Chapitre I. L’ascension d’un héritier
p. 27-42
Texte intégral
L’héritier de la maison de Penthièvre
1La maison de Penthièvre naît avec Eudon (†1079), qui reçoit de son père Geoffroy, duc de Bretagne, le Penthièvre en apanage. Peu à peu, le lignage commence à s’affirmer comme rival de celui des ducs de Bretagne1. En 1337, l’héritière Jeanne de Penthièvre, nièce du duc Jean, épouse Charles de Blois. À la mort du duc, en 1340, Jeanne et Charles font face aux revendications ducales de Jean de Montfort. S’ouvre la guerre de succession de Bretagne, sur fond de guerre de Cent Ans, qui oppose les Penthièvre aux Montfort. La victoire finale de ces derniers est consacrée en 1364. Les Penthièvre, renvoyés au rang de princes apanagistes, trempent au siècle suivant dans bon nombre d’oppositions au nouveau lignage. En 1420, Marguerite de Clisson, comtesse de Penthièvre, tend un piège au duc Jean V et à son frère et les capture au château de Champtoceaux avant de les transférer en Saintonge. L’événement est d’importance dans l’histoire malheureuse du lignage. Bertrand d’Argentré rapporte ainsi à propos du duc d’Étampes :
« Me souvient à ce propos assez de fois avoir veu, feu messire Jean de Bretaigne, Comte de Pointhièvre, et Duc d’Estampes, entrant en l’Église des Cordeliers de Guingamp, où il y avoit quelque pourtraicture de cette femme [Marguerite de Clisson], faire couvrir ce pourtraict d’un rideau, ne pouvant comporter de la voir, du regret qu’elle luy causoit, par ce qui estoit advenu par elle, lequel le tenoit encore lors en peine et travail, pour recouvrer les terres qui estoient en mains estrangères, confisquées par la prise de ce Duc faicte à Chantoceaux2. »
2Suite à ce tragique épisode, les Penthièvre sont chassés de Bretagne. L’héritier, Jean de Penthièvre (†1454), parvient à hériter de la vicomté de Limoges, territoire aux mains de la maison de Bretagne depuis le xiiie siècle. Il y mène une politique foncière efficace et achète le comté de Périgord3. En 1442, Charles VII lui offre la lieutenance du Limousin et du Périgord, territoires à défendre face aux Anglais. Dans les années 1450, il est capitaine d’une des toutes premières compagnies d’ordonnance et devient lieutenant général du roi en Guyenne, province à reconquérir. Depuis son château de Ségur, il opère dans le même temps un rapprochement avec les Montforts. Par le traité de Nantes de 1448, il renonce à ses droits sur la Bretagne en échange du Penthièvre ou de Champtocé et Ingrande. Lorsque le duc François Ier lui demande du temps afin d’exécuter le contrat, il le lui accorde mais ne peut s’empêcher de souligner qu’il « avoye assez actendu »4. En 1450, il reçoit enfin de Pierre II la châtellenie de Lamballe et les revenus des pêcheries et sécheries de Cornouaille et des ports entre Couesnon et Arguenon et l’assurance que, sans héritier mâle direct, le duché de Bretagne reviendrait à sa maison5. Puis, le lignage se divise entre les héritiers du Limousin et l’héritière du Penthièvre, en la personne de la nièce de Jean, Nicole de Penthièvre. En 1437, elle avait épousé Jean II de Brosse, seigneur de Boussac (†1482), bien possessionné en Limousin, Berry, Bourbonnais et Haute-Marche. Plus tard, Jean II essayera en vain de recouvrer l’héritage limousin pour avoir bien servi le roi « tant en Bretaigne que ailleurs6 ». Pour le Penthièvre, Nicole a pour elle le droit d’aînesse et adopte dans un premier temps la même attitude d’apaisement que son oncle et reçoit du duc la promesse d’une complète libération du Penthièvre7. C’est chose faite en 1460, lorsque Jean II rend hommage pour le fief. Mais en 1465, lorsque les grands seigneurs se lèvent contre Louis XI lors de la guerre du Bien public, il choisit l’ost du Valois plutôt que celui du duc, ce qui entraîne une nouvelle confiscation du fief, transformé en apanage pour un fils naturel du duc. Se jugeant lésés, Jean II et Nicole, décident alors de se tourner vers la justice du roi. En 1479, ils offrent à Louis XI la renonciation de leurs droits sur le duché à condition de recouvrer le comté de Penthièvre lorsque la Bretagne sera sienne. Le roi s’empresse d’accepter ce « transport de Monsieur de Penthièvre », préparant ainsi l’union de la Bretagne au royaume de France8. Le fils de Jean II et Nicole, Jean III (†1502), multiplie les requêtes auprès de Charles VIII afin de faire appliquer le contrat de 1479. Il le supplie ainsi : « Avoir souvenance de ma dame ma mère touchant son con[trat] qui lui fut par le duc empesché dès le temps du bien pu[blic] [et] service que feu monsieur mon père fist lors au feu Roy votre pè[re]9. » Le contrat, non appliqué une fois la conquête de la Bretagne achevée, il réaffirme ses droits sur le duché dans un acte qui le présente ainsi : « Jean de Penthièvre, par la grâce de Dieu, duc de Bretagne10. » À sa mort, son fils, René, prête serment de fidélité à Louis XII en 1502 à Lyon. Mais il est devenu un allié encombrant pour la reine et duchesse Anne, la dernière des Montforts, qui refuse de rendre le Penthièvre qu’elle a par ailleurs offert à son cousin, le prince d’Orange11. Privé du fief familial, René n’en mène pas moins un train de vie fastueux dû à son rang. Vivant au-dessus de ses moyens, il emprunte à qui veut bien être son créditeur et vend quantité de seigneuries pour combler d’imposantes dettes. Pendant des années, le calculateur Philippe de Commynes « lui prête sans rechigner, l’endette jusqu’à le rendre insolvable, puis, lorsque sa fille est en âge d’être mariée, lui met le marché en main et l’invite poliment mais fermement à l’épouser ou à le rembourser12 ». En 1504, René épouse Jeanne de Commynes13. La dot s’élève à 18 000 écus d’or, dont 4 500 servent à rembourser ses dettes. Jeanne de Commynes donne plusieurs enfants à René. Probablement en 1513, peut-être à Argenton, fief de Philippe de Commynes, nait Jean, très tôt orphelin de mère14.
3En 1515, à l’avènement de François Ier, le moment semble bon pour René de se tourner vers le nouveau roi. Cependant, le jeune souverain reporte sa décision au retour de son « voyage d’Italie » puis à son « voyage de Bretagne », accompli en 151815. En 1520, René est toujours en procès au parlement de Paris pour essayer de recouvrer son comté16. L’année suivante, celui-ci est confié à l’amiral Bonnivet afin de le dédommager de seigneuries perdues en Flandres17. René sent là l’occasion de revenir vers le roi pour faire valoir sa loyauté et récompenser Bonnivet par un autre moyen.
Le lourd héritage paternel
4Entre 1521 et 1523, il fait plusieurs remontrances orales au roi, en vain, ce dernier « luy respondit paroles frivoles ». Dans sa discussion avec François Ier, René, excédé, émet la possibilité pour lui de « prendre party autre part qu’en son royaume ». Le Valois aurait alors répondu d’un ton nonchalant : « Faictes ce que vous vouldrez18. » Humilié par autant d’indifférence, René prend la lourde décision de quitter le royaume. Au même moment, le connétable de Bourbon s’est réfugié auprès de l’Empereur, à Gênes. En juin 1523, il informe Charles Quint que René de Penthièvre fait partie de ses proches amis, et qu’en lui promettant quelques deniers pour rembourser ses dettes, il basculerait assez facilement du côté impérial19. En quelques semaines, René et ses partisans le rejoignent à Besançon, ville impériale20. Dès juillet, il écrit une lettre de fidélité à l’Empereur. Il se dit honoré qu’il lui ait écrit « de [sa] propre main » et explique qu’il espère retrouver ses biens injustement saisis, invoquant les « grands tors que l’on [lui] fayt », et que sa personne ainsi que ses amis lui sont désormais dévoués21. En retour, l’Empereur déclare reconnaître ses droits sur le duché de Bretagne et lui promet faveur et assistance sachant qu’il est très estimé par le connétable22. En janvier 1524, avec dix-huit autres partisans de Bourbon, le parlement de Paris le condamne à mort par contumace pour crime de lèse-majesté et ses biens sont saisis et redistribués à des favoris royaux23.
