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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral La « drôle de guerre » et la création des centres de formation professionnelle Luc et Carcopino, une alliance de circonstance Le stratège habile Notes de bas de page

    Hippolyte Luc

    Ce livre est recensé par

    • Marc Suteau, Revue française de pédagogie, mis en ligne le 25 juin 2024. URL : https://journals.openedition.org/rfp/13572 ; DOI : https://doi.org/10.4000/11w0h
    • Stéphane Lembré, Histoire de l’éducation, mis en ligne le 27 juin 2025. URL : https://journals.openedition.org/histoire-education/11562 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1489e
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    Table des matières

    Chapitre VIII. 1940-1942 : « On me dit indispensable, je restai »

    p. 141-158

    Texte intégral La « drôle de guerre » et la création des centres de formation professionnelle Luc et Carcopino, une alliance de circonstance Le stratège habile Notes de bas de page

    Texte intégral

    1La déclaration de guerre, la défaite et les quatre années d’occupation n’ont pas fait obstacle au projet de développement de l’enseignement technique public dont Hippolyte Luc avait fait l’œuvre de sa vie. Au contraire, cette succession d’évènements exceptionnels lui a offert l’occasion d’élargir son champ d’action et de confirmer les orientations élaborées avant la guerre, ce qui explique en partie son choix de conserver son poste. Avec l’acharnement au travail, la détermination et l’habileté stratégique qui étaient devenus sa marque de fabrique, il a alors poursuivi sans relâche la tâche qu’il s’était assignée depuis son accession à la direction de l’enseignement technique.

    La « drôle de guerre » et la création des centres de formation professionnelle

    2Le 21 septembre 1939, trois semaines après la mobilisation générale, les ministres de l’Éducation nationale et du Travail, Yvon Delbos et Charles Pomaret, signent un décret de création de « centres de formation professionnelle » dont l’objectif est « d’intensifier la préparation de la main-d’œuvre utilisable en temps de guerre1 ». La direction de l’Enseignement technique se voit confier la mise en œuvre de ce décret.

    3On peut supposer que cette mission cruciale a été d’autant plus facilement confiée à Luc que Delbos était sans doute2 celui qui l’avait incité à accepter le poste d’adjoint de Labbé en 1925, et que les deux hommes avaient un temps partagé un engagement aux Compagnons de l’université nouvelle. Quant à Charles Pomaret, il avait été secrétaire d’État à l’Enseignement technique en 1931 et 1932, et avait donc déjà eu l’occasion de mesurer l’engagement et l’efficacité de Luc. En outre les deux ministres partageaient avec celui-ci un passé glorieux d’anciens combattants de la Première Guerre mondiale, et étaient tous deux engagés à gauche, radical-socialiste pour Delbos, socialiste pour Pomaret. Déjà installé dans une position de force à la tête de sa direction, nommé par deux ministres qui lui font confiance dans une situation d’urgence, il est presque certain que Luc a disposé d’une totale autonomie pour mettre en œuvre la création des centres.

    4Il a donc répercuté le décret à son administration aussi vite que la lourde organisation de la mobilisation générale le lui permettait, et il en a surveillé de près l’application. Dans un article d’un numéro hors-série de L’information universitaire3 intitulé « Rentrée de guerre », il expose sa détermination et ne manque pas l’occasion de rappeler sa conviction du rôle irremplaçable de l’administration qu’il dirige : « Pour ne parler que de l’enseignement technique, son utilité, ou mieux sa nécessité, est restée intacte. Elle s’est même accrue. La formation professionnelle de la jeunesse dont il est chargé a pris en temps de guerre une importance insoupçonnée. […] Il faut organiser un véritable enseignement à peu près impossible hors de l’école4. » Le 11 décembre 1939 il envoie une première circulaire aux directeurs des écoles techniques « en vue de la création de centres de formation professionnelle accélérée dans les établissements placés sous leur direction ». Cette circulaire prévoit la mise en œuvre du décret en posant les bases d’un élargissement du potentiel de scolarisation dans les établissements de l’enseignement technique. La circulaire, nécessairement écrite par Luc ou sous son contrôle direct, précise en effet que ce nouvel effort d’extension de la formation au service des industries d’armement concerne aussi bien les jeunes sortant de l’école primaire à 14 ans, qui constituaient déjà le public potentiel des écoles techniques existantes, que les jeunes de 14 à 20 ans et les jeunes adultes sans travail.

    5Le projet de proposer des formations aux jeunes chômeurs ne constitue pas, on l’a vu, une nouveauté. Mais la mobilisation au service des industries de l’armement l’inscrit dans une nécessité nouvelle dont Luc ne peut que se saisir tant une telle extension possible de la formation professionnelle scolarisée fait écho à sa vision du rôle de l’enseignement technique public. Le 8 janvier 1940, il rédige donc une seconde circulaire5 plus comminatoire dans laquelle il s’étonne de n’avoir reçu « que bien peu de réponses » à sa première circulaire, et critique vivement celles qui « s’attachent à mettre en relief les difficultés » : « Cette attitude est inadmissible » écrit-il. La circulaire précise ensuite sur un ton qui n’admet plus de contestation que les directeurs doivent fournir « le plus rapidement possible » les propositions d’ouvertures de centres, les prévisions de budget, les effectifs possibles, les spécialités enseignées et la durée prévue de la formation. L’ancien officier Luc est de retour et son inépuisable énergie trouve un regain de stimulation devant une tâche nouvelle qu’il peut inscrire dans une vision à plus long terme.

    6Il serait risqué d’affirmer sans nuance que dans le contexte si particulier et imprévisible de la « drôle de guerre » Luc ait d’emblée envisagé la création de ces centres de formation professionnelle comme la première étape de l’édification d’une nouvelle strate d’écoles techniques élémentaires. Néanmoins on ne peut que remarquer qu’en février 1939, dans la revue de l’AFDET, il défend vigoureusement « l’unité de structure de l’enseignement technique qu’il est impossible de briser et qui fait qu’une étroite parenté d’esprit s’établit entre l’enseignement technique sous sa forme élémentaire et l’enseignement technique sous sa forme supérieure6 ». Une profession de foi dans la droite ligne des arguments que son fils Jean et lui avaient développés deux ans auparavant lors de leur affrontement avec Jean Zay et qui sonne comme l’énoncé d’un programme politique.

    7Sous l’impulsion de Luc, et malgré les difficultés et les obstacles qu’ont nécessairement rencontrés les chefs d’établissement, notamment en raison de la mobilisation d’une partie de leur personnel, on estime que les écoles techniques ont réussi à ouvrir, avant juin 1940, entre quarante et quarante-cinq centres de formation professionnelle répondant aux objectifs du décret de septembre 1939, ce qui dans les conditions de vie et de travail d’une mobilisation générale, est remarquable7. Ce travail a été coordonné par un comité de liaison créé spécifiquement à cet effet. Même si les archives à ce propos sont rares, on devine aisément que ces centres ont été créés dans l’improvisation et avec des moyens réduits. Un des rares exemples que l’on connaisse assez précisément, celui du centre installé dans l’école technique Colbert à Courbevoie, donne à voir des jeunes recrues, que l’on appelle des apprentis, qui doivent partager les locaux avec les élèves. Un rapport d’inspection ultérieur8 indique que, bien qu’ils soient « considérés comme des apprentis de seconde zone peu disciplinés », ils « se trouvent le plus souvent mélangés » avec les élèves et en partagent les activités. Aussi improvisés soient-ils, ces centres sont donc dirigés et animés par des personnels expérimentés, et ils ont accès à un matériel performant.

