Chapitre I. Premier bilan de l’après-Suez : la coopération franco-britannique rétrogradée (janvier 1957-juin 1958)
p. 43-74
Texte intégral
1La période de « l’immédiat après-Suez », allant jusqu’à la crise qui mit fin à la IVe République, vit arriver ou revenir au pouvoir les deux personnages principaux de notre récit, Harold Macmillan au Royaume-Uni en janvier 1957 et Charles de Gaulle en France en mai 1958. Dans les deux cas, le changement de gouvernement était la conséquence directe de crises liées à la remise en cause de la domination coloniale européenne dans le pourtour méditerranéen. En effet, le fiasco diplomatique par lequel se termina l’expédition de Suez révéla au grand jour la dépendance des deux principales puissances européennes à l’égard des États-Unis. Du côté britannique, le coup fatal porté à Anthony Eden permit à Macmillan de devenir Premier ministre. Du côté français, Suez aggrava les répercussions négatives des « événements d’Algérie » et ce fut à la faveur d’une nouvelle crise ministérielle liée à la guerre d’Algérie que de Gaulle revint au pouvoir, avec l’intention de mettre fin à la IVe République. Pour parvenir à une évaluation équilibrée du tournant de Suez, il nous faut examiner sur quelles prémisses nouvelles intervint la résurgence de la « relation spéciale » impulsée par Macmillan, afin d’en comprendre les implications pour les rapports stratégiques entre la France et la Grande-Bretagne.
Paris dans l’angle mort de la diplomatie de Macmillan
La priorité américaine de Macmillan en 1957
2L’arrivée de Macmillan à la tête du gouvernement britannique dans les premiers jours de janvier 1957 est un paradoxe1 : après avoir laissé paraître, en tant que chancelier de l’Échiquier, tous les signes d’une ferme conviction anti-nassérienne et soutenu le recours à la force, il opéra un revirement complet le 6 novembre, lorsqu’il prit conscience de la fragilité financière de la Grande-Bretagne. Malgré cette brutale palinodie et sa responsabilité dans l’impréparation des finances britanniques pour la traversée d’une telle crise2, Macmillan manœuvra ensuite avec une grande habileté et sut profiter de la crise pour parvenir au sommet de l’État.
3En matière de politique étrangère, Macmillan arrivait au pouvoir avec des convictions personnelles fortes, tirées notamment de son expérience de la Seconde Guerre mondiale, qui contrastaient avec celles de son prédécesseur3. En effet, Eden avait souvent exprimé des doutes par rapport à l’intégrité des Américains qu’il soupçonnait d’expansionnisme : « Nous ne devrions pas leur permettre de dicter notre politique étrangère et s’ils avaient tort, nous devrions alors faire preuve d’indépendance », affirmait-il dès juillet 19454. Il croyait possible pour la Grande-Bretagne de maintenir un rôle de puissance mondiale indépendante, sans se fondre dans l’alliance transatlantique, ni dans une quelconque fédération européenne. Par contraste, Macmillan se montre non seulement partisan du rétablissement de la proximité avec Washington après les avanies de Suez, mais il est aussi connu comme l’un des Britanniques les plus favorables à l’intégration européenne5. Il prend donc doublement ses distances avec l’idée de la Grande-Bretagne comme « puissance mondiale indépendante » telle qu’elle était pratiquée par Eden. Avec Macmillan, la Grande-Bretagne se réoriente résolument vers une pratique de la puissance par intermédiaire interposé, c’est-à-dire en anglais le power-by-proxy, tant au plan anglo-américain que vis-à-vis de l’Europe continentale. Cette nouvelle politique étrangère, qui se concrétise d’abord par un retour à la vision churchillienne de la « relation spéciale », Macmillan cherchera à la conceptualiser au cours de sa première année au pouvoir par la notion d’« interdépendance ». En aucun cas donc, le changement qu’a représenté le remplacement d’Eden par Macmillan ne doit être sous-estimé, surtout en ce qui concerne les rapports avec la France.
4Dans son entreprise de « restauration de la “relation spéciale” », Macmillan emporta des succès considérables et presque immédiats6. Lors du sommet des Bermudes, du 20 au 23 mars 1957, Macmillan estima ainsi avoir renoué un lien de confiance personnelle avec le président Eisenhower7. Après s’être plaint de la propension américaine à soutenir une décolonisation « hâtive », il usa d’une rhétorique de guerre froide manichéenne pour mettre en valeur la résolution britannique à se tenir aux côtés des États-Unis dans le combat contre le communisme ; il exhorta les Américains à aider la Grande-Bretagne en déclarant avec audace : « Vous avez besoin de nous : pour nous-mêmes, pour notre Commonwealth et du fait de notre rôle de dirigeants de l’Europe » (« as leaders of Europe » en anglais)8. Les échanges qui s’ensuivirent furent loin de déboucher sur des convergences sur tous les sujets9, mais Eisenhower marqua sa volonté de solder les comptes de la crise de 1956 et d’engager une coopération anglo-américaine au Moyen-Orient sur de nouvelles bases. Il confirma la promesse faite dès la fin janvier de livrer soixante missiles balistiques de portée intermédiaire (IRBM) « Thor » à la Grande-Bretagne d’ici 196010. Enfin, point fondamental dans notre perspective franco-britannique, sur l’initiative de Macmillan, les deux gouvernements signèrent un document secret, « Agreed Note on Military Nuclear Programmes of Fourth Countries », par lequel ils s’engageaient « à adopter une attitude de neutralité » vis-à-vis du programme nucléaire français11 : sans y faire obstruction activement, il convenait d’éviter d’aider la France, ou toute autre « quatrième » puissance nucléaire potentielle, à rejoindre le club nucléaire. C’était là un succès pour Macmillan, qui put constater qu’Eisenhower semblait d’accord, en mars 1957, pour marquer une différence entre le statut privilégié du Royaume-Uni, admis comme puissance nucléaire, et celui des autres alliés, dont il fallait contenir les ambitions proliférantes12. La rencontre des Bermudes apparaît donc pour Londres comme un essai prometteur.
Fig. 1. – Macmillan et Eisenhower, au sommet des Bermudes en mars 1957, restaurent l’entente anglo-américaine quelques mois après la crise de Suez.

© Archives nationales du Royaume-Uni, CO 1069/268 (14).
5Le lancement du Spoutnik, mis en orbite par les Soviétiques le 4 octobre 1957 provoqua un choc psychologique majeur chez les Américains et fournit justement l’occasion à Macmillan de transformer l’essai des Bermudes. Le « résultat le plus spectaculaire de la rencontre de Washington » (23-25 octobre 1957), aux yeux des Britanniques eux-mêmes13, fut l’engagement ferme donné par Eisenhower de procéder en 1958 à un amendement de la législation américaine en matière d’échange d’informations et de matériaux nucléaires sensibles, extrêmement restrictive depuis l’adoption en 1946 de la loi McMahon. En application du principe d’interdépendance exposé par Macmillan, cette décision concrétisait des années d’efforts de la part de la diplomatie britannique pour renouer la coopération nucléaire des années 1943-1946 et représentait une percée majeure pour Macmillan14 : les Britanniques allaient pouvoir tirer profit de l’avance technologique américaine en matière nucléaire. Le succès était d’autant plus grand qu’il fut rendu public : un communiqué, publié à l’issue de la conférence de Washington, valait à la Grande-Bretagne reconnaissance de son statut de puissance nucléaire, partenaire des États-Unis et coresponsable avec eux de la dissuasion occidentale.
6Une seconde dimension de la conférence de Washington, beaucoup moins connue, a aussi eu des conséquences importantes sur les rapports franco-britanniques : il s’agit de la mise en place d’une dizaine de groupes de travail bipartites, à compétence thématique ou géographique15. Américains et Britanniques envisageaient de se concerter de manière permanente, sur l’ensemble des problèmes liés à la lutte contre les Soviétiques16, sans que la France ne soit incluse dans ces consultations, y compris lorsque le sujet abordé (l’Algérie par exemple) la concernait directement.
7La genèse de l’accord sur les groupes de travail anglo-américains est révélatrice des présupposés du paradigme de politique étrangère propre à Macmillan. En effet, une différence d’approche apparut d’emblée entre Macmillan et les Américains sur la manière dont cette « machinerie » exclusivement bilatérale s’articulerait avec l’OTAN. Pour Macmillan, il fallait commencer par renforcer un « noyau anglo-américain » (« Anglo-American inner core ») et définir d’abord à deux une nouvelle méthode, « l’interdépendance », qui constituerait un modèle pour les autres membres de l’Alliance17. Les Américains, conscients de la tentation britannique sous-jacente de faire finalement perdurer un partenariat « spécial » et exclusif entre Londres et Washington18, eurent à cœur de tempérer cette démarche. Pour Dulles, le renouveau de la relation anglo-américaine avait pour objectif principal « d’irriguer » l’OTAN (« spill out into NATO ») et les autres pactes de sécurité régionaux (OTASE et Pacte de Bagdad, rebaptisé CENTO, en 1958)19. Entre la dimension strictement bilatérale et la généralisation multilatérale, l’accent était ainsi clairement porté sur le second aspect. Le rapprochement anglo-américain apparaît comme un tremplin utile pour lancer une politique qu’il s’agirait ensuite d’élargir à l’Alliance atlantique dans son ensemble. À l’inverse, s’enfermer dans un face-à-face anglo-américain, suscitant l’hostilité des « continentaux », est perçu comme un risque. Pour reprendre les mots du diplomate américain Merchant, si la conférence aboutissait à la création d’un comité politique permanent anglo-américain, « nous fer[ions] courir un frisson d’effroi dans le dos de la plupart de nos alliés au sein de l’OTAN et chez tous nos alliés dans le reste du monde20 ».
8À Washington, en dépit des apparences, Américains et Britanniques ne parvinrent pas tout à fait à dépasser cette contradiction entre la tentation britannique de l’exclusivité et l’impératif de l’élargissement aux autres alliés, souligné par les Américains. Au-delà de la résurgence du leadership anglo-américain, l’objectif de Dulles était bien de traiter le problème plus large posé par l’érosion de la crédibilité de la garantie nucléaire américaine21. À cette fin, il avait proposé de créer une organisation internationale consultative à vocation mondiale sur la dissuasion nucléaire. Un groupe de fonctionnaires anglo-américain fut chargé d’établir un rapport à ce sujet pendant la conférence de Washington. Mais le document qui en résulta ne fut même pas contresigné ni agréé, tant ses conclusions étaient insatisfaisantes : diverses solutions institutionnelles étaient mentionnées (nouvelle organisation des nations du monde libre, en dehors de l’ONU ; comité des secrétaires généraux des différents pactes de sécurité ; nouvel organisme de consultation avec les alliés sur l’arme nucléaire) pour être aussitôt déclarées impraticables22. On se résigna par conséquent à une concertation anglo-américaine discrète, en parallèle de la pratique informelle d’un leadership conjoint au sein des organismes internationaux dont les deux pays faisaient partie. L’idée de Dulles débouchait donc sur une aporie, tant la consultation nucléaire entre alliés apparaissait délicate à organiser. Même s’ils n’y crurent pas un instant, les Britanniques évitèrent en octobre 1957 de contredire frontalement les Américains sur le thème de l’articulation entre l’anglo-américain et le multilatéral et acceptèrent poliment de travailler sur l’idée de Dulles23. En réalité, leur seul objectif en octobre 1957 avait été de lever toute objection au renouvellement de la coopération privilégiée entre Londres et Washington.
9L’articulation entre le partenariat anglo-américain et le reste des principaux alliés de l’OTAN (parmi lesquels la France) restait donc en suspens et constituait en fait le talon d’Achille de la nouvelle politique anglo-américaine. Habilement dissimulé durant le sommet de Washington, ce point de faiblesse allait pourtant avoir des répercussions négatives sur la marge de manœuvre de Macmillan dans ses rapports avec l’Europe en général et avec la France en particulier.