5Bourbon et Penthièvre sont désormais au service de l’Empereur. Si le premier commande pour Charles Quint en Lombardie, le second se voit investi d’une mission diplomatique en Angleterre, auprès d’Henri VIII, afin de décider ce dernier à prendre part aux projets d’invasion de la France. À proximité de la cour, à Canterbury ou à Londres, René agit comme un véritable intermédiaire entre l’Angleterre et l’Empire tout en étant perçu comme un atout potentiel pour une entreprise en Bretagne24. Mais face aux tergiversations d’Henri VIII, finalement réticent à entrer en Picardie, il retourne en Italie pour continuer de servir l’empereur par les armes. En avril 1524, il est à Trente avec Bourbon et les troupes impériales, puis rapidement à Savigliano, en Piémont. Le connétable a planifié avec l’Empereur une invasion du royaume de François Ier par la Provence. En juillet 1524, René informe ainsi Henri VIII et Wolsey qu’avec Bourbon, ils ont pris assez facilement plusieurs villes, à savoir Grasse, Cagnes(-sur-mer), Antibes, Cannes, Villeneuve, Draguignan, etc. Chaque jour passé apporte son lot de victoires et, après avoir installé leur quartier général à Saint-Laurent(-du-Var), près de Nice, Toulon est prise25. Ultime étape de la campagne, Marseille est assiégée. René de Penthièvre y trouve la mort lors de cette campagne. Le 1er août 1524, il rend l’âme « au lieu dit Carcès, estant feu Monsieur de Bourbon venu jusques audit lieu de Carcès avec son armée. Et fut porté le corps dudit feu Seigneur Comte en la présence dudit Seigneur de Bourbon avecques grand honneur26 ».
6Âgé de 11 ans, son fils Jean devient orphelin. Resté à la cour de Savoie, il devient un proche du duc, son oncle. Il peut aussi encore compter sur Bourbon qu’il côtoie. En 1525, lors des négociations qui précèdent la signature du traité de Madrid, le connétable fait ainsi rédiger un document à l’attention de Charles Quint afin de garantir les droits des héritiers de René de Penthièvre, sachant que François Ier est retenu prisonnier à Tolède27. Il demande ainsi la restitution des biens de René qui ont été saisis par le roi et que son héritier soit fait comte de Blois. Surtout, il estime que Jean conserve toujours des droits sur le duché de Bretagne. En cas de totale victoire impériale, ne pourrait-il pas gouverner le duché pour l’Empereur ? Ses demandes sont écoutées et Charles Quint envoie des instructions précises à ses ambassadeurs qui négocient la paix. Jean de Penthièvre devra recouvrer ses biens, son héritage et son honneur et pourra rentrer en France sans être inquiété. Le traité de Madrid est une victoire pour Bourbon et son article 26 offre une amnistie générale à ses partisans, « mesme les enfans du feu seigneur de Penthièvre ». Sauf qu’à son retour en France, François Ier refuse de le respecter. Cela rend impossible le retour de Jean au royaume d’autant plus qu’un an plus tard, la mort de Bourbon devant Rome sonne comme un nouvel échec. Les secondes négociations, celles de 1529 à Cambrai, rouvrent l’affaire. La paix entre l’Empereur et le roi prévoit à nouveau « que Jehan, comte de Pointhièvre, seigneur de L’Aigle et de Boussac, filz de feu Regné, comte de Pointhièvre, sera remis et réintégré en tous et chacuns les biens, dont ledit feu Regné, son père, joyssoit lorsqu’il partit de France pour aller au service dudit seigneur empereur, ouquel il est trespassé28 ». Dès la fin de l’année 1529, Jean peut enfin rentrer en France. Avec ses sœurs, il trouve refuge à Montsoreau, chez sa grand-mère maternelle, Hélène de Chambes, veuve de Philippe de Commynes, avec qui il avait correspondu depuis la Savoie29.
Entre l’Empereur et le roi
7Il reste pourtant à faire appliquer le traité de Cambrai point par point. Dans ce combat, le soutien actif de Charles Quint et de ses ambassadeurs est primordial30. La préparation d’un document officiel de restitution du Penthièvre dure pourtant des mois tant l’affaire est délicate. Tout juste âgé de 17 ans, Jean se plaint auprès des ambassadeurs impériaux de la lenteur de la procédure « de l’article en quoy je suis comprins en la paix31 », dit-il. Son procès au parlement de Paris s’ouvre finalement en mars 1530 contre ceux à qui on a confié les terres de son défunt père32. En mai, le Parlement prononce la main levée des terres confisquées. L’amiral Brion, s’estimant lésé, il faut tout l’appui du connétable de Montmorency au sein même du Conseil pour faire aboutir la main levée, le tout dans l’espoir d’accélérer la libération des fils du roi, retenus en Espagne. Pour le connétable, c’est aussi une intéressante opération puisqu’il réintègre à la cour un parent par les Laval, qu’il transforme en soutien, confortant ainsi son pouvoir déjà important dans l’ouest du royaume, tout en affaiblissant l’amiral Brion, véritable concurrent politique du moment33. Ainsi, le 13 juin, le roi signe l’acte officiel qui, en vertu des traités de Madrid et de Cambrai, fait que Jean de Penthièvre sera réintégré en ses biens34. En Poitou, un accord est trouvé avec Brion ; en Berry, le château de Boussac est récupéré35. Pourtant, François Ier n’oublie pas que René de Penthièvre a été en contact régulier avec Henri VIII d’Angleterre. En août, il demande à ce dernier de lui fournir tous les actes, missives et hommages qu’il tenait de Bourbon et de Penthièvre et surtout « sur ce que le feu sieur de Pointhièvre voullut vendre la duché de Bretaigne audict sieur roy d’Angleterre36 ». Ici réside la contre-attaque des juristes du roi qui trouvent ainsi le moyen de respecter les traités de Madrid et de Cambrai sans donner entièrement raison à Jean de Penthièvre. Ainsi, sous couleur de trahison avec les Anglais, le roi se ressaisit des terres de Boussac, Malval, et Bridiers37. Quant au Penthièvre, la jouissance effective du fief reste au duc de Guise de son vivant. À l’issue des négociations, Jean n’a du comté de Penthièvre que le titre, le Conseil du roi lui laissant la possibilité de solliciter le « parlement de Paris lui faire raison et justice quant il en vouldra faire la poursuite ». Devant cette victoire en demi-teinte, il semble à nouveau bien démuni et apparaît, plus que jamais, comme un grand désargenté. Ce contexte explique par bien des aspects son union avec Anne de Pisseleu.
Un courtisan
8Lors de sa captivité en Espagne, François Ier, roi-poète, avait écrit des vers amoureux à Anne de Pisseleu dans lesquels il évoquait son désir qu’elle soit « bien mariée » et « contente de lignée », en d’autres termes, qu’elle épouse un membre de la haute noblesse afin qu’elle puisse tenir son rang à la cour38. Le choix de Jean de Penthièvre pour époux se précise à l’été 1532, précisément lors de la venue du roi en Bretagne afin de préparer l’Union du duché au royaume. En juin, un acte royal émis à Châteaubriant réhabilite officiellement la mémoire de René de Penthièvre – et donc celle de son fils – et renouvelle la restitution de 153039. Le 13 août, l’édit d’Union est signé40. Puis, à la fin du mois se tient à Nantes le mariage entre « monsieur de Poyntyèvre et mademoiselle de Hely que le Roy conduist à l’église et ce jour après disner feisrent les gentilhommes merveilles de jouster41 ». La présence du roi auprès de la jeune mariée, jusqu’à l’église, est un symbole tout entier du caractère politique du mariage. Jean de Penthièvre ne doit pas s’y tromper. Mais par une telle union, il intègre le cercle des Pisseleu, alors influent à la cour. L’oncle d’Anne, Antoine Sanguin, évêque d’Orléans et plus tard cardinal de Meudon, fait figure de nouveau protecteur, et semble bienveillant à son égard. Il œuvre ainsi dès 1533 aux restitutions foncières et invite son neveu par alliance à venir le rejoindre à la cour, à Lyon, où il est, dit-il, « fort désiré42 ». De cette nouvelle faveur, Jean obtient une distinction royale de taille : le collier de l’ordre de Saint-Michel, au moins dès 153843. Ce qui lui permet de porter le prestigieux titre de « Chevalier de l’Ordre », annoncé lorsqu’on le présente et désormais mentionné dans tous les documents officiels. À partir de son mariage, il est également gentilhomme de la chambre du roi, ce qui le fait quotidiennement côtoyer la famille royale44. Enfin, la faveur royale se matérialise par l’offre d’une dignité ducale. En 1534, le jeune couple reçoit ainsi du roi le comté d’Étampes, agrandi et érigé en duché trois ans plus tard, puis, le duché de Chevreuse45. Assurément, les distinctions, titres et dignités acquises dans ces années 1530 achèvent d’élever considérablement le rang de l’héritier des Penthièvre, devenu un important personnage du royaume, soit, comme on le disait fréquemment alors, un Grand.
9Entre-temps, le roi et le comte-duc d’Étampes apurent leurs relations. Dans le contexte de l’union de la Bretagne au royaume, le Valois et son Conseil s’efforcent de faire disparaître les prétentions de chacun sur le duché. Tour à tour, Renée de Ferrare et les Albret renoncent à leurs prétentions bretonnes en échange de faveurs. En 1536, c’est au tour d’Étampes46. Dans ces conditions est signé l’édit de Crémieu qui restitue le Penthièvre, mais incomplet et sans garantie de conservation47. Dans la foulée, Étampes accède à la charge de capitaine d’une compagnie d’ordonnance, la plus commune et recherchée pour un homme de son rang48. Le service ne manque pas. Dès avril 1536, il écrit à François de La Trémoille depuis Lyon : « Je suis délibérer de me trouver à ceste guarre d’Ytallie49. » Il combat encore en Picardie en mai 1537. En outre, il avait aussi reçu en 1536, au décès du duc d’Albany, le gouvernement d’Auvergne, Bourbonnais et Marche, provinces dans lesquelles il était particulièrement bien possessionné50. Âgé seulement de 23 ans, ce qui est assez jeune pour une telle nomination, ce gouvernement agit comme un moment d’apprentissage des affaires publiques, l’initiant ici ou là au contrôle des troupes et à l’entretien des garnisons auvergnates51. Pourtant, il entretient de difficiles relations avec le roi et la duchesse son épouse, qui manie ses affaires et touche ses émoluments52. Dès lors, c’est auprès du dauphin Henri qu’il trouve toute la faveur nécessaire à sa véritable ascension politique.
