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    Plan détaillé Texte intégral De Berlin à Cuba, la France et la Grande-Bretagne à contretemps Le théâtre d’ombres nucléaire franco-britannique L’affrontement européen Conclusion Notes de bas de page

    Le schisme franco-britannique

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre V. Les prodromes de la crise (été 1961-novembre 1962)

    p. 227-272

    Texte intégral De Berlin à Cuba, la France et la Grande-Bretagne à contretemps La crise de l’été 1961 Négocier ou pas avec Moscou ? Berlin, moment fondateur de la différenciation stratégique franco-britannique Macmillan et de Gaulle face à la crise de Cuba Le théâtre d’ombres nucléaire franco-britannique Washington durcit le ton : Paris prêt au désaccord, Londres pris à contrepied Champs-sur-Marne (juin 1962) : Much Ado About Nothing La « crise de l’interdépendance anglo-américaine » et l’impossible alternative française L’affrontement européen Les contradictions de la méthode Macmillan L’obstruction française à Bruxelles : le poids relatif de De Gaulle L’échec du plan Fouchet et les dessous compliqués du « préalable anglais » De Gaulle prépare le coup d’après Conclusion Notes de bas de page

    Texte intégral

    1Macmillan lança son grand pari européen en juillet 1961, dans un contexte international peu propice : l’idée clef de son « grand dessein », le marchandage euro-nucléaire, avait été bloquée en mai par Kennedy, tandis que la crise larvée de Berlin était en train de revenir sur le devant de la scène avec l’échec du sommet des deux « K » de Vienne, début juin. Or, à un moment où Macmillan aurait eu tant besoin de prouver la sincérité de ses professions de foi européennes, Berlin allait, comme en 1959, constituer une pomme de discorde entre Britanniques d’une part et Français et Allemands d’autre part.

    2Pour expliquer la décision européenne de Macmillan, Wolfram Kaiser a souligné le rôle de la politique intérieure1 : il s’agissait à travers l’enjeu européen de renforcer la position des Tories et leur cohésion, tout autant que de profiter des divisions qu’il suscitait au sein du Labour. Au plan économique, la Grande-Bretagne paraissait avoir besoin du coup de fouet que l’adhésion au traité de Rome pourrait lui donner pour se moderniser. Enfin, le facteur américain joua : la nouvelle administration Kennedy, avec qui Macmillan cherchait par tous les moyens à nouer la même proximité qu’avec Eisenhower, prit position dès mars 1961 en faveur d’une adhésion britannique à la CEE.

    3C’est donc en rapport avec la France que le moment choisi pour lancer la candidature britannique est le plus difficile à comprendre. Macmillan lui-même était assez pessimiste sur les chances de succès de son pari européen du fait de l’« hostilité » de De Gaulle2. Dès lors, s’était-on résigné à Londres, malgré l’absence de marge de manœuvre au plan politico-stratégique, à adhérer coûte que coûte, en contournant de Gaulle ? Il eût alors fallu lâcher du lest à Bruxelles, en faisant les concessions économiques majeures que les Six exigeaient. L’attitude de Macmillan paraît en fait avoir été plus ambiguë que cela : jamais il ne renonça totalement à la possibilité d’un rapprochement stratégique franco-britannique, même s’il n’avait au fond rien de substantiel à offrir dans l’immédiat à de Gaulle. Dans une tactique de l’entre-deux, Macmillan semble avoir parié sur l’habileté manœuvrière de ses diplomates et sur son charme personnel pour minimiser les sacrifices britanniques, tant au plan économique à Bruxelles que politico-stratégique à Paris.

    4En reprenant l’approche à trois focales du chapitre iii (Est-Ouest ; Ouest-Ouest ; ouest-européenne), on montrera que jamais, tout au long des négociations de Bruxelles entre les Six et la Grande-Bretagne, et tandis que Macmillan déployait son art de la « summitry » pour séduire et persuader de Gaulle de « laisser entrer » la Grande-Bretagne en Europe (à Birch Grove en novembre 1961 ; Champs-sur-Marne en juin 1962 ; puis Rambouillet, en décembre 1962), jamais donc, les conditions ne furent réunies pour qu’une véritable négociation bilatérale franco-britannique ne s’engageât autour de la question européenne.

    De Berlin à Cuba, la France et la Grande-Bretagne à contretemps

    5La dernière phase de la crise de Berlin, en 1961-1962 allait jouer un rôle crucial dans la recomposition des rapports entre les quatre principaux membres de l’Alliance (France, Royaume-Uni, RFA, États-Unis), en catalysant une double évolution : un mouvement d’isolement de la Grande-Bretagne par rapport à ses deux alliés « continentaux », et un renforcement de la solidarité franco-allemande pour faire face à la fois aux menaces de Khrouchtchev et à la volonté « anglo-saxonne » de négocier avec ce dernier. Dans une perspective franco-britannique, cela contribua à renforcer la position de De Gaulle par rapport à celle de Macmillan. En effet, la « réconciliation » entre Macmillan et Adenauer d’août 1960 évoquée précédemment fut bien vite oubliée, à partir du moment où le désaccord fondamental qui subsistait entre les deux gouvernements à propos de Berlin resurgit en pleine lumière dès mai 1961. Par contraste, pour de Gaulle, la crise de l’été 1961 allait servir de puissant levier pour souder le rapprochement franco-allemand, au cœur de son projet d’Europe politique confédérale.

    La crise de l’été 1961

    6Pour rappel, Khrouchtchev usa du sommet américano-soviétique de Vienne (3-4 juin) pour renouveler son ultimatum de 1958 et exercer une pression maximale sur le jeune président américain. Il repartit de Vienne persuadé que Kennedy ne ferait pas la guerre pour Berlin. Ce dernier repoussa pourtant l’ultimatum soviétique et annonça le 25 juillet un renforcement considérable du dispositif militaire américain en Europe. Le flot de réfugiés qui fuyaient la RDA par la voie de Berlin-Ouest ne cessait alors de s’accroître, menaçant l’économie est-allemande d’effondrement. Khrouchtchev décida de la construction d’un mur tout autour de l’enclave de Berlin-Ouest, opération exécutée le 13 août 1961, sans enfreindre à aucun moment les droits des Occidentaux. Si le mur réglait le problème de la survie de l’État est-allemand, la crise de Berlin n’était pas pour autant terminée : Khrouchtchev n’avait en aucun cas renoncé à ses objectifs fondamentaux (user du levier de Berlin pour distendre le lien entre la RFA et l’Occident et faire accepter la division de l’Allemagne). Il continua d’exiger un règlement de la question berlinoise à son avantage, jusqu’à l’automne 1962 où ses initiatives eurent pour résultat une nouvelle crise encore plus grave, à Cuba.

    7L’évolution principale qui différencie les années 1958-1960 de l’été 1961 est la reformulation de la politique américaine3. Alors qu’Eisenhower avait toujours cherché à maintenir le consensus entre alliés et n’avait pas outrepassé les limites fixées par Adenauer dans les concessions à Khrouchtchev, Kennedy lança, à partir de l’été 1961, une politique à la fois plus unilatérale vis-à-vis des alliés européens et plus ouverte à la négociation avec Moscou. Ceci entraîna une reconfiguration du jeu euro-atlantique qui eut d’importantes répercussions franco-britanniques.

    8La stratégie de Kennedy comprenait deux volets : non seulement le dispositif militaire américain en Europe était considérablement renforcé, mais une vigoureuse offensive diplomatique visa à relancer les discussions avec les Soviétiques. Cette combinaison de fermeté et d’ouverture recouvrait un positionnement américain tout à fait nouveau par rapport aux Européens : les Américains voulaient désormais régler l’affaire berlinoise sans attendre ceux qui souhaitaient s’en tenir au statu quo (de Gaulle et Adenauer). Cette logique plus unilatérale apparut clairement lors des réunions ministérielles tripartites et quadripartites des 5-8 août 1961 à Paris, qui donnèrent lieu à une opposition frontale entre Couve de Murville et le secrétaire d’État américain Rusk, soutenu par le Britannique Home4. De Gaulle fit alors devant Rusk le constat du désaccord franco-américain5 : la France « n’a[vait] pas un océan pour se protéger », déclara-t-il sèchement. Il n’allait cesser dès lors de souligner la différence entre les intérêts stratégiques fondamentaux des « Anglo-Saxons » et ceux des Continentaux et en tira les conséquences : si les Anglo-Saxons voulaient parler avec l’URSS, la France n’y ferait pas obstacle, mais elle ne participerait pas à cette discussion. Aussi, malgré l’absence d’accord entre les trois puissances occidentales à la mi-septembre6, une première série de sondages diplomatiques n’en fut pas moins lancée par les Britanniques et les Américains, entre le 21 septembre et le 10 octobre 1961, dont la France se tint ostensiblement à l’écart7.

    9Cette politique de la « chaise vide » avant la lettre permettait de rendre manifestes deux faits cruciaux : premièrement, les États-Unis avaient sans conteste le pouvoir de prendre seuls les décisions fondamentales et la France n’avait guère les moyens de s’y opposer8 ; deuxièmement, face à l’opinion publique, en particulier ouest-allemande, la non-participation française devait devenir le symbole de la solidarité absolue de la France avec la RFA, par contraste avec l’attitude ambiguë des États-Unis, pour ne pas parler de celle du Royaume-Uni. Un fossé sépara donc bientôt les attitudes américaine et française vis-à-vis de Berlin, à partir du moment où les Américains parurent s’aligner sur les thèses britanniques favorables à la négociation avec l’URSS. À la divergence franco-britannique fondamentale des années 1958-1960 s’ajouta donc l’opposition entre France et États-Unis.

    10Face au réajustement américain, Français et Britanniques adoptèrent des attitudes symétriquement opposées : d’un côté, les Français soutinrent les mesures militaires américaines9, mais refusèrent l’idée de négocier immédiatement avec Moscou, en expliquant qu’il s’agissait de préserver la valeur dissuasive des mesures militaires prises par Washington10 ; de l’autre, les Britanniques affichèrent leur scepticisme quant aux mesures militaires11, mais accueillirent avec soulagement la propension nouvelle des Américains au dialogue avec les Soviétiques12. Le désaccord franco-britannique fut donc presque parfait : Macmillan se réjouit que l’attitude de Kennedy convergeât avec les thèses qu’il défendait depuis le début et qu’il semblât décidé à ne plus attendre de Gaulle ou Adenauer pour régler le problème de Berlin et faire des concessions à Moscou13. Au contraire, de Gaulle chercha à faire contrepoids à l’unilatéralisme de Kennedy, en consolidant la solidarité franco-allemande et au niveau des Six. Ainsi, peu avant le sommet américano-soviétique de Vienne, de Gaulle s’était rendu le 20 mai 1961 en Allemagne pour consulter Adenauer14. Lors du sommet des Six de Bonn le 18 juillet 1961, de Gaulle exhorta ses partenaires européens à « une solidarité absolue » envers la RFA. La crise de Berlin légitimait, selon lui, le principe d’une nécessaire réflexion à Six sur la défense de l’Europe, « indépendamment des Américains, des Scandinaves ou du Royaume-Uni », même s’il concédait qu’il faudrait s’atteler à cette tâche une fois la crise de Berlin passée, notant que l’on « ne change pas de cheval au milieu du gué15 ». Ainsi s’affirmait avec de plus en plus de force la conviction que la crise de Berlin était une affaire qui concernait l’Europe de l’Ouest au premier chef et qu’elle devait être traitée comme telle, c’est-à-dire en tenant compte des intérêts européens, différents dans cette affaire de ceux des États-Unis16.

    11Par le biais de la reconfiguration du quadrille euro-atlantique de l’été 1961 se concrétisa la dichotomie gaullienne entre « Anglo-Saxons » et « Continentaux ». Deux mouvements antagonistes s’opéraient simultanément : d’un côté, les Britanniques intensifièrent leur coordination diplomatique avec les Américains, pour faciliter le dialogue qui s’engageait avec les Soviétiques17 ; de l’autre, l’abstention française marquait au contraire l’étape finale du renoncement de De Gaulle à son premier projet de tripartisme franco-anglo-américain. En effet, si pendant la période 1958-1960, les consultations sur Berlin avaient pu constituer le seul exemple de mise en œuvre relativement réussie de coordination à trois (et pour être plus exact, à Trois plus Un), la politique de Kennedy en 1961 constitua par contraste un exemple de cet « hégémonisme » contre lequel s’élevait de Gaulle : aussi fallait-il dégager la France d’un tripartisme qui ne pouvait être désormais qu’une façade permettant aux États-Unis d’imposer leur point de vue. Face à la coordination anglo-américaine, de Gaulle chercha donc à riposter par un resserrement continental franco-allemand. Mais celui-ci ne se matérialisa pas immédiatement.

    Négocier ou pas avec Moscou ?

    12À l’automne 1961, les responsables allemands furent soumis à de très fortes pressions de la part des Américains, qui d’accord avec les Britanniques, poussèrent Adenauer à lâcher du lest, dans le but d’élargir la base de discussion avec les Soviétiques. En acceptant de parler avec ces derniers de « sécurité européenne » ou de « non-dissémination des armes nucléaires », Britanniques et Américains convergèrent vers l’idée d’opérer le linkage suivant : il s’agissait d’obtenir des Soviétiques un règlement définitif de la crise de Berlin en échange d’une garantie du statut non nucléaire de la RFA18. Les Français virent alors les Allemands commencer à flancher et se diviser. La construction du mur de Berlin avait en effet provoqué une grave crise morale en RFA et Adenauer était sorti affaibli des élections législatives de septembre : il avait dû accepter de quitter la chancellerie à mi-mandat et nommer à la tête de l’Auswärtiges Amt Gerhard Schröder dont la ligne se révélerait bien différente de celle qu’il entendait privilégier. Dès le 11 octobre d’ailleurs, le vice-chancelier Erhard avait exprimé devant de Gaulle une ligne plus accommodante à propos de Berlin que celle du chancelier et de von Brentano19.

    13Lors de sa visite à Washington (19-23 novembre 1961), Adenauer finit par accepter qu’une négociation avec les Soviétiques commençât sur une base étroite et limitée, c’est-à-dire à propos de Berlin uniquement. Sur un point crucial toutefois, le chancelier n’avait toujours pas cédé : le statut nucléaire (ou plutôt non nucléaire) de la RFA ne devait pas être évoqué avec Moscou – Adenauer entendait en effet ne prendre aucun engagement sur ce point vis-à-vis des Soviétiques et se réserver cette carte diplomatique uniquement pour une négociation à propos de la réunification20. À ce moment-là, l’intransigeance de la France contribua dans une large mesure à garantir à Adenauer une certaine marge de manœuvre dans son dialogue avec Kennedy : ce dernier avait clairement pour souci de ne pas pousser les Allemands dans les bras des Français, ce qui l’obligeait à temporiser et à prendre en compte, dans un souci tactique, les réticences d’Adenauer.

    14La convergence partielle américano-germanique ayant eu lieu, Macmillan nourrit l’espoir de parvenir à un rapprochement équivalent avec de Gaulle. Il l’avait invité à lui rendre visite dans sa maison de campagne de Birch Grove, à la fin novembre 196121, pour une rencontre qui devait être la première étape de sa grande manœuvre de séduction de De Gaulle, visant à remporter le pari européen22. Birch Grove fut à cet égard un échec complet, que Chauvel résuma ironiquement23 : « Divided we stand. » En effet, Macmillan laissa bizarrement Home affronter seul de Gaulle, pour finalement manifester son agacement face à l’inflexibilité gaullienne, épisode raconté avec humour par le même Chauvel :

    « Le Premier ministre s’est borné à présenter Home au début, à faire un bon somme au milieu (derrière ses mains croisées d’abord, puis carrément la nuque appuyée sur le dos de son fauteuil) et, à la fin, à marquer vivement son humeur. Ce dernier mouvement a été relevé par le Général de la façon suivante : à l’heure du thé, il a fait, au bénéfice de lady Dorothy, un grand éloge de l’épouse, marquant qu’il appréciait particulièrement l’égalité de son humeur. L’épouse baissait le nez sur son assiette à gâteaux. »

    15Si Kennedy avait réussi à faire bouger Adenauer, Macmillan, par contraste, se révélait incapable de faire évoluer de Gaulle : non seulement ce dernier maintint son refus de participer aux sondages anglo-américains ou même à une nouvelle conférence ministérielle occidentale, mais il refusa aussi que la France s’associât à une garantie de non-transfert des armes nucléaires par les puissances nucléaires à des pays tiers (et en particulier à la RFA). Sur ce point crucial, les propos de De Gaulle étaient précisément ciselés :

    « La France ne peut pas, en ce qui la concerne, s’associer à une garantie de cet ordre et reconnaître dans une situation comme celle où nous nous trouvons qu’elle-même renonce, en tout cas, à une défense atomique franco-allemande. Aucun projet de ce genre n’existe actuellement, mais il n’est pas possible pour la France d’admettre que la défense de l’Elbe et du Rhin dépende pour toujours des seules armes atomiques des États-Unis devant une menace aussi grave que celle de l’URSS24. »

    16Une divergence cruciale entre Français et Anglo-Américains émergeait donc ici. On sait que les États-Unis s’orientèrent, dans leurs conversations avec Moscou en 1962-1963, vers un linkage entre le règlement de l’affaire berlinoise et le non-transfert des armes nucléaires à des pays tiers (c’est-à-dire en fait le statut non nucléaire de la RFA)25. Ce linkage fut même au cœur de l’accord informel entre Anglo-Américains et Soviétiques qui aboutit en 1963 au « règlement européen » (« European settlement ») décrit par Trachtenberg. À l’inverse, de Gaulle refusa toujours d’opérer ce lien, qui revenait à renoncer par avance à l’option d’une « défense atomique franco-allemande », se condamnant ainsi à une dépendance irrévocable à l’égard du parapluie nucléaire américain. Au fond, il avait adopté à Birch Grove une position similaire à celle qu’avait prise Adenauer face à Kennedy quelques jours avant, illustrant ainsi la solidarité diplomatique et stratégique qui le liait au chancelier. Il était hors de question de régler l’affaire de Berlin avec Moscou en mettant dans la balance le statut nucléaire (en l’occurrence non nucléaire) de la RFA26.

    Fig. 7. – Harold Macmillan accueille Charles de Gaulle dans sa demeure privée de Birch Grove, en novembre 1961.

    Image

    « Divided we stand », ironisa l’ambassadeur français Chauvel, à l’issue de leur rencontre, fort peu fructueuse à propos de la crise de Berlin.

    © Keystone Press/Alamy, 25 novembre 1961.

    17Loin de se résorber, le malentendu entre de Gaulle et Macmillan sur Berlin ne fit donc que s’approfondir à Birch Grove. Macmillan interpréta l’abstention gaullienne vis-à-vis des sondages diplomatiques comme une volonté de « ne pas se salir les mains27 ». Il refusa de comprendre l’explication du président français sur la dimension européenne de son intransigeance à propos de Berlin. La fermeté totale de la France avait pour but d’empêcher que les Allemands puissent se dire plus tard que « même les Français [n’avaient] pas voulu faire l’Europe », et qu’ils se tournent ensuite de ce fait « vers les Russes pour faire des affaires28 ». Du point de vue français, « Berlin [n’était] pas l’essentiel, elle ne [l’était] qu’en fonction de l’Allemagne et des Allemands ». La question de Berlin posait en fait celle de la destinée allemande, inséparable à son tour de la destinée de l’Europe en général29. Ceci explique pourquoi les dirigeants français (de Gaulle, mais aussi plusieurs diplomates du Quai d’Orsay – Jean Laloy, Jean-Marie Soutou, Henri Froment-Meurice) accordaient une importance fondamentale au moral des Allemands, à la surprise de leurs homologues britanniques d’ailleurs30. Inquiet de l’avenir de l’Allemagne après le départ d’Adenauer, question qui se posait maintenant avec une acuité nouvelle à cause de la semi-défaite électorale de septembre, de Gaulle estimait que les Allemands (mis à part Adenauer) avaient « politiquement […] les “reins cassés” », qu’ils traversaient une période de doutes et de trouble. Pour éviter « un réveil dangereux », il fallait donc a fortiori dégager une perspective européenne, « raison de plus qui [amenait la France] à ne pas prendre position pour des négociations31 ».

    18Birch Grove démontre donc le rôle de Berlin dans le discrédit qui fut immédiatement jeté sur les professions de foi européennes de Macmillan, aux yeux de De Gaulle. Alors que le Général faisait du cas de Berlin le test décisif de la volonté des uns et des autres de « faire l’Europe » (au sens politico-stratégique du terme), Macmillan n’en tint pas compte et se montra plus partisan que jamais de négocier avec les Soviétiques. Il chercha à persuader de Gaulle de s’adjoindre aux sondages, pour dégager un compromis avec Moscou. L’offensive « européenne » de Macmillan fut donc tout de suite parasitée par l’affaire berlinoise ; Birch Grove fut sans doute un de ces moments qui confirmèrent de Gaulle dans sa conviction que la Grande-Bretagne était encore loin d’avoir effectué sa « mue » européenne.

    19La confrontation franco-britannique ayant « laissé chacun précisément où il était32 », ce fut alors au tour d’Adenauer de chercher à rallier de Gaulle à la ligne médiane définie à l’issue des rencontres germano-américaines de Washington. Sur le fond du problème, Adenauer faisait toujours la même analyse que de Gaulle, mais il tenait Kennedy à l’écart de ses critiques et craignait les effets dangereux de la discorde entre Occidentaux33. Loin de se rallier, de Gaulle exposa alors au chancelier une idée qui était restée jusqu’ici implicite, mais qui allait au cœur du raisonnement qui fondait son inflexibilité : l’abstention de la France permettait de « retenir les Anglo-Saxons » et imposait de facto un certain cadre aux discussions avec les Soviétiques. Elle aboutissait à un partage des rôles, entre Anglo-Américains qui sondaient et discutaient avec Moscou et un de Gaulle gardien du temple, refusant tout abandon dangereux. La politique française contribuait donc non seulement à préserver les intérêts stratégiques des Continentaux, mais aussi, de manière subtile, à renforcer la position tactique des Anglo-Saxons, dans leurs négociations avec Khrouchtchev. Ainsi l’abstention française s’avérait-elle constructive et de Gaulle n’en démordrait plus jusqu’à la crise de Cuba34.

