1Rituel essentiel de la monarchie française, le sacre est un spectacle qui, par sa mise en scène particulière, affirme symboliquement tant la continuité de l’institution que la légitimité du nouveau roi1. Ce théâtre du pouvoir se joue dans un décor, avec des accessoires et des acteurs, précisément détaillés dans l’Ordo2. Les pairs de France y sont des acteurs majeurs3. Cependant, contrairement aux pairs ecclésiastiques, à partir du xv^e siècle, les pairs laïcs « réels » ont disparu et sont remplacés par des truchements. Ce sont dès lors des princes de premier plan qui tiennent symboliquement le rôle des anciens pairs dans une cérémonie qui, selon Philippe Contamine, est devenue « un spectaculaire trompe-l’œil4 ».

2C’est précisément parce qu’ils sont désormais choisis que l’observation et l’examen de ces « acteurs » se révèlent particulièrement intéressants. Ce choix a en effet une portée politique réelle dont les changements dans la longue durée, précisément du sacre de Louis XI en 1461 à celui de Louis XVI en 1775, sont révélateurs de l’évolution à long terme de la monarchie française. Dans cette période, treize rois ont été sacrés et soixante-six pairs laïcs différents sont intervenus. Une approche prosopographique permettant de questionner les liens familiaux et les réseaux est donc nécessaire. Si l’ensemble des soixante-six personnalités recensées doit être pris en compte, il est indispensable de limiter cette présente étude et de la concentrer sur un nombre limité d’individus. Il nous est apparu que le cas des princes lorrains issus de la seconde maison de Vaudémont pourrait être significatif (annexes 1 et 2). Sur l’ensemble de la période étudiée, ils représentent en effet 15,15 % du total des pairs laïcs, seuls les Bourbon (45,45 %) sont nettement mieux représentés. En ce qui concerne ces derniers, la mort du dernier Valois, Henri III (1589), et l’avènement d’Henri IV (1594) permettent de distinguer deux périodes distinctes. Les pairs laïcs de la maison de Bourbon sont douze avant 1589 et dix-huit après 1594, l’accession de leur maison au trône de France marque donc un réel tournant. Si l’on tient compte de cette même césure, les dix « lorrains », qui n’apparaissent qu’à neuf sacres (de celui de Louis XII en 1498 à celui de Louis XIV en 1654) sur les treize mentionnés, se répartissent d’une manière bien différente : neuf avant 1589 et un seul après 1594. Mais la temporalité de la présence lorraine au sacre est différente et doit se décomposer en trois périodes. La première est celle d’une nouvelle entrée de la Lorraine dans l’orbite royale (1498-1515), le deuxième est celle de la puissance et du déclin des Lorraine-Guise (1547-1594) et enfin la troisième est celle du dernier pair lorrain, Charles II d’Elbeuf (1610-1654).

René II et Antoine, retour en grâce et faveur du roi

3La plus ancienne mention de princes lorrains jouant le rôle de pairs laïcs au cours du sacre d’un roi de France date de celui de Charles V en 1364. Lors de cet événement, Robert de Bar et Jean I^er de Lorraine auraient respectivement incarné les comtes de Toulouse et de Champagne. Mais le récit de cet épisode, tiré d’une chronique flamande imprimée à Anvers en 1561, est « largement imaginaire5 ». La Chronique des règnes de Jean II et de Charles V semble pourtant attester de la présence des deux princes lorrains6. Celle de Robert de Bar paraît plausible et n’est pas remise en cause par l’historiographie la plus récente7. Au contraire, celle de Jean I^er de Lorraine est sujette à caution8. Mais même fictive, leur attestation dans cette chronique est révélatrice de la place que ces deux princes occupaient ou aurait dû occuper dans l’entourage du roi de France. En revanche, il est plus difficile d’interpréter le rôle attribué aux princes lorrains dans la chronique flamande déjà mentionnée. Sans surprise, ce document fait la part belle au duc de Bourgogne, qui couronna le roi, et au comte de Flandre qui pourtant n’y fut pas présent9. Sans doute, le rôle donné tant au duc de Bar qu’au duc de Lorraine dénote l’intérêt qui leur est porté en Flandre mais il est difficile d’aller au-delà dans l’interprétation. Notons cependant qu’à Paris comme en Flandre les princes lorrains sont alors perçus comme des personnages importants, proches du roi.

