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    Plan détaillé Texte intégral La conspiration Cellamare La paix ratée de 1720 Fleury dans le dispositif pacificateur du Régent Les conditions d’un ralliement Notes de bas de page

    L’ascension du cardinal de Fleury (1653-1726)

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre XIX. Retournement religieux (1718-1720)

    p. 201-208

    Texte intégral La conspiration Cellamare La paix ratée de 1720 Fleury dans le dispositif pacificateur du Régent Les conditions d’un ralliement Notes de bas de page

    Texte intégral

    La conspiration Cellamare

    1Deux faits viennent souligner cette connivence : c’est en décembre 1718 la conspiration éventée de l’ambassadeur d’Espagne, le prince de Cellamare, où sont compromis le duc et la duchesse du Maine, qui comptent parmi les protecteurs de Fleury, ainsi que le cardinal de Polignac, vieille connaissance depuis Harcourt. C’est enfin, et plus profondément, l’évolution de la situation religieuse.

    2Le complot visait à renverser le duc d’Orléans et à mettre à sa place le duc du Maine : éclatante revanche sur les humiliations de 1715 et 1718 aux yeux de la duchesse son épouse, maître d’œuvre de la conspiration. Côté espagnol, il s’agissait d’affaiblir l’entente franco-anglaise et de ruiner la Quadruple Alliance que répugnait à rejoindre Philippe V. C’était aussi, du coup, conjurer la perspective menaçante d’un conflit qui opposerait les deux souverains Bourbon. Vastes projets, mais troupes dérisoires et recrues aventurières : le comte de Laval, le marquis de Pompadour et le marquis de Fronsac, futur maréchal-duc de Richelieu ; Polignac et Malezieu, improvisés plumitifs de la duchesse. La conspiration curiale se doublait d’une vague agitation conduite en Bretagne par quelques gentilshommes, aussi désargentés que riches d’illusions. Ceux-là seuls devaient faire les frais de la justice de Philippe d’Orléans, « pour l’exemple ». La caution ibérique, en la personne de Cellamare, et l’anti-orléanisme du complot avaient de quoi séduire la vieille cour. Pourtant, celle-ci s’était dérobée. Villars n’avait pas été sollicité, et Tessé avait protesté de son attachement au roi « sans même s’enquérir à quelles fins on le pressentait1 ». Quant au duc du Maine, premier intéressé pourtant, il semble bien qu’il ait été tenu à l’écart des projets de son épouse. Bref, et quoi qu’en ait dit Orléans à l’ambassadeur anglais Stair, mêlant le nonce Bentivoglio et les inévitables jésuites à la cabale2, la conspiration éventée n’éclaboussait aucun grand nom – hormis les Maine, ce qui n’était pas rien, il est vrai.

    3Fleury, de son côté, n’avait pas été mis dans la confidence, en dépit de ses accointances connues avec la société de Sceaux. Apparaissait-il déjà comme trop orléaniste, satisfait de la position qui lui était faite auprès du petit roi ? Le 29 décembre 1718, le duc et la duchesse du Maine sont arrêtés puis exilés, respectivement à Doullens et à Dijon, tout comme Polignac. Dubois, au courant depuis octobre, n’a pas craint d’instrumentaliser l’affaire, de la grossir pour mieux faire passer la rupture avec l’Espagne. Le casus belli est patent. Les maintenonistes, nostalgiques du Grand Roi, même innocents de toute complicité, sentent trop bien leurs secrètes affinités idéologiques avec les conjurés. Il leur faut, de toute urgence, faire oublier leur hispanophilie de jadis. Berwick réclame des têtes. Au Conseil de régence du 3 janvier 1719, la déclaration de guerre est approuvée à l’unanimité des présents – d’Huxelles, qui avait déjà traîné les pieds pour signer la convention de Hanovre en 1716, ne daignant toutefois pas paraître.

