Louis XVIII, ou le sacre transcendé
p. 247-262
Texte intégral
1Roi restauré à deux reprises en 1814 et 1815, un cas de figure inédit au sein de la troisième race ; roi admiré, respecté voire à l’occasion vénéré, par la grâce de son droit de naissance qui lui a conféré une aura de légitimité innée devenue une denrée rare au xixe siècle ; roi auto-proclamé depuis 1795, et n’ayant cessé de faire la preuve depuis, envers et contre tout, de la pleine et entière conscience de son rang, ce qui a relevé pendant presque deux décennies de l’exploit, d’aucuns diraient de l’inconscience, et de la suffisance ; Louis XVIII, contre toute attente, ne sera donc jamais un roi sacré rituellement1, son règne effectif s’achevant en 1824 sans que ce rite essentiel n’ait eu lieu. Ce rapport inexistant au sacre d’un monarque pourtant viscéralement porté à incarner à son profit l’entièreté d’une légitimité traditionnelle et divine quasiment antique, est « tout simplement » incompréhensible. D’autant que le rite sacral demeure la seule pièce manquante et béante dans le décorum de la royauté restaurée, par ailleurs totalement assumé par le principal intéressé se faisant fort d’être alors le seul capable de « renouer la chaîne des temps ». Et ce, par-delà en apparence du moins (mais le sacre n’est-il pas justement la garantie ultime que les apparences sont sauves ?), le terrible dernier quart de siècle venu rompre cette légitimité traditionnelle à nulle autre pareille, et d’ailleurs demeurée irremplaçable.
2À ce manque patent et paradoxal, d’aucuns, si tant est que l’historiographie se soit assez et assez bien intéressée à l’époque, et au personnage en cause, n’ont pourtant pas manqué de prétendre apporter des explications aussi définitives qu’expéditives2. Et, qui, exposées de manière péremptoire (l’incapacité physique du souverain à accomplir et à supporter les étapes du rite sacral, l’incompatibilité de ce dernier au nouvel état des choses politique), ou irrationnelle (l’impossibilité de se faire sacrer alors même que la mort de Louis XVII pour ne pas le citer, était sujette à caution), laissent à penser qu’il ne s’agissait là que d’un point de détail de l’histoire des Restaurations3. Alors que ce déficit sacral demeure pourtant unique, que ces thèses n’apparaissent pas toujours sérieuses ou dirimantes, et que le problème demeure entier, et emporte bien des conséquences en termes de légitimité monarchique, pour les successeurs immédiats de Louis XVIII au moins. Reste à savoir si nous saurons à l’inverse apporter des réponses plus censées, ou du moins, des pistes de réflexion empruntables et exploitables, et nous préférons l’avouer d’emblée, rien n’est moins sûr. Pour relever ce défi, en « bon » Historien du Droit attaché au parallélisme binaire des formes académiques, nous nous étions efforcés de ramasser dans un plan, la synthèse de ces pistes. Mais, n’ayant ni le temps, ni l’envie de revenir sur de supposées évidences, nous allons simplement pour les plus connues, les exposer rapidement, nous réservant le droit de revenir sur les autres à notre manière, efficace, espérons-le : l’inadéquation du rite sacral classique au nouveau contexte du Royaume des Lys supposément restauré ; inadéquation politique, juridique et religieuse, que les aléas de la vie publique française contemporaine, y compris sous Louis XVIII4, ne font que renforcer au cours sous son règne effectif ; inadéquation il est vrai également physique dès 1814, et devenue patente en 1819, le rite sacral ne produisant pas qu’un demi-Dieu, mais également un roi supposé régner totalement et disposer de l’intégrité de ses moyens, de manière à pouvoir interpréter l’ensemble de la partition régalienne en public5, un rôle-titre dont la très exigeante cérémonie rémoise constitue en quelque sorte la répétition générale et inaugurale, au cours de laquelle aucun faux pas n’est permis, sauf à la vider de son sens et avec elle, la suite du règne.
3Ces explications suffisent-elles à emporter l’adhésion ? Nous ne le pensons pas, et sommes d’avis que c’est dans la psychologie politique et intime de « l’objecteur de conscience sacral » que demeure Louis XVIII, qu’il convient d’en déceler d’autres plus décisives encore. Ce qui suppose de le considérer et à rebours, et dans ce qu’il a pu pressentir de ce qu’il pouvait advenir de son royaume et de sa dynastie après lui. Et d’observer, ce qui, dans la vie publique française, a pu conforter chez lui cette décision de ne pas respecter l’obligation royale pourtant la plus respectable.
4Le sacre a en effet conservé valeur de commencement solennel du règne exprimant cette dimension religieuse consubstantielle à la royauté traditionnelle. Chaque nouveau roi, son principal acteur et bénéficiaire, ne doit donc pas en être indigne par son comportement public comme privé6. Sauf à risquer de ne plus pouvoir sacrifier à d’autres rites catholiques essentiels par peur du scandale ou par mauvaise conscience. À moins ici, que ce soit le caractère vacillant ou inexistant de sa foi qui retienne un Louis XVIII réputé être resté un « esprit libre ». Toute la question étant alors de savoir, si après un exil douloureux qui aurait pu et dû le conduire à maintes reprises à l’abdication de ses droits sacrés7, cette foi sujette à caution n’a pas été, sinon ragaillardie, du moins pour lui salvatrice. Après tout, si d’aucuns aiment depuis le xviiie siècle à se bousculer sur le chemin de l’agnostisme et de l’athéisme, pourquoi d’autres ne feraient-ils pas l’inverse, surtout après avoir été édifiés de la sorte ? Ce qui semble possible, de la part d’un prince qui, contrairement à ses semblables, a fini politiquement par apprendre de son errance, parce qu’il a su en comprendre les causes et les conséquences. Mais si tel est le cas, cela « n’arrange pas nos affaires », puisque ce « retour de flamme », cette répudiation de l’envie et de l’égoïsme chez l’ex-comte de Provence, auraient dû alors le convaincre qu’il lui fallait sacrifier au rite rémois. Une anecdote révélatrice connue va cependant dans le sens contraire : le 22 mars 1815, fuyant à nouveau vers la Belgique8, il ignore la demande que lui fait Condé9, à Lille, au sujet de la cérémonie du lavement des pieds du Jeudi Saint10, préférant déplorer la perte de ses pantoufles, vitales pour lui depuis son exil en Courlande ! Or, au-delà de cette anecdote, c’est du pouvoir thaumaturgique des rois de France puisant sa source dans le rite sacral dont il est question, restant à savoir si Louis XVIII le juge sérieux, adapté au xixe siècle, et s’il croit le détenir, même sans sacre.