4Il n’en va plus de même avec les successeurs de Charles V. La présence du duc de Bar est certes encore attestée en 1380 au sacre de Charles VI mais les princes lorrains sont ensuite absents à ceux de Charles VII (1429), Louis XI (1461) et Charles VIII (1484)10. Charles II de Lorraine, rallié au parti anglo-bourguignon, n’a pas sa place à Reims en 1429, et René d’Anjou, son gendre, alors duc de Bar, pourtant revenu à ses sentiments armagnacs mais retenu en Lorraine ne peut s’y rendre11. En 1461, les relations complexes de Louis XI et de son oncle René d’Anjou, toujours duc de Bar, ne suffisent pas à expliquer son absence et celle de son fils Jean II d’Anjou, duc de Lorraine depuis 1453. En fait, l’un et l’autre sont occupés à la reconquête du royaume de Sicile12. Le 30 mai 1484, c’est sans doute le décès de sa mère, survenu en février, qui retient René II dans ses principautés et l’empêche de participer au sacre de Charles VIII13. Le duc de Lorraine entretient alors de bonnes relations avec la « régente », Anne de Beaujeu, dont les alliés et parents représentent la plupart des pairs laïcs. Malgré des tensions antérieures avec elle, Louis d’Orléans et René de Valois, duc d’Alençon, tous deux princes du sang, incarnent respectivement les ducs de Bourgogne et de Normandie. Au clan Bourbon, dans les faits, celui d’Anne de Beaujeu, et à ses membres échoient des pairies moins prestigieuses, mais ils sont plus nombreux : Pierre II de Beaujeu, époux d’Anne, créé duc pour l’occasion, joue le rôle du duc d’Aquitaine ; Louis de Bourbon, comte-dauphin d’Auvergne, oncle de Pierre II, est le comte de Flandre ; Philippe II de Savoie, oncle d’Anne et beau-frère de Pierre II, celui de Champagne ; et enfin, François de Bourbon, comte de Vendôme, celui de Toulouse14. Le 28 août 1485, par son mariage avec Philippe de Gueldre, fille d’Adolphe d’Egmont, duc de Gueldre, et de Catherine de Bourbon, et nièce d’Anne de Beaujeu, René II se lie davantage au clan Bourbon. Le duc de Lorraine n’obtient cependant pas gain de cause en ce qui concerne l’héritage de son grand-père le roi René. Il se rapproche alors un temps de Louis d’Orléans mais poursuit ensuite sa propre politique. Héritier du trône de Sicile, il entre en conflit avec Charles VIII, qui entretient lui aussi des ambitions italiennes. Le duc ne fréquente alors plus la cour. Le roi se ravise à son égard au cours de l’année 1487 puis leurs relations restent neutres jusqu’à son décès, survenu le 7 avril 149815.

5Louis d’Orléans accède au trône et le 27 mai René II assiste au sacre. Il y joue le rôle du duc de Guyenne selon certains, celui du duc de Normandie pour d’autres16. Sa présence est étonnante compte tenu des relations tendues que les deux hommes entretinrent pendant le règne de Charles VIII. Comptant sur les Beaujeu pour recouvrer son héritage provençal, le duc de Lorraine ne choisit pas le parti du duc d’Orléans en 1485. Il semble même au contraire avoir participé aux combats menés contre lui17. La mésentente des deux princes est encore soulignée par une anecdote connue grâce à Richard de Wassebourg dont le père était au service du duc de Lorraine. Au cours de cette année 1485, lors d’une partie de jeu de paume à Paris, René II aurait souffleté le duc d’Orléans qui venait d’injurier Anne de Beaujeu. Wassebourg voit dans cet événement l’origine de la « grosse haine » du duc d’Orléans contre le duc de Lorraine et la cause de la froideur du nouveau roi à l’égard de René II lors du sacre : « durant laquelle solemnité le roy nouveau ne fit grand compte dudict René roy de Secille, et ne tint propos avec lui de doulceur, amytié, ny remerciement de sa venue. Parquoy tous les Lorrains furent bien faschez et en craincte que ledict roy nouveau n’eust regret à leur maistre et souvenance du jeu de paulme duquel avons dessus escript. Parquoy ledict René partit bien triste aprés la solemnité et retourna en son pays de Lorraine18 ». Louis XII devait plutôt se remémorer les choix faits par le duc de Lorraine pendant la guerre folle. Le revirement de René II en 1487 pour la cause du duc d’Orléans, qui ne fut pas suivi d’effet, ne pouvait suffire à effacer les affronts que ce dernier avait subis au cours de cette période19. La présence de René II témoigne de la magnanimité du nouveau souverain qui fait fi des avanies d’antan mais qui, par une froideur certaine, lui signifie qu’elle est désormais sa juste place et qui tient maintenant les rênes du pouvoir. Une fois cette mise au point faite, le souverain peut pardonner. Louis XII aurait dit qu’il ne convenait pas au roi de France de venger les injures faites au duc d’Orléans20. L’intérêt de la monarchie prime sur les ressentiments de l’homme. Sans doute les amitiés et le réseau du duc de Lorraine étaient-ils nécessaires au nouveau roi. Wassebourg témoigne de cette réconciliation. Malgré ses craintes, le duc fut très bien reçu par le roi, les deux hommes se réconcilièrent et le roi réserva ensuite une place de choix à René II tant lors du défilé que du souper. Dans le cortège, le duc de Lorraine venait en troisième position, après les ducs d’Alençon et de Bourbon ; il précédait le duc de Nemours. Au souper, les seuls ducs mentionnés sont ceux de Bourbon et de Lorraine21. À la lumière de ces éléments, il convient de revenir sur la place de René II pendant le sacre et sur ses relations avec les autres pairs laïcs. Comme dans le cortège de l’entrée à Paris, le duc de Lorraine occupait la troisième place après le duc d’Alençon (duc de Bourgogne) et celui de Bourbon (duc de Normandie ou de Guyenne selon les auteurs). Charles IV d’Alençon n’a que 9 ans mais il est alors l’un des princes du sang les plus proches du roi (le futur François I^er n’a que trois ans). René II est l’oncle du jeune duc d’Alençon, fils de sa sœur Marguerite. Le duc de Bourbon n’est autre que l’ancien sire de Beaujeu devenu le chef de sa maison en 1488. Là encore le nouveau souverain doit se montrer magnanime avec son ancien ennemi et pardonner à un prince du sang dont la présence est attendue. Le roi est sans doute plus libre de ses choix lorsqu’il s’agit des comtes-pairs. Les cousins germains de Louis XII, Philippe de Clèves-Ravestein et Engelbert de Clèves, comte de Nevers, représentaient respectivement les comtes de Flandre et de Champagne. Et enfin, Jean de Foix, beau-frère du roi, incarnait le comte de Toulouse. La préséance prime sur la volonté du souverain de s’entourer de ses seuls parents et amis.