    20La tension intra-occidentale, et surtout franco-américaine, atteignit une intensité maximale lors des rencontres ministérielles quadripartites de décembre 196135. La France se fit « plus allemande que les Allemands36 » et y maintint seule et contre tous (y compris Schröder) son refus de s’associer aux négociations avec les Soviétiques. Les discussions entre ministres furent rapidement bloquées, si bien qu’on dut faire appel aux chefs d’État pour se mettre d’accord sur le texte du communiqué final : Kennedy négocia avec de Gaulle par téléphone, fait rarissime dans la pratique diplomatique du premier chef de la Ve République, qui le plus possible s’en tenait à l’écrit et à l’échange de visu. Le désaccord de fond n’en fut pas pour autant levé.

    21La séquence diplomatique de novembre-décembre 1961 constituait une nouvelle preuve de la marginalisation britannique dans le débat des quatre puissances à propos de Berlin. En effet, Macmillan faisait, à la différence de Kennedy, l’accord contre lui entre Allemands et Français, et Adenauer souscrivait au jugement de De Gaulle selon lequel les Anglais « passeraient volontiers par les quatre volontés des Russes37 ». Si le degré d’influence de Londres sur le processus de décision américain a pu être réévalué à la hausse, il faut toutefois constater avec John Gearson38 à quel point, en se positionnant comme fidèle second des Américains, partisan de la discussion pour elle-même et coûte que coûte, Macmillan se coupa des préoccupations continentales. Ainsi, le rôle traditionnel des Britanniques de médiation devenait impossible dans ce contexte trop déséquilibré. Du même coup, le jeu décisif, pour la définition de la conduite de l’Occident dans la guerre froide, avait maintenant lieu au sein du triangle Paris-Bonn-Washington.

    Berlin, moment fondateur de la différenciation stratégique franco-britannique

    22La différenciation des positions de la France et de la Grande-Bretagne par rapport aux deux Grands et à la guerre froide s’approfondit donc encore en 1961-1962 par rapport à la phase précédente de la crise de Berlin. En effet, à la différence d’Eisenhower, Kennedy en penchant nettement dans le sens d’une diplomatie « à la britannique » favorisa du même coup la matérialisation du différend franco-britannique. Aussi la crise de Berlin apparaît-elle bel et bien comme un moment fondateur de la divergence stratégique franco-britannique39.

    23Les deux nations étaient engagées sur des trajectoires diplomatiques tout à fait distinctes et asynchrones. Macmillan choisit en effet de se positionner en « facilitateur » du dialogue des deux Grands commencé en septembre 1961. Chaque fois que la tension Est-Ouest s’accroissait et que le dialogue soviéto-américain menaçait de s’interrompre, la diplomatie britannique cherchait à prendre de nouvelles initiatives en faveur de la détente. C’était à l’inverse durant ces phases de tension que de Gaulle estimait nécessaire de durcir le ton face à Khrouchtchev, tenu pour responsable de crises qu’il suscitait artificiellement40.

    24Une véritable explication eut lieu début juin 1962 entre de Gaulle et Macmillan, lors de la rencontre de Champs-sur-Marne, où pour la première fois le Général critiqua frontalement la politique britannique et explicita le lien qu’il établissait entre l’affaire berlinoise et les négociations sur la candidature britannique pour entrer dans la CEE41. Selon de Gaulle, le dialogue entre Soviétiques et Américains sur Berlin, soutenu par Londres, avait été « particulièrement fâcheux ». Ses conséquences pratiques étaient à ses yeux négligeables, mais il n’en provoquait pas moins le découragement des Européens. Et le Général de se lancer dans une charge sévère contre l’attitude britannique : « Si les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France avaient été d’accord pour une politique de fermeté, il ne se serait rien passé à Berlin. » C’était un tort, selon de Gaulle, que « d’accepter en toutes circonstances [le] leadership [américain] ». Sur l’affaire berlinoise, « rien n’aurait empêché la France et la Grande-Bretagne de se concerter même en l’absence d’un système européen », ajouta-t-il, faisant allusion à ce qu’il avait, en vain, proposé en janvier 1961 à Macmillan pour faire face à une administration Kennedy moins sensible aux intérêts de l’Europe. En d’autres termes, les Britanniques auraient très bien pu, même sans être membres de la CEE, agir en « Européens », en solidarité avec les Allemands et les Français, pour défendre les intérêts du continent face à la menace soviétique et à la propension américaine à transiger sur Berlin. De Gaulle conclut l’échange en demandant, incrédule : « Nous autres, nous sommes en mesure de faire une politique avec l’Allemagne d’Adenauer. Êtes-vous dans la même situation ? Je ne sais42. »

    25Il y avait là un très sérieux avertissement pour Macmillan : c’était à l’aune du positionnement politico-stratégique dans la guerre froide, en rapport avec la question allemande, que de Gaulle jugeait de l’européanité de la Grande-Bretagne. Or, selon ce critère, la conclusion ne pouvait être que négative. Macmillan ne comprit pas à quel point sa politique Est-Ouest fut un handicap dans ses échanges avec le Général, de même qu’il ne vit pas à quel point le concept de « détente » Est-Ouest de ce dernier différait de ce qu’il avait cherché à faire depuis 1959 : de Gaulle déclara en effet de manière frappante que « tant que se poursuivra[it] le tête à tête de la Russie et de l’Amérique, il n’y aura[it] d’autre issue que la guerre ou le condominium russo-américain43 ». De Gaulle résumait là en quelques mots son désaccord fondamental avec Macmillan : la soi-disant « détente » par une discussion directe et exclusive entre les deux Grands, ne pouvait aboutir qu’à un renforcement, au sein de chaque bloc, de la domination de l’hégémon. L’Europe, enjeu principal de la guerre froide, n’aurait pas son mot à dire dans une telle détente, qui entérinerait du coup la division en deux camps, au lieu d’aboutir à une réunification du continent et à un réel dépassement de l’ordre bipolaire, seul à même de mettre fin à la guerre froide. D’où l’alternative insatisfaisante entre guerre et condominium. En somme, pour de Gaulle, il ne pouvait y avoir de détente véritable sans participation de l’Europe.

    26De Gaulle et Macmillan avaient pris d’emblée, dès les premiers moments de la crise de Berlin à la fin de l’année 1958, des chemins opposés ; le dialogue de sourds de Birch Grove et de Champs-sur-Marne montre que jamais ils ne rétablirent le contact sur les sujets Est-Ouest et la question allemande. Cette incompréhension radicale est souvent négligée par les spécialistes de l’histoire de l’intégration européenne, alors qu’elle pesa très lourdement selon nous dans l’échec de la diplomatie personnelle du Premier ministre vis-à-vis de De Gaulle en 1961-1962 et dans le veto du 14 janvier 1963.

    Macmillan et de Gaulle face à la crise de Cuba

    27Quant à la crise des missiles de Cuba, ni Macmillan, ni de Gaulle n’en furent des acteurs majeurs, contrairement à ce qui s’était passé pour Berlin. À aucun moment non plus, cette crise ne devint un véritable sujet de discussion franco-britannique. Toutefois, Cuba allait confirmer la divergence profonde qui existait entre Macmillan et de Gaulle dans leur rapport à la guerre froide.

    28Ce qui distingua les deux dirigeants dans cette affaire ne fut ni l’attitude affichée en public (les deux ayant affirmé un soutien indéfectible à Washington), ni l’influence effective exercée sur Kennedy (nulle ou quasi nulle dans un cas comme dans l’autre), mais la manière dont ils réagirent par rapport à ce rôle marginal que leur avait laissé l’allié américain44. Le Premier ministre britannique non seulement ne s’offusqua jamais de l’unilatéralisme américain, mais toute son action et le modus operandi de son ambassadeur à Washington David Ormsby-Gore, eurent pour effet de brouiller la délimitation entre les délibérations britannique et américaine, en créant cette osmose qui rend si difficile aujourd’hui la distinction d’une influence spécifique de la Grande-Bretagne dans cette affaire45. Au contraire, l’action française consista, sans porter préjudice à la solidarité atlantique, à préserver avec fermeté la délimitation des deux souverainetés, en soulignant le fait qu’à aucun moment le gouvernement français n’avait participé à une gestion de crise de bout en bout américaine46. En fait, si de Gaulle manifesta, du fait de la gravité de la menace, une certaine compréhension pour l’unilatéralisme américain, et plus tard de l’admiration pour la maîtrise de soi manifestée par Kennedy47, le Général rappela toujours le principe d’une nécessaire consultation entre alliés, « dès le moment où l’affaire cesserait d’être purement américaine », c’est-à-dire dans le cas où l’affaire aurait des répercussions en Europe et à Berlin48. Toutefois, de Gaulle n’avait plus aucune illusion à cet égard : le « sursaut de fermeté » américain, qui avait payé et que de Gaulle saluait, ne serait pas transposé à Berlin, car à la différence de Cuba, le territoire américain n’était pas directement menacé dans cette affaire. Le Général vit donc dans l’unilatéralisme pratiqué par Kennedy sur Cuba une évolution inquiétante, qui confirmait l’absolue nécessité du rapprochement franco-allemand.

    29À partir de prémisses si opposées, le dialogue sur les questions Est-Ouest était donc devenu fort difficile entre la France et la Grande-Bretagne à la fin 1962. Les deux pays ne jouaient plus dans la même cour : non pas que l’un aurait exercé lors des deux crises jumelles de 1961-1962 une influence très supérieure à l’autre – ce n’est pas le cas –, mais fondamentalement, la nature des objectifs poursuivis et les critères pour évaluer le succès de leur politique étrangère étaient devenus qualitativement différents pour Londres et pour Paris.

    30Pour la Grande-Bretagne de Macmillan, le succès se mesurait au degré de convergence des décisions prises par Washington avec les thèses britanniques, et le moyen privilégié pour y parvenir était l’exercice d’une influence en amont dans le processus de décision américain, par osmose et connaissance des rouages de la bureaucratie américaine. Finalement, il importait peu au gouvernement de Londres que Washington se comportât de manière hégémonique, pourvu que la politique poursuivie fût conforme à ce qu’il estimait être l’intérêt britannique.

    31Pour la France de De Gaulle, l’ambition était placée à un tout autre niveau. Le critère essentiel de succès était lié à la question de la souveraineté : qui prenait la décision ? L’objectif était de parvenir à ce que la France fût toujours maîtresse de son destin, qu’elle figurât au sein du cercle nécessairement restreint des puissances qui exerçaient le pouvoir suprême, c’est-à-dire la décision sur la guerre et sur la paix. À l’évidence, ce ne fut pas le cas dans les deux crises de 1961-1962, et c’est ce qui explique la réprobation de De Gaulle par rapport à l’unilatéralisme de Kennedy durant la crise de Cuba, alors que sur le fond, il estimait que les bonnes décisions avaient été prises. Il ne suffisait donc pas que Washington ait réussi à faire reculer Moscou ; pour de Gaulle, la question de l’autonomie stratégique française et européenne continuait de se poser avec encore plus d’acuité, Cuba n’ayant fait que confirmer les inquiétudes qu’avait fait surgir Berlin.

    Le théâtre d’ombres nucléaire franco-britannique

    32À l’été 1961, les tentatives précédentes pour entamer entre Français et Britanniques, ne serait-ce qu’une conversation d’état-major sur la stratégie nucléaire, sans parler d’une collaboration pour la fabrication des têtes nucléaires ou des vecteurs, avaient toutes échoué. En outre, l’environnement international évoluait dans un sens encore moins propice au rapprochement nucléaire franco-britannique : le différend non résolu entre Américains et Français quant à la crise de Berlin ne pouvait être dissocié d’un désaccord plus fondamental sur la stratégie nucléaire de l’Occident49. Certes, les Britanniques allaient tenter d’éviter le plus possible d’être mêlés aux différends franco-américains – il s’agissait bien sûr de ne pas compromettre les délicates négociations qui s’étaient engagées à Bruxelles à propos de l’adhésion britannique à la CEE. Mais le conflit fondamental qui s’aiguisait entre France et États-Unis rendait d’autant plus improbable l’horizon de coopération tripartite dans lequel Macmillan avait inscrit son « grand dessein » de 1961 et son idée d’un marchandage euro-nucléaire avec de Gaulle. On serait donc tenté de conclure que dès l’été 1961, la possibilité d’une coopération atomique bilatérale était d’ores et déjà exclue de part et d’autre de la Manche. Toutefois, la réalité est bien plus ambiguë : on observe, durant les années 1961-1962, une étrange rémanence de l’idée d’un duo nucléaire Paris-Londres. Pas plus qu’avant, les discussions ne débouchèrent sur quelque concrétisation que ce soit. Quel sens donner alors à ce théâtre d’ombres nucléaire franco-britannique ?

    Washington durcit le ton : Paris prêt au désaccord, Londres pris à contrepied

    33La diplomatie nucléaire de Macmillan avait deux présupposés, en partie contradictoires. D’un côté, il ne remit jamais en cause le primat de l’entente stratégique avec Washington – le duo franco-britannique, s’il émergeait, ne devrait pas empiéter sur cette dernière. De l’autre, en dépit du veto de Kennedy au printemps 1961, Macmillan ne renonça pas complètement à son idée d’un marchandage euro-nucléaire avec Paris, estimant que de Gaulle détenait la clef du succès de la candidature britannique à l’entrée dans la CEE et que la carte nucléaire était la seule à pouvoir débloquer le casse-tête européen. Il y avait là un refus délibéré de tracer une voie claire entre Paris et Washington, entre Europe et États-Unis. Ce non-choix condamnait Londres à la manœuvre, tant le décalage était flagrant entre la pensée de Macmillan, incapable de se départir du paradigme de la médiation, et la réalité d’un débat transatlantique de plus en plus polarisé autour de la querelle franco-américaine.

    34En effet, la reformulation d’ensemble de la politique nucléaire américaine, contenue dans le rapport Acheson d’avril 1961 – riposte graduée, centralisation de la décision nucléaire, non-prolifération –, entraîna la cristallisation progressive du différend nucléaire franco-américain. La première confrontation eut lieu lors de la rencontre entre Messmer et le secrétaire à la Défense Robert McNamara, le 29 novembre 1961, à New York50. Ce dernier s’opposa frontalement aux thèses françaises, n’admettant pas que la perte de crédibilité de la garantie nucléaire américaine pût servir de légitimation à l’entreprise nucléaire française, ni que la France pût un jour parvenir par ses propres moyens à disposer d’une « “capacité” atomique indépendante ». Le contraste est notable entre cette attitude rigide et celle du ministre de la Défense britannique Harold Watkinson, qui dès avril 1961, avait procédé à une véritable reconnaissance du fait nucléaire français. Messmer se référa d’ailleurs au pragmatisme de Watkinson pour persuader McNamara d’adopter une attitude similaire : « Nous ne vous demandons pas de nous aider » dit-il, « mais de prendre comme un fait ce que nous avons entrepris ». La requête n’eut guère de succès et l’échange franco-américain tourna bien vite au dialogue de sourds.

    35La tension culmina en mai-juin 1962 lorsque McNamara dénonça lors d’une réunion de l’OTAN à Athènes, puis lors du discours d’Ann Arbor, les deterrents nationaux indépendants, tout en exposant la nouvelle doctrine stratégique américaine de « riposte graduée ». Au même moment, le projet de force nucléaire OTAN était relancé sous la forme de la MLF, par Kennedy lui-même le 17 mai et s’intégrait à un projet plus large de « communauté atlantique », dont le président appelait l’avènement dans un discours prononcé le 4 juillet 1962. La France réagit avec un agacement mêlé d’indifférence à ces initiatives.

    36Il fallut attendre la visite de Rusk à Paris en juin 1962 pour qu’une discussion plus calme pût avoir lieu51. Si Rusk accepta la bombe française comme un « fait irréversible », il n’en reconnut pas pour autant la légitimité ; quant à de Gaulle, il conseilla de se résigner au différend stratégique franco-américain, qu’il présenta comme une aporie à laquelle l’Alliance ne pouvait guère échapper. Impossible de savoir à l’avance « quand, où, dans quelles conditions et dans quelle mesure les États-Unis utiliseront leurs bombes pour défendre [la France et l’Europe] » ; pire, « les États-Unis ne le savent pas non plus, et ne peuvent le savoir52 ». De Gaulle théorisait ici le caractère imprévisible d’une guerre nucléaire et l’impossibilité d’y échapper par la planification, aussi sophistiquée fût-elle. Cette observation révèle la dimension culturelle sous-jacente du différend nucléaire franco-américain. La jeune équipe du président Kennedy, composée d’intellectuels sortis des plus grandes universités américaines, était persuadée de pouvoir « rationaliser » la conduite de la guerre froide. Il y avait dans leur conception de la planification une prétention à épuiser le réel, par la formalisation de l’ensemble de tous les scénarios de crise ou d’affrontement possibles53. Cette démarche laissait de Gaulle de marbre, lui qui ne crut jamais en la possibilité d’élaborer une théorie fixe de l’affrontement nucléaire54. Faisant sa part au caractère imprévisible de l’événement, il affirmait à l’inverse le primat du politique et la nature discrétionnaire de la décision du chef des armées en cas de guerre nucléaire.

    37La déconnexion des Britanniques par rapport à ce qui se passait entre Français et Américains est alors frappante. De Gaulle semblait prêt intellectuellement, dès janvier 1961, à une politique plus « strictement américaine », pour utiliser ses mots, de la part de Kennedy. Il choisit rapidement d’y répondre par la critique ouverte et la confrontation. Macmillan, avec ses velléités de médiation, fut en revanche pris à contrepied : pour parler de grande stratégie, Français et Américains préféraient nettement la discussion directe, sans intermédiaire, plutôt qu’un format trilatéral incluant les Britanniques. Cela laissait peu de marge de manœuvre à Macmillan pour user de la carte atomique envers de Gaulle, comme en témoigne la décevante rencontre de Champs-sur-Marne, en juin 1962.

    Champs-sur-Marne (juin 1962) : Much Ado About Nothing

    38Après les ouvertures ambiguës de Rambouillet en mars 1960 et l’échec du « grand dessein » de Macmillan au printemps 1961, Champs-sur-Marne représente le troisième moment où l’éventualité d’un partenariat nucléaire franco-britannique fut abordée. Constantine Pagedas y a même vu la principale occasion manquée d’établir une Entente cordiale nucléaire : Macmillan aurait été prêt à remettre en cause l’entente exclusive avec Washington et de Gaulle n’aurait pas saisi la chance qui s’offrait à lui. Il s’agit là d’après nous d’un contresens sur les intentions de Macmillan, en réalité bien plus équivoques55.

    39Il est vrai que l’idée d’un marchandage euro-nucléaire entre de Gaulle et Macmillan, susceptible de débloquer les négociations de Bruxelles, était plus que jamais dans l’air. Pour Macmillan, Champs-sur-Marne représentait la « dernière chance de convaincre le Général du caractère désirable au plan politique de notre entrée dans le Marché commun56 ». Aussi avait-il évoqué personnellement l’idée d’un partenariat nucléaire franco-britannique, en avril 1962, avec l’ambassadeur Chauvel, puis en mai, avec son successeur, Geoffroy de Courcel. Il avait alors parlé de fabriquer en commun des armements pour ne plus dépendre des Américains, tout en précisant que tout était conditionné au succès des négociations de Bruxelles57. Le ministre de la Défense Watkinson se montrait lui aussi de plus en plus favorable à un rééquilibrage des partenariats de la Grande-Bretagne en matière d’armements vers l’Europe et la France. Il avait en effet pris conscience, au contact de McNamara, du poids écrasant du complexe militaro-industriel à Washington et de ses très fortes tendances monopolistiques. Dans un tel contexte, l’objectif de la « complémentarité » entre les industries militaires des deux pays était voué à l’échec : rétrospectivement, Watkinson juge même que ce fut une erreur que d’avoir poursuivi avec Kennedy l’objectif de « l’interdépendance », qui eût supposé l’acceptation par Washington d’un degré minimal de dépendance à l’égard de Londres pour certains projets d’armements, ce dont il ne fut jamais question58. Toujours est-il qu’en avril 1962, Watkinson indiquait à Macmillan qu’il était favorable à l’établissement, au sein de l’Alliance, d’une sorte de pilier nucléaire européen, à base franco-britannique et non soumis au veto des États-Unis59. Reconnaissant implicitement la validité du raisonnement stratégique gaulliste, il estimait que l’indépendance nucléaire européenne apparaissait comme le seul moyen, à l’âge de la parité américano-soviétique, d’éviter le découplage entre les deux rives de l’Atlantique. Quant à Philip de Zulueta, il prônait un partenariat technologique plus ambitieux encore60 : il fallait dans l’immédiat aider les Français à fabriquer la bombe thermonucléaire, puis envisager pour la décennie 1970 de fabriquer conjointement le nouveau vecteur qui remplacerait les bombardiers.

    40La différence d’attitude entre Londres et Washington vis-à-vis de l’entreprise nucléaire française, notable dès 1958, se concrétisa alors par cette phase diplomatique tout à fait particulière d’avril-juin 1962, où Macmillan fit mine de vouloir mettre en œuvre la carte atomique pour faciliter son pari européen et laissa enfler les rumeurs à ce sujet. Était-ce uniquement une manœuvre tactique, ou y eut-il une volonté réelle chez Macmillan d’opérer un rapprochement avec la France ? La réalité est extrêmement ambiguë : le Cabinet britannique était divisé sur la question, tandis que Macmillan refusait pour l’instant de trancher. Il se heurta de toute façon bientôt à deux brutales mises au point, américaine puis française, qui l’obligèrent à mettre un bémol à sa manœuvre. À bien des égards, la séquence diplomatique qui s’ensuivit sembla répéter les événements d’octobre-novembre 1958, quand Macmillan avait spéculé sur les possibilités de lier le sort de la ZLE et le tripartisme.

