Chapitre III. Le flou rencontre la photographie
p. 91-114
Texte intégral
Le sacrifice des détails en photographie
1« Rien n’est beau que le vrai ; mais il faut le choisir1 » : la devise qu’affiche La Lumière dans son premier numéro, en février 1851, témoigne de l’importance de la théorie des sacrifices dans la première définition esthétique de la photographie. Publié par la Société héliographique, le premier journal consacré à la photographie permet bien de l’appréhender et en 1851 Francis Wey l’affirme clairement2 :
« Les détails risqués, plus ils sont scintillants et minutieux, plus il [le daguerréotype] les accuse, plus il les reproduit avec vivacité. Si bien que la tête, sujet principal, s’efface, se ternit, perd son intérêt, son unité, et tout miroite, sans que l’attention soit concentrée nulle part. La théorie des sacrifices, si largement pratiquée par Van Dyck, par Rubens et par le Titien, doit être encore plus rigoureusement entendue par l’artiste héliographique. D’ordinaire, ces grands peintres ont fait briller les têtes, au milieu d’une atmosphère sombre et vaporeuse ; puis leurs fonds, plus ténébreux à mesure qu’ils s’abaissent, viennent se confondre, le long des épaules, avec les plis des vêtements largement indiqués dans une pâte solide et foncée. Ils ont évité de silhouetter sèchement, de la tête aux pieds, un corps humain, et leurs portraits ne ressemblent point, comme certaines épreuves daguerriennes, à des merlans frits collés sur un plat d’argent. Quel est le but de ces sacrifices portant sur la distribution de la lumière et sur la suppression de certains détails ? C’est de concentrer l’attention sur les figures3. »
2Six ans plus tard, pour la Société française de photographie, le mimétisme visuel constitue le point d’argumentation central pour l’atténuation des détails : « Il ne faut pas oublier que notre œil n’est pas absolument un objectif, et souvent un tableau doit gagner à ce que toutes les parties n’aient pas une égale netteté. Nous croyons donc que le photographe a le même droit que le dessinateur et qu’il peut, dans une juste mesure, demander au flou même certains effets4. » Ainsi, dès les années 1850, le « flou » intègre chez les photographes un débat qu’il n’avait pas investi chez les peintres : celui de la représentation du flou optique et du sacrifice des détails qui en découle. La même année, le photographe Henri de La Blanchère, ancien élève de Gustave Le Gray et fervent défenseur de la photographie artistique et sur papier, ajoute5 :
« Consultons notre œil ; il nous dira que, pour les vues d’ensemble, les détails s’effacent et se groupent en masse générale d’autant plus grande que nous nous éloignons davantage et que nous embrassons un plus grand espace. […] Et maintenant qu’allons-nous faire si nous sommes sages, c’est-à-dire artistes ? Suivre ces conseils, sacrifier les détails si nous voulons l’ensemble6. »
3L’argument rappelle ici la théorie picturale du tout-ensemble et plus particulièrement celle étayée par Roger de Piles plusieurs siècles auparavant.
4Dans la première critique de la photographie, la difficulté du nouveau médium à éteindre les détails constitue l’un des nœuds essentiels à sa condamnation morale7. Érika Wicky explique que dans la peinture déjà :
« Il y avait quelque chose de potentiellement immoral dans le type de rapport au monde que [le détail] instituait. […] En effet, dès la Renaissance, on estimait que lorsqu’il n’était pas purement ornemental et donc, dans une certaine mesure, parfaitement inutile, le détail rendait compte d’une réalité crue, non maîtrisée8. »
5Or, la photographie ne paraît pas apte à trier les détails et ne peut qu’enregistrer la réplique d’une vision mécanique, sans rendre compte de la sensation visuelle de l’âme. La question du détail cristallise les crispations, car la difficulté de la photographie à le dominer, à le choisir et à l’atténuer la place en porte-à-faux avec les préceptes esthétiques essentiels qui autorisent, dans la théorie picturale, un simple tableau à devenir une œuvre d’art. Au xixe siècle, les textes abondent pour condamner une photographie à laquelle, selon Charles Baudelaire, il n’est pas permis « d’empiéter sur le domaine de l’impalpable et l’imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que parce que l’homme y ajoute de son âme » tant elle se « prosterne devant la réalité extérieure », car elle se limite à la seule « reproduction exacte de la nature9 ».
6Dans le pamphlet contre le daguerréotype qu’il publie en 1841, Rodolphe Töpffer explique que la photographie n’est qu’en mesure de fournir une « identité » figée, mais jamais une « ressemblance bien moins achevée, mais bien plus caractéristique ; bien moins exacte à la loupe, mais tout autrement fidèle pour l’esprit10 » :
« [L]a ressemblance, qu’est-ce ? C’est un ensemble de signes rappelant des objets et des rapports nombreux et complexes. Ainsi cette toile, sur laquelle sont représentés des arbres et une prairie, rappelle, outre ces objets, d’autres objets qui ne figurent pas sur cette toile, et des rapports nombreux et complexes entre ces objets eux-mêmes et d’autres objets qu’ils rappellent. Et ces objets, ces rapports, que le peintre choisit, dispose, multiplie à son gré, qui les perçoit ? L’esprit, l’esprit seul, car les yeux n’en voient que le signe11. »
7On retrouve ici l’importance qui émerge dès le xviiie siècle de reconnaître à l’esprit le rôle qu’il joue dans la vision, qui ne se limite pas à la seule captation oculaire. Parce que l’œil ne voit pas comme la machine, parce que l’esprit est primordial dans la vision, Töpffer dénie à la photographie la possibilité d’être un art. Elle ne donne pas à l’artiste la possibilité de corriger son image et d’atténuer les détails, et par là de faire œuvre originale. Il s’interroge sur la plaque daguerrienne :
« Où sont les ressouvenirs, les traits oubliés, les images effacées, sortant à l’appel du peintre des retraites du cœur ? […] Au lieu de tout cela, une plaque où tout est beau, parfait, mathématiquement exact, mais où rien ne vit, rien ne parle, rien n’exprime ; une reproduction du site, fidèle sans doute, mais froide, muette et dont la fidélité même, toute physique et matérielle, se réduit à une simple identité perçue par nos organes, bien plus qu’elle n’est une ressemblance sentie par l’esprit12. »
8La critique morale de la photographie reprend en quelque sorte la distinction qui avait permis à Diderot de construire sa propre argumentation dans sa Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, c’est-à-dire la différence entre la seule vision de l’œil et celle façonnée par l’esprit selon son expérience. La restriction de la vision à ce que l’« organe » oculaire enregistre limite la compréhension du monde ; il faut, pour bien voir – c’est-à-dire sentir –, intégrer le rôle joué par « l’esprit » ou l’âme dans la vision ; ce que la photographie, selon Töpffer, ne parvient pas à faire.
Premier malaise dans l’usage du « flou »
9Les premiers photographes s’approprient cependant d’emblée la théorie picturale, dont on a vu l’évolution lente et progressive qui l’avait façonnée. Travaillée sur plusieurs siècles, effectuée par tâtonnements au gré des progrès techniques et des nouvelles connaissances optiques, l’application du flou dans la peinture procède d’un cheminement long, et intimement lié au métier de peintre. La difficulté pour les photographes, immédiatement confrontés au problème du flou, réside ainsi dans la continuité de la théorie artistique picturale, et, simultanément, dans une rupture technique complète. Celle-ci modifie radicalement les paradigmes de création artistique sans pourtant faire évoluer les préceptes esthétiques. On réclame aux artistes-photographes le sacrifice des détails, la perspective aérienne, mais aussi des contours « sans sécheresse13 » – la formule, directement reprise de la critique picturale, revient sans cesse dans les écrits sur la photographie – et une « juste mesure de flou14 » ; en bref, tous les ingrédients prépondérants de l’esthétique du flou pictural. Mais la technique est encore insatisfaisante aux yeux des artistes, et la question du flou cristallise, à cette époque, les enjeux paradoxaux qui s’engagent dans la nouvelle photographie artistique. Un malaise s’installe, qui se décèle d’abord par l’utilisation compliquée du terme « flou » dans les premiers écrits critiques et théoriques sur la photographie.