    4Tel était bien au fond l’objectif du duc d’Orléans, qui n’a pas eu la main lourde. Hormis celui des Bretons, le sang n’a pas coulé. Magnanimité naturelle de sa part, sans doute ; mais aussi souci de ménager la vieille cour déconfite qui pourrait bien à l’avenir s’avérer un allié utile pour contenir les ambitions grandissantes du duc de Bourbon, grand artisan de l’abaissement des Maine. Quant à Fleury, sa loyauté au gouvernement n’a pas peu fait pour rétablir son crédit dans l’esprit du Régent et recentrer son image, jusque-là suspecte de complaisance aggravée pour les maximes du règne précédent.

    La paix ratée de 1720

    5Le cardinal de Noailles continue à être l’objet de la sollicitude intéressée du Régent et de Dubois. Déclinant, redoutant par-dessus tout un schisme, tout le convainc de la nécessité de faire son accommodement. Encore lui faut-il tenir compte des plus radicaux de son parti, disciples de la théologie figuriste qui refusent tout compromis, ou curés parisiens, désormais peu enclins à être cantonnés dans le rôle de supplétifs. De là chez le vieil archevêque ses hésitations de l’année 1720, partagé entre le désir sincère de rétablir la paix, les exigences de sa conscience qui lui commandent de mettre à couvert la « bonne doctrine » (comprenons celle de saint Augustin et de saint Thomas) ainsi que les maximes gallicanes, et les tiraillements au sein d’une nébuleuse anticonstitutionnaire passablement hétérogène. Un nouveau corps de doctrine, le quatrième depuis 1714, a été élaboré en octobre 1719, auquel ont travaillé l’abbé Couet (maître d’œuvre de l’ouvrage, chanoine de Notre-Dame, mais partisan de l’accommodement), le père de La Tour, général de l’Oratoire, M. de Rouen (Armand Bazin de Bezons, un modéré, pressenti un temps, vers 1717, par Orléans pour former un tiers parti), M. de Bayonne (André Dreuillet) et Massillon, évêque de Clermont. Au terme de longues conférences tenues au Palais-Royal en février et mars 1720, Orléans et Dubois obtiennent l’aval de Rohan, devenu conciliant, Mailly, Gesvres, Languet et, avec plus de difficultés, Bissy. Clément XI, même hostile par principe à l’accommodement, se trouve neutralisé, dans l’impossibilité de censurer une initiative où l’Église gallicane s’est massivement engagée.

    6Ce succès préliminaire n’est toutefois pas sans ambiguïté. Orléans et Dubois ont fait baigner ces négociations dans un flou équivoque qui produit dans un premier temps une certaine dynamique en faveur de l’accommodement, mais risque à terme de se révéler problématique : à Noailles, le Régent a promis qu’on n’exigerait ni la rétractation de son appel, ni la révocation de son instruction et que l’acceptation serait relative. Aux constitutionnaires, il n’a dit mot de ses ménagements avec l’archevêque, « si bien que certains prélats demeurent persuadés que l’archevêque devra revenir sur son appel et son instruction pastorale de 17193 ». Malgré tout, Noailles résiste pied à pied, n’hésitant pas à falsifier la formulation du projet de mandement, qui se joue au mot près4. Orléans biffe, rétablit le texte, approuvé par plus de 90 évêques, dont plusieurs appelants. L’archevêque tarde cependant toujours à publier. Ses hésitations sont encore renforcées par le très probable veto des radicaux du parti (notamment l’évêque de Montpellier, Colbert) et par l’agitation grandissante des curés de Paris et des alentours qui rédigent des Remontrances à son intention. Noailles s’efforce, le 18 mars 1720, d’apaiser cette fronde naissante par une lettre circulaire aux curés du diocèse où il évoque très explicitement son acceptation relative : ajouté aux dernières palinodies, l’effet en est désastreux, malgré les efforts prodigués en direction de Rome par Soissons qui prend désormais goût à son rôle pacificateur.