    8L’offensive allemande, la débâcle de l’armée française, l’exode massif d’une partie de la population et le changement de gouvernement va évidemment stopper le fonctionnement de ces centres. Le 1er juin, Luc écrit dans L’Information universitaire un court texte qui est un appel à poursuivre le combat, et qui semble anticiper et condamner ce que va être la collaboration : « La lumière se fait brutale, rapide, sur le drame formidable dont nous sommes les acteurs. Pourquoi l’ombre a-t-elle été si longue ? Pourquoi cache-t-elle encore d’odieuses convoitises, l’attente du chacal9 ? » Ce texte s’inscrit dans la continuité de ceux qu’il écrivait depuis le début des hostilités, dans la même revue et sous le même pseudonyme, dans lesquels il proclamait une hostilité explicite à l’Allemagne nazie : « Et s’ils osaient l’avouer, leur pensée va jusque-là, jusqu’à ce rêve d’extermination et de domination10. » Face à Hitler qu’il décrit comme « un homme surgi des ténèbres millénaires qui veut nous ramener sous le ciel des étoiles sanglantes », Luc affichait alors une détermination farouche : « Mieux vaut mourir que de lui donner raison11. » Multipliant les avertissements – « Attention, peuples du monde, les loups sont lâchés » – il en appelle à la lutte sans concession : « On ne prêche pas les loups, on leur fait la chasse12. » Envisageant l’éventualité d’une « odieuse victoire » allemande à laquelle il refuse pourtant de croire, il prédisait qu’en ce cas « on irait […] au moins pour un temps, vers la barbarie13 ». Il ne s’illusionnait pas davantage sur ce qu’il adviendrait alors de la France : « Ce serait, dans notre pays qu’il [l’ennemi] convoite comme une terre promise, dans cette grande Allemagne dont il dessine la carte avec les cadavres de ses fils, une orgie infernale, l’orgie barbare que les vieilles hordes germaniques viendraient contempler du fond de la mort14. » Il conclut son ultime chronique par une pathétique profession de foi en forme de quasi-supplique : « Nous voulons simplement être libres et rendre à la liberté ses droits universels. Nous voulons que la vérité, la justice, la bonté, la confiance mutuelle reprennent leur place dans le cœur des hommes. Nous voulons que les enfants puissent croire au bonheur. Nous voulons, contre la guerre vaincue, contre la mort, faire triompher la vie15. » Six jours plus tard, les troupes allemandes entraient dans Paris.

    9Mais finalement, accompagné de son épouse et de leur fille Anne-Marie, non seulement il va suivre son ministre16 Yvon Delbos et le gouvernement dans leur fuite devant l’invasion allemande, mais surtout il va rester à Vichy dans un nouveau gouvernement qui annonce pourtant sans ambiguïté la collaboration avec l’Allemagne nazie.

    10La correspondance que sa fille entretient avec des proches et avec son mari Raymond Las Vergnas, d’abord mobilisé puis fait prisonnier quelques jours avant l’armistice, permet de reconstituer assez précisément cette errance que des millions de Français ont alors connue. Le 12 juin, deux jours après que le gouvernement se soit replié sur Tours, Anne Marie écrit : « Nous sommes assez bien installés dans un château à quelques kilomètres d’Azay17. Du point de vue matériel ce n’est pas mal du tout, mais nous n’avons pas de TSF, pas ou peu de journaux, pas d’occupation, et aucun moyen de s’en procurer. D’autre part la châtelaine, la marquise de je ne sais trop quoi est catholique et royaliste d’une façon agressive. Elle nous fait sentir, autant qu’elle le peut, qu’il lui est odieux d’héberger des fonctionnaires de la République18. » L’anecdote sur l’hostilité de la propriétaire du château illustre ce qu’a été la réalité politique de cette époque et l’esprit de revanche contre la République en général et le Front populaire en particulier qui animait la fraction la plus conservatrice de la droite française. C’est cet esprit qui est déjà à l’œuvre dans une partie de l’entourage de Pétain. Comme l’a montré Jean-Pierre Azéma, « faire la Révolution nationale c’était apurer les comptes19 ». Lors de son bref séjour à Azay, Luc est donc directement et personnellement confronté à cette réalité politique, avant même l’arrivée de Pétain au pouvoir.

    11Un mois plus tard, le 14 juillet 1940, Anne-Marie résume dans une autre lettre le mois dramatique qui vient de s’écouler : « J’ai suivi mes parents et le Ministère dans leurs pérégrinations à travers la France : Azay-le-Rideau (près de Tours), Bordeaux, Tulle, et maintenant Vichy20. » Luc a donc bien participé à toutes les étapes de l’exode gouvernemental. Celle de Tulle correspond à un court moment où le gouvernement avait envisagé de s’installer à Clermont-Ferrand et où l’Éducation nationale est provisoirement logée à La Bourboule et à Tulle. On sait que Vichy a été rapidement préférée à la capitale auvergnate en raison de ses plus grandes capacités d’hébergement hôtelier. Les destins de Delbos et de Luc vont alors définitivement s’écarter. Le 10 juillet, Yvon Delbos, qui n’est plus ministre, fait partie de la minorité de parlementaires qui refusent de voter les pleins pouvoirs à Philippe Pétain. Il choisit ensuite de ne pas obéir à l’interdiction qui leur est faite de quitter le territoire national et le 20 juillet 1940, avec ceux de ses collègues qui ne se soumettent pas au nouveau pouvoir, il embarque à Bordeaux à bord du paquebot « Massilia ». Ils débarquent à Casablanca trois jours plus tard. Delbos voyage en compagnie d’autres élus, anciens ministres ou hauts fonctionnaires parmi lesquels il faut citer Édouard Daladier, Pierre Mendès-France, Georges Mandel, Jean Zay, Pierre Viennot et le jeune étudiant de classe préparatoire Edgard Pisani. Certains d’entre eux ont embarqué avec leurs familles comme Georges Huisman, l’ancien directeur général des beaux-Arts, « camarade et ami21 » de Luc.

    12Luc ne peut évidemment pas avoir ignoré cette possibilité de tenter de se soustraire à la tutelle du nouveau pouvoir, d’autant qu’on sait sa proximité intellectuelle et politique avec Delbos. On ne saura jamais si les deux hommes ont discuté de leurs décisions respectives. La correspondance d’Anne-Marie n’éclaire pas sur ce point. Mais plusieurs mois plus tard, le 21 juin 1941, elle écrit à son mari prisonnier une lettre dont un passage témoigne d’une relative confiance dans la politique de collaboration et dont on peut penser qu’elle est alors l’expression de l’état d’esprit de la famille : « Je suis rentrée hier soir à Paris. Je crois que mon séjour auprès de mes parents n’aura pas été inutile […] J’ai aussi vu le nouveau patron de mon père qui est très gentil et qui m’a donné de sérieuses raisons d’espérer. Aie confiance, mon chéri. J’espère que le séjour dans ton nouveau camp ne sera qu’une brève période de réadaptation à une vie plus civilisée avant ton retour. On parle beaucoup de paix, d’une paix que la collaboration franco-allemande fera meilleure qu’on n’aurait cru pouvoir attendre22. » Il est très probable que le « nouveau patron » de Luc soit Jérôme Carcopino, nommé ministre de l’Éducation nationale du gouvernement Darlan le 24 février 1941.

