Introduction à la première partie

1Apparu en France avec l’avènement de la dynastie carolingienne, le rituel du sacre du roi et de la reine, pétri de références à l’Ancien Testament, doit beaucoup à la plume de l’archevêque de Reims Hincmar (845-882), comme le rappelle Patrick Demouy. Théologien et canoniste, le successeur de saint Remi aspirait à jouer auprès du successeur de Clovis le rôle d’un conseiller, voire d’un prophète, lui tendant le miroir où il pourrait voir l’image du roi idéal. Les oraisons appellent sur lui la grâce de Dieu pour la pratique des vertus inhérentes à la fonction : la foi, la fidélité à l’Église et à son enseignement, afin de gagner la couronne du royaume éternel ; la justice et la charité pour la défense des faibles ; la force pour mener le bon combat avec une épée bénie pour la juste cause. Nombre de formules ciselées par le grand prélat ont traversé les siècles pour se retrouver encore au sacre de Charles X (1825) et même à celui d’Élisabeth II d’Angleterre (1953).

2Il y a en effet, jusqu’au xii^e siècle, de nombreux échanges et influences réciproques entre les trois monarchies qui comptent en Europe, la France, l’Angleterre et l’Empire germanique. La province de Reims, qui s’étend du littoral de la Manche à la vallée de la Meuse, est à la confluence des traditions liturgiques. Elle est riche de centre intellectuel et communautés monastiques ou canoniales qui recopient et étudient les textes des cérémonies présidées par les évêques. Et même plus spécifiquement par les archevêques, puisque les sacres et couronnements sont toujours célébrés par l’ecclésiastique du rang le plus élevé. Le métropolitain de Reims, comme le rappelle Julia Exarchos, revendiquait ce rôle depuis le ix^e siècle et s’est imposé définitivement à partir du xii^e siècle. Il n’est donc pas surprenant de retrouver dans sa province plusieurs manuscrits compilant les ordines de tradition franco-anglaise ou issus du pontifical romano-germanique.

3Il est bien difficile d’établir quel texte a servi pour tel ou tel sacre particulier. Il semble bien que pendant longtemps il n’y a pas eu de cérémonie fixe et qu’il était possible de choisir entre des variantes disponibles, à partir d’une structure commune : promesse/onctions/remise des insignes royaux/intronisation.

4Ce n’est qu’à partir de la fin du xii^e siècle que le sacre du roi de France s’est distingué par la mise en exergue de la Sainte Ampoule et l’introduction des douze pairs appelés à soutenir la couronne, au sens propre comme au sens figuré. Leur collège reflétait la géographie féodale du début du règne de Philippe Auguste, six évêques titulaires des droits régaliens dans leurs cités (Reims, Laon, Langres, Beauvais, Châlons, Noyon) et six grands laïcs, les ducs de Bourgogne, Normandie et Aquitaine, les comtes de Flandre, Toulouse et Champagne. Dès le xiii^e siècle, par conquête ou par mariage, la plupart des grands fiefs ont été intégrés dans le domaine royal. En l’absence d’un titulaire, il fallait demander à un prince de « représenter » tel duc ou tel comte disparu. À travers l’exemple des princes lorrains, Jean-Christophe Blanchard montre bien la complexité du choix politique de ces acteurs d’un jour qui se trouvaient valorisés de façon exceptionnelle, entre susceptibilité des querelles de préséance et subtilité de la reconnaissance d’une influence (jouant en faveur des Guise-Lorraine entre 1547 et 1575). La prééminence des enfants de France et des princes du sang s’est imposée à la fin de l’Ancien Régime, vidant de sa substance le rôle symbolique des pairs.

5De la fin du Moyen Âge au sacre de Louis XVI le rituel du sacre semble immuable, mais son interprétation peut sensiblement évoluer. Luc Taupenas analyse la réception à l’époque moderne de l’oraison Sta et retine écrite à l’époque carolingienne pour l’intronisation du souverain. Avec des arguments parfois biaisés, dans un contexte qui va de la Ligue au début de la Révolution, les juristes s’affrontent sur la confirmation de la succession héréditaire ou la référence à l’élection « nationale » quand les « serviteurs de Dieu » procédant à la transmission du trône sont identifiés au peuple. L’histoire des sacres reflète bien l’évolution de la royauté dans ses rapports avec le pays qu’elle dirige.