6Le jeune François I^er fut sans doute plus chanceux le 25 janvier 151522. En ce jour, les princes qui représentaient les pairs laïcs étaient pour la plupart d’entre eux de sa génération, certains avaient grandi à ses côtés à la cour de Louis XII et étaient même au nombre de ses amis et compagnons. Charles IV, duc d’Alençon, né en 1489, reconnu premier prince du sang, beau-frère du nouveau roi depuis 1509, joua le rôle du duc de Bourgogne23. Le fils de René II, Antoine, également né en 1489, devenu duc de Lorraine en 1508, joua celui du duc de Normandie. Ce qui nous incite à penser que son père représenta ce duc plutôt que celui de Guyenne. Nous ne pouvons que supposer les bonnes relations qui existèrent avant le sacre entre Antoine et François I^er mais les positions éminentes et les faveurs que le roi lui accorda, ainsi qu’à ses frères, dans la suite de son règne, sont un bon indice des liens qui unissaient ces jeunes princes avant leur accession au pouvoir24. Le duc de Lorraine profitait de ces événements pour traiter de son mariage avec Renée de Bourbon, sœur de Charles de Montpensier. Ce dernier, né en 1490, duc de Bourbon depuis son mariage avec Suzanne en 1505, représentait le duc de Guyenne. Le roi venait de le faire connétable de France25. Les trois comtes sont eux aussi des Bourbon mais ils appartiennent à la branche de Vendôme. Charles IV de Bourbon-Vendôme, né en 1489, époux de la sœur de Charles d’Alençon, Françoise, était le comte de Flandre ; son frère, François I^er de Bourbon-Saint-Pol, né en 1491, celui de Champagne26. Leur oncle, Louis, prince de la Roche-sur-Yon, seul individu de la génération précédente, il est né en 1473, incarnait le comte de Toulouse27. Quand le roi partit en Italie, tous ces princes le suivirent et se retrouvèrent à ses côtés lors de la fameuse bataille de Marignan.