5Sa conviction paraît en effet inébranlable que son véritable sacre a eu lieu in pectore dès qu’il s’est présenté à la face de la Révolution et de l’Europe comme roi en 1795. Sentiment intime, mais surtout politique, en droite ligne de l’absolutisme de droit divin dont il vient de relever le sceptre, et n’admettant aucune discontinuité à ce niveau ultime n’appartenant de droit qu’à lui : aucun rite sacral ne pouvant être organisé, le roi se serait donc convaincu qu’il était sacré de manière rentrée11. Thèse légitime, quand on connaît son orgueil racial, et sa certitude que ce droit du sang vaut bien « toutes les messes ». Si devenu roi de France effectif, il ne s’est guère précipité pour se faire sacrer, ce ne serait donc pas par peur, prudence, ou par la grâce de son indéniable intelligence politique, mais bien à cause de ce sentiment de supériorité innée. Thèse défendable, quand on sait que l’ancien Droit public ne craignait pas d’affirmer qu’en certaines circonstances, à commencer par le sacre, le roi devenait aussi l’élu du Peuple par acclamation muette, même si lors de la Séance royale du 4 juin 1814, les acclamations expresses seront-elles de rigueur, et équivaudront à un sacre élitiste. Louis XVIII serait donc devenu implicitement roi sacré en toute complétude dès 1795, en incarnant cette « royauté du silence » rendue nécessaire par des persécutions révolutionnaires inédites12. Quant à cette séance inaugurale, politique, et constitutionnelle13, elle relativise et les Lois fondamentales évidentes (censées être reprises et complétées au goût du jour), et l’utilité du sacre. D’autant que si la Charte fait du sacre une obligation (article 74), les promesses royales (orales, ou contenues dans la Charte), rendent superfétatoire cette formalité, qui perd ici de son effectivité juridique, et de sa dimension spirituelle et symbolique14.
6Les promesses sacrales posent d’ailleurs alors un problème majeur : garantes de la Couronne, du caractère limité du pouvoir royal, donc d’une évolution positive du règne consacré, elles sont devenues des tares congénitales inconciliables avec les nouvelletés libérales. Le droit constitutionnel contemporain exige en effet des limites écrites expresses au pouvoir royal, et la Charte, en faisant du sacre une entérination de ces dispositions, promeut un principe auquel le roi se refuse : la royauté contractuelle attentatoire à sa légitimité, même si ce contrat est alors bien réel. Le fait que la Constitution dite octroyée prescrive le sacre, risque donc d’ôter cette part de mystère dont la royauté s’est toujours plu à se parer pour mieux se protéger et dominer. De plus, la Charte étant censée résulter de lui, ce serait Louis XVIII qui imposerait le principe d’un sacre réformé, libéralisé, voire dépaysé, ce qui paraît inconcevable. Ce sacre nouvelle formule ne serait en effet plus qu’une acceptation devant Dieu de concessions intolérables, et sans être certain que son régime, bien moins assis qu’il ne le prétend, en retire le moindre profit. Pire, cela contraindrait à organiser une nouvelle Fête de la Fédération, alors que plus personne n’ignore qu’en France, le « Baiser de Lamourette » ne dure jamais longtemps, et que de la réconciliation à la profanation de l’autel sur lequel elle a été célébrée, il n’y a qu’un pas. Alors, à quoi bon se livrer à cette comédie insincère et forcée, au risque de se découvrir et de perdre sa liberté ? Et à quoi aurait rimé un sacre express en 1814-1815 plus de « vingt ans après » ? Surtout avec un roi dont le corps mystique visible à l’œil nu, prend le pas sur le corps physique prématurément vieilli et empêché. Narcisse de Salvandy n’affirmait-il pas en 1817, que « son front semble porter la Couronne depuis huit cent ans » ? Dès lors, que pèsent les fameuses 19 années, puisqu’elles sont dans la parfaite continuité d’une légitimité quasi-millénaire, seule apte (mais à travers lui seulement), à tout transcender, y compris le régicide de 1793 destiné à tuer le second corps du roi avec le premier ?
7Compte tenu de son histoire personnelle, de son parcours dynastique, et des circonstances, Louis XVIII, à défaut d’un sacre constitutif incompatible avec la lettre constitutionnelle et sa légitimité, et d’un sacre confirmatif devenu accessoire, a donc résolu d’opter tacitement pour non pas un, mais des sacres substitutifs incarnés par sa geste, et les diverses solennités mettant en scène les membres signifiants de la famille royale, aussi bien morts (parfois depuis longtemps15), que vivants (parfois depuis peu16). Avec ces rites introductifs, puis confirmatifs, la Restauration « à la Louis XVIII », en dépit des apparences qu’elle aime à se donner souvent malencontreusement, est donc plus moderne qu’elle n’y paraît. À savoir un régime parlementaire en germe17, alliant un aspect traditionnel à une réalité devenue irréversiblement libérale, qu’il entend absolument maîtriser, et non pas subir, Louis XVIII n’étant donc pas si éloigné d’un Louis-Philippe, voire d’un Napoléon III. À ceci près, c’est là l’essentiel, que lui ne transige jamais sur sa légitimité, qu’il a la chance unique de détenir et d’incarner, contrairement à tous les autres, y compris son frère, contraint de sacrifier au rite en 1825 comme un aveu de faiblesse laissant présager le pire.
8Il ne faut non plus jamais oublier qu’il existe en France une nouvelle religion alternative : le Libéralisme, avec ses textes sacrés et ses rites18, difficiles à concilier avec une cérémonie rémoise présupposant l’unanimisme politique et religieux et le rejet de toute dissidence19. Or, ce camp « opposé20 », n’étant pas prêt au moindre accommodement, le sacre classique serait alors pour lui un casus belli, le roi devant composer avec ses totems (Liberté et Égalité), et une trilogie bien plus redoutable (Révolution, Napoléon, Paris21), qui hypothèque toute expédition sacrale.