Un Henricien
10Rapidement, le jeune Étampes se lie d’amitié avec le dauphin Henri, d’autant plus que ce dernier entend s’entourer de fidèles indépendants des réseaux de son père. Alors qu’il n’en peut plus des menées de son épouse et de son dangereux favori, Nicolas Bossut, sr de Longueval, Henri lui conseille de patienter. Une fois qu’il deviendra roi, son heure viendra. Ainsi, il
« lui auroit tousjours dict et commandé temporiser et leur accorder et complaire en ce qu’ils vouloient, et que autrement il se ruineroit lui et ses amis, pour le lieu, crédit et auctorité que ladite duchesse avoit alors, et que en vivant gracieusement avec elle, ledit Seigneur Duc auroit plus de moyen de faire service audit sieur Roi lors estant Dauphin, et à ceux qui estoient à l’entour de lui53 ».
11Étampes n’hésite pas non plus à rappeler ses promesses au Dauphin. Ainsi, « supplioit ledit Seigneur duc audit seigneur roi qu’il en eust souvenance, pour lui en faire la raison lorsqu’il en auroit puissance ». En 1540, Henri est fait duc de Bretagne et nomme plusieurs de ses proches pour l’administration de son fief. Le 14 février 1543, le gouverneur Jean de Laval, baron de Châteaubriant, rend l’âme54. Il faut donc lui trouver un successeur pour ce poste stratégique qui contrôle une grande et peuplée province frontière. Dans le cadre d’une telle nomination et des tractations et négociations qui eurent lieu au sommet de l’État, jouèrent une forte assise locale et un sentiment d’appartenance à une province, sans toutefois que cela ne vienne menacer une fidélité et un service du roi que l’on exigeait résistant à toute épreuve. En 1537, Marguerite de Navarre, alors de passage en Basse-Bretagne, écrivait ainsi à François Ier, son frère, à propos du gouverneur Châteaubriant : « Il n’a regart ny à son proufist ny à complaire à nulluy pour votre service, dont ceux de la Basse Bretaigne le tiennent pour mauvais Breton mès [mais] pour trop bon Françoys55. » Dès lors, tropisme breton et fidélité au Prince se mêlent dans un subtil dosage propre au « bon gouvernement » d’une province récemment arrimée au royaume de France56. La stratégie politique des Valois reposant sur un large consensus comme préalable à une adhésion, on ne saurait choisir un gouverneur extérieur à la Bretagne, au risque de froisser ou de réveiller des particularismes et des sentiments locaux potentiellement dangereux pour l’union des deux couronnes. En l’occurrence, les Valois ont fait le choix, depuis 1491 et la création d’un gouverneur « royal » en Bretagne, de puiser dans les grandes familles de la haute noblesse bretonne, tout d’un coup associées au nouveau pouvoir souverain : essentiellement les Laval, les Rohan et les Rieux57. Assurément, un nouveau gouverneur serait à choisir parmi ces relais naturels de l’autorité royale en province, bons connaisseurs des particularismes locaux. Ainsi, en 1525, Louise de Savoie pouvait louer le gouverneur Guy de Laval qui « entend[ait] assez les affaires du pais et duché de Bretaigne », c’est-à-dire qu’il en maîtrisait toutes les subtilités, les coutumes et pratiques, bref, qu’il ne commettrait pas de faute politique susceptible de froisser la noblesse, qui « a tousjours esté commandée d’un Grand58 », comme le peuple. Et la régente ne s’y trompait pas lorsqu’elle admettait au même Laval que, pour les affaires bretonnes : « Nous en reposons sur vous59. » Un siècle plus tard, en 1625, le gouverneur César de Vendôme, héritier des Penthièvre, entendait encore jouer sur « les avantages que la connoissance des lieux, le voisinage, les terres que je possède en Bretagne », lui donnaient pour gouverner la province60. Et ce n’est qu’en l’absence de ces relais locaux que les princes du sang, dotés d’un autre type d’autorité, ont réussi à s’imposer en Bretagne. Ce sont notamment les Bourbon-Montpensier qui ont placé deux candidats au xvie siècle : le duc de Montpensier entre 1569-1582 et son petit-fils, le prince de Dombes, entre 1589 et 159261.
12En 1530 donc, le retour des Penthièvre ajoutait un candidat local de plus, fort d’une assise féodale conséquente et d’une proximité avec le milieu curial difficilement égalable, en dépit d’un passé trouble et encore marqué du sceau de la trahison politique. En 1543, le duc d’Étampes peut aussi faire valoir près de sept ans d’expérience en tant que gouverneur d’Auvergne. Âgé tout juste d’une trentaine d’années, il paraît assez expérimenté pour le poste. Surtout, il est le candidat du dauphin Henri qui est son parent. Si François Ier lui accorde une lettre de provision, celle-ci est en réalité en forme de mandement pour le Dauphin. C’est bien ce dernier qui le nomme gouverneur de Bretagne pour lui et son père et reçoit son serment de fidélité. Dans sa lettre de provision, le roi explique bien que la nomination d’Étampes est pour « être agréable tant à nous, à nostre très cher et très amé filz le daulphin, duc dudit pays de Bretaigne, que au peuple et subjectz dudit pays62 ». Comme en Auvergne en 1536, le tropisme local joue pleinement. Ainsi, il faut également penser à un possible compromis politique – politico-féodal pourrait-on dire – entre l’héritier des Penthièvre et la monarchie. Étampes a renoncé à tous ses droits sur la Bretagne et la monarchie peut donc lui en confier le gouvernement, lui permettant, ce faisant, de conserver un rôle politique local d’importance. S’ajoute également un subtil jeu de chaises musicales des provinces, le duc laissant le champ libre en Auvergne aux Albon de Saint-André, dont le fils Jacques est lui aussi un proche du Dauphin.
13La faveur delphinale se traduit en outre par l’occupation de hautes charges. Dès 1542, Henri offre à Étampes la très recherchée charge de colonel général des Suisses, secondé par Dampierre, un autre favori, afin de servir dans son conseil de guerre lors, notamment, du siège de Perpignan63. Lors de la campagne de 1544, à la tête des Grisons, il est au camp de Châlons dans l’avant-garde de l’armée royale64. En octobre, il est à La Fère, d’où il dirige 12 000 Suisses et Grisons en campagne65. Ce poste de colonel des Suisses, qui exige des qualités de discipline évidentes, lui assure une solide formation militaire en plus d’un indéniable capital de prestige. Il s’acquitte si bien de la tâche que Brantôme rapporte à son propos qu’il fut particulièrement apprécié et obéi des Suisses car, dit-il, « il estoit très sage et très advisé, et fort discret à leur commander66 ».
14C’est enfin que le 31 mars 1547, François Ier rend l’âme. Cet événement sonne comme une libération pour bon nombre d’héritiers des partisans du connétable de Bourbon. Dès le 3 avril, Henri II réorganise le Conseil privé et procède à une petite révolution de palais. Et il se trouve que ses ennemis déclarés sont aussi ceux d’Étampes : la collusion des intérêts du monarque et de ceux de son fidèle est ici frappante. De plus, Montmorency, éternel rival de la duchesse d’Étampes et en disgrâce depuis 1541, est le grand rappelé de 1547 et est un réel appui politique pour le duc. La faveur royale, loin d’être verticale et unilatérale, n’est pas seule à l’œuvre. C’est ainsi qu’accompagné du duc d’Aumale, un autre favori d’Henri II, le duc d’Étampes fait sa première apparition au Conseil privé du roi, organe de gouvernement de la plus haute importance, ce qui réjouit le duc de Savoie, son oncle et ancien protecteur67. En outre, Henri II, désirant bien accomplir la « prophétie », c’est-à-dire la promesse, qu’il avait faite à Étampes, embastille le sr de Longueval, favori de la duchesse d’Étampes et accusé de trahison. Son procès doit servir à charge contre l’ancienne favorite. Anne de Pisseleu en disgrâce, Étampes confisque sa vaisselle dans l’espoir de régler ses nombreuses dettes contractées par elle, puis l’envoie en Poitou, à son château des Essarts, sous le contrôle de sa sœur. Vient ensuite le temps de plusieurs procès qui divisent le couple, désormais officiellement séparé de biens68. Enfin, l’ultime concrétisation de la faveur royale est la restitution pleine et entière du comté de Penthièvre. En avril 1555, Henri II écrit au parlement de Paris pour faire avancer l’affaire car Étampes lui a « remonstré et faict entendre le droict » qu’il a en Bretagne69. Une enquête est engagée mais le roi est définitivement du côté de son protégé qui n’était jusque-là qu’une sorte d’usufruitier de son fief70. Le 9 mai, le procureur du roi est chargé de « passer contrat » avec lui et, seulement quatre jours plus tard, un accord est trouvé71. C’est ainsi que le roi signe l’édit de Fontainebleau qui restitue définitivement le comté de Penthièvre dans ses limites étendues, à charge pour Étampes d’abandonner à nouveau ses droits sur le duché de Bretagne et le comté de Blois72. Ainsi s’achève la longue quête de l’héritier des Penthièvre. Le temps d’une vie, Étampes réussit un habile coup politique : fils de « traître » il intègre le Conseil royal et récupère l’ensemble féodal tant convoité.