    41Du côté américain, ce fut tout d’abord Rusk qui, le 28 avril 1962, demanda de but en blanc aux Britanniques s’ils s’attendaient à ce que les Français demandent une aide atomique en contrepartie de leur accord pour l’entrée du Royaume-Uni dans la CEE61. Ils s’étaient alors récriés et Rusk avait fait part de son soulagement, tout en énonçant une position parfaitement rigide : aucune aide nucléaire ne devait être fournie à la France, ni directement, ni par l’intermédiaire de la Grande-Bretagne. À la mi-mai, c’est de Kennedy lui-même que vint l’avertissement62 : son conseiller à la sécurité Bundy expliqua que l’inclusion de la France dans le partenariat anglo-américain n’était envisageable qu’en échange de « quelque chose de réellement spectaculaire, comme la coopération pleine et entière de la France au sein de l’OTAN et ailleurs, en plus de l’entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE ». Apparaissait ainsi au grand jour le décalage qui séparait Macmillan, de plus en plus focalisé par l’enjeu européen, et Kennedy, à l’approche plus globale, moins euro-centrée, qui abordait le rapport avec la France de De Gaulle sous un angle otanien et stratégique63.

    42Mais les propos de Bundy révélaient autre chose d’encore plus inquiétant du point de vue britannique. Le nouvel ambassadeur américain à Paris Gavin avait été chargé plus tôt dans l’année de sonder de Gaulle sur un échange entre une aide nucléaire américaine et une attitude française plus coopérative au sein de l’OTAN : « Le seul résultat avait été que [de Gaulle] avait cherché à s’emparer de l’hameçon tout en rejetant platement toute idée de coopération plus étroite. Le président espérait que [Macmillan] garderait tout cela à l’esprit en préparant [ses] conversations avec de Gaulle. » L’exclusivité de l’alliance nucléaire anglo-américaine imposait donc sa règle : c’était à Washington de décider ce que la Grande-Bretagne pourrait faire au plan nucléaire avec la France. L’asymétrie de l’alliance anglo-américaine était flagrante : d’un côté, les Américains avaient tâté le terrain pour voir si une négociation nucléaire avec de Gaulle pouvait s’engager, sans mettre au courant au préalable les Britanniques ; de l’autre, ils exigeaient maintenant non sans brutalité que Macmillan ne s’essaie pas à faire de même, si bien que ce dernier se sentit obligé d’assurer Kennedy de son intention de « ne rien faire d’insensé à Champs64 ».

    43Quant à la mise au point de Paris, elle vint de De Gaulle lui-même qui, le 22 mai 1962, devant l’ambassadeur britannique Pierson Dixon, réfuta l’hypothèse d’un quelconque lien entre la question nucléaire et l’adhésion de la Grande-Bretagne à la CEE65. D’abord, la Grande-Bretagne était liée aux États-Unis au plan nucléaire par des « engagements stricts ». C’était là un constat de fait sur l’impossibilité d’une alliance nucléaire franco-britannique : « Même si [les Britanniques] le voulaient, [ils n’étaient] pas en position de mettre en commun avec les Français leur effort nucléaire puisque cela exigerait l’accord des Américains qu’il pensait peu probable66. » Plus important encore, il n’y avait plus désormais aucune certitude sur l’engagement nucléaire américain pour la défense de l’Europe ; il était donc impossible pour la France de renoncer à une force de frappe strictement nationale, ce qui excluait par principe l’hypothèse d’un marchandage avec la Grande-Bretagne. Le président français ne fut d’ailleurs pas le seul côté français à réfuter tout lien entre l’enjeu nucléaire et la première candidature britannique : Clappier, l’un des principaux négociateurs français à Bruxelles, dès le 9 mai, puis un peu plus tard, Michel Debré, depuis peu relevé de ses fonctions de Premier ministre, tentèrent eux aussi d’aplanir le malentendu franco-britannique sur les contours mêmes de la négociation concernant l’entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE67. Le marchandage euro-nucléaire tel qu’il était conçu par Macmillan ne fut jamais considéré comme une possibilité du côté français, pour une raison de principe essentielle : il aurait entraîné des discussions sur le degré d’indépendance du deterrent français, alors que de Gaulle tenait justement à ce que cette indépendance fût indiscutable.

    44L’entrevue entre de Gaulle et Dixon déçut les espoirs de ceux qui, au côté de Macmillan, avaient commencé à réfléchir au « pot-de-vin nucléaire » (de Zulueta, Watkinson), tout en rassurant les « atlantistes » du Foreign Office68. Quant aux interventions répétées des Américains, elles aboutirent à une véritable stérilisation de la diplomatie de Macmillan vis-à-vis des Français. On observa alors une sorte de decrescendo dans les ouvertures britanniques, d’avril jusqu’à la réunion de Champs, où Macmillan fit profil bas sur les questions nucléaires et décida de repousser le développement d’un éventuel partenariat stratégique avec la France à la période postérieure à l’adhésion à la CEE.

    45Le dialogue nucléaire entre Macmillan et de Gaulle à Champs fut donc des plus inconsistants. Macmillan s’en tint à quelques allusions très générales, indiquant qu’il faudrait organiser une Europe politique à Sept, sous la direction des trois puissances principales (France, Grande-Bretagne, RFA) et établir ensemble des plans de défense et d’emploi des armes atomiques69. Ainsi, Macmillan après avoir beaucoup pensé à la carte nucléaire dans ses réflexions sur la manière d’aborder de Gaulle lors de cette réunion décisive, n’en fit rien ou presque, dissuadé par les mises au point conjuguées de Washington et de Paris. En comparaison, l’exposé de De Gaulle fut plus clair, même si on ne le vit guère se mettre en position de demandeur, comme il avait pu donner l’impression de le faire en mars 1960 à Rambouillet. Le Général releva la similitude des conceptions stratégiques des deux pays, qu’il s’agisse de l’emploi de l’arme atomique en cas de menace contre le territoire national ou de l’implication dans la défense avancée de l’Allemagne qui devait rester compatible avec le maintien d’une réserve pour la défense du territoire. Il marqua aussi son ouverture à des discussions bilatérales en matière de planification nucléaire70. Il adopta donc une attitude ouverte quant à l’éventualité d’un rapprochement franco-britannique : « Les intérêts de la France et de la Grande-Bretagne sont parallèles à beaucoup d’égards. […] Peut-être pourrait-on dire qu’ils le sont d’autant plus à mesure que diminue, sur le plan mondial, la crédibilité du deterrent. » L’intuition de De Gaulle était que la perte de crédibilité du parapluie nucléaire américain pourrait devenir l’ultima ratio d’un rapprochement franco-britannique qui aurait sa dynamique propre et permettrait d’aller vers un rapport plus égalitaire entre l’Europe et l’Amérique. Mais il eût fallu, pour cela, des réponses bien plus fermes que celles de Macmillan. Au total, la discussion sur les questions atomiques, comme d’ailleurs sur l’architecture de sécurité euro-atlantique et la défense de l’Europe, resta bien superficielle à Champs-sur-Marne.

    46Toutefois, les Français firent de nouveau en sorte de pousser les Britanniques dans leurs retranchements pour savoir s’il existait une possibilité de coopération nucléaire avec Londres. Quelques jours après Champs, Messmer fit une offre ambitieuse à Watkinson : fabriquer, à deux et indépendamment des Américains, l’ensemble sous-marin nucléaire lanceur d’engins et missile de type Polaris71, pour assurer la crédibilité des forces de dissuasion britannique et française à partir de la décennie 197072. Dans l’esprit des Français, l’objectif était aussi de tirer profit du savoir-faire britannique en matière de propulsion nucléaire, tandis que la France se serait attelée au missile. Watkinson émit un avis favorable73.

    47Le projet se heurta toutefois à l’hostilité du Foreign Office, ressuscitant le clivage déjà observé début 196174. D’après ce qu’en percevaient les diplomates britanniques en juillet 1962, les États-Unis étaient déterminés à ne pas aider les Français à acquérir la puissance nucléaire, de quelque manière que ce soit. Y contrevenir risquait fort de fragiliser le partenariat privilégié avec Washington. Pour Home, il était hors de question d’avancer avec la France sans les Américains. Un deuxième facteur était la crainte que la coopération nucléaire avec la France ne nuise à la négociation engagée avec Moscou à propos du contrôle des armements. Home appliquait ainsi à la France l’argument de la non-dissémination (tout comme on le faisait à l’époque autour de Kennedy). Enfin, selon Home, rien n’obligeait Londres à s’orienter dans le sens d’un « deterrent européen indépendant ». Techniquement parlant, Londres pouvait encore attendre un ou deux ans avant de prendre une décision définitive sur le vecteur successeur – Home prenait ici l’exact contrepied de Watkinson, qui depuis 1960, jugeait nécessaire de prendre des décisions rapides pour pallier l’éventualité d’un échec du programme Skybolt et préserver l’indépendance stratégique britannique. Entre les lignes se dessine l’arrière-pensée atlantiste de Home : s’engager dans la voie du deterrent européen en travaillant dès maintenant avec la France contribuerait à préjuger de l’orientation générale de ce qu’il appelait le « point de vue de défense européen ». On ferait pencher la balance vers une indépendance à la de Gaulle, avant même de faire partie de la CEE et de pouvoir y « exercer pleinement une influence de l’intérieur ». Le Foreign Office recommandait de faire l’inverse : en repoussant la discussion nucléaire avec la France après l’adhésion à la CEE, la Grande-Bretagne serait en mesure d’éviter toute dérive « gaulliste » vers une « indépendance excessive », pour user du concept forgé par Ruane et Ellison.

    48Le Premier ministre se laissa convaincre : il conclut le 15 juillet qu’il fallait attendre « au moins quelques mois » avant toute décision sur la coopération avec la France en matière de sous-marins nucléaires75. L’offre de Messmer ne reçut donc pas de réponse claire. Le comportement britannique confirmait, du point de vue français, ce qui s’était passé précédemment : des ouvertures ambitieuses, articulées à des raisonnements stratégiques qui rejoignaient la logique gaullienne, étaient suivies d’une progressive reculade, et finalement d’une silencieuse rétractation au moment où un projet concret était avancé par les Français. Kaiser a bien noté l’étrange inefficacité de ce procédé où « l’appât diplomatique devait être retiré à chaque fois que le Général s’en approchait trop76 ». En fait, cette forme de diplomatie nucléaire était la seule possible pour Macmillan, étant donné l’état du triangle franco-anglo-américain en 1962. Elle témoignait du fait qu’à l’inverse du Foreign Office, dont certains membres étaient prêts à tirer toutes les conséquences de la dépendance nucléaire accrue envers Washington, en allant jusqu’à prôner le renoncement au deterrent indépendant, Macmillan ne s’y résolut jamais et ne cessa pas, même après Champs, de nourrir des velléités de marchandage euro-nucléaire avec la France77.

    La « crise de l’interdépendance anglo-américaine » et l’impossible alternative française

    49La « crise de l’interdépendance anglo-américaine78 » en matière nucléaire s’aggrava brusquement à partir de l’été 1962 : un courant hostile à la prolongation de la « relation spéciale » avait peu à peu pris le dessus à Washington. Au sein du département d’État, George Ball, Walt Rostow, Henry Owen, soutenus par Rusk, appelaient en effet à un nivellement par le bas du statut nucléaire des nations d’Europe de l’Ouest : proches de Jean Monnet, ils estimaient en effet que les ambitions nucléaires nationales constituaient un obstacle majeur au projet d’intégration européenne. Il fallait donc les décourager et les incorporer dans la MLF qu’on prévoyait d’établir dans le cadre de l’OTAN. En mettant fin à la « relation spéciale » avec la Grande-Bretagne, il s’agissait de calmer les ambitions nucléaires françaises et surtout ouest-allemandes, but central de Kennedy79. Cette politique exerça bientôt une influence prédominante, notamment après que les tentatives d’accord nucléaire avec la France gaullienne eurent échoué80. Elle se traduisit par les déclarations publiques d’Ann Arbor en juin 1962 : McNamara plongea alors les Britanniques dans l’embarras, en déclarant que « les capacités nucléaires de taille limitée, fonctionnant de manière indépendante, [étaient] dangereuses, [coûtaient] cher, [devenaient] vite obsolètes et [n’offraient] guère de dissuasion crédible81 ». Outre Paris, Londres se sentit visé, à juste titre.

    50À cette époque, c’est en fait l’ensemble de la politique nucléaire américaine qui devint difficilement lisible vue de Londres : le suivi attentif et inquiet par les Britanniques82 de la mission du général français Lavaud à Washington – dont la tentative en mars 1962 de dégager la voie à une coopération nucléaire franco-américaine se solda par un échec83 – laissait transparaître deux craintes contradictoires. D’un côté, Londres craignait une politique par trop restrictive de Washington, car l’opposition idéologique des États-Unis à la bombe française limitait d’autant la marge de manœuvre de Macmillan pour sa candidature à la CEE, et contribuait à décrédibiliser ses professions de foi européennes en « stérilisant » le versant stratégique de son entreprise de séduction vis-à-vis de De Gaulle (on l’a vu avec l’épisode de Champs-sur-Marne) ; de l’autre, Londres commençait à avoir peur d’un assouplissement trop brutal et unilatéral de la politique atomique américaine vis-à-vis de la France, au profit des seules entreprises américaines, et sans que la Grande-Bretagne n’eût son mot à dire du fait des contraintes de la « relation spéciale84 ». Dans ce scénario catastrophe, la Grande-Bretagne serait mise à l’écart de l’éventuel arrangement franco-américain, alors qu’idéologiquement, elle n’éprouvait aucune difficulté depuis le départ avec le programme nucléaire français et avait espéré tirer quelque avantage pour elle-même de ses tentatives de médiation entre Paris et Washington.

    51Dans ce contexte, l’intérêt manifesté par les Français en juin 1962 pour une coopération nucléaire avec les Britanniques déclencha une phase d’intense réflexion au plus haut niveau. Une étude sur les « possibilités de coopération nucléaire franco-britannique » impliqua les plus proches collaborateurs de Macmillan : de Zulueta, d’emblée très favorable à un duo nucléaire franco-britannique, mais aussi Roger Makins, directeur de l’Atomic Energy Authority, et Norman Brook, Cabinet Secretary qui y étaient tous deux opposés85. Le Foreign Office fut tenu à l’écart, ce qui était en soi un signe de la volonté de Macmillan d’étudier ce qui pourrait se faire avec la France sans interférence par trop « atlantiste » de ses diplomates. Menée tout au long de l’été 1962, l’étude n’en révéla pas moins à quel point Macmillan était hésitant face au dilemme que lui posait la France gaullienne.

    52Trois domaines de coopération avec la France furent envisagés : l’extraction et la transformation du combustible nucléaire ; la production conjointe d’un vecteur pour la décennie 1970 (c’était ce que Messmer avait suggéré début juin) ; et enfin, la création d’un plan de ciblage conjoint. Sur ce dernier point, la pensée de De Zulueta est révélatrice de l’incertitude stratégique dans laquelle se trouvait plongé Macmillan en 1962, sous l’effet conjugué de l’émergence de la « force de frappe » et de la crise de la « relation spéciale86 » : de Zulueta se demandait de fait si un plan de ciblage franco-britannique serait compatible avec le plan qui associait déjà le Bomber Command et le Strategic Air Command87. En effet, le plan anglo-américain reposait sur une stratégie anti-forces (visant d’abord les infrastructures militaires de l’adversaire). Or, une telle stratégie avait exigé la mise en commun des informations recueillies par les services d’espionnage américain et britannique, pour identifier et se répartir les cibles. Il serait impossible de travailler de la même façon avec les Français sans leur révéler le détail des connaissances anglo-américaines sur l’infrastructure militaire soviétique : l’agrément américain serait du coup indispensable. Aussi de Zulueta proposait-il d’élaborer un ciblage avec les Français sur la base d’une stratégie anti-cités, qui n’exigeait pas du tout la même connaissance des installations militaires de l’adversaire. Il concluait sa réflexion en se demandant du coup si la Grande-Bretagne pouvait avoir simultanément deux plans de ciblage, basés sur des stratégies fondamentalement différentes. Il n’y a pas de meilleure illustration de la déstabilisation de la pensée stratégique britannique à l’été 1962 : sans s’attaquer à la contradiction fondamentale sous-jacente de la position géopolitique britannique, pensée comme « pont » entre États-Unis et Europe, de Zulueta proposait un expédient consistant à manger à tous les râteliers stratégiques. Il contournait ainsi la difficulté centrale, posée par la contradiction des intérêts stratégiques fondamentaux des Américains et des Européens et le risque accru de découplage, du fait de l’émergence de la parité soviéto-américaine.

    53En fait, l’élan réformateur et pro-français impulsé par de Zulueta pour modifier le cours de la politique nucléaire du Royaume-Uni, fut rapidement recadré par Brook et Makins. À la lecture des échanges entre les trois hommes88, on ne peut qu’être gagné par l’impression que l’exercice avait de toute façon été conçu de manière à ce que les arguments pro-français de De Zulueta ne pussent l’emporter. Macmillan avait en effet souhaité une étude purement technique. Il s’agissait d’examiner d’abord ce qui était techniquement faisable, avant de se poser les grands dilemmes politiques. Mais cette dépolitisation de l’exercice eut pour résultat de faire pencher la balance dès le départ en faveur du statu quo, pour le maintien du partenariat exclusif avec Washington, et contre le rapprochement avec Paris. En effet, dans ce cadre « étroit » de réflexion89, l’alternative franco-britannique ne fut jamais examinée d’un point de vue politique et « large », en réfléchissant au problème stratégique de fond que posait de Gaulle depuis 1958. On retrouvait là le mécanisme à l’œuvre dès 1957, par lequel les implications négatives de la « relation spéciale » pour la Grande-Bretagne et pour ses relations avec les Continentaux se trouvaient systématiquement occultées et repoussées dans l’angle mort de la pensée stratégique britannique.

    54La crise de l’alliance nucléaire anglo-américaine poussa toutefois plusieurs personnalités du gouvernement britannique à poursuivre la réflexion sur une réorientation vers la France, voire un remplacement de la « relation spéciale » par un nouveau duo de défense franco-britannique, à tel point que certains historiens ont pu qualifier de « gaullistes » certains responsables britanniques90. Julian Amery, ministre de l’Aviation depuis le remaniement ministériel de juillet 1962, avait émis de telles idées dès 195891. Figure de proue du groupe des « rebelles de Suez » et partisan d’une plus grande indépendance stratégique vis-à-vis des États-Unis depuis 1956, il était aussi un admirateur du général de Gaulle. Plus influent encore était Peter Thorneycroft, successeur de Watkinson au ministère de la Défense. Exaspéré par le cavalier seul des États-Unis, il chercha à donner à la politique de défense britannique une orientation souverainiste. Enfin, plusieurs proches conseillers de Macmillan (de Zulueta ou Bishop) étaient aussi tentés par une réorientation vers l’Europe continentale et la France. Même s’ils restèrent toujours minoritaires face à la grande majorité des ministres atlantistes et aux mandarins du Foreign Office, les « francophiles » étaient surtout présents à la tête de l’appareil de défense britannique et dans le proche entourage du Premier ministre.

    55Durant l’automne 1962, c’est autour de ces personnalités que Macmillan reprit la réflexion sur la réorientation nucléaire vers la France, malgré les résultats peu concluants de l’étude menée au cours de l’été92. Il demanda notamment à Thorneycroft et à Amery de réfléchir à nouveau à la coopération avec la France, notamment concernant le vecteur aérien93. Ayant pris soin de tenir le Foreign Office à l’écart94, Macmillan donna même le 9 octobre son accord à Thorneycroft pour qu’il sonde à nouveau les Français à propos d’un deterrent franco-britannique, contrôlé conjointement par les deux pays95. Toutefois, lors de la rencontre avec Messmer, ce dernier clarifia les choses96 : la France était déterminée à maintenir une indépendance nucléaire absolue et permanente ; une « indépendance relative » (« qualified independence ») à la britannique n’était pas acceptable. Coordonner le ciblage avec les Américains n’était certes pas exclu, mais il était hors de question que la force de frappe soit si liée avec d’autres pays que l’indépendance en serait « endommagée ». Messmer usa alors d’une métaphore révélatrice de la perception française de la situation britannique à la fin de l’année 1962 : si les liens avec une autre puissance nucléaire se multipliaient, comme les fils avec lesquels Gulliver fut ligoté, celui-ci devenait prisonnier, quand bien même chacun des liens était en lui-même insignifiant. Pour les Français, l’autonomie de décision britannique se restreignait toujours plus, du fait de la relation nouée avec les États-Unis.

    56La période d’hésitation de 1962 se conclut sur un constat de paralysie de la diplomatie nucléaire de la Grande-Bretagne vis-à-vis de la France. D’un côté, la primauté de la « relation spéciale » imposait sa logique implacable. De l’autre, les deux paradigmes français et britannique de l’indépendance nucléaire avaient d’ores et déjà divergé au point de rendre tout dialogue bilatéral sur ces sujets superficiel et « sans avenir97 ». Début décembre, la crise de la « relation spéciale » s’aggrava encore. Le discours d’Acheson à West Point, le 5 décembre 1962, contenait une phrase assassine restée fameuse (« la Grande-Bretagne a perdu un empire, mais n’a pas encore trouvé de rôle »). Pire, le gouvernement américain annula unilatéralement le programme Skybolt, missile aéroporté dont les Britanniques dépendaient pour assurer le maintien de leur dissuasion au cours de la décennie 1960. On en arrivait à la phase ultime d’une crise qui avait en réalité commencé depuis la dernière année de la présidence Eisenhower. Tant l’indépendance nucléaire britannique que la « relation spéciale » semblaient remises en cause. Alors que la négociation de Bruxelles sur l’adhésion britannique à la CEE en arrivait à sa phase décisive, le nucléaire, au cœur de la réussite initiale de la politique étrangère de Macmillan, avait fini par devenir une cause majeure de la dégradation de la position internationale de la Grande-Bretagne fin 1962.