Puissance et déclin des Lorraine-Guise (1547-1594)

7C’est durant les règnes des derniers Valois, à l’instigation de Catherine de Médicis, que la question de la préséance des princes du sang prit une importance capitale, notamment lors du sacre, l’un des moments les plus symboliques de la monarchie française28. Peu avant celui d’Henri II en juillet 1547, le duc de Montpensier, Louis III de Bourbon-Vendôme, qui devait représenter le comte de Champagne, alors que les ducs de Guise et de Nevers incarneraient respectivement le duc d’Aquitaine et le comte de Flandre, contesta cette décision en arguant de son statut de prince du sang29. En l’occurrence, ce statut ne devait pas interférer avec la dignité de pair qui était alors la seule en cause. C’est sur la seule base de l’ancienneté de leur création que le Parlement de Paris se fondait pour juger de leur préséance lors du sacre. Le duché de Montpensier ayant été créé en février 1539, celui de Nevers en janvier 1539 et celui de Guise en janvier 1528, il était le plus récent et devait donc leur céder le pas. La place de Claude de Lorraine, duc de Guise, frère cadet du duc de Lorraine Antoine30, et celle de François I^er de Clèves, duc de Nevers, étaient donc légitimes. Henri II d’Albret, roi de Navarre, oncle du roi, occupait, sans doute du fait de sa couronne royale, le rôle du duc de Bourgogne, premier pair laïc. L’aîné des Bourbon, Antoine, duc de Vendôme, dont le duché était une pairie depuis février 1515, incarnait le duc de Normandie. Par ordre de prééminence des pairies-laïques venaient ensuite Guise/duc d’Aquitaine, Nevers/comte de Flandre et Montpensier/comte de Champagne, et enfin, en tant que comte de Toulouse, le fils du duc de Guise, François de Lorraine, dont le comté d’Aumale fut alors érigé en duché31. En tant que pairs-laïcs, les Guise furent donc bien représentés. Au xvii^e siècle, Pierre-Pol Fournier, écrivant l’Histoire de la maison de Guise pouvait affirmer que lors de ce sacre : « Le duc de Guise fit presque toute la ceremonie par soy ou par les siens32. » Il est vrai que l’archevêque de Reims, principal officiant de la cérémonie, était Charles de Lorraine, deuxième fils de Claude et frère de François. Et Claude de Lorraine était encore accompagné par d’autres de ses parents : le cardinal de Lorraine, c’est-à-dire son frère Jean, et Monsieur de Vaudémont, sans doute son neveu Nicolas, fils du duc de Lorraine Antoine (décédé en 1544)33. L’aîné de ce dernier, François, était mort précocement en 1545 en laissant un fils prénommé Charles, né en 1543. Le duc de Lorraine en titre n’avait donc que trois ans en 1547. Dans ce contexte, Claude était le « chef » de la maison de Lorraine bien qu’il ne fût pas duc de Lorraine. Le sacre d’Henri II était le dernier coup d’éclat du duc de Guise qui allait ensuite se retirer sur ses terres joinvilloises. Mais les fondements de la puissance de sa maison étaient posés.

8Lors de son avènement, François II a quinze ans, les Guise, oncles de Marie Stuart, reine de France depuis 1558, gouvernent34. Ils continuent donc d’occuper une place de premier plan parmi les pairs-laïcs lors du sacre en septembre 1559. Le jeune duc de Lorraine Charles III, qui avait épousé Claude de France, une sœur du roi, au mois de janvier précédent, assiste au sacre mais sans y jouer de rôle particulier, contrairement à son grand-père et à son arrière-grand-père35. À l’évidence, les Guise dominaient. Mais les pairs-laïcs se devaient toujours de représenter plus qu’un clan, ils furent donc :

• Antoine de Bourbon, roi de Navarre (1555-1562), fils de Charles IV de Bourbon (1489-1537), duc de Vendôme, et de Françoise d’Alençon, pour le duc de Bourgogne.

• François de Lorraine, 2^e duc de Guise (1550-1563), fils de Claude et d’Antoinette de Bourbon, pour le duc de Normandie.

• François I^er de Clèves, duc de Nevers (1539-1561), fils de Charles II de Clèves et de Marie d’Albret, époux de Marguerite de Bourbon, fille de Charles IV et de Françoise d’Alençon, pour le duc d’Aquitaine.

• Louis III de Bourbon-Vendôme, duc de Montpensier (1538-1582), fils de Louis, prince de La Roche-sur-Yon, et de Louise de Bourbon-Montpensier, pour le comte de Toulouse.

• Claude II de Lorraine-Guise, duc d’Aumale (1550-1573), fils de Claude de Lorraine et d’Antoinette de Bourbon, pour le comte de Flandre.

• Anne de Montmorency, connétable de France (1538-1567), pour le comte de Champagne36.

9Ce dernier, évincé du gouvernement, était tout de même présent au sacre. Il s’agissait en effet lors de cette cérémonie de donner l’image d’union du royaume autour de la personne du nouveau roi. Dans les faits, les rivalités et les inimitiés se manifestaient malgré tout. Comme précédemment en 1547, un litige opposa le duc de Nevers à celui de Montpensier. Ce dernier avait tenté d’occuper en tant que pair et prince du sang une place plus éminente que celle de Nevers. Pour ce qui concernait le sacre, le Conseil confirma que : « les pairs seraient assis et marcheraient selon le degré et l’antiquité de leur création37. » Cette fois, la position de François de Guise ne semble pas avoir été en cause.