10L’embarras est parfaitement illustré par deux opinions opposées qu’expriment, en 1857, Henri de La Blanchère d’un côté et Auguste Belloc de l’autre. Dans son argumentation pour le sacrifice des détails – « Sacrifiez, éteignez tous ces détails, […] estompez vos mille riens pour ne pas distraire de l’ensemble et vous aurez un tout vraiment artistique, vraiment satisfaisant15 » –, La Blanchère s’empresse de préciser que ce sacrifice ne correspond pas au « flou » : « Nous ne préconisons pas ici le flou des épreuves, bien loin de là ; mais nous redisons qu’on pousse à la finesse extrême, et qu’on arrive à la sécheresse et au manque de relief et de vie. » Au contraire, Belloc, qui consacre un traité à la photographie sur collodion, s’insurge contre l’idée même de suppression des détails : « Nous ne partageons pas l’opinion de certains amateurs, qui s’imaginent qu’il faut faire des sacrifices, et qui veulent obtenir du flou à tout prix et à peu près partout ; une seule partie nette du visage leur suffit16. » Il associe pour sa part pleinement le sacrifice des détails au flou, qu’Henri de La Blanchère s’applique à distinguer. Si les deux photographes s’accordent à penser que le flou constitue un défaut à éviter, ils s’opposent sur le lien entre le flou et le sacrifice des détails. Belloc associe et rejette les deux traits esthétiques alors que La Blanchère les distingue, valorisant le sacrifice des détails, qualité artistique essentielle à ses yeux, qui ne doit selon lui pas se dégrader en flou. La confrontation des citations de La Blanchère et de Belloc révèle le malaise quant à la notion de « flou » dans la première littérature critique de la photographie. S’il semble délicat pour les défenseurs du flou d’user du terme dans le débat sur le sacrifice des détails, la notion ne peut toutefois être exclue de la discussion. La manière dont Belloc associe les deux notions pour les rejeter, et la distinction opérée par La Blanchère, signalent qu’une confusion n’est pas impossible, et que le flou s’inscrit bien dans la continuité de la « théorie du sacrifice ». Le terme « flou » est néanmoins rare dans cette discussion, remplacé par la notion d’« effet », souvent utilisée, et de synonymes tels que « vague », « vaporeux », ou « moelleux » – déjà employés comme équivalents de « flou » dans la critique picturale17.
11Dans le traité qu’il publie en 1862, Belloc exprime clairement le déchirement que subit le flou, tiraillé entre deux techniques très différentes. Selon lui, les défenseurs du flou « confondent la peinture avec la gravure et la photographie, dont les conditions ne sont nullement identiques. Le flou du peintre ne peut être le flou du photographe ; personne ne devrait ignorer cela18 ». On constate ainsi qu’une distinction très claire s’opère entre le flou « pictural » et le flou « photographique » qui, malgré des aspects visuels communs, s’opposent dans leur rapport au réel et dans leur valeur esthétique. Le même mot est investi de nuances variées et souvent opposées qui engendrent une confusion dans son emploi et sa compréhension.
12Cette « schizophrénie » du terme se manifeste d’abord dans le contraste, au xixe siècle, entre l’usage de « flou », et la définition qu’en donnent les dictionnaires généralistes. Ces derniers montrent clairement que, dans le langage courant, le mot n’est pas associé à la photographie. Au moment où la critique artistique de la photographie prend son essor, timidement dans les années 1840 et plus généralement au cours de la décennie suivante, le flou est encore pleinement attaché à la tradition picturale qu’il désigne19. Tous les dictionnaires généralistes associent le terme à la peinture, et l’Académie française attendra sa neuvième édition, entamée en 1986, pour mentionner la photographie dans sa définition20. À consulter les dictionnaires du xixe siècle, la photographie et le flou apparaissent comme deux domaines complètement distincts. Émile Littré stipule bien les usages du terme pour la peinture et la sculpture, mais omet totalement la question du phototype21. Pierre Larousse n’y pense pas non plus, bien qu’il ajoute le flou d’une médaille et d’une toilette de femme dans ses exemples22.
13Au cours du xixe siècle, « flou » est pourtant repris et réinvesti par les connaisseurs du nouveau procédé. Lorsque la photographie apparaît à la fin des années 1830, les circonstances se prêtent à la réappropriation du mot dans le nouveau champ qui s’ouvre à la critique artistique. On a vu comment le terme, bien que fermement inscrit dans le vocabulaire pictural depuis plusieurs siècles, perd à cette période de l’importance au point que certains auteurs annoncent sa disparition prochaine. Peu usité, parfois difficilement compréhensible – même pour les spécialistes –, « flou » est pourtant très clairement associé à un registre esthétique qui lui donne l’assise nécessaire pour émerger dans le discours sur la photographie avec une définition qui sera, inévitablement, remodelée. Si, dans le langage commun, le mot correspond encore à une manière picturale désignée dans un jargon relativement averti, il se teinte également aux yeux de certains spécialistes d’un sens technique spécifiquement photographique.
Le paradigme de la netteté
14Il faut, pour saisir cette évolution, rappeler le choc visuel que provoque la photographie à ses débuts. Le cliché est d’abord privé de couleurs, ce qui le place dans une position délicate face au flou qui s’était forgé dans la tradition coloriste de la peinture. Surtout, comme l’exprime Töpffer, son exactitude bouleverse les esprits. En 1798 pour l’Académie française, est « exact » tout élément – du domaine artistique ou non – qui est « [r]égulier, ponctuel, soigneux, qui observe ponctuellement tout ce qu’il faut jusqu’aux moindres choses23 ». À cette définition qui perdure, s’ajoute un siècle plus tard l’idée de vérité : « Qui suit rigoureusement la vérité. […] Qui est conforme à son modèle. Copie, reproduction exacte. […] Précision, justesse dans les choses24. » L’exactitude du daguerréotype fascine les uns, dégoûte les autres, mais ne laisse jamais indifférent tant le réel se dévoile, par ce procédé, sous un jour nouveau. Dans la photographie, cette duplication soi-disant exacte du réel, s’exprime par l’apparente vérité des proportions, la multiplicité des détails, mais aussi grâce à la netteté par laquelle la précision s’exprime et les contours se marquent.
15Utilisé depuis plusieurs siècles dans les discours sur la peinture, le terme de « netteté » est d’emblée repris dans le lexique photographique. Parce qu’il appartient à un vocabulaire très généraliste, et qu’il n’est pas spécifique aux beaux-arts, le mot ne pose pas les mêmes questions que celles suscitées par le « flou ». Pour le dictionnaire de l’Académie française de 1798, « net » est alors un synonyme de « propre » et désigne « ce qui est sans ordure, sans souillure25 ». À cette époque déjà, les emplois du terme ne sont pas limités à la peinture, car « [o]n dit, Netteté de voix, netteté d’esprit, netteté de style26 ». Cela ne l’empêche pas d’être utilisé dans le discours artistique, comme en témoigne par exemple Claude-Henri Watelet, à la fin du xviiie siècle, selon qui la netteté « empêche les couleurs d’être tourmentées, et les teintes d’être brouillées27 ». Lorsque la photographie est inventée, les textes à son sujet reprennent immédiatement ce terme pour décrire cette nouvelle précision dans la perception du monde, que les premiers opérateurs recherchent à des fins scientifiques et redoutent dans une perspective artistique. Le mot est notamment utilisé dans le Bulletin de la Société française de photographie en 1855 déjà, d’une manière qui témoigne de son sens évident28.
16Si l’invention du daguerréotype suscite l’admiration des scientifiques qui y trouvent un nouvel outil pour connaître le monde, elle déçoit ceux qui, comme Eugène Delacroix, n’y voient qu’« une « copie, fausse en quelque sorte à force d’être exacte29 ». D’où l’interrogation d’Henri de La Blanchère et son intérêt pour la photographie sur papier : « Il est bien rare que nous regardions les traits d’une personne aimée à une distance telle que nous distinguions ce que nous montre de détails l’épreuve photographique. Ne vaudrait-il pas mieux un peu plus d’effet général30 ? » Parce que le daguerréotype s’impose en France comme la première référence photographique, la netteté devient presque immédiatement la plus fondamentale des caractéristiques photographiques. Les défenseurs du calotype, écœurés par tant de minutie, mettront d’ailleurs beaucoup d’énergie à se distancier de l’esthétique daguerrienne, et, selon Paul-Louis Roubert, à « éloigner de la photographie sur papier l’indignité théorique et formelle du daguerréotype31 ». Ce modèle s’impose pourtant durablement dans la définition du photographique et s’oppose radicalement à la toile picturale qui, par son contact direct avec la main et le pinceau de l’artiste, ne peut aspirer à une précision aussi franche. En 1866, Antoine Claudet explique :
« Dans les meilleures œuvres d’art, […] aucun contour n’est arrêté avec une exactitude exagérée. La main de l’artiste n’est pas, en somme, capable d’une correction microscopique, et cela est fort heureux, car ces œuvres ne sont pas destinées à être vues sous un verre grossissant, et l’effet général offre au point de vue artistique une netteté suffisante32. »
17Incapable d’une exactitude idéale, la main de l’homme ne peut éviter une part de flou dans le rendu pictural.