    13Il ne semble donc pas que sa décision de poursuivre sa carrière sous la tutelle du nouveau gouvernement ait été pour Luc l’objet d’un cas de conscience, même si cette décision paraît contradictoire avec ses prises de position antérieures. Peut-être avait-il conservé de son passé d’ancien combattant une certaine confiance en Pétain, comme beaucoup de ses semblables. Il peut aussi avoir été influencé par la décision de P.-E. Flandin, qui l’avait soutenu au début de sa carrière, et qui a fait le choix de participer activement aux premiers gouvernements de collaboration. Il n’est pas impossible non plus que la relation de proximité qu’il avait entretenue au début des années trente avec Charles Spinasse, maire d’Égletons et député de Corrèze, ait aussi joué un rôle dans son choix puisque Spinasse fait partie des socialistes pacifistes qui soutiennent activement le nouveau régime de Vichy. Au tout début il s’est même associé à Marcel Déat, dirigeant socialiste lui aussi rallié à Pétain, pour tenter de construire un parti unique23 au service du Maréchal. On se souvient aussi que Spinasse peut être plus largement associé à la « constellation des réalistes » qui dans les années vingt exprimaient une vision de la modernisation de la société française dont Luc partageait certains points de vue. Or d’autres acteurs de ce courant de pensée initialement marqués à gauche font, eux aussi, le choix de suivre Pétain, tels le journaliste fondateur du Temps, Jean Luchaire, ou l’ancien syndicaliste Hyacinthe Dubreuil. En fait, l’entourage professionnel de Luc pendant les années trente était composé d’acteurs politiques, de hauts fonctionnaires et de dirigeants d’entreprises qui couvraient un spectre politique assez large et dont les choix vis-à-vis du régime de Pétain ont souvent été hésitants et contradictoires, à l’image de la majorité des élites de l’époque. Il faut rappeler ici combien la brutalité de ce que l’historien Marc Bloch a appelé « l’étrange défaite » a laissé les Français dans un état de sidération collective. « Par besoin d’une vie normale prenant les formes les plus élémentaires – besoin de retrouver son foyer et son emploi – bien des Français se sont engagés sur la voie d’une complicité quotidienne qui les conduit peu à peu jusqu’à prêter un concours actif à des mesures que personne n’aurait imaginées en 194024 » écrit l’historien américain Robert Paxton. Les hommes et les femmes qui ont vécu ce moment exceptionnellement foudroyant et accablant ont eu à faire, dans la précipitation, des choix d’engagement qui ont pu alors être déterminés par une pluralité de motifs, aussi bien leurs appartenances politiques antérieures que leurs convictions pacifistes, leur patriotisme ou leur anticommunisme, la nécessité de conserver un emploi ou le désir d’entamer une nouvelle carrière en saisissant des opportunités que le régime précédent n’avait pas offertes.

    14Dans le cas de Luc, il faut sans doute aussi souligner l’absence de son fils Jean. On a vu la complicité qui liait les deux hommes lors du désaccord avec Jean Zay, et on peut supposer qu’Hippolyte aurait discuté de sa décision avec son fils. Mais Jean, qui vient de se remarier en septembre 1940 avec sa seconde épouse, Andrée Laborie, a immédiatement rejoint son nouveau poste de professeur au lycée d’Oran. Il passera ensuite toute la durée de la guerre hors du territoire métropolitain. Remobilisé à l’hiver 1942-1943, il sera détaché à Radio France et couvrira en tant que reporter de guerre les campagnes de Tunisie et d’Italie jusqu’en août 1944. Proche du parti communiste, Jean aurait-il pu influencer la décision de son père ? En l’absence d’informations supplémentaires, impossible de répondre à une telle question. On ne peut que constater qu’Hippolyte doit faire son choix en l’absence des deux hommes qui auraient pu éventuellement peser sur sa décision, son fils et son gendre. Ce que l’on sait de ses relations avec son épouse laisse supposer que son avis aurait eu peu de poids en supposant qu’il le lui ait demandé. On peut aussi penser que, même si une retraite anticipée lui aurait sans doute été facilement accordée si l’on en croit les manifestations d’hostilité dont il a été l’objet de la part de nombreux dirigeants du nouveau gouvernement, un tel choix l’aurait placé dans une situation matérielle délicate. Mais surtout, ce qui a été à l’évidence le motif décisif, c’est son attachement indéfectible à un ordre d’enseignement dont il était devenu le défenseur emblématique et le promoteur infatigable, auquel il s’était en quelque sorte identifié, et qui lui avait de plus permis d’acquérir une notoriété et une reconnaissance auxquelles il lui était sans doute trop douloureux de renoncer. Jérôme Carcopino l’exprimera plus tard en une formule saisissante : « C’est que Hippolyte Luc, au fond, n’était possédé que par sa tâche et qu’il eût laissé passer tous les régimes pourvu que l’enseignement technique ne passât point25. »

    Luc et Carcopino, une alliance de circonstance

    15Dès la fin de l’été 1940, le gouvernement de Pierre Laval est confronté à un problème massif de chômage : beaucoup d’entreprises ne fonctionnent plus, une partie de la population qui a fui l’invasion allemande n’est pas encore revenue à domicile, et le nombre impressionnant de prisonniers (plus d’un million), dont beaucoup sont des hommes jeunes, impacte lourdement le réservoir de main-d’œuvre disponible. L’exode a aussi provoqué la dispersion sur le territoire de nombreux adolescents isolés, soit parce qu’ils avaient été séparés de leurs familles par les circonstances de leur fuite, soit parce qu’ils étaient déjà dans une situation d’isolement, la plupart d’entre eux étant issus de familles très pauvres. Jean-Pierre Guinot26 note que la préfecture de la Seine a recensé 52 000 jeunes gens « inoccupés » pour la seule région parisienne à la rentrée 1940 ; de son côté, Jean-Pierre Azéma évoque « les milliers d’enfants égarés, les centaines d’enfants définitivement perdus27 ».

    16Le nouveau pouvoir se saisit alors dans l’urgence de cette question en cherchant immédiatement à profiter de l’occasion pour commencer à mettre en œuvre des outils d’encadrement de la jeunesse qui associent action sociale, formation professionnelle et embrigadement idéologique. Dès le 15 juillet 1940 est créé un Secrétariat général à la Jeunesse auquel est adjoint en décembre 1940 un Commissariat au chômage des jeunes. Le décret de création de ce commissariat indique qu’il a « pour mission d’aider et de contrôler au point de vue administratif, financier et technique les organismes créés conformément aux directives du Secrétariat général à la Jeunesse pour lutter contre le chômage des jeunes de 14 à 21 ans en assurant leur formation professionnelle et leur éducation physique et morale28 ». Rapidement, un rapport interne au Secrétariat général à la Jeunesse explicite sans ambiguïté les intentions du nouveau régime : « Les jeunes français sont dispersés par l’exode, séparés de leur famille, de leurs mouvements […], dans l’impossibilité de reprendre leurs études, leur travail […]. Il importe de les reprendre en main au plus vite, de les sauver d’eux-mêmes, de les mettre en état de répondre à l’appel du Maréchal qui vient de leur demander d’entreprendre avec lui la réforme intellectuelle et morale, prélude à la Révolution nationale29. » Autrement dit le nouveau gouvernement met rapidement en place une nouvelle administration au service de ses objectifs de propagande, et directement concurrente de celle de Luc.

    17Mais ce dernier répond lui aussi très vite à l’appel de Pétain. Le directeur de l’école nationale professionnelle d’Armentières, un des établissements les plus prestigieux de l’enseignement technique, en témoignera dans un rapport rédigé en septembre 1944 : « Fin octobre 1940, la direction de l’Enseignement technique se préoccupa des anciens centres de formation professionnelle accélérée et, pour reprendre les termes des circulaires du 30 octobre 1940 et du 10 mars 1941, elle décida de les transformer en centres de formation professionnelle pour adolescents inoccupés. » Il faut ici rappeler que le passé d’Hippolyte, pupille de l’Assistance publique, et peut-être ce qu’il savait de la vie de son père, l’ont rendu extrêmement sensible à la misère de la jeunesse populaire durement affectée par l’exode et le chômage, au-delà de toute préoccupation politique. On se souvient qu’il avait déjà exprimé cette sensibilité lors d’une réunion du Conseil supérieur de l’enseignement technique en décembre 1938 où il avait demandé que l’enseignement technique prenne en charge la formation professionnelle des enfants « attardés », « anormaux » ou « délinquants ». Intéressé par la création des centres de formation professionnelle avant la défaite parce qu’il pouvait y voir un embryon d’extension du champ d’action de l’enseignement technique public au niveau élémentaire, Luc répond d’autant plus facilement à la sollicitation du nouveau pouvoir qu’elle permet de poursuivre cette extension en la mettant au service d’une cause, l’aide à la jeunesse en difficulté, qui lui tient à cœur. Cette motivation nouvelle, produit des circonstances, constitue à l’évidence une nouvelle pièce du puzzle des motifs qui se sont complétés pour expliquer son choix de fermer les yeux sur ce qui, dans le nouveau régime, aurait pu le conduire au refus de collaborer.

