kaiser herausfordern, op. cit., p. 138.
12 Selon Brunt (Brunt Peter A., « Conscription and Volunteering in the Roman Imperial Army », SCI, no 1, 1974, p. 90-115), les circonscriptions républicaines continuaient dans l’Empire. Les objections de Mann (Mann John C., Legionary Recruitment and Veteran Settlement during the Principate, Londres, Institute of Archeology, 1983, p. 52) me semblent pertinentes.
13 Etzioni Amitai, Soziologie der Organisationen, Munich, Beck, 1967, p. 115.
14 Maxfield Valerie A., The Military Decorations of the Roman Army, Londres, B. T. Batsford LTD, 1981, et Flaig Egon, Den Kaiser herausfordern, op. cit., p. 140.
15 Voir Flaig Egon, « Introitus infaustus. L’adventus des usurpateurs – trois exemples (Galba, Vitellius, Septimius) », in Agnès Bérenger et Éric Perrin-Saminadayar (dir.), Les entrées royales et impériales. Histoire, représentation et diffusion d’une cérémonie publique, de l’Orient à Byzance, Paris, De Boccard, 2009, p. 177-185. Mes réflexions s’opposent nettement à Jacques Sancery, Galba ou l’armée face au pouvoir, Paris, Les Belles Lettres, 1983.
16 Flaig Egon, Den Kaiser herausfordern, op. cit., p. 451-469 et Flaig Egon, « Geschichte ist kein Text. “Reflexive Anthropologie” am Beispiel der symbolischen Gaben im Römischen Reich », in Horst W. Blanke, Friedrich Jäger et Thomas Sandkühler (dir.), Dimensionen der Historik: Geschichtstheorie, Wissenschaftsgeschichte und Geschichtskultur heute. Jörn Rüsen zum 60. Geburtstag, Cologne, Böhlau, 1998, p. 345-360.
17 Suétone, Claude, 10 ; Tacite, Annales, I, 2, 1.
18 Un silence d’autant plus étrange que Tacite le rompt, dans les cas rares où un empereur refusait net de continuer à venir au secours d’une famille ancienne dont la fortune était abîmée.
19 Veyne Paul, Le pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique, Paris, Le Seuil, 1976, p. 609 sq.
20 Rappelons la Lex Falcidia et la signification culturelle de cette loi. Une société où il était nécessaire d’interdire à un pater familias de faire dans son testament des dons qui surpassaient les 3⁄4 de sa fortune, où l’on jugeait nécessaire de le forcer à en laisser au moins 1⁄4 en héritage à ses enfants, une telle société nous paraît très étrange. Voir Garnsey Peter et Saller Richard, The Roman Empire. Economy, Society and Culture, Berkeley, University of California Press, 1987, p. 148 sq.
21 Le sujet est traité sur un plan méthodologique dans Flaig Egon « Geschichte ist kein Text », art. cité.
22 Veyne Paul, Le pain et le cirque, op. cit., p. 408 sq., et p. 609 sq.
23 Ces textes historiographiques consistent en deux discours : un discours factuel, qui raconte des événements, et un discours moral, qui juge les faits et les actes selon des « maximes » moralo-politiques, donc selon une sémantique politique. La divergence entre un discours positif et un discours moral est discuté par Flaig Egon, Den Kaiser herausfordern, op. cit., p. 14-37.
24 Campbell Brian, The Emperor and the Roman Army, 31BC – AD 235, Oxford, Oxford University Press, 1984, p. 190.
25 Voir Bourdieu Pierre, Le sens pratique, Paris, Les Éditions de minuit, 1980 (chapitre v).
26 Tacite, Histoires, I, 18, 7.
27 Cette divergence entre savoir implicite et sémantique explicite est analysée de manière plus détaillée chez Flaig Egon, Den Kaiser herausfordern, op. cit., p. 25-37. Le cadre de ces considérations est dû aux travaux de Pierre Bourdieu. Voir surtout Bourdieu Pierre, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris, Le Seuil, 1994.
28 Suétone, Galba 16.
29 Tacite, Histoires, I, 5, 2 ; Plutarque, Vie de Galba, XVIII, 3-4. La promesse dont il est question ici était celle du préfet du prétoire Nymphidius Sabinus, qui avait annoncé à la garde prétorienne que chaque prétorien recevrait 7 500 denarii, chaque légionnaire 1 250 denarii. Nymphidius envisageait d’« acheter » les prétoriens pour ruiner le règne de Néron (Flaig Egon, Den Kaiser herausfordern, op. cit., p. 275-278). Galba ne se sentait aucunement obligé par cette promesse.
30 Plutarque, Vie de Galba, XVIII, 5, trad. É. Chambry et R. Flacelière, CUF.
31 Veyne Paul, Le pain et le cirque, op. cit., p. 326 sq.
32 Kennedy David L., « Some observations on the Praetorian guard », Ancient Society, no 9, 1978, p. 275-301. En général Durry Marcel, RE, XXII/2 (1954), s. v. « Praetoriae cohortes », col. 1607 sq., et Passerini Alfredo, Le coorti pretorie, Rome, A. Signorelli, 1939.
33 Voir Flaig Egon, Den Kaiser herausfordern, op. cit., p. 520-550.
34 Flaig Egon, Den Kaiser herausfordern, op. cit., p. 319.
35 Tacite, Histoires, III, 84, 3.
36 Kenneth Wellesley (The long year 69 A. D., Londres, P. Elek, 1975) a très bien remarqué que les motifs de ces cohortes se nourrissaient de leur honneur (p. 199) : They fought on in professional pride, their only solace the asssurance of being found worthy soldiers at least. Néanmoins, en reprenant l’expression tacitéenne « suprema victis solacia », il n’hésite pas à comparer ce comportement avec celui de Hitler en avril 1945 (p. 185) : The suprema solacia are the passion for destruction and self-destruction only too well illustrated by the attitude of Adolf Hitler in 1945. Cette remarque annule l’idée formulée auparavant.
37 Passerini Alfredo, Le coorti pretorie, 58-67 ; Marcel Durry, par contre, opte pour un effectif des cohortes prétorienne de 500 soldats (art. cité, col. 1613) ce qui rend pire encore l’augmentation de la garde en 69 apr. J.-C. David Kennedy (art. cité, p. 287 sq.) préfère le calcul de Passerini.
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