Un Grand
Un seigneur et ses fiefs
15Avant 1555, le duc d’Étampes procède à plusieurs aliénations et démembrement de ses domaines éparpillés, vendant ainsi le duché de Chevreuse et la baronnie de L’Aigle au cardinal de Lorraine73. En Poitou, il mène au contraire une stratégie foncière offensive autour du château des Essarts, la demeure paternelle, et fait ainsi le choix d’un ensemble territorial cohérent et géographiquement très proche de la Bretagne, qui restera longtemps une préoccupation de son lignage74. Quant au Penthièvre, quatre seigneuries le composent : celles de Lamballe, Moncontour, Guingamp et Minibriac. Dès 1555, le duc travaille « à la réformation de ses terres qui augmenteront (s’il continue) presque de moictié, oultre le recouvrement de celles qui sont détenues par les particuliers75 ». Il reçoit ainsi les nombreux aveux de ses vassaux et affirme ses droits urbains, notamment ceux des guets. Comme aux Essarts, il adopte une stratégie de polarisation foncière, lorgnant les seigneuries voisines. En 1542, il achète La Roche-Suhart, dont dépend l’île de Bréhat76. Puis, il s’intéresse à la baronnie de La Hunaudaye, arrière-fief détenu par la maison d’Annebault. Un serviteur anonyme lui rapporte :
« Monseigneur, je vous avois ouy parler autresfois d’avoir la terre de la Hunaudé. L’envie que j’ay de vous faire service m’en a faict avoir soin et à essayer de gaigner le recepveur qui y est. Il a trente ans et a toutz les moyens de vous y faire venir, car il n’i a homme qui sache les moyens là où sont toutes les lectres que luy. Il est fort mal contant de son maistre [Annebault] et s’en est declaré à moy. Il y a eu autresfois une fillette Paintièvre qui y a esté mariée et avoit nom dame Constance de Bretaigne qui mourut sans enfens et dut avoir ung grant partage de vostre maison qui n’a point esté demandé par ce que toutz les biens de vostre maison estoient confisqués. Les choses sont toujours demeurées ainsi par ce que je croy que vous n’en avez nulles lectres77. »
16Pour Étampes, le Penthièvre est au centre de sa stratégie de puissance. Véritable symbole, il s’agit du fief paternel qui concentre en lui toute l’histoire de son lignage. Son assise politique et sociale en Bretagne découle ainsi de sa possession qui lui permet de rivaliser avec les plus prestigieuses familles de la province. Cette place centrale du Penthièvre trouvera son apogée lors de son érection par la monarchie en duché-pairie en faveur du neveu d’Étampes (1569). L’acte royal énumère les qualités du lignage et souligne bien que « la conté de Penthièvre est la plus ancienne conté de nostre duché de Bretaigne, de telle marque, grandeur et valleur qu’elle servoit aux anciens ducz dudit pays pour bailler appanaige à leurs filz puinez78 ». Quant aux revenus du comté, ils avoisinent les 20/30 000 lt. de rente annuelle auxquels s’ajoutent des droits maritimes perçus sur les ports et havres d’entre Couesnon et Arguenon, ainsi que sur les pêcheries et sécheries de Cornouaille, droit qui rapporte entre 1000 et 2 500 lt./an79. Cette solide base financière, sans compter une multitude d’autres seigneuries possédées dans le reste du royaume, place le duc d’Étampes parmi les meilleures fortunes de France.
Un chef de famille
17Mais, privé de descendance, Étampes fait le choix d’assurer son héritage et de conforter son lignage par une habile politique matrimoniale. Ses trois sœurs, tout d’abord, offrent l’opportunité d’intéressantes unions. En 1531, sa sœur Jeanne épouse René de Laval, sr de Bressuire, imposant fief attenant aux Essarts, lieu de la cérémonie. Elle bénéficie d’une dot sur la seigneurie d’Argenton et renonce à ses prétentions d’héritage en laissant son frère seul héritier des Penthièvre80. En 1526, à Chambéry, et en présence du duc de Savoie, une autre sœur, Charlotte, avait épousé François de Luxembourg-Martigues, chef d’une puissante famille de la cour de Savoie81. Étampes, qui avait été présent au mariage, s’attache dès lors à défendre les intérêts de ses neveux issus de cette alliance. En 1548, il organise le mariage de son premier neveu, Charles, avec Claude de Foix, héritière des Foix-Lautrec82. Ses lettres envoyées à Menault de Martory, évêque de Couserans et tuteur de Claude, rapportent la nouvelle union, célébrée « avec grande solennité au chasteau de Montron en Berry83 ». C’est l’occasion de s’allier à la maison de Foix, dont il capte plusieurs serviteurs. Quelques jours plus tôt, il avait organisé des joutes sur ses terres de Boussac où la galerie des spectateurs s’était effondrée, blessant l’assistance, la jeune fiancée et lui-même84. Plus tard, dans son château d’Étampes, il fête Pâques en compagnie de la nouvelle épouse et profite d’un séjour parisien pour gérer ses affaires et « les contes [des] trésoriers » de la famille de Foix85. En 1549, il s’emploie ainsi à protéger les paysans des seigneuries bordelaises du jeune couple à la suite de la révolte des Pitauds86. L’année 1553 modifie tout pour le duc : présent au siège d’Hesdin, il assiste à la mort de son neveu au combat tandis que, la même année, Claude de Foix disparaît des suites d’une fausse couche. Puisqu’il avait été nommé héritier de la maison de Foix en cas de décès de son neveu, il organise avec Antoine de Bourbon, roi de Navarre, et François de Clèves, duc de Nevers, un vaste partage de l’héritage des Foix, opération qui dure près de dix ans, ruine les Nevers mais l’enrichit considérablement, tout cela sous le contrôle de Montmorency, toujours présent lorsqu’il s’agit d’une affaire qui le touche87. La même année 1553, c’est le père des Luxembourg, François, qui trépasse, quand le cadet, Sébastien, est fait prisonnier par les Espagnols. Dès lors, Étampes, déjà grand ordonnateur des affaires familiales, devient le Pater familias des Penthièvre-Luxembourg, le chef de famille, dont il résume bien le rôle dans une lettre adressée au duc de Guise :
« Monsieur, oultre la perte que mon nepveu monsieur de Martigues a eue de son frère, luy prisonnier, il a encores esté tant fortuné qu’il a en ung mesme temps perdu aussi son père, qui luy a apporté tant d’affaires à la foiz qu’il a bon besoing de l’ayde de ses amys et pour ce que à l’occasion de sadite prison ensemble de la mynorité de sa seur il est nécessaire qu’ilz soient pourveuz d’ung tuteur à ce qu’il n’advienne inconvienient en leurdites affaires, je n’ay voullu faillir de vous en escripre comme à l’ung de leurs principaulx parentz, vous suppliant très humblement, monsieur, voulloir déclarer votre advys sur ladite tutelle, dont je prandroys vollontiers la charge pour l’affection que j’ay toute ma vye portée et porte à leur bien et advantaige88. »
18Devenu le tuteur de Sébastien et de sa jeune sœur, Étampes agit désormais pour eux comme un gérant de biens fonciers mais également comme d’un père de substitution. Sébastien ne s’y trompe pas. Lui qui était, semble-t-il, destiné à une carrière dans l’Église, combattait déjà en 155389. Fait prisonnier par les Espagnols, on lui annonce le décès de son père et de son frère aîné et déclare alors au sujet de sa rançon « que cela dépendait de Monsieur d’Étampes, son oncle90 ». Puis, il est transféré en Suisse, là où son père avait contracté une dette de 6 000 écus. Le duc entame donc l’ensemble des démarches visant à régler l’onéreuse rançon de son neveu, en qui il place tous ses espoirs lignagers. Vers 1560, Sébastien épouse Marie de Beaucaire, fille de Jean, sr de Puyguillon. Mais les conditions – probablement financières – du mariage ne semblent pas enchanter son oncle le duc. Dans une lettre adressée à Catherine de Médicis, Étampes se montre en effet des plus déçus et en appelle au roi et à sa mère : « Vous ne voullez que la fin de l’espérance où j’ay consommé ma vye et mon bien soict de veoir en ma vieillesse la ruyne de ma maison par celuy de qui j’esperois mon repos » [Martigues]91. Était-ce le rang de l’épouse, issue d’une noblesse plus modeste, qui posait problème, ou bien sa dot trop peu conséquente ? Les documents ne permettent hélas pas d’en savoir plus, et le duc sera bientôt consolé par la grossesse de l’épouse, ce qui lui garantissait de perpétuer sa maison. Mais l’épisode révèle la place centrale qu’occupe le chef de famille dans un lignage de la haute noblesse en tant que marieur. En 1554 déjà, Étampes s’était consacré au mariage de sa nièce Madeleine. Au duc de Nevers, avec qui il venait de régler l’affaire de Foix-Lautrec, il écrivait :
« Quant à ce que vous me mandez de ma niepce, sy elle se marye se ne sera poinct avec ses droictz mais je luy bailleray quelque somme d’argent moyennant laquelle elle me transportera tout ce qu’elle peult prétendre en la succession de son feu frère [Charles de Luxembourg]92. »
19Quelques années plus tard, il réussit une nouvelle bonne opération puisqu’il marie Madeleine à Georges de La Trémoille et conforte sa position auprès d’une importante famille poitevine, dont il est déjà un vassal, tout en conservant ses droits sur la maison de Luxembourg93. Puis, un autre mariage vient un peu plus cultiver les alliances poitevines : sa demi-sœur, Françoise, épouse en 1545 Claude Gouffier de Boisy, comte de Maulévrier puis duc de Roannais, grand écuyer de France et cousin germain de Montmorency. Malgré l’inimitié du roi, très défavorable à cette union, Étampes parvient à tisser des alliances et conforter sa puissance en Poitou, les Gouffier étant bien implantés dans cette région, ce qui montre qu’il existe d’autres logiques que celle des factions de cour à la fin du règne de François Ier. Car si Gouffier est particulièrement mal vu du roi pour son alliance avec une sœur d’Étampes, il se rapproche indéniablement du clan delphinal amené à gouverner94. L’année du mariage, Étampes lui offre les fermes des sècheries de Cornouaille pour trois ans « pour partye de son dot95 ». Aussi, à sa mort en 1565, il n’oublie pas dans son testament ses « petits neveux enfans de feu Madame la Grande [écuyère] [qu’ils] soient entièrement satisfaits96 ». Un fils du couple Gouffier, Artus, épouse même Catherine de Mars, fille du sieur de Saint-Agathe, un maître d’hôtel et vassal d’Étampes en Penthièvre. Enfin, Étampes loge la mère de sa demi-sœur Françoise, Jeanne de Gruffy, chez lui aux Essarts. Du château seigneurial, elle lui envoie des melons, lui rapporte des nouvelles de ses nièces et peut écrire : « À cette eure que il n’i a poynt de guerre, je me souhayte estre auprès de vous », soulignant là l’importance de son métier des armes97. Ainsi, tout en contractant d’intéressantes unions avec les plus grandes familles du royaume, Étampes veille à demeurer l’unique héritier de son lignage et se révèle être un excellent gestionnaire féodal pour sa famille élargie. Ce succès s’explique en partie grâce à la protection indéfectible d’un Grand du royaume.
