1Alors que le Moyen Âge suscite un fort engouement auprès du grand public, les mises en vie du passé connaissent une popularité croissante. Spectacles, animations, déambulations et démonstrations placés sous le signe du Moyen Âge se sont multipliés depuis le début des années 2000 en France, atteignant le chiffre record de 772 manifestations annuelles en 2016 (contre 408 en 2003)1. Ces manifestations représentent le plus souvent un Moyen Âge fantasmé, parfois empreint de fantasy, et placé sous le signe de la fête. Elles sont donc pleinement intégrées à cette appropriation populaire qu’est le médiévalisme. En leur sein, il existe toutefois une activité plus difficile à cerner : la reconstitution historique.

2Il s’agit d’une activité de loisir, principalement vécue à travers la pratique associative, qui peut être définie comme l’incarnation de personnages appartenant à un contexte temporel précis. Ses pratiquants, les reconstituteurs et reconstitutrices2, s’appuient sur une re-création3 matérielle à partir d’une documentation historique et archéologique qui se veut « la plus rigoureuse possible4 ». L’historicité, c’est-à-dire la véracité historique des éléments présentés, est donc la notion primordiale qui dicte cette pratique. En cela, elle s’oppose à la mise en scène fantasmée qui caractérise les fêtes médiévales en mettant en avant sa dimension sérieuse et documentée. Depuis sa naissance en Angleterre à la fin des années 1960, cette pratique s’est considérablement développée en France comme ailleurs en Europe5. En complément des reconstitutions de batailles qui en ont longtemps été les éléments les plus visibles, elle s’est progressivement tournée vers différents aspects de la vie quotidienne6. Investissant les lieux du patrimoine mais également les musées, les reconstituteurs mettent en avant l’action de médiation de leur activité visant à faire découvrir le Moyen Âge de manière vivante. Puisqu’une grande part de la reconstitution repose sur une finalité autre que le divertissement – à travers la recherche documentaire, la re-création matérielle et la transmission – elle doit être définie comme un loisir sérieux (serious game)7.

3La reconstitution historique s’avère donc un objet complexe particulièrement intéressant pour étudier l’usage et l’appropriation du discours sur le Moyen Âge en dehors des cadres traditionnels. Dans le cadre de cette contribution, nous proposons de mettre en parallèle la théorie de la reconstitution médiévale, à travers la manière dont les reconstituteurs inscrivent leur activité dans un cadre se voulant historique, et sa réalisation concrète, en étudiant notamment les biais qui interviennent dans ses dimensions matérielles et mémorielles, et qui en font une représentation contemporaine du passé.

Une pratique entre recherche d’historicité et médiation

Des définitions tournées vers la recherche, le matériel et l’expérience

4La définition de la reconstitution historique ne fait pas consensus et cette pratique ne dépend d’aucune autorité y conditionnant l’accès. Une association qui donne à voir une représentation totalement fantasmée du Moyen Âge peut tout à fait s’enregistrer officiellement déclarée sous l’appellation de reconstitution historique. Il en résulte une « hétérogénéité qui peut prêter à confusion pour le grand public comme pour les chercheurs qui souhaitent s’y intéresser8 ».

5Interrogés sur la définition de leur activité, la première dimension mise en avant par les reconstituteurs enquêtés est celle de « recherche » (53 %), avant même celle de « plaisir » (31 %)9. Cette orientation rejoint le constat d’Audrey Tuaillon Demésy qui note dans son enquête sociologique sur le milieu de l’histoire vivante que « la notion de rapport à la source, aux traces historiques […] constitue une dimension essentielle quant à la manière de mettre en place la pratique10 ». Le vocabulaire mobilisé pour décrire l’action met en avant la volonté de « revivre » (28 %), d’« expérimenter » (22 %) ou encore de « re-créer » (14 %) certains aspects de la période choisie, avec une orientation marquée sur la dimension « matérielle » (58 %)11. C’est bien la re-création matérielle, et en premier lieu celle du costume, qui constitue la condition sine qua non de cette mise en vie du passé.