    7La partie se joue aussi sur le terrain parlementaire. Noailles, pour se garder de ses alliés gallicans, a mis comme condition à la publication de son mandement l’enregistrement préalable des lettres patentes. La Déclaration du roy touchant la conciliation des évesques du royaume à l’occasion de la constitution Unigenitus rédigée par d’Aguesseau, datée du 4 août, est présentée le 18 au parlement de Paris, alors exilé à Pontoise à la suite de plusieurs remontrances contre les édits bursaux de Law5. Les magistrats éreintent au passage le scrupuleux d’Aguesseau, ancien procureur général, gallican de sentiment, mais inquiet du schisme naissant, donc gagné à cet accommodement… et coupable d’être passé à l’ennemi. La déclaration, remarquable d’équilibre, distinguait pourtant nettement le temporel du religieux. Sans se prononcer sur le fond doctrinal de la bulle, elle se bornait à rappeler cette évidence – qui n’en était justement pas une pour les opposants : reconnue par le pape et la quasi-totalité des évêques du monde catholique, elle était de ce fait loi de l’Église, susceptible par conséquent d’être reçue en France comme loi de l’État. La suite est banalement prévisible. Le parlement se récrie que seul un concile universel est compétent pour juger de son orthodoxie, suite aux divers appels interjetés. Une constitution douteuse ne saurait par conséquent être accueillie dans le royaume. Sous prétexte de neutralité religieuse, les magistrats prenaient parti pour les positions ultra-minoritaires des appelants. Illustration exemplaire du complexe gallican-janséniste qui ne fonctionne qu’affronté au « fantôme » d’un jésuitisme obsédant, laxiste en moral, ultramontain en religion, subversif et hégémonique en tout6. Cette vision du monde nourrit une bonne conscience à toute épreuve et alimente une opposition royaliste au roi. Située dans un cadre légaliste elle s’exalte à la conviction de défendre les lois fondamentales de la monarchie, profitant opportunément du déficit d’absolutisme engendré par la régence. Les magistrats se perçoivent comme chargés du dépôt des lois : cette assurance décomplexante leur fait affronter sans désemparer les foudres du pouvoir, et, en vertu d’un droit de remontrance qui leur a été rendu par Philippe d’Orléans en 1715, s’arroger une compétence quasi universelle dans le jugement des affaires publiques. Se pensant, au fond, comme le conseil constitutionnel de la vieille monarchie, ils multiplient les actes de censure, entrant paradoxalement en conflit avec l’autorité royale dont ils se réclament pourtant. C’est là, sommairement décrite, toute la logique de l’opposition parlementaire, de ce gouvernement quasi officiel des juges au cours du xviiie siècle.

    8Bloqués du côté du parlement, Orléans et Dubois décident de porter attribution des affaires de la bulle au Grand Conseil mais celui-ci se récuse. Le 23 septembre, accompagné des princes du sang, des ducs et pairs et des maréchaux de France, qui ont voix délibérative et siègent de droit audit conseil, Orléans passe outre et fait procéder à l’enregistrement pur et simple. Noailles s’entête, déclare qu’il ne donnera son mandement d’acceptation que si la déclaration est approuvée par le parlement. Retour au point de départ et nouveau bras de fer qui s’achève seulement en décembre : les stoïques magistrats, las de leur exil, se sont finalement résignés et ont enregistré le 4 décembre 1720 la déclaration du mois d’août, avec force réserves d’ailleurs7. Soumis au tir croisé de d’Aguesseau, rétabli à la justice, de l’abbé Menguy – pourtant chef de l’opposition janséniste-gallicane au parlement avec le conseiller Pucelle, mais soucieux de ne pas prolonger indéfiniment la crise – et de la majorité des parlementaires, Noailles les avait précédés le 16 novembre. Acceptation il y avait donc de sa part, mais dans le plus pur style noailliste, c’est-à-dire ambigu : outre qu’il ne révoquait pas formellement son instruction pastorale de 1719 non plus qu’il ne condamnait son appel au futur concile, il laissait libres les curés parisiens de lire (ou pas) son mandement en chaire et s’abstenait d’excommunier les opposants. Peine perdue. Plusieurs anticonstitutionnaires (les inévitables Montpellier, Senez, Boulogne et Mirepoix) renouvellent en effet leur appel en septembre 1720, soutenus par le clergé du second ordre qu’ulcère dans le mandement de Noailles ce nouveau témoignage de la superbe épiscopale. Le pape, quant à lui, réserve son approbation et réclame des garanties difficilement acceptables de la part du Régent et de Noailles : le premier devra donner exécution aux promesses de Louis XIV à Innocent XII sur la révocation des propositions gallicanes de 1682 ; le second écrira une lettre au pape « dans le goût de celle qu’il lui avoit adressée en 17118 », c’est-à-dire humble et repentante. Orléans est tout de même parvenu à neutraliser le parlement et à arracher à Noailles une acceptation, même problématique.