Un Montmorencéen ?
20Dès 1530, Anne de Montmorency est le principal architecte du miracle politique d’Étampes, son cousin par les Laval, et n’hésite pas à mobiliser ses réseaux pour le favoriser, lui qui s’intègre parfaitement dans son cercle tant il est proche du dauphin Henri et de Diane de Poitiers98. En 1543, lors de l’accès au gouvernement de Bretagne, il est encore possible que le connétable apporte son soutien à Étampes – mais de manière discrète et surtout auprès du Dauphin puisqu’il était en disgrâce depuis 1541. En 1531, il n’avait déjà pas hésité à peser dans la nomination du prédécesseur d’Étampes, le proche baron de Châteaubriant, un parent99. En 1543, le décès de Jean de Laval faisait de lui son successeur pour cette imposante baronnie de Châteaubriant. Dès lors, son influence seigneuriale en Bretagne devait être assurée par un homme dont il était certain : un gouverneur de province qui n’apparaîtrait pas comme un concurrent mais, au contraire, conserverait la Bretagne dans sa vaste zone d’influence étendue à un grand ouest du royaume. Le fait est que de nombreux liens féodaux entre les deux hommes attestent d’une solide alliance. Ainsi, quelques mois après avoir reçu définitivement du roi le comté de Penthièvre, Étampes fait don au connétable de ses rentes sur la seigneurie de Minibriac, les sècheries de Cornouaille et les droits d’entre Couesnon et Arguenon, « pour l’amytié qu’il porte audit seigneur connestable100 ». Il s’agit assurément d’un geste envers celui qui a favorisé sa fortune. Dans la missive qui accompagne ce don, Pierre Cornulier, secrétaire d’Étampes, estime que son maître va au moins doubler ses terres grâce à l’acte royal de 1555 et la réformation qui s’ensuit, cela grâce à l’appui de Montmorency, récompensé par le don des rentes. Il écrit au connétable :
« Le recouvrement de celles [les terres] qui sont détenues par les particuliers contre lesquelz il [Étampes] n’a pas délibéré se faindre sur l’assurance que je luy ay dicte sur ce qu’il vous pleut encores dernièrement me commander que vous luy aiderez en ce qu’il vous sera possible. Et sur ceste intention, il vous a faict une nouvelle déclaration de ce qu’il a cy devant faict pour vous, laquelle j’ay baillée au sieur de Lezeau [Jean d’Alesso, serviteur de Montmorency] pour vous garder de par je vous envoye une coppie [de la donation], sans toutesfois que mondit sieur d’Estampes m’en ayt commandé aucune chose, pour vous faire congnoistre de quel zèle il y procède de vous asseurer aussi de la continuation et augmentation de sa bonne volonté en votre endroit101. »
21En 1558, Étampes vend encore la seigneurie de Champtoceaux au connétable et, l’année suivante, renonce à ses droits sur la baronnie de Châteaubriant, acquise par Montmorency en 1543, comme aperçu plus haut102. Assurément, les deux hommes se rendent de bons procédés dans leurs constructions féodales respectives. Mais moins qu’un client, Étampes apparaît davantage comme un protégé du connétable – ils partagent le même rang ducal – capable de s’insérer parfaitement dans son vaste réseau de pouvoir, ce que Thierry Rentet a pu appeler la « France montmorencéenne103 ».
Les symboles : hermines bretonnes et devise d’immortalité
22Pour illustrer visuellement sa puissance foncière et politique, Étampes mobilise avec subtilités toute une série de symboles lignagers. Comme son père et son grand-père, il signe et s’intitule « de Bretagne », du nom du lignage ducal dont il s’estime le vrai tenant, et non « de Brosse », dont il descend pourtant en droite lignée masculine. Ce choix de nom s’accompagne de celui du blason. Ses sceaux présentent un blason d’hermines, c’est-à-dire de Bretagne, encadrées par une bordure de gueules soulignant qu’il est issu de la branche cadette des ducs de Bretagne, celle des Penthièvre. Très fine et parfois méconnaissable dans les documents monochromes comme les sceaux, elle est souvent oubliée par le regard au profit des hermines. Certains documents ne la figurent même plus, à l’image du blason qu’utilise sa sœur Françoise. Les blasons de ses sœurs Françoise et Jeanne sont d’ailleurs ceints d’une cordelière, une symbolique éminemment attachée à la maison ducale bretonne et que l’on retrouve aussi sur les pierres du château des Essarts104. Le choix délibéré de porter les armes de Bretagne apparaît donc comme un réel discours visuel sur les droits au duché : il peut s’agir tout à la fois d’un « discours de prétention féodale, d’avènement social ou de survie d’un groupe menacé105 ». Rappelant de prestigieuses origines, c’est aussi un discours du lignage envers lequel on a des devoirs106. Surtout, le port de ce blason est une ambigüité : après l’union du duché à la France, l’homme le plus puissant et le plus influent de la province arbore un blason aux hermines, véritable symbole d’un « sentiment “national” » breton107. Enfin, dans un document, le blason du duc d’Étampes est entouré de deux angelots qui portent une devise : « Semper Viva », qui pourrait se traduire par « vivante à jamais108 ». Dans les codes des emblèmes et des devises du temps, la fleur Semper viva est aussi un symbole d’immortalité109. La devise adoptée peut donc évoquer la maison de Penthièvre, toujours vivante malgré bien des obstacles.
23Ajoutons aussi qu’Étampes est un des rares individus de Bretagne pour lequel est connu un portrait. C’est dans le contexte d’une passion des portraits à la Renaissance que le duc d’Étampes, régulièrement présent à la cour dans les années 1530, se fait portraiturer par le célèbre Jean Clouet puis, entre autres, par Corneille de Lyon. À tel point qu’un portrait de lui peint par ce dernier traverse la Manche et se retrouve à la cour d’Henri VIII d’Angleterre. Plus tard, ses lieutenants, Gyé et Bouillé, seront aussi représentés par Clouet, ainsi que son neveu Martigues par Marc Duval. Mais nul doute que ce privilège est réservé à un petit groupe d’individus : il est significatif que seuls les gouvernants bretons, et au premier chef le gouverneur lui-même, sont représentés dans les célèbres collections de portraits de Catherine de Médicis, pour qui il était important de mettre des visages sur ses correspondants réguliers en province.