18À l’inverse, la définition du photographique se fonde sur un présupposé de netteté parfaite. Son importance est telle que de nombreux critiques estiment que la photographie change radicalement les normes de la représentation du réel, instaurant comme principe de base une exactitude irréprochable, à laquelle les œuvres seront comparées. Selon Paul-Louis Roubert, « l’artiste devra dorénavant se frayer un chemin – mesurable – entre invraisemblance et excès de réalité, la photographie étant devenue la référence, le standard de la “véritable” exactitude33 ». D’abord principalement associée au monde scientifique, la photographie a pour mission de représenter le réel avec une minutie que la main de l’homme n’avait jusqu’alors pas pu atteindre, afin d’en permettre une connaissance plus approfondie. En 1857, la Société française de photographie confirme la prédominance de la netteté en affirmant que « si quelques artistes ont trouvé dans ce flou même un certain charme, le plus grand nombre se sont vivement récriés, prétendant que la photographie n’a pas le droit d’employer de tels effets, et qu’une netteté parfaite est toujours pour elle une condition absolue34 ».
19Précisons cependant que la prédominance de la netteté photographique apparaît avec beaucoup d’importance en France, en regard de la Grande-Bretagne, où, dès les années 1850, plusieurs auteurs recommandent du flou sur les clichés de manière directe et assumée. En 1853, William J. Newton publie un article dans le Journal of the Photographic Society qui fait débat, car il appelle déjà à brouiller l’image photographique :
« Je ne considère pas qu’il soit nécessaire que l’ensemble du sujet soit nettement mis au point [in focus] ; au contraire, j’ai constaté dans de nombreux cas que l’objet est mieux obtenu par le fait que l’ensemble du sujet soit un peu flou [out-of-focus], ce qui donne une grande ampleur d’effet, et qui est par conséquent plus suggestive du vrai caractère de la nature35. »
20En 1857, Elizabeth Eastlake défend quant à elle le sujet volontairement « out-of-focus », ainsi que les flous accidentels (accidental blurs)36.
Le flou comme défaut technique
21En France, tendus vers cette recherche de netteté irréprochable – malgré quelques critiques issues d’un milieu artistique encore minoritaire –, de nombreux photographes rencontrent plusieurs obstacles, en particulier dus aux mouvements de certains éléments et aux difficultés de mise au point qui provoquent alors une image inévitablement brouillée. Si ces deux catégories ne sont pas encore clairement distinguées et analysées comme telles, elles émergent comme les principaux adversaires de l’exactitude photographique. Le flou de bougé, provoqué par un temps de pose trop long, gêne le photographe en constante recherche de l’« instantané », dont André Gunthert a montré la valeur programmatique dès le début des années 184037. Comme l’explique Marc-Antoine Gaudin en 1844, « la plus grande difficulté résulte de la mobilité inhérente à la nature vivante, combinée à un procédé qui, quant à présent, exige un temps d’une durée appréciable38 ». Chez les premiers photographes, le souci du mouvement est permanent, au point de mettre en péril de nombreuses images : « Toutes les fois que la tête n’est pas aussi nette que les habits, il est certain que la personne a remué. Il est extrêmement rare que cela n’arrive pas, et, pour peu que cela soit marqué, le portrait en devient détestable39 », déplore-t-on par exemple pour le portrait.
22La mise au point constitue le deuxième obstacle majeur à une netteté satisfaisante. Les objectifs produisent alors de légères déformations qui ne permettent pas d’obtenir une image parfaitement distincte, et les recherches pour les améliorer sont constantes. En 1857, Auguste Belloc se plaint des lentilles :
« qui ne laissent de netteté qu’à un tout petit espace de l’image reproduite, tandis que les autres parties demeurent confuses et difformes. Ainsi, l’on trouve souvent des objectifs à portrait qui donnent l’image de l’œil très nette, pendant que la moustache, par exemple, à peine indiquée, reste à l’état d’ébauche, et que les parties encore plus éloignées du foyer sont déformées et d’un vague désespérant40 ».
23D’autres éléments comme l’éclairage, la situation météorologique, ou encore la qualité du papier pour le calotype, viennent également perturber la netteté de l’image41.
24Dès les années 1840, le terme « flou » est choisi pour désigner sans distinction ces défaillances de netteté. On observe l’originalité que revêt son usage dans ce contexte éloigné de la peinture, car le terme est mentionné en italique ou avec des précautions d’usage. En 1839, année de l’annonce officielle du daguerréotype à l’Académie des sciences, le terme apparaît une seule fois, dans un texte que Jules Janin publie dans L’Artiste. Décrivant les recherches inabouties de Niépce pour mieux exprimer la réussite de Daguerre, il écrit : « Bien que cette poudre de bitume fût obéissante à l’action du soleil, l’action du soleil était lente encore ; si bien que le paysage changeait souvent, avant même que le soleil ne l’eût gravé sur cette poussière. […] Ce dessin devenait flou, pour nous servir d’une expression qui rend bien notre idée42. » Janin prend à son compte le terme « flou », tout en précisant l’originalité de l’usage qu’il en fait. En 1844, Marc-Antoine Gaudin qualifie ainsi la déformation sur un portrait photographique due aux mouvements des paupières et de la respiration et, en 1861, Edmond de Valicourt déclare dans le Bulletin de la Société française de photographie (BSFP)43 : « On comprend, en effet, que le plus léger mouvement du cou, la moindre contraction du visage, que la plus petite modification de la physionomie […] produisent nécessairement une image où les impressions variables du modèle se traduisent par un flou général44. » Dès les premiers numéros du journal La Lumière, « flou » s’impose comme le terme spécialisé qui s’oppose à la netteté d’une plaque ou d’un tirage. Pour Henri de La Blanchère, qui conteste l’idée de « laisser le premier plan un peu flou, pour concentrer toute la netteté sur l’objet principal à reproduire45 », les deux notions sont clairement contraires. En 1851, François Auguste Renard écrit à propos du travail de Jean-Baptiste Sabatier-Blot : « Il nous a semblé qu’il était entré dans une fausse voie […]. [L]a précision des contours est remplacée par l’ondulation d’un mirage, et la netteté des détails par un flou lumineux qui rappelle un effet d’incendie46. » En 1857, le BSFP précise le sens du mot, le considérant comme « l’expression consacrée » pour qualifier une épreuve vague, c’est-à-dire n’ayant pas une « netteté parfaite47 ».
25En 1862, le terme est définitivement entré dans le vocabulaire photographique spécialisé, comme en témoigne Guillaume Duchenne de Boulogne :
« À l’époque où la plupart de mes clichés ont été obtenus, les appareils photographiques en usage étaient moins perfectionnés qu’aujourd’hui. […] Il en est résulté souvent que, s’il me fallait mettre en relief certains traits expressifs et les montrer avec netteté, j’étais forcé de sacrifier les autres, qui en termes de photographie, étaient flous48. »
26L’expression « en termes de photographie » est ici frappante, tant les écrits critiques sur l’art avaient habitué le lecteur à comprendre le flou « en termes de peinture », selon la première définition d’André Félibien. La même année, Belloc réserve au vocable une entrée dans son lexique photographique, tout en précisant le « pittoresque » inattendu de ce terme dans le discours sur la photographie, témoignant de son transfert depuis le lexique pictural :
« FLOU. — Ce mot, tout pittoresque, se dit de l’épreuve ou de la partie de l’épreuve dont les lignes ne sont pas nettement définies. Les lignes sèches, une barbe fine dont on peut, pour ainsi dire, compter les poils, sont des preuves évidentes que l’objectif est bon, que l’opérateur a bien mis au foyer, et que le modèle a bien posé. L’épreuve alors n’est pas flou [sic]. Un objectif mauvais, ou seulement médiocre, ne fait jamais d’épreuves nettes. Tous les résultats qu’il donne sont plus ou moins flou [sic]49. »
27Dans la photographie, le flou s’accroche à la technique. Les objectifs défectueux, une lumière mal choisie, une mauvaise mise au point ou un mouvement trop brusque ont raison de la netteté de l’image ; et le flou, ainsi provoqué, révèle et trahit ces défauts de métier. Le flou photographique se construit ainsi en miroir inversé du flou pictural. Il est également dans la peinture le résultat d’une innovation technique ; mais au lieu de rendre visible la technicité de l’art, l’huile et le sfumato l’éteignent et masquent les traces du pinceau pour parfaire l’illusion mimétique. Alors que dans la peinture le flou habilement utilisé ne se fait pas remarquer, dissimulant les touches trop abruptes sur la toile, il s’exhibe sur la photographie, en raison de son excès de visibilité. Le flou permet de dissimuler les empreintes du peintre et donc l’acte créateur ; il exacerbe au contraire le geste technique – et ses limites – que le photographe cherche à dissimuler. Sur la toile, il donne accès à une image plus naturelle et améliore la transitivité de l’œuvre. Sur les clichés, il rompt cette transparence, appliquant un voile sur une image présupposée nette, et révèle ainsi l’artifice technique défaillant.