    9Beaucoup dépend de Clément XI qui, nettement réticent, doit toutefois tenir compte des réactions de l’Église gallicane ; or, celle-ci s’est largement reconnue dans la tentative d’accommodement. L’évêque de Soissons lui-même, qui fournit avec Bissy le cadre doctrinal où puise le parti constitutionnaire, conseille au pape l’indulgence vis-à-vis de Noailles. À Rome, pourtant, les zelanti pressent dans un sens défavorable à la politique du Régent. Le pape se tait, hésite, réserve sa réponse : mutisme réprobateur dont se satisferait finalement Dubois qui dépêche Rohan en Italie afin d’amadouer Sa Sainteté. Tout reste en suspens, lorsque Clément XI meurt le 19 mars 1721.

    Fleury dans le dispositif pacificateur du Régent

    10Pour Fleury, cette année 1720 signale une percée spectaculaire sur le théâtre de l’Unigenitus. Elle culmine en octobre par son entrée au conseil de conscience, aux côtés de Dubois, Bissy, Rohan, Gesvres, et de l’évêque de Clermont, Massillon. Ranchon situe les prodromes de cette avancée au cours de l’été. Le Régent aurait alors trouvé « de grandes ressources dans le crédit du prélat, dans ses lumières et dans sa prudence9 ». Crédit, c’est-à-dire position morale, relief, prestige, mais aussi relations, connaissances, accointances. Il y a longtemps en effet que le précepteur royal est devenu le centre d’un certain activisme, forcément discret pendant les hautes eaux jansénistes de la première Régence. Dans une cour où les constitutionnaires avaient longtemps dû se faire discrets, il apparaît comme un môle orthodoxe et représente l’espoir secret d’une possible revanche des acceptants. Justement, la conjoncture politique s’est renversée, ce dont profite incontestablement Fleury.

    11Originellement parlementaires, donc ouvertes aux noaillistes, gallicans et jansénisants, les alliances du Régent se sont rapidement recentrées. Le tournant se situe en 1718 avec le lit de justice d’août, amplifié en 1720, sous l’effet de l’expérience Law qui a ulcéré les magistrats et leurs alliés – d’Aguesseau en particulier, privé des sceaux en janvier 1718. Ces magistrats, gros propriétaires terriens, s’inquiètent de l’inflation engendrée par le Système qui réduit le montant réel des fermages et la valeur de leurs créances. Dès lors qu’Orléans persiste à soutenir l’Écossais, la rupture devient inévitable avec le parlement. Le Régent a aussi pu mesurer la force du parti constitutionnaire, nettement majoritaire dans le royaume. Ce rapport de force objectif l’a convaincu d’engager le rapprochement avec ses éléments modérés, gage d’une pacification durable. Ajoutons le rôle grandissant de Dubois, tout auréolé de ses succès diplomatiques de 1717-1718 et qui caresse désormais le rêve de devenir cardinal : l’obtention du chapeau passant par Rome, ceci suppose une certaine flexibilité, fort éloignée des traditionnelles raideurs gallicanes. Glissement au centre, par conséquent, mais aux conditions et au rythme imposés par Orléans qui entend bien demeurer le maître du jeu. L’échec du complot Cellamare a anéanti les derniers espoirs de la duchesse du Maine et frappé de stupeur ses alliés. Ce qui reste de la vieille cour sera bientôt neutralisé par les fiançailles de Louis XV avec l’infante, auxquelles le Régent songe depuis longtemps et qui se concrétiseront en 1721. Privée désormais du soutien espagnol, elle ne représente plus un ennemi bien redoutable. Enfin, Orléans s’est patiemment constitué son propre parti, ce qui lui donne des marges de manœuvre dont, alors esseulé, il était cruellement dépourvu en 1715. Vaste clientèle qui recouvre les princes du sang (les Condé notamment, avec le duc de Bourbon, agrégé aux troupes orléanistes à l’occasion de la querelle du bonnet, et enrichi par les retombées lucratives du Système), des ducs et pairs (Saint-Simon), des « créatures » talentueuses solidement tenues en main, très supérieures au reste du personnel politique (Dubois, Law, d’Argenson).