6Dans les mises par écrit par les associations pour leur statut ou leurs pages web, c’est bien cette dimension de recherche d’historicité qui est mise en avant, mobilisant les références à la science historique, et principalement à sa dimension matérielle, comme garante de l’activité. Il s’agit par exemple de « faire le maximum pour se rapprocher de la réalité historique12 », d’adopter « la démarche la plus rigoureuse possible en se basant sur des sources archéologiques, iconographiques ou écrites » pour « tendre vers toujours davantage d’historicité13 » ou encore « de faire revivre une période précise [du] passé en s’appuyant sur des textes, pièces de fouilles, iconographies ou tous documents permettant de reproduire le plus fidèlement possible les artefacts de l’époque14 ». Cette mobilisation se fait notamment par le biais du concept de « source », terme qui désigne la référence à un document iconographique ou archéologique, voire une publication universitaire, à l’origine à l’origine d’une re-création matérielle. C’est bien ce recours à la « preuve » documentaire qui distingue la reconstitution d’autres formes de mise en vie du passé.

Une mise à distance critique fluctuante

7Pour saisir la dynamique de la démarche, il est également intéressant de noter dans le discours des reconstituteurs les marqueurs de limite et de mise en doute de leur activité. Dans leur définition de la reconstitution, 25 % des enquêtés font état de sa dimension limitée15. Cette conscience s’exprime généralement par une volonté de faire « au mieux » ou « le plus fidèlement », selon les sources à disposition et les capacités de chacun. Cependant, cette mise à distance ne concerne pas l’ensemble des discours sur la pratique, en sont témoins les associations annonçant dans leurs définitions avoir pour objectif de « redonner vie » au passé, de « présenter la vie telle qu’elle était vécue tous les jours » ou bien même de « rétablir la vérité historique ». Ces formules qui témoignent d’une vision parfois très positiviste de l’histoire amènent à s’interroger sur l’inégalité de la distance critique dont font preuve les reconstituteurs16.

8Cette hétérogénéité se retrouve dans la manière dont les reconstituteurs abordent la documentation : les « sources » sur lesquelles se fonde leur démarche17. Certains se contentent de s’inspirer, parfois très libéralement, de représentations iconographiques sans regard pour les biais inhérents à ces « images-objets », pour reprendre la mise en garde de Jérôme Baschet18. À l’inverse, d’autres pratiquants constituent de véritables bases de données croisant artefacts archéologiques et représentations iconographiques, et témoignent d’une approche critique des documents. Cette démarche semble en partie tributaire du nombre important de pratiquants ayant suivi des cursus universitaires en histoire ou en archéologie19. Une part des reconstituteurs est en effet composée soit d’anciens étudiants qui continuent de vivre leur passion pour l’histoire par le biais de la reconstitution, soit de professionnels de la culture (conservateurs de musée, archéologues, etc.) qui contribuent activement au développement de l’activité20. Il ne faut donc pas penser la reconstitution comme un milieu déconnecté des ressources scientifiques. Elle évolue bien dans la périphérie du monde universitaire, même si les partenariats officiels entre institutions et associations demeurent rares dans le cadre français21.

Une reconnaissance de l’action de médiation

9De nombreux reconstituteurs insistent sur la volonté de médiation qu’ils attribuent à leur pratique. Il s’agit de « partager », de « faire découvrir » ou encore de « transmettre22 ». Se plaçant entre vulgarisation et démocratisation culturelle, c’est par cette action que la reconstitution historique s’est affranchie des fêtes médiévales fondées sur le spectacle. La force de cette médiation s’appuie sur la dimension matérielle de la pratique, qui permet de rendre concret le propos par la démonstration, voire la participation. Si la pertinence du discours dépend de l’émetteur, cette orientation montre que la reconstitution se pose en medium entre le public et l’histoire qu’elle a à cœur de « démystifier », ce qui l’oppose à une forme de spectacle médiévalisant. Dans divers cadres, l’étude de la réception du public montre la pertinence de cette proposition23.