28Or, comme le montre François Brunet, la photographie se fonde à ses débuts sur le mythe d’une image « a-technique » – « une technique sans technique, un procédé s’effaçant dans son régime naturel et sa vertu d’exactitude50 » –, un fac-similé de la nature qui se peindrait toute seule. Théophile Gautier semble déceler cet idéal d’une image exacte et spontanée, fantasmé par les artistes depuis la Renaissance, lorsqu’il observe Les Bords de l’Oise de Daubigny. Et ce sont bien le pinceau flou et l’absence de touches qui lui donnent l’illusion d’une toile « peinte toute seule par quelque procédé magique51 ». Dans la peinture, l’idéal photographique d’une image « a-technique » peut paradoxalement être approché grâce au flou. Sur le phototype, le flou rompt au contraire l’illusion mimétique, révèle la technique et s’éloigne de cette utopie. Deux effets inverses se produisent dans la peinture et la photographie : le flou dissimule la technique picturale suggérant ainsi l’autonomie de la représentation sur la toile, mais il renvoie au contraire la photographie à son fondement technique, et donc à ses conditions de réalisation.
Manque de netteté
29De cette première distinction se dégage une deuxième qui touche au rapport du flou au réel. Le flou pictural constitue un moyen mimétique de représenter le réel ; le flou photographique, en brouillant la transitivité de l’épreuve, éloigne au contraire la représentation de la scène observée. D’une qualité artistique et esthétique, le flou devient au contact de la photographie un défaut visuel. Dès lors, il endosse un sens que la critique picturale ne lui avait pas attribué et qui constituera au xxe siècle sa signification la plus immédiate : son manque de netteté. Avant la photographie, le concept ne pouvait inclure l’idée d’une défaillance visuelle puisque la peinture n’avait pas imposé la netteté comme prérequis à l’image. Le flou était une manière parmi d’autres de peindre le réel ; il était même un élément constitutif de la peinture à l’huile. Dès son entrée dans le vocabulaire photographique, le terme se charge cependant d’une connotation négative qui l’oppose à la notion d’exactitude – nouveau standard de visibilité représentative. L’image photographique ne permet plus de choisir parmi plusieurs manières de représenter dont le flou pourrait faire partie ; elle en impose une seule qui réside dans une netteté parfaite. Le flou devient ainsi le contraire de la manière exigée et se trouve, par conséquent, inconciliable avec la transparence de la représentation dont il constituait pourtant un élément essentiel dans la peinture.
30Force est de constater le décalage entre le flou pictural – dont on a vu qu’il ne pouvait pas être pensé sur le même plan que la netteté – et le flou photographique qui s’envisage pleinement, et presque immédiatement après l’apparition du nouveau procédé, par rapport à la question de la netteté. Dans le discours du début du xixe siècle sur la peinture, « flou » et « net » ne se positionnent pas sur le même plan. Le premier terme est spécifique à la technique artistique et décrit un geste particulier du peintre, alors que l’usage du second, dépassant largement le champ des beaux-arts, ne désigne pas un procédé, mais permet simplement de décrire l’apparence d’un objet. En se réappropriant le « flou », la photographie contribuera à faire perdre au mot son ancrage spécifique dans la technique picturale, pour le hisser sur le même plan que la « netteté ». Parallèlement à sa rencontre avec la photographie, le « flou » entame un changement de paradigme qui marquera durablement, et jusqu’à nos jours, sa signification. Il s’oppose progressivement à la netteté et devient l’équivalent d’« indistinct » et de « vague » – ce qui n’était pas le cas dans la peinture –, et peut caractériser une pensée, une description ou un style52. Nous discuterons au prochain chapitre de la possibilité que ce déplacement de sens passe en partie par la photographie qui imprègne notamment les discussions sur l’optique et l’ophtalmologie. On peut cependant se demander pourquoi les dictionnaires tardent à intégrer la photographie dans la définition du mot. Aucun des dictionnaires généralistes du xixe siècle consultés n’assimile cet aspect. En 1935, le dictionnaire de l’Académie française montre que la notion de manque de netteté est largement intégrée – ce qui n’est pas le cas dans l’édition de 1878 – puisque « flou » se dit notamment « en termes de Sculpture et de Gravure pour désigner des Arêtes, des contours qui manquent de netteté », et « d’une façon générale, d’une Chose un peu indistincte, dont le caractère n’est pas facilement déterminable53 ». L’Académie atteste du changement de paradigme, mais elle ne mentionne en revanche pas encore la photographie dans sa définition54. Malgré un usage évident et fréquent du mot dans les textes spécialisés, se manifeste la difficulté de lier le flou à la photographie, termes pourtant aujourd’hui totalement assimilés au langage courant.
Dilemme du choix
31Le mot pose en effet un dilemme presque inextricable, dont la photographie ne sortira qu’au xxe siècle. Dans le vocabulaire photographique, il désigne un défaut technique qu’il s’agit bien sûr d’éviter à tout prix. Mais il garde pourtant la trace très vivace et encore en usage de son acception picturale, à laquelle l’esthétique photographique en germe aspire absolument. Comment le photographe du xixe siècle peut-il défendre le flou dans sa pratique ? S’il prend le terme dans son sens photographique, son tirage est forcément raté. S’il le considère dans sa perspective picturale – c’est-à-dire comme un élément constitutif de la mimêsis –, il se retrouve face à un problème que la technique de l’époque ne lui permet pas encore de résoudre. Comment, en effet, allier le flou aux détails, comme le recommandait Diderot deux siècles auparavant ? Ce qui semblait totalement compatible avec le pinceau ne l’est plus avec une lentille, et le défi presque impossible est lancé, de devoir mêler sur une même image deux éléments devenus contraires.