L’impensé des décisions britanniques de janvier 1957
10La priorité donnée à Washington par Macmillan dès janvier 1957 entraîna par ricochet une reconfiguration rapide des relations avec la France. Non seulement la coopération avec Paris vis-à-vis de l’Égypte nassérienne, aux résultats catastrophiques que l’on sait, resta sans lendemain, mais c’est aussi plus largement le rapport franco-britannique dans son ensemble qui devint plus secondaire pour Londres. Car quand Londres donna de nouveau la priorité à sa relation avec Washington, ce fut dans une large mesure aux dépens des rapports avec Paris. Ce qui frappe toutefois, c’est que cette rétrogradation de la France dans l’ordre des priorités diplomatiques de Londres ne fut pas clairement assumée ni explicitée par Macmillan. Elle demeurait dans une sorte d’angle mort, comme si cette conséquence indirecte de l’aggiornamento de la politique étrangère britannique en 1957 n’était ni voulue ni réellement pensée.
11La marginalisation de la France dans la pensée stratégique britannique apparaît pourtant clairement lors de l’étrange réunion du Cabinet britannique du 8 janvier 1957, qui précéda de deux jours la nomination de Macmillan comme Premier ministre. Le secrétaire d’État Selwyn Lloyd avait proposé à la discussion un document, le « grand dessein », où il prenait vigoureusement position pour la participation de la Grande-Bretagne à une « association militaire et politique ouest-européenne », ayant pour fondement un partenariat nucléaire entre la Grande-Bretagne et l’Europe de l’Ouest24. Lloyd envisageait de mettre en commun au sein de l’UEO la conception et la production des armes nucléaires. L’ensemble anglo-européen ainsi formé aurait vocation à devenir une « troisième force », à égalité avec l’URSS et les États-Unis, et même en situation de « rivalité amicale » avec ces derniers. Ce partenariat nucléaire était pour lui un complément essentiel aux deux autres propositions déjà faites en 1956 par les Britanniques pour se rapprocher de l’Europe : la zone de libre-échange (ZLE) et la rationalisation des institutions européennes.
12Le recentrage stratégique vers l’Europe prôné par Lloyd se heurta à un feu nourri d’objections de la part de tous ceux qui s’exprimèrent le 8 janvier. Il fut notamment affirmé que la politique américaine consistait à lutter contre la multiplication des puissances nucléaires en maintenant à la fois le monopole américain du contrôle des têtes nucléaires et une dépendance européenne en la matière. Dans ces conditions, il était douteux que l’idée de Lloyd fût compatible avec le maintien de l’alliance anglo-américaine. Or, celle-ci restait « le meilleur moyen de défendre le monde libre contre une agression soviétique ». La conclusion du débat fut sans appel : le rapprochement avec l’Europe, certes indispensable, ne devait pas être fondé sur la coopération nucléaire. Faire partie d’une association européenne était utile pour élargir la base de la puissance britannique, mais il suffisait de s’en tenir aux deux propositions déjà avancées, la ZLE et la rationalisation institutionnelle.
13S’il convient de ne pas exagérer la portée du « grand dessein » de Lloyd, personnalité de peu d’envergure et ne disposant guère d’influence politique autonome25, les arguments utilisés pour réfuter l’idée du partenariat nucléaire avec l’Europe révèlent les présupposés qui présidèrent à la diplomatie de Macmillan par la suite. On voit ainsi se dégager une répartition des rôles entre une « alliance anglo-américaine » travaillant sur les sujets de « haute politique » (tout ce qui a trait au nucléaire et à la défense) et une « association européenne » dont l’Angleterre devrait se rapprocher et qui s’occuperait exclusivement de « basse politique26 ». D’un côté donc, lutte contre les Soviétiques, stratégie nucléaire, fabrication des armes atomiques, lutte contre leur dissémination, en un mot la conduite de la guerre froide ; de l’autre, commerce, libre-échange ou encore rationalisation des assemblées et institutions européennes. Si le Cabinet évita un langage entièrement négatif sur l’Europe, le rapprochement avec le continent n’en était pas moins clairement rétrogradé en position seconde.
14Un dernier détail vaut la peine d’être remarqué dans les débats du 8 janvier : c’est la discrétion du futur Premier ministre Macmillan. Il y avait un revers de la médaille à la priorité stratégique accordée à Washington qui n’était pas clairement assumé par Macmillan : la rétrogradation de l’Europe en position seconde. Il faut même aller plus loin : pour les contradicteurs de Lloyd, c’était la nécessité même d’un choix à faire entre Amérique et Europe qui était réfutée ; la contradiction entre la sanctuarisation de la coopération stratégique avec Washington et le rapprochement avec l’Europe où Londres aspirait toujours à jouer un rôle de « leadership politique » était gommée. C’est exactement ce qui allait susciter tant de difficultés avec les Français : alors qu’ils revendiquaient depuis le départ une participation pleine et entière à la direction stratégique de l’Alliance, au côté des Britanniques et des Américains, ils étaient pourtant laissés dans l’angle mort de la répartition des tâches implicitement validée par Macmillan lors de la réunion du 8 janvier entre « high politics » anglo-américaine et « low politics » européenne27.
La querelle de « l’armée britannique sur le Rhin »
15Une première controverse franco-britannique éclata dès les mois de février et mars 1957, quand Londres décida de diminuer les effectifs de « l’armée britannique sur le Rhin » (British Army On the Rhine ou BAOR), stationnée en RFA28. Les Britanniques poursuivaient deux objectifs : d’une part, mieux contrôler leurs dépenses de défense, qui représentaient environ 10 % du produit national brut britannique en 1956 ; d’autre part, affirmer dans leur stratégie nationale la priorité de la dissuasion nucléaire par rapport aux forces conventionnelles. Rappelons qu’il avait été décidé en 1954 de construire, parallèlement à la montée en puissance du Bomber Command, une bombe thermonucléaire britannique ; une première série d’essais commença en mai 1957. Aussi, de plus en plus, la Grande-Bretagne estimait-elle que sa principale contribution à la défense de l’Alliance atlantique serait nucléaire. Derrière cette priorité donnée au nucléaire, l’enjeu était aussi le maintien du statut de la Grande-Bretagne comme puissance mondiale (« world power »), au côté des États-Unis – réminiscence de l’ambition churchillienne d’être le « Troisième Grand ».
16Macmillan, lorsqu’il arriva au pouvoir, était déterminé à aboutir à une réduction drastique des coûts de la BAOR et à mettre enfin en œuvre un équivalent britannique du New Look américain des années 1953-1954, qui avait permis une diminution notable du budget de défense américain29. Il nomma un ministre de la Défense à poigne, Duncan Sandys, chargé de rationaliser l’appareil de défense, au profit de la priorité technologique et nucléaire30. Son plan, bientôt appelé le Sandys White Paper, publié le 4 avril 1957, prévoyait la fin de la conscription nationale d’ici 1960, une réduction de l’effectif total des armées de presque 50 % (de 735 000 à 375 000 hommes entre 1957 et 1962) et bien sûr, une réduction de la BAOR de 77 000 à 44 900 hommes d’ici 1963.
17À travers la BAOR, on touchait donc à deux grands équilibres structurants de la réflexion stratégique britannique : le dilemme séculaire entre la vocation mondiale et les engagements pris vis-à-vis du continent ; et la question plus récente de l’équilibre optimal entre les armes nucléaires et conventionnelles31. C’est pourquoi les mesures radicales de réduction des effectifs de la BAOR suscitèrent une controverse au sein de l’OTAN et de l’UEO, et provoquèrent surtout la première grave confrontation le 9 mars 1957 entre Macmillan et Lloyd d’une part et le président du Conseil Guy Mollet et son ministre des Affaires étrangères Christian Pineau d’autre part, pourtant tous deux fervents anglophiles32. Alors que Mollet demandait un délai et soulignait sa crainte d’assister à une réaction en chaîne au sein de l’OTAN qui affaiblirait dangereusement les forces conventionnelles de l’Alliance, Macmillan campa sur sa position : puisque les troupes de la BAOR disposeraient à l’avenir d’armes nucléaires, on pouvait diminuer les effectifs sans en diminuer l’efficacité défensive. Or, Mollet estimait que « les hommes anglais et américains [étaient] aussi importants que les armes ». Pineau précisa la critique : il redoutait une « redistribution des tâches » au sein de l’Alliance, entre des puissances exclusivement chargées de la dissuasion nucléaire (la Grande-Bretagne et les États-Unis) et des puissances cantonnées à la défense conventionnelle (principalement la France et la RFA) – c’était, notons-le, précisément le partage des tâches peu avantageux pour les Continentaux qui avait été implicitement entériné le 8 janvier 1957 par le Cabinet britannique ! Pour Mollet, les Britanniques semblaient revenir sur le fameux engagement pris par Eden en octobre 1954, le Continental Commitment33. Confronté à cette résistance, Macmillan menaça par deux fois de prendre des mesures encore plus radicales : si les réductions actuellement envisagées étaient refusées, « la crise prolongée des finances [britanniques] les obligerait à retirer toutes leurs troupes d’Europe à la fin de l’année ».
18La France fut le pays le plus déterminé dans sa résistance à la décision britannique dans les débats de l’UEO en mars 195734. Elle fut tentée d’organiser une opposition concertée aux Britanniques, autour de la « communauté des vues françaises et allemandes35 », mais aussi en faisant en sorte que les « six délégations continentales [fassent] bloc » à l’UEO pour s’opposer au passage en force britannique36. Cependant, confrontés aux menaces britanniques de radicaliser le retrait en dehors du continent et au risque d’un « démantèlement de l’UEO », explicitement mentionné par le représentant britannique au Conseil de l’UEO, Lord Samuel Hood37, les Français furent finalement obligés de consentir à une évolution qu’ils réprouvaient. Les Britanniques parvinrent à leur fin, tout en étant contraints de lâcher du lest. La diminution des effectifs de la BAOR fut répartie sur deux années : un premier retrait de 13 500 hommes eut lieu début 1958, tandis qu’un deuxième retrait de 8 500 hommes était négocié et accepté au même moment, faisant donc passer l’effectif de la BAOR de 77 000 à 55 000 hommes. En revanche, une troisième demande de baisse, visant à atteindre le niveau de 45 000 hommes en 1959, fut refusée par les Alliés38. L’épisode fit aussi apparaître la nucléarisation de la stratégie britannique, dont le Sandys White Paper marquait une étape décisive, comme intrinsèquement liée à une forme de déseuropéanisation de la défense britannique. Enfin, la dureté des controverses laissa des traces : la convergence franco-britannique qui avait permis en 1954 de solder l’affaire interminable de la CED par la signature des accords de Paris et avait ouvert la voie au réarmement allemand, ne se concrétisait nullement par une coopération bilatérale renforcée au sein de l’UEO. Le souhait formulé plusieurs fois par Lloyd de faire de cette dernière enceinte une véritable alliance restait un vœu pieux, dénué de tout contenu.
Français et Britanniques à l’ère du soupçon
19Les relations franco-britanniques sur les questions politico-stratégiques entraient alors dans l’ère du soupçon : la querelle de février-mars 1957 sur la BAOR, le rapprochement anglo-américain des Bermudes à la fin mars, la primauté du nucléaire dans le Sandys White Paper, tout indiquait qu’un désengagement britannique était à l’œuvre vis-à-vis du continent en général et des Français en particulier. Ce soupçon d’une réorientation à la fois nucléaire et atlantique des Britanniques s’ajoutait bien sûr au ressentiment causé par les événements de Suez eux-mêmes, prégnant dans l’opinion publique française : les Français avaient en effet eu le sentiment d’avoir été abandonnés des Britanniques lorsqu’Eden avait décidé de mettre fin aux opérations militaires le 6 novembre 1956. Soupçon, ressentiment, mais aussi jalousie, car en mai 1957, le gouvernement britannique annonça avoir fait exploser sa première bombe thermonucléaire, événement dont Georges-Henri Soutou souligne « l’effet électrique » à Paris39.
20Les susceptibilités françaises à l’égard de Londres étaient d’autant plus aiguës que le contexte stratégique au plan Est-Ouest était devenu incertain. Pour la première fois, les progrès technologiques de l’URSS (fabrication des premiers missiles intercontinentaux, lancement du Spoutnik le 4 octobre 1957) rendaient le territoire américain directement vulnérable aux armements nucléaires soviétiques. Le spectre de la parité nucléaire entre URSS et États-Unis devenait d’autant plus palpable que les Soviétiques donnaient l’impression d’avoir pris un ascendant sur les Américains en matière de technologie balistique40. Ces évolutions avaient considérablement affaibli la crédibilité de la garantie nucléaire américaine auprès des Français et des Allemands, mais aussi auprès des Britanniques41.