    18Luc s’est donc lancé dans une course à la création de nouveaux centres de formation professionnelle en concurrence avec le Secrétariat général à la Jeunesse. Dans le recensement que le ministère établira en 1944, 125 centres sont identifiés comme annexés à des écoles techniques publiques et gérés par le comité de liaison créé par Luc avant la défaite. L’enseignement technique a ainsi ouvert à partir de l’automne 1940 et jusqu’à fin 1942 un peu plus de 80 centres qui se sont ajoutés à la quarantaine déjà ouverts pendant la « drôle de guerre ». On sait par ailleurs que certains centres ouverts dans des écoles techniques privées l’ont été sous l’impulsion directe de l’administration de Luc et avec son soutien. En outre, son administration a été impliquée plus ou moins directement jusqu’à la Libération, en parallèle avec le secrétariat à la Jeunesse, dans la gestion de la totalité des centres créés. Au total ce sont plus de 800 centres de ce type qui ont été ouverts sous l’occupation, accueillant environ 45 000 jeunes. Ces établissements sont devenus aujourd’hui les lycées professionnels.

    19Pour conserver une part du contrôle de ces nombreuses créations, Luc a dû mener avec les dirigeants successifs du secrétariat à la Jeunesse une véritable guerre froide, faite de jeux d’influence, de manœuvres de couloirs et de manipulations d’informations, pratiques dans lesquelles il a de toute évidence excellé. Il le reconnaîtra d’ailleurs lui-même dans le mémorandum qu’il fait parvenir fin 1944 au Conseil supérieur d’enquête du ministère de l’Éducation nationale chargé de le juger : « On m’a reproché, paraît-il, d’avoir été habile. Il n’y a pas de reproche plus injuste. Cette habileté était nécessaire comme fut nécessaire en général à la Résistance la clandestinité30. » Dans l’éloge posthume qu’il dresse de son directeur de l’enseignement technique, Carcopino, après avoir rendu hommage à « son intelligence supérieure » qui « planait au-dessus des petitesses et des sectarismes31 », le décrit aussi comme un homme rusé, « tout en souplesse », « enveloppant » et manipulant « les inflexions de la subtilité32 ». Visiblement, un respect mutuel s’est installé entre les deux hommes, et on a vu qu’Anne-Marie Luc écrivait en juin 1941 que « le nouveau patron de son père » était « très gentil ». Carcopino, dans l’hommage évoqué ci-dessus, manifeste à l’égard de Luc une véritable admiration : « Au cours des quatorze mois que nous avons vécus côte à côte, il n’est pas une assertion de lui à laquelle je n’aie dû souscrire, pas une seule de ses initiatives que je ne me sois réjoui de voir aboutir33. ». Il convient donc de s’attarder un peu sur la biographie de Carcopino pour comprendre ce qui a pu expliquer cette relation privilégiée entre les deux hommes.

    20Issu d’une famille républicaine de la classe moyenne, Carcopino, qui a 59 ans en 1940, soit deux ans de plus que Luc, est comme lui un pur produit de la méritocratie républicaine. Normalien supérieur et agrégé d’histoire, soldat décoré de la Première Guerre, sa carrière témoigne d’une passion authentique pour l’histoire romaine, dont il est un représentant prestigieux, mais aussi d’une forte ambition institutionnelle. Élu à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en 1930, il fréquente alors une élite mondaine plutôt conservatrice et participe notamment aux « déjeuners Hervieu », un cercle littéraire présidé depuis 1934 par Philippe Pétain, qu’il rencontre également au cercle Interallié. Il voue à Pétain une admiration indéfectible qu’il continuera à revendiquer dans ses mémoires lorsqu’il y évoquera sa première rencontre avec le maréchal : « Je n’ai aucune difficulté à l’avouer aujourd’hui : je fus conquis d’emblée ; et tel je vis Pétain ce jour-là, tel je le retrouvai à chacune de nos réunions à l’Interallié : émouvant de noblesse et de simplicité34. » Selon l’historien Stéphane Israël35, Carcopino admirait aussi en Pétain l’académicien français, statut auquel il aspirait lui-même et qu’il réussira à obtenir en 1955. En maréchaliste inconditionnel, il adhère donc sans hésitation au nouveau régime, et il en est récompensé dès le mois de juillet 1940 par une double nomination prestigieuse, la direction de l’École normale supérieure et le rectorat de Paris. Au début de ces mandats, il doit à la fois obtenir que l’armée allemande cesse d’occuper les locaux de l’École normale et que les étudiants, massivement engagés à gauche, ne manifestent pas trop visiblement leur opposition au régime. Il réussit assez habilement dans cette tâche complexe. C’est sans doute ce qui lui vaut la confiance de l’amiral Darlan, nommé chef du gouvernement en février 1941, après le court intermède de P.-E. Flandin, vice-président du conseil et successeur de Laval en décembre 1940. Carcopino obtient alors le ministère de l’Éducation nationale, devenu secrétariat d’État à l’Éducation nationale et à la Jeunesse.

    21Il y a donc des similitudes dans le parcours des deux hommes : la réussite obtenue grâce à l’école de la République, une ambition certaine associée à une forte puissance de travail et à une quête permanente de reconnaissance, une relative indifférence aux engagements politiques partisans.

    22On peut aussi se demander si la signature du pacte germano-soviétique n’a pas réveillé chez Luc une ancienne réticence vis-à-vis de l’extrême-gauche qui l’aurait rapproché des positions de Carcopino. On se souvient que dans les années vingt, selon le journal de Tamet, il s’était montré très hostile au « bolchevisme », « écœuré par les sottises, les mensonges, les appels à la révolution, à la terreur », et s’étonnait que les gouvernements de l’époque tolèrent « ces appels à l’anarchie ». Il semble qu’il ait ensuite évolué vers plus d’indulgence à l’égard des engagements d’extrême gauche, sans doute comme on l’a vu, sous l’influence de son fils Jean36. On se souvient également que dans une lettre d’octobre 1938, sa fille écrivait que Luc se montrait « indigné par la vague d’anticommunisme37 ». Mais on sait aussi combien la signature du pacte entre Staline et Hitler en août 1939 a constitué un choc pour l’opinion publique, et singulièrement pour les intellectuels sympathisants du communisme. Le Parti est alors interdit par le gouvernement Daladier. Il est donc possible qu’une commune indignation patriotique ait aussi rapproché les deux anciens combattants décorés. Rien n’indique en outre que le maréchalisme de Carcopino ait contrarié Luc qui, on s’en souvient, avait apprécié son passage à l’état-major de Pétain en 1918. Dernier point commun entre les deux hommes, l’un comme l’autre saisit l’opportunité qu’offrent les circonstances pour mener à bien des réformes qui lui tiennent à cœur, Luc dans l’enseignement technique, Carcopino à l’École normale supérieure.

    23La sympathie de Carcopino à l’égard de son subordonné est aussi renforcée par l’origine sociale de Luc, qu’il décrit en termes également élogieux : un « enfant du peuple qui, à 16 ans menait encore les vaches en pâtures de son village, et qui à 27 ans, avait conquis de haute lutte le premier rang de l’agrégation de philosophie38 ». Cette description est certes sujette à caution. On sait qu’à seize ans Luc était un brillant élève du collège d’Avallon dont la scolarité était activement soutenue par son père nourricier. Il est effectivement probable que, dans ses moments libres, il ait aidé de temps en temps au travail de la ferme, mais c’était à l’époque dans les familles rurales un usage habituel et cette aide ne lui était certainement pas demandée au détriment de son travail scolaire. Surtout, nous savons que Luc n’a pas été reçu premier mais troisième à l’agrégation. Outrance entretenue par le récit mythifié de son passé que produit lui-même le « transclasse » Hippolyte Luc ? Ou emphase propre à la subjectivité d’un mandarin qui, douze ans après les faits, marque à la fois une admiration sincère pour la réussite d’un enfant du peuple, mais rappelle aussi indirectement sa propre supériorité sociale ? Quoi qu’il en soit, cette petite entorse à la vérité ne peut que s’ajouter à la liste des indices qui montrent que Luc était capable de se servir de son passé pour se mettre en valeur, même en laissant circuler des versions un peu romancées de sa jeunesse.