32La différence majeure qui sépare les techniques photographique et picturale tient d’abord à la liberté de choix, dont on a vu l’importance dans la pratique du peintre. Ce dernier peut choisir ses détails et ses flous, alors que le photographe est soumis à une technique qui capte, malgré lui, une multitude de détails. Henri de La Blanchère est lui-même conscient des limites de la photographie :
« O magnifiques portraits de Raphaël, Wan-Dyck [sic], Caravage, quand nous sera-t-il donné de savoir assez sacrifier pour arriver à votre effet ! Il faut se bien pénétrer de cette idée, que la science des sacrifices est plus difficile avec la photographie qu’avec tout autre moyen de reproduction. Au milieu de la surabondance de finesse de détails qui vous inondent, vous ne savez quoi retrancher ; vous êtes trop riche et ne savez que faire parade de cette richesse, oublieux que l’éclat est d’autant plus frappant qu’il est ménagé et rassemblé sur un point capital55. »
33La photographie reproduit les détails à foison, et le photographe est confronté à un sacrifice d’autant plus douloureux qu’il doit s’en défaire, comme d’un trésor. En 1854, Eugène Delacroix recommande d’ailleurs aux peintres d’éviter de se retrouver dans une situation similaire en limitant – ce que le photographe ne peut alors faire – les détails dès le début de l’exécution : « Ici ressort plus que jamais l’inconvénient de donner aux détails, par la grâce de la coquetterie de l’exécution, un intérêt tel qu’on regrette ensuite mortellement de les sacrifier quand ils nuisent à l’ensemble56. »
34Dans les premiers temps du nouveau médium, le photographe, soumis aux aléas d’une technique imparfaite, ne peut sélectionner et noyer les détails de manière aussi fine que le peintre. Émerge ici le premier grand obstacle à l’acception du flou dans l’esthétique photographique. Dans les prémisses de la photographie, le « flou » n’est presque jamais ouvertement revendiqué, parce qu’il implique obligatoirement une méfiance : a-t-il été réellement voulu et choisi par l’artiste, ou n’est-il que le résultat d’un accident technique ? La jeunesse de la technique photographique lui fait porter un soupçon que la peinture, dont la maîtrise a pu être suffisamment éprouvée au fil des siècles, n’endosse pas. Aussi l’auteur d’une critique du Salon de la Société française de photographie de 1857, publiée dans son Bulletin, justifie le flou de deux portraits de monsieur le vicomte de Montault par un choix délibéré du photographe, le dédouanant ainsi d’une soumission à la technique : « Les études de rochers de M. le vicomte de Montault sont plus vigoureuses ; leur fermeté, leur netteté d’exécution prouvent d’autant mieux que le flou des portraits était bien un effet cherché57. »
35L’argumentation en faveur d’un art photographique se fonde d’ailleurs principalement sur la liberté de choix que devrait avoir l’artiste, comme on l’affirme à la Société française de photographie :
« Sans doute l’objectif ne peut rendre que ce qu’il voit ; mais il appartient au photographe de lui faire voir ce qu’il veut ; il peut choisir ses points de vue, […] régler la mise au point, de telle sorte que les divers plans du tableau présentent l’importance relative qui leur convient. C’est là véritablement ce qui constitue l’art en photographie58. »
36Dans les journaux spécialisés, les débats sur les différentes lentilles et les mises au point plus ou moins précises foisonnent, et de nombreuses inventions sont proposées pour permettre de contrôler au mieux la netteté de l’image dans ses différentes parties. En 1866, on présente par exemple à la Société française de photographie le « focimètre », introduit par son inventeur Claudet en ces termes :
« Convaincu de l’avantage qu’il y aurait à obtenir les portraits photographiques dans des conditions telles, qu’ils se rapprochent de ces œuvres d’art où tous les effets sont obtenus par l’action légère de la brosse ou du crayon, passant doucement de la lumière à l’ombre, j’ai depuis longtemps fixé mon attention sur ce sujet. Mon but a été de découvrir une méthode qui, si la chose est possible, débarrassât les portraits photographiques de cette dureté mécanique résultant de l’emploi de lentilles parfaites. […] On obtiendrait à coup sûr un portrait parfait, s’il était possible de prendre d’abord l’image du nez, de changer alors le foyer pour prendre l’image des yeux, de changer encore pour prendre celle de l’oreille, et de réunir ensuite ces trois images pour faire un portrait collectif59. »
37On mesure ici la volonté des photographes à procéder par touches, comme pourrait le faire un peintre qui contrôle chaque infime partie de sa toile pour y appliquer les détails, ou au contraire les noyer, selon une vue d’ensemble globale. Jamais pourtant la technique ne paraît suffisamment élaborée pour libérer pleinement l’artiste, toujours soumis à des contraintes techniques. Eugène Disdéri l’explique clairement en 1862 :
« L’artiste (c’est-à-dire le peintre) […] peut réunir, sur la partie principale de sa composition, toute la justesse de représentation dont il est capable, et noyer proportionnellement au degré d’importance que doivent avoir les parties accessoires dans un vague savamment combiné. Le photographe se trouve placé dans des conditions bien différentes et bien plus rigoureuses en face de la nature : il est lié à la réalité ; dans la composition il ne peut s’en débarrasser, et, dans l’exécution, il est condamné à l’exacte imitation. […] C’est en vain que, par le choix d’une distance plus courte qui augmente la distance des plans ou par des procédés de mise au point, il cherchera à concentrer toute l’exactitude de reproduction sur la partie dominante de l’image ; le vague qu’il obtiendra par ces moyens dans les autres parties grossira les formes et produira un manque de justesse perspective qui rendra l’ensemble du tableau optiquement laid60. »
38Le photographe ne peut maîtriser tous les paramètres de l’image : s’il met tout au point de manière égale, son résultat paraît plat et inartistique ; s’il varie la mise au point, le flou obtenu ne semble pas de qualité suffisante et déforme la structure plutôt qu’il ne la renforce.
Le succès du papier ?
39Pour résoudre ce problème, le négatif papier – en lieu et place de la plaque daguerrienne – apparaît comme la solution au flou dans la photographie61. En 1851, Francis Wey défend ce procédé en faisant référence au Corrège, maître du flou pictural :
« La pureté des lignes ou du dessin ne réside point dans la sécheresse du trait ; bien qu’elle soit douce et estompée, la ligne du Corrège est, certes, aussi pure et plus pure que celle d’un contemporain de Van Eyck ou de Cimabue ; seulement la première est plus suave et, en quelque sorte, plus savante. Telle est la ligne de la photographie sur papier, qui laisse le premier rôle à l’effet et au modelé des plans62. »
40Dans le Bulletin de la Société française de photographie, Paul Périer confirme que le flou semble pouvoir trouver son salut dans le papier :
« Il donnera pour bien longtemps encore, croyons-nous, des résultats qui, dans les œuvres de réussite exceptionnelle, réuniront toutes les qualités artistiques à un plus haut degré qu’aucun autre. À peine laisse-t-il dans la main des maîtres quelque supériorité de finesse à ses rivaux. En revanche, le faire large et fin tout à la fois, le détail sans sécheresse, une juste mesure de flou dans les plans secondaires, enfin un certain air de famille avec les meilleurs ouvrages des grandes écoles de peinture lui forment un apanage à peu près incontesté63. »
41On retrouve dans cette citation tous les principes essentiels du flou pictural : un juste dosage, associé à un judicieux mélange du flou avec les détails et la perspective atmosphérique.
42Régulièrement et dès les premiers textes critiques sur la photographie, on annonce le succès du papier, c’est-à-dire la capacité de la photographie à produire des lignes sans sécheresse, à sacrifier les détails et à jouer du flou de manière aussi subtile qu’une peinture. Francis Wey s’en fait le grand défenseur, l’annonçant comme un procédé révolutionnaire. Dès le premier numéro de La Lumière, en février 1851, le critique impose le calotype comme la solution au mariage de contours vigoureux avec des gradations de tons doux et harmonieux64. À lire les textes qu’il publie la même année, on pourrait croire que la photographie constitue une technique ancienne, qui serait, comme la peinture, passée par une évolution très lente d’un trait sec à une ligne douce et moelleuse :
« Naguère, on contestait à la photographie sur papier la fermeté des lignes, la vigueur d’effet, la netteté, la précision dans le détail, qui caractérisent les dessins sur plaques métalliques. Deux dessins de M. Cousin démontrent que ce qui fut vrai a cessé de l’être. […] La lecture : une mère et ses deux filles, groupées dans un salon devant un paravent chinois à ramages. […] Le fond blafard du paravent, très-flou, d’ailleurs, et bien à son plan, éparpille un peu la lumière, et fait double emploi avec un accessoire très intéressant. […] On ne saurait plus heureusement réunir l’harmonie de la masse à la finesse du détail : tous les points se comptent ; les contours du dessin courant ressortent, blanc sur blanc […] tout aussi rigoureusement que sur une plaque daguerrienne : mais l’épreuve photographique donne en plus le moelleux et la souplesse de la ligne65. »
43À se remémorer la manière dont le flou est considéré dans l’évolution de la mimêsis picturale, le parallèle que Francis Wey crée implicitement apparaît clairement. La plaque daguerrienne serait à l’image des traits secs des Grecs antiques et la douceur du papier à l’échelle de la révolution de la peinture à l’huile, qui avait permis d’allier la fermeté du dessin à un certain flou harmonieux. Près de vingt siècles avaient permis à la peinture cette longue évolution. Quatre ans à peine se sont seulement écoulés depuis l’émergence significative du calotype en France, et le premier journal français entièrement consacré à la photographie n’en est qu’à son treizième numéro66. En outre, comme le rappelle André Gunthert, « l’histoire de la photographie sur papier est d’abord celle de ses échecs et de ses abandons. […] Au-delà de la question de la texture ou de l’homogénéité du matériau, rien ne semble pouvoir résoudre les problèmes de taches ou d’irrégularités rencontrées par les praticiens67 », raison pour laquelle le procédé sera progressivement remplacé par le négatif sur verre.