21Sur fond d’incertitude stratégique, on assista alors à une phase diplomatique d’une grande fluidité, où se multiplièrent les projets de recomposition des alignements entre grands alliés de l’aire euro-atlantique, au plan nucléaire notamment ; mais entre Français et Britanniques, c’est bien le soupçon qui l’emporta.
Le leurre de la « bombe européenne »
22C’est peu de dire que l’attitude britannique manqua de transparence vis-à-vis des Français durant l’été et l’automne 1957. Depuis l’été 1956 en effet, une relance de l’Europe des Six était engagée, à laquelle Londres avait refusé de participer ; un des traités signés à Rome entre les Six en mars 1957 instituait une coopération à propos des applications civiles de l’énergie nucléaire, appelée Euratom. En réaction à l’Euratom dont ils se méfiaient, les dirigeants britanniques, à commencer par Macmillan lui-même, mais aussi Duncan Sandys, ou Lloyd, multiplièrent alors les allusions à une « bombe atomique européenne », en juin-juillet 1957. Lors d’un dîner avec Lloyd le 10 juillet, Chauvel chercha en vain à savoir ce que les Britanniques avaient en tête et avoua « ne pas comprendre très bien la raison de cette espèce de diffusion d’une idée qu’on se déclare par ailleurs actuellement incapable de préciser42 ».
23En fait, on comprend très bien l’attitude de Lloyd à la lumière de la séance du Cabinet britannique du 8 janvier 1957 et du document agréé aux Bermudes sur le problème du « quatrième pays » ! La diplomatie britannique était à la manœuvre à Washington pour rétablir l’alliance nucléaire privilégiée du temps de la Seconde Guerre mondiale ; tout était donc subordonné à cette priorité dans la ligne de conduite adoptée vis-à-vis des Européens et des Français en particulier. En outre, comme le montre Mervyn O’Driscoll, la Grande-Bretagne était alors « non proliférationniste, dans le sens où elle craignait que son statut militaire ne soit dévalorisé si la France parvenait à acquérir la technologie nucléaire militaire43 ». La priorité de l’objectif anglo-américain et la réticence par rapport aux ambitions nucléaires de la France expliquent pourquoi la Grande-Bretagne adopta une attitude attentiste par rapport à l’Euratom et refusa d’y jouer le rôle constructif que la France attendait d’elle en 1956. Qu’il se soit agi pour Londres de sonder les intentions nucléaires des Français, de les détourner de leur programme national ou de l’Euratom, ou encore de maintenir au chaud l’alternative européenne ou franco-britannique dans l’hypothèse d’un échec de l’option américaine, il n’y avait rien de sérieux dans les perches tendues par Macmillan qui suscitèrent l’agacement de Chauvel.
Le tournant de Washington : la France entre espoirs et frustrations
24Mais c’est le sommet de Washington en octobre 1957 qui constitua un tournant majeur dans l’évolution des rapports franco-britanniques vers les soupçons réciproques. Les Britanniques édifièrent alors un véritable rideau de fumée destiné à cacher la profondeur et le caractère exclusif du rapprochement anglo-américain. Lloyd prétendit ainsi que « le rôle des ministres anglais [avait] surtout consisté à écouter ce qu’avaient à dire leurs interlocuteurs américains44 ». Or, on l’a vu, la part d’initiative britannique dans les décisions prises à Washington avait été considérable.
25Sur l’engagement pris par Eisenhower de faire amender la loi McMahon, deux idées furent constamment mises en avant par les Britanniques auprès des Français : la procédure législative au Congrès américain était éminemment délicate pour Eisenhower ; toute discussion sur un arrangement européen ou franco-britannique en matière atomique devait donc attendre que cette procédure aboutisse45. L’idée de la « bombe européenne », agitée par les dirigeants britanniques quelques mois plus tôt, fut par conséquent complètement mise de côté après la conférence de Washington. Le 26 novembre 1957, lorsque le président du Conseil Félix Gaillard lui posa la question d’une « aide britannique à la France » pour la fabrication d’armes nucléaires, Macmillan répondit qu’il ne voulait « rien faire tant que le Congrès [n’aurait] pas agi, car il aurait l’air de jouer dans le dos des Américains et les conséquences pourraient être très fâcheuses46 ». La diplomatie britannique subordonnait tout à la révision de la loi McMahon, qui permettrait d’atteindre « l’arsenal et la source de presque tous les renseignements », disait-on à Londres47. Londres se mit donc opportunément dans le sillage de la politique américaine à propos du délicat sujet du partage nucléaire.
26La préoccupation des Français était naturellement de s’assurer que la révision de la loi McMahon leur bénéficiât aussi. Sur ce point, les Britanniques cachèrent la ligne restrictive dont ils étaient convenus avec les Américains dès mars 1957 aux Bermudes et soufflèrent le chaud et le froid : Macmillan ou le Foreign Office se montrèrent plutôt rassurants48, tandis qu’Edwyn Plowden, chef de l’Atomic Energy Authority et surtout Duncan Sandys, moins dissimulateurs, livrèrent des impressions bien plus inquiétantes pour les Français49.
27Quelles furent les conclusions qu’en tirèrent les Français pour les relations franco-britanniques ? À Paris, l’espoir existait bel et bien à l’époque de parvenir, à la faveur de la révision de la loi McMahon, à « trouver [une] place au côté des Britanniques » (selon l’expression de l’ambassadeur français à Washington, Hervé Alphand), dans un partenariat atomique avec les Américains. Chauvel, Alphand, ou encore le ministre Christian Pineau s’exprimaient en ce sens50. En fait, les hommes de la IVe République finissante ne concevaient pas l’effort nucléaire consenti par la France comme contradictoire avec une coopération avec les Américains, mais bien comme un moyen d’établir celle-ci51. L’objectif était d’arriver à une sorte de seconde « relation spéciale », franco-américaine, parallèle à celle que Macmillan rétablissait avec succès en 1957-1958. En ce qui concerne les rapports avec les Britanniques, on n’en fit pas moins le constat de leur attentisme complet par rapport à une éventuelle coopération atomique européenne52. Depuis les entretiens franco-britanniques du 9 mars 1957 où Macmillan s’était pourtant déclaré « favorable à une coopération à deux » en matière d’armements, avec des prolongements à l’UEO, on avait fait du surplace, tandis que les Britanniques avaient avancé leurs pions à Washington. Avant toute chose donc, il apparaissait que la Grande-Bretagne jouait son jeu et faisait patienter les Continentaux en évitant tout engagement à leur égard.
28Ce constat ne resta pas sans conséquences. Le premier signe d’insatisfaction française observable par les Britanniques fut l’absence de réponse immédiate de la part de Paris pour se saisir des possibilités laissées entrouvertes par Macmillan le 26 novembre 1957 en matière de coopération nucléaire bilatérale, essentiellement dans le domaine civil. Le retard des Français à donner suite provoqua un certain « malaise » à Londres, relevé par Chauvel53. Finalement, une liste de domaines d’activités nucléaires pour lesquels la France souhaitait une coopération bilatérale fut bien transmise au Foreign Office le 22 décembre, mais la réponse britannique fut « peu encourageante54 ». Avant d’étudier la riposte d’une tout autre ampleur que la France était en train d’organiser avec l’Italie et la RFA face au rapprochement nucléaire anglo-américain, il nous faut revenir sur le second aspect des décisions de Washington, à savoir la création des groupes de travail bipartites. C’est là-dessus que les propos des Britanniques face aux Français furent les plus fallacieux.
Le rideau de fumée britannique sur les groupes de travail bipartites
29La création d’une véritable machinerie bipartite, succès sans précédent pour Londres, dut néanmoins être totalement dissimulée aux autres alliés, sur l’insistance de Washington. Aussi, quand les Français demandèrent après le sommet de Washington s’il existait une consultation bilatérale institutionnalisée, Lloyd et Macmillan nièrent avec la plus grande force55 : ce dernier se déclara même scandalisé qu’on l’accuse d’avoir voulu « mettre certaines nations à l’écart ». Gaillard lui répondit, non sans quelque malice teintée de scepticisme, qu’il enregistrait « avec satisfaction l’assurance d’après laquelle il [n’existait] aucun accord particulier entre Anglais et Américains » et lui donnait « la valeur d’un engagement d’honneur56 ».
30Or, quelques semaines plus tard en janvier 1958, quand l’ambassadeur britannique en poste à Paris, Gladwyn Jebb, prit connaissance de la teneur des échanges de Washington, il adressa un véritable avertissement à ses autorités57. L’orientation prise à Washington pouvait avoir des conséquences délétères sur les relations avec la France ; pire, la crainte du directoire anglo-américain, « ce fameux épouvantail des Français » (« that well-known bogey of the French »), était en réalité partagée par la plupart des Européens. Or, alors que Jebb avait été tenu à l’écart de l’institutionnalisation des groupes de travail anglo-américains et ne connaissait en rien la directive agréée à ce propos entre Britanniques et Américains58, il n’en concluait pas moins « qu’une sorte de directoire anglo-américain [avait] désormais été créé ». Et de souligner le contraste entre « l’interdépendance » anglo-américaine vigoureusement promue et l’absence de toute tentative pour renforcer la coopération avec les grands alliés européens. Jebb en appelait à une réorientation générale de la politique de la Grande-Bretagne à moins d’assister à son absorption comme « 49e État » des États-Unis, avec pour contrepartie de renforcer en Europe continentale le neutralisme. Il prônait à l’inverse un rapprochement résolu vers les voisins du continent, « à égalité parmi les égaux ».
31Le plaidoyer de Jebb, à la liberté de ton remarquable, représente donc une critique en règle de la politique menée par Macmillan et le Foreign Office en 195759. Il fait ressortir non seulement le positionnement hétérodoxe de Jebb, mais démontre surtout l’existence, chez certains Britanniques, d’une inquiétude profonde vis-à-vis de la priorité américaine de Macmillan. Peut-être ce dernier n’était-il guère conscient des répercussions européennes de la politique qu’il menait vis-à-vis de Washington et sans doute prétendait-on à Londres nier la nécessité d’un choix entre Amérique et Europe ; il n’en demeure pas moins que des avertissements lucides furent donnés, à plusieurs reprises, par un acteur bien placé pour percevoir à quel point la politique britannique traditionnelle du « balancier » avait penché d’un certain côté sans réelle contrepartie de l’autre. Jebb avait l’intuition que les Français ne pourraient se satisfaire de ce nouvel état de fait.
La riposte française : la coopération tripartite « FIG »
32Un objectif essentiel de la diplomatie française depuis la naissance de l’OTAN avait été de ne pas être tenue à l’écart du duo anglo-américain pour les questions de grande stratégie. C’est ainsi sur l’insistance de la France qu’avait été créé à Washington le Groupe permanent (Standing Group), constitué de représentants militaires des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France ; supposé définir la stratégie de l’Alliance, il fut toutefois bien vite dépossédé de cette compétence par le Conseil de l’Atlantique nord et surtout par le SACEUR60. La France visait en fait à éviter la reconstitution de la « relation spéciale » anglo-américaine, symbolisée par l’entente entre Churchill et Roosevelt dont de Gaulle s’était senti exclu. À cet égard, les résultats de la conférence de Washington révélaient bien un échec de la diplomatie française.
33La riposte la plus vigoureuse dont Paris prit la tête juste après Suez fut le projet de coopération tripartite en matière de défense entre la France, l’Italie et l’Allemagne, que désigne l’abréviation « FIG » (le G représente le mot « Germany »). Le projet FIG culmina entre novembre 1957 et février 1958, quand fut envisagée la fabrication conjointe d’armes nucléaires61.