9Par ailleurs, si le droit constitutionnel français contemporain aime à parler de monarques inviolables et « sacrés » (sans pour autant garantir le respect de ces deux digues protectrices…, cf. Louis XVI), tout héritier de Clovis est bien sacré dès qu’il atteint le pouvoir suprême. Un refus d’intercession entre le roi et le Créateur qui, ne ruine pas l’utilité du rite confirmatif, mais lui dénie depuis longtemps tout pouvoir constitutif du « Fils aîné de l’Église ». Louis XVIII ne l’ignorant pas, ses faits et gestes jouent un rôle para ou pré-sacral, de façon à concilier ce que lui seul peut concilier : la souveraineté nationale héritée, et la souveraineté royale incarnée. À cet égard, et sans rien céder sur le fond et la forme22, la séance solennelle d’installation (sinon d’intronisation) du 4 juin 1814… au Palais-Bourbon, est révélatrice. Cette première depuis le 23 juin 1789, se veut en effet aussi un lit de justice, et une autoglorification des bienfaits de la royauté restaurée, censée octroyer au royaume et aux sujets, la Paix, et une constitution impossible depuis 25 ans. Ce discours inaugural du règne est aussi une « Joyeuse entrée23 », à ceci près qu’on impose le silence devant l’irruption de Sa Majesté (gravité jugée utile au regard du passé), et constitue dans la capitale un sacre dont le caractère inné, ici confirmé, n’a donc pas besoin d’être acquis rituellement ici ou ailleurs. Selon les contemporains, la cérémonie est belle et remplit son office. Bien que pour de Boigne24, qui pressentait que de sacre en bonne et due forme, il n’y aurait point, elle manque d’un recueillement religieux que seul le rite rémois aurait pu apporter, permettant à ces nouvelles « Tables de la Loi » d’être solennellement relevées par ce « Grand Peuple » de Clovis, et pas uniquement par ce parterre d’ambassadeurs de puissances soudain bienveillantes, et de notables installés ou repêchés par la bonne grâce du roi25. De plus, comme pour les États généraux de 1789, le protocole (passion bien française qui est loin de n’être qu’une question de forme26), s’avère aussi pesant27, que frustrant, les propos trop généraux de l’orateur royal (dont on comprend la prudence), échouant à rassurer les nouvelles élites, qui décèlent dans leurs devancières, un mépris à peine rentré28. Difficultés auxquelles s’ajoute, dès qu’un Bourbon est confronté à ce genre de situation, sa répugnance à énoncer certaines réformes. Ce qui ne plaide pas en faveur d’une itération sacrale traditionnelle, le moindre détail allant être exploité dangereusement contre la royauté. Confronté à cette figure imposée, Louis XVIII a même pu en concevoir une détestation le dissuadant de le renouveler sacralement. En particulier, si cet homme roué et intelligent, aimant observer et dissimuler, s’est rendu compte de ses limites visibles dans ce genre d’exercice, la traumatisante référence à Louis XVI étant cruciale dans toute cette affaire de renoncement sacral. Pleinement confiant dans la sublimité de son sang et de son rang, il se voit en nouveau « Père du Peuple », (sans partition surnaturelle thaumaturgique), refusant d’insister sur l’inné (ayant déjà bien assez à faire avec les acquis de la Révolution et du Premier Césarisme), et jugeant que ses promesses de paix et d’oubli généreux du passé, constituent des garanties plus sûres que certains simulacres, dont il vient de donner un aperçu bien assez édifiant. Confronté à une France nouvelle qui ne lui est cependant pas complètement étrangère, il s’en tient donc à la maxime : « Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire ». D’où sa répugnance à mener jusqu’à son terme sacral une geste déjà inquiétante et anachronique, sauf à montrer des fragilités (les siennes, celles de son régime), dont ne manqueraient pas de profiter certains pour calomnier et ironiser. Procédés dont la fin du xviiie siècle a démontré l’efficacité létale, faisant mentir une autre maxime : « Le ridicule ne tue pas en France ». En dépit de sa volonté affichée mais jamais concrétisée de restaurer l’intégralité du mode de vie royal29, il n’est pas sans savoir que mêmes les choses les plus douces à vivre30sont devenues impossibles, comme Versailles, mais aussi Reims, la royauté étant condamnée à être parisienne, en dépit des risques encourus.
10Les débuts du règne sont dans le même registre de précieux indices, la Première Restauration, réputée pourtant plus libérale, voyant se poursuivre cette geste passéiste hypothéquant la marche annoncée vers le rite. Si ce dernier en est en effet la conclusion logique, ces cérémoniels lancinants, ressentis comme réactionnaires, vont en effet obérer le voyage sacral, en particulier rémois. Parmi un vocabulaire politique révolu31, c’est en particulier la fameuse expression « En la dix-neuvième année de mon règne », qui suscite l’incrédulité et la moquerie32. Sauf que cette formule introduisant les actes royaux d’installation33, est pour son auteur une conviction profonde, et la meilleure des assurances pour échapper au statut funeste de roi des Français, ce sur quoi il ne transigera jamais, rendant un peu plus le sacre inutile, impossible et contreproductif, son sens étant avant tout inaugural. Effet dirimant encore renforcé par ces « nouvelletés » cérémonielles34, les symboles comptant plus que tout, ce qui convainc le roi de renoncer au rite d’intronisation ultime, surtout face aux réactions violentes des oppositions, renoncement sans doute déjà acté dans son esprit, pour préserver son statut. Dès lors, ses détracteurs ont beau gloser sur les Dix-neuf glorieuses années de son règne putatif précédant son retour « dans les fourgons » des armées d’occupation, cela n’y change pas grand-chose. L’essentiel est bien pour lui de tenir cette ligne et d’échapper à des compromissions majeures et douloureuses, ce qui rend la question du sacre accessoire. La poursuite erronée et vexatoire de cette geste inaugurale, par le Roi, la famille royale35, et la « nouvelle » Cour, donne d’ailleurs l’impression que tous sont « hors-sol », surtout avec leur penchant irrépressible pour une morbidité culpabilisatrice36. Pour le dire tout net, tout est alors à l’envers en matière cérémonielle, d’un éventuel sacre après vingt ans de règne, aux péroraisons funèbres, qui contre toute logique temporelle, le précèdent. Au point que la royauté restaurée est plus celle de Saint-Denis que de Reims, en renonçant au « charme gai et pimpant des commencements37 », pour porter un deuil sempiternel et improductif. Comment en effet imaginer qu’après la cérémonie expiatoire du 21 janvier 1815, lourde et outrée38, on puisse encore fêter quoi que ce soit à Reims, avant d’entrer « joyeusement » dans une capitale toujours prompte à craindre un nouveau Saint-Barthélemy des Patriotes ?