10Portée par cette orientation culturelle, des manifestations tournées vers les principes de la reconstitution ont progressivement vu le jour et su s’imposer auprès du public comme mode de médiation. Des Médiévales du château de Crèvecœur-en-Auge (Calvados), qui proposaient une semaine d’immersion dans une seigneurie rurale de la seconde moitié du xv^e siècle, au Festival International d’Histoire Vivante de Marle (Aisne), qui s’intéresse aux rares reconstitutions du Haut Moyen Âge, les associations de reconstitution ont su investir autrement le monde des musées et du patrimoine. En proposant aux reconstituteurs de mener des ateliers et des démonstrations autour de thèmes et d’activités particulières, les organisateurs de ces manifestations reconnaissent leur démarche comme des reconstituteurs comme porteuse d’une forme d’historicité. De 2015 à 2019, le département de la Loire-Atlantique a ainsi regroupé sous le label « Les Rendez-vous de l’Histoire vivante » les manifestations accueillies au sein de divers lieux (aux châteaux de Clisson et de Chateaubriand), exclusivement consacrées à la médiation par la reconstitution. Toutefois, si cette dernière se construit « en creux » par rapport au champ d’action des fêtes médiévales, qui restent des jalons incontournables des mises en vie de l’histoire dans le domaine touristique, les frontières entre les deux mondes restent poreuses et de nombreuses associations de reconstituteurs continuent de participer à diverses fêtes médiévales, ce qui contribue à brouiller les pistes.

Tensions entre objectif visé et réalisation

Des reconstitutions sélectives

11L’état des lieux réalisé au 1^er janvier 2019 montre que le Moyen Âge représenté par les reconstituteurs est orienté vers certaines périodes et thématiques phares. Comme le fait apparaître le schéma ci-dessous (fig. 1), la reconstitution médiévale française s’intéresse majoritairement à la seconde partie du Moyen Âge. Cette répartition dépend de deux principaux facteurs. Premièrement, les derniers siècles du Moyen Âge bénéficient d’une documentation écrite, matérielle et iconographique plus importante que les premiers, ce qui les rend plus accessibles. Deuxièmement, la fin du Moyen Âge constitue le socle imaginaire de la période, fixé par les canons du romantisme et relayé par une part de la fantasy : chevaliers en armure et grandes batailles sont autant d’images qui ont inspiré les reconstituteurs, ce que confirme une partie des enquêtés24. Il faut signaler les deux autres tendances que sont la reconstitution de la période viking et de celle de la Normandie ducale, qui concentrent respectivement 16 % et 6 % de la pratique française et apparaissent en majorité dans le cadre des associations présentes en Normandie. Toutefois, les reconstituteurs des derniers siècles du Moyen Âge sont eux-mêmes amenés à croiser des sources iconographiques et matérielles sur une période parfois longue de cent ans et dans un cadre européen. Cette démarche laisse déjà entrevoir des limites quant à la représentativité du matériel présenté entre la datation et la provenance de ce dernier. Parce qu’ils disposent d’une documentation bien moindre, les reconstituteurs qui se consacrent aux siècles antérieurs doivent parfois étendre leurs recherches sur plusieurs siècles afin de pouvoir constituer un environnement matériel, ce qui remet fortement en cause la cohérence des éléments qu’ils présentent.

Fig. 1 – Intérêt porté par les associations de reconstitution référencées aux différentes périodes de l’histoire, par siècle.

Source : Bostal Martin, L’Histoire face à l’histoire vivante, op. cit., p. 126.

12L’étude des thématiques mises en avant par les associations de reconstitutions fait dans un second temps ressortir la part prédominante de l’activité guerrière. En effet, près de 50 % des associations référencées déclarent s’y consacrer25. En comparaison, seulement 15 % des associations déclarent se livrer à un thème « civil » tandis que 28 % font état d’une pratique tournée vers l’« artisanat ». Cet état de fait est bien sûr dépendant des cadres qui accueillent la reconstitution : peu de structures offrent en France la possibilité de développer la reconstitution en dehors des campements militaires, au sein desquels les activités quotidiennes des non-combattants se greffent tant bien que mal. Parallèlement, l’intérêt des pratiquants se porte plus rarement sur ces thèmes. Il suffit pour s’en convaincre de constater que le monde rural n’est évoqué que par 0,7 % des associations alors qu’il composait le cadre d’activité de l’écrasante majorité de la population médiévale. Ces données montrent que le choix des éléments reconstitués est d’abord dépendant de l’attirance qu’ils exercent sur les reconstituteurs. Une part de ces choix résulte de représentations médiévalistes davantage que d’une recherche d’historicité. En proposant au public un Moyen Âge essentiellement guerrier, qui est déjà l’apanage de la culture populaire, les reconstituteurs sont susceptibles d’alimenter malgré eux une vision fantasmée de cette période.