34Quel fut le rôle du facteur britannique dans l’émergence de cette coopération franco-italo-germanique, qui mettait Londres de facto à l’écart ? La signature du protocole du 28 novembre 1957 entre les trois ministres de la Défense, Jacques Chaban-Delmas, Paolo Emilio Taviani et Franz-Joseph Strauss, fut rendue possible par une convergence politique et stratégique profonde entre la France et l’Allemagne, grandement accélérée par la crise de Suez. La fameuse journée du 6 novembre 1956 devint en effet le symbole d’un tournant majeur des rapports entre les trois pays européens, France, Grande-Bretagne et RFA : lorsque Mollet reçut la nouvelle de la décision britannique de mettre fin aux opérations militaires en Égypte, Adenauer était à ses côtés. Le jour même, les deux hommes se mirent d’accord pour débloquer les négociations sur l’Euratom et sur le Marché commun, grâce à une série de compromis majeurs. La voie européenne apparaissait comme « une revanche », selon la parole que l’on prête au chancelier allemand. Il ne fait aucun doute que le souci de peser davantage sur la stratégie de Washington fut le facteur primordial de la convergence franco-allemande. Mais l’attitude britannique en 1957 aggrava beaucoup l’anxiété des « Continentaux » par rapport à la politique des « Anglo-Saxons » et fut un facteur a fortiori de convergence franco-allemande. Après la conférence de Washington en octobre et la décision anglo-américaine de livrer des armes à la Tunisie en novembre 1957, qui suscita l’ire de Paris, un climat très anti-américain et anti-anglais régnait dans l’opinion française. À la mi-novembre, le tout nouveau gouvernement français dirigé par Félix Gaillard estimait se trouver en butte à une tendance « anglo-saxonne » à faire fi des intérêts fondamentaux de la France et des « Continentaux ». Au fur et à mesure que la parité nucléaire s’installerait entre URSS et États-Unis, l’on craignait que les Américains n’aient tendance à retirer leurs troupes d’Europe tandis qu’un découplage stratégique s’opérerait entre les deux rives de l’Atlantique. Il fallait donc une riposte audacieuse pour contrer ces tendances néfastes : c’est ainsi que la France en vint à envisager une collaboration nucléaire avec l’Allemagne et l’Italie, tout aussi inquiètes de la politique anglo-américaine.
35La manœuvre comprenait deux dimensions : d’une part, le protocole tripartite signé par les ministres de la Défense pour les avions, les missiles et les armes nucléaires62 ; d’autre part, l’intervention de Gaillard, au nom des trois pays continentaux, lors du sommet de l’OTAN de décembre, pour affirmer le principe de non-discrimination entre puissances au sein de l’Alliance au plan nucléaire. Gaillard était aussi chargé d’annoncer le projet de coopération tripartite, sans toutefois mentionner explicitement les armes nucléaires63.
36L’interprétation des intentions françaises est délicate. Certains au ministère de la Défense, et à la tête d’entre eux, le ministre Chaban-Delmas, « gaulliste » rallié à la IVe République, avaient le projet de « marcher sans les Américains » s’il le fallait64, jusqu’à sortir du cadre atlantique. Mais pour la majorité des dirigeants à l’origine de cette politique, Félix Gaillard, Christian Pineau ou Maurice Faure, il s’agissait, en s’appuyant sur la virtualité d’un trio continental, de faire pression sur les Américains pour que la France pût bénéficier de la révision en cours de la loi McMahon. Le protocole FIG était bel et bien une manœuvre anti-« relation spéciale », qui visait à faire admettre la France dans le club des puissances dirigeantes de l’Alliance. La meilleure preuve en est que les virtualités atomiques du projet FIG furent mises en veilleuse progressivement à partir de janvier 1958, à mesure que l’option de la coopération nucléaire franco-américaine paraissait faire son retour65. D’après les déclarations du ministre italien Taviani devant Duncan Sandys en mars 1958, les Français avaient d’eux-mêmes procédé au freinage de la partie nucléaire de FIG car ils espéraient désormais pouvoir tirer profit de l’amendement de la loi McMahon ; or, ceci rendait impossible le partage d’informations nucléaires avec la RFA ou l’Italie66. Ainsi, sous l’effet des signes d’ouverture envoyés par Washington après l’offre IRBM lancée au sommet de l’OTAN en décembre 195767, le projet FIG avorta rapidement dans sa dimension nucléaire, du fait de la France elle-même et de l’évolution de ses rapports avec l’Amérique.
37Entre Paris et Londres, l’épisode n’en contribua pas moins à un net approfondissement de la méfiance réciproque. De bout en bout, les Français maintinrent le silence sur l’aspect nucléaire du projet tripartite, allant jusqu’au mensonge par omission, qu’il s’agisse de Gaillard face à Macmillan en novembre 1957 ou de Pineau devant Lloyd en janvier 195868.
38Quand les Britanniques furent mis au courant dès décembre 1957 par les rumeurs et la presse internationale du rapprochement nucléaire exclusivement « continental » qui se tramait entre Français, Allemands et Italiens, ils réagirent avec vigueur. Leur hostilité au projet FIG fut immédiate et univoque, en contraste d’ailleurs avec l’attitude première des Américains, plus mesurée sans doute69. Le trio FIG paraissait doublement menaçant pour Londres : d’une part, la perspective d’une RFA nucléarisée était vue comme lourde de danger, et d’autre part, le format continental excluait la Grande-Bretagne et pouvait même mener à sa marginalisation dans les rapports transatlantiques, si une coopération FIG-États-Unis apparaissait.
39Malgré les propos rassurants émanant du Quai d’Orsay début 195870, les Britanniques restaient sur le qui-vive. Ils prirent des mesures de précaution pour contrer le projet FIG et torpiller les velléités de ses partisans dans les différents gouvernements (Chaban-Delmas en France, tenu pour hostile aux intérêts britanniques, ou Strauss en RFA)71. La proposition constructive de Jebb72, suggérant de développer une interdépendance franco-britannique pour la fabrication « d’armements conventionnels modernes » resta lettre morte et la manœuvre britannique consista plus simplement à circonvenir la France et à vider de son contenu le format de coopération tripartite apparu en décembre. Londres chercha d’abord à relancer la coopération militaire bilatérale avec Bonn et Rome, tout en faisant monter au créneau au sein de l’UEO, contre le format FIG, les pays du Benelux73 ; Londres agit ensuite pour rapatrier dans le cadre de l’UEO l’ensemble des projets de coopération bilatéraux et tripartites en matière d’armements, entraînant donc par là même une multilatéralisation de FIG74. Le bilan de cette séquence diplomatique, d’après Duncan Sandys, fut mitigé : les ministres de la Défense français, allemand et italien refusaient « d’affaiblir leur association tripartite » et continuaient, notamment dans le cas de la France, de voir le problème comme « une compétition pour obtenir l’argent des Américains ». En outre, le peu d’appétence des Britanniques pour les projets coopératifs avec les Continentaux limitait fortement leur marge de manœuvre à l’UEO. Duncan Sandys estimait en effet que les pays de l’UEO n’avaient pas grand-chose à offrir à la Grande-Bretagne : il jugeait impossible d’acheter seulement pour des raisons politiques du matériel continental qui dupliquait ou était inférieur techniquement au matériel britannique75.
40Silence des Français sur la finalité nucléaire du projet FIG, défiance et manœuvre de torpillage du gouvernement britannique, tout cela illustre à quel point l’enjeu du nucléaire était devenu un sujet de rivalité et d’affrontement entre Français et Britanniques au début de l’année 1958. On observe même une dissociation en ce domaine entre relations franco-américaines et franco-britanniques : si les premières restaient source d’espoir pour Paris, ce n’était plus le cas des secondes76. Le scepticisme par rapport à la possibilité d’une coopération avec Londres apparaît clairement dans une lettre que Pineau adressa à Chaban-Delmas le 3 avril 1958, où il réduisait le champ des possibles en matière nucléaire à trois formats : France/États-Unis ; FIG ; FIG/États-Unis77. L’alternative pour Paris se situait entre la voie continentale tripartite et la voie franco-américaine. La Grande-Bretagne n’apparaissait plus comme une possibilité envisageable, ce qui dénotait une très nette perte de confiance de la France dans l’ex-partenaire de l’expédition de Suez. Ainsi, au sein de gouvernements français plutôt favorables à une relation de proximité avec les « Anglo-Saxons », on tirait les conséquences de la réémergence de la « relation spéciale », sur une base asymétrique : le leadership de Washington et le statut de « junior partner » de Londres accepté par les Britanniques78 aboutissaient à une mise entre parenthèses des rapports franco-britanniques. Cette évolution, observable dans les derniers mois de la IVe République en matière de défense, ne ferait ensuite que s’accentuer et se généraliser avec le retour au pouvoir de De Gaulle.
41Face à la résurgence de la « relation spéciale », la IVe République parvint donc, en dépit de l’échec rapide de l’initiative franco-germano-italienne, à un succès important : le gouvernement Gaillard prit la tête d’une véritable campagne diplomatique « continentale » d’affirmation du principe de non-discrimination entre Alliés79. En ce sens, le discours de Gaillard au sommet de l’OTAN représenta le point culminant de la nouvelle tactique française visant à s’appuyer sur la solidarité continentale pour empêcher un partage des tâches inégalitaire dans l’Alliance et contester la légitimité de tout « directoire anglo-américain ».
42France et Grande-Bretagne se trouvaient donc, un an après Suez, en situation de rivalité et s’excluaient réciproquement des schémas de coopération nucléaire dont elles faisaient chacune de leur côté la promotion. En matière stratégique, la confiance n’était plus de mise dès la fin 1957 et la relation bilatérale déjà fragilisée : au cœur du malaise général perceptible au sein de l’Alliance atlantique, dans le contexte du débat stratégique qui s’aiguisait entre Anglo-Américains et Continentaux, c’était entre Français et Britanniques que la ligne de faille se creusait avec le plus de profondeur.
Un rapport des forces franco-britannique en trompe-l’œil
43Face à la Grande-Bretagne de Macmillan qui semblait réussir brillamment à renouer la « special relationship » du temps de la Seconde Guerre mondiale, la diplomatie française paraissait impuissante et inquiète, d’autant que le conflit algérien devint à partir de l’automne 1957 un facteur d’affaiblissement considérable. Aussi, en mai-juin 1958, au moment où s’effectua le retour au pouvoir du général de Gaulle, aube d’une nouvelle phase de l’histoire de la relation franco-britannique, le contraste était-il frappant entre une France embourbée dans l’affaire algérienne et une Grande-Bretagne à l’initiative, ayant surmonté avec succès le fiasco de Suez. Il faut toutefois largement nuancer ce tableau en trompe-l’œil, en intégrant dans le bilan du rapport des forces entre les deux pays non seulement le facteur algérien, mais aussi les perceptions que les diplomates français et britanniques eurent de leur situation relative au printemps 1958, ainsi que la situation économique des deux pays.
La guerre d’Algérie, révélateur des tensions franco-britanniques
44La guerre d’Algérie devint à la fin de l’année 1957 le facteur principal de dégradation des rapports franco-britanniques. Par deux fois, elle fut à quelques mois d’intervalle au cœur des démêlés entre la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis : une première crise éclata suite à la décision anglo-américaine de livrer des armes à la Tunisie en novembre 1957 ; une seconde crise, dont les suites devaient s’avérer fatales à la IVe République, émergea après le bombardement du village tunisien de Sakiet par les troupes françaises. L’internationalisation de la guerre d’Algérie culmina alors avec la mission des « bons offices » menée par l’Américain Robert Murphy et le Britannique Harold Beeley (avril 1958) qui révéla au grand jour la reconfiguration en cours du triangle France-Grande-Bretagne-États-Unis80.
45En effet, la nouveauté est que par deux fois, la Grande-Bretagne prit position aux côtés des Américains à propos de sujets coloniaux, traditionnel domaine de solidarité avec la France. Cette évolution fut notée avec amertume par les Français81. L’Américain Merchant, chargé de préparer la conférence de Washington d’octobre 1957, avait d’ailleurs fait le même constat : les Britanniques, tout à leur objectif de faire reparaître la « relation spéciale », « ont jeté en pâture [tossed to the wolves] leur partenaire dans l’aventure de Suez, la France, il y a un an, avec un cynisme dont je doute que les Français l’oublieront82 ». Certes, l’élément moteur de la conjonction anglo-américaine à propos de l’Algérie fut indéniablement Dulles83 et le Foreign Office aurait été favorable à une attitude bien plus patiente vis-à-vis de la France. Mais la priorité de Londres était durant cette période de donner des gages de bonne volonté aux Américains : la Tunisie et l’affaire des livraisons d’armes constituèrent donc un point précoce d’application du travail bipartite. La hantise française du directoire « anglo-saxon » y trouva matière à se cristalliser.