11Quant au roi, s’il feint de demeurer au-dessus des contingences, il sait tout, et doit concevoir des sentiments mêlés. Viscéralement attaché à sa tranquillité39, à sa sécurité, à sa dignité représentative, il n’ignore pas que le rite, déjà démonétisé à la fin du xviiie siècle40, a été fourvoyé à Notre-Dame par Napoléon41. Ce qui l’expose, soit à mettre ses pas malaisés dans ceux de son infortuné frère, au risque d’entamer sa majesté naturelle42, soit dans ceux de « l’Usurpateur », au risque d’attenter à sa légitimité naturelle43, deux précieux atouts fragiles qui ne coulaient pas de source à la fin de l’Empire dans l’esprit des Français et des souverains alliés44. D’où ses incessants pas de côté sacraux, qu’il s’agisse des objets rituels45, des trois projets initiés par lui en 1814, 1819, et 182346, ou de l’ordre donné à Gramont en 1821, à une époque où plus personne ne songe sérieusement qu’il se fera sacrer, de se rendre au couronnement de Georges IV47, comme s’il était tout naturel qu’il s’y fasse représenter, alors que lui-même n’avait pas sacrifié au rite…
12De plus, le roi est un homme seul, le sacre éventuel ne pouvant donc ici, conforter la légitimité héréditaire en ligne directe48, et d’un âge « canonique » pour un impétrant49. En revanche, il a une famille proche, certes réduite, vieillissante, peu fertile50, mais dont le parcours de vie ponctué de solennités, peut suppléer au rite, associer le peuple, et préparer sereinement un avenir éventuellement sacral. Certes, avec la Restauration, la morbidité n’est jamais loin, mais le mariage de Berry en 1816, et le baptême de son fils posthume, Bordeaux, en 1820, essentiel dévolutivement, sont des cérémonies heureuses et consolatrices, y compris de l’absence du rite51. Dans les années 1820, « l’Enfant du Miracle » est ainsi un autre « gentil Dauphin » venant relever une dynastie particulièrement éprouvée. Sans compter la Duchesse d’Angoulême, « L’Archange de la Restauration », la seule à détenir avec son neveu et le roi cette légitimité dont les autres « royaux » semblent privés, et qui joue « avant-dire-droit52 » le rôle de Reine, Louis XVIII ne cessant de s’afficher avec elle, et la convainquant en 1817 de publier ses mémoires à fins d’édification53. En revanche, furieux et inquiet des opinions de son frère et héritier, il n’entend pas l’associer davantage au trône depuis longtemps monocéphale, un voyage rémois risquant de lui donner une importance dangereuse, et de priver Louis XVIII de cette marge de manœuvre politique dont il fait encore usage subtilement. Se faire sacrer serait donc aussi pour lui, la promesse de faire d’Artois un Rex designatus, et ruinerait l’œuvre de réconciliation entreprise54. Reste une question lancinante : celle de Louis XVII. Les conditions troubles et terribles de sa disparition expliquent l’irruption de Louis XVIII en 1795, et son désir d’incarner l’instantanéité et la continuité parfaites. Elles ne sont pas non plus pour rien dans ses réticences sacrales, le mystère Louis XVII55, ne facilitant pas les choses du point de vue mémoriel et cérémoniel56. Faute de culte dédié au petit Roi martyr et de cérémonie à Saint-Denis, sans doute parce que Louis XVIII n’entend pas lui donner trop d’importance, le trouble persiste donc, qui parasite un peu plus la marche sacrale, et encore davantage sous la Seconde Restauration, quand les Ultras n’hésitent plus à attaquer la légitimité jusqu’ici sacrée du roi57. Drôle d’atmosphère qui ne prête guère aux réjouissances sacrales, l’apostrophe de Chateaubriand à ses Pairs en 1816 : « Capet, Dors-tu ? », ne faisant rien pour clouer cet encombrant cercueil58. Certes, un sacre en mode mineur remis au goût du jour, et/ou dépaysé en un lieu moins marqué demeure envisageable, d’autant que les Bourbons aiment à se référer à la figure originelle et la plus populaire de leur dynastie : Henri IV59. Exemplarité henricienne revendiquée, qui aurait pu conduire à un compromis sacral géographique, à ceci près que les lieux assez emblématiques pour accueillir ce rite majeur ne sont pas légion60, Saint-Denis étant déjà plus que sollicitée, et demeurant une nécropole… Resterait donc Chartres, mais ne serait-ce pas l’aveu que Paris n’est pas si ouverte qu’elle n’y paraît ? Et plus généralement, le sacre peut-il être encore au xixe siècle une « cérémonie de vie », et non un enterrement en grande pompe61 ? D’autant que si la légitimité de Louis XVIII ne souffre aucun doute, il n’est pas sûr qu’elle soit transmissible, et c’est bien là le talon d’Achille du régime. Pour preuve, la Charte ne précise pas qu’elle réintroduit en France une royauté héréditaire bourbonienne en ligne masculine62, alors qu’elle insiste sur le caractère sacré et inviolable de la personne physique et politique de Louis XVIII, le premier de ces adjectifs immunitaires rendant d’ailleurs accessoire une confirmation rituelle. L’ancienne Constitution du Royaume ne faisant pas mention du sacre, qui, comme d’autres institutions para-constitutionnelles63, était une « loi organique » muette, Louis XVIII, intuitu personae, incarne donc l’élection du Royaume des Lys par Dieu sans aucune intercession, mais plus le caractère immortel du principe monarchique.
13Pour autant, la question de la force et de l’utilité du rituel64, reste posée, rituel consécratif jamais obvié assurant que le récipiendaire, sous peine de parjure, se gardera de porter atteinte à la Foi et au Bien commun. Et qui, loin d’engendrer un Dieu vivant potentiellement tyrannique, garantit la préservation du savant équilibre de la société française. Toute la question est donc de savoir si en son absence, ces dérives sont possibles, et le roi suffisamment protégé. Problème d’autant plus crucial pour Louis XVIII en 1814, que cette mythologie royale ponctuée de sacres, n’est pas parvenue à éviter l’irréparable en 1793, ce qui doit l’interroger plus que de raison. Certes, le fait qu’à sa manière bien particulière, Napoléon s’y soit plié, aurait pu le convaincre, comme devraient le faire les réactions populaires spontanées et inespérées au retour des Bourbons. En revanche, la nouvelle promesse sacrale exigée constitutionnellement produit chez lui l’effet inverse, tant elle vicie le rituel et y introduit un « venin » libéral incongru. S’il recueille en 1814 les fruits de ce qu’il a semé envers et contre tout depuis 1795 tant il était sûr de son droit éminent à régner (attitude admirée même par le redoutable Chateaubriand), la question demeure bien de savoir s’il a alors la volonté sincère et entière de se faire sacrer. En public, renouant avec la tradition du libre accès au roi, il précise certes dès 1814 qu’il entend bien y sacrifier, fait d’ailleurs inédit65, et ordonne des préparatifs dès mai 181466. Ce qui interroge : soit la lettre morte sacrale au cours des deux premières années de son règne effectif67, n’est que le résultat des circonstances, soit elle résulte de ses manœuvres de diversion. Sous la Seconde Restauration, le sacre est exigé en 1816 par la Chambre introuvable (ce qui n’est pas de bon augure), les arguments développés par l’orateur ultra, Marcellus68, étant peu cohérents : s’il prétend que la sacralité royale ne doit rien au rite, il affirme en effet que ce dernier est indispensable à une royauté fragilisée par les Cent Jours, soit exactement ce que Louis XVIII ne veut pas entendre69. En 1818-1819, c’est pourtant lui qui annonce son sacre pour le 1er décembre 181870, lors du Discours du Trône, « [prenant] à témoin Dieu par qui règnent les Rois ». Mais sa sincérité est alors sujette à caution71 : il inscrit en effet le sacre à l’ordre du jour de la session parlementaire (curieuse façon d’associer un rite extraordinaire au temps politique), et dit l’avoir différé jusqu’à qu’une « heureuse époque » ne revienne (laquelle ?), excipant de son désir (bien tardif) d’appliquer la prescription sacrale de la Charte, par le fait que les Français sont désormais « franchement ralliés par un sentiment unanime » à cette dernière… Ce discours, trop optimiste de la part de ce sceptique, est surtout trop politique sur ce sujet, et il demeure bien vague sur la date72, et sur le lieu, le Roi n’ignorant pas que le sacre donnera lieu pour le moins à débat. Pour preuve, les inévitables brochures ne tardent pas73, certaines se référant même aux travaux du Comité de Constitution de 1791, qui crut bon de se mêler aussi de cette question pour mieux vider le rituel de sa sacralité. Pire, en 1819, ces libellistes ne veulent comme seule promesse sacrale que le serment constitutionnel, exigeant une loi organique, et à titre de précaution, qu’Artois se soumette aussi au nouveau rituel74, de même que tous les rois ultérieurs75. Quant à la commission sacrale officiellement installée le 18 février 181976, ses hésitations géographiques et juridiques obèrent un peu plus la perspective d’une issue favorable77. Si elle libéralise nettement le sacre dès avril 181978, cette coupe réglée interroge encore : à quoi bon recourir à un ersatz de rite, dont le roi n’approuve le principe que pour mieux obvier79, d’autant que la référence systématique à 1791 ne peut manquer de l’horrifier… S’est-il pour autant désintéressé totalement de son propre sacre ? Personne n’en sera jamais d’accord, d’aucuns pensant que seul l’état de son corps physique et mortel, l’a empêché de sublimer son corps mystique et immortel80. Ce qui reste à prouver, son caractère étant labyrinthique81, même si bien des indices existent donc de son scepticisme sacral.