    24Reste une question sur les conditions du choix de Luc et de sa collaboration avec Carcopino qui ne peut pas être passée sous silence : celle de l’antisémitisme, et secondairement, de la persécution des francs-maçons. Ces derniers sont l’objet d’une politique discriminatoire dès le mois de juillet 1940. La première loi sur le « statut » des Juifs a été promulguée le 19 octobre 1940 et, comme pour les francs-maçons, elle leur interdit de travailler dans la fonction publique. Une seconde loi de juin 1941 étendra cette interdiction à d’autres professions. Le caractère profondément discriminatoire et antisémite du régime est donc flagrant dès le départ, et Carcopino comme Luc, en tant que hauts fonctionnaires, ont à décider s’ils doivent accepter d’appliquer ces lois, et comment.

    25Carcopino a agi de ce point de vue en répercutant les lois antisémites apparemment sans état d’âme, notamment en promulguant en juin 1941 un numerus clausus pour les étudiants juifs. Mais il a aussi protégé au cas par cas des collègues universitaires, juifs ou francs-maçons, en les maintenant en poste, et il s’est opposé à la révocation massive des instituteurs juifs et surtout francs-maçons. Stéphanie Corcy-Debray le décrit comme un républicain convaincu, mais aussi « un homme profondément conservateur, attaché à l’ordre, honoré de servir l’État français », et un « ambitieux qui cherche à capter la bienveillance du nouveau régime39 ». Il a notamment profité de ce pouvoir de révoquer de la fonction publique les Juifs et les francs-maçons pour se débarrasser de ses adversaires au sein de l’université, ou régler des vieux comptes. Il l’a lui-même implicitement revendiqué dans un mémoire justificatif qu’il a présenté pour sa défense à la Libération : il fallait selon lui « profiter de la conjoncture […] pour éliminer, en dehors de toutes considérations partisanes, les immoraux et les incapables40 ». Autrement dit, s’il n’est pas un antisémite revendiqué, il n’hésite pas à faire passer son ambition et son goût de l’ordre avant des préoccupations morales et humanistes. Et il peut, si les circonstances paraissent le lui imposer, intégrer des propos implicitement antisémites dans ses discours. Il n’a ainsi pas hésité à évoquer « l’aspect historique et humain du problème juif » dans une lettre adressée à Pétain pour présenter sa décision d’appliquer un numerus clausus aux étudiants juifs.

    26Nous ne disposons pas à propos de Luc d’informations aussi précises sur les décisions qu’il a prises en la matière. Il est toutefois évident que, dès lors qu’il ne démissionne pas, il sait que sur un sujet aussi essentiel pour le nouveau pouvoir, il sera contraint de répercuter les injonctions de son autorité de tutelle. En témoigne une « circulaire confidentielle pour le renouvellement des inspecteurs bénévoles de l’enseignement technique41 » qu’il envoie aux préfets en février 1941 et dans laquelle il écrit : « Le mandat d’inspecteur départemental et d’inspecteur régional ne peut être confié aux israélites que s’ils satisfont à l’une des conditions de l’article 3 de la loi du 3 octobre 1940 portant statut des Juifs (voir circulaire du 13 décembre 1940)42. »

    27Mais on sait aussi que dans le contexte d’improvisation qui préside aux débuts du nouveau régime, l’application de cette loi a été très dépendante du zèle ou au contraire de la résistance passive des hiérarchies intermédiaires. Du côté de la résistance passive, deux exemples peuvent être cités avec certitude : deux centres de formation professionnelle annexés aux écoles techniques Colbert à Courbevoie et Élisa Lemonnier à Paris se voient rappelés à l’ordre respectivement en juin 1943 et en avril 1944 parce que les certificats de non-appartenance de leurs personnels aux « sociétés secrètes et à la race juive », réclamés depuis février 1941, ne sont toujours pas parvenus au ministère. Les archives du ministère comprennent en outre plusieurs notes internes qui dénoncent des retards identiques dans plusieurs établissements de l’enseignement technique sans les nommer. En outre, on verra au dernier chapitre que le dossier que Luc présentera pour sa défense en décembre 1944 comprend deux témoignages de ses interventions en faveur d’enseignants révoqués en raison de leur judéité. On ne peut certes pas, à partir de ces quelques exemples, extrapoler que les établissements de l’enseignement technique aient été massivement des foyers de résistance. Mais il est évident que compte tenu des relations étroites que la direction de l’Enseignement technique entretenait avec ses écoles et de l’ancienneté de Luc, qui était depuis 25 ans à un poste de direction, une telle inertie dans l’exécution d’une directive aurait été impossible sans son indulgence complice. Difficile donc de soupçonner Luc d’antisémitisme, ce qui ne lui a d’ailleurs été aucunement reproché à la Libération.

    28Qu’il ait pu en revanche accepter passivement la politique antisémite de l’État pétainiste sans trop de culpabilité peut peut-être s’expliquer, outre son obsession à développer un ordre d’enseignement auquel il s’était passionnément identifié, par une possible incorporation plus ou moins inconsciente de l’antisémitisme larvé en cours dans la société française de l’époque. L’hypothèse est d’autant plus plausible si on se réfère à la vision des Juifs qui transparaît dans le journal de son beau-père, Mathieu Tamet, décédé en 1936. Cette question n’est absolument pas centrale dans la famille Tamet puisque, sur les vingt-quatre ans que couvre ce journal, on ne relève que six occurrences du mot juif. Mais la manière dont Tamet rend compte des premières persécutions dont sont victimes les Juifs allemands en 1933 est, pour notre perception contemporaine, assez choquante : « En Allemagne, écrit-il en mars 1933, les hitlériens font une campagne formidable contre les Juifs, ses derniers se promettent de boycotter tous les produits allemands à l’étranger. La lutte promet d’être ardente, et les deux partis y perdront des plumes : dent pour dent, œil pour œil43. » Et quelques jours plus tard, il écrit : « Il est probable que certaines puissances amies de l’Allemagne ont dû lui faire des observations amicales à ce sujet, et que le boycottage cessera si les Juifs ne mettent pas de mauvaise volonté à se laisser molester44. » Même si évidemment on peut objecter qu’il était impossible en 1933 d’imaginer la suite monstrueuse que les nazis allaient donner à ces persécutions, la banalisation de telles discriminations sous la plume d’un républicain convaincu, qui semble considérer qu’il s’agit d’une sorte d’affrontement à armes égales entre deux partis, est aujourd’hui totalement déconcertante. Sauf si on se rappelle qu’une large partie de la population française véhiculait, encore majoritairement à l’époque, une idéologie qui naturalisait et généralisait une catégorisation différentielle des individus en fonction de leurs origines ethniques ou nationales. Ce processus de catégorisation des minorités en fonction de représentations construites sur des préjugés séculaires était alors plus largement partagé qu’aujourd’hui, y compris par des élites cultivées qui s’en sont depuis majoritairement éloignées. Luc n’est à l’évidence aucunement soupçonnable d’antisémitisme. Dans un des textes qu’il avait rédigés en 1939 dans L’Information universitaire il avait notamment écrit : « Les Juifs sont-ils libres en terre allemande ? Non45. » Mais pour autant, il a aussi probablement vécu dans un environnement familial porteur de certains préjugés inconscients qui ne sont pas assimilables à l’antisémitisme, mais qui peuvent expliquer une forme de résignation à l’égard d’un régime qui lui permettait par ailleurs de poursuivre ce qu’il considérait comme l’œuvre de sa vie.