46Après la crise de novembre 1957, le gouvernement Gaillard démontra sa réactivité en s’engageant dans la voie du projet FIG, manière de lutter contre ce qui était vu comme un empiétement anglo-américain. Mais lorsqu’une nouvelle crise éclata du fait du bombardement du village de Sakiet, l’exécutif français, en plein désarroi, donna le sentiment d’avoir perdu le contrôle de ses troupes en Algérie. Il lui fallait naviguer entre les pressions contradictoires d’une opinion publique rétive à toute intervention extérieure et d’une administration américaine déterminée à contraindre la France à changer de politique vis-à-vis de l’Afrique du Nord. Or, à cause de la dégradation de sa balance des paiements, la France avait absolument besoin de l’aide américaine et fut obligée d’accepter, à son corps défendant, ce que de Gaulle appela avec réprobation les « machinations de MM. Murphy et Beeley84 ».
47Ainsi, alors que l’œuvre de « pacification » faisait des progrès sur un plan strictement militaire, la guerre d’Algérie avait des conséquences délétères sur la position de la France au plan mondial et sur ses rapports avec les Américains et les Britanniques ; elle était en outre à l’origine d’une profonde crise au plan intérieur. Le contraste est éclatant avec le succès remporté par Macmillan en juillet 1958 : la révision de la loi McMahon, votée par le Congrès, qui permit la signature d’un accord de coopération nucléaire avec les États-Unis sans précédent depuis 1946, non sans provoquer une certaine euphorie à Londres85. Il convient toutefois de nuancer cette impression, en regardant au-delà de la seule question algérienne.
Le Quai d’Orsay dans le désarroi, le Foreign Office dans l’incertitude
48Il est indéniable qu’en juin 1958, une inquiétude profonde régnait au Quai d’Orsay sur la position internationale de la France. Les diplomates avaient le sentiment de ne pouvoir défendre les intérêts français qu’en s’appuyant sur les alliés britannique et américain. Au Moyen-Orient par exemple, la France ne pouvait faire cavalier seul face aux poussées anti-occidentales décolonisatrices émanant du Caire et de Moscou. Pour défendre les intérêts pétroliers de la France dans la région, il fallait donc faire profil bas et impérativement coopérer avec la Grande-Bretagne86.
49Mais c’est sur les questions atomiques que l’inquiétude française était la plus forte : le débat sur le désarmement plaçait en effet la France dans une situation « particulièrement difficile », qui mettait en cause l’avenir de son programme nucléaire militaire87. La thèse française du « désarmement général » (liant entre eux tous les aspects du désarmement) visait à éviter une mesure isolée du type « suspension des expériences nucléaires », qui frapperait tout particulièrement la France en lui interdisant à jamais l’accès à l’arme atomique. Or, c’était justement cette idée qui progressait au plan international, sous l’effet de la propagande soviétique et de la décision unilatérale prise par Moscou le 1er avril 1958 de suspendre ses expériences nucléaires. L’opinion publique mondiale, et en particulier l’opinion britannique, étaient fortement influencées par cette approche et Washington semblait désormais songer à une dissociation des divers aspects du désarmement. Aussi un sentiment d’isolement croissant dominait-il chez les diplomates français face à la solidarité de fait qui émergeait entre les trois puissances détentrices de l’arme nucléaire en 1958 (URSS, États-Unis et Grande-Bretagne). Le seul remède paraissait être le développement d’une coopération nucléaire franco-américaine susceptible de compenser l’interdiction des essais nucléaires88. Mais là encore l’incertitude régnait sur les possibilités qu’ouvrirait la révision de la loi McMahon, non sans raison : les historiens ont depuis montré que dès le départ, celle-ci avait été conçue de manière à établir une discrimination entre le Royaume-Uni et tout autre « quatrième pays » cherchant à fabriquer l’arme nucléaire, en dépit de tout ce qui fut dit ensuite publiquement par les Américains ou les Britanniques89.
50Le désarroi des diplomates français, secoués par la gravité de la crise que traverse leur pays en mai-juin 1958 n’est pas une surprise. Ce qui est peut-être plus surprenant, c’est l’inquiétude que l’on sent poindre au Foreign Office, malgré les succès apparents des dix-huit premiers mois du gouvernement Macmillan. Un rapport, présenté au Cabinet en avril 1958, intitulé « Les effets de l’interdépendance anglo-américaine sur les intérêts de long terme du Royaume-Uni90 », dressait en effet un bilan mitigé. Les groupes de travail bipartites ne permettaient pas toujours une consultation optimale avec les Américains. De plus, du fait de l’asymétrie de puissance entre les deux partenaires de « l’interdépendance », celle-ci risquait bien de devenir une « dépendance unilatérale » de Londres vis-à-vis de Washington. Enfin, l’interdépendance anglo-américaine avait contribué à une dégradation des relations avec les autres partenaires de la Grande-Bretagne, à commencer par la France. Le danger tenait à l’impression donnée que la Grande-Bretagne devenait un « satellite » des États-Unis et qu’elle était en train de « sortir de l’Europe “sur la pointe des pieds” ».
51Ainsi, avant même le retour au pouvoir du général de Gaulle, l’édifice diplomatique construit par Macmillan paraissait fondé sur des bases fragiles. La politique de Macmillan était grevée d’une contradiction que révélait déjà le rapport sur l’interdépendance : l’influence des Britanniques auprès des Américains était liée à celle qu’ils exerçaient ailleurs. Or, le rapprochement avec Washington avait contribué à un certain « isolement par rapport à l’Europe ». Cette évolution était dangereuse, puisque, « isolés de l’Europe, notre valeur, et donc notre influence, disparaîtrait en grande partie. […] une situation pouvait émerger dans laquelle les Américains, en dépit de l’interdépendance, feraient directement leurs affaires avec l’Europe sans nous consulter ». Autrement dit, c’était la trop grande réussite de l’interdépendance avec Washington qui pouvait à terme se retourner contre elle-même et marginaliser la Grande-Bretagne aux yeux des États-Unis.
Quelle place pour la France ?
52En fait, l’impensé de la politique britannique de l’immédiat après-Suez, à savoir la place à accorder à la France par rapport au dispositif anglo-américain, commençait à resurgir. En octobre 1957, Macmillan avait su saisir avec habileté l’opportunité qui s’était présentée de rétablir une relation privilégiée avec Washington. Comme l’avait noté l’Américain Merchant, l’affaiblissement de la France, enfoncée dans l’une des plus longues crises gouvernementales de la IVe République, figurait en bonne place parmi les circonstances qui avaient rendu la conjoncture internationale exceptionnellement favorable aux objectifs britanniques91 : « M. Macmillan s’est retrouvé avec un jeu remarquablement bon, sans doute sans s’y attendre. La France, sans gouvernement, a perdu superficiellement la place qui lui revient à la table. » Corollairement, la mise hors-jeu de la France étant « superficielle », il se pouvait très bien qu’elle revienne vite dans le jeu et veuille se rasseoir « à la table ».
53C’est bien ce risque qui hanta Britanniques et Américains dès les premières semaines après le retour au pouvoir de De Gaulle92. Le souvenir des affrontements entre de Gaulle, Churchill et Roosevelt pendant la Seconde Guerre mondiale, et la revendication du statut de grande puissance pour la France qu’on prêtait au Général contribuaient à mettre en évidence la nature instable du dispositif anglo-américain établi en octobre 1957.
54Aussi les Américains furent-ils de plus en plus nerveux quant à la confidentialité des consultations anglo-américaines93. Au Foreign Office, la manière d’insérer la France au sein de la politique étrangère britannique suscita bientôt d’âpres débats. Pour Jebb, il fallait inciter les Américains à accepter que la France devienne la quatrième puissance atomique. Son collègue de Washington, Caccia, s’y opposa avec vigueur : agissant ainsi, on mettrait en péril la coopération anglo-américaine94. La conclusion fut de s’en tenir à une attitude de profil bas lors de la rencontre avec Eisenhower, prévue à la mi-juin 1958. Sur l’atome, Londres n’avait aucun intérêt à prendre une position forte et à risquer du même coup de dire quelque chose de compromettant soit vis-à-vis des Français, soit vis-à-vis des Américains.
55Finalement, visant une prise de risque minimale à propos de la France, Macmillan mit au point avec Eisenhower et Dulles les directives suivantes pour gérer les rapports avec la France et contenir les revendications gaulliennes95 : 1. admettre la France au sein de la consultation anglo-américaine était hors de question et le secret le plus absolu devait être maintenu concernant cette dernière ; 2. un tripartisme franco-anglo-américain minimal pouvait être accepté, sur les sujets où la France avait une légitimité historique indiscutable (la préparation de l’éventuel sommet Est-Ouest ; la question allemande) ; 3. pour le reste, les deux gouvernements devaient gérer séparément leurs rapports avec la France, tout en se tenant informés. Un statut discriminatoire était donc de facto réservé à la France par rapport au dispositif anglo-américain ; les questions concrètes liées à la revendication par la France d’une place parmi les grandes puissances demeuraient sans réponse. De Gaulle était déjà devenu en juin 1958, du fait de sa seule réputation, « the ghost at the Anglo-American feast96 ».
Tableau comparatif des économies française et britannique
56Pour compléter ce bilan du rapport des forces entre la France et la Grande-Bretagne, il convient de comparer leur situation économique respective, à la fin de la décennie 1950, à l’aide de quelques données quantitatives essentielles (PIB, taux de croissance)97. Si l’économie française pèse en volume nettement moins que l’économie britannique dans les années 1950, le différentiel se réduit et l’élan est clairement du côté français. Ainsi, le taux moyen de croissance sur l’ensemble de la décennie s’établit à 4,5 % pour la France contre 1,7 % pour le Royaume-Uni. La France était donc engagée sur un sentier de croissance qui l’amènerait à moyen terme à rattraper son retard sur le Royaume-Uni – le rattrapage se concrétisa au tout début de la décennie 1970.
Tableau 1. – Indices en 1958 (pour un indice 100 en 1950)
Royaume-Uni | France | RFA | |
Volume du PNB | 118 | 141 | 179 |
PNB par habitant | 116 | 131 | 164 |
Production industrielle | 115 | 153 | 178 |
Volume des exportations | 107 | 146 | 332 |
Prix à la consommation | 147 | 121 | 110 |
Sources : Annuaires statistiques des Nations unies.
Fig. 2. – PIB du Royaume-Uni et de la France entre 1957 et 1971 (en milliard de dollars 1990).

Sources : Maddison Angus, The World Economy, Paris, OCDE, 2006, p. 428-429. Sur la méthode de calcul utilisée pour permettre une comparaison à la fois diachronique et internationale des chiffres annuels de PIB (l’approche « Geary-Khamis »), voir les p. 607-609.
57Il n’en demeure pas moins que la guerre d’Algérie et la multiplication des crises gouvernementales en 1957-1958 fragilisèrent gravement l’économie française aux yeux des observateurs de l’époque : par deux fois, la France fut obligée de recourir à la dévaluation (août 1957, puis juillet 1958) ; en outre, après avoir quelque peu manipulé les chiffres à partir de 1956 pour cacher l’inflation provoquée principalement par la guerre d’Algérie, on revint à la réalité des indices au début de l’année 1958, ce qui donna l’impression d’une « inflation galopante » ; la croissance française s’affaissa alors à 3 % en 1958 et fut inférieure à la croissance britannique en 1959 ; enfin, l’état des finances et de la balance des paiements rendait la France complètement dépendante des prêts que voulaient bien lui consentir les Américains. Ce que René Girault appelle la « conjoncture vécue », c’est-à-dire la conjoncture telle qu’elle était perçue à l’époque par les contemporains, français ou étrangers, était donc largement affectée, dans les derniers mois de la IVe République, par la situation extérieure et les événements politiques : une image de faiblesse, d’archaïsme et de désordre s’imposait alors largement98.