14Le paradoxe Louis XVIII est en tout cas patent : roi modéré, raisonnable, voire moderne en renonçant au sacre, sa figure est néanmoins ostracisée, victime d’une véritable Damnatio Memoriae82. Du prince arrogant sous l’absolutisme, au Prétendant pathétique et réactionnaire83, en passant par le personnage trouble fuyant la Révolution, et l’éternel itinérant, il n’a jamais eu bonne presse sous son règne putatif. De plus, la Restauration ne suscitant ni admiration, ni regret, son premier roi, précision d’importance, a encore le malheur d’être pris historiquement en étau, et d’être condamné au mieux à l’insignifiance. Même ses qualités, comparées aux autres monarques du xixe siècle, et à son frère aîné, et sa prudente intelligence, qui l’a notamment poussé à renoncer au sacre, ne plaident pas en sa faveur. Ses contempteurs, pas à une contradiction près, l’accusent même d’avoir doublement dévoyé le rite, en refusant de s’y livrer, et en incitant son frère à y recourir archaïquement, pour mieux se parjurer. Alors que c’est le seul monarque qui ait pourtant réussi à prouver qu’« impossible n’est pas français », en réchappant à la malédiction révolutionnaire. Certes, il en est en partie responsable, tant son intransigeance de sang, et sa légitimité propre en imposent, et indisposent tous ceux qui en sont incapables, lui seul ayant su réincarner cette monarchie naturelle, peut-être même depuis 1774… D’une manière tout, sauf anecdotique, les représentations picturales officielles du « roi restauré, quoique jamais sacré », illustrent volontairement ce paradoxe, avec cette aura de mystères et de contradictions savamment assumés et entretenus. Les réactions aux deux portraits commandés à Gérard sont ainsi diamétralement opposées : on admire la simplicité paisible et rassurante du roi représenté dans son cabinet des Tuileries84, et on s’émeut du portrait en habit de sacre, dont l’existence même, validation par le représenté de sa propre représentation à l’appui, est hautement révélatrice, avec un Louis XVIII pleinement majestueux, couronné et sacré, et semblant même avoir prêté la nouvelle promesse sacrale constitutionnelle ! D’où ces réactions hostiles de tous bords, bien vaines face à cette légitimité qui permet toutes les audaces, y compris iconographiques. Pour preuve, sur un autre de ses portraits sacraux85, le roi ne craint pas de faire figurer un exemplaire de la Charte sous la Couronne ! Exploitant avec superbe tous ses renoncements symboliques, avant tout par clairvoyance face à l’immensité du défi à relever, il parvient au cours de ces années de sacre virtuel, à user des repères traditionnels et des occasions parlementaristes, pour incarner encore et toujours la légitimité, et sans craindre de se renier, puisqu’il n’y eut pas davantage de Concordat de 1817 que de sacre. Mais est-ce là l’essentiel, le véritable sacre de Louis XVIII résidant dans le fait qu’il est le seul monarque depuis 1789, à être mort naturellement en fonction, et à être parvenu, sinon à faire souche, du moins, à transmettre le sceptre à son successeur légitime, sans avoir à subir comme tous les autres les affres de l’émeute révolutionnaire et de l’exil sans retour86, désespérant et humiliant, en ce qu’il condamne sans rémission l’exilé, sa famille et ses partisans à mener un vain combat87.
Notes de bas de page
1 Le seul dans ce cas depuis 751 à l’exception de Jean Ier le Posthume… et pour certains de Louis XVII.
2 Comme souvent, les meilleurs biographes de nos rois sont étrangers, et surtout Anglais, à l’image de Philip Mansel pour Louis XVIII, bien qu’Évelyne Lever soit ici d’un précieux secours, de même que le Duc de Castries, qui n’est guère tendre avec son sujet. Toutefois, en dépit de leurs efforts, ce roi et la Restauration demeureraient incompris, si un historien bien français, avec sa manière à nulle autre pareille d’aborder les questions, (bien qu’il se refuse à « biographer » Louis XVIII), Emmanuel de Waresquiel, n’avait pas apporté sa contribution. Cf. sur cet auteur : C’est la Révolution qui continue ! La Restauraution. 1814-1830, Paris, Tallandier, 2015, 429 p., et en particulier son constat sur l’inutilité du sacre ; Un groupe d’hommes considérables. Les Pairs de France et la Chambre des Pairs héréditaire sous la Restauration. 1814-1831, Paris, Fayard, 2006 ; Histoire de la Restauration.1814-1830. Naissance de la France moderne, Paris, Perrin, 1996, réédition Tempus, 2002 ; Cent Jours. La tentation de l’impossible. Mars-Juillet 1815, Paris, Fayard, 2008, coll. « texto », 2014, 682 p., d’autant plus passionnant qu’il envisage cette période sous l’angle de Louis XVIII ; et enfin, (sous la direction de), Les Lys et la République. Henri, Comte de Chambord. 1820-1883, Domaine national de Chambord, Paris, Tallandier, 2015, 268 p., et tout particulièrement son remarquable avant-propos : « Le Chambordisme, un romantisme du désespoir », qui a le seul défaut de tout juste commencer un portrait de Louis XVIII (p. 11-23), sans compter la mise en exergue dans cet ouvrage de la Déclaration suédoise de Kalmar du Roi en 1804, sans doute son texte le plus éclairant pour notre propos : « Jamais on n’opposa le Droit au Crime, le successeur de trente Rois à des tyrans éphémères, la Légitimité à la Révolution », ce qui en dit long sur le sacre rentré de Louis XVIII… Reste qu’il est fort regrettable que ce régime politique soit oublié et méprisé, aussi bien dans les programmes scolaires, à l’université, et dans la geste de nos responsables politiques et culturels, omerta dédaigneuse qui abuse de la figure de Charles X comme exécutoire, et omet sciemment de rappeler que Louis XVIII est le seul monarque du xixe siècle qui ait réussi à mener avec succès son règne jusqu’à son terme…
3 Ce qui est plus étonnant chez cette fois des auteurs sérieux, documentés, et qui n’instruisent pas qu’à charge, ce déficit sacral étant simplement évoqué comme ayant des causes évidentes et visibles, alors que chez lui, tout est au contraire complexe et impénétrable.