    Les conditions d’un ralliement

    12Dans ces conditions, Fleury se révèle pour Orléans et Dubois un solide allié, dont le zèle éducatif en faveur du petit roi et la loyauté ne se sont jamais démentis. Certes, il n’a pas signé le corps de doctrine, comme le rappellent les auteurs de l’Histoire du livre des Réflexions morales10. Mais c’est oublier un peu vite que seuls les évêques en fonction étaient invités à apposer leur paraphe. N’écartons toutefois pas l’hypothèse d’un refus du précepteur. Son entrée au conseil de conscience en octobre 1720 devrait alors s’interpréter comme un gage donné par Orléans au pape, toujours susceptible, craint-on à Paris, de fulminer un bref contre l’accommodement. Fréjus inclus dans le dispositif gouvernemental, c’est le moyen de neutraliser un opposant potentiel, et, simultanément, de préparer une inflexion constitutionnaire si d’aventure échouait le règlement libéral de la bulle. Le conseil de conscience repeint aux couleurs de l’orthodoxie rigide via le trio Rohan-Bissy-Fleury doit remplir aux yeux de Philippe d’Orléans et de Dubois la mission, plutôt paradoxale, d’amortir les réactions des prélats « unigenitistes », éventuellement tentés de rompre le silence pacificateur ordonné par la déclaration d’août dernier. Le conseil est donc chargé de superviser, de coordonner et surtout d’atténuer les mouvements du gallicanisme épiscopal. On attend de lui que, fort de son incontestable caution constitutionnaire, il désarme par sa seule existence les préventions des plus « outrés » des acceptants qui s’inquiètent du compromis passé avec Noailles. Son action est également tournée vers l’extérieur : sa composition est un signe adressé à Clément XI, de plus en plus tenté de se prononcer contre la paix passée avec Noailles. Les « ultramontains » qui le peuplent sont la preuve, tient-on à faire savoir à Rome, que l’accommodement est en réalité une victoire pour les acceptants.