58Quant à la situation de la Grande-Bretagne, on s’aperçoit d’une stagnation relative par rapport au reste des pays industrialisés capitalistes : le taux moyen de croissance sur la décennie (1,7 %) la situe en queue de peloton, donnée qui est confirmée par les chiffres médiocres des exportations et de la production industrielle. La croissance annuelle moyenne sur la décennie 1950 du secteur industriel (1 %) contraste avec l’extraordinaire résultat de la RFA (11 %), la France se situant plutôt du côté du « miracle économique » allemand que de la stagnation britannique. L’économie britannique était donc structurellement peu dynamique en comparaison de ses deux principaux voisins continentaux. Whitehall fut constamment confronté au problème de l’ajustement des objectifs aux moyens limités du pays : les risques de l’« overstretching », dû à la multiplicité des engagements extérieurs (BAOR, OTAN, autres pactes régionaux, engagements multiples à l’est de Suez et en Afrique, etc.) expliquent ainsi largement les coupes drastiques effectuées dans le budget de défense, issues du White Paper d’avril 1957. La faiblesse économique relative de la Grande-Bretagne avait inévitablement des conséquences sur sa position internationale.
59Quant à l’évolution du commerce franco-britannique, Robert Frank met au jour une « mésentente commerciale » profonde, perceptible dès l’entre-deux-guerres99. Hors circonstances exceptionnelles (temps de guerre et occupation), il observe depuis 1913 une dynamique de long terme de renforcement des échanges commerciaux entre France et Allemagne qui contraste avec le déclin des échanges entre France et Royaume-Uni. Aussi est-ce durant la période 1945-1958 que s’opéra le remplacement de la Grande-Bretagne par la RFA comme principal partenaire commercial européen de la France. Le facteur explicatif principal de ce phénomène est la complémentarité des économies française et allemande, alors que les industries française et britannique sont en situation de concurrence. Ce lien franco-allemand croissant, que renforçaient les décisions politiques d’intégration économique au plan européen, était donc un facteur fondamental de dynamisme pour la France qui s’arrimait à l’essor allemand, tandis que la Grande-Bretagne semblait appartenir à un ensemble d’Europe du Nord-Ouest moins porteur.
60Ainsi, les tendances économiques sur le moyen et long terme semblent apporter une image en contrepoint de la situation diplomatique des deux pays : l’économie française est nettement plus dynamique que celle de la Grande-Bretagne, même si le bourbier algérien et l’instabilité politique influent sur la conjoncture et amplifient la perception des faiblesses du pays, à l’inverse de ce qui se passait à la même époque pour la Grande-Bretagne.
61Le rapport des forces sous-jacent entre Paris et Londres au plan économique était indéniablement plus équilibré que ce que les contemporains perçurent à l’époque. Ce facteur ne manqua pas de se faire sentir dans le débat sur les contours de l’intégration économique européenne, sur lequel nous reviendrons plus en détail au chapitre suivant. Rappelons juste ici que la divergence des visions économiques britannique et française pour l’Europe se cristallisa à cette époque. D’un côté, la « Petite Europe », autour des six membres de la CECA (France, RFA, Italie, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg), était engagée depuis l’été 1956 dans une négociation qui aboutit à la signature des traités de Rome en mars 1957 et à la formation de l’Euratom et de la Communauté économique européenne (CEE) ; cette Europe des Six fut défendue avec de plus en plus de vigueur par Paris. De l’autre, Londres se fit l’avocat de l’unité de la « Grande Europe », après avoir refusé de participer à la relance de l’Europe des Six. La contre-proposition britannique avancée dès novembre 1956 consistait en effet en une zone de libre-échange (ZLE) plus souple, qui devait rassembler les dix-sept membres de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE), c’est-à-dire les six pays de la CEE en gestation et les onze autres membres de l’OECE. Elle avait ainsi pour objectif proclamé d’éviter une discrimination douanière entre Grande et Petite Europe.
62Presque deux ans plus tard, en juin 1958, alors que Paris depuis des mois était au cœur des difficultés qui avaient fait obstacle au projet de ZLE, la situation paraissait bloquée et la diplomatie britannique mise en échec, contre toute attente. En effet, les négociations avaient été suspendues depuis avril en raison de la vacance du pouvoir en France et de la crise qui mit fin à la IVe République ; pire, avant même la suspension des négociations sur la ZLE, beaucoup avaient perdu espoir de les voir aboutir rapidement, ce qui ne laissait pas d’inquiéter les dirigeants britanniques les plus impliqués (Reginald Maudling, le chef de la délégation britannique et Macmillan lui-même). On avait abouti, en dépit de l’indécision et des faiblesses françaises, à une sorte de neutralisation réciproque entre diplomaties française et britannique dans le jeu européen. Avant même le retour au pouvoir de De Gaulle, à travers la question européenne et le débat entre CEE et ZLE, s’était donc opéré un certain rééquilibrage du rapport des forces entre Paris et Londres.
Conclusion
63L’immédiat après-Suez voit donc les relations franco-britanniques se dégrader fortement sans que la multiplication des différends ne débouche sur un conflit ouvert : la méfiance mutuelle va s’approfondissant, mais reste latente. Cette évolution, davantage qu’un choix délibéré, était le résultat indirect des priorités divergentes que chacun avait données à sa diplomatie après Suez : européenne et continentale pour Paris, américaine pour Londres. On observe par ailleurs une certaine dissymétrie dans la prise de conscience de part et d’autre de la Manche à propos de la profondeur du conflit opposant les deux pays.
64Côté français, c’est sans doute par faiblesse que l’on tait certaines frustrations ou que l’on ne riposte aux succès du Foreign Office qu’indirectement ou avec retenue. Certes, on se méfie de plus en plus des tendances au désengagement hors du continent de la politique de défense britannique. On refuse avec énergie la répartition inégalitaire des tâches au sein de l’Alliance qui pourrait en résulter. C’est au plan du nucléaire militaire enfin que l’on constate avec le plus de netteté une séparation virtuelle entre les deux pays, signe avant-coureur du schisme stratégique franco-britannique au cœur de cet ouvrage. Toutefois, les dirigeants de la IVe République finissante n’allèrent pas jusqu’à remettre en cause le principe selon lequel il fallait rechercher la relation la plus proche possible avec la Grande-Bretagne. Il n’était pas encore pensable de se séparer de Londres ouvertement.
65Autrement dit, pour Paris, le rapprochement avec l’Allemagne (et l’Italie) des années 1956-1958 constitue une réassurance, un moyen de peser davantage auprès des Américains et des Britanniques, à un moment de forte incertitude stratégique et d’inquiétude face à la réémergence de l’intimité « anglo-saxonne ». La tendance « européenne » voire franco-allemande qui domina juste après Suez et aboutit à mettre de côté la Grande-Bretagne pour lui préférer l’Allemagne, ne paraît pas être un choix irréversible et n’exclut nullement la possibilité du retour à une proximité plus grande avec Londres ; au contraire, il s’agit d’un moyen qui pourrait faciliter une telle évolution.
66Côté britannique, une forme de complexe de supériorité vis-à-vis de la France avait pour résultat que l’on ne prêtait pas suffisamment attention aux différends qui se multipliaient entre les deux pays après Suez. S’appuyant sur les succès de « l’interdépendance anglo-américaine », les Britanniques pensaient pouvoir maintenir une politique étrangère de « world power » et rejetaient toute idée de réorientation stratégique vers l’Europe (à l’exception de Gladwyn Jebb qui faisait figure d’hérétique au Foreign Office) : devenir une « puissance européenne » parmi d’autres apparaissait comme une réduction drastique des horizons stratégiques auxquels aspirait le Royaume-Uni. Les difficultés soulevées par la France étaient en outre perçues comme illégitimes : jalousie par rapport à la « relation spéciale », chauvinisme, ou encore protectionnisme atavique sont évoqués pour expliquer les réticences françaises. Cela se traduisit par une attitude peu compréhensive vis-à-vis de la France.
67En fait, la priorité américaine de Macmillan s’inscrivait dans un cadre conceptuel qui laissait la France dans un angle mort. Les dirigeants britanniques s’étaient en effet refusés en 1957 à conceptualiser la priorité donnée à Washington en termes de « choix » entre Europe et Amérique, ce qui permettait de passer sous silence tout le versant négatif des décisions britanniques de 1957 pour la France et les Européens. Les Britanniques pouvaient de ce fait continuer de prétendre à un rôle de leaders en Europe et promouvoir dans les faits une répartition des tâches discriminante pour les Continentaux. Pour concilier les contraires, le concept d’interdépendance, formulé par Macmillan à Washington en octobre 1957, joua un rôle clé, du fait même de son extrême malléabilité. Généralisable en théorie à l’ensemble des nations du monde libre, il concerna dans les faits uniquement les États-Unis, et les Britanniques furent d’une grande timidité dans l’extension de la notion à la France100. L’interdépendance, en tant que dispositif rhétorique, permettait donc de dissimuler les contradictions de la diplomatie mise en œuvre par Macmillan. Le problème est que le chef du gouvernement britannique se laissa prendre à son propre discours et se rendit lui-même aveugle à ses limites. C’est pourquoi en mai-juin 1958, Macmillan était si peu préparé intellectuellement à réagir à un éventuel retour de la France au premier plan de la diplomatie européenne et transatlantique. Comme il n’avait pas l’impression d’avoir « sacrifié » l’Europe ou la France à sa préférence américaine, comme il n’estimait pas avoir fait un « choix » en faveur de l’Amérique et au détriment de l’Europe, il refusa de comprendre les réticences françaises face à la résurgence de la proximité anglo-américaine.
Notes de bas de page
1 Thorpe D. R., Supermac: The Life of Harold Macmillan, Londres, Chatto & Windus, 2010, p. 332-367.
2 Reynolds David, « Eden the Diplomatist, 1931-56: Suezide of a Statesman? », History, no 74, 1989, p. 64-84 ; Ovendale Ritchie, Anglo-American Relations in the Twentieth Century, Basingstoke, Macmillan, 1998, p. 118.
3 Voir Jones Matthew, « Macmillan, Eden, the War in the Mediterranean and Anglo-American Relations », Twentieth Century British History, vol. 8, 1997, p. 27-48 et Ruane Kevin et Ellison James, « Managing the Americans: Anthony Eden, Harold Macmillan and the Pursuit of “Power-by-Proxy” in the 1950s », Contemporary British History, vol. 18, 2004, p. 147-167.
4 Cité par James Robert Rhodes, Anthony Eden, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1986, p. 306.
5 C’est la réputation qu’il avait en janvier 1957 aux yeux de l’ambassadeur Jean Chauvel, en poste à Londres (DDF, 1957-I, no 30, télégramme de Chauvel à Pineau, 10 janvier). Voir aussi Catterall Peter, « Macmillan and Europe, 1950-1956: The Cold War, the American Context and the British Approach to European Integration », Cercles, 5, 2002, p. 93-108.
6 Dockrill Michael, « Restoring the “special relationship”: the Bermuda and Washington conferences, 1957 », in Dick Richardson et Glyn Stone (dir.), Decisions and Diplomacy: Essays in Twentieth-century International History, Londres, Routledge LSE, 1995, p. 205-223.
7 UKNA, PREM 11/1789, lettre de Macmillan au Premier ministre australien, Robert Menzies, 25 mars 1957.
8 UKNA, CAB 129/86/38, f. 266-9, notes du Premier ministre pour la déclaration liminaire à la conférence des Bermudes (mars 1957). Voir aussi le compte rendu américain (FRUS, 1955-57, vol. XXVII, no 268, p. 709-711, 21 mars 1957, 10 h 30).
9 Notamment à propos du Moyen-Orient, voir FRUS, 1955-57, vol. XXVII, no 273, p. 722-733, conversation entre Dulles et Lloyd, 22 mars 1957, 10 h 30 (sommet des Bermudes).
10 FRUS, 1955-57, vol. XXVII, no 270, p. 712-718, 21 mars 1957, 15 h 45 (sommet des Bermudes, plénière en présence d’Eisenhower et de Macmillan).
11 FRUS, 1955-57, vol. XXVII, no 292, p. 766, papier signé aux Bermudes, 23 mars 1957.
12 Melissen Jan, The Struggle for Nuclear Partnership: Britain, the United States and the Making of an Ambiguous Alliance, 1952-1959, Groningen, Styx, 1993, p. 39-40 et 109.
13 UKNA, PREM 11/2329, Caccia au FO, 25 octobre 1957, no 2196 (communiqué et instructions complémentaires pour le département de l’Information) ; voir aussi le récit de Macmillan Harold, Riding the Storm: 1956-1959, Londres, Macmillan, 1971, p. 313-330.