Conclusion
24Par son histoire familiale mouvementée, le duc d’Étampes est un personnage original à mi-chemin entre les règnes de François Ier et d’Henri II. Héritier du duché de Bretagne, son compromis avec la Couronne permet une clarification de la situation bretonne tout en lui assurant une imposante puissance seigneuriale dans le royaume. Devenu duc, il accède à un rang qui le place parmi les grands serviteurs de la monarchie. Rapidement, il se distingue par les armes auprès des Grands, dont son protecteur, Montmorency. C’est avec Henri II, dont il est un parent et un intime, que la faveur royale prend tout son sens. La nomination au gouvernement de Bretagne, l’accès au Conseil privé puis la restitution pleine et entière du comté de Penthièvre, la terre de ses ancêtres, illustre bien cette forte relation entre faveur royale, puissance féodale et service du roi. Avec le gouvernement d’une province dont son lignage est directement issu, le duc d’Étampes met toute sa puissance au service de son souverain qu’il représente désormais au quotidien. Son rôle premier est résolument de tenir militairement une province récemment rattachée au royaume des Valois.
Notes de bas de page
1 Frédéric Morvan, « La maison de Penthièvre (1212-1334), rivale des ducs de Bretagne », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. 79, 2003, p. 19-54.
2 Bertrand d’Argentré, L’Histoire de Bretaigne, Paris, Jacques du Puys, 1588, p. 561.
3 AD Pyrénées-Atlantiques, E 642. C’est pourquoi Étampes porte un temps le titre de comte de Périgord.
4 BnF, Chappée 12, no 20 : Jean de Penthièvre à François Ier, Ségur, 20 juill. [1448-1450].
5 BnF, Chappée 12, no 19 : Jean de Penthièvre à Pierre II, Ségur, 7 déc. [1450-1454].
6 AN, X1A 9318, fo82 : Jean II de Brosse au parlement de Paris, Chinon, 16 janv. 1480. Il avait été présent lors des négociations au lendemain de la mort de Jean de Penthièvre (AD Creuse, 1 E 9 : Jean II de Brosse à Nicole de Penthièvre, Ségur, 5 déc. [1454-1455]).
7 BnF, Chappée 12, no 18 : Nicole de Penthièvre à Pierre II, Les Essarts, 4 déc. [1454-1457].
8 Joseph Vaesen (éd.), Lettres de Louis XI, roi de France, t. 8, Paris, Société de l’histoire de France, 1903, p. 137.
9 BnF, Fr. 20428, fo 91 : Jean III à Charles VIII, Boussac, mai [après 1485].
10 ADCA, 1 E 2, 8 janv. 1492.
11 René est pensionné par les Valois du vivant de son père (BnF, PO 502 (Brosse), no 51-52, 1487, 1497). L’attitude d’Anne envers les Penthièvre est des plus dures : lors d’un passage à Vitré, elle aurait crevé les yeux du gisant de Guy X de Laval, ancien partisan des Penthièvre (Bertrand d’Argentré, L’Histoire de Bretaigne, op. cit., p. 315).
12 Joël Blanchard, Philippe de Commynes, Paris, Fayard, 2006, p. 371.
13 BnF, Dupuy 7 : contrat de mariage entre René de Penthièvre et Jeanne de Commynes, 13 août 1504.
14 Une généalogie postérieure indique qu’il serait né le 1er nov. 1513, à Argenton (BnF, Fr. 22350, fo 61-62).
15 ADCA, 1 E 2 : requête de René de Penthièvre à François Ier, 14 août 1518.
16 BnF, Fr. 2972, fo 68 : René, bâtard de Savoie, à du Bouchage, Saint-Germain, 31 août [1520].
17 BnF, Clair. 319, fo 246 : Bonnivet à Robertet, Bonnivet, 9 août [1521] ; BnF, Fr. 5500, fo 187.
18 Ludovic Lalanne (éd.), Journal d’un bourgeois de Paris, Paris, J. Renouard, 1854, p. 177.
19 William Bradford (éd.), Correspondence of the Emperor Charles V and his ambassadors at the courts of England and France, Londres, R. Bentley, 1850, p. 75 : Beaurain, à Charles Quint, Gênes, 22 juill. 1523.
20 BnF, Fr. 18445, fo 190 vo : Angerant à François Ier, Berne, 9 oct. 1523.
21 ÖStA, HHuS, England, Dipl. Korr. 1, Karl V, 1523, fo 46 : René de Penthièvre à Charles Quint, juill. 1523.
22 ÖStA, HHuS, England, Dipl. Korr. 1, Karl V, 1523, fo1 : Charles Quint à Louis de Praet, Burgos, 26 mars 1524.
23 BnF, Fr. 5109, fo 275, 30 janv. 1524 ; CAF, t. 1, p. 394, 470.
24 British Library, Galba, B VIII, fo 45 ; Caligula, E II, fo 33 ; Nero, B VI, fo 52 : René de Penthièvre à Henri VIII, Canterbury, 10 mars 1524 ; fo 53 : Bourbon à René de Penthièvre, Gênes, 18 janv. 1524 ; Vitellius, B VI, fo 33 : Bourbon à René de Penthièvre, camp de Saint-Georges, 30 mars 1524 ; The National Archives, State Papers, 1/31 ; ÖStA, HHuS, England, fo1 : René de Penthièvre à Charles Quint, Londres, 25 janvier 1524 ; Belgien, PA 64-1, fo 210 : René de Penthièvre à Charles Quint, Canterbury, 11 mars 1524 ; PA 63-5, fo 127 : Charles Quint à René de Penthièvre, Burgos, 1524.
25 British Library, Caligula, E II, fo 39 : René de Penthièvre à Wolsey, Saint-Laurent, 14 juill. 1524.
26 ADCA, 1 E 3654 : mémoire du vicaire de Saint-Maximin, 1524 ; BM Poitiers, Fonteneau, t. 9, fo 397 : acte de Louise de Savoie, Lyon, 4 juill. 1525 : il « auroit accompagné ledit Bourbon quant il vint avec l’armée dudit Roy d’Espaigne mectre le siège devant Marseilles où il seroit décédé ».
27 BnF, Fr. 3095, fo 34 [1525].
28 BnF, Fr. 3916, fo 47 : instructions de Charles Quint, Madrid, 28 mars 1525 ; fo 151 : traité de Madrid, 14 janv. 1526 (art. 26) ; fo 188 : traité de Cambrai, 5 août 1529 (art. 26).
29 BnF, Dupuy 486, fo 116 : Louis Martine à Louise de Savoie, Les Essarts, 17 nov. [1525].
30 BnF, Clair. 330, fo 140 : Charles Quint à Léonard de Gruières, Bologne, 23 nov. 1529 ; BnF, Clair. 330, 141 vo : La Trouillère à Hélène de Chambes, Besançon, 24 déc. 1529.
31 ÖStA, HHuS, Frankreich, Varia I, fo 15 : Jean de Penthièvre aux ambassadeurs de Charles Quint, Montsoreau, 6 fév. 1530.
32 Bibl. de l’Institut, Ms. Godefroy 140, fo 146 : plaidoiries de Jean de Penthièvre contre le procureur général du roi, 17 mars [1530].
33 Thierry Rentet, Anne de Montmorency, grand maître de François Ier, Rennes, PUR, 2011, p. 371-373.
34 CAF, t. 1, p. 710, Bordeaux, 13 juin 1530 (AD Gironde, Fonds de notaires, Charier). Une copie de l’annulation des procédures contre René de Penthièvre : ÖStA, HHuS, Frankreich, Varia I, juin 1530.
35 AN, 1AP 616 : Brion à La Trémoille, Fontainebleau, 31 août [1530] ; AD Creuse, 1 E 13 : inventaire du château de Boussac, 18 juill. 1530.
36 Rémy Scheurer (éd.), Correspondance du cardinal Jean du Bellay, t. 1, Paris, Société de l’histoire de France, 1969, p. 182 : mémoire de François Ier au cardinal du Bellay, Cognac, 8 août 1530.
37 BnF, Fr. 22331, fo 650 : mention d’un acte de François Ier, Dieppe, 20 janv. 1531. Acte inconnu du CAF.
38 Aimé Champolion-Figeac, La captivité de François Ier, Paris, Imprimerie royale, 1847, p. 125.
39 CAF, t. 6, p. 301, Châteaubriant, juin 1532.
40 Le 23, le roi choisit de ne pas intégrer le Penthièvre dans l’Union (CAF, t. 2, p. 186, Nantes, 23 août 1532).
41 Bibl. de l’Institut, Ms. Godefroy 255, fo 15 : Balavoine à Dinteville, Nantes, 28 août 1532. Vers 1517-1518, Jean avait été promis à Anne de Batarnay. Celle-ci s’était finalement mariée à Jean de Daillon en 1528, lors de l’exil savoyard de Jean (BnF, Fr. 2990, fo 6 : Boisy à du Bouchage, Paris, 19 octobre [1517-1518]).
42 Bibl. de l’Institut, Ms. Godefroy 255, fo 29 : Antoine Sanguin à Jean de Penthièvre, Lyon, 29 janv. [1533].
43 CAF, t. 3, p. 499.
44 BnF, Fr. 2953, 21450.
45 CAF, t. 2, p. 707, Chantilly, 23 juin 1534 ; p. 722 : Saint-Germain-en-Laye, 26 juill. 1534 ; t. 3, p. 271 : Paris, janv. 1537 ; t. 5, p. 10 : Paris, janv. 1545.