Le matériel de reconstitution : une re-création contemporaine

13Parce qu’elle est la condition sine qua non de la reconstitution et l’aspect le plus directement observable, la dimension matérielle apparaît centrale dans la question des biais contemporains de cette activité. Une analyse détaillée des limites de la re-création d’un contexte matériel passé dépasserait de loin le cadre de cette contribution ; je me contenterai ici d’en présenter les principales articulations26. Daniel Jaquet note que la restitution d’objet dans le cadre de la reconstitution privilégie plus souvent « les aspects visuels au détriment des aspects fonctionnels27 », c’est-à-dire qu’elle s’attache davantage à reproduire les caractéristiques esthétiques des objets que leurs spécificités techniques. Les objets de reconstitution doivent ainsi être considérés comme des « re-créations », c’est-à-dire comme de nouveaux artefacts qui se définissent par un lien avec des éléments passés. Pour autant, ils ne sont le plus souvent pas des copies (des reconstitutions au sens premier du terme, bien que cela soit parfois le cas), mais bien des réinventions qui cherchent à mettre en adéquation certaines dimensions techniques avec des critères esthétiques rattachés à un contexte archéologique. Ils sont dans le même temps adaptés à certains impératifs de la reconstitution en tant que mode de loisir et différenciés dans une recherche de personnalisation.

14Par exemple, les re-créations du casque de Gjermundbu, unique casque découvert en Scandinavie correspondant à l’âge viking, montrent une dérivation en série à partir d’un objet qui reste anecdotique, tout en apportant un ensemble de modifications structurelles ou esthétiques. Dans certains cas, celles-ci s’inspirent d’autres éléments archéologiques plus ou moins éloignés dans le temps et dans l’espace du contexte de découverte ; dans d’autres, elles restent des inventions qui entraînent l’objet loin de son original28. Ces modifications se rapportent soit à une adaptation à des impératifs de sécurité pour la pratique du combat de mêlée29, soit à des choix esthétiques personnels visant à personnaliser « son » objet. In fine, le contexte matériel présenté au public lors d’une manifestation peut faire intervenir plusieurs dizaines de casques dérivés de ce seul objet, alors même que les données archéologiques indiquent que les casques étaient très peu utilisés par les populations scandinaves de la période dite « viking30 ».

15Ce croisement entre différenciation et adaptation de l’objet est transposable à l’ensemble du matériel en usage dans la reconstitution historique. Toute la question réside alors dans l’articulation entre les données documentaires, les impératifs techniques et les choix personnels qui concourent à ces re-créations. Il faut également préciser, comme le notait déjà Olivier Renaudeau, que le développement de la reconstitution s’est accompagné d’une commercialisation croissante d’objets « reconstitués », ouvrant aux reconstituteurs la possibilité de se fournir directement sans mener une démarche documentaire préalable31.

Entre dimension mémorielle et approches personnelles

16En dernier lieu, la question des motivations des reconstituteurs apparaît incontournable pour approcher pleinement les orientations de leur pratique. Une dimension mémorielle est parfois mise en avant par les statuts d’associations : parmi d’autres, l’association Vemundr annonce ainsi « pratiquer la culture » des vikings qui est inscrite dans « la mémoire collective des Normands32 », tandis que telle autre se donne une mission de « promotion des idéaux de la chevalerie33 ». Il s’agit alors « faire découvrir », de « promouvoir » ou même de « réhabiliter » des pratiques et des peuples dont la perception est considérée comme biaisée ou méconnue, notamment en rapport avec les stéréotypes véhiculés dans la culture populaire. Dans certains cas cependant, cette volonté se confond avec une coïncidence émotionnelle qui semble davantage perpétuer certains topoï, tels que la valeur guerrière du barbare ou la courtoisie de la chevalerie, plutôt que rechercher une vision objective.

17Les motivations des reconstituteurs semblent surtout s’exprimer à un niveau personnel. Les notions de « cultures », d’« identités » et d’« héritage » sont ainsi convoquées par une part des enquêtés, sans que cette recherche d’identité confine à une quête idéologique. Il existe bien en France une fraction marginale de reconstituteurs dont le discours est teinté de politique, mais ces usages ne doivent pas être conçus comme normatifs34. En priorité, les reconstituteurs approchés évoquent les possibilités qu’offre la reconstitution de se détacher pour un temps du quotidien, en faisant des expériences autrement impossibles. Pour un enquêté pratiquant la reconstitution du Viking Age, « le maître mot de la reconstitution, c’est retrouver des rythmes naturels35 ». Dans certains cas, le rapprochement avec la nature est évoqué, de même que la redécouverte de rythme et de techniques traditionnels. Une minorité exprime même une forme de recherche spirituelle, notamment en relation avec les contextes relatifs au paganisme nordique36.