10Le jeune roi meurt prématurément le 5 décembre 1560, son frère Charles lui succède alors qu’il n’a que dix ans. Marie de Médicis assure la régence et la politique des Guise est remise en cause. Mais peu avant le sacre, voyant le rapprochement de la régente avec les réformés, les Guise parviennent à un accord avec le connétable de Montmorency38. Les pairs laïcs, amis et ennemis, se retrouvent ensuite autour du roi à Reims le 5 mai 1561 dans l’ordre suivant39 :

• Alexandre Édouard, duc d’Orléans en 1560, Henri en 1565, duc d’Anjou en 1566, frère du roi, pour le duc de Bourgogne.

• Antoine de Bourbon, roi de Navarre (1555-1562), pour le duc de Normandie.

• François de Lorraine, 2^e duc de Guise (1550-1563), pour le duc d’Aquitaine.

• François I^er de Clèves, duc de Nevers (1539-1561), pour le comte de Toulouse.

• Louis III de Bourbon-Vendôme, duc de Montpensier (1538-1582), pour le comte de Flandre.

• Claude II de Lorraine-Guise, duc d’Aumale (1550-1573), pour le comte de Champagne.

• Anne de Montmorency (1538-1567).

11Cette liste permet de mettre en évidence trois particularités. Premièrement, on constate qu’un pair supplémentaire a pris part à la cérémonie. Anne de Montmorency a, semble-t-il, été maintenu parmi les pairs comme lors du sacre précédent40. Peut-être l’entente avec les Guise était-elle à l’origine de son maintien. Deuxièmement, le frère du roi, fils de France mais non pair, joue le rôle du duc de Bourgogne « qui est celuy qui tient le premier lieu ». Catherine de Médicis a réussi à imposer que son fils et plus largement les « enfants de France » occupent désormais la première place41. Enfin, mais cela n’est pas une nouveauté, Montpensier reste derrière les ducs de Guise et de Nevers. Il avait pourtant obtenu « que les princes du sang, pairs, tiendraient rang au-dessus des autres, sans regarder l’ancienneté de la réception et non l’ancienneté de la pairie étroitement observée entre eux qui ne sont point princes de sang42 ». Néanmoins, Guise et Nevers lui soufflèrent encore cet honneur. Malgré cette entorse au droit, malgré un contexte politique particulièrement troublé, la prééminence des princes du sang et particulièrement celle des « enfants de France » sur les pairs progressent.

12Quand Charles IX meurt le 30 mai 1574, deux ans après le massacre de la Saint-Barthélemy, il laisse à son frère Henri III un royaume en guerre, encore plus affaibli et divisé. Il faut pourtant sacrer le nouveau roi et choisir les hommes qui vont incarner les pairs laïcs et projeter une image idéale de la monarchie française43. Dès avant son départ pour la Pologne, Henri avait déjà jeté son dévolu sur Louise de Vaudémont ; il l’épousa deux jours après son sacre. Celle-ci était la fille de Nicolas de Lorraine, déjà évoqué ci-dessus, et donc une cousine du duc de Lorraine Charles III44. Le 13 février 1575, ce dernier assista encore une fois au sacre sans y jouer de rôle particulier45. En revanche, parmi les pairs laïcs, les Lorraine-Guise furent encore mieux représentés que lors des sacres précédents. L’habitude est prise de donner la première place à un « enfant de France » et François, duc d’Alençon (1555-1574), frère du roi, incarne le duc de Bourgogne. Le roi de Navarre joue toujours le rôle du duc de Normandie mais c’est désormais Henri III de Bourbon, roi de Navarre depuis 1572, qui est le beau-frère du roi. Le duc d’Aquitaine est toujours un Guise mais le fils a remplacé le père et c’est Henri I^er, duc de 1563 à 1588, époux de Catherine de Clèves, fille de François I^er de Clèves et de Marguerite de Bourbon. Son beau-frère, Louis IV de Gonzague, duc de Nevers (1565-1595), époux de Henriette de Clèves, est le comte de Toulouse46. Charles I^er, duc d’Aumale (1573-1595), fils de Claude II, est le comte de Flandre. Et Charles (II) de Lorraine, duc de Mayenne (1573-1611), frère d’Henri I^er, est le comte de Champagne. Le clan des Guise est donc au cœur du dispositif et Henri I^er est même parvenu à évincer complètement son rival le duc de Montpensier à qui le roi demanda de ne pas venir à Reims par peur « de quelque grand escandalle47 ».