14 Botti Timothy, The Long Wait: The Forging of the Anglo-American Nuclear Alliance, 1945-1958, New York, Greenwood Press, 1987, p. 199-204 ; Clark Ian, Nuclear Diplomacy and the Special Relationship: Britain’s Deterrent and America: 1957-1962, Oxford, Clarendon Press, 1994, p. 77-92 ; Baylis John, « Exchanging Nuclear Secrets: Laying the Foundations of the Anglo-American Nuclear Relationship », Diplomatic History, vol. 25, 2001, p. 33-61 (lire les p. 40-44).
15 Voir les analyses de Jones Matthew, « Anglo-American Relations after Suez, the Rise and Decline of the Working Group Experiment, and the French Challenge to NATO, 1957-59 », Diplomacy & Statecraft, vol. 14, 2003, p. 49-79. Le maintien de la confidentialité quant à l’existence même de ces groupes de travail bipartites, à la fois au sein des archives britanniques et américaines, montre à quel point cette entreprise fut considérée comme sensible politiquement, à l’époque et longtemps après (ibid., p. 50 et 62-64).
16 La liste des sujets abordés impressionne (ibid., p. 59) : coopération nucléaire et militaire ; liens entre les pactes régionaux ; propagande ; mesures économiques à prendre dans le cadre de la guerre froide ; Syrie ; Hong Kong ; Algérie ; puis plus tard, Indonésie et Corne de l’Afrique.
17 UKNA, PREM 11/2329, compte rendu de la conférence de Washington, 23-25 octobre 1957.
18 FRUS, 1955-57, vol. XXVII, no 309, p. 794-796, mémorandum de Livingston T. Merchant à Dulles, 19 octobre 1957.
19 UKNA, PREM 11/2329, télégramme de Caccia au Foreign Office (message personnel de Lloyd à Macmillan, compte rendu d’une entrevue entre Lloyd et Dulles à Washington), 15 octobre 1957, no 2088.
20 FRUS, 1955-57, vol. XXVII, no 309, p. 794-796, Merchant à Dulles, 19 octobre 1957.
21 Sur les débats nucléaires qui agitent l’Alliance dans les années 1957-1958, lire Trachtenberg Marc, A Constructed Peace: The Making of the European Settlement, 1945-1963, Princeton N. J., Princeton University Press, 1999, p. 146-247.
22 UKNA, PREM 11/2329, f. 77-78, « draft report ».
23 UKNA, PREM 11/2329, f. 128-130, « Washington Talks : Outline of British approach », Norman Brook, 20 octobre 1957.
24 UKNA, CAB 129/84/6, mémorandum de Lloyd, « Grand Design », 5 janvier 1957 ; CAB 128/30/57, compte rendu de la réunion du Cabinet du 8 janvier 1957. Sur le « Grand Design » de Lloyd, Kane Liz, « European or Atlantic Community? The Foreign Office and “Europe”, 1955-1957 », Journal of European Integration History, vol. 3, no 2, 1997, p. 83-98 ; Ellison James, Threatening Europe: Britain and the Creation of the European Community, 1955-1958, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2000, p. 97-103 ; Daddow Oliver, Britain and Europe since 1945: Historiographical Perspectives on Integration, Manchester, Manchester University Press, 2004, p. 176-178.
25 Sur la personnalité de Lloyd, Reynolds David, « Eden the Diplomatist », art. cité, p. 77 et Sanderson Claire, L’impossible alliance ?, op. cit., p. 364.
26 Nous empruntons ici la dichotomie entre « haute » et « basse politique » à Hoffmann Stanley, « Obstinate or Obsolete? The Fate of the Nation-State and the Case of Western Europe », Daedalus, vol. 95, 1966, p. 862-915. À propos de l’intégration européenne, Hoffmann opérait une distinction entre les domaines où des délégations de souveraineté étaient possibles (low politics : économie et commerce) et ceux où elle était difficilement envisageable sans renoncement des États-nations à leur raison d’être (high politics : politique étrangère et défense).
27 Prévenu que les affaires européennes devaient y être discutées, Chauvel n’entendit évidemment pas parler des conclusions de la réunion du Cabinet du 8 janvier 1957 (DDF, 1957-I, no 28, télégramme de Chauvel [Londres] à Pineau, 9 janvier).
28 Dockrill Saki, « Retreat from the continent? Britain’s Motives for Troop Reductions in West Germany, 1955-1958 », Journal of Strategic Studies, vol. 20, 1997, p. 45-70 ; voir aussi Sanderson Claire, L’impossible alliance ?, op. cit., p. 364-372.
29 Malgré une baisse des effectifs entre avril 1954 et avril 1957 de 845 000 à 772 000 hommes, le budget de défense du Royaume-Uni n’avait pas diminué du fait des dépenses occasionnées principalement par le développement de la bombe thermonucléaire.
30 Navias Martin, Nuclear Weapons and British Strategic Planning, 1955-1958, Oxford, Clarendon Press, 1991, p. 240-252 ; Baylis John, Ambiguity and Deterrence, op. cit., p. 241-250.
31 Voir Baylis John, British Defence Policy: Striking the Right Balance, Londres, Macmillan, 1989, p. 19-36 et 50-58.
32 DDF, 1957-I, no 228, compte rendu des entretiens franco-anglais, 9 mars. Sur la politique étrangère de Mollet et de Pineau, lire Bossuat Gérard, « Guy Mollet : la puissance française autrement, 1956-1957 », Relations internationales, 57, 1989, p. 25-48 ; « Christian Pineau face aux crises internationales (1956-1958) », in Alya Aglan et Denis Lefebvre (dir.), Christian Pineau : de Buchenwald aux traités de Rome, Paris, B. Leprince, 2004, p. 71-113.
33 D’après les clauses des accords de Paris de 1954, la Grande-Bretagne s’engageait vis-à-vis des six autres membres de l’UEO à maintenir quatre divisions en RFA (représentant un effectif de 77 000 hommes) et le « Tactical Air Force ».
34 DDF, 1957-I, no 202, 241 et 244, télégrammes de Chauvel (Londres) à Pineau, 3, 15 et 16 mars (comptes rendus des séances du Conseil de l’UEO).
35 DDF, 1957-I, no 235, Couve de Murville (Bonn) à Pineau, 12 mars. Durant l’été 1956, Adenauer avait déjà critiqué « l’isolationnisme atomique » des Américains et des Britanniques, qui leur faisait négliger la dimension conventionnelle de la défense de l’Alliance (cité par Dockrill Saki, « Retreat from the continent? », art. cité, p. 55). Lire aussi Schwarz Hans-Peter, Adenauer – Der Staatsmann: 1952-1967, Stuttgart, Deutsche Verlags-Anstalt, 1991, p. 291-296.
36 DDF, 1957-I, no 202.
37 DDF, 1957-I, no 241, télégramme de Chauvel (Londres) à Pineau, 15 mars.
38 Voir Dockrill Saki, « Retreat from the continent? », art. cité, p. 60-62.
39 Soutou Georges-Henri, L’alliance incertaine, op. cit., p. 118.
40 Sur le décalage chronologique entre la perte de confiance européenne vis-à-vis de la garantie nucléaire américaine (dès 1956-1957) et l’émergence effective de la parité stratégique soviéto-américaine, plus tardive, lire Soutou Georges-Henri, L’alliance incertaine, op. cit., p. 63-66 et Trachtenberg Marc, A Constructed Peace, op. cit., p. 179-193. Le tableau comparatif des arsenaux nucléaires soviétique et américain (ibid., p. 181) montre que la supériorité stratégique américaine resta écrasante jusque dans la première moitié des années 1960. Trachtenberg estime que le moment où l’administration Kennedy dut renoncer à la possibilité d’une stratégie de préemption nucléaire, impliquant une attaque en premier, se situe à la fin de l’année 1963 (ibid., p. 183). Cela dit, il serait naïf d’en conclure que les inquiétudes européennes n’étaient pas fondées : rappelons que les Américains semblaient avoir perdu l’ascendant psychologique sous l’effet de l’activisme de Khrouchtchev. En outre, on ne pouvait savoir à l’avance quand la parité stratégique serait atteinte effectivement, et l’on avait des raisons de redouter que ce ne fût bien plus tôt que ce qui arriva. Enfin, tout le monde était bien conscient en 1956-1958 que le problème de la parité se poserait tôt ou tard, de manière inéluctable.
41 C’est en tout cas la façon dont le Sandys White Paper fut perçu en France, si l’on en croit les propos de François de Rose, chargé de la coordination des questions atomiques au Quai d’Orsay, en novembre 1958 (cité par Kohl Wilfrid L., French Nuclear Diplomacy, Princeton N. J., Princeton University Press, 1971, p. 40-41) : l’évolution de la politique de défense britannique était une preuve de plus de la « nécessité militaire » de disposer des moyens d’organiser une riposte stratégique, « l’intervention américaine n’étant plus certaine ».
42 DDF, 1957-II, no 32, 33 et surtout 34, télégrammes et lettre de Chauvel (Londres) à Pineau, 11 juillet.
43 Sur l’échec britannique à imaginer une politique constructive vis-à-vis de l’Euratom et de la France en matière nucléaire, lire O’Driscoll Mervyn, « Missing the Nuclear Boat? British Policy and French Military Nuclear Ambitions during the EURATOM Foundation Negotiations, 1955-56 », Diplomacy & Statecraft, vol. 9/1, 1998, p. 135-162. Lire aussi Milward Alan, The United Kingdom and the European Community. I, The Rise and Fall of a National Strategy: 1945-1963, Londres, Whitehall History Pub., 2002, p. 217-228.
44 DDF, 1957-II, no 299 et 303, Chauvel à Pineau, 29 et 31 octobre.
45 DDF, 1957-II, no 299, 303. Voir aussi les no 385 et 388, compte rendu des conversations franco-britanniques des 25 et 26 novembre, menées par Félix Gaillard et Macmillan.
46 DDF, 1957-II, no 385, conversations franco-britanniques des 25 et 26 novembre.
47 DDF, 1957-II, p. 877, n. 2 : résumé du télégramme de Chauvel à Pineau, 4 décembre 1957.
48 DDF, 1957-II, no 285, 299 et 303, les 24, 29 et 31 octobre, rapportant respectivement des entretiens avec Frederick Hoyer-Millar, sous-secrétaire d’État permanent au Foreign Office, Lloyd, puis Dean ; pour les positions exprimées par Macmillan, voir no 385 et 388.
49 DDF, 1957-II, no 285, 24 octobre (propos de Duncan Sandys) ; no 436 et 439, 11-12 décembre (entretien de Chauvel avec Edwyn Plowden).
50 DDF, 1957-II, no 285, 289 (analyses de Chauvel, 25 octobre, sur le sommet de Washington – lire également la n. 2 p. 591, résumant un télégramme d’Alphand du 21 octobre), et 299 ; DDF, 1958-I, no 234, lettre du MAE Pineau au ministre de la Défense Chaban-Delmas, 3 avril.
51 C’est un point déterminant établi par Soutou Georges-Henri, L’Alliance incertaine, op. cit., p. 115. Voir DDF, 1958-I, no 360, télégramme du MAE René Pleven à Alphand, 26 mai, où Pleven explique que la fabrication par la France d’armes atomiques serait « nécessairement limitée » et représentait « une occasion de resserrer ses liens avec ses alliés anglo-saxons ».
52 DDF, 1957-II, no 433, Chauvel à Pineau, 10 décembre.
53 DDF, 1957-II, no 427, Chauvel à Pineau, 8 décembre (analyses à propos de la visite du MAE allemand Von Brentano au Royaume-Uni).
54 AN, 5 AG 1, carton 684, note du MAE a. s. Coopération atomique franco-britannique, 27 juin 1958.
55 DDF, 1957-II, no 299, 29 octobre (Lloyd/Chauvel) et no 385, 25-26 novembre (Macmillan/Gaillard).
56 Lire Sanderson Claire, L’impossible alliance ?, op. cit., p. 375-377 à propos d’un entretien similaire entre Lloyd et Guy Mollet, le 10 décembre 1957.