Le flou pictural en photographie
44La technique photographique ne permet pas, dans les premières années du médium, de résoudre le dilemme du flou. Dans leur propos sur la photographie, c’est bien au flou de la théorie picturale que Francis Wey et Henri de La Blanchère font référence – sans pouvoir librement utiliser le terme ; un trait esthétique permettant d’apporter « la douceur d’un ouvrage », selon la définition de Félibien, et de parfaire l’illusion mimétique de la représentation. Le flou exposé dans les écrits photographiques – défaut technique qui s’oppose au réalisme de l’exactitude du daguerréotype – ne leur permet pas d’exprimer leur aspiration artistique, raison pour laquelle Paul Périer use plus facilement du terme « vague » : « Tous, ou peu s’en faut, s’accordent pour lutter de dissection microscopique et d’inquisition dans le détail, ignorant, hélas ! qu’une juste mesure de vague dans la forme est la mélodie de la peinture68. » Les premiers théoriciens du flou dans la photographie se retrouvent ainsi dans la situation paradoxale de se réclamer d’un flou pictural, mimétique, délibéré, et pleinement assumé par l’artiste, tout en rejetant un flou photographique techniquement défaillant. La connotation négative du flou photographique à cette époque et la persistance d’un flou pictural valorisé artistiquement expliquent donc qu’Henri de La Blanchère ne puisse associer le sacrifice des détails au flou, alors qu’Auguste Belloc ne s’en prive pas. En 1865, dans une lettre à Mme Aupick, Charles Baudelaire exprime clairement ce paradoxal flou pictural de la photographie lorsqu’il lui demande d’aller se faire tirer le portrait, à la condition qu’elle ne le fasse pas chez des photographes médiocres (fig. 12) :
« Ils prennent pour une bonne image une image où toutes les verrues, toutes les rides, tous les défauts, toutes les trivialités du visage sont rendus très visibles, très exagérés ; plus l’image est dure, plus ils sont contents. […] Il n’y a guère qu’à Paris qu’on sache faire ce que je désire, c’est-à-dire un portrait exact, mais ayant le flou d’un dessin69. »
Fig. 12. – Félix Nadar (dit), Gaspard-Félix Tournachon, Portrait de Charles Baudelaire, vers 1855.

Épreuve sur papier salé d’après un négatif sur verre au collodion, 24 × 18 cm. Paris, musée d’Orsay.
© RMN-Grand Palais (musée d’Orsay), Hervé Lewandowski.
45À cette époque, le flou ne peut donc en aucun cas être considéré comme un trait esthétique relevant du photographique. Soit il constitue un défaut technique, qui exclut le cliché d’une quelconque considération artistique ; soit il enlève au tirage son caractère photographique pour le rapprocher du domaine pictural. À propos du Petit Chiffonnier de Charles Nègre – que les caractéristiques « vaporeuses » et « moelleuses » rapprochent clairement du flou pictural –, Francis Wey l’affirme ouvertement :
« Son Petit Chiffonnier est à la fois solide et vaporeux comme un dessin de M. Bonvin : c’est la plus habile et la plus fugitive ébauche. […] [L]a chemise de ce Diogène-gamin est moelleusement ouatée d’un rayon de soleil ; le pantalon, largement indiqué, est bariolé, crevassé, fendillé, rapiécé, à rendre jaloux Murillo et l’auteur des Casseurs de pierres. Le Chiffonnier de M. Nègre n’est plus une photographie ; c’est une composition pensée et voulue, exécutée avec toutes les qualités étrangères au daguerréotype, et ne revendiquant que celles-là70. »
46Soumis à l’idéal de l’exactitude daguerrienne, la photographie ne peut inclure une image avec un tel flou, qui à son tour ne peut être mentionné explicitement au risque de discréditer complètement l’œuvre qui relève, malgré tout, de la photographie. Le phototype atteint le flou tant recherché par les héliographes, mais il est théoriquement exclu du champ photographique. C’est paradoxalement à ce moment seulement qu’il peut, aux yeux de Francis Wey, répondre à l’idéal d’une photographie « a-technique » : « Rien de plus imprévu, de plus intéressant que ces épreuves où le mécanisme héliographique disparaît, où la nature, non contente de se peindre dans sa réalité matérielle, semble s’interpréter elle-même71. » On retrouve ici l’idée d’une image spontanée – rêvée par Théophile Gautier devant un tableau de Daubigny – qui ne peut être atteint que grâce au flou pictural, et dont le flou photographique représente l’antithèse.
La correction par la retouche
47Les écrits publiés au cours de la décennie suivante ne témoignent pas d’une réelle modification des termes du débat. Dans les années 1870, on cherche, comme auparavant, une juste mesure du flou, l’équilibre entre des contours suffisamment fermes et une douceur qui atténue la netteté excessive des clichés ; en bref, « un peu de flou, qui adouci[sse] les parties trop dures72 ». Des expérimentations sont faites pour tirer parti des meilleures qualités de chaque procédé. Le collodion, parfois considéré comme trop minutieux, est par exemple utilisé pour atténuer le flou du calotype, dont l’ampleur ne se laisse pas facilement maîtriser. En 1870, on explique dans le Bulletin de la Société française de photographie : « On reproche au procédé sur papier son insensibilité, l’indécision des lignes du dessin et enfin le flou général de l’image. M. George Dawson a cherché à corriger ses défauts, en profitant des découvertes faites dans ces dernières années sur le procédé au collodion, et en les appliquant au papier73. » Progressivement, les revendications pour adoucir les épreuves, auparavant menées par une minorité, sont adoptées plus largement. En France, les opticiens ne s’intéressent pas encore à la question, mais en Grande-Bretagne, où la situation est bien différente, le problème devient assez important pour que les fabricants d’optique se l’approprient et cherchent à le résoudre par des objectifs plus perfectionnés. En 1878, les articles publiés par l’opticien John Henry Dallmeyer dans plusieurs journaux francophones témoignent de cette préoccupation grandissante :
« Il ne faut jamais chercher à obtenir une netteté uniforme, si vous désirez reproduire un tableau ; car quel est l’artiste qui songe à donner la même netteté au fond et aux accessoires qu’au sujet principal de son tableau ? Et qui vit jamais distinctement les objets éloignés, quand les yeux fixent un objet près de l’avant-plan ? La Photographie s’est élevée, et elle cherche à remplacer ce qu’anciennement on regardait comme la perfection, c’est-à-dire une netteté uniforme, et ceux qui désirent reproduire des épreuves artistiques trouveront les conseils ci-dessus de quelque utilité74. »
48Peu à peu, la réalisation d’épreuves artistiques ne semble possible qu’à la condition d’y mettre de la douceur et un léger flou dans les contours. La technique optique ne permettant pas toujours de répondre à cette nécessité, la retouche – auparavant absolument rejetée – apparaît dès les années 1870 comme une solution de plus en plus acceptable et utile pour remédier à la sécheresse des épreuves. Alors que, jusque dans les années 1860, la Société française de photographie excluait d’emblée de ses expositions tous les tirages qui « présenteraient des retouches essentielles de nature à modifier le travail photographique proprement dit75 », elle s’ouvre progressivement à cette pratique, qui semble la plus à même de résoudre le problème du flou. Dans l’exposition organisée par la Société en 1869, Alphonse Davanne applaudit les retouches « qui se font maintenant avec tant d’habilité » en particulier parce qu’elles « adouciss[ent] le travail de l’objectif76 ». En 1876, le nombre important de retouches observées à la XIe Exposition de la Société française de photographie le pousse à mettre les artistes en garde contre les abus77. Les artistes trouvent, dans les différentes manières de retoucher les épreuves, l’équivalent de la phase de « correction » si importante dans la pratique picturale, et cruciale pour produire un flou artistiquement valable.