13De 1547 à 1575, les Lorraine-Guise sont donc très présents au sacre notamment en tant que pairs laïcs. Ils n’y jouent jamais le premier rôle, celui du duc de Bourgogne, mais, d’un point de vue numérique, ils font jeu égal avec les Bourbon en 1547, 1559 et 1561 puis parviennent à les surpasser. Le sacre d’Henri III en 1575 marque le paroxysme de l’influence du clan des Guise. Henri I^er, son frère Charles II, duc de Mayenne, et leur cousin germain Charles I^er, duc d’Aumale, y représentent respectivement le duc d’Aquitaine, le comte de Flandre et le comte de Champagne. C’est d’autant plus vrai que l’archevêché de Reims est toujours dans les mains du clan puisque Louis, un autre frère d’Henri I^er, y a succédé à son oncle le cardinal de Lorraine en décembre 1574. Le seul Bourbon alors présent, Henri III, roi de Navarre, occupe cependant la deuxième place après François, duc d’Alençon, frère du roi de France. Depuis le sacre de Charles IX, les « enfants de France » priment sur les pairs et même sur un roi en titre. Au sacre d’Henri III, le statut du roi de Navarre n’était plus marqué que par une couronne royale quand les autres pairs laïcs portaient une couronne ducale48. Les princes du sang eurent en revanche plus de difficultés à s’imposer. Comme en témoigne la querelle qui opposa pendant toute cette période le duc de Montpensier aux Guise et aux Nevers. Il semble pourtant qu’en cela aussi la volonté de Catherine de Médicis était de donner la primauté au sang de France dans le souci d’un renforcement, au moins symbolique, de la monarchie française. C’est cette politique de renforcement qu’a poursuivie Henri III pendant son règne en accordant notamment la faveur du roi à d’autres ambitieux plutôt qu’à de puissants princes, tel que les Guise49. La seconde Ligue marque la fin du règne d’Henri III et le début de celui d’Henri IV, obligé de se faire sacrer à Chartres et non à Reims en février 1594. Il va sans dire que les Guise n’y ont pas été présents50. Les pairs laïcs furent : Charles de Bourbon-Conti (1558-1614) pour le duc de Bourgogne, Charles de Bourbon-Soissons (1566-1612), pour celui de Normandie, Henri de Bourbon, duc de Montpensier (1592-1608), pour celui d’Aquitaine, François de Luxembourg, duc de Piney (1576/1581-1613), pour le comte de Toulouse, Albert de Gondi, duc de Retz (1581-1602), pour celui de Flandre, et enfin Anne de Lévis, duc de Ventadour (1578/1589), pour celui de Champagne51. Les Bourbon occupaient la première place aux côtés de fidèles de l’ancien roi et d’un partisan du nouveau. Les Guise avaient disparu.

Charles II de Lorraine, duc d’Elbeuf, le dernier pair lorrain (1610-1654)