    57Les années 1961-1962 révélèrent donc la nature paradoxale de la relation franco-britannique en matière nucléaire. Entre France et Grande-Bretagne, il n’y avait guère de divergence d’analyse sur les grandes questions de stratégie, par contraste avec le désaccord fondamental qui s’était cristallisé entre France et États-Unis à propos de l’Alliance. De même, la Grande-Bretagne ne s’opposa pas activement à l’émergence du programme nucléaire français, par contraste avec l’orientation très restrictive de Kennedy vis-à-vis de De Gaulle98. Pourtant, le dialogue stratégique sans substance de Champs-sur-Marne révélait en creux une divergence profonde des trajectoires nucléaires des deux pays. Le Royaume-Uni s’était laissé enfermer dans un face-à-face déséquilibré avec Washington. La France réfléchissait désormais à ce qu’apportait, dans la situation géopolitique européenne, une force nucléaire résolument indépendante des Américains, y compris dans le développement et la fabrication des armements. En soulignant devant Adenauer en juillet 1962 la portée européenne de l’effort atomique consenti par la France99, quelques semaines après Champs, de Gaulle non seulement prenait son parti de l’impossibilité d’une coopération franco-britannique, mais il misait sur la différenciation des entreprises nucléaires française et britannique : l’indépendance absolue de l’arme nucléaire française, vis-à-vis des États-Unis, lui donnait des vertus « européennes » auxquelles ne pouvait prétendre le deterrent britannique.

    L’affrontement européen

    58« L’Europe a besoin de l’Angleterre. La nécessité de notre alliance n’a jamais été en cause. Mais c’est un fait que nous n’avons jamais eu de politique commune100. » C’est ainsi que de Gaulle résumait le paradoxe des rapports entre l’Angleterre et les Continentaux, en juin 1962, à Champs-sur-Marne. Et de citer deux sujets, la défense et Berlin, à propos desquels les deux pays avaient certes des objectifs communs, mais ne pouvaient s’entendre sur la manière de les atteindre. Pourtant, la première candidature britannique à l’entrée au sein de la Communauté économique européenne, fut une entreprise dans laquelle Macmillan avait donné une place tout à fait centrale à la France du général de Gaulle : c’était par une entente politique avec le dirigeant français qu’il entendait faciliter son admission parmi les Six et accélérer les négociations de Bruxelles. En quelle mesure l’issue malheureuse du pari européen de Macmillan peut-elle s’expliquer par l’évidement du rapport stratégique franco-britannique ou les désaccords de fond concernant la crise de Berlin et la guerre froide ?

    59La bibliographie concernant la première candidature britannique à l’entrée dans la CEE est pléthorique. Les premières études ont mis en avant le rôle personnel de De Gaulle dans l’échec de la première candidature, tout en dédouanant pour une large part la diplomatie britannique101. Cette tendance a été corrigée par les premiers travaux réalisés à partir d’archives dans les années 1990, qui ont souligné les incohérences de la politique européenne du Royaume-Uni102. Se concentrant souvent soit sur les sources britanniques, soit sur les sources françaises, ces études expliquent l’échec de la candidature britannique avant tout par la divergence des visions stratégiques (ou économiques) de Londres et de Paris. Kaiser va le plus loin en ce sens : pour lui, la première candidature était condamnée depuis le début, du fait de ses motivations « atlantistes » qui entraient en contradiction avec la stratégie déployée par Macmillan pour s’entendre avec de Gaulle, à savoir le grand marchandage « euro-nucléaire ». Quant à Milward, il interprète l’échec de la première candidature comme le résultat du heurt entre deux visions de l’économie européenne : une vision britannique mettant déjà l’accent sur la mondialisation, et une vision continentale, surtout française, plus protectionniste. Dans un troisième moment historiographique, l’approche est devenue résolument multilatérale et l’importance du rapport franco-britannique s’en est trouvée relativisée103. Bange et Giauque partagent une démarche centrée sur les quatre principales puissances de l’aire euro-atlantique, France, Grande-Bretagne, États-Unis et RFA, et mettent en avant le heurt des grandes visions politico-stratégiques des dirigeants de ces quatre États, Bange réévaluant à la hausse le rôle d’Adenauer. Mais c’est Ludlow qui a apporté l’interprétation la plus novatrice en montrant que l’échec de la candidature britannique s’était joué à Bruxelles plutôt qu’à Paris. S’appuyant sur les archives des six États-membres, de la Grande-Bretagne et des institutions européennes, il montre que par un usage plus lucide des règles de l’ordre communautaire en voie de formation, et en dépit de la stature du personnage « de Gaulle », la Grande-Bretagne aurait pu l’emporter dans la négociation technique de Bruxelles, et passer en force, contre de Gaulle (et Adenauer). Du coup, dans l’approche de Ludlow, l’enjeu majeur n’est plus la stratégie, mais la tactique. Ce n’est plus tant l’antagonisme des visions sur le rôle de l’Europe, ni l’opposition personnelle de De Gaulle à l’entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE, que l’affrontement des tactiques des délégations à Bruxelles qui explique l’issue de janvier 1963.

    60Ce panorama bibliographique met en évidence une lacune : entre analyses centrées sur un des deux pays, et analyses « multi-archives », le prisme du rapport bilatéral franco-britannique paraît avoir été négligé. C’est donc en comparant la manière dont Français et Britanniques articulaient la négociation technique bruxelloise et le dialogue franco-britannique « traditionnel » sur la « grande politique », au niveau suprême, que nous chercherons à comprendre pourquoi à aucun moment ne s’enclencha une dynamique constructive de concessions réciproques entre les deux pays. On verra par ailleurs qu’à l’inverse du facteur nucléaire, sans doute surestimé, l’impact du facteur Est-Ouest sur la première candidature britannique a été négligé. Il est pourtant tout à fait central pour expliquer non seulement le scepticisme du Général quant à « l’européanité » stratégique du Royaume-Uni, mais aussi la manière dont il put organiser, à partir de l’été 1962, le front commun avec Adenauer contre l’adhésion britannique.

    Les contradictions de la méthode Macmillan

    61Commençons par la stratégie de négociation britannique. On l’a dit, Macmillan ne conçut pas la candidature comme un geste de rupture, inaugurant une vaste réorientation vers l’Europe. Au contraire, ce qui frappe chez lui est la rémanence des conceptualisations traditionnelles du rôle international de la Grande-Bretagne, comme intermédiaire entre trois cercles d’influence, États-Unis, Commonwealth et Europe, selon la célèbre vision churchillienne. Aussi la candidature officialisée le 31 juillet 1961 fut-elle présentée comme conditionnelle : l’objet de la discussion avec les Six était de voir si l’on pouvait dégager des conditions satisfaisantes d’adhésion au Marché commun104. Ce n’est qu’après cet examen que la décision politique d’adhésion serait prise par Londres. Lorsqu’en octobre 1961, le ministre britannique en charge des Affaires européennes Edward Heath dressa la liste des problèmes sur lesquels Londres souhaitait négocier avec les Six – les rapports avec le Commonwealth, l’agriculture britannique et la place des autres membres de l’AELE –, l’on vit bien que les discussions techniques seraient longues et difficiles. Pourquoi Macmillan maintint-il de bout en bout une tactique de négociation résolument lente105 ?

    62En fait, le Premier ministre britannique nourrissait l’espoir d’une entente directe avec de Gaulle, dégageant une sorte de « raccourci politique » pour court-circuiter les négociations bruxelloises. Il ne fallait donc pas trop céder de terrain à Bruxelles avant d’avoir obtenu l’accord de principe de Paris. L’ironie est qu’en sous-estimant l’importance des négociations de Bruxelles jusqu’en décembre 1962, Macmillan finit par leur donner une importance encore plus centrale dans les démêlés franco-britanniques. En effet, par leur lenteur à en venir aux concessions, les Britanniques accrurent la marge de manœuvre des négociateurs français de manière considérable et leur permirent d’organiser une résistance tactique efficace à Bruxelles, sans que la France eût à se positionner sur la question de principe, pour ou contre l’adhésion britannique106.

    63L’étude de la diplomatie personnelle mise en œuvre par Macmillan pour convaincre de Gaulle de la légitimité de la candidature britannique montre qu’il ne fut jamais en mesure de faire changer d’avis ce dernier, dont le jugement concernant la « non-européanité » stratégique du Royaume-Uni était désormais fermement établi. À Birch Grove comme à Champs-sur-Marne, sous prétexte de ne pas s’abaisser à la technicité des dossiers discutés à Bruxelles et espérant séduire le Général par le ton visionnaire de son plaidoyer, Macmillan accepta de se placer sur un terrain qui ne lui était guère favorable, celui des généralités et des desseins grandioses, un terrain éminemment politique donc, et très éloigné des discussions bruxelloises. Malgré tous les efforts consentis par Macmillan pour donner à sa rhétorique un tour gaulliste et européen, le Général eut alors beau jeu de pointer les contradictions entre son discours, favorable à l’indépendance européenne, et sa pratique, bien différente.

    64En novembre 1961, à Birch Grove, Macmillan chercha à prouver sa détermination pro-européenne en appelant à bâtir une entente solide entre France, Royaume-Uni et Allemagne, pour lier définitivement cette dernière au camp occidental107. Il fallait « faire appel à l’imagination », pour constituer un ensemble qui « s’étende aux anciens empires français et britannique afin que l’Europe ait la force voulue pour jouer dans le monde le rôle qui doit être le sien » et « traiter d’égal à égal avec les États-Unis ». Le Général, sur la réserve, ramena la discussion aux questions abordées à Bruxelles. Il appelait la Grande-Bretagne à ne pas négliger les apports économiques de la construction communautaire. Il pointa aussi le problème des liens de la Grande-Bretagne avec « ses prolongements » : à moins de rompre ces liens, le risque était d’aboutir à une « construction mondiale » où les pays du Commonwealth « empêche[raient] l’Europe de se faire ». Outre ces deux avertissements, le Général s’opposa directement à son interlocuteur sur le tempo des négociations, que ce dernier voulait accélérer.

    65En fin de compte, Birch Grove ne modifia nullement le jugement de De Gaulle quant à la candidature britannique, comme en témoignent ses propos moqueurs, devant Adenauer, quelques jours plus tard, quand il évoqua la « grande scène politique et sentimentale » que lui avait jouée Macmillan108. En choisissant de placer son discours dans les hautes sphères de la « grande politique », le Premier ministre s’était rendu la tâche quasi impossible, à un moment où au plan Est-Ouest, l’attitude conciliante des Britanniques à propos de Berlin contredisait toutes ses professions de foi européennes, aux yeux de De Gaulle. L’ambassadeur Dixon avait pourtant bien signalé ce danger avant la réunion : Berlin et l’Europe étaient « étroitement liés dans l’esprit du général de Gaulle. De manière générale, plus nous serions européens (plutôt qu’anglo-saxons) à propos de Berlin, meilleur en serait l’effet sur l’attitude du général de Gaulle à propos de notre participation à l’Europe109 ». Aux yeux de Dixon, de Gaulle était même tellement obsédé par son dessein franco-allemand, visant à « souder le Franc et le Teuton en une Europe nouvelle », qu’il en venait à « ignorer les Russes » et à prendre des risques considérables au niveau Est-Ouest, jusqu’à mettre en péril la paix du monde110 ; aussi, à cause de l’interaction négative des deux questions, faudrait-il peut-être repousser à plus tard l’adhésion britannique à la CEE, une fois qu’un modus vivendi Est-Ouest satisfaisant aurait été négocié. Macmillan n’en chercha pas moins à Birch Grove à convaincre le Général de s’associer à la négociation voulue par Washington et Londres. Cela ne put apparaître aux yeux de De Gaulle que comme une nouvelle preuve des priorités plutôt « mondiales » que strictement « européennes » de la Grande-Bretagne.

    66Le deuxième « round » de l’affrontement entre de Gaulle et Macmillan, à Champs-sur-Marne, eut lieu dans des circonstances a priori moins défavorables pour ce dernier : en juin 1962, les tensions Est-Ouest avaient connu une accalmie et la discussion à propos de la question européenne fut beaucoup plus approfondie. Pourtant, la réunion fut loin d’aboutir à une entente. C’est une fois encore Macmillan qui plaça l’échange sur un terrain politique, après avoir minimisé les problèmes techniques négociés à Bruxelles111 : la France était-elle prête, demanda-t-il, à « décider si, d’un point de vue politique, ce changement [l’entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE] en va[lait] la peine » ? De Gaulle souligna alors à quel point la participation britannique constituerait « un immense changement », marquant l’avènement « d’un autre Marché commun ». Il se déclara effrayé à la perspective d’avoir à rouvrir le dossier de la PAC (politique agricole commune), alors que le compromis élaboré entre les Six en janvier 1962 avait provoqué tant de difficultés, et souligna plus généralement la situation économique particulière de la Grande-Bretagne, « très différente de celle de nous autres continentaux ». Enfin, il expliqua surtout que l’union politique, telle qu’elle était conçue par la France, visait à ce que « peu à peu un sentiment politique commun » s’élabore. L’entreprise, réalisable à Six du fait de la situation comparable de ces pays, de leur exposition similaire à la menace soviétique, de leur volonté d’acquérir une certaine indépendance à l’égard des États-Unis, devenait difficilement concevable si la Grande-Bretagne rejoignait une telle organisation :

    « Vous [les Britanniques] n’êtes pas dans la même situation que ces pays européens. Le sentiment insulaire demeure chez vous très profond. L’Angleterre regarde la mer, les lointains. Elle demeure étroitement liée à l’Amérique par la langue, par les habitudes et même par certains engagements. Le cours naturel de votre politique vous porte à rechercher l’accord des Américains parce que vous êtes “mondiaux”. Si vous entrez dans l’Union, vous apporterez à l’Europe une grande réalité économique, politique et militaire. Mais votre entrée changera tout. Nous devons donc y regarder de près. »

    67Le lendemain, de Gaulle indiquait que l’Europe proposée par Macmillan ne serait plus de la taille de l’Empire carolingien, mais de l’Empire romain. Cet ensemble, extrêmement imposant, serait-il capable d’agir ? On pouvait en douter. L’échange se focalisa alors sur l’aptitude de la Grande-Bretagne à être « européenne », selon les critères définis par le Général. C’était là un terrain qui ne pouvait qu’être défavorable à Macmillan, au vu de la politique qu’il avait pratiquée depuis 1957 concernant sa relation avec Washington et les questions nucléaires, et depuis 1959 concernant Berlin et les rapports Est-Ouest. Aussi le dialogue perdit-il en franchise : Macmillan s’ingénia en vain à gommer les divergences que relevait le Général, tant sur les sujets Est-Ouest que sur la défense de l’Europe. Finalement, le Général ne se départit guère de son jugement en demi-teinte :

    « Vous nous faites l’effet d’avoir beaucoup évolué et de comprendre l’intérêt que vous auriez à faire l’Europe. Mais vous n’êtes pas encore sur le point de la faire, parce que vous demeurez encore attachés au monde extra-européen et aussi parce que l’idée de choisir entre l’Europe et l’Amérique n’est pas encore mûre dans votre esprit112. »

    68On ne peut que relever l’exactitude de cette dernière formulation, à la lumière de nos analyses sur les représentations géopolitiques et la méthodologie de Macmillan qui refusa toujours d’effectuer ce genre de choix, définitivement et a priori.

    69En définitive, il n’existait aucun terrain pour un accord de fond entre les visions française et britannique sur l’Europe et l’absence de lucidité de Macmillan à cet égard révèle trois incompréhensions fondamentales par rapport à la politique gaullienne. Tout d’abord, Macmillan, depuis ce que nous avons appelé le malentendu de Bad-Kreuznach, ne prit jamais au sérieux l’entente profonde qui existait entre de Gaulle et Adenauer à propos de Berlin et de la question allemande, et il n’en vit pas la portée européenne. Ensuite, Macmillan et ses diplomates attribuèrent toujours les ambitions nucléaires et tripartites de De Gaulle à un goût excessif de ce dernier pour le prestige, sans tenir compte du raisonnement gaullien fondamental en faveur de l’indépendance stratégique européenne. Enfin, le machiavélisme et l’aspect changeant de la politique de De Gaulle furent toujours surestimés, ce qui explique pourquoi Macmillan s’entêta à croire à un marchandage euro-nucléaire, après avoir cru à l’automne 1958 à un marchandage euro-tripartite. Au total, Macmillan surestima toujours sa capacité personnelle à faire évoluer de Gaulle et sous-estima l’importance des négociations techniques de Bruxelles. Tout cela contribua à empêcher la prise de conscience d’un rapport des forces peu favorable aux thèses britanniques dans la négociation avec les Six et à ralentir les concessions qui auraient dû en découler. Ainsi, la tactique déployée à Bruxelles et la diplomatie au sommet de Macmillan se nuisirent réciproquement. L’articulation entre les deux échelons fut sans aucun doute meilleure du côté français.

    L’obstruction française à Bruxelles : le poids relatif de De Gaulle

    70C’est un acquis de l’historiographie récente que d’avoir remis en cause la perception première d’un de Gaulle tout puissant et relativisé son influence dans la définition de la tactique des négociateurs français à Bruxelles113. Plusieurs documents inédits trouvés dans le fonds Solférino, consultable depuis 2009 aux Archives nationales, vont en ce sens et permettent de prendre la mesure de l’agacement de De Gaulle à l’encontre de ses propres diplomates qui lui suggéraient de s’en tenir à une attitude prudente, voire ambiguë quant au principe de l’adhésion britannique.

    71À la fin de l’année 1961, une note du Quai d’Orsay décrit ainsi la tactique française114 : « Ne rien dire ou laisser entendre […] qui puisse faire penser au gouvernement britannique soit que le succès est acquis, soit que l’échec est certain » et se contenter de défendre le projet central du traité de Rome, à savoir la création d’« une union douanière régionale européenne », sans « passage du plan régional au plan mondial ». Par crainte des répercussions négatives d’une attitude trop claire, dans un sens ou dans l’autre, il était conseillé au président de laisser la plus grande marge de manœuvre possible aux négociateurs français à Bruxelles, en évitant de répondre à la question politique fondamentale : la France souhaite-t-elle ou non l’entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE ? De fait, la circonspection observée par de Gaulle à Birch Grove fut très proche de la ligne suggérée par ses services et marqua un infléchissement rhétorique net par rapport aux propos bien plus négatifs tenus dans la période qui précéda la déclaration de candidature du 31 juillet 1961.

    72Pourtant, quelques jours plus tard, de Gaulle exprima son impatience lorsqu’à nouveau, les diplomates conseillèrent la discrétion en vue de la rencontre avec Adenauer le 9 décembre115. Il refusa complètement l’interprétation du Quai d’Orsay qui faisait d’Adenauer le complice de Macmillan dans sa décision de rechercher l’adhésion116. Surtout, il n’admit guère que l’attitude à adopter concernant l’adhésion britannique fût liée à la PAC, qui donnait lieu alors à d’importantes divergences franco-allemandes : « Voilà bien une note de diplomates. Négligeons le fond des choses pour une opportunité ! », s’exclama de Gaulle. Face à Adenauer, il n’hésita d’ailleurs pas à afficher la couleur117 : il se référa à la nature politique du Marché commun, d’une part pour souligner l’importance fondamentale qu’il accordait à la résolution des difficultés franco-allemandes à propos de la PAC, d’autre part pour affirmer la différence qui séparait les Britanniques des Continentaux : « S’il en était autrement, le monde entier, et surtout le Royaume-Uni avec son Commonwealth, aurait déjà pu y participer », ajouta-t-il. Si on récapitule la ligne du Général le 9 décembre, l’objectif premier est bien de parvenir à un accord franco-allemand : au plan économique, la consolidation de la CEE a clairement la priorité par rapport à son élargissement à la Grande-Bretagne, tandis qu’au plan politique, l’union politique européenne doit permettre une affirmation des intérêts de sécurité des « Continentaux » face aux « Anglo-Saxons », en particulier à propos de Berlin. En un mot, la Grande-Bretagne était clairement à l’extérieur de l’unité européenne dont le Général souhaitait la réalisation en décembre 1961, la candidature britannique apparaissant comme une raison de plus d’affirmer la primauté du lien franco-allemand.

    73Deux conclusions s’imposent quant à l’attitude personnelle de De Gaulle : d’une part, il se confirme qu’il fut défavorable à l’adhésion britannique dès le moment où la candidature fut officialisée en juillet 1961, et que cette position dérivait de jugements d’ordre politico-stratégique qui s’étaient cristallisés durant la période précédente, en 1958-1960 ; d’autre part, le Général n’en accepta pas moins, à contrecœur, de temporiser sur le plan tactique et de jouer le jeu bruxellois, afin de préserver l’avenir de la CEE. Cela impliquait de laisser subsister un doute dans l’esprit de Macmillan quant à la position française vis-à-vis de la candidature britannique, alors qu’il n’y en eut jamais chez le Général.