    13De son côté, sans être subjugué par le projet d’accommodement, il est assez vraisemblable que Fleury a approuvé la paix ad majorem gloriam Dei. Simple hypothèse, mais qui n’explique toujours pas pourquoi le précepteur royal n’a pas daigné signer le corps de doctrine, fût-il seulement ancien évêque de Fréjus. Il y a place pour une dernière hypothèse, finalement la plus séduisante car tout à fait dans le style psychologique de Fleury et du Régent : notre prélat approuve ce qui s’est fait et en apporte la preuve en entrant au conseil de conscience ; on « omet » de lui réclamer son paraphe au motif qu’il a cessé d’avoir charge d’âmes en tant qu’évêque. La formule n’est pas des plus franches mais c’est politiquement la plus pertinente : Dubois et Orléans s’épargnent une explication peut-être orageuse avec un homme qui a su s’imposer auprès du jeune roi – lequel va maintenant rapidement vers sa majorité, et dont les volontés balbutiantes commencent à revêtir une réelle dimension politique. Quant au Languedocien, il gagne sur les deux tableaux, philippien par son accession au conseil, constitutionnaire de stricte obédience par son silence sur le corps de doctrine – cette dernière posture pouvant plus tard lui valoir un certain ascendant sur d’autres confrères qui se sont commis plus largement dans cette paix bâtarde. Cette situation profite au Régent, du moins à court terme. Le précepteur paraît a priori plus manœuvrable que la plupart des autres membres du conseil, tous cardinaux à l’exception de Massillon – en bons termes d’ailleurs avec Fleury qui l’a sacré en 171711. En outre, son ancienne amitié avec Noailles, ses démêlées, jadis, avec Le Tellier, le situent en dehors de la mouvance jésuitique : un constitutionnaire gallican en fait, susceptible de faire équilibre au bouillant Bissy et de rallier à Dubois le gros du clergé qui s’inquiète désormais des errements noaillistes, du radicalisme des réappelants (sans parler de l’agitation des curés de la capitale), mais qui craint également d’avoir à passer par les conditions des ultramontains. Ajoutons aussi que son tempérament s’accommode parfaitement du style de Dubois dans les questions religieuses, tout en finesse, en prudence et en ténacité. En revanche, à long terme, le bilan est moins favorable pour Philippe d’Orléans. Si celui-ci entendait poursuivre une politique d’équilibre entre les deux camps, les recrues au conseil de conscience ne paraissent pas augurer d’une future modération. Le conseil, officiellement chargé de canaliser les ardeurs constitutionnaires et de préserver le compromis négocié avec Noailles, se révélera vite une véritable machine de guerre au service de la bulle – ce qui, en vérité, était parfaitement prévisible dès ses débuts. En effet, Fleury, comme Bissy, ne voit pas dans la paix de 1720 un achèvement, mais le commencement d’une reconquête devant aboutir à une capitulation pure et simple de Noailles, à la différence du Régent qui se contenterait assez du statu quo. Enfin, vue sous l’angle plus étroit de Fleury, cette promotion est pour lui l’amorce d’un certain détachement vis-à-vis de ses patrons et appuis antérieurs, affaiblis (d’Huxelles, Villeroy) ou disgraciés (le duc du Maine, exilé à Sceaux jusqu’en 1721), mais révèle aussi une remarquable continuité dans sa politique religieuse depuis 1714. Si notre homme n’a pas changé, ce sont les circonstances qui se sont modifiées. Car c’est à l’occasion d’un véritable retournement de la conjoncture politique que se produit sa montée en puissance. Desservi hier par ses sentiments passionnément constitutionnaires et son attachement à la vieille cour, il devient maintenant un recours possible, en cette fin d’année 1720, quand l’espoir d’un règlement religieux passe plus que jamais par Rome et que le rapprochement avec l’Espagne de Philippe V est à l’ordre du jour. Il n’est pas même jusqu’à son hostilité à l’expérience de Law qui, celle-ci ayant échoué, ne le désigne effectivement comme un homme de la normalisation en cours12.

    Notes de bas de page

    1 Leclercq, 1921, t. II, p. 259.

    2 Ibid., p. 274.

    3 Noirfontaine, 1998, p. 168.

    4 Languet de Gergy avait obtenu que Noailles insérât dans son mandement les termes suivants : « Explications que nous avons jugé nécessaires de rendre à la bulle uniquement pour empêcher que par de fausses interprétations la vérité ne fût attaquée, la pureté de la morale corrompue et la liberté des écoles blessée » (cité dans Noirfontaine, 1998, p. 168). La querelle de l’uniquement n’est pas sans importance malgré les apparences : utiliser ce mot, c’est dire que la bulle est claire et orthodoxe par elle-même, les explications visant seulement à dissiper toute ambiguïté de la part d’esprits prévenus ; ne pas l’utiliser, c’est abonder dans le sens des opposants rigides qui déclarent la constitution intrinsèquement mauvaise… Or, quand le 13 mars au soir l’évêque de Bayonne lut aux évêques acceptants le mandement de Noailles, « Mr le Régent s’aperceut qu’on y avoit omis le mot uniquement, il dit que c’étoit sans doute la faute du copiste, il prit la plume et corrigea luy même la faute. Quelques évêques furent l’après disner ches M. le Card. de Noailles, il leur dit qu’il étoit charmé de se revoir avec ses confrères et s’excusa fort sans qu’on luy en parla de l’omission de l’uniquement, il en accusa aussi le copiste » (lettre à Soissons – sans signature – du 15 mars 1720, bibliothèque de Sens, fonds Languet de Gergy, X, pièce 31).