49Le procédé est admis, mais il ne satisfait pas pleinement les photographes, dans la mesure où il s’éloigne malgré tout du procédé photographique pour se rapprocher de la peinture. L’enjeu reste ainsi de trouver une solution pour « remplacer la retouche par un mode de tirage particulier donnant aux traits un peu de flou78 ». Bien qu’elle adoucisse les épreuves, la retouche ne permet pas de réaliser un flou pleinement photographique, puisqu’elle est elle-même considérée comme une pratique bâtarde, trop proche de l’art pictural. Le défi reste alors de produire du flou, qui ne soit pas un défaut technique, par l’objectif photographique. Dans les années qui suivent, les recherches se poursuivent, comme en témoigne en 1880 l’annonce à la Société française de photographie d’une technique qui paraît aujourd’hui presque invraisemblable. Afin d’éviter des « contours beaucoup trop nets », on rapporte qu’un photographe de New York :
« place devant l’objectif huit ou dix brûleurs à gaz allumés. Il produit ainsi une agitation de l’air que traversent les rayons lumineux. Les traits perdent alors toute leur dureté. D’après l’auteur, les résultats obtenus sont remarquables ; de plus, la retouche des clichés est considérablement simplifiée, parce que tous les tons de l’image sont admirablement fondus79 ».
50À lire cette recommandation, on constate l’enjeu majeur que constitue le flou pour la photographie et pour sa reconnaissance artistique. À la veille du pictorialisme, le problème de l’invention d’un flou photographique reste entier.
Notes de bas de page
1 Renard François Auguste, « But du journal La Lumière », La Lumière, no 1, 9 février 1851, p. 1.
2 Hermange Emmanuel, « “La Lumière” », Études photographiques, 1er novembre 1996, mis en ligne le 1er février 2005, [https://etudesphotographiques.revues.org/102], consulté le 15 avril 2022.
3 Wey Francis, « Théorie du portrait II », La Lumière, no 13, 4 mai 1851, p. 51.
4 Anon., « Rapport sur l’exposition ouverte par la Société en 1857 (suite et fin) », Bulletin de la Société française de photographie (BSFP), t. 3, septembre 1857, p. 276. Nous soulignons.
5 Gustave Le Gray était lui-même un grand partisan du sacrifice des détails. « À mon point de vue, la beauté artistique d’une épreuve photographique consiste au contraire presque toujours dans le sacrifice de certains détails, de manière à produire une mise à l’effet qui va quelquefois jusqu’au sublime de l’art » (Le Gray Gustave, Photographie, traité nouveau, théorique et pratique, Paris, Lerebours et Secretan, 1852, p. 1-3, cité in André Rouillé, La photographie en France. Textes et controverses : une anthologie, 1816-1871, Paris, Macula, 1989, p. 98).
6 La Blanchère Henri de, « Études photographiques », La Lumière, no 5, 31 janvier 1857, p. 18-19.
7 À ce sujet, voir Parise Maddalena, Du portrait ressemblant à l’excès de détails. Le daguerréotype, une technique à l’épreuve de l’art, thèse de philosophie, dir. Danièle Cohn, université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, 2012, p. 68-74.
8 Wicky Érika, Les paradoxes du détail, op. cit., p. 55.
9 Baudelaire Charles, « Le public moderne et la photographie », in Claude Pichois (éd.), Baudelaire critique d’art, op. cit., p. 274-279.
10 Töpffer Rodolphe, De la plaque Daguerre : à propos des Excursions daguerriennes, Cognac, Le Temps qu’il fait, 2002 (1841), p. 69.
11 Ibid., p. 54.
12 Ibid., p. 43-44.
13 Wey Francis, « Album de la Société héliographique », La Lumière, no 15, 18 mai 1851, p. 57-58 ; Lacan Ernest, « Études d’après nature. M. Braquehais », La Lumière, no 37, 16 septembre 1854, p. 147 ; Lacan Ernest, « M. Pierson », La Lumière, no 46, 17 novembre 1854, p. 183 ; Périer Paul, « Exposition universelle, troisième article », BSFP, t. 1, 1855, p. 187-200.
14 Périer Paul, ibid.
15 La Blanchère Henri de, « Études photographiques (2e article) », La Lumière, no 6, 7 février 1857, p. 23.
16 Belloc Auguste, Le catéchisme de l’opérateur photographe. Traité complet de photographie sur collodion, Paris, chez l’auteur, 1857, p. 94-95.
17 Notamment Paul Périer, à propos des photographes « à la mode » de l’Exposition universelle de 1855 : « Tous, ou peu s’en faut, s’accordent pour lutter de dissection microscopique et d’inquisition dans le détail, ignorant, hélas ! qu’une juste mesure de vague dans la forme est la mélodie de la peinture » (Périer Paul, « Compte rendu de l’Exposition universelle, cinquième article », BSFP, t. 1, 1855, p. 256-274). Francis Wey à propos de Charles Nègre : « Son Petit Chiffonnier est à la fois solide et vaporeux comme un dessin de M. Bonvin : c’est le plus habile et la plus fugitive ébauche », et à propos d’un portrait au calotype de M. Leblanc : « La lumière est vive, et le fini précieux sans sécheresse : c’est le moelleux d’une bonne peinture » (Wey Francis, « Album de la Société héliographique », art. cité).
18 Belloc Auguste, Photographie rationnelle. Traité complet théorique et pratique, Paris, Dentu, 1862, p. 224.
19 Roubert Paul-Louis, L’image sans qualités : les beaux-arts et la critique à l’épreuve de la photographie, 1839-1859, Paris, Monum/Éditions du Patrimoine, 2006, p. 80.
20 « Flou », Dictionnaire de l’Académie française, 2005 (9e éd.), [https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9F1059], consulté le 30 avril 2022.
21 Littré Émile, Dictionnaire de la langue française, t. 4, op. cit., p. 1704.
22 Larousse Pierre, Grand dictionnaire universel du xixe siècle, t. 8, op. cit., p. 507.
23 « Exact », Dictionnaire de l’Académie française, 1798 (5e éd.), [https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A5E1725], consulté le 30 avril 2022.
24 Littré Émile, Dictionnaire de la langue française, t. 2, op. cit., p. 1549.
25 « Net », Dictionnaire de l’Académie française, 1798 (5e éd.), [https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A5N0168], consulté le 30 avril 2022.
26 Ibid.
27 Watelet Claude-Henri, Vicq-d’Azyr Félix et Levesque Pierre-Charles, Encyclopédie méthodique. Beaux-Arts, t. 1, op. cit., p. 558.
28 Voir par exemple Claudet Antoine, « Sur un nouveau procédé pour donner une égale netteté à tous les plans d’un corps solide représenté dans une épreuve photographique », BSFP, t. 12, septembre 1866, p. 226.
29 Delacroix Eugène, « Revue des arts : Le dessin sans maître, par Marie-Élisabeth Cavé », art. cité.
30 La Blanchère Henri de, L’art du photographe, Paris, Amyot éditeur, 1860 (1859), p. 14.
31 Roubert Paul-Louis, « Théorie du sacrifice. Le calotype en France : une contre-révolution photographique », in Sylvie Aubenas et Paul-Louis Roubert (dir.), Primitifs de la photographie, le calotype en France, 1843-1860, cat. expo., Paris, Gallimard/Bibliothèque nationale de France, 2000, p. 83-99.
32 Claudet Antoine, « Sur un nouveau procédé pour donner une égale netteté à tous les plans d’un corps solide représenté dans une épreuve photographique », art. cité.
33 Roubert Paul-Louis, L’image sans qualités, op. cit., p. 92.
34 Anon., « Rapport sur l’exposition ouverte par la Société en 1857 (suite et fin) », art. cité.
35 « I do not consider it necessary that the whole of the subject should be what is called in focus; on the contrary, I have found in many instances that the object is better obtained by the whole subject being a little out of focus, thereby giving a great breadth of effect, and consequently more suggestive of the true character of nature » (Newton William J., « Upon Photography in an Artistic View, and Its Relation to the Arts », Journal of the Photographic Society, 3 mars 1853, p. 6-7. Nous traduisons). Newton précise néanmoins que sa recommandation se limite aux photographies réalisées comme modèles pour les peintres : « Je souhaite cependant être entendu comme appliquant ces observations aux seuls artistes, ces productions étant considérées comme des études privées pour les aider dans leurs compositions » (« I wish, however, to be understood as applying these observations to artists only, such productions being considered as private studies to assist him in his compositions »).
36 Eastlake Elizabeth, « [Photography] », The Quarterly Review, vol. 101, 1857, p. 462. Pour une traduction française et des commentaires sur ce texte : Eastlake Elizabeth et Brunet François, « Et pourtant des choses mineures… », Études photographiques, no 14, janvier 2004, p. 105-121. À ce sujet voir : Barnes Martin, « Une mise au point britannique », in Pauline Martin (dir.), Flou. Une histoire photographique, Paris/Lausanne, delpire & co/Photo Elysée, 2023, p. 64-77.