    74On voit bien pourquoi la politique française a pu être qualifiée de « sournoise118 », mais Macmillan aurait dû s’apercevoir que son dialogue avec de Gaulle était structurellement vicié et insuffisamment articulé à la négociation bruxelloise. Si de Gaulle était sans illusion sur la portée limitée de ses conversations avec Macmillan, à l’inverse ce dernier continua de se fier à sa relation personnelle avec le dirigeant français pour court-circuiter les longues discussions techniques de Bruxelles auxquelles il ne prêtait qu’une attention limitée. Ce choix fut extrêmement dommageable pour le Royaume-Uni, alors qu’il apparaît que certains hauts fonctionnaires avaient alerté dès le départ le Premier ministre sur les contours probables du jeu diplomatique français, décrit dès le 30 août 1961 en des termes prophétiques par Frank Lee, l’un des premiers à avoir prôné l’adhésion au Marché commun :

    « Si les Français ne veulent pas de nous dans la Communauté, il n’est guère probable qu’ils veuillent s’aliéner leurs partenaires de la CEE en l’affirmant ouvertement. Leur technique dans les négociations consistera à adopter une tactique d’atermoiement et d’exploitation des divergences découlant des problèmes techniques, afin de nous empêcher d’obtenir les dispositions spéciales qui sont une pré-condition de notre adhésion119. »

    75Le jeu de dupes, auquel étaient réduits l’échange franco-britannique et les « interminables discussions de Bruxelles120 », ne plaisait toutefois guère au Général, loin s’en faut. Par deux fois, il fut tenté de changer de tactique entre mai et juillet 1962. Juste avant Champs-sur-Marne, le 24 mai, une réunion interministérielle donna lieu à un important débat à l’intérieur du gouvernement121. Le nouveau Premier ministre Georges Pompidou adopta la ligne la plus conciliante. Pour lui, il fallait certes refuser les concessions qui dénatureraient le Marché commun, mais cela « ne justifi[ait] pas, en revanche, de gestes spectaculaires de notre part, qui impliqueraient notre rejet de toute participation anglaise ». Plusieurs des personnalités directement responsables de la négociation formulèrent alors des objections de principe : arguant des difficultés monétaires induites par l’existence de la zone sterling, Wormser estima que « le vrai danger d’éclatement du Marché commun résid[ait] dans le fait de l’élargir ». Le ministre de l’Agriculture Edgar Pisani quant à lui appelait à une prise de décision rapide, car la « machine des négociations » pouvait devenir « un engrenage ». Pompidou répondit qu’en s’appuyant sur le caractère régional du Marché commun, proclamé par les Six comme la base même de leur entreprise, on pouvait le sauvegarder. Il voyait même les États-Unis comme un appui, étant donné leur intérêt à faire disparaître peu à peu les préférences commerciales du Commonwealth. De Gaulle conclut en s’interrogeant : ne faudrait-il « pas avoir au préalable une conversation approfondie dans le cadre des Six et à l’échelon le plus élevé » ? Ainsi, tandis que Pompidou réfléchissait aux manières de parvenir à une adhésion britannique dans les conditions les plus favorables pour la France, de Gaulle songeait à changer de tactique, pour poser le problème de principe, au sommet, entre les Six. S’exprimant à la fin de la délibération, Couve de Murville s’inscrivit en faux contre ces deux suggestions : malheureusement, l’Amérique poussait la Grande-Bretagne dans le Marché commun, avec l’espoir de « constituer sous son égide, une vaste communauté atlantique fondée sur le principe du libre-échange ». Prendre appui sur les Américains était donc impossible. Quant à un sommet des Six, Couve de Murville releva le caractère équivoque des positions de fond des Cinq ; « toute question posée dans ce cadre risqu[ait] donc de provoquer des dissentiments » qu’il valait mieux éviter de faire apparaître au grand jour. Il proposait de s’en tenir à la tactique intermédiaire, adoptée depuis le début des négociations à Sept : éviter de poser la question de principe et laisser la discussion bruxelloise se poursuivre. Cette délibération, particulièrement intéressante, révèle donc les profonds dilemmes auxquels était confronté le gouvernement français. De Gaulle fut tenté de couper court aux ambiguïtés de la discussion bruxelloise, en reprenant en main le dossier et en tranchant dans le vif, au niveau suprême, entre les Six. Mais les arguments que lui opposa Couve de Murville l’emportèrent. Le 1er juin, Wormser résumait ainsi la ligne française en vue de la rencontre de Champs-sur-Marne : « Notre intérêt est, semble-t-il, de laisser M. Macmillan dans le doute » et de gagner du temps, dans le but « non pas d’écarter l’Angleterre, mais d’éviter que le Marché commun ne disparaisse à la suite des remous que provoquerait l’échec de la négociation de Bruxelles122 ».

    76On en arriva peu après Champs à un moment clef de la négociation bruxelloise, lors de la dixième réunion ministérielle, au tournant des mois de juillet-août 1962, juste avant la pause estivale qui devait durer jusqu’au début octobre123. Les Britanniques espéraient parvenir à une « vue d’ensemble » des problèmes qui se posaient en rapport avec le Commonwealth, afin de négocier en conséquence avec les Premiers ministres du Commonwealth, réunis à Londres en septembre. Aussi vit-on la négociation s’accélérer. Cette évolution ne fut pas sans provoquer les plus vives inquiétudes de De Gaulle, et le 31 juillet 1962, une réunion du Conseil sur les affaires européennes délibéra à nouveau de la tactique française124. De Gaulle semblait tenté de durcir la ligne et demanda si, au nom de la cohésion des Six, on n’acceptait pas des concessions agricoles trop importantes. Wormser et Clappier répondirent que les concessions envisagées, purement formelles, étaient absolument nécessaires pour maintenir l’unité des Six. Toutefois, cela ne rassura qu’à moitié le Général : si les Britanniques acceptaient ces concessions françaises, « nous en serions bien contrariés », car comment obtenir la garantie que la PAC ne soit pas démantelée en cas d’adhésion britannique ? La démarche proposée ne revenait-elle pas à « remettre à plus tard la solution des problèmes de fond, la Grande-Bretagne étant alors membre de la CEE, et pesant peut-être de tout son poids dans les décisions » ? Wormser, Clappier et même Pisani, conseillèrent de continuer à « se maintenir entre la rupture et le succès de la négociation » (formule d’Ortoli), d’« éviter une rupture brutale » tout en cherchant « à s’acheminer vers un ajournement » (Wormser). Mais c’est Pompidou qui prit le plus fermement position contre tout changement d’attitude : en cas d’éclatement du Marché commun, les Français seraient, « l’Italie mise à part, les plus gros perdants. Nous avons également intérêt à ce que l’affaire anglaise n’aboutisse pas. Or, pour entrer, la Grande-Bretagne devrait rompre avec le Commonwealth. Il n’est donc pas souhaitable que nous prenions la responsabilité de la rupture de la négociation. Il vaudrait mieux tâcher de la faire se perdre dans les sables ». De Gaulle admit donc qu’il ne fallait pas changer de tactique pour le moment et qu’il fallait éviter d’être « les seuls auteurs » d’une rupture éventuelle. Cette réunion du 31 juillet n’en révéla pas moins chez de Gaulle la crainte de perdre le contrôle de la situation à Bruxelles et de se retrouver contraint de devoir choisir entre Charybde et Scylla, à savoir entre l’adhésion britannique et l’éclatement de la CEE.

    77Aussi, lorsque la dixième session ministérielle échoua début août à produire un accord sur les produits agricoles tempérés du Commonwealth – enjeu crucial qui plaçait les « vieux dominions » (Canada, Nouvelle-Zélande et Australie) en concurrence directe avec les productions agricoles européennes –, il ne fait aucun doute que cela fut accueilli avec soulagement à l’Élysée. Ludlow a montré que cet échec fut en large partie provoqué par des instructions attentistes du gouvernement britannique, qui demandaient à Heath d’améliorer le plus possible les propositions des Six, mais non de parvenir à tout prix à un accord provisoire avec eux125. Ce fut bel et bien une occasion perdue par le gouvernement britannique de marquer un point décisif, sur une question politiquement cruciale pour lui, avant l’interruption estivale. Lorsque les discussions à Sept reprirent à l’automne 1962, l’élan avait été perdu et la conjoncture politique en Grande-Bretagne ne permit guère de le regagner par la suite. Le caractère excessivement « conditionnel » des instructions envoyées à la délégation britannique ressort donc de cet épisode.

    78Ainsi, en dépit des inquiétudes de De Gaulle au sujet de la candidature britannique qui culminèrent au printemps et à l’été 1962, la tactique des négociateurs français resta la même jusqu’à la fin 1962 : se poser en gardien du traité de Rome et de l’acquis communautaire, résister à toute concession majeure aux demandes de la Grande-Bretagne, mais ne pas s’opposer par principe à l’adhésion. En parallèle de l’affrontement à fleurets mouchetés qui se déroulait à Bruxelles, de Gaulle tenta toutefois de faire triompher son idée d’Europe européenne sous la forme du plan Fouchet, prévoyant une union politique entre les Six. Il échoua cependant et se heurta notamment à ce qui fut appelé « le préalable anglais ».

    L’échec du plan Fouchet et les dessous compliqués du « préalable anglais »

    79Le plan Fouchet découlait de la vision exposée par le Général à Adenauer en juillet 1960, à Rambouillet. Rappelons qu’en dépit des réticences néerlandaises et belges, les Six réunis au sein de la « commission d’études » dirigée par le Français Christian Fouchet, parvinrent à un fragile compromis fin 1961, le « plan Fouchet I ». Toutefois, sur trois points essentiels, en janvier 1962, de Gaulle modifia le projet de traité qui lui avait été soumis : il supprima la référence à l’Alliance atlantique et la mention des traités de Paris et de Rome, instituant la CECA, l’Euratom et la CEE ; il ajouta l’économie aux compétences prévues pour l’Union politique (politique étrangère, culture, défense). D’après Soutou, ce « plan Fouchet II » provoqua une rupture de confiance désastreuse entre les Six et entraîna l’échec final de l’Union politique en avril 1962126. Soutou fait donc de l’hybris gaullienne la cause principale de l’échec du plan Fouchet. Toutefois, comme pour la candidature britannique à l’entrée dans la CEE, l’historiographie récente, s’appuyant notamment sur les archives néerlandaises et belges, a eu tendance à relativiser la responsabilité personnelle de De Gaulle dans l’échec du plan Fouchet127. Vanke a ainsi montré que les Pays-Bas étaient résolus à s’opposer aux thèses gaulliennes dès le début, pour des raisons de fond, et il estime que « les gouvernements français et néerlandais n’étaient en aucun cas sur le point de se mettre d’accord au début 1962, avant les nouvelles propositions de De Gaulle ». C’est dans ce contexte précis qu’on vit peu à peu monter en puissance l’argument du « préalable anglais », en particulier après que le Royaume-Uni eut fait acte de candidature en juillet 1961 pour rejoindre la CEE.

    80Le « préalable anglais » consista, pour Luns et Spaak, ministres des Affaires étrangères néerlandais et belge, à lier leur acceptation de l’union politique promue par de Gaulle à la participation britannique à l’Europe des Six : en un mot, soit l’Europe devenait plus intergouvernementale en s’incorporant la Grande-Bretagne, soit elle la laissait de côté mais restait fidèle à la méthode communautaire128. Quel fut le poids relatif du « préalable anglais » dans l’échec du plan Fouchet, en comparaison des deux autres motifs de désaccord qui séparaient de Gaulle et Adenauer des Pays-Bas et de la Belgique (et dans une moindre mesure l’Italie), c’est-à-dire le débat sur les institutions européennes entre intergouvernementalisme et supranationalité et l’affrontement politico-stratégique entre les visions atlantiste et gaulliste du rapport entre Europe et États-Unis ?

    81Le geste de De Gaulle en janvier 1962 obligea chaque État à dévoiler son jeu, entraînant ainsi le blocage des négociations, car le Général avait sous-estimé la détermination des petits pays de la CEE à lui résister. Malgré la retraite tactique qu’il opéra sur deux points, l’inclusion dans le texte du traité des références à l’OTAN et aux communautés européennes, le moment de vérité arriva lors de la réunion ministérielle des Six du 17 avril 1962129 : le « préalable anglais » fut alors le point de désaccord insurmontable autour duquel s’articulèrent les divergences qui s’étaient fait jour à la fin 1961 et au début 1962.

    82Faut-il en conclure que l’échec du plan Fouchet révélait l’importance cruciale du facteur britannique dans le jeu européen de 1962 ? D’après Ludlow, il ne put y avoir de la part de Londres une action déterminée pour provoquer, encore moins organiser, l’échec du plan Fouchet130. Certes, la tenue de discussions sur l’Europe politique entre les Six, sans participation britannique, irrita beaucoup Londres. Mais après la candidature de l’été 1961, les Britanniques cherchaient surtout à être admis à la table des discussions sur le plan Fouchet, non à les faire échouer. Le problème est que la France était hostile à l’inclusion britannique dans la commission Fouchet131 et que la Grande-Bretagne n’était pas en mesure de s’opposer frontalement aux Français sur ce point, si elle voulait préserver ses chances d’entrer dans la CEE. Aussi, lorsque le 10 avril 1962, devant l’assemblée de l’UEO, Heath exprima pour la première fois publiquement le souhait du Royaume-Uni de participer à l’union politique, ce geste n’était pas destiné à saboter le plan Fouchet, mais à faire pression pour lever l’opposition française à la participation britannique.

    83Tout le paradoxe de la diplomatie britannique par rapport au plan Fouchet est là : le « préalable anglais » avait occupé une place croissante dans les controverses entre les Six, jusqu’à devenir, tout du moins en apparence, la principale pomme de discorde en mars-avril 1962 ; le discours de Heath du 10 avril fut même un catalyseur du blocage du 17 avril ; mais cela n’implique pas que la Grande-Bretagne ait eu effectivement un rôle central et actif dans le jeu diplomatique européen, bien au contraire.

    84En effet, la formulation du « préalable anglais » ne fut en aucun cas le résultat d’une action diplomatique dirigée par Londres, mais une tactique de Luns, et dans une moindre mesure de Spaak, qui instrumentalisèrent avec habileté la place du Royaume-Uni par rapport à l’Europe pour parvenir à leurs fins (faire échouer le plan gaullien).

    85Ensuite, il faut bien voir que le « préalable anglais » n’était que la partie émergée de l’iceberg : la divergence sur l’inclusion ou non de la Grande-Bretagne dans les discussions politiques à Six et dans la CEE renvoyait au fond à un désaccord encore plus fondamental sur l’orientation politico-stratégique de l’Europe, soit dans un sens « gaulliste », soit dans un sens « atlantiste », ce que Spaak souligna en mars 1962132. Autrement dit, le débat sur le Royaume-Uni servait indirectement à discuter du rapport avec les États-Unis.

    86Enfin, la Grande-Bretagne n’atteignit pas du tout ses objectifs dans cette affaire, qui étaient de participer à la discussion sur l’Europe politique et de se servir de ce thème pour convaincre le Général de la pertinence de la participation britannique à la CEE. Le refus obstiné de la France d’inclure la Grande-Bretagne dans les discussions sur le plan Fouchet, qui tenait à la conviction qu’il ne serait guère possible de poursuivre le grand dessein gaullien d’une Europe maîtresse de son destin si la Grande-Bretagne y participait, réduisit donc à la portion congrue l’influence effective de Londres dans cette affaire.

    87Qu’en conclure sur les rapports entre le plan Fouchet et la négociation de Bruxelles sur la candidature britannique ? Là encore, il existe un paradoxe : l’opposition britannique à la volonté gaullienne de bâtir une « Europe européenne », indépendante des États-Unis et subvenant elle-même à sa sécurité, ne se manifesta guère dans les positions officielles de Londres en 1961-1962, constamment favorables à l’égard du plan Fouchet, du fait de son inspiration strictement intergouvernementale. C’est pourquoi, alors que les deux pays divergeaient fondamentalement sur le rapport que l’Europe devait entretenir avec les États-Unis, le plan Fouchet occupa finalement une place marginale dans la confrontation diplomatique franco-britannique sur l’Europe, en 1961-1962. C’est bien le Marché commun sur lequel se concentra l’attention. Ce paradoxe s’explique sans doute par le fait que « l’Europe européenne » demeura toujours une virtualité : la Grande-Bretagne n’eut jamais à s’y opposer elle-même directement. La Belgique et les Pays-Bas s’en chargèrent ! En outre, si Macmillan se déclara favorable à l’Europe politique intergouvernementale à la fin de l’année 1961, c’est aussi parce qu’il voyait dans le principe intergouvernemental un moyen très efficace de mettre le Royaume-Uni en position d’empêcher toute dérive vers une indépendance excessive de l’Europe par rapport aux États-Unis, une fois admis dans la CEE et l’union politique. L’argumentaire britannique favorable au plan Fouchet dissimulait donc à n’en pas douter un désaccord profond sur le sens à donner à l’Europe politique.

    De Gaulle prépare le coup d’après

    88Inquiété par l’évolution des négociations sur la candidature britannique et constatant l’échec du plan Fouchet, de Gaulle ne fut pourtant pas en mesure de faire évoluer la tactique diplomatique mise en œuvre par ses diplomates à Bruxelles. Pour autant, fidèle à son habitude, il ne se contenta pas de cette ligne purement défensive et prépara activement le terrain pour repasser à une opposition plus frontale à l’adhésion britannique, au moment opportun. La consolidation de l’entente avec Adenauer constitua alors l’élément central de son jeu diplomatique. L’échec du plan Fouchet en avril 1962 avait révélé l’impossibilité de construire l’Europe à Six. De Gaulle décida donc de tenter de la construire à Deux, avec la RFA d’Adenauer.

    89Dans cette nouvelle phase de la politique étrangère du Général, la convergence de jugement politique avec Adenauer à propos de la place du Royaume-Uni par rapport à l’Europe joua un rôle essentiel. Ce fut même le thème principal de leurs discussions lors de la visite officielle du chancelier en France, en juillet 1962, ce qui était sans précédent et donne toute la mesure de l’inquiétude éprouvée alors par le Général face au processus bruxellois.

    90En juillet 1962, de Gaulle et Adenauer décidèrent en effet de contourner le « préalable anglais », afin de relancer l’union politique « sans attendre la Grande-Bretagne133 ». Les deux hommes exprimèrent aussi, chacun à leur manière, leurs doutes par rapport à l’opportunité de l’élargissement du Marché commun, et une insatisfaction commune par rapport à la procédure bruxelloise. On se mit d’accord pour changer de méthode et en revenir, au niveau des gouvernements, à la question de principe fondamentalement politique que soulevait la candidature britannique. Pour finir, de Gaulle posa en réunion plénière une question « directe et très importante » à Adenauer : si « les Italiens ou d’autres [disaient] que rien [n’était] possible sans la Grande-Bretagne, la République fédérale accepterait-elle de conclure avec la France une union politique qui serait, en fait, et par la force des choses, limitée à deux ? ». Le chancelier répondit positivement : « Si nous faisions autrement, nous nous placerions dans une position de dépendance totale vis-à-vis de la Grande-Bretagne », précisa-t-il. De Gaulle souligna l’importance capitale de cette déclaration et en conclut qu’« il n’y [avait] maintenant plus aucun doute sur notre solidarité ». Cette solidarité, de Gaulle demanda qu’elle se concrétisât dans les grands moments de la négociation de Bruxelles avec la Grande-Bretagne par une meilleure coordination entre les délégations française et allemande.

    91Au total, la rencontre franco-allemande de juillet 1962 fut de part en part dominée par la question de la place de la Grande-Bretagne par rapport à l’Europe des Six. Londres devint donc, à ses dépens, le point central d’application de la solidarité croissante entre la France de De Gaulle et la RFA d’Adenauer. Le chancelier était prêt à suivre le Général dans sa volonté de rompre le lien entre l’affirmation de la solidarité européenne et la négociation concernant l’adhésion britannique à la CEE : le passage d’une entente à six vers une entente à deux, objet d’un accord de principe, avait en effet pour motivation fondamentale d’éviter de dépendre de l’assentiment britannique pour construire l’union politique européenne.

    92Toutefois, cela ne signifie pas que la politique allemande s’aligna sur celle de la France. Certes, après la rencontre de juillet 1962 avec de Gaulle, Adenauer exprima de plus en plus ouvertement ses doutes quant à l’opportunité de l’adhésion britannique à la CEE134. Mais l’influence du chancelier sur la politique étrangère de son pays avait d’ores et déjà décliné. Deux factions s’affrontaient avec toujours plus d’intensité au sein du gouvernement et du monde politique allemands : ceux qu’on appela bientôt les « gaullistes » allemands, réunis autour d’Adenauer, souhaitaient approfondir le rapprochement avec la France gaullienne et s’opposaient à une tendance atlantiste et anglophile, représentée au gouvernement par Schröder et Erhard135.

    93En septembre, alors même que la visite officielle de De Gaulle en Allemagne tournait au triomphe, scellant symboliquement la réconciliation « non seulement pour les deux gouvernements, mais pour les deux peuples136 », le président allemand Lübke tenta de remettre en cause les accords du début juillet 1962 et voulut attirer l’attention du Général sur l’échec du chancelier « dans sa politique qui visait à éliminer les Anglais137 ». Non sans perspicacité quand on connaît les événements de 1963, il souligna qu’une exclusion des Britanniques hors de l’Europe des Six aurait pour effet de faire perdre à Adenauer sa majorité. Face à cet argumentaire, de Gaulle durcit encore sa position : « L’Europe avec l’Angleterre, son Commonwealth et ses seconds, c’est l’abandon de la politique européenne. C’est l’Europe soumise à la politique américaine. Si tel est le but, il est déjà atteint, et il est inutile de parler d’autre chose. » Pour de Gaulle, il fallait tout simplement choisir entre l’adhésion britannique et le projet d’une politique véritablement européenne.

    94Les ambivalences allemandes étaient patentes en septembre 1962, mais de Gaulle put aussi constater la détermination d’Adenauer à affirmer envers et contre tout son lien privilégié avec la France. Après Colombey et Bad-Kreuznach en 1958, puis Rambouillet en 1960, l’entente des deux hommes sembla d’ailleurs franchir encore un nouveau seuil face à l’adversité138. Seul le resserrement de la solidarité franco-allemande dans tous les domaines permettrait d’envisager « une association avec les Anglais qui n’aboutirait pas à renier les Six ». Qu’il s’agisse de coopération diplomatique à propos de Berlin et des rapports avec l’Est, de défense commune, d’Afrique et d’aide aux pays sous-développés, le renforcement préalable du duo franco-allemand apparaissait comme la seule issue possible face aux dilemmes provoqués par la candidature britannique.