    Le stratège habile

    29Comme avec Delbos l’année précédente, Luc a donc eu avec Carcopino les mains libres pour continuer à exercer sur le développement des centres de formation professionnelle, et plus généralement sur la politique de formation professionnelle, une influence déterminante.

    30Très vite pourtant, les dirigeants du secrétariat à la Jeunesse ont essayé de se débarrasser d’un homme qu’ils regardent comme un représentant emblématique d’une classe dirigeante républicaine dont ils ont fait leur principal adversaire. Plusieurs rapports en ce sens sont rédigés par les membres du Secrétariat et transmis au ministre, tel celui de mars 1941 qui se termine ainsi : « Confiné dans les régions infiniment petites de ses principes maçonniques, il continue à se maintenir sur le même plan philosophique. Pour lui, combattre l’ignorance c’est réduire Dieu ; pour nous c’est l’exalter. » Dans son livre sur la jeunesse de Vichy, l’historien anglais W. D. Halls46 signale que les Allemands auraient soupçonné Luc de liens avec les universitaires résistants de L’Université libre47, et pensaient que son épouse Maria était « demi-juive ». Dans sa biographie de Frédéric Joliot-Curie, Michel Pinault signale que Luc entretenait des relations amicales avec Joliot-Curie et était régulièrement dénoncé comme franc-maçon par la presse parisienne48. Carcopino a témoigné de ces attaques ad hominem auxquelles il s’est opposé et dont il a protégé Luc : « Le directeur général de l’Enseignement technique, M. Hippolyte Luc, a été suspect à quelques trublions de Vichy empressés de lui faire grief de ses idées avancées et de ses affinités avec les partis extrêmes49. »

    31Ce qui est essentiel dans ces témoignages pour comprendre que Luc ait pu échapper aux tentatives pourtant récurrentes d’obtenir son limogeage, c’est la formule méprisante que Carcopino utilise pour désigner les « quelques trublions de Vichy ». L’hostilité du ministre à l’égard de ses subordonnés du secrétariat à la Jeunesse illustre d’abord les divisions internes entre les collaborateurs du nouveau régime. Vichy avait attiré un ensemble extrêmement composite d’acteurs issus de milieux et de mouvances tout à fait différents et que ne réunissait que la soif de revanche et de pouvoir. « La convergence des ressentiments et des opportunismes produisit un régime hétérogène et divisé qui, en supprimant les règles démocratiques, devint le cadre de luttes violentes » écrit à ce propos Alain Garrigou50. Mais la formule de Carcopino ne témoigne pas seulement de l’instabilité chronique et des rivalités internes du régime : elle exprime aussi le profond mépris du mandarin à l’égard des responsables du Secrétariat général à la Jeunesse, placé jusqu’au printemps 1943 sous la responsabilité de Georges Lamirand. Proche des milieux chrétiens sociaux et du scoutisme, cet ingénieur centralien avait été un cadre supérieur apparemment performant des usines Renault, mais n’a pas fait preuve de la même efficacité en politique. Carcopino décrit dans ses mémoires un idéaliste au « lyrisme éperdu […] en état d’exaltation continue51 ». À tel point que Carcopino affirme lui avoir demandé de « ne rien entreprendre dans ses centres d’artisanat sans s’en être mis d’accord avec l’Instruction Publique et la direction de l’Enseignement technique52 ». La méfiance et le mépris de Carcopino étaient aussi alimentés par le personnel que Lamirand avait recruté, et dont un inspecteur général de la jeunesse dressera en 1943 un tableau particulièrement critique : un « personnel de hasard » écrit-il, qui « manque de compétence dans le domaine du travail des jeunes » et dont « les tendances les plus diverses, les conceptions les plus opposées, se sont fanatiquement entrecroisées sous le voile d’une hypocrite communauté d’action ». L’homme que Pétain avait placé en face d’Hippolyte Luc n’était pas à la hauteur de son adversaire, ni son personnel à celle des enseignants expérimentés des écoles techniques.

    32Pendant toute la durée du mandat de Carcopino, Luc a donc gardé la haute main sur les centres de formation professionnelle créés ou en train de se créer. En avril 1941, Carcopino transforme le Commissariat au chômage des jeunes en direction du travail des jeunes et en transfère la responsabilité à la direction de l’Enseignement technique, c’est-à-dire à Luc.

    33Par ailleurs, les archives du ministère et du secrétariat à la Jeunesse montrent que les adolescents des milieux populaires auxquels étaient destinés ces centres n’y venaient principalement que si la formation leur permettait d’accéder à une qualification suffisante pour trouver ensuite du travail. Dès que la direction du travail des jeunes a été placée sous sa responsabilité, Luc a fait rédiger une circulaire qui prévoyait un programme de formation pour les centres comprenant 18 heures par semaine de travail en atelier et 17 heures d’enseignement théorique, ce qui laissait peu de place à la propagande des éducateurs de la jeunesse, lesquels étaient évidemment recrutés dans des conditions de totale improvisation. « La collaboration avec l’organisme puissant que représente l’enseignement technique paraît devoir être des plus fructueuses » écrit en 1942 le responsable du Secrétariat à la Jeunesse de Lorraine53.

    34Évidemment les conditions de travail sous l’Occupation ne permettaient pas à Luc de diriger aussi directement les centres qu’il avait l’habitude de le faire avec les écoles techniques. Les bureaux de la direction de l’Enseignement technique sont restés à Vichy jusqu’à l’été 1942 dans des conditions précaires : Carcopino décrit dans ses mémoires des services éparpillés dans plusieurs hôtels de la ville, certains mêmes dans une autre ville à 45 km, et un équipement nécessairement improvisé. Luc lui-même ne se déplace probablement pas facilement et ne se rend que rarement à Paris. En outre, en dehors des 125 centres qui avaient été directement créés par les écoles techniques, les quelque 780 autres dépendaient d’organismes très divers, écoles privées, associations caritatives, entreprises, municipalités. Le système de financement très libéral instauré par le secrétariat à la Jeunesse laissait une grande liberté à leurs dirigeants54, ce dont l’enseignement technique profitait aussi, mais ce qui limitait les possibilités de contrôle.

    35Néanmoins Luc bénéficie de sa réputation auprès de nombreux élus locaux et de la solidité des relations antérieures qu’il avait établies avec certains milieux de l’industrie et du commerce. Dans les régions où ces relations sont anciennes et étroites, c’est vers lui que se tournent les responsables de centres lorsqu’ils sont en difficulté. En témoignent deux plaintes que reçoit la direction du technique et qui sont restées dans les archives : la première du comité d’organisation des industries, arts et commerce du livre de Bourges que Luc reçoit personnellement et qui dénonce l’incompétence des personnels envoyés par le secrétariat à la Jeunesse pour faire fonctionner un centre que ce comité finance ; la seconde d’un syndicat d’électriciens d’Île-de-France qui reproche à un responsable de centre de donner trop d’importance à ce qu’ils appellent « l’enseignement culturel ». De nombreux documents de ce type montrent que les organismes professionnels qui finançaient des centres étaient globalement hostiles aux personnels recrutés par le secrétariat. Ce que des historiens anglais ont pu appeler le « lobby de l’enseignement technique55 », et que Luc avait significativement consolidé pendant les vingt-cinq années précédentes, a donc joué à plein pour l’aider à maintenir son influence, sous la protection de Carcopino. Le 28 avril 1942 il rédige par exemple une note dans laquelle il se félicite qu’un « flot d’élèves volontaires » s’inscrivent dans un centre de maçonnerie ouvert à Paris, rue Saint Lambert56, en collaboration avec les professionnels du bâtiment.