4 Les Cent Jours, avec pour conséquence, la réaction Ultra, et les répliques pesantes de ce raidissement politique après le « régicide » de Berry…
5 Devoirs de représentation civils et militaires compris (cf. les inévitables stations debout et les marches à cheval…).
6 La frontière entre les deux étant tenue, du moins sous l’Ancien Régime, et les Français n’aimant pas à penser que leur Roi privilégie sa vie privée et encore moins, qu’elle soit débauchée.
7 Qui pouvait en effet penser, à commencer par lui, ou à part lui, qu’une restauration était envisageable, en 1793-1794, à l’acmé de la Révolution, ou en 1810-1811, alors que l’Empereur était au faîte de sa puissance ?
8 Cette anecdote des pantoufles livre une partie des fragilités intimes d’un roi par ailleurs imposant et impénétrable en public, mais dont le corps et l’esprit ont été durement éprouvés dans des conditions de précarité que jamais un Bourbon de Versailles n’aurait été capable d’imaginer. Bouleversement des vies et des sentiments que « Mesdames Tantes » ont eu également tout le loisir d’éprouver, bien que leur sexe les expose moins à la vindicte (cf. leur traversée épique vers l’Italie, et leur sentiment en 1793-1794, que les révolutionnaires veulent éradiquer tous les Bourbons). Le tout n’étant pas sans rappeler le sort bien plus funeste encore des Romanov… L’échappatoire belge étant décidément pour lui salvateur : cf. à ce sujet le remarquable ouvrage précité d’Emmanuel de Waresquiel, et ses passages sur « La Semaine sainte ».
9 Dernier du nom à le porter, il et le chef de la branche cadette des Bourbons aînés, devenue stérile à la suite du « régicide » voulu par Bonaparte, le meurtre d’Enghien en 1804, son petit-fils. Notons que la pompe funèbre de Condé en 1818 prendra place parmi les grands jalons cérémoniels qui pallieront le déficit sacral (cf. à ce sujet la thèse précieuse de Françoise Waquet sur « Les Fêtes de la Restauration », qu’elles soient morbides, joyeuses, ou auliques).
10 Le roi thaumaturge, cher à Marc Bloch, existerait donc bien en lui-même en dehors de tout sacre…
11 Si la référence à Henri IV deviendra une constante sous la Restauration, autre manière de « renouer la chaîne des temps », cette propagande ne vaut pas pour le sacre, Henri IV ayant fini par se faire oindre à Chartres en 1593, et le principe monarchique n’étant pas alors renié.
12 Un silence tout relatif : cf. ses proclamations récurrentes et inopportunes qui ne recueillent au mieux qu’un silence poli, et surtout sa (trop) fameuse Déclaration de Vérone en 1795.
13 Qui rappelle en mode majeur et dans un contexte autrement plus favorable, celle de Louis XVI le 23 juin 1789, qui initiait cette synthèse entre royauté traditionnelle et libéralisme politique.
14 Les promesses sacrales traditionnelles font figure pour certains d’oripeaux anachroniques devant être supprimés. Mais à quoi bon alors recourir au sacre, s’il n’est plus qu’un pastiche et une simple concession aux temps présents, dont les étapes seraient dictées par les nécessités politiques ?
15 Cf. les martyrs dynastes : Louis XVI, Marie-Antoinette, Madame Élizabeth, puis Enghien (en 1804), mais pas Louis XVII… Et plus loin encore, les autres rois Bourbons.
16 Bordeaux évidemment.
17 La Charte n’institue pas une royauté parlementaire de jure, mais contient des dispositions propres à la fonder, et que la pratique fera évoluer en ce sens, parfois contre toute logique politique, comme quand les Ultras de la « Chambre introuvable » se convertiront au parlementarisme par opportunisme. Tendance que la Charte révisée de 1830 et juillet ne feront qu’amplifier, au point qu’il n’est pas rare que la royauté des années 1814-1848 soit qualifiée de régime parlementaire, le seul véritable peut-être même que nous ayons eu, parce que non dévoyé en régime d’Assemblée.
18 Dont des dogmes constitutionnels imparables consacrés par le « Droit public des Français » de la Charte, mais encore, une volonté d’intronisation des nouveaux dirigeants, y compris monarchiques…
19 Cf. la fameuse promesse de « chasser les hérétiques [de tous bords du] Royaume », souvent évoquée dès 1814 pour discréditer le rite, alors qu’Henri IV, pour des raisons évidentes, y avait renoncé, ce qui confirme le fait que le sacre est plus souple qu’il n’y parait et que d’aucuns le prétendent, mais pas au point toutefois, d’être vidé de son sens spirituel premier.
20 Libéraux « avancés », néo-jacobins, certains bonapartistes, la question étant de savoir si le Roi accepte d’être réduit à une posture politique à ce sujet, alors qu’il n’a aucune intention de se découvrir et de se départir de sa Majesté.
21 D’où les projets sacraux parisiens, parfois à Notre-Dame, en dépit ou à cause de l’ombre envahissante de Napoléon.
22 Louis XVIII n’étant un roi ni des Français, ni « du balcon de l’Hôtel de Ville »…
23 Notons que les « Joyeuses entrées » du roi et des membres de la famille royale ont déjà eu lieu, à commencer par celle d’Artois, alors qu’elles sont censées être postérieures au sacre, en particulier quand un nouveau roi se présente officiellement à Paris.
24 Madame de Boigne, la mémorialiste.
25 Sont présents, outre les diplomates, les nouveaux parlementaires bicaméraux pas tous choisis librement par le roi, qui, tout en refusant par sa Déclaration de Saint-Ouen du 2 mai 1814, la « Constitution de rentes » du Sénat et de Talleyrand du 6 avril, a dû coopter des parlementaires et de notables césaristes, afin de donner du corps à sa politique de synthèse… et à pouvoir surveiller ses opposants, vieille recette capétienne utilisée en son temps avec succès par un certain Henri IV…
26 Que retient-on en effet du jeu politique éternel, sinon ces détails symboliques dans lesquels se cachent et le Diable, et la Sainte Providence ?
