Postface

Arlette Jouanna (†)

p. 355-356


Texte intégral

1Au terme de la lecture du livre d’Antoine Rivault, les historiens peuvent mesurer la valeur de tout ce qu’il leur apporte. Les années où le duc d’Étampes a été gouverneur de Bretagne sont un temps de basculement ; en les étudiant, Antoine Rivault n’a pas seulement fourni de nombreuses informations sur la charge de gouverneur et sur une vaste province au milieu du xvie siècle : il a permis d’observer comment réagit une structure sociopolitique relativement stable lorsque surviennent des bouleversements d’une imprévisible ampleur.

2Pendant que le duc d’Étampes a exercé son gouvernement, deux événements ont ébranlé le royaume de France. D’une part, la mort accidentelle d’Henri II, le 10 juillet 1559, a ouvert une période d’incertitude politique propice à l’éclosion de désordres ; d’autre part, la diffusion croissante de la dissidence religieuse a porté Catherine de Médicis et le chancelier Michel de L’Hospital à tenter, par l’édit de janvier 1562, le pari inouï de la légalisation partielle d’un culte considéré comme hérétique par une majorité de Français.

3En Bretagne, la propagation de la Réforme, moins marquée certes que dans d’autres provinces et notamment dans la Normandie voisine, a affecté une petite partie de la population et notamment de la noblesse. On peut suivre, grâce à Antoine Rivault, comment elle a déstabilisé les solidarités nobiliaires que le gouverneur avait réussi à consolider autour de lui pour affermir son autorité. De même que dans le reste du pays, les réseaux d’amitié, de fidélité et de clientèle qui organisaient les relations entre les gentilshommes se sont trouvés partagés par des choix religieux différents. Or, dans le système collectif de gouvernement établi par le duc d’Étampes en Bretagne, ces réseaux jouaient un rôle essentiel. D’où le dilemme : comment préserver les liens intranobiliaires malgré la division confessionnelle ? Étampes fait partie de ceux qui ont voulu conserver leurs attaches relationnelles en dépit des divergences religieuses. Il tenait sa charge de la faveur, d’abord celle du dauphin Henri, puis celle d’Anne de Montmorency ; la nécessité de garantir ces protections a certainement eu une part dans sa fidélité au catholicisme. Mais il a pris soin de ne pas s’aliéner les sympathies de ses pairs ayant opté pour les idées nouvelles. On le voit hésiter à ôter de sa propre initiative leurs charges aux capitaines huguenots, autrement dit à perturber le dispositif clientélaire en place de peur qu’on ne pense qu’il agit de son autorité privée, motivé par ce qui pourrait passer pour une hostilité personnelle envers les autres courtiers de la faveur royale ; à l’égard des grandes familles touchées par la Réforme, telles que les Rohan ou les Laval, il adopte une position conciliante tant qu’elles ne présentent pas de danger pour l’ordre public.

4Ses motivations sont complexes : y figurent le souci du gouverneur de maintenir la paix civile, l’aspiration du grand seigneur à ne pas rompre des liens établis de longue date et le désir du fidèle du roi et de la reine mère de servir leur politique. Sa volonté de ne poursuivre chez les protestants que des rebelles et non des hérétiques l’entraîne à souhaiter maintenir l’édit de janvier encore en juillet 1562, bien après la date que la vulgate historiographique a retenu comme celle du début de la première guerre civile ; elle le pousse aussi, au cours du même été 1562, à provoquer une controverse entre les tenants des deux confessions dans l’espoir de trouver un consensus.

5L’attitude du duc d’Étampes permet de mieux comprendre la conduite des grands féodaux à qui, au début des années 1560, la concorde civile apparaissait comme la condition indispensable pour préserver le tissu relationnel nécessaire à leur pouvoir ; cette concorde naîtrait idéalement d’un rapprochement doctrinal, mais, à défaut, postulerait au moins l’octroi de la liberté de conscience, compatible avec l’idéal nobiliaire d’autonomie1. Attitude difficilement comprise par bien des observateurs extérieurs, tant elle était malaisée à situer sur l’échiquier religieux : en témoigne la perplexité des ambassadeurs étrangers, qui voyaient en le duc d’Étampes tantôt un guisard convaincu, tantôt un sympathisant caché de la Réforme.

6Il est frappant de constater que les efforts du gouverneur ont contribué à faire de la Bretagne une province relativement peu troublée par la première guerre, au point qu’il a pu se libérer et prendre la tête de la répression des troubles en Normandie. Il y a là un indice de la vitalité des réseaux nobiliaires bretons, dont l’habileté du duc d’Étampes a permis de retarder la désorganisation. Ce décalage chronologique de la Bretagne par rapport à d’autres provinces en fait un exemple instructif de la diversité des réactions possibles face aux mutations qui ont frappé le royaume au cours des années décisives du gouvernement du duc d’Étampes. Le livre d’Antoine Rivault est en cela particulièrement éclairant.

Notes de bas de page

1 Stuart Carroll, « “Nager entre deux eaux”. The Princes and the Ambiguities of French Protestantism », art. cité, p. 985-1020.


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