    36Mais, écrite dix jours après le limogeage de Darlan et de Carcopino, cette note est aussi à l’évidence destinée à Abel Bonnard, le nouveau ministre. Autrement dit, dès le départ de Carcopino, Luc est déjà à la manœuvre pour défendre sa politique et conserver son poste. Avec succès puisque quinze jours plus tard, son gendre, toujours prisonnier en Allemagne, écrit dans une lettre à Anne-Marie Luc, son épouse : « Je suis heureux de ce que tu me dis au sujet de ton entrevue avec Abel. Les gens, je ne sais pourquoi, s’imaginaient ici que sa venue entraînerait des conséquences désagréables pour ton père. Tant mieux qu’il n’en soit rien57. » Une petite phrase qui en dit beaucoup. Si les camarades de captivité de Raymond Las Vergnas pensent que Luc aura plus de difficultés avec Bonnard qu’avec Carcopino, c’est parce qu’ils savent que le nouveau ministre, membre du Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot, est partisan d’une collaboration sans nuance avec les nazis. Si, comme Carcopino, Bonnard est un intellectuel, son engagement politique est donc beaucoup moins compatible avec les convictions de Luc, ou du moins celles qu’il affichait avant-guerre. Et pourtant, Luc va continuer avec lui la même collaboration, sans hésitation apparente.

    Notes de bas de page

    1 Décret relatif à l’organisation de la formation professionnelle en temps de guerre, Journal officiel de la République française, no 229, 24 septembre 1939, p. 11715.

    2 On a vu au chapitre v que d’après les dates du journal de Mathieu Tamet ce serait Yvon Delbos qui était au ministère au moment où Luc est sollicité, mais d’après un autre témoignage ce serait plutôt Anatole de Monzie qui aurait sollicité Luc.

    3 Rappelons que, sous le pseudonyme de Hachel, Luc a publié régulièrement dans cette revue de septembre 1939 à juin 1940, après avoir écrit auparavant sous celui de L. Hache.

    4 L’Information universitaire, no 942, hors-série, septembre 1939.

    5 L’Information universitaire, no 959, 20 janvier 1940.

    6 L’Enseignement technique, no 9, février 1939.

    7 Voir à ce sujet Pelpel Patrice et Troger Vincent, Histoire de l’enseignement technique, Paris, L’Harmattan, 2001.

    8 Rapport du secrétariat à la Jeunesse du 24 juin 1943, AN F 44.

    9 Il a publié des articles « patriotiques » dans cette revue de janvier 1939 à juin 1940 sous le pseudonyme de L. Hache, puis de Hachel.

    10 Hachel, « Vérité en deçà », L’Information universitaire, no 951, 18 novembre 1939.

    11 Hachel, « Utopie », L’Information universitaire, no 966, 23-30 mars 1940.

    12 Hachel, « Deux jeunesses », L’Information universitaire, no 970, 11-18 mai 1940.

    13 Ibid.

    14 Hachel, « Valeurs morales », L’Information universitaire, no 971, 25 mai-1er juin 1940.

    15 Hachel, « Armes allemandes », L’Information universitaire, no 972, 8 juin 1940.

    16 Yvon Delbos a été deux fois ministre de l’Éducation nationale pendant la « drôle de guerre », du 13 septembre 1939 au 21 mars 1940 et du 6 au 16 juin 1940.

    17 Il s’agit du château du Gerfaut, situé au nord d’Azay-le-Rideau à 25 km de Tours.

    18 Lettre écrite depuis le château du Gerfaut, archives familiales Luc-Las Vergnas.

    19 Azéma Jean-Pierre, De Munich à la Libération (1938-1944), Paris, Éditions du Seuil, 1979, p. 91.

    20 Lettre écrite depuis Vichy, archives familiales Luc-Las Vergnas.

    21 Voir supra, chapitre vi.

    22 Anne-Marie Luc réitèrera la même opinion en août, mais on peut alors penser que c’est surtout son angoisse personnelle dans l’attente du retour de son mari qui la motive, et aussi le fait que la correspondance des prisonniers est soumise à la censure : « La collaboration franco-allemande qui s’affermit et se développe chaque jour davantage aura parmi d’autres heureux résultats, celui de permettre un prompt et général retour des prisonniers […]. Espérons que le bon sens est toujours la chose du monde la mieux partagée, et que les Français sauront tous comprendre qu’il n’y a pas d’autre salut pour eux », lettre du 13 août 1941, archives familiales Luc-Las Vergnas.

    23 Voir Broche François et Muracciole Jean-François, Histoire de la collaboration (1940-1945), Paris, Tallandier, 2017.

    24 Paxton Robert, La France de Vichy, Paris, Éditions du Seuil, 1973, p. 30.

    25 Carcopino Jérôme, Souvenirs de sept ans, 1937-1944, Paris, Flammarion, 1953, p. 296.

    26 Guinot, Jean-Pierre, Formation professionnelle et travailleurs qualifiés depuis 1789, Paris, Domat, 1947.

    27 Azéma Jean-Pierre, De Munich à la Libération, op. cit., p. 63.

    28 Décret du 9 décembre 1940 paru au Journal officiel du 20 décembre 1940, p. 6186.

    29 AN F 44-34.

    30 Luc Hippolyte, Mémorandum, archives familiales Luc-Las Vergnas.

    31 Carcopino Jérôme, op. cit., p. 295.

    32 Ibid., p. 296.

    33 Ibid., p. 295.

    34 Carcopino Jérôme, op. cit., p. 158.

    35 Israël Stéphane, « Jérôme Carcopino, directeur de l’École normale supérieure des années noires », in Gueslin André (dir.), Les facs sous Vichy : étudiants, universitaires et universités de France pendant la Seconde Guerre mondiale, actes du colloque des universités de Clermont-Ferrand et de Strasbourg-novembre 1993, Publications de l’Institut d’Études du Massif central, université Blaise-Pascal (Clermont 2), 1994, p. 157-168.

    36 Voir supra, chapitre vii.

    37 Ibid.

    38 Carcopino J., Souvenirs de sept ans, op. cit., p. 296.

    39 Corcy-Debray Stéphanie, « Jérôme Carcopino et les lois d’exception », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2002/4, no 49-4, p. 91-100.

    40 Cité par Corcy-Debray Stéphanie, op. cit., p. 92.

    41 Circulaire du 17 février 1941, archives départementales du Loiret, 5 T 6.

    42 L’article 3 du « statut » des Juifs d’octobre 1940 prévoyait des exemptions à l’interdiction de travailler dans la fonction publique pour les personnels « titulaires de la Carte de combattant 1914-1918 ou cités au cours de la campagne 1914-1918 », « cités à l’ordre du jour au cours de la campagne 1939-1940 » ou « décorés de la Légion d’honneur à titre militaire ou de la Médaille militaire ».

    43 JMT, 30 mars 1933.

    44 JMT, 1er avril 1933.

    45 Hache L., « Réponse à l’araignée », L’Information universitaire, no 916, 6 mai 1939.

    46 Halls Wilfred Douglas, The youth of Vichy France, Oxford, Clarendon Press, 1981.

    47 L’université libre est une publication clandestine créée en octobre 1940 par trois intellectuels communistes, le philosophe Georges Politzer, le germaniste Jacques Decour et le physicien Jacques Solomon, tous trois fusillés en 1942. Il est possible que ce soupçon des Allemands soit à mettre en relation avec les textes anti-nazis que Luc avait publiés en 1939-1940 dans L’Information universitaire.

    48 Pinault Michel, Frédéric Joliot-Curie, Paris, Odile Jacob, 2000.

    49 Carcopino Jérôme, Souvenirs de sept ans, op. cit., p. 295. Cette allusion aux « partis extrêmes » renvoie sans doute aux sympathies que Luc avait manifesté dans les années trente et dans la suite de son fils pour le parti communiste. Le rapporteur du Conseil supérieur d’enquête du ministère de l’éducation nationale parle lui aussi, le 13 mars 1945, de « M. Luc, homme de gauche, voire même d’extrême gauche ».

    50 Garrigou Alain, La politique en France de 1940 à nos jours, Paris, Éditions La Découverte, 2017.

    51 Carcopino Jérôme, op. cit., p. 288.

    52 Ibid., p. 289.

    53 Rapport du délégué de la jeunesse en Lorraine, AN F 42/2.

    54 Les budgets affectés aux centres par le secrétariat obéissaient au principe de « la transformation des deniers publics en fonds privés », selon la formule de l’inspecteur général de la jeunesse en 1943.