    5 Déclaration du roy…, 1720, p. 5. Rappelons-en brièvement les dispositions principales : la bulle doit être observée dans l’ensemble du royaume ; les appels au futur concile sont nuls et non avenus et dorénavant interdits ; ordre est renouvelé de faire respecter les lettres patentes sur les bulles des papes Innocent X et Alexandre VII contre le jansénisme, l’édit d’avril 1665 sur la signature du formulaire, les lettres patentes du 31 août 1705 sur la bulle Vineam Domini Sabaoth ; aucune formule nouvelle de souscription ne sera tolérée relativement à ces bulles ; tout écrit ou parole contre la constitution ou les libertés de l’Église gallicane seront censurés.

    6 Les jansénistes authentiques ne sont qu’une infime minorité mais excellent à transposer le débat théologique au plan juridique, emportant du coup l’assentiment de leurs confrères pour qui la querelle de l’Unigenitus se mue insensiblement en défense de la juridiction parlementaire face aux empiètements ultramontains (Campbell, 1996, p. 210-218).

    7 « Conformément aux maximes du royaume sur l’autorité de l’Église, sur le pouvoir et la juridiction des évêques, sur l’acceptation des bulles des papes, et sur les appels aux futurs conciles… » (cité dans Picot, 1853-1857, t. II, p. 70, n. 2).

    8 BnF, Fr. 17736, fol. 3.

    9 Ranchon, fol. 214.

    10 « M. l’Ancien Évêque de Fréjus, maintenant cardinal de Fleuri, & qui étoit alors Precepteur du Roi, ne signa pas non plus » (Cadry et Louail, 1723-1726, t. III, p. 333).

    11 Voir Bacon, 1998, p. 55. Sur la composition du conseil de conscience réorganisé en 1720, voir Antoine, 1970, p. 110 : le conseil comprit d’abord les cardinaux de Rohan et de Bissy, Dubois, Fleury et Massillon. Bazin de Bezons, archevêque de Rouen, remplaça Massillon, reparti dans son diocèse, le 12 février 1721. Le même jour entrait l’évêque de Nantes, Mgr de Tressan, aumônier du Régent. Le 5 mars, le cardinal de Gesvres se substituait à Rohan, parti au conclave. Le secrétaire d’État La Vrillière était le seul laïc à participer de temps à autre aux séances du conseil – hormis le Régent, naturellement (ibid.).

    12 D’après Ranchon, c’est l’amour du peuple qui aurait amené Fleury à critiquer la politique de Law. Les misères des puissants retiennent cependant aussi (et surtout) son intérêt : « grands malheureux », « magistrats ruinés », « gentilshommes obérés ». La société est menacée de subversion ; des « laquais » prennent la place des grands ; « ils relevèrent plusieurs maisons par le moyen de leurs filles, qui furent comme une espèce de fumier, pour engraisser des terres montagneuses et arides » (Ranchon, fol. 200). En fait, contre l’inflation redistributrice de revenus, Fleury épouse clairement le camp des rentiers, évidemment favorables à une livre tournois forte.

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    1 Leclercq, 1921, t. II, p. 259.