14Henri IV est assassiné le 14 mai 1610 et le jeune Louis lui succède à seulement 8 ans. Il est sacré le 17 octobre. La descendance de Claude de Lorraine réapparaît alors. À cette date le siège épiscopal de Reims est à nouveau occupé par un Guise. Dix-sept ans après l’assassinat de Louis II de Guise, son neveu Louis III, fils d’Henri I^er, a en effet été élu archevêque en 1605. Mais c’est le cardinal François de Joyeuse qui remplit les fonctions de Louis de Guise qui, resté sous-diacre, ne pouvait sacrer le jeune roi52. On ne sait donc si l’archevêque de Reims assista aux cérémonies. Ses frères Charles I^er, duc de Guise (1588-1640), et Claude, duc de Chevreuse (1606-1655), ne sont pas mentionnés dans les récits du sacre. Ils s’étaient pourtant soumis à l’autorité d’Henri IV dans les premières années de son règne mais ne paraissaient sans doute plus comme des personnages de premier plan à l’aube du nouveau règne. L’honneur obligeait peut-être aussi les fils d’Henri I^er à ne pas être présents au sacre du fils d’Henri IV, ancien rival, allié et successeur de leur père. Cette obligation supposée ne concerna vraisemblablement pas l’ensemble du clan. On put ainsi voir aux côtés du jeune Louis XIII le fils de l’ancien ligueur Charles, duc de Mayenne (1573-1611), Henri, duc d’Aiguillon depuis 1599 et grand chambellan de France53. Son cousin Charles, deuxième duc d’Elbeuf (1605-1657), également fils d’un ancien ligueur rallié à Henri IV qui incarnait à seulement quatorze ans le comte de Flandre54. Le jeune garçon avait grandi à la cour avec le futur roi et la proximité des deux enfants n’a pas échappé à l’auteur du récit du sacre. Il a noté qu’au moment du baiser au roi, « quand se vint à Monsieur le Duc d’Elbeuf (qui estoit presque de la taille de sa majesté) à le baiser, par amour elle luy donna en mesme temps un soufflet, & le baisa55 ». Cette familiarité est remarquable mais elle ne doit pas faire oublier la place qu’occupe le duc d’Elbeuf parmi les autres pairs laïcs. En effet, les Bourbon continuent d’occuper les premières places. Henri II de Bourbon, prince de Condé (1588-1646), premier prince du sang, représente le duc de Bourgogne, ses oncles François de Bourbon-Conti (1558-1614), et Charles de Bourbon, comte de Soissons (1566-1612), ceux de Normandie et d’Aquitaine. Charles I^er de Mantoue, duc de Nevers (1601-1637), cousin par les femmes du roi et des précédents, incarne le comte de Toulouse. Charles de Lorraine, jouant le rôle du comte de Flandre, n’arrive qu’en cinquième position. Il précède le comte de Champagne : Jean-Louis de Nogaret de La Valette, duc d’Épernon (1581-1642). Il ne pouvait, malgré l’écart d’âge et de stature politique qui les opposait, en être autrement compte tenu de la dissimilitude de leur origine et de leur rang. Le duché-pairie d’Épernon était pourtant plus ancien que celui d’Elbeuf. Malgré cette entorse faite à la « règle » supposée de l’ancienneté des pairies, les Guise revenaient, certes, mais ils occupaient une place nettement moins brillante qu’auparavant. Le choix d’un très jeune prince, issu d’une branche cadette de la maison de Lorraine-Guise, pour occuper un rôle relativement mineur, témoigne de la volonté des ordonnateurs de cette cérémonie de marquer symboliquement et de montrer aux yeux de tous la mise au pas d’un lignage qui fut rebelle. Parallèlement, l’absence du duc de Lorraine est-elle surprenante ? Henri II, d’abord marquis de Pont-à-Mousson, a été un temps le candidat des Guise à la succession du roi de France Henri III, mais son père Charles III et lui ont ensuite été compris dans les traités de Saint-Germain et de Folembray. D’ailleurs, le marquis de Pont-à-Mousson a épousé en 1599 Catherine de Bourbon, une sœur d’Henri IV. Puis, veuf en 1604, il s’est remarié deux ans plus tard avec Marguerite de Gonzague, une nièce de Marie de Médicis. Mais à peine devenu duc, à la mort de son père le 14 mai 1608, Henri II fut victime d’un attentat. Légèrement blessé, il fut cependant contraint de repousser la date de son entrée dans Nancy qui n’eut lieu que le 20 avril 1610. Âgé de quarante-cinq ans, le duc n’avait pas d’héritier mâle. Sa fille Nicole était convoitée par le roi de France pour son fils Louis. Des pourparlers étaient engagés. L’assassinat d’Henri IV mit un terme aux négociations. Peut-être que la prise de fonction mouvementée du duc de Lorraine et la violence qui l’entoura peuvent expliquer son absence au sacre de Louis XIII dans un contexte qui lui était pourtant plutôt favorable56.