27 Cf. les costumes, qui montrent que la fusion des noblesses sera périlleuse ; l’omniprésence de la Maison militaire du roi reconstituée immédiatement par Louis XVIII dans son état antérieur aux désastreuses coupes effectuées par Louis XVI dans son appareil sécuritaire (avec les conséquences que l’on sait…), sa mise en avant étant un signal fort adressé aux ennemis de la royauté, laquelle n’a plus vocation au sacrifice, même si cette troupe protocolaire toute de subtiles dignités nobiliaires, ne sera guère utile en 1815, au point que Louis XVIII la remplacera par une garde royale réunifiée de plusieurs milliers d’hommes, qui mieux commandée, auraient pu peut-être sauver la situation en 1830, si les Bourbons n’avaient pas aussi peur de finir comme Louis XVI ; plus globalement, ce protocole est ressenti comme rétrograde, ridicule, et rappelant l’incompréhension mutuelle entre les officiers délicats de la Cour et les députés du Tiers en 1789.
28 La fusion des élites, en particulier nobiliaires, est une question essentielle en 1814, comme jamais peut-être depuis les Invasions, et dont dépend en grande partie la pérennité du régime porté en cette séance sur les fonts baptismaux par un Louis XVIII ayant tout intérêt à ne pas céder comme Louis XVI aux revendications réactionnaires d’une aristocratie toujours encline à oublier ses origines parfois douteuses, et ne voulant pas se commettre le « commun des mortels ».
29 En résidant à Versailles les six beaux mois de l’année, volonté restée lettre morte, comme pour tous ses successeurs couronnés… et autres.
30 Même si l’observation du rite rémois, même allégé, ne rentre sûrement pas pour Louis XVIII, dans ce que Talleyrand qualifie d’inimitable douceur de vivre de l’Ancien Régime…
31 Qui ne sert souvent qu’à dissimuler d’indispensables concessions au Libéralisme.
32 Aussi bien en France, qu’auprès des Alliés éberlués par une telle arrogance, Louis XVIII étant il est vrai, l’archétype du roi ingrat, tout en prêtant beaucoup moins à l’ironie que Louis XVI et Artois, en dépit de la fameuse caricature représentant un ouvrage relatif à ces années de règne putatives, de 1795 à 1814, aux pages désespérément vierges.
33 À commencer par la décisive Déclaration de Saint-Ouen, véritable manifeste constitutionnel garantissant la théorie du droit divin.
34 Processions de la Fête-Dieu, très (trop) nombreuses cérémonies expiatoires, exaltation de la Saint-Louis chaque 25 août…
35 À commencer par Madame Royale, dont la rudesse bien explicable ne fait rien pour fortifier la perspective d’un rite sacral réconciliateur.
36 Destinée dans leur esprit, à punir les régicides et assimilés que le châtiment divin n’a pas encore rattrapés, et à édifier une masse populaire accusée d’avoir laisser-faire.
37 Grâce soit rendue de cette si belle et si juste expression à l’auteur de Sire, l’inégalable Jean Raspail.
38 Et qui ne suscite guère d’émotion, mais au mieux, une indifférence populaire inquiétante.
39 Douce habitude prise en exil, bien loin de l’exposition versaillaise.
40 La perspective du sacre de Louis XVI a en effet suscité dans les années 1774-1775 de nombreuses polémiques nourries par l’influence corrosive des Lumières, sinon sur le principe du sacre, du moins sur ses modalités, le comportement privé des rois précédents ayant beaucoup nuit à sa crédibilité et à celle des rites royaux.
41 Dans un décor en carton-pâte, et avec un Pape réduit en à la position d’alibi religieux, le tout ressemblant plus à un auto-couronnement qu’à un sacre en bonne et due forme.
42 Reconnaissons pour une fois de la fermeté à Louis XVI, qui a refusé en 1775 de transiger sur son sacre, bien qu’il ne soit pas non plus la dignité incarnée.
43 La question de la localisation du sacre, par le simple fait qu’elle existe, en dit long sur le caractère désormais non évident du rite.
44 L’oubli des Bourbons par une génération de Français, et leur discrédit en raison de leurs erreurs et de leur échec convulsif de 1789-1792 aidant : Louis XVIII n’est pas la seule solution envisagée pour la France par les Alliés en 1814, qui, en fonction, et de leurs inclinaisons politiques et intérêts, ont songé au maintien de l’Empire avec Napoléon II sous la Régence de Marie-Louise, à une royauté alternative Orléans, voire à une République confiée à La Fayette.
45 Le manteau, l’hymne, la Couronne même… à propos desquels nous avons décidé de ne pas épiloguer, ces oripeaux étant le seul héritage du roi en la matière (cf. la messe mise en musique), à titre de leurres efficaces, comme si le roi faisait croire qu’il s’était bien fait sacrer, pour éviter le piège tendu par la Réaction et certains libéraux.
46 Cf. Françoise Waquet, le roi ayant mandaté des architectes décorateurs et des couturiers, et son gouvernement étant allé assez loin dans la préparation du cérémoniel et le règlement des problèmes divers pouvant en découler. Ces trois projets de sacre, que nous avons choisi aussi de traiter de manière incidente, posent question : relèvent-ils de l’affichage ou sont-ils sincères de la part du roi ? Sont-ils réalistes ? À eux trois, marquent-ils une évolution, et laquelle ?
47 Il fait même accompagner cet émissaire issu d’une grande famille d’Ancien Régime, d’un de ses semblables, et de deux « Modernes », ses vrais représentants, les maréchaux Oudinot et Pérignon…
48 Marié à une princesse de Savoie fort disgracieuse en 1771, il verra son union demeurer stérile et se déliter, et on ne lui connaît pas d’enfants naturels. Vivant de facto séparé de cette dernière Reine de France putative qui mourra en 1810.
49 En 1819, Louis XV est mort au même âge en 1774… après 59 années de règne effectif !
50 En 1814, Artois a 57 ans, son fils aîné Angoulême 39, son frère Berry, 37 ; le couple Angoulême étant stérile comme celui du roi, tout repose sur Berry, Bordeaux étant donc en 1820 le seul rempart entre le Trône et les Orléans.
51 Chambord ne recevra pas non plus l’onction, et la refusera même indirectement en 1871-1873…
52 Si la première abdication de Charles X en fait bien une reine.
53 Ce qui lui sert à exorciser le spectre Louis XVII, à tel point qu’en 1823 encore, alors qu’il n’a plus aucune chance sérieuse d’être sacré, mais toutes les chances d’aller rapidement à Saint-Denis, il la convainc d’en livrer une seconde version moins expurgée, à toutes fins utiles…
54 Cette pratique du Rex designatus et du sacre anticipé, instaurée au début de la troisième race pour imposer le principe d’hérédité, a été abandonnée dès que possible à l’initiative de Philippe-Auguste.