    2 Ibid., p. 274.

    3 Noirfontaine, 1998, p. 168.

    4 Languet de Gergy avait obtenu que Noailles insérât dans son mandement les termes suivants : « Explications que nous avons jugé nécessaires de rendre à la bulle uniquement pour empêcher que par de fausses interprétations la vérité ne fût attaquée, la pureté de la morale corrompue et la liberté des écoles blessée » (cité dans Noirfontaine, 1998, p. 168). La querelle de l’uniquement n’est pas sans importance malgré les apparences : utiliser ce mot, c’est dire que la bulle est claire et orthodoxe par elle-même, les explications visant seulement à dissiper toute ambiguïté de la part d’esprits prévenus ; ne pas l’utiliser, c’est abonder dans le sens des opposants rigides qui déclarent la constitution intrinsèquement mauvaise… Or, quand le 13 mars au soir l’évêque de Bayonne lut aux évêques acceptants le mandement de Noailles, « Mr le Régent s’aperceut qu’on y avoit omis le mot uniquement, il dit que c’étoit sans doute la faute du copiste, il prit la plume et corrigea luy même la faute. Quelques évêques furent l’après disner ches M. le Card. de Noailles, il leur dit qu’il étoit charmé de se revoir avec ses confrères et s’excusa fort sans qu’on luy en parla de l’omission de l’uniquement, il en accusa aussi le copiste » (lettre à Soissons – sans signature – du 15 mars 1720, bibliothèque de Sens, fonds Languet de Gergy, X, pièce 31).

    5 Déclaration du roy…, 1720, p. 5. Rappelons-en brièvement les dispositions principales : la bulle doit être observée dans l’ensemble du royaume ; les appels au futur concile sont nuls et non avenus et dorénavant interdits ; ordre est renouvelé de faire respecter les lettres patentes sur les bulles des papes Innocent X et Alexandre VII contre le jansénisme, l’édit d’avril 1665 sur la signature du formulaire, les lettres patentes du 31 août 1705 sur la bulle Vineam Domini Sabaoth ; aucune formule nouvelle de souscription ne sera tolérée relativement à ces bulles ; tout écrit ou parole contre la constitution ou les libertés de l’Église gallicane seront censurés.

    6 Les jansénistes authentiques ne sont qu’une infime minorité mais excellent à transposer le débat théologique au plan juridique, emportant du coup l’assentiment de leurs confrères pour qui la querelle de l’Unigenitus se mue insensiblement en défense de la juridiction parlementaire face aux empiètements ultramontains (Campbell, 1996, p. 210-218).

    7 « Conformément aux maximes du royaume sur l’autorité de l’Église, sur le pouvoir et la juridiction des évêques, sur l’acceptation des bulles des papes, et sur les appels aux futurs conciles… » (cité dans Picot, 1853-1857, t. II, p. 70, n. 2).

    8 BnF, Fr. 17736, fol. 3.

    9 Ranchon, fol. 214.

    10 « M. l’Ancien Évêque de Fréjus, maintenant cardinal de Fleuri, & qui étoit alors Precepteur du Roi, ne signa pas non plus » (Cadry et Louail, 1723-1726, t. III, p. 333).

    11 Voir Bacon, 1998, p. 55. Sur la composition du conseil de conscience réorganisé en 1720, voir Antoine, 1970, p. 110 : le conseil comprit d’abord les cardinaux de Rohan et de Bissy, Dubois, Fleury et Massillon. Bazin de Bezons, archevêque de Rouen, remplaça Massillon, reparti dans son diocèse, le 12 février 1721. Le même jour entrait l’évêque de Nantes, Mgr de Tressan, aumônier du Régent. Le 5 mars, le cardinal de Gesvres se substituait à Rohan, parti au conclave. Le secrétaire d’État La Vrillière était le seul laïc à participer de temps à autre aux séances du conseil – hormis le Régent, naturellement (ibid.).

    12 D’après Ranchon, c’est l’amour du peuple qui aurait amené Fleury à critiquer la politique de Law. Les misères des puissants retiennent cependant aussi (et surtout) son intérêt : « grands malheureux », « magistrats ruinés », « gentilshommes obérés ». La société est menacée de subversion ; des « laquais » prennent la place des grands ; « ils relevèrent plusieurs maisons par le moyen de leurs filles, qui furent comme une espèce de fumier, pour engraisser des terres montagneuses et arides » (Ranchon, fol. 200). En fait, contre l’inflation redistributrice de revenus, Fleury épouse clairement le camp des rentiers, évidemment favorables à une livre tournois forte.

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