15Pour les Lorrains, les conditions sont bien différentes en 1654 quand Louis XIV accède au pouvoir. Faute de descendance masculine, Henri II a finalement accordé la main de sa fille Nicole à son neveu Charles en 1621. Ce dernier, par un habile stratagème, hérite du trône ducal de Lorraine en 1624 mais non sans susciter des réactions dans le Royaume. Les Français voient d’un mauvais œil cette captation de l’héritage ducal. Ces événements marquent un tournant dans les relations franco-lorraines qui se crispent. Pendant trente ans, Charles IV tient tête au roi dans un jeu diplomatique dangereux qui aboutit finalement à son emprisonnement par les Espagnols, ses alliés, du 26 février 1654 au 15 octobre 165957. Cette fois, l’absence du duc de Lorraine au sacre est expliquée. Les Guise sont quant à eux encore présents. Certes Henri II, le cinquième duc de Guise, qui fut un temps archevêque de Reims, ne paraît pas mentionné dans la documentation, mais son frère Louis, duc de Joyeuse (1647-1654), participa au sacre en tant que grand chambellan58. Et l’on retrouve Charles II, duc d’Elbeuf, parmi les pairs laïcs59. Marié en 1619 à Catherine Henriette de Bourbon, une fille légitimée d’Henri IV, le duc d’Elbeuf ne fut pourtant pas toujours fidèle à la monarchie. Après avoir pris le parti de Gaston d’Orléans, ses biens furent confisqués et son duché-pairie réuni au domaine de la Couronne (1631). Réhabilité après la mort de Louis XIII en 1643, il participa un temps à la Fronde puis fut à nouveau pardonné et put ainsi jouer le rôle du duc de Normandie lors du sacre de Louis XIV en 1654. Cette fois, il est en troisième position derrière Philippe de France, duc d’Anjou (1640-1660), frère du roi, dans le rôle du duc de Bourgogne et César de Bourbon, duc de Vendôme (1598-1665), oncle du roi, duc de Normandie. Il devance : Louis-Charles de Nogaret de Foix, duc de Candale (1627-1658), comte de Champagne comme le fut son grand-père Jean-Louis de Nogaret de La Valette lors du sacre précédent, Artus Gouffier, duc de Roannais (1627-1696), comte de Flandre, et Ambroise François, duc de Bournonville (1651-1693), comte de Toulouse60. Le « sang de France » occupe toujours les premières places. Le frère mais aussi l’oncle du roi, malgré son comportement pendant la Fronde, représentent les ducs de Bourgogne et de Normandie. Charles II d’Elbeuf, malgré ses revirements, a progressé dans la hiérarchie des pairs. Sans doute doit-il cette promotion à son ralliement à Mazarin. Comme les trois « comtes » d’ailleurs qui semblent avoir été des fidèles du cardinal61.

⁂

16Charles de Lorraine, deuxième duc d’Elbeuf, est le dernier de son nom à avoir joué le rôle d’un des pairs laïcs lors du sacre d’un roi de France, celui de Louis XIV. Les sacres suivants consacrent la politique du monarque absolu en imposant les princes du sang et plus particulièrement les enfants de France autour de la personne du roi lors des sacres de Louis XV et de Louis XVI62. Les Lorraine, considérés comme des princes étrangers, quelle que soit la branche à laquelle ils se rattachent, n’y ont plus leur place. Pour les souverains des duchés lorrains, ces changements accompagnent un phénomène bien plus impactant, celui de la politique conquérante de la monarchie française. L’expansion à l’est du royaume se poursuit en effet à leur désavantage. Menacés par la France, ils regardent vers l’Empire et se tournent vers les Habsbourg63. Pour les Lorraine-Guise et les nombreuses branches qui en sont issues, ce renforcement de la monarchie, symbolique et surtout politique, induit un effacement progressif et une perte d’influence du lignage au plus haut niveau. L’observation des pairs laïcs issus de la seconde maison de Lorraine-Vaudémont dévoile un pan de l’histoire des relations de la monarchie française et de la principauté lorraine. Ces relations durant tout l’Ancien Régime évoluent entre proximité et éloignement dans des phases que confirment la présence ou l’absence des princes lorrains au sacre. Cette observation met aussi en évidence la réussite d’un lignage cadet et son rôle de premier plan dans la politique royale française de la seconde moitié du xvi^e siècle. La grandeur, comme le déclin, des Guise, sont en effet manifestes lors des différents sacres étudiés. L’analyse des personnalités ayant joué le rôle des pairs laïcs lors de cette théâtralisation du pouvoir confirme la valeur performative de ces rituels politiques de la monarchie française. Les organisateurs du sacre, le nouveau roi, son entourage, le régent ou la régente et leurs conseillers rassemblent autour de la personne du monarque un condensé symbolique du royaume à l’instant du sacre qui pourrait également faire office de programme politique. Bien sûr, les seuls pairs laïcs ne suffisent pas à composer ce tableau, ils interagissent avec d’autres personnages-clés. D’abord avec les pairs ecclésiastiques, on l’a vu ici notamment quand le cardinal de Lorraine était également archevêque de Reims. Mais plus largement avec tous les autres intervenants notamment les grands officiers de la Couronne : en 1610, Charles II d’Elbeuf n’est pas le seul Guise puisque son cousin Henri, duc d’Aiguillon, était alors grand chambellan. Conscient des limites de cette approche prosopographique partielle, il me semble qu’elle permet malgré tout d’observer autant de phénomènes : l’éviction des Guise, l’affirmation de la place des princes du sang et plus encore de celle du sang de France (au préjudice de celle des pairs de France), qui témoignent du renforcement de la monarchie française. Une construction qui se fait au détriment des principautés qui gravitent dans l’orbite royale et particulièrement de la Lorraine.