    95La solidarité franco-allemande devait donc s’affirmer autant en réponse à la candidature britannique que face à l’évolution inquiétante de la stratégie nucléaire des États-Unis et de leur politique envers Moscou. Si la défense commune franco-allemande se justifiait, c’était d’après de Gaulle parce que les deux pays étaient « directement menacés, plus directement que l’Angleterre ou l’Amérique139 ». Solidarité franco-allemande, refus de laisser la Grande-Bretagne en position de bloquer la coopération économique et politique entre Continentaux, et enfin, refus de dépendre entièrement de l’Amérique pour la défense de l’Europe allaient de pair dans l’esprit de De Gaulle. Adenauer acceptait l’essentiel de ce raisonnement gaullien. On voit donc à quel point le facteur berlinois fut important dans l’évolution des rapports entre les quatre grandes puissances euro-atlantiques lors des années 1961-1962 : le virage de Kennedy vers une attitude plus conciliante envers Moscou, qui s’accentua durant l’année 1962, poussa Adenauer dans les bras de De Gaulle, et mit en évidence la similitude des tendances de Londres et de Washington à vouloir régler le problème de Berlin par des concessions significatives à Khrouchtchev. Tout cela donna crédit à plusieurs représentations géopolitiques gaulliennes : la dichotomie entre « Anglo-Saxons » et « Continentaux » ; l’idée d’une insularité fondamentale des Britanniques, incapables de poursuivre une politique commune avec les Continentaux ; et enfin, l’idée d’une solidarité stratégique de type « continental », entre Français et Allemands, engagés dans une seule et même bataille face aux Soviétiques. En définitive, l’évolution américaine vers une attitude de concessions, « à la britannique », à propos de Berlin, eut un effet négatif sur la politique étrangère de Macmillan, qui, bien plus que Kennedy, était exposé à d’éventuels retours de bâton de la part des deux principaux dirigeants de l’Europe des Six.

    Conclusion

    96À la fin de l’année 1962, le problème de la place de la Grande-Bretagne par rapport à l’Europe se retrouva au cœur d’un imbroglio où se mêlaient l’ensemble des grandes questions euro-atlantiques. La reprise des négociations de Bruxelles en octobre déboucha rapidement sur un constat de blocage à propos des enjeux agricoles, sans qu’il fût possible de renouer avec l’élan de l’été 1962. Il s’ensuivit un brusque surcroît de tension parmi les Six, ainsi qu’entre les Six et Londres, et à la toute fin de l’année, les États-Unis, inquiets d’un éventuel échec de la candidature britannique, parurent prêts à intervenir dans le jeu diplomatique intra-européen. La jonction entre les scènes diplomatiques européenne et transatlantique paraissait donc en passe de s’opérer pour sauver le pari européen de Macmillan. Ensuite, en RFA, la controverse faisait rage entre les partisans du rapprochement avec la France de De Gaulle, autour d’Adenauer à l’influence déclinante, et ceux qui souhaitaient une diplomatie plus sensible aux influences « anglo-saxonnes ». Parmi ces derniers, le ministre Schröder explora l’éventualité d’un linkage entre l’institutionnalisation de la coopération franco-allemande, prônée par de Gaulle, et l’adhésion britannique à la CEE. La candidature britannique se retrouva au cœur de la lutte d’influence qui s’intensifiait entre les partisans d’Adenauer et ceux d’Erhard et de Schröder, tandis que s’accentuaient les pressions extérieures s’exerçant sur Bonn pour en influencer l’orientation générale sur le plan international. Enfin, alors que Macmillan s’était résolu à l’idée que le marchandage euro-nucléaire avec de Gaulle était une voie sans issue, et qu’il valait mieux s’occuper du problème européen en lui-même, en repoussant à plus tard les décisions délicates concernant l’avenir du deterrent britannique, la décision unilatérale prise par Washington d’annuler le programme de missile Skybolt bouleversa la séquence désormais privilégiée par le gouvernement britannique. Macmillan fut donc obligé de s’occuper simultanément des questions européenne et nucléaire. Par ces trois biais, à Bruxelles, à Bonn, et à cause de la crise du Skybolt, les problématiques européennes et transatlantiques, politico-économiques et politico-stratégiques, se retrouvaient inextricablement liées, faisant de l’enjeu anglo-européen le nœud gordien que le Général s’apprêtait à trancher.

    Notes de bas de page

    1 Kaiser Wolfram, Using Europe, Abusing the Europeans: Britain and European Integration, 1945-63, Londres, Macmillan Press, 1996.

    2 Voir HMD, vol. II, p. 399-400, entrée du 22 juillet 1961 : « Parviendrons-nous à un accord sur les points vitaux : a) le Commonwealth, b) l’agriculture britannique ? Je n’en sais rien. J’aurais tendance à juger que le plus probable est l’absence d’accord, à moins que – pour des motifs politiques – de Gaulle ne change d’avis. Car je pense qu’il est toujours hostile et jaloux. »

    3 Voir Mahan Erin, Kennedy, De Gaulle, and Western Europe, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2002.

    4 DDF, 1961-II, no 61, réunions des MAE occidentaux à Paris, 5-7 août.

    5 DDF, 1961-II, no 63, entretien de Gaulle/Rusk, 8 août.

    6 DDF, 1961-II, no 112, réunions des MAE occidentaux à Washington, 14-16 septembre.

    7 De Gaulle avait prévenu Kennedy de l’abstention française dès le 26 août (DG-LNC, p. 398-399, message à Kennedy au sujet de Berlin). Les discussions avec les Soviétiques furent menées à différents niveaux par Stevenson, Rusk et Kennedy côté américain, par Home et Macmillan, côté britannique.

    8 Voir DDF, 1961-II, no 192, II, Birch Grove, entretiens de Gaulle/Macmillan, 24-25 novembre : « Évidemment, nous ne ferons pas la guerre tout seuls et ce sont les Américains qui décideront au fond des choses. »

    9 DDF, 1961-II, no 51, échange de lettres entre Kennedy et de Gaulle, 21 et 27 juillet. Le gouvernement français prit lui-même des mesures pour rehausser sa contribution à la défense aérienne et terrestre de la RFA (voir Soutou Georges-Henri, « Paris als Nutznießer des erfolglosen Wiener Gipfels », in Stefan Karner [dir.], Der Wiener Gipfel 1961: Kennedy-Chruschtschow, Innsbruck, Studien-Verl., 2011, p. 185-203 [p. 198-199]). À noter qu’à la même époque, la procédure de ratification à Washington de l’accord franco-américain sur l’équipement des Forces Françaises d’Allemagne en armes atomiques tactiques américaines fut débloquée, ce qui déboucha sur une coopération opérationnelle, dans le domaine de la défense nucléaire du théâtre Centre-Europe (DDF, 1961-II, no 8 et 83, notes du service des Pactes, 4 juillet et 24 août).

    10 DDF, 1961-II, no 61, réunions des MAE occidentaux à Paris, 5-7 août.

    11 Macmillan considérait les mesures prises pour défendre Berlin comme « militairement absurdes » (HMD, vol. II, p. 407, entrée du 19 août 1961). Voir aussi Gearson John, Harold Macmillan and the Berlin Wall Crisis, op. cit., p. 180-196.

    12 UKNA, CAB 128/35/45, réunion du Cabinet du 28 juillet 1961.

    13 HMD, vol. II, p. 417-418, entrée du 8 octobre 1961 : « Le président K [sic] a semblé avoir vraiment “ras-le-bol” tant d’Adenauer que de De Gaulle » concernant l’affaire de Berlin.

    14 DDF, 1961-I, no 249, entretiens à Rhöndorf et Bonn, 20 mai. Voir aussi no 300, entretiens avec le président Lübke, Paris, 20-23 juin, où le Général répéta que l’unité de vues entre les Six pousserait les Russes « à se tenir plus tranquilles ».

    15 DDF, 1961-II, no 36, sommet des Six à Bonn, 18 juillet ; no 47, télégramme circulaire de Couve de Murville, 24 juillet (compte rendu du sommet des Six).

    16 DG-LNC, p. 381-382, « notes au sujet de l’Europe », 17 juillet 1961, §3 : « L’Amérique peut perdre la bataille d’Europe sans disparaître. L’Europe ne le peut pas. »

    17 Ashton Nigel, Kennedy, Macmillan, and the Cold War: The Irony of Interdependence, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2002, p. 48-63 ; Aono Toshihiko, « “It is Not Easy for the United States to Carry the Whole Load”: Anglo-American Relations during the Berlin Crisis, 1961-1962 », Diplomatic History, 34, 2010, p. 325-356. D’après Aono, l’affaire berlinoise donna lieu, de la part des Britanniques, à une véritable réussite dans l’exercice d’une influence en amont de la prise de décision américaine.

    18 Trachtenberg Marc, A Constructed Peace, op. cit., p. 322-351, montre bien l’évolution de l’administration Kennedy vers un élargissement de la base de négociation avec Moscou, mais il minimise l’influence britannique dans ce processus et omet de signaler la proximité anglo-américaine qui en résulta. Lire là-dessus Gloriant Frédéric, « De Gaulle’s Nuclear Policy, West Germany and the Second Berlin Crisis: A Historiographical Reappraisal, 1958-1963 », in Nicolas Badalassi et Frédéric Gloriant (dir.), France, Germany and Nuclear Deterrence: Quarrels and Convergences during the Cold War and Beyond, New York, Berghahn, 2022, p. 90-117 (p. 98-101).

    19 DDF, 1961-II, no 134-135, entretiens de Gaulle/Erhard et von Brentano/Couve de Murville, Paris, 11 octobre.

    20 Sur la politique nucléaire ouest-allemande à l’époque d’Adenauer, Lutsch Andreas, « From Bonn to Valhalla ? West German Nuclear Ambitions, France and U. S. Nuclear Assistance, 1960-63 », in Nicolas Badalassi et Frédéric Gloriant (dir.), France, Germany and Nuclear Deterrence, op. cit., p. 61-89.

    21 Macmillan espérait visiblement être un jour invité lui-même à Colombey, comme l’avait été Adenauer (UKNA, PREM 11/2699, conversation avec Chauvel, 4 novembre 1959), ce qui n’arriva jamais.

    22 DDF, 1961-II, no 192, entretiens de Birch Grove entre de Gaulle et Macmillan, 24-25 novembre.

    23 DDF, 1961-II, no 196, Chauvel à Couve de Murville, 29 novembre (impressions sur la rencontre de Birch Grove).

    24 DDF, 1961-II, no 192, Birch Grove.

    25 Trachtenberg Marc, A Constructed Peace, op. cit., p. 379-398.

    26 Sur ce point, lire nos analyses plus détaillées dans Gloriant Frédéric, « De Gaulle’s Nuclear Policy, West Germany and the Second Berlin Crisis », art. cité, p. 101-109.

    27 UKNA, PREM 11/3338, Macmillan à Kennedy, 27 novembre 1961.

    28 DDF, 1961-II, no 192, entretiens de Birch Grove.

    29 AMAE, SG, E&M, carton 15, f. 300-306, conversation entre de Gaulle, Adenauer et Schröder, Paris, 9 décembre 1961.

    30 UKNA, FO 371/145618, Hancock à Rumbold, 29 mai 1959 (conversations privées à Genève avec Soutou) ; FO 371/145619, note de Rumbold, 21 juillet 1959 (conversation privée avec Laloy, Genève) ; AN, 5 AG 1, carton 685, note sur l’« État actuel de l’affaire de Berlin », Froment-Meurice, 10 décembre 1962 ; AMAE, SG, carton 83, Chauvel (Londres) à Paris, 1er décembre 1961 (discussion avec Hoyer-Millar après Birch Grove).

    31 DDF, 1961-II, no 192, entretiens de Birch Grove.

    32 DDF, 1961-II, no 196, Chauvel à Couve de Murville, 29 novembre.

    33 DDF, 1961-II, no 211, entretiens de Gaulle/Adenauer à Paris, 9 décembre.

    34 DDF, 1962-I, no 55, entretiens franco-allemands de Baden-Baden, 15 février ; 1962-II, no 4, III-IV, entretiens de Paris, 3-5 juillet ; no 67, I, entretien de Gaulle/Lübke en RFA, 4 septembre.

    35 DDF, 1961-II, no 217, réunions des MAE occidentaux à Paris, 11-12 décembre ; no 218, entretien entre de Gaulle et Rusk, 13 décembre ; AMAE, SG, E&M, carton 15, f. 365-376, session ministérielle de l’OTAN consacrée à Berlin, 13 décembre 1961.

    36 Ashton Nigel, Kennedy, Macmillan, and the Cold War, op. cit., p. 62.

    37 DDF, 1961-II, no 211, I, entretiens de Gaulle/Adenauer à Paris, 9 décembre.

    38 Gearson John, Harold Macmillan and the Berlin Wall Crisis, op. cit., p. 166-198.

    39 Les diplomates français tentèrent d’ailleurs de théoriser cette divergence franco-britannique en matière de conception du « contentieux Est-Ouest », voir DDF, 1961-II, no 196, Chauvel à Couve de Murville, 29 novembre (notes sur Birch Grove) ; DDF, 1962-I, no 110, Alphand (Washington) à Couve de Murville, 29 mars.

    40 La période de Gaulle-Macmillan fut le moment où s’ancra cette différenciation des « rôles » français et britannique sur la scène internationale, dont on trouve une belle analyse par Hassner Pierre et Roper John, « Les relations avec les superpuissances : Est-Ouest et Ouest-Ouest », in Françoise de La Serre, Jacques Leruez et Helen Wallace (dir.), Les Politiques étrangères de la France et de la Grande-Bretagne depuis 1945 : l’inévitable ajustement, Paris, Presses de la FNSP, 1990, p. 21-53.

    41 DDF, 1962-I, no 172, entretiens entre de Gaulle et Macmillan à Champs-sur-Marne, 2-3 juin ; UKNA, PREM 11/3775, visite de Macmillan à Champs-sur-Marne, verbatim.

    42 DDF, 1962-I, no 172, I, Champs-sur-Marne ; de Gaulle fit une remarque similaire devant Adenauer, lors de sa visite officielle en RFA, le 5 septembre 1962 (DDF, 1962-II, no 67, II : « Dans la question de Berlin par exemple, il n’est pas possible de suivre une politique vraiment commune avec l’Angleterre »).

    43 DDF, 1962-I, no 172, II, Champs-sur-Marne.

    44 Sur l’unilatéralisme américain, Costigliola Frank, « Kennedy, the European Allies, and the Failure to Consult », Political Science Quarterly, 110, 1995, p. 105-123.

    45 Ashton Nigel, Kennedy, Macmillan, and the Cold War, op. cit., p. 64-89.

    46 Vaïsse Maurice, « Une hirondelle ne fait pas le printemps : la France et la crise de Cuba », in Maurice Vaïsse (dir.), L’Europe et la crise de Cuba, Paris, A. Colin, 1993, p. 89-105 ; Mahan Erin, Kennedy, De Gaulle, and Western Europe, op. cit., p. 128-142.

    47 AMAE, SG, E&M, carton 17, f. 209-216, conversation entre Couve de Murville et George Ball, 26 novembre 1962 ; DDF, 1962-II, no 192, II, entretien Rusk/de Gaulle, à Paris, 12 décembre.

    48 DG-LNC, p. 506-507, lettre à Macmillan, 6 novembre 1962.

    49 DDF, 1962-I, no 183, note de Laloy (direction des Affaires politiques) sur la question de Berlin, 19 juin.

    50 DDF, 1961-II, no 200, conversation entre Messmer et McNamara à New York, 29 novembre.

    51 DDF, 1962-I, no 177, Alphand à Couve de Murville, 9 juin (compte rendu de trois entretiens préparatoires avec Rusk) ; no 186, entretiens franco-américains de Paris, 19-21 juin.

    52 DDF, 1962-I, no 186, II, entretien entre de Gaulle et Rusk, 19 juin.

    53 DDF, 1963-I, no 40, dépêche d’Alphand à Couve de Murville, 25 janvier. Sur cette approche américaine de type « scientifique » des problèmes de politique étrangère et de stratégie dans les années 1960, lire Hoffmann Stanley, Gulliver empêtré. Essai sur la politique étrangère des tats-Unis, Paris, Le Seuil, 1971.

    54 Voir Bozo Frédéric, Deux stratégies pour l’Europe, op. cit., p. 120-121.

    55 Pagedas Constantine, « Harold Macmillan and the 1962 Champs Meeting », Diplomacy & Statecraft, 9, 1998, p. 224-242 ; Anglo-American Strategic Relations and the French Problem, 1960-1963: A Troubled Partnership, Londres, Frank Cass, 2000. Lire l’analyse bien plus convaincante de Ludlow Piers, Dealing with Britain: The Six and the First UK Application to the EEC, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 117-122.

    56 UKNA, PREM 11/3775, Macmillan à Home et Watkinson, 16 mai 1962.

    57 UKNA, PREM 11/3792, verbatim de la conversation Macmillan/Chauvel, 19 avril 1962 ; voir aussi lettre de De Zulueta, 3 mai 1962 ; FO 371/163499, conversation Macmillan/Courcel du 9 mai 1962.

    58 C’est une erreur qu’implicitement Watkinson attribue dans ses mémoires à Macmillan, dont il souligne qu’il était prêt à tout pour établir la plus grande proximité possible avec Kennedy, y compris ignorer délibérément les divergences d’intérêts entre les deux pays (Watkinson Harold, Turning Points: A Record of Our Times, Salisbury, Michael Russell, 1986, p. 138-167). Sur le concept d’« interdépendance » dans le champ nucléaire, lire Ashton Nigel, Kennedy, Macmillan, and the Cold War, op. cit., p. 152-192.

    59 UKNA, PREM 11/3712, Watkinson à Macmillan, mémorandum sur les « armes nucléaires », 12 avril 1962.

    60 UKNA, PREM 11/3712, de Zulueta à Macmillan, 13 avril 1962.

    61 UKNA, PREM 11/3712, note sur une conversation avec Rusk au département d’État (extrait), 28 avril 1962.

    62 UKNA, PREM 11/3712, Ormsby-Gore (Washington) à Macmillan (conversation avec Bundy), 17 mai 1962.

    63 Ceci est mis en évidence par Deighton Anne, « Großbritannien und der Wiener Gipfel 1961 », in Stefan Karner (dir.), Der Wiener Gipfel 1961: Kennedy – Chruschtschow, Innsbruck, Studien-Verl., 2011, p. 165-184.

    64 UKNA, PREM 11/3712, lettre de Macmillan à Ormsby-Gore, 29 mai 1962.

    65 DDF, 1962-I, no 160, note de la direction d’Europe, entretien de Gaulle/Dixon, 22 mai ; UKNA, PREM 11/3775, Dixon au FO, no 188, 22 mai 1962 (entretien avec de Gaulle).

    66 UKNA, PREM 11/3775, Dixon au FO, no 188, 22 mai 1962 (entretien avec de Gaulle), §5-7.

    67 UKNA, PREM 11/3775, conversation entre Clappier (ministère des Finances) et Eric Roll, 9 mai 1962 (§8), ainsi que les deux entretiens Clappier/Roll, rapportés le 18 mai ; PREM 11/3790, conversation entre Debré, Heath et Shuckburgh, 14 juillet 1962 ; AN, 5 AG 1, carton 685, note pour le Général de Michel Debré sur son séjour en Grande-Bretagne, 20 juillet 1962.

    68 UKNA, PREM 11/3775, commentaire de De Zulueta sur l’entretien de Gaulle/Dixon du 22 mai 1962 ; Watkinson à Macmillan, « arrangements avec les Français dans le domaine de la défense », 24 mai ; de Zulueta à Macmillan, 25 mai ; PREM 11/3709, télégramme circulaire du FO, no 224, 31 mai 1962.

    69 DDF, 1962-I, no 172, II, entretiens franco-britanniques de Champs-sur-Marne, 2-3 juin.

    70 DDF, 1962-I, no 172, III, Champs-sur-Marne, 2-3 juin. D’après le verbatim britannique, de Gaulle insista sur la contradiction fondamentale qui existait entre les conceptions de défense similaires de la France et de la Grande-Bretagne d’une part, et celles qui prévalaient alors à l’OTAN (où la défense de l’Europe était entièrement confiée aux États-Unis). Aussi le plan franco-britannique envisagé par de Gaulle « n’exclurait pas l’OTAN, mais ne serait pas uniquement circonscrit à l’OTAN. Une petite force de dissuasion devrait en être tenue à l’écart, pour un emploi dans le cas où des menaces étaient faites » (UKNA, PREM 11/3775, f. 29, rencontre de Champs-sur-Marne, annexe).

    71 UKNA, PREM 11/3712, rencontre Watkinson/Messmer (extrait), Paris, 7 juin 1962.

    72 Le vecteur aérien, qu’il s’agisse des bombardiers V britanniques ou des Mirage-IV français, voyait sa crédibilité dissuasive entamée du fait des progrès de la défense anti-aérienne soviétique. Il fallait donc un « système successeur » plus performant, pour maintenir la valeur stratégique du deterrent nucléaire, soit sous la forme d’un missile balistique de longue portée, soit sous la forme d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins.

    73 UKNA, PREM 11/3712, Watkinson à Macmillan, 4 juillet 1962.

    74 UKNA, PREM 11/3712, Home à Macmillan, PM/62/97, « collaboration franco-britannique : système sous-marin/missile », 13 juillet 1962.

    75 Ibid., annotation manuscrite de Macmillan, 15 juillet 1962.

    76 Kaiser Wolfram, « The Bomb and Europe: Britain, France and the EEC Entry Negotiations, 1961-1963 », Journal of European Integration History, 1/1, 1995, p. 65-85 (p. 79).

    77 La suite de notre récit démontre que Macmillan a continué de poursuivre sa chimère euro-nucléaire bien après Champs, au moins jusqu’en janvier 1963.

    78 Nous empruntons l’expression à Ashton Nigel, Kennedy, Macmillan, and the Cold War, op. cit., p. 152-192.

    79 Voir Trachtenberg Marc, A Constructed Peace, op. cit., p. 307-309 et Ashton Nigel, Kennedy, Macmillan, and the Cold War, op. cit., p. 152-192, qui livre l’analyse la plus aboutie à ce sujet.

    80 Il y eut deux tentatives, la plus importante en mars 1962, puis en septembre-octobre. Sur la politique nucléaire de Kennedy envers la France, lire Mahan Erin, Kennedy, De Gaulle, and Western Europe, op. cit., p. 67-84.