55 Cf. la littérature abondante à ce sujet, les tests ADN n’emportant la conviction, ni des survivantistes, ni de certains scientifiques et historiens, comme pour les Romanov.
56 La sinistre fosse commune du cimetière Sainte-Marguerite empêche encore sous la Restauration, qu’une cérémonie expiatoire lève cette hypothèque lancinante qui trouble l’esprit des dynastes (à commencer par Madame Royale, qui refuse tout net d’aller prier sur la supposée tombe anonyme de son frère), et des royalistes.
57 Certains le qualifient même alors de « Jacobin couronné ».
58 Le roi ordonne alors très mollement, que l’on effectue des recherches au cimetière, qui ne donnent rien de tangible, sauf peut-être la conviction chez lui que le sacre serait pour cette raison aussi une erreur fatale. Par le jeu d’une de ces cruelles ironies dont l’Histoire est friande, c’est Louis-Philippe, « l’Usurpateur » qui ordonne l’exhumation en 1846, le roi des Français étant décidément le consolateur des âmes monarchiques perdues (cf. le retour funèbre de Napoléon), sans se rendre compte, à l’inverse de Louis XVIII, qu’agir ainsi, ne lui vaudra aucune gratitude populaire et politique, et achèvera de fragiliser sa légitimité déjà des plus tenue.
59 Dont la bonhomie et la tolérance religieuse constituent ici des gages propagandistes providentiels.
60 Notre-Dame, qui paraissait tout indiquée, ayant été « souillée » par le couronnement de 1804.
61 Cf. l’ironie moribonde du roi au sujet de son frère, qui entend se faire sacrer à Reims : « Charles attend(s) ! »
62 Contrairement au projet de Constitution de Talleyrand, lequel avait pris soin de préciser perfidement que « le Peuple français [SIC] rappelait librement au Trône « Louis Stanislas Xavier, frère du dernier roi » ».
63 La Régence, et plus généralement, les dispositions relatives aux empêchements royaux.
64 Qui s’il avait été superfétatoire, aurait été remisé dans les coulisses monarchiques d’un Ancien Régime loin d’être aussi immuable qu’on le pense, y compris en ce qui concerne le rituel sacral.
65 Fait inédit, les souverains Alliés sont présents sur le sol français, et pourraient être ainsi opportunément édifiés sur la justesse de leur choix et la prééminence recouvrée de la royauté bourbonienne.
66 Le Grand Maître des Cérémonies doit lui rendre un rapport dès novembre sur les points organisationnels délicats (le lieu, les modalités, le financement), on fait commander, exécuter et payer un manteau sacral, verser une avance importante au brodeur Dallemagne pour les habits et ornements de rigueur, et on mandate l’architecte Bélanger pour préparer des croquis d’aménagement de la cathédrale rémoise, le tout, par ordre du ministre de la Maison du roi, et avec la contribution de l’architecte d’intérieur de Napoléon, Percier.
67 Délai de décence déjà bien long, après tant d’attente, et compte tenu de l’âge très avancé de l’impétrant.
68 Un ancien député girondin.
69 D’autant qu’il préconise un sacre supposé réparateur à Notre-Dame.
70 Veille de la date fétiche des Bonaparte…
71 Sentant l’opposition ultraciste de plus en plus pressante contre Decazes, il entend certainement lui prouver qu’il est encore en mesure politique et physique de tenir les rênes de l’État.
72 Bien que la Saint-Louis soit à nouveau évoquée comme en 1814.
73 Les libelles et pamphlets passent au crible les promesses sacrales traditionnelles, pour mieux souligner leur anachronisme intolérant totalement incompatible avec la nouvelle organisation sociale issue de 1789.
74 Ce qui doit ulcérer le roi, et lui faire prendre conscience de la fragilité de sa dynastie, les limites et excès d’Artois rejaillissant ici sur le « splendide isolement » de son aîné.
75 Ce qui rappelle fâcheusement la subordination constitutionnelle de Louis XVI après Varennes. Quant aux opuscules rémois qui ripostent au nom de la défense de la tradition sacrale, au motif que seul le rite traditionnel dans la « Ville de la Légitimité » effacera le régicide et l’usurpation réunis, ils n’arrangent pas les affaires de Louis XVIII, Decazes penchant lui d’abord pour un rite parisien et « réformé ».
76 Composée de personnalités politiques et administratives éminentes (sans Decazes), elle optera à titre de compromis entre les extrêmes en faveur de Saint-Denis.
77 Cf. les pertes de temps accumulées, l’étrangeté d’un sacre aussi tardif, et l’état de santé de son principal acteur.
78 Suppression des anciens Pairs, des serments traditionnels, du cérémoniel introductif (pour préserver la dignité royale surtout), du couronnement (considéré acté en 1814, voire en 1795, au grand plaisir du roi sans doute), de certains cérémoniels intermédiaires, et surtout conclusifs (le toucher des écrouelles, un rite emblématique pourtant).
79 Le troisième projet, tardif et peu consistant (hormis le choix de Sainte-Geneviève, à titre de compromis entre la Révolution et la Tradition), n’a plus guère de sens.
80 Et non pas d’autres considérations fantasmagoriques : la survivance de son neveu, le refus de Rome de voir un autre monarque français sacré, tant que Napoléon vivait, et le pseudo sacre de Louis XVIII par… Talleyrand lors de son exil à Mitau !
81 Les partisans de la thèse de l’attachement de Louis XVIII au rite soulignent que c’est grâce à lui que le sacre de son frère a été facilité et accéléré (cf. les archives sacrales constituées dès 1814, et les meubles sacraux réalisés sur son ordre).
82 Qui connaît en effet encore Louis XVIII, et quels espaces publics portent-ils son nom ?
83 Au désespoir des royalistes modérés de l’intérieur (après avoir fait celui du couple royal otage), bien près du pouvoir à partir de 1795, il exige en effet alors le retour à l’absolutisme, et refuse le pardon aux régicides et aux acquéreurs de Biens nationaux, ce qui causera durablement des torts immenses à la cause royaliste, qui aurait sans doute mieux trouvé à s’épanouir avec un Louis XVII jamais compromis avec l’Ancien Régime.
84 Avec le fameux petit bureau en bois brut en provenance de l’exil de Mitau et d’Hartwell, que l’on peut encore admirer au château d’Haroué, grâce au legs Cayla.
85 Celui de Guérin en 1820 (cf. aussi celui de Gros) : est-ce pour signifier qu’elle repose sur ce texte, ou qu’elle en fait fi ?
86 Lui seul étant parvenu à revenir d’exil pour reprendre le pouvoir et surtout à s’y maintenir.
87 Ce qui a été le cas de Louis XVI en 1791-1792, puis au xixe siècle, de deux empereurs et de deux rois : Napoléon Ier en 1814-1815, Charles X en 1830, Louis-Philippe Ier en 1848, et Napoléon III en 1870.
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