    55 Fox Robert et Weisz George, The organization of science and technology in France, 1808-1914, Cambridge/Paris, Cambridge University Press/Maison des sciences de l’homme, 1980.

    56 Ce centre est devenu un lycée technique du bâtiment aujourd’hui très réputé.

    57 Lettre du 13 mai 1942, archives familiales Luc-Las Vergnas.

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    1 Décret relatif à l’organisation de la formation professionnelle en temps de guerre, Journal officiel de la République française, no 229, 24 septembre 1939, p. 11715.

    2 On a vu au chapitre v que d’après les dates du journal de Mathieu Tamet ce serait Yvon Delbos qui était au ministère au moment où Luc est sollicité, mais d’après un autre témoignage ce serait plutôt Anatole de Monzie qui aurait sollicité Luc.

    3 Rappelons que, sous le pseudonyme de Hachel, Luc a publié régulièrement dans cette revue de septembre 1939 à juin 1940, après avoir écrit auparavant sous celui de L. Hache.

    4 L’Information universitaire, no 942, hors-série, septembre 1939.

    5 L’Information universitaire, no 959, 20 janvier 1940.

    6 L’Enseignement technique, no 9, février 1939.

    7 Voir à ce sujet Pelpel Patrice et Troger Vincent, Histoire de l’enseignement technique, Paris, L’Harmattan, 2001.

    8 Rapport du secrétariat à la Jeunesse du 24 juin 1943, AN F 44.

    9 Il a publié des articles « patriotiques » dans cette revue de janvier 1939 à juin 1940 sous le pseudonyme de L. Hache, puis de Hachel.

    10 Hachel, « Vérité en deçà », L’Information universitaire, no 951, 18 novembre 1939.

    11 Hachel, « Utopie », L’Information universitaire, no 966, 23-30 mars 1940.

    12 Hachel, « Deux jeunesses », L’Information universitaire, no 970, 11-18 mai 1940.

    13 Ibid.

    14 Hachel, « Valeurs morales », L’Information universitaire, no 971, 25 mai-1er juin 1940.

    15 Hachel, « Armes allemandes », L’Information universitaire, no 972, 8 juin 1940.

    16 Yvon Delbos a été deux fois ministre de l’Éducation nationale pendant la « drôle de guerre », du 13 septembre 1939 au 21 mars 1940 et du 6 au 16 juin 1940.

    17 Il s’agit du château du Gerfaut, situé au nord d’Azay-le-Rideau à 25 km de Tours.

    18 Lettre écrite depuis le château du Gerfaut, archives familiales Luc-Las Vergnas.

    19 Azéma Jean-Pierre, De Munich à la Libération (1938-1944), Paris, Éditions du Seuil, 1979, p. 91.

    20 Lettre écrite depuis Vichy, archives familiales Luc-Las Vergnas.

    21 Voir supra, chapitre vi.

    22 Anne-Marie Luc réitèrera la même opinion en août, mais on peut alors penser que c’est surtout son angoisse personnelle dans l’attente du retour de son mari qui la motive, et aussi le fait que la correspondance des prisonniers est soumise à la censure : « La collaboration franco-allemande qui s’affermit et se développe chaque jour davantage aura parmi d’autres heureux résultats, celui de permettre un prompt et général retour des prisonniers […]. Espérons que le bon sens est toujours la chose du monde la mieux partagée, et que les Français sauront tous comprendre qu’il n’y a pas d’autre salut pour eux », lettre du 13 août 1941, archives familiales Luc-Las Vergnas.

    23 Voir Broche François et Muracciole Jean-François, Histoire de la collaboration (1940-1945), Paris, Tallandier, 2017.

    24 Paxton Robert, La France de Vichy, Paris, Éditions du Seuil, 1973, p. 30.

    25 Carcopino Jérôme, Souvenirs de sept ans, 1937-1944, Paris, Flammarion, 1953, p. 296.

    26 Guinot, Jean-Pierre, Formation professionnelle et travailleurs qualifiés depuis 1789, Paris, Domat, 1947.

    27 Azéma Jean-Pierre, De Munich à la Libération, op. cit., p. 63.

    28 Décret du 9 décembre 1940 paru au Journal officiel du 20 décembre 1940, p. 6186.

    29 AN F 44-34.

    30 Luc Hippolyte, Mémorandum, archives familiales Luc-Las Vergnas.

    31 Carcopino Jérôme, op. cit., p. 295.

    32 Ibid., p. 296.

    33 Ibid., p. 295.

    34 Carcopino Jérôme, op. cit., p. 158.

    35 Israël Stéphane, « Jérôme Carcopino, directeur de l’École normale supérieure des années noires », in Gueslin André (dir.), Les facs sous Vichy : étudiants, universitaires et universités de France pendant la Seconde Guerre mondiale, actes du colloque des universités de Clermont-Ferrand et de Strasbourg-novembre 1993, Publications de l’Institut d’Études du Massif central, université Blaise-Pascal (Clermont 2), 1994, p. 157-168.

    36 Voir supra, chapitre vii.

    37 Ibid.

    38 Carcopino J., Souvenirs de sept ans, op. cit., p. 296.

    39 Corcy-Debray Stéphanie, « Jérôme Carcopino et les lois d’exception », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2002/4, no 49-4, p. 91-100.

    40 Cité par Corcy-Debray Stéphanie, op. cit., p. 92.

    41 Circulaire du 17 février 1941, archives départementales du Loiret, 5 T 6.

    42 L’article 3 du « statut » des Juifs d’octobre 1940 prévoyait des exemptions à l’interdiction de travailler dans la fonction publique pour les personnels « titulaires de la Carte de combattant 1914-1918 ou cités au cours de la campagne 1914-1918 », « cités à l’ordre du jour au cours de la campagne 1939-1940 » ou « décorés de la Légion d’honneur à titre militaire ou de la Médaille militaire ».

    43 JMT, 30 mars 1933.

    44 JMT, 1er avril 1933.

    45 Hache L., « Réponse à l’araignée », L’Information universitaire, no 916, 6 mai 1939.

    46 Halls Wilfred Douglas, The youth of Vichy France, Oxford, Clarendon Press, 1981.

    47 L’université libre est une publication clandestine créée en octobre 1940 par trois intellectuels communistes, le philosophe Georges Politzer, le germaniste Jacques Decour et le physicien Jacques Solomon, tous trois fusillés en 1942. Il est possible que ce soupçon des Allemands soit à mettre en relation avec les textes anti-nazis que Luc avait publiés en 1939-1940 dans L’Information universitaire.

    48 Pinault Michel, Frédéric Joliot-Curie, Paris, Odile Jacob, 2000.

    49 Carcopino Jérôme, Souvenirs de sept ans, op. cit., p. 295. Cette allusion aux « partis extrêmes » renvoie sans doute aux sympathies que Luc avait manifesté dans les années trente et dans la suite de son fils pour le parti communiste. Le rapporteur du Conseil supérieur d’enquête du ministère de l’éducation nationale parle lui aussi, le 13 mars 1945, de « M. Luc, homme de gauche, voire même d’extrême gauche ».

    50 Garrigou Alain, La politique en France de 1940 à nos jours, Paris, Éditions La Découverte, 2017.

    51 Carcopino Jérôme, op. cit., p. 288.

    52 Ibid., p. 289.

    53 Rapport du délégué de la jeunesse en Lorraine, AN F 42/2.

    54 Les budgets affectés aux centres par le secrétariat obéissaient au principe de « la transformation des deniers publics en fonds privés », selon la formule de l’inspecteur général de la jeunesse en 1943.

    55 Fox Robert et Weisz George, The organization of science and technology in France, 1808-1914, Cambridge/Paris, Cambridge University Press/Maison des sciences de l’homme, 1980.

    56 Ce centre est devenu un lycée technique du bâtiment aujourd’hui très réputé.

    57 Lettre du 13 mai 1942, archives familiales Luc-Las Vergnas.

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