37 Gunthert André, La conquête de l’instantané. Archéologie de l’imaginaire photographique en France, 1841-1895, thèse d’histoire de l’art, dir. Hubert Damisch, École des hautes études en sciences sociales, 1999, [https://issuu.com/lhivic/docs/la-conquete-de-l-instantane], consulté le 15 avril 2022.
38 Gaudin Marc-Antoine, Traité pratique de photographie : exposé complet des procédés relatifs au daguerréotype, Paris, J.-J. Dubochet et Cie, 1844, p. 123.
39 Ibid., p. 124.
40 Belloc Auguste, Le catéchisme de l’opérateur photographe, op. cit., p. 10. Le passage est exactement reproduit dans sa Photographie rationnelle de 1862 (Belloc Auguste, Photographie rationnelle, op. cit., p. 55).
41 Francis Wey critique ainsi une épreuve de Louis Désiré Blanquart-Évrard : « L’effet, quoique juste, est profondément teinté : il semble qu’un voile soit interposé entre les objets et le spectateur. Ce serait pécher par irréflexion, que d’attribuer ces apparentes imperfections au photographe ; elles sont dues à la seule nature » (Wey Francis, « Album photographique de M. Blanquart-Évrard », La Lumière, no 33, 21 septembre 1851, p. 130-131). Au sujet du calotype : « La texture fibreuse du papier, ses aspérités et ses creux, la communication capillaire qui s’établit entre les diverses parties de la surface inégalement imbibées, sont autant d’obstacles qui s’opposent à la rigueur absolue des lignes et à l’exacte dégradation des ombres et des lumières : la précision de l’image laisse à désirer, les détails sont plus confus, les traits bien moins accusés » (Belloc Auguste, Compendium des quatre branches de la photographie, Paris, chez l’auteur/au bureau du Cosmos/chez Dentu, 1858, p. 40).
42 Janin Jules, « La description du Daguérotype [sic] », L’Artiste. Journal de la littérature et des Beaux-Arts, 2e série, vol. 3, no 17, 25 août 1839, p. 277-283 ; repris in Siegel Steffen, 1839. Daguerre, Talbot et la publication de la photographie. Une anthologie, Paris, Macula, 2020, p. 305-320.
43 Gaudin Marc-Antoine, Traité pratique de photographie, op. cit., p. 124. Un vaste débat se prolonge tout au long des années 1840 à 1860 sur la nécessité ou non d’interdire au modèle de cligner des yeux au moment de la prise de vue.
44 Valicourt Edmond de, « De l’exposition à la lumière – généralités sur les portraits photographiques – dispositions à prendre pour les bien exécuter », BSFP, t. 7, 1861, p. 235.
45 La Blanchère Henri de, « Études photographiques (suite et fin) », La Lumière, no 13, 28 mars 1857, p. 50-51.
46 Renard François Auguste, « Rapport du jury central de l’Exposition des produits de l’industrie de 1849 », La Lumière, no 4, 2 mars 1851, p. 44.
47 Anon., « Rapport sur l’exposition ouverte par la Société en 1857 (suite et fin) », art. cité.
48 Duchenne de Boulogne Guillaume, « Avertissement », Mécanisme de la physionomie humaine, ou Analyse électro-physiologique de l’expression des passions, Paris, Veuve Jules Renouard, 1862, p. v-xi, cité in Rouillé André, La photographie en France, op. cit., p. 446.
49 Belloc Auguste, Photographie rationnelle, op. cit., p. 325. Au xixe siècle, « flou » est encore considéré comme un adverbe, qui ne s’accorde donc pas à la manière d’un adjectif.
50 Brunet François, La naissance de l’idée de photographie, op. cit., p. 90-91.
51 Gautier Théophile, Critique d’art, op. cit., p. 149 (citation extraite du Moniteur universel, 4 septembre 1859).
52 Rey Alain (dir.), Dictionnaire Le Robert d’aujourd’hui, Paris, France Loisirs, 1992, p. 436 ; « Flou », Dictionnaire de l’Académie française, 1935 (8e éd.), [https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A8F0729], consulté le 30 avril 2022.
53 « Flou », Dictionnaire de l’Académie française, 1935 (8e éd.), [https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A8F0729], consulté le 30 avril 2022.
54 L’Académie française n’a intégré la photographie dans la définition du flou que dans la version actuellement en vigueur : « Photographie. Cinéma. Effet obtenu en estompant les contours ou en diminuant la netteté des images » (« Flou », Dictionnaire de l’Académie française, 2005 [9e éd.], [https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9F1059], consulté le 30 avril 2022).
55 La Blanchère Henri de, « Études photographiques (2e article) », art. cité.
56 Delacroix Eugène, Dictionnaire des Beaux-Arts, op. cit., p. 148-149 (23 avril 1854).
57 Anon., « Rapport sur l’exposition ouverte par la Société en 1857 (suite et fin) », art. cité.
58 Durieu Eugène, « Rapport de la Commission chargée de juger la première Exposition photographique dans les salons de la Société française de photographie, du 1er août au 15 novembre 1855 », BSFP, 1856, p. 37-72 (p. 64).
59 Claudet Antoine, « Sur un nouveau procédé pour donner une égale netteté à tous les plans d’un corps solide représenté dans une épreuve photographique », art. cité. Ce procédé consistait à donner, pendant la pose, de légers déplacements d’avant en arrière au corps arrière de l’appareil, de façon à obtenir en chaque point de la plaque la superposition d’une image nette et d’un grand nombre d’images plus ou moins floues.
60 Disdéri Eugène, L’Art de la photographie, Paris, chez l’auteur, 1862, p. 60.
61 Voir notamment Roubert Paul-Louis, « Théorie du sacrifice. Le calotype en France : une contre-révolution photographique », in Sylvie Aubenas et Paul-Louis Roubert (dir.), Primitifs de la photographie, op. cit., p. 83-99.
62 Wey Francis, « Publications héliographiques », La Lumière, no 28, 17 août 1851, p. 110-111.
63 Périer Paul, « Compte rendu de l’Exposition universelle, troisième article », BSFP, t. 1, 1855, p. 187-200.
64 Wey Francis, « De l’influence de l’héliographie sur les Beaux-Arts », La Lumière, no 1, 9 février 1851, p. 2.
65 Id., « Album de la Société héliographique », art. cité.
66 Le Guern Nicolas, « Éloge de la simplicité. Adaptation et évolution du calotype en France de Fox Talbot à Gustave Le Gray », in Sylvie Aubenas et Paul-Louis Roubert (dir.), Primitifs de la photographie, op. cit., p. 19-33.
67 Gunthert André, « L’institution du photographique », Études photographiques, no 12, novembre 2002, mis en ligne le 12 février 2005, [https://etudesphotographiques.revues.org/317], consulté le 15 avril 2022.
68 Périer Paul, « Compte rendu de l’Exposition universelle, cinquième article », art. cité.
69 Baudelaire Charles, « Lettre à Mme Aupick » (Bruxelles, samedi 23 décembre 1865), cité in André Rouillé, La photographie en France, op. cit., p. 329. Au sujet des portraits photographiques de Charles Baudelaire, voir Plantureux Serge, Charles Baudelaire ou le rêve d’un curieux. Enquête sur le jugement d’un poète envers la photographie, Montreuil, Studios Robespierre, coll. « Nicéphore, cahier de photographies », 2014.
70 Wey Francis, « Album de la Société héliographique », art. cité.
71 Ibid.
72 Davanne Alphonse, « Rapport sur la XIe Exposition de la Société française de photographie (3e article) », BSFP, t. 22, 1876, p. 294-308.
73 Dawson George, « Du procédé négatif sur papier », BSFP, t. 16, août 1870, p. 210-214.
74 Dallmeyer John Henry, « Du choix de l’emploi des objectifs photographiques (2e article) », BSFP, t. 24, no 9, 1878, p. 224-238.
75 Anon., « Quatrième exposition de la Société française de photographie, règlement », BSFP, t. 7, 1861, p. 54-55.
76 Davanne Alphonse, « Compte rendu de l’Exposition ouverte par la Société en 1869 », BSFP, t. 16, 1870, p. 47-55.
77 Id., « Rapport sur la XIe Exposition de la Société française de photographie (3e article) », art. cité.
78 Ibid.
79 Anon., « Procès-verbal de la séance du 2 juillet 1880 », BSFP, t. 26, 1880, p. 169-187.
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