46 BnF, Fr. 3861, fo 30, 23 mars 1536. Martigues fera de même après la mort d’Étampes (BnF, Fr. 3908, fo 104 : acte de Martigues, Saint-Maur-des-Fossés, 25 mai 1566 ; AN, X1A 8626, fo 181).
47 CAF, t. 3, p. 190, Crémieu, 23 mars 1536. Nouveau procès sept ans plus tard : CAF, t. 4, p. 447, 28 mai 1543.
48 CAF, t. 3, p. 298, camp du Mesnil, 9 avr. 1537. Les autres mandements : Ibid., p. 483, 755, t. 4, p. 241.
49 AN, 1AP 616 : Étampes à La Trémoille, Lyon, 12 avr. [1536].
50 BnF, Dupuy, 273, fo 19 : lettre de provision pour Étampes [1536] ; Du Bellay, Mémoires, p. 184.
51 Guillaume Ribier (éd.), Lettres et mémoires d’Estat, t. 1, Paris, 1666, p. 175 : Étampes à Montmorency, Moulins, 2 juill. 1538 ; AD Puy-de-Dôme, 3 E 113, fonds 2, EE 7, no 5, 7, 9 : acte d’Étampes, Clermont, 31 août 1538 ; François Ier à Étampes, Villers-Cotterêts, 20 sept. 1539 ; Id., près Châtellerault, 16 juin 1541 ; BnF, Fr. 21518, fo 1374 : montre de la compagnie d’Étampes, Clermont, 27 juin 1540.
52 Le fils du roi, Henri, témoigne des années plus tard : « Le feu roi s’est plusieurs fois et en divers lieux colleré et fasché contre ledit duc d’Estampes, et que entre autres, estant la cour au lieu de la Barine en Dauphiné, il vit ledit feu sieur roi qui usoit de menaces, parlant à feu monsieur le cardinal de Lorraine, lequel le lendemain lui dit, et audit duc, que c’estoit contre ledit duc que ledit feu sieur roi se courrouçoit, et qu’il falloit qu’il regardast à contenter sa femme, et depuis environ ce temps-là, ledit deffunt seigneur roi continua tellement son courroux à l’encontre dudit duc d’Estampes, que une fois, lui présentant à son lever ses chausses pour le chausser, il le reffusa, et lui fit dessendre sa chambre et commander qu’il s’absentast de la cour, ce qu’il fit et se retira en une maison qu’il avoit en Berry » (AN, J 819/11/7, témoignage d’Henri II).
53 AN, J 819/11/7.
54 BnF, Clair. 336, fo 287.
55 BnF, Fr. 6624, fo 125 : Marguerite à François Ier, Basse-Bretagne, oct.-nov. 1537.
56 Au début du xviie siècle, lorsque le duc de Brissac succède à son père à la charge de lieutenant général en Bretagne, les Rennais estiment que « le lieu de sa naissance [près de Rennes] […] l’oblige à aymer ceste province et particullièrement [la] ville de Rennes » (AMR, AA 13, no 20 : Les Rennais à Louis XIII, Rennes, 17 nov. 1621). En 1671, lorsque le marquis de Lavardin est nommé par Louis XIV au même poste, il écrit aux mêmes Rennais : « Comme je suis Breton par l’origine de ma maison, je le veux estre encore davantage par l’inclination que j’ay à servir la Bretaigne », soulignant bien une origine provinciale qui peut apparaître comme un réel avantage dans l’exercice de son gouvernement (AMR, AA 13, no 67 : Lavardin, aux Rennais, 1671).
57 Jean de Chalon, prince d’Orange et comte de Penthièvre est lieutenant général en 1491 puis nommé gouverneur par Charles VIII en 1492 ; Jean de Rohan est lieutenant général en 1491 ; Pierre de Rohan-Gyé est lieutenant général en l’absence du prince d’Orange à partir de 1496 (et amiral de Bretagne) ; Philippe de Montauban, chancelier de Bretagne, Jean de Rohan-Landal, grand maître de Bretagne, et Jean de Rieux, maréchal de Bretagne, gouvernent aussi avec ces titres ; Guy de Laval est lieutenant général (1517) en l’absence du duc d’Alençon puis gouverneur (1526) : Jean de Laval-Châteaubriant est nommé gouverneur en 1531.
58 BnF, NAF 6002, fo 99 : Charles IX à Anjou, Fontainebleau, 5 mai 1573 (à propos du duc de Montpensier).
59 ADIV, 1 F 912 : Louise de Savoie à Guy XVI de Laval, Lyon, 30 sept. [1525].
60 Pierre Grillon (éd.), Les papiers de Richelieu. Section Politique intérieure. Correspondance et papiers d’État, t. 1, Paris, Pédone, 1975, p. 214 : Vendôme à Richelieu, Ancenis, 28 sept. 1625. Mais il faut aussi souligner que Vendôme se trouvait alors dans une situation délicate dans laquelle le pouvoir royal se méfiait de lui et où il lui fallait donc rappeler son importance politique en Bretagne, chose qu’Étampes n’a jamais eu besoin de faire.
61 En 1573, alors que les huguenots ont pris Belle-Île, le roi note à propos du gouverneur Montpensier que « son nom intimidera tellement ceulx qui s’en sont approchez [de la Bretagne] qu’ilz prendront autre party » et que « sa seulle présence serviroit plus que tout autre provision que l’on puisse donner » (BnF, NAF 6002, fo 99 : Charles IX à Anjou, Fontainebleau, 5 mai 1573). Le prince de Dombes avait reçu une survivance de son grand-père en Bretagne en 1575 mais celle-ci avait finalement été révoquée pour Mercœur. Ce n’est qu’à la faveur de la Ligue, en 1589, qu’il réussit à revenir mais avec le seul titre de lieutenant général.
62 CAF, t. 4, p. 404, Fontainebleau, 25 fév. 1543 ; ADLA B 52, fo 246, Fontainebleau, 5 mars 1543 ; ADIV, 1 Bv, fo 79-80 ; fo 89-90 ; BnF, Clair. 953, p. 37 ; Bibl. de l’Institut, Ms. Godefroy 310, fo 29, 5 mars 1543.
63 CAF, t. 7, p. 373, 1er juill. 1544 (48 enseignes suisses). Cependant, à la différence du Bâtard de Savoie en 1521, Étampes n’est pas chargé d’aller recruter les soldats en Suisse (Philippe Hamon, L’argent du roi. Les finances sous François Ier, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1994, p. 54-55). Jean Bouchet rapporte qu’Étampes est colonel de 7 000 piétons devant Perpignan (Jean Bouchet, Annales d’Aquitaine, Poitiers, 1545, fo 229) ; BnF, Fr. 25791, fo 378 : montre de Suisses, camp devant Perpignan, 26 août 1542 ; BnF, Fr. 3014, fo 51 vo : capitaines au camp de Perpignan, 1542.
64 BnF, Clair. 339, fo 7539 : état de l’armée royale, 1544.
65 BnF, Fr. 3051, fo 54 : Étampes à François Ier, La Fère, 10 oct. [1544] ; Fr. 25792, fo 482 et suiv. : quitt. et montres de Grisons, Pont-de-Vaux, 26 juill. 1544 (14 bandes de 350 Grisons) ; Fr. 25950, fo 2 : quitt. du canton d’Uri, Lyon, 15 avr. 1544.
66 Brantôme, Œuvres complètes, t. 6, Paris, Société de l’histoire de France, p. 228. Étampes rend aussi des ordonnances lors du siège de Perpignan (BnF, NAF 7081, fo 4, plaintes de soldats du canton d’Uri).
67 BnF, Fr. 19065, fo 139 : règlement du Conseil du roi, Saint-Germain-en-Laye, 3 avr. [1547] ; Lucien Romier, Les origines politiques des guerres de Religion, t. 1, Paris, Perrin, 1913, p. 466.
68 BnF, Fr. 3021, fo 114, 126 : Anne de Pisseleu à Montmorency, Paris, 3 fév., 3 déc. [après 1547].
69 ADCA, 1 E 6 : Henri II aux présidents du parlement de Paris, Fontainebleau, 18 avr. 1555.
70 BnF, Dupuy, 7, p. 11 ; BnF, Dupuy 498, fo 33.
71 BnF, Colbert 300, fo 136 ; Bibl. de l’Institut, Ms. Godefroy 374, fo 49.
72 BnF, Fr. 22310, fo 51-74 : acte d’Henri II, Fontainebleau, 13 mai 1555 ; 12795, fo 279 ; BnF, Colbert 145 ; 300, fo 135 ; BnF, Dupuy 847, fo 4 ; 7, p. 11 ; ADCA, 1 E 7 ; une copie dans Bertrand d’Argentré, L’Histoire de Bretaigne, op. cit., p. 705. En juin, le roi signe de sa propre main une lettre patente à destination du parlement de Paris pour qu’il enregistre l’édit (BnF, Fr. 12795, fo 288 : acte d’Henri II au parlement de Paris, Saint-Germain-en-Laye, 30 juin 1555). En août, il permet à Étampes d’aller chercher ses titres concernant le comté de Blois (AN, P 2881/2, fo 238-239 : acte d’Henri II à la Chambre des comptes de Blois, Anet, 1er août 1555). Étampes détenait en effet dans ses archives des « Annales des comtes de Blois » (BnF, Dupuy 222, fo 257-262 ; 564, fo 19-21).