18Ces témoignages montrent que la reconstitution n’est pas détachée d’une passion pour le Moyen Âge, qui reste un « âge des possibles » dans lequel s’expriment différentes valeurs pourtant très contemporaines, tels que l’écologie ou le rapport des genres. Comme le note Tommaso di Carpegna Falconieri, ce passé médiéval constitue un foyer de référence pour la définition d’une identité37. Sauf exception toutefois, l’ensemble de ces motivations ne doit pas être conçu comme l’expression d’une nostalgie du Moyen Âge. Si certains reconstituteurs expriment des points de vue qui laissent supposer une forme d’idéalisation du passé et un Moyen Âge conçu comme porteur de sens à des niveaux très différents, pour une majorité la reconstitution reste une simple activité de loisir, dont le but est à la fois la re-création et la récréation.

Conclusion : Médiévalisme « savant » ou médiévisme « populaire »

19En tant que représentation du passé, la reconstitution historique est un miroir des intérêts contemporains pour le Moyen Âge : un phénomène qui en dit plus sur notre présent et notre rapport au passé que sur la période médiévale en elle-même38. Son étude fait apparaître les tensions qui existent entre son objectif d’historicité théorique et les modes de réalisations de celui-ci qui l’inscrivent bien dans le cadre du médiévalisme. Il serait toutefois trop aisé de porter un jugement sur cette pratique au vu de ces éléments, notamment en opposant de manière trop manichéenne les usages scientifiques des réceptions populaires.

20La question est finalement de savoir comment nous regardons ce médiévalisme. Il s’agit bien d’une appropriation de l’objet d’étude scientifique du médiévisme en dehors des universités qui suppose davantage de biais dans sa représentation. Mais l’étude du Moyen Âge que l’on se plaît à opposer à ce médiévalisme populaire n’est-elle pas parfois elle-même empreinte de biais subjectifs, voire d’appropriations idéologiques ? Penser l’histoire reste bien une forme de représentation, de « réeffectuation » comme le notait Paul Ricœur dans la lignée de R. G. Collingwood39. Ce qui distingue cette pensée de la pure imagination, c’est son assujettissement à la méthode qui fait le « métier d’historien », selon la formule de Marc Bloch40. Or, dans la mesure où un nombre croissant de reconstituteurs sont issus de formations universitaires en histoire ou en archéologie, voire sont eux-mêmes des professionnels de ce secteur, la reconstitution semble pouvoir mettre en pratique une part de cette méthode dans la recherche documentaire, la re-création matérielle, et surtout dans l’action de médiation qu’elle opère auprès du public.

21La principale force de la reconstitution est sa dimension concrète, qui propose au public de voir, de toucher et d’essayer une matérialité restituée. Cette force est également sa plus grande faiblesse puisque la reconstitution concrète suppose des choix, des biais, et donc des erreurs. Elles sont plus ou moins conscientes, plus ou moins « coupables » aux yeux de la communauté scientifique, mais elles sont surtout moins facilement corrigeables que les hypothèses qui demeurent sur le papier ; une critique que certains archéologues ont pu adresser aux parcs archéologiques qui proposaient une vision « figée » des connaissances scientifiques, rarement corrigées par la suite41, mais également aux pratiques de l’archéologie expérimentale42. Surtout, les éléments de la reconstitution historique sont trop souvent proposés comme « authentiques », comme « le vrai Moyen Âge » à un public qui ne distingue pas nécessairement la proposition de la reconstitution d’un discours scientifique. Cette orientation rejoint plus largement les questions posées par la médiation et la vulgarisation des connaissances historiques qui fleurissent depuis plusieurs années en dehors des cadres de l’université, notamment par l’intermédiaire d’internet.

22Cette pratique se positionne donc entre un médiévalisme « savant » et un médiévisme « populaire », sans que l’on puisse réellement distinguer ces deux tendances. Il n’appartient en tout cas pas à l’historien médiéviste de porter un jugement sur leur existence et leur popularité, qui témoignent bien d’une demande sociale pour l’histoire. Il lui appartient au contraire de les comprendre et de proposer de s’y investir pour s’ouvrir à de nouveaux médias et à de nouveaux publics.