    81 UKNA, PREM 11/3709, f. 37-41, texte du discours de McNamara, à Ann Arbor, 16 juin 1962 ; sur l’embarras du gouvernement britannique, f. 33-34, Watkinson à Macmillan, 18 juin 1962.

    82 UKNA, PREM 11/3783, dossier transmis par le FO à Macmillan, 19 avril 1962 ; FO 371/163325, fichiers E4117/15, 16 et 18, avril-mai 1962.

    83 Bozo Frédéric, Deux stratégies pour l’Europe, op. cit., p. 82-84.

    84 UKNA, PREM 11/3783, de Zulueta à Macmillan, 19 avril 1962 : « L’attitude américaine est en train d’évoluer : nous devons les encourager mais ne pas les laisser nous couper l’herbe sous le pied. »

    85 UKNA, PREM 11/3712, de Zulueta à Norman Brook, 27 juin 1962.

    86 UKNA, PREM 11/3712, mémorandum sur trois aspects d’une possible coopération nucléaire franco-britannique, juin 1962.

    87 Leurs rapports étaient plus étroits que jamais en 1962, voir Young Ken, « A Most Special Relationship: The Origins of Anglo-American Nuclear Strike Planning », Journal of Cold War Studies, 9, 2007, p. 5-31.

    88 UKNA, PREM 11/3712, Brook à de Zulueta, 6 juillet 1962 ; note de Roger Makins, « Considérations en rapport avec la possible collaboration nucléaire franco-britannique en matière militaire », 29 août 1962.

    89 UKNA, PREM 11/3712, note de Roger Makins, 29 août 1962, §14.

    90 Schmidt Gustav, « Die politischen und die sicherheitspolitischen Dimensionen der britischen Europapolitik 1955/56-1963/64 », in Gustav Schmidt (dir.), Grossbritannien und Europa– Grossbritannien in Europa: Sicherheitsbelange und Wirtschaftsfragen in der britischen Europapolitik nach dem Zweiten Weltkrieg, Bochum, Brockmeyer, 1989, p. 169-252 (p. 247-250) ; Kaiser Wolfram, « The Bomb and Europe », art. cité, p. 77.

    91 UKNA, PREM 11/2696, note d’Amery, « le Général, la bombe et la zone de libre-échange », 3 décembre 1958 ; PREM 11/3783, note d’Amery pour Macmillan, « British Nuclear Deterrent », 18 avril 1962.

    92 À l’approche du sommet franco-britannique de décembre 1962 à Rambouillet, de Zulueta relança cette étude (UKNA, PREM 11/3712, de Zulueta à Macmillan, 1er novembre 1962), mais la conclusion en fut encore plus négative (PREM 11/3712, « Rambouillet et les relations franco-britanniques dans le domaine nucléaire », 7 décembre 1962).

    93 UKNA, PREM 11/3772, passim.

    94 UKNA, PREM 11/3772, Macmillan à Amery, M259/62, 28 septembre 1962.

    95 UKNA, PREM 11/3712, réunion entre Macmillan, Watkinson et Amery, 17 h 45 à 18 h, 9 octobre 1962.

    96 UKNA, PREM 11/3712, Thorneycroft à Macmillan, 24 octobre 1962 (visite à Paris, 16-19 octobre).

    97 UKNA, PREM 11/3712, « Rambouillet et les relations franco-britanniques dans le domaine nucléaire », 7 décembre 1962.

    98 Tout au long de l’année 1962, les perceptions britanniques de la politique de l’administration Kennedy vis-à-vis du programme nucléaire français convergent vers une idée simple : la ligne américaine est extrêmement restrictive. Cette perception britannique d’un refus américain d’aider la France (et d’une hostilité grandissante à l’égard du deterrent britannique) nous amène à relativiser la thèse de Trachtenberg Marc, A Constructed Peace, op. cit., p. 305-307, selon laquelle Kennedy aurait été personnellement ouvert en 1962 à une coopération nucléaire effective avec de Gaulle. Le « pragmatisme » de Kennedy en 1962 vis-à-vis du programme nucléaire de la France gaullienne ne fut en tout cas jamais perceptible vu de Londres.

    99 DDF, 1962-II, no 4, IV, entretiens de Paris, de Gaulle/Adenauer, 4 juillet : « Les Anglais, eux aussi, ont une force atomique, mais ils l’ont obtenue dans des conditions différentes. C’est l’Amérique qui leur a donné les moyens de la créer. D’où, pour eux, une certaine dépendance à cet égard vis-à-vis de l’Amérique. Mais nous, nous n’avons jamais rien reçu des États-Unis, ni de l’Angleterre, et la création de la force atomique indépendante change complètement la conception américaine sur la défense de l’Europe, et partant, sur l’OTAN. »

    100 DDF, 1962-I, no 172, I, entretiens franco-britanniques de Champs-sur-Marne, 2-3 juin.

    101 Beloff Nora, The General says No: Britain’s Exclusion from Europe, Baltimore, Penguin Books, 1963 ; Camps Miriam, Britain and the European Community, 1955-1963, Londres, Oxford University Press, 1964 ; Dixon Piers, Double Diploma: The Life of Sir Pierson Dixon, Don and Diplomat, Londres, Hutchinson, 1968.

    102 Sur la politique britannique, Kaiser Wolfram, Using Europe, Abusing the Europeans, op. cit. ; Deighton Anne, « La Grande-Bretagne et la Communauté économique européenne (1958-1963) », Histoire, économie et société, 13, 1994, p. 113-130 ; Milward Alan, The United Kingdom and the European Community. I, the Rise and Fall of a National Strategy: 1945-1963, Londres, Whitehall History Pub., 2002. Sur la politique française, Bossuat Gérard, Faire l’Europe sans défaire la France : 60 ans de politique d’unité européenne des gouvernements et des présidents de la République française, 1943-2003, Bruxelles, P. Lang, 2005 ; Davis Richard, « “Why Did the General Do It?” De Gaulle, Polaris and the French Veto of Britain’s Application to Join the Common Market », European History Quarterly, 28, 1998, p. 373-397.

    103 Ludlow Piers, Dealing with Britain, op. cit. ; Bange Oliver, The EEC Crisis of 1963: Kennedy, Macmillan, de Gaulle and Adenauer in Conflict, Londres, Macmillan Press, 2000 ; Giauque Jeffrey, Grand Designs, op. cit.

    104 Voir Ludlow Piers, Dealing with Britain, op. cit. p. 37-42.

    105 Chauvel s’en étonna dès février 1962 (DDF, 1962-I, no 48, Chauvel à Couve de Murville, 12 février).

    106 Nous faisons fond ici sur les acquis de l’étude de la négociation bruxelloise réalisée par Ludlow Piers, Dealing with Britain, op. cit.

    107 DDF, 1961-II, no 192, entretiens de Birch Grove entre de Gaulle et Macmillan, 24-25 novembre ; no 196, Chauvel à Couve de Murville, 29 novembre ; no 199, télégramme circulaire de Couve de Murville, 1er décembre.

    108 DDF, 1961-II, no 211, entretiens de Gaulle/Adenauer à Paris, 9 décembre.

    109 UKNA, PREM 11/3338, analyse de Dixon sur les « vues de De Gaulle à propos de l’Europe et de Berlin », 16 novembre 1961.

    110 UKNA, PREM 11/3338, Dixon à Home, « visions et illusions du général de Gaulle », 27 novembre 1961.

    111 DDF, 1962-I, no 172, I, entretiens de Champs-sur-Marne, 2-3 juin.

    112 DDF, 1962-I, no 172, II, entretiens de Champs-sur-Marne, 2-3 juin.

    113 Voir Ludlow Piers, Dealing with Britain, op. cit., p. 157-159 ; 238-240 ; 251-252.

    114 AN, 5 AG 1, carton 685, note du MAE sur les négociations entre le Marché commun et la Grande-Bretagne, 20 novembre 1961. Le rédacteur n’est pas précisé, mais on peut supposer qu’il s’agissait de Wormser.

    115 AN, 5 AG 1 (Solférino), carton 643, note du MAE sur « l’adhésion de l’Angleterre au Marché commun et le chancelier Adenauer », avec des annotations du Général, 5 décembre 1961.

    116 D’après le Quai d’Orsay, c’était Adenauer qui en août 1960 s’était prêté à la requête de Macmillan d’ouvrir des discussions bilatérales d’experts, initiative dont était « dérivé le grand mouvement qui, douze mois plus tard, devait aboutir à […] la demande d’ouverture de négociations ». Le commentaire manuscrit de la main du Général est le suivant : « Mais non ! Ce “grand mouvement” est dérivé simplement des soucis britanniques quant à l’économie de la Grande-Bretagne » (ibid.).

    117 DDF, 1961-II, no 211, entretiens de Gaulle/Adenauer à Paris, 9 décembre.

    118 Deighton Anne, « La Grande-Bretagne et la CEE (1958-1963) », art. cité, p. 127.

    119 Ibid., p. 124, n. 34.

    120 DG-DM, vol. IV, p. 222-237, 23 juillet 1964.

    121 AN, 5 AG 1 (Solférino), carton 643, réunion du 24 mai 1962 concernant les affaires européennes (en présence de De Gaulle, Pompidou, Couve de Murville, Bokanowski, Pisani, Gorse, de Lattre, Clappier, Wormser, Boegner, Ortoli).

    122 DDF, 1962-I, no 168, note de la DAEF (Olivier Wormser) sur l’entrée éventuelle de l’Angleterre dans le Marché commun, 1er juin.

    123 Voir Ludlow Piers, Dealing with Britain, op. cit., p. 138-168.

    124 AN, 5 AG 1 (Solférino), carton 643, Conseil sur les affaires européennes du 31 juillet 1962, présidé par de Gaulle.

    125 Sur cet épisode, lire le jugement argumenté de Ludlow Piers, Dealing with Britain, op. cit., p. 152-154.

    126 Soutou Georges-Henri, L’alliance incertaine : les rapports politico-stratégiques franco-allemands, 1954-1996, Paris, Fayard, 1996, p. 149-201.

    127 Vanke Jeffrey, « An Impossible Union: Dutch Objections to the Fouchet Plan, 1959-62 », Cold War History, 2, 2001, p. 95-112 ; Ludlow Piers, « Too Close a Friend? The Netherlands and the First British Application to the EEC, 1961-1963 », in Nigel Ashton et Duco Hellema (dir.), Unspoken Allies: Anglo-Dutch Relations since 1780, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2001, p. 223-239 ; Segers Mathieu, « De Gaulle’s Race to the Bottom: The Netherlands, France and the Interwoven Problems of British EEC Membership and European Political Union, 1958-1963 », Contemporary European History, 19, 2010, p. 111-132.

    128 Pour une formulation explicite du préalable anglais par Luns, voir DDF, 1961-II, no 227, réunion des six MAE, 15 décembre.

    129 DDF, 1962-I, no 103, réunion des six MAE à Luxembourg, 20 mars ; no 130, entretien Couve de Murville/Schröder à Paris, 16 avril ; no 132, réunion des six MAE au Quai d’Orsay, 17 avril.

    130 Ludlow Piers, « Le paradoxe anglais: Britain and Political Union », Revue d’Allemagne, 29, 1997, p. 259-272.

    131 Depuis l’été 1960, les Français cherchaient à éviter toute interférence britannique dans les discussions sur l’union politique à Six, ce dont témoigne le ton cassant employé par Couve de Murville lors de son échange à ce propos avec Heath, en octobre 1960 (DDF, 1960-II, no 157, III, visite à Paris, 3-5 octobre). Voir aussi les notes du Quai d’Orsay, dans les semaines précédant la rencontre de Rambouillet entre Adenauer et de Gaulle (29-30 juillet 1960), AMAE, Europe 1956-1960, carton 169, passim.

    132 DDF, 1962-I, no 103, réunion des six MAE à Luxembourg, 20 mars ; pour le verbatim, AMAE, SG, E&M, carton 16, f. 44-73.

    133 DDF, 1962-II, no 4, entretiens franco-allemands de Paris, de Gaulle/Adenauer, 3-5 juillet.

    134 Voir Ludlow Piers, Dealing with Britain, op. cit., p. 174-179 ; Bange Oliver, The EEC Crisis of 1963, op. cit., p. 59-67.

    135 Geiger Tim, Atlantiker gegen Gaullisten. Außenpolitischer Konflikt und innerparteilicher Machtkampf in der CDU/CSU 1958-1969, Munich, Oldenbourg, 2008.

    136 AMAE, SG, E&M, carton 16, f. 231-233, télégramme d’Éric de Carbonnel (secrétaire général), 10 septembre 1962 ; DDF, 1962-II, no 95, Roland de Margerie (Bonn) à Couve de Murville, 2 octobre, « quelques aspects psychologiques du voyage du général de Gaulle en Allemagne ».

    137 DDF, 1962-II, no 67, I, entretien de Gaulle/Lübke, 4 septembre.

    138 DDF, 1962-II, no 67, II-III, entretien de Gaulle/Adenauer, 5-6 septembre.

    139 Ibid.

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    1 Kaiser Wolfram, Using Europe, Abusing the Europeans: Britain and European Integration, 1945-63, Londres, Macmillan Press, 1996.

    2 Voir HMD, vol. II, p. 399-400, entrée du 22 juillet 1961 : « Parviendrons-nous à un accord sur les points vitaux : a) le Commonwealth, b) l’agriculture britannique ? Je n’en sais rien. J’aurais tendance à juger que le plus probable est l’absence d’accord, à moins que – pour des motifs politiques – de Gaulle ne change d’avis. Car je pense qu’il est toujours hostile et jaloux. »

    3 Voir Mahan Erin, Kennedy, De Gaulle, and Western Europe, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2002.

    4 DDF, 1961-II, no 61, réunions des MAE occidentaux à Paris, 5-7 août.

    5 DDF, 1961-II, no 63, entretien de Gaulle/Rusk, 8 août.

    6 DDF, 1961-II, no 112, réunions des MAE occidentaux à Washington, 14-16 septembre.

    7 De Gaulle avait prévenu Kennedy de l’abstention française dès le 26 août (DG-LNC, p. 398-399, message à Kennedy au sujet de Berlin). Les discussions avec les Soviétiques furent menées à différents niveaux par Stevenson, Rusk et Kennedy côté américain, par Home et Macmillan, côté britannique.

    8 Voir DDF, 1961-II, no 192, II, Birch Grove, entretiens de Gaulle/Macmillan, 24-25 novembre : « Évidemment, nous ne ferons pas la guerre tout seuls et ce sont les Américains qui décideront au fond des choses. »

    9 DDF, 1961-II, no 51, échange de lettres entre Kennedy et de Gaulle, 21 et 27 juillet. Le gouvernement français prit lui-même des mesures pour rehausser sa contribution à la défense aérienne et terrestre de la RFA (voir Soutou Georges-Henri, « Paris als Nutznießer des erfolglosen Wiener Gipfels », in Stefan Karner [dir.], Der Wiener Gipfel 1961: Kennedy-Chruschtschow, Innsbruck, Studien-Verl., 2011, p. 185-203 [p. 198-199]). À noter qu’à la même époque, la procédure de ratification à Washington de l’accord franco-américain sur l’équipement des Forces Françaises d’Allemagne en armes atomiques tactiques américaines fut débloquée, ce qui déboucha sur une coopération opérationnelle, dans le domaine de la défense nucléaire du théâtre Centre-Europe (DDF, 1961-II, no 8 et 83, notes du service des Pactes, 4 juillet et 24 août).

    10 DDF, 1961-II, no 61, réunions des MAE occidentaux à Paris, 5-7 août.

    11 Macmillan considérait les mesures prises pour défendre Berlin comme « militairement absurdes » (HMD, vol. II, p. 407, entrée du 19 août 1961). Voir aussi Gearson John, Harold Macmillan and the Berlin Wall Crisis, op. cit., p. 180-196.

    12 UKNA, CAB 128/35/45, réunion du Cabinet du 28 juillet 1961.

    13 HMD, vol. II, p. 417-418, entrée du 8 octobre 1961 : « Le président K [sic] a semblé avoir vraiment “ras-le-bol” tant d’Adenauer que de De Gaulle » concernant l’affaire de Berlin.

    14 DDF, 1961-I, no 249, entretiens à Rhöndorf et Bonn, 20 mai. Voir aussi no 300, entretiens avec le président Lübke, Paris, 20-23 juin, où le Général répéta que l’unité de vues entre les Six pousserait les Russes « à se tenir plus tranquilles ».

    15 DDF, 1961-II, no 36, sommet des Six à Bonn, 18 juillet ; no 47, télégramme circulaire de Couve de Murville, 24 juillet (compte rendu du sommet des Six).

    16 DG-LNC, p. 381-382, « notes au sujet de l’Europe », 17 juillet 1961, §3 : « L’Amérique peut perdre la bataille d’Europe sans disparaître. L’Europe ne le peut pas. »

    17 Ashton Nigel, Kennedy, Macmillan, and the Cold War: The Irony of Interdependence, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2002, p. 48-63 ; Aono Toshihiko, « “It is Not Easy for the United States to Carry the Whole Load”: Anglo-American Relations during the Berlin Crisis, 1961-1962 », Diplomatic History, 34, 2010, p. 325-356. D’après Aono, l’affaire berlinoise donna lieu, de la part des Britanniques, à une véritable réussite dans l’exercice d’une influence en amont de la prise de décision américaine.

    18 Trachtenberg Marc, A Constructed Peace, op. cit., p. 322-351, montre bien l’évolution de l’administration Kennedy vers un élargissement de la base de négociation avec Moscou, mais il minimise l’influence britannique dans ce processus et omet de signaler la proximité anglo-américaine qui en résulta. Lire là-dessus Gloriant Frédéric, « De Gaulle’s Nuclear Policy, West Germany and the Second Berlin Crisis: A Historiographical Reappraisal, 1958-1963 », in Nicolas Badalassi et Frédéric Gloriant (dir.), France, Germany and Nuclear Deterrence: Quarrels and Convergences during the Cold War and Beyond, New York, Berghahn, 2022, p. 90-117 (p. 98-101).

    19 DDF, 1961-II, no 134-135, entretiens de Gaulle/Erhard et von Brentano/Couve de Murville, Paris, 11 octobre.

    20 Sur la politique nucléaire ouest-allemande à l’époque d’Adenauer, Lutsch Andreas, « From Bonn to Valhalla ? West German Nuclear Ambitions, France and U. S. Nuclear Assistance, 1960-63 », in Nicolas Badalassi et Frédéric Gloriant (dir.), France, Germany and Nuclear Deterrence, op. cit., p. 61-89.

    21 Macmillan espérait visiblement être un jour invité lui-même à Colombey, comme l’avait été Adenauer (UKNA, PREM 11/2699, conversation avec Chauvel, 4 novembre 1959), ce qui n’arriva jamais.

    22 DDF, 1961-II, no 192, entretiens de Birch Grove entre de Gaulle et Macmillan, 24-25 novembre.

    23 DDF, 1961-II, no 196, Chauvel à Couve de Murville, 29 novembre (impressions sur la rencontre de Birch Grove).

    24 DDF, 1961-II, no 192, Birch Grove.

    25 Trachtenberg Marc, A Constructed Peace, op. cit., p. 379-398.

    26 Sur ce point, lire nos analyses plus détaillées dans Gloriant Frédéric, « De Gaulle’s Nuclear Policy, West Germany and the Second Berlin Crisis », art. cité, p. 101-109.

    27 UKNA, PREM 11/3338, Macmillan à Kennedy, 27 novembre 1961.

    28 DDF, 1961-II, no 192, entretiens de Birch Grove.

    29 AMAE, SG, E&M, carton 15, f. 300-306, conversation entre de Gaulle, Adenauer et Schröder, Paris, 9 décembre 1961.

    30 UKNA, FO 371/145618, Hancock à Rumbold, 29 mai 1959 (conversations privées à Genève avec Soutou) ; FO 371/145619, note de Rumbold, 21 juillet 1959 (conversation privée avec Laloy, Genève) ; AN, 5 AG 1, carton 685, note sur l’« État actuel de l’affaire de Berlin », Froment-Meurice, 10 décembre 1962 ; AMAE, SG, carton 83, Chauvel (Londres) à Paris, 1er décembre 1961 (discussion avec Hoyer-Millar après Birch Grove).

    31 DDF, 1961-II, no 192, entretiens de Birch Grove.

    32 DDF, 1961-II, no 196, Chauvel à Couve de Murville, 29 novembre.

    33 DDF, 1961-II, no 211, entretiens de Gaulle/Adenauer à Paris, 9 décembre.

    34 DDF, 1962-I, no 55, entretiens franco-allemands de Baden-Baden, 15 février ; 1962-II, no 4, III-IV, entretiens de Paris, 3-5 juillet ; no 67, I, entretien de Gaulle/Lübke en RFA, 4 septembre.

    35 DDF, 1961-II, no 217, réunions des MAE occidentaux à Paris, 11-12 décembre ; no 218, entretien entre de Gaulle et Rusk, 13 décembre ; AMAE, SG, E&M, carton 15, f. 365-376, session ministérielle de l’OTAN consacrée à Berlin, 13 décembre 1961.

    36 Ashton Nigel, Kennedy, Macmillan, and the Cold War, op. cit., p. 62.

    37 DDF, 1961-II, no 211, I, entretiens de Gaulle/Adenauer à Paris, 9 décembre.

    38 Gearson John, Harold Macmillan and the Berlin Wall Crisis, op. cit., p. 166-198.

    39 Les diplomates français tentèrent d’ailleurs de théoriser cette divergence franco-britannique en matière de conception du « contentieux Est-Ouest », voir DDF, 1961-II, no 196, Chauvel à Couve de Murville, 29 novembre (notes sur Birch Grove) ; DDF, 1962-I, no 110, Alphand (Washington) à Couve de Murville, 29 mars.