73 AD Yvelines, D 1622 : vente de Chevreuse au cardinal de Lorraine pour 50 000 écus, 1551.
74 Ryé, Palluau, Poiroux, Aizenai, Châteaumur, Bournezeau et Apremont sont en ses mains. En échange de seigneuries normandes, Brion abandonne définitivement tous les droits qu’il conservait sur les terres poitevines restituées (BM Poitiers, Fonteneau, t. 26, fo 651 : accord entre Étampes et Brion, 3 mai 1542). Aux Essarts, Étampes entreprend des travaux pour son logis seigneurial (AN, MC, XXIII, 7, 9 août 1551 ; AN, MC, C, 36, 2 janv. 1551 et MC, C, 39, 16 avr. 1551).
75 Chantilly, L, XVII, fo 112 : Pierre Cornulier à Montmorency, Lamballe, 16 nov. 1555.
76 ADCA, 1 E 1215 ; BnF, Fr. 3152, fo 30 : Anne de Pisseleu à Montmorency, 1er sept. [après 1536].
77 BnF, Fr. 20510, fo 100 : un serviteur anonyme à Étampes.
78 AN, X1A 8628, fo 191 vo, 1569.
79 ADCA, 1 E 57 ; AN, MC, VIII, 85, fo 602, 14 fév. 1559 (paroisses de Quimperlé, Moëlan[-sur-mer], Ploucat et Carnoët).
80 André du Chesne, Histoire généalogique de la maison de Montmorency et de Laval, Paris, 1624, p. 609. Elle dit se retirer de l’héritage qu’elle a de son feu frère, François de Bretagne. Il y aurait donc eu cet aîné, mort jeune, puis Jeanne et enfin Jean.
81 BnF, Fr. 22331, fo 641, 4 oct. 1526.
82 BnF, Fr. 5121, fo 21 : contrat de mariage entre Charles de Luxembourg et Claude de Foix, Montrond, 14 janv. 1548. Elle est la fille et héritière du maréchal de Lautrec (†1528). Étampes offre à Charles presque toutes ses seigneuries auvergnates mais exige de lui un retrait lignager pour se protéger en cas de décès, le Penthièvre ne devant pas revenir aux Foix (BnF, Fr. 5121, fo 24 ; AN, MC, XIX, 175, 30 avr. 1548).
83 BnF, Fr. 3212, fo 85 : Étampes à Couserans, Boussac, 26 fév. [1548].
84 BnF, Fr. 3212, fo 84 : Étampes à Couserans, Boussac, 8 fév. [1548] : « Notre bonne fille a esté la moins blecée car elle n’a doulleur que à ung pied et de moy pourtant que je tombay sur les reyns [reins] j’en suis tout remys par le corps. »
85 BnF, Fr. 3212, fo 86 : Étampes à Couserans, Étampes, jour de Pâques [1549] ; fo 112 : Claude de Foix à Couserans, Étampes, 4 avr. [1549].
86 BnF, Fr. 20537, fo 1 : Étampes à Aumale, Paris, 23 fév. 1549.
87 AN, MC, VIII, 80, 28 juin 1554 : testament de Charles de Luxembourg qui désigne Étampes comme successeur et prévoit un accord avec le duc de Nevers. En 1549, Claude de Foix avait testé au château des Essarts et fait d’Étampes, son oncle par alliance, son exécuteur testamentaire et l’administrateur des biens de son fils, mort jeune, en cas de décès de Charles de Luxembourg (BnF, Fr. 5121, fo 267). C’est bien l’absence de fils vivant qui pose problème. Des accords sont trouvés avec Nevers (1554) puis Navarre (1559).
88 BnF, Clair. 1204, fo 33 : Étampes à Guise, Les Essarts, 27 nov. 1553.
89 Brantôme, Œuvres complètes, t. 9, op. cit., p. 672.
90 Ambroise Paré, Œuvres complètes, t. 3, Paris, Baillière, 1841, p. 719.
91 BnR, Aut. 88, no 20 : Étampes à Catherine de Médicis, Guingamp, 15 août 1560.
92 BnF, Fr. 3212, fo 53 : Étampes à Nevers, Maulévrier, 4 nov. 1554.
93 Il affirme ainsi dans son testament : « Je veux que Madame de Royan soit bien achevée d’estre satisfaite de ce que je lui ai promis pour son mariage et avec cela elle aura occasion de se contenter » (BnF, Clair. 355, fo 19). Il se pose en médiateur entre Georges de la Trémoille et sa mère (AN, 1AP 616 : Étampes à Mme de La Trémoille, Les Essarts, 19 juin [1541-1554]). Voir ses volontés de rendre hommage (Étampes à La Trémoille, Lyon, Les Essarts, 12 avr. [1536], 31 janv. 1540) ; Madeleine à La Trémoille (AN, 1AP 628).
94 BnF, Fr. 26131, fo 18 vo : « Boisy s’est jà rendu en court, mais il est en chemin d’estre esbranlé pour le parentaige qu’il a fait avec monsieur d’Estampes, estant deschassé peu avant la mort du feu Roy. »
95 ADCA, 1 E 1481, 19 mars 1545. En 1551, le couple Gouffier-Penthièvre touche encore les droits offerts par Étampes, les revenus étant moindres en raison des guerres contre les Anglais (AN, MC, XXIII, 6, 16 sept. 1551).
96 BnF, Clair. 355, fo 19 : testament d’Étampes, chambre du duc, château de Lamballe, 25 janv. 1565. On désigne le grand écuyer de France sous le titre de « M. le Grand », dignité qui touche aussi son épouse.
97 BnF, Fr. 20510, fo 68 : Jeanne de Gruffy à Étampes, Les Essarts, 21 août.
98 BnF, Fr. 3146, fo 5 : Montmorency à M. et Mme du Bouchage, Moulins, 12 mars [après 1537].
99 Après le décès du gouverneur Guy XVI de Laval, dont il était le beau-frère, il demandait à son secrétaire de s’informer « avec bonne diligence sy le roy aura donné à Monsieur de Chasteaubriant l’admirauté et gouvernement de Bretaigne » (Chantilly, L, III, fo 143 : Montmorency à Nicolas Berthereau, Écouen, [1531]).
100 Chantilly, L, XVII, fo 111 : acte d’Étampes pour Montmorency, Lamballe, 10 nov. 1555 ; ADCA, 1 E 1476 ; AN, MC, VIII, 85, 14 fév. 1559. Trois ans plus tard, il lui rachète les rentes de Minibriac mais lui doit encore 15 000 lt. (ADCA, 1 E 1204).
101 Chantilly, L, XVII, fo 112 : Pierre Cornulier à Montmorency, Lamballe, 16 nov. 1555.
102 AD Maine-et-Loire, E 3425 : cession par Étampes à Montmorency de tous droits de succession d’Henri et Gaston de Foix ou de Jean de Laval sur la baronnie de Châteaubriant, 1559. Champtoceaux rapportait aussi grâce à son péage (Chantilly, 1 F 003 : enquête pour le péage de Champtoceaux sur la Loire à la requête du duc d’Étampes, contre le procureur du roi, 1551).
103 Thierry Rentet, Anne de Montmorency…, op. cit., p. 147. Les contemporains parlaient aussi de « connétablistes ».
104 BnF, Ad-110-Fol ; BnF, Clair. 22, p. 1523 : quitt. de Mme de Bressuire, Saint-Maur-des-Fossés, 1er nov. 1566. L’écu de Marie de Luxembourg, la fille de Martigues et l’épouse de Mercœur, est en partie d’hermines, timbré d’une couronne ducale, et entouré d’une cordelière (BnF, PO 1898, no 35, Paris, 30 avr. 1613).
105 Laurent Hablot, « L’emblématique de Georges d’Amboise. Expression plurielle du pouvoir », in Jonathan Dumont et Laure Fagnart (dir.), Georges Ier d’Amboise, 1460-1510. Une figure plurielle de la Renaissance, Rennes, PUR, 2013, p. 33.
106 Michel Nassiet, « Nom et blason : un discours de la filiation et de l’alliance (xive-xviiie siècle) », L’Homme, no 129, 1994, p. 5-30.
107 Michel Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, Paris, Seuil, 2014, p. 286-287. Lors de l’Union donnée aux États de Vannes en 1532, un observateur note que les membres des États ont demandé à François Ier que : « Pour ce que plusieurs gentilzhommes descenduz de femmes ou de bastardz de la maison de Bretaigne portent l’escusson entier, que le temps advenir leur seroit occasion de prétendre droict et quereller icelle duché, à ceste cause, le requeroient qui leur feist commandement sur grandes peines de ne plus porter ledit escusson sans y mectre barres ou autre différences » (Bibl. de l’Institut, Ms. Godefroy 548, no 6 : Balavoine à Dinteville, Nantes, 25 août 1532).
108 BnF, dépt. des cartes et plans, Réserve, Ge. A. 364 : Jean-Baptiste Dey à Étampes, 8 sept. 1542.
109 Cesare Ripa, Iconologie ou Explication nouvelle de plusieurs images, emblèmes et autres figures, Paris, 1636.
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