57 UKNA, PREM 11/2329, dépêche de Gladwyn Jebb à Selwyn Lloyd, 14 janvier 1958, « Comments on the record of the Washington Conference ».
58 UKNA, PREM 11/2329, f. 72-73, « Agreed directive ». Voir aussi PREM 11/2329, télégramme de Macmillan (Washington) au ministre de l’Intérieur, 24 octobre 1957 : Macmillan y évoque les deux directives agréées qui devront rester secrètes, l’une « couvrant la machinerie permanente de coopération anglo-américaine sur l’ensemble des sujets » et l’autre « définissant l’étendue de la mise en commun [pooling] en matière de nucléaire et de défense ». Seule une poignée de fonctionnaires au cœur de Whitehall étaient dans la confidence et le Cabinet ne fut mis au courant de l’existence des groupes de travail qu’en avril 1958 (Jones Matthew, « Anglo-American Relations after Suez », art. cité). Quant à Jebb, il y eut sans nul doute une volonté délibérée du premier cercle des diplomates du Foreign Office de l’écarter du cœur de la décision, car on connaissait ses vues hétérodoxes, par trop favorables à « l’Europe » et au point de vue français.
59 Jebb reprenait ici certaines idées qu’il avait déjà exprimées auparavant : UKNA, PREM 11/1844, dépêche no 102, 27 avril 1957, « le Royaume-Uni et le monde occidental » et FO 371/130636, dépêches no 259-260, 6 décembre 1957.
60 Le SACEUR était le général, de nationalité américaine, placé à la tête du commandement militaire intégré de l’OTAN. Il commandait également l’ensemble des forces américaines stationnées en Europe.
61 Soutou Georges-Henri, L’Alliance incertaine, op. cit., p. 55-121 et dans la Revue d’histoire diplomatique, vol. 104, no 2, 1990, p. 77-158 : Vaïsse Maurice, « Autour des accords Chaban-Strauss, 1956-58 » ; Barbier Colette, « Les négociations franco-germano-italiennes en vue de l’établissement d’une coopération militaire nucléaire au cours des années 1956-1958 » ; Conze Eckart, « Un point de vue allemand » ; Nuti Leopoldo, « Le rôle de l’Italie dans les négociations trilatérales, 1957-1958 ».
62 DDF, 1957-II, no 380, protocole tripartite.
63 DDF, 1957-II, no 452, télégramme de Crouy-Chanel (REPAN) à Pineau, 18 décembre (intervention de Gaillard au sommet de l’OTAN).
64 D’après Soutou Georges-Henri, L’Alliance incertaine, op. cit., p. 107, qui s’appuie sur une lettre du ministre de la Défense au président du Conseil en date du 28 janvier 1958 (AMAE, Pactes, carton 252), l’accord anglo-américain sur les fusées Thor de l’hiver 1957 servait de modèle à Chaban-Delmas dans sa manière de concevoir les modalités de contrôle et d’emploi des armes produites en commun par les trois pays : « Les vecteurs seraient la propriété de l’Allemagne et de l’Italie, mais […] les ogives nucléaires seraient sous la garde des autorités françaises ; leur emploi nécessiterait donc l’accord des deux parties. » Ainsi Chaban-Delmas pensait-il à un système contrôlé par la France, dans lequel, si l’on développe l’analogie avec l’accord anglo-américain, la France jouerait le rôle américain de gardien des têtes nucléaires, tandis qu’Allemagne et Italie constitueraient ses junior partners et possèderaient les vecteurs. Cette caractéristique rendait l’arrangement très déséquilibré et on peut se demander quelle contrepartie rendait un tel arrangement acceptable par la RFA et l’Italie. Le cas de la coopération anglo-américaine était bien différent à cet égard : les Britanniques acceptaient un statut de junior partner en échange d’un accès aux connaissances et à la technologie américaines, permettant des économies considérables pour Londres.
65 Ibid., p. 105-109.
66 UKNA, PREM 11/3721, lettre de Duncan Sandys à Macmillan, 19 mars 1958.
67 Par la voix d’Eisenhower lui-même, les États-Unis se déclarèrent prêts à déployer en Europe des missiles à portée intermédiaire, ou IRBM (Intermediate-Range Ballistic Missiles), équipés de têtes nucléaires. Ces armes, à la disposition de l’OTAN, devaient être placées sous « double clé » – le contrôle serait exercé conjointement par les États-Unis et le pays hôte.
68 DDF, 1957-II, no 385 et 388, 25-26 novembre ; DDF, 1958-I, no 36, conversations à Londres le 18 janvier entre Pineau et Lloyd.
69 Si l’on en croit Soutou Georges-Henri, L’Alliance incertaine, op. cit., p. 102 et 114, et Trachtenberg Marc, A Constructed Peace, op. cit., p. 205-207, Dulles, lorsqu’il fut mis au courant par Adenauer en décembre 1957 du projet FIG, réagit sans hostilité apparente. Ces deux auteurs estiment qu’il existait en 1958, au sein de l’administration Eisenhower, une certaine ouverture à l’élargissement de la coopération nucléaire à d’autres pays que le Royaume-Uni.
70 UKNA, PREM 11/3721, Jebb à Lloyd, no 53, 15 février 1958 (discussion avec Jean Laloy, directeur d’Europe) : Laloy minimisa l’initiative tripartite en la liant au contexte particulier de l’affaire des livraisons d’armes à la Tunisie et à l’émotion ressentie alors par les Français.
71 UKNA, PREM 11/3721, télégramme FO à Paris, no 486, 24 février 1958 (instructions préparées conjointement avec le ministère de la Défense).
72 UKNA, PREM 11/3721, Jebb à Lloyd, no 97, 14 mars 1958.
73 DDF, 1958-I, no 86, Chauvel à Pineau, 12 février (séance du Conseil de l’UEO).
74 UKNA, PREM 11/3721, Duncan Sandys à Macmillan, 24 mars 1958 et télégramme du FO à La Haye, Luxembourg, Bruxelles, 10 avril 1958 (instructions pour informer les pays du Benelux sur la politique britannique en matière de coopération sur les armements).
75 UKNA, PREM 11/3721, note du ministère de la Défense, 28 avril 1958 (bilan sur la coopération en matière d’armements).
76 AN, 5 AG 1, carton 684, note du MAE a. s. Coopération atomique franco-britannique, 27 juin 1958.
77 DDF, 1958-I, no 234.
78 FRUS, 1955-57, vol. XXVII, no 268, p. 709-711, conversation du 21 mars 1957, 10 h 30 : au sommet des Bermudes, l’expression junior partner apparaît dans la bouche de Macmillan et la dissymétrie entre Grande-Bretagne et États-Unis est assumée.
79 Voir DDF, 1957-II, no 355 (entretien entre Pineau et Dulles, 19 novembre) ; no 385 et 388 (entretien entre Gaillard et Macmillan, 25-26 novembre) ; no 452 et 464 (sommet de l’OTAN, 16-19 décembre). Lire aussi Barbier Colette, « Les négociations franco-germano-italiennes », art. cité, p. 103-105.
80 Sur ces deux crises, lire Connelly Matthew, A Diplomatic Revolution: Algeria’s Fight for Independence and the Origins of the Post-Cold War Era, New York, Oxford University Press, 2002, p. 145-154 et 160-170.
81 DDF, 1957-II, no 338 et 348, Chauvel à Pineau, 15 et 18 novembre (entretiens avec Lloyd) ; no 369, note sur les livraisons d’armes à la Tunisie, 22 novembre. Jusqu’ici Londres avait professé maintes fois sa solidarité avec Paris à propos de l’Afrique du Nord (DDF, 1957-II, no 53, Chauvel à Pineau, 19 juillet ; no 208, conversations du 17 septembre entre le secrétaire général Louis Joxe et Hoyer-Millar).
82 FRUS, 1955-57, vol. XXVII, no 309, p. 794-796, Merchant à Dulles, 19 octobre 1957.
83 FRUS, 1955-57, vol. XVIII, no 270, p. 716-717, conversation Dulles/Caccia, 9 octobre 1957 ; no 272, p. 721-723, conversation Dulles/Lloyd, 15 octobre ; no 292, p. 756, lettre de Dulles à Lloyd, 13 novembre ; UKNA, PREM 11/2329, f. 14-15, compte rendu de la conférence de Washington (3e réunion), 25 octobre.
84 UKNA, PREM 11/2338, conversation de l’ambassadeur Gladwyn Jebb avec de Gaulle, 20 mars 1958, §6.
85 DDF, 1958-II, no 19, Chauvel à Couve de Murville, 7 juillet (discussion avec Patrick Dean).
86 DDF, 1958-I, no 384, note de la DAEF, « données de la politique pétrolière française dans le Moyen-Orient », 2 juin.
87 DDF, 1958-I, no 360, télégramme du MAE René Pleven à Alphand, 26 mai ; no 383 et 455, notes de la sous-direction des Nations unies, 2 et 28 juin.
88 DDF, 1958-I, no 451, Alphand à Couve de Murville, 27 juin (entretiens avec les Américains sur les retombées de la nouvelle législation atomique).
89 Voir Melissen Jan, The Struggle for Nuclear Partnership, op. cit., p. 109-113.
90 UKNA, CAB 129/92/27, 10 avril 1958. Noter que c’est ce rapport qui révélait pour la première fois à l’ensemble des membres du gouvernement britannique l’existence des Working Groups anglo-américains, mis en place suite à la conférence de Washington en octobre 1957.
91 FRUS, 1955-57, vol. XXVII, no 309, p 794-796, Merchant à Dulles, 19 octobre 1957.
92 UKNA, FO 371/137259, Caccia à Lloyd, no 1362, 3 juin 1958 (entretien avec Dulles).
93 UKNA, PREM 11/2330, Caccia (Washington) à Lloyd, no 1254, 22 mai 1958 (entretien avec Dulles) : « En somme, Foster [Dulles] et d’autres sont ici affectés d’un nouvel accès de cette phobie américaine chronique : la peur de se retrouver seuls avec les Britanniques. Ils ont terriblement envie d’un rendez-vous et d’une liaison secrète… mais ils ont une peur bleue que nous demandions les cloches pour célébrer le mariage. »
94 UKNA, FO 371/137259, discussion interne au FO, à propos des « relations des Anglo-Américains avec la France », 6-9 juin 1958.
95 UKNA, CAB 21/3257, verbatim de la rencontre Macmillan/Eisenhower/Dulles du 9 juin 1958, 15 h, Washington.
96 Mot à mot, le fantôme au festin anglo-américain, selon l’heureuse expression d’Ashton Nigel, Kennedy, Macmillan, and the Cold War: The Irony of Interdependence, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2002, p. 129.
97 Cette partie est largement inspirée des données rassemblées et analysées par Frank Robert, « La France et la Grande-Bretagne : la mésentente commerciale (1945-1958) », Relations internationales, no 55, 1988, p. 323-339 ; Girault René, « Construction européenne et conjoncture économique (1950-1959) », in Gilbert Trausch (dir.), Die Europäische Integration vom Schuman-Plan bis zu den Verträgen von Rom: Pläne und Initiativen, Enttäuschungen und Misserfolge, Baden-Baden, Nomos Verlag, 1993, p. 27-39 ; Rioux Jean-Pierre, La France de la Quatrième République, t. 2, L’expansion et l’impuissance, 1952-1958, Paris, Le Seuil, 1994, p. 192.
98 On trouve l’empreinte de ce pessimisme sur l’économie française chez Jebb, qui dans son bilan de l’année 1958 doute encore fortement des chances de réussite de De Gaulle dans ce domaine (UKNA, FO 371/145592, lettre de Jebb, 9 janvier 1959, « Annual Review for 1958 »).
99 Frank Robert, art. cité.
100 On a relevé deux occurrences de la notion d’interdépendance appliquée à la France : l’une sous la plume de Jebb (UKNA, PREM 11/3721, Jebb à Lloyd, no 97, 14 mars 1958), qui suggère, en vain, une coopération ambitieuse avec la France en matière d’armements ; l’autre, dans un brouillon de Macmillan, pour la première lettre envoyée à de Gaulle le 3 juin 1958 – le mot interdépendance fut supprimé dans la version finale de la lettre (ce détail révélateur est relevé par Sanderson Claire, L’impossible alliance ?, op. cit., p. 387).
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