    40 La période de Gaulle-Macmillan fut le moment où s’ancra cette différenciation des « rôles » français et britannique sur la scène internationale, dont on trouve une belle analyse par Hassner Pierre et Roper John, « Les relations avec les superpuissances : Est-Ouest et Ouest-Ouest », in Françoise de La Serre, Jacques Leruez et Helen Wallace (dir.), Les Politiques étrangères de la France et de la Grande-Bretagne depuis 1945 : l’inévitable ajustement, Paris, Presses de la FNSP, 1990, p. 21-53.

    41 DDF, 1962-I, no 172, entretiens entre de Gaulle et Macmillan à Champs-sur-Marne, 2-3 juin ; UKNA, PREM 11/3775, visite de Macmillan à Champs-sur-Marne, verbatim.

    42 DDF, 1962-I, no 172, I, Champs-sur-Marne ; de Gaulle fit une remarque similaire devant Adenauer, lors de sa visite officielle en RFA, le 5 septembre 1962 (DDF, 1962-II, no 67, II : « Dans la question de Berlin par exemple, il n’est pas possible de suivre une politique vraiment commune avec l’Angleterre »).

    43 DDF, 1962-I, no 172, II, Champs-sur-Marne.

    44 Sur l’unilatéralisme américain, Costigliola Frank, « Kennedy, the European Allies, and the Failure to Consult », Political Science Quarterly, 110, 1995, p. 105-123.

    45 Ashton Nigel, Kennedy, Macmillan, and the Cold War, op. cit., p. 64-89.

    46 Vaïsse Maurice, « Une hirondelle ne fait pas le printemps : la France et la crise de Cuba », in Maurice Vaïsse (dir.), L’Europe et la crise de Cuba, Paris, A. Colin, 1993, p. 89-105 ; Mahan Erin, Kennedy, De Gaulle, and Western Europe, op. cit., p. 128-142.

    47 AMAE, SG, E&M, carton 17, f. 209-216, conversation entre Couve de Murville et George Ball, 26 novembre 1962 ; DDF, 1962-II, no 192, II, entretien Rusk/de Gaulle, à Paris, 12 décembre.

    48 DG-LNC, p. 506-507, lettre à Macmillan, 6 novembre 1962.

    49 DDF, 1962-I, no 183, note de Laloy (direction des Affaires politiques) sur la question de Berlin, 19 juin.

    50 DDF, 1961-II, no 200, conversation entre Messmer et McNamara à New York, 29 novembre.

    51 DDF, 1962-I, no 177, Alphand à Couve de Murville, 9 juin (compte rendu de trois entretiens préparatoires avec Rusk) ; no 186, entretiens franco-américains de Paris, 19-21 juin.

    52 DDF, 1962-I, no 186, II, entretien entre de Gaulle et Rusk, 19 juin.

    53 DDF, 1963-I, no 40, dépêche d’Alphand à Couve de Murville, 25 janvier. Sur cette approche américaine de type « scientifique » des problèmes de politique étrangère et de stratégie dans les années 1960, lire Hoffmann Stanley, Gulliver empêtré. Essai sur la politique étrangère des tats-Unis, Paris, Le Seuil, 1971.

    54 Voir Bozo Frédéric, Deux stratégies pour l’Europe, op. cit., p. 120-121.

    55 Pagedas Constantine, « Harold Macmillan and the 1962 Champs Meeting », Diplomacy & Statecraft, 9, 1998, p. 224-242 ; Anglo-American Strategic Relations and the French Problem, 1960-1963: A Troubled Partnership, Londres, Frank Cass, 2000. Lire l’analyse bien plus convaincante de Ludlow Piers, Dealing with Britain: The Six and the First UK Application to the EEC, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 117-122.

    56 UKNA, PREM 11/3775, Macmillan à Home et Watkinson, 16 mai 1962.

    57 UKNA, PREM 11/3792, verbatim de la conversation Macmillan/Chauvel, 19 avril 1962 ; voir aussi lettre de De Zulueta, 3 mai 1962 ; FO 371/163499, conversation Macmillan/Courcel du 9 mai 1962.

    58 C’est une erreur qu’implicitement Watkinson attribue dans ses mémoires à Macmillan, dont il souligne qu’il était prêt à tout pour établir la plus grande proximité possible avec Kennedy, y compris ignorer délibérément les divergences d’intérêts entre les deux pays (Watkinson Harold, Turning Points: A Record of Our Times, Salisbury, Michael Russell, 1986, p. 138-167). Sur le concept d’« interdépendance » dans le champ nucléaire, lire Ashton Nigel, Kennedy, Macmillan, and the Cold War, op. cit., p. 152-192.

    59 UKNA, PREM 11/3712, Watkinson à Macmillan, mémorandum sur les « armes nucléaires », 12 avril 1962.

    60 UKNA, PREM 11/3712, de Zulueta à Macmillan, 13 avril 1962.

    61 UKNA, PREM 11/3712, note sur une conversation avec Rusk au département d’État (extrait), 28 avril 1962.

    62 UKNA, PREM 11/3712, Ormsby-Gore (Washington) à Macmillan (conversation avec Bundy), 17 mai 1962.

    63 Ceci est mis en évidence par Deighton Anne, « Großbritannien und der Wiener Gipfel 1961 », in Stefan Karner (dir.), Der Wiener Gipfel 1961: Kennedy – Chruschtschow, Innsbruck, Studien-Verl., 2011, p. 165-184.

    64 UKNA, PREM 11/3712, lettre de Macmillan à Ormsby-Gore, 29 mai 1962.

    65 DDF, 1962-I, no 160, note de la direction d’Europe, entretien de Gaulle/Dixon, 22 mai ; UKNA, PREM 11/3775, Dixon au FO, no 188, 22 mai 1962 (entretien avec de Gaulle).

    66 UKNA, PREM 11/3775, Dixon au FO, no 188, 22 mai 1962 (entretien avec de Gaulle), §5-7.

    67 UKNA, PREM 11/3775, conversation entre Clappier (ministère des Finances) et Eric Roll, 9 mai 1962 (§8), ainsi que les deux entretiens Clappier/Roll, rapportés le 18 mai ; PREM 11/3790, conversation entre Debré, Heath et Shuckburgh, 14 juillet 1962 ; AN, 5 AG 1, carton 685, note pour le Général de Michel Debré sur son séjour en Grande-Bretagne, 20 juillet 1962.

    68 UKNA, PREM 11/3775, commentaire de De Zulueta sur l’entretien de Gaulle/Dixon du 22 mai 1962 ; Watkinson à Macmillan, « arrangements avec les Français dans le domaine de la défense », 24 mai ; de Zulueta à Macmillan, 25 mai ; PREM 11/3709, télégramme circulaire du FO, no 224, 31 mai 1962.

    69 DDF, 1962-I, no 172, II, entretiens franco-britanniques de Champs-sur-Marne, 2-3 juin.

    70 DDF, 1962-I, no 172, III, Champs-sur-Marne, 2-3 juin. D’après le verbatim britannique, de Gaulle insista sur la contradiction fondamentale qui existait entre les conceptions de défense similaires de la France et de la Grande-Bretagne d’une part, et celles qui prévalaient alors à l’OTAN (où la défense de l’Europe était entièrement confiée aux États-Unis). Aussi le plan franco-britannique envisagé par de Gaulle « n’exclurait pas l’OTAN, mais ne serait pas uniquement circonscrit à l’OTAN. Une petite force de dissuasion devrait en être tenue à l’écart, pour un emploi dans le cas où des menaces étaient faites » (UKNA, PREM 11/3775, f. 29, rencontre de Champs-sur-Marne, annexe).

    71 UKNA, PREM 11/3712, rencontre Watkinson/Messmer (extrait), Paris, 7 juin 1962.

    72 Le vecteur aérien, qu’il s’agisse des bombardiers V britanniques ou des Mirage-IV français, voyait sa crédibilité dissuasive entamée du fait des progrès de la défense anti-aérienne soviétique. Il fallait donc un « système successeur » plus performant, pour maintenir la valeur stratégique du deterrent nucléaire, soit sous la forme d’un missile balistique de longue portée, soit sous la forme d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins.

    73 UKNA, PREM 11/3712, Watkinson à Macmillan, 4 juillet 1962.

    74 UKNA, PREM 11/3712, Home à Macmillan, PM/62/97, « collaboration franco-britannique : système sous-marin/missile », 13 juillet 1962.

    75 Ibid., annotation manuscrite de Macmillan, 15 juillet 1962.

    76 Kaiser Wolfram, « The Bomb and Europe: Britain, France and the EEC Entry Negotiations, 1961-1963 », Journal of European Integration History, 1/1, 1995, p. 65-85 (p. 79).

    77 La suite de notre récit démontre que Macmillan a continué de poursuivre sa chimère euro-nucléaire bien après Champs, au moins jusqu’en janvier 1963.

    78 Nous empruntons l’expression à Ashton Nigel, Kennedy, Macmillan, and the Cold War, op. cit., p. 152-192.

    79 Voir Trachtenberg Marc, A Constructed Peace, op. cit., p. 307-309 et Ashton Nigel, Kennedy, Macmillan, and the Cold War, op. cit., p. 152-192, qui livre l’analyse la plus aboutie à ce sujet.

    80 Il y eut deux tentatives, la plus importante en mars 1962, puis en septembre-octobre. Sur la politique nucléaire de Kennedy envers la France, lire Mahan Erin, Kennedy, De Gaulle, and Western Europe, op. cit., p. 67-84.

    81 UKNA, PREM 11/3709, f. 37-41, texte du discours de McNamara, à Ann Arbor, 16 juin 1962 ; sur l’embarras du gouvernement britannique, f. 33-34, Watkinson à Macmillan, 18 juin 1962.

    82 UKNA, PREM 11/3783, dossier transmis par le FO à Macmillan, 19 avril 1962 ; FO 371/163325, fichiers E4117/15, 16 et 18, avril-mai 1962.

    83 Bozo Frédéric, Deux stratégies pour l’Europe, op. cit., p. 82-84.

    84 UKNA, PREM 11/3783, de Zulueta à Macmillan, 19 avril 1962 : « L’attitude américaine est en train d’évoluer : nous devons les encourager mais ne pas les laisser nous couper l’herbe sous le pied. »

    85 UKNA, PREM 11/3712, de Zulueta à Norman Brook, 27 juin 1962.

    86 UKNA, PREM 11/3712, mémorandum sur trois aspects d’une possible coopération nucléaire franco-britannique, juin 1962.

    87 Leurs rapports étaient plus étroits que jamais en 1962, voir Young Ken, « A Most Special Relationship: The Origins of Anglo-American Nuclear Strike Planning », Journal of Cold War Studies, 9, 2007, p. 5-31.

    88 UKNA, PREM 11/3712, Brook à de Zulueta, 6 juillet 1962 ; note de Roger Makins, « Considérations en rapport avec la possible collaboration nucléaire franco-britannique en matière militaire », 29 août 1962.

    89 UKNA, PREM 11/3712, note de Roger Makins, 29 août 1962, §14.

    90 Schmidt Gustav, « Die politischen und die sicherheitspolitischen Dimensionen der britischen Europapolitik 1955/56-1963/64 », in Gustav Schmidt (dir.), Grossbritannien und Europa– Grossbritannien in Europa: Sicherheitsbelange und Wirtschaftsfragen in der britischen Europapolitik nach dem Zweiten Weltkrieg, Bochum, Brockmeyer, 1989, p. 169-252 (p. 247-250) ; Kaiser Wolfram, « The Bomb and Europe », art. cité, p. 77.

    91 UKNA, PREM 11/2696, note d’Amery, « le Général, la bombe et la zone de libre-échange », 3 décembre 1958 ; PREM 11/3783, note d’Amery pour Macmillan, « British Nuclear Deterrent », 18 avril 1962.

    92 À l’approche du sommet franco-britannique de décembre 1962 à Rambouillet, de Zulueta relança cette étude (UKNA, PREM 11/3712, de Zulueta à Macmillan, 1er novembre 1962), mais la conclusion en fut encore plus négative (PREM 11/3712, « Rambouillet et les relations franco-britanniques dans le domaine nucléaire », 7 décembre 1962).

    93 UKNA, PREM 11/3772, passim.

    94 UKNA, PREM 11/3772, Macmillan à Amery, M259/62, 28 septembre 1962.

    95 UKNA, PREM 11/3712, réunion entre Macmillan, Watkinson et Amery, 17 h 45 à 18 h, 9 octobre 1962.

    96 UKNA, PREM 11/3712, Thorneycroft à Macmillan, 24 octobre 1962 (visite à Paris, 16-19 octobre).

    97 UKNA, PREM 11/3712, « Rambouillet et les relations franco-britanniques dans le domaine nucléaire », 7 décembre 1962.

    98 Tout au long de l’année 1962, les perceptions britanniques de la politique de l’administration Kennedy vis-à-vis du programme nucléaire français convergent vers une idée simple : la ligne américaine est extrêmement restrictive. Cette perception britannique d’un refus américain d’aider la France (et d’une hostilité grandissante à l’égard du deterrent britannique) nous amène à relativiser la thèse de Trachtenberg Marc, A Constructed Peace, op. cit., p. 305-307, selon laquelle Kennedy aurait été personnellement ouvert en 1962 à une coopération nucléaire effective avec de Gaulle. Le « pragmatisme » de Kennedy en 1962 vis-à-vis du programme nucléaire de la France gaullienne ne fut en tout cas jamais perceptible vu de Londres.

    99 DDF, 1962-II, no 4, IV, entretiens de Paris, de Gaulle/Adenauer, 4 juillet : « Les Anglais, eux aussi, ont une force atomique, mais ils l’ont obtenue dans des conditions différentes. C’est l’Amérique qui leur a donné les moyens de la créer. D’où, pour eux, une certaine dépendance à cet égard vis-à-vis de l’Amérique. Mais nous, nous n’avons jamais rien reçu des États-Unis, ni de l’Angleterre, et la création de la force atomique indépendante change complètement la conception américaine sur la défense de l’Europe, et partant, sur l’OTAN. »

    100 DDF, 1962-I, no 172, I, entretiens franco-britanniques de Champs-sur-Marne, 2-3 juin.

    101 Beloff Nora, The General says No: Britain’s Exclusion from Europe, Baltimore, Penguin Books, 1963 ; Camps Miriam, Britain and the European Community, 1955-1963, Londres, Oxford University Press, 1964 ; Dixon Piers, Double Diploma: The Life of Sir Pierson Dixon, Don and Diplomat, Londres, Hutchinson, 1968.

    102 Sur la politique britannique, Kaiser Wolfram, Using Europe, Abusing the Europeans, op. cit. ; Deighton Anne, « La Grande-Bretagne et la Communauté économique européenne (1958-1963) », Histoire, économie et société, 13, 1994, p. 113-130 ; Milward Alan, The United Kingdom and the European Community. I, the Rise and Fall of a National Strategy: 1945-1963, Londres, Whitehall History Pub., 2002. Sur la politique française, Bossuat Gérard, Faire l’Europe sans défaire la France : 60 ans de politique d’unité européenne des gouvernements et des présidents de la République française, 1943-2003, Bruxelles, P. Lang, 2005 ; Davis Richard, « “Why Did the General Do It?” De Gaulle, Polaris and the French Veto of Britain’s Application to Join the Common Market », European History Quarterly, 28, 1998, p. 373-397.

    103 Ludlow Piers, Dealing with Britain, op. cit. ; Bange Oliver, The EEC Crisis of 1963: Kennedy, Macmillan, de Gaulle and Adenauer in Conflict, Londres, Macmillan Press, 2000 ; Giauque Jeffrey, Grand Designs, op. cit.

    104 Voir Ludlow Piers, Dealing with Britain, op. cit. p. 37-42.

    105 Chauvel s’en étonna dès février 1962 (DDF, 1962-I, no 48, Chauvel à Couve de Murville, 12 février).

    106 Nous faisons fond ici sur les acquis de l’étude de la négociation bruxelloise réalisée par Ludlow Piers, Dealing with Britain, op. cit.

    107 DDF, 1961-II, no 192, entretiens de Birch Grove entre de Gaulle et Macmillan, 24-25 novembre ; no 196, Chauvel à Couve de Murville, 29 novembre ; no 199, télégramme circulaire de Couve de Murville, 1er décembre.

    108 DDF, 1961-II, no 211, entretiens de Gaulle/Adenauer à Paris, 9 décembre.

    109 UKNA, PREM 11/3338, analyse de Dixon sur les « vues de De Gaulle à propos de l’Europe et de Berlin », 16 novembre 1961.

    110 UKNA, PREM 11/3338, Dixon à Home, « visions et illusions du général de Gaulle », 27 novembre 1961.

    111 DDF, 1962-I, no 172, I, entretiens de Champs-sur-Marne, 2-3 juin.

    112 DDF, 1962-I, no 172, II, entretiens de Champs-sur-Marne, 2-3 juin.

    113 Voir Ludlow Piers, Dealing with Britain, op. cit., p. 157-159 ; 238-240 ; 251-252.

    114 AN, 5 AG 1, carton 685, note du MAE sur les négociations entre le Marché commun et la Grande-Bretagne, 20 novembre 1961. Le rédacteur n’est pas précisé, mais on peut supposer qu’il s’agissait de Wormser.

    115 AN, 5 AG 1 (Solférino), carton 643, note du MAE sur « l’adhésion de l’Angleterre au Marché commun et le chancelier Adenauer », avec des annotations du Général, 5 décembre 1961.

    116 D’après le Quai d’Orsay, c’était Adenauer qui en août 1960 s’était prêté à la requête de Macmillan d’ouvrir des discussions bilatérales d’experts, initiative dont était « dérivé le grand mouvement qui, douze mois plus tard, devait aboutir à […] la demande d’ouverture de négociations ». Le commentaire manuscrit de la main du Général est le suivant : « Mais non ! Ce “grand mouvement” est dérivé simplement des soucis britanniques quant à l’économie de la Grande-Bretagne » (ibid.).

    117 DDF, 1961-II, no 211, entretiens de Gaulle/Adenauer à Paris, 9 décembre.

    118 Deighton Anne, « La Grande-Bretagne et la CEE (1958-1963) », art. cité, p. 127.

    119 Ibid., p. 124, n. 34.

    120 DG-DM, vol. IV, p. 222-237, 23 juillet 1964.

    121 AN, 5 AG 1 (Solférino), carton 643, réunion du 24 mai 1962 concernant les affaires européennes (en présence de De Gaulle, Pompidou, Couve de Murville, Bokanowski, Pisani, Gorse, de Lattre, Clappier, Wormser, Boegner, Ortoli).

    122 DDF, 1962-I, no 168, note de la DAEF (Olivier Wormser) sur l’entrée éventuelle de l’Angleterre dans le Marché commun, 1er juin.

    123 Voir Ludlow Piers, Dealing with Britain, op. cit., p. 138-168.

    124 AN, 5 AG 1 (Solférino), carton 643, Conseil sur les affaires européennes du 31 juillet 1962, présidé par de Gaulle.

    125 Sur cet épisode, lire le jugement argumenté de Ludlow Piers, Dealing with Britain, op. cit., p. 152-154.

    126 Soutou Georges-Henri, L’alliance incertaine : les rapports politico-stratégiques franco-allemands, 1954-1996, Paris, Fayard, 1996, p. 149-201.

    127 Vanke Jeffrey, « An Impossible Union: Dutch Objections to the Fouchet Plan, 1959-62 », Cold War History, 2, 2001, p. 95-112 ; Ludlow Piers, « Too Close a Friend? The Netherlands and the First British Application to the EEC, 1961-1963 », in Nigel Ashton et Duco Hellema (dir.), Unspoken Allies: Anglo-Dutch Relations since 1780, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2001, p. 223-239 ; Segers Mathieu, « De Gaulle’s Race to the Bottom: The Netherlands, France and the Interwoven Problems of British EEC Membership and European Political Union, 1958-1963 », Contemporary European History, 19, 2010, p. 111-132.

    128 Pour une formulation explicite du préalable anglais par Luns, voir DDF, 1961-II, no 227, réunion des six MAE, 15 décembre.

    129 DDF, 1962-I, no 103, réunion des six MAE à Luxembourg, 20 mars ; no 130, entretien Couve de Murville/Schröder à Paris, 16 avril ; no 132, réunion des six MAE au Quai d’Orsay, 17 avril.

    130 Ludlow Piers, « Le paradoxe anglais: Britain and Political Union », Revue d’Allemagne, 29, 1997, p. 259-272.

    131 Depuis l’été 1960, les Français cherchaient à éviter toute interférence britannique dans les discussions sur l’union politique à Six, ce dont témoigne le ton cassant employé par Couve de Murville lors de son échange à ce propos avec Heath, en octobre 1960 (DDF, 1960-II, no 157, III, visite à Paris, 3-5 octobre). Voir aussi les notes du Quai d’Orsay, dans les semaines précédant la rencontre de Rambouillet entre Adenauer et de Gaulle (29-30 juillet 1960), AMAE, Europe 1956-1960, carton 169, passim.

    132 DDF, 1962-I, no 103, réunion des six MAE à Luxembourg, 20 mars ; pour le verbatim, AMAE, SG, E&M, carton 16, f. 44-73.

    133 DDF, 1962-II, no 4, entretiens franco-allemands de Paris, de Gaulle/Adenauer, 3-5 juillet.

    134 Voir Ludlow Piers, Dealing with Britain, op. cit., p. 174-179 ; Bange Oliver, The EEC Crisis of 1963, op. cit., p. 59-67.

    135 Geiger Tim, Atlantiker gegen Gaullisten. Außenpolitischer Konflikt und innerparteilicher Machtkampf in der CDU/CSU 1958-1969, Munich, Oldenbourg, 2008.

    136 AMAE, SG, E&M, carton 16, f. 231-233, télégramme d’Éric de Carbonnel (secrétaire général), 10 septembre 1962 ; DDF, 1962-II, no 95, Roland de Margerie (Bonn) à Couve de Murville, 2 octobre, « quelques aspects psychologiques du voyage du général de Gaulle en Allemagne ».

    137 DDF, 1962-II, no 67, I, entretien de Gaulle/Lübke, 4 septembre.

    138 DDF, 1962-II, no 67, II-III, entretien de Gaulle/Adenauer, 5-6 septembre.

    139 Ibid.

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