Version classiqueVersion mobile

Jacques Davy du Perron (1556-1618)

 | 
Lana Martysheva
, 
Mark Greengrass

Troisième partie. Le savoir-représenter : dans les rouages des ambassades romaines

Le cardinal, le roi et le pape

Du Perron et la monarchie pontificale

Olivier Poncet

Texte intégral

  • 1 Bergin Joseph, The Making of the French Episcopate, 1589-1661, New Haven/Londres, Yale University P (...)
  • 2 Pour l’intelligence de cette destinée, on verra la contribution de Joseph Bergin dans ce volume.

1À tous égards, Du Perron est une personnalité qui déroute quelque peu, par son parcours religieux, par sa formation, par ses multiples formes d’expression, de la poésie à l’art épistolaire en passant par les traités ou les œuvres de controverse. Il ne fut pas un prélat tout à fait comme les autres, Joseph Bergin l’a admirablement montré dans son portrait collectif de l’épiscopat français de ce temps1. Du Perron fut également un cardinal singulier au milieu de ses homologues de l’époque, qu’ils fussent italiens, ce qui ne surprendra pas, ou français. Si la personnalité de Du Perron reste donc difficilement comparable, ses choix politiques et religieux se caractérisent cependant par une forme de ligne claire qui empreint l’essentiel de sa carrière à partir du règne de Henri IV2.

  • 3 Voir dans ce volume la contribution de Sylvio De Franceschi.

2Chercher la cohérence d’un parcours de vie est rien moins qu’évident, et les individus qui connaissent des fidélités successives abondent. Chez Du Perron, l’unité du personnage provient probablement de son rapport personnel à l’autorité romaine. Ce rapport, il l’a d’abord construit à l’ombre de la cour royale et d’un système concordataire dont il expérimenta les virtualités les plus profitables. Il l’a ensuite éprouvé au contact même d’une Curie pontificale qui changeait beaucoup durant les années où il la fréquenta. Enfin, il a été en quelque sorte sommé à la fin de sa vie de théoriser sa conception de la place du pape pour répondre aux défis de plus en plus pressants qui lui étaient alors jetés par des opposants résolus au pouvoir pontifical, qu’il s’agît des gallicans de Sorbonne ou du Palais ou bien encore de la monarchie anglaise3.

Le prélat du roi : dans l’ombre du pape

  • 4 La harangue faite par le roy Henry troisieme de France et de Polongne à l’ouverture de l’assemblée (...)
  • 5 L’Examen pacifique de la doctrine des huguenots (Caen, 1590) qui lui est attribué évoque la figure (...)
  • 6 Collection des procès-verbaux des assemblées générales du clergé de France […], t. I, Paris, Guilla (...)
  • 7 Bergin Joseph, The Making, op. cit., p. 376.
  • 8 Penzi Marco, « L’histoire tragique et mémorable de Claude de Sainctes, évêque d’Évreux », Cahiers d (...)

3Les premières prises de position publiques de Du Perron à propos de la papauté datent, semble-t-il, du règne de Henri IV. En effet, on ne trouve pas trace, sauf erreur, d’une mention du Saint-Siège ou du souverain pontife dans le texte qu’il a écrit pour Henri III à l’occasion de l’ouverture des états généraux du 16 octobre 15884. Le nom de Jacques Davy du Perron surgit en revanche au bas de la déclaration de l’assemblée ecclésiastique de Mantes-Chartres du 21 septembre 1591 qui condamnait les bulles monitoriales de Grégoire XIV par lesquelles ce pape menaçait d’excommunication ceux des ecclésiastiques et des nobles qui suivaient le parti de Henri IV5. Du Perron fut alors l’un des très rares prélats non évêque ou archevêque du groupe à signer ce texte qui fustigeait surtout l’imprudence et les mauvais conseils suivis par le pape et réitérait le souhait du clergé de voir le roi se faire instruire dans la religion catholique. Du Perron était déjà proche du roi Bourbon6. Celui-ci le nomma, probablement avant la fin de cette année 15917, au siège épiscopal d’Évreux vacant par la récente disparition de Claude de Sainctes (1524-1591)8, dans une Normandie essentielle pour comprendre Du Perron, qui y était né (Cotentin), et qui devenait, pour quelques années encore, un des meilleurs terrains de chasse pour les amateurs de revenus ecclésiastiques de quelque camp et qualité qu’ils fussent.

  • 9 Du Perron a participé à diverses conférences de médiation avec les ligueurs (Collection des procès- (...)
  • 10 Lettres de Henri IV concernant les relations du Saint-Siège et de la France, 1595-1609, éd. Bernard (...)

4Toutefois, celui qui accompagna Henri IV sur la voie de la conversion de Saint-Denis en juillet 15939 ne fit pas grande publicité de cette charge. Il ne se présenta certainement pas sous cette qualité d’évêque nommé lorsqu’il fut envoyé à Rome pour y négocier l’absolution du roi à l’été 1595, bien qu’Henri IV l’eût annoncé avec ce titre au neveu du pape le 9 mai 159510. Dans tous les actes pontificaux liés à l’absolution, Du Perron n’y est jamais qualifié que de conseiller d’État et premier aumônier du roi.

  • 11 Ibid., p. 3, no 2, Henri IV à Clément VIII, [au camp de] Travecy, 17 novembre 1595.
  • 12 Lettres du cardinal d’Ossat, 5 vol., Amsterdam, Pierre Humbert, 1708, t. I, Ossat à Villeroy, Rome, (...)
  • 13 Ibid., p. 517. Du Perron fut consacré par François de Joyeuse, qui fut plus tard son métropolitain (...)
  • 14 Poncet Olivier, La France et le pouvoir pontifical (1595-1661). L’esprit des institutions, Rome, É (...)
  • 15 Gallia christiana, t. XI, col. 615.

5Ce premier contact direct avec le siège romain en 1595-1596 dura environ huit mois. S’il fut décisif pour la réconciliation entre les monarchies française et pontificale, il le fut également pour Du Perron lui-même qui incarna en effet la reprise concrète des relations concordataires entre les deux pouvoirs. Le jour même où Henri IV adressait une lettre autographe au pape pour le remercier de son absolution, le 12 novembre 1595, le roi de France lui adressait un deuxième courrier par lequel il lui demandait officiellement de bien vouloir accorder la provision apostolique à Du Perron qu’il nommait officiellement à l’évêché d’Évreux11. Si la coïncidence n’a pas toujours été notée par les historiens, elle était très symbolique et ne devait rien au hasard. Chacun des protagonistes en était parfaitement conscient et c’est sans surprise que le pape Clément VIII proposa lui-même, de manière exceptionnelle, le dossier de Du Perron au cours du consistoire du 11 décembre 1595 qui faisait de lui un évêque de manière plénière12. Comme l’écrivait aussitôt Arnaud d’Ossat à Henri IV : « Et ainsi le roi est entré en possession de nommer et le pape de pourvoir aux bénéfices consistoriaux de France13. » D’une certaine manière, toute la vie de Du Perron érigée en trait d’union entre le roi de France et le pape est contenue là. Nous ne possédons pas l’acte du serment de fidélité que Du Perron, comme tous les évêques en pareil cas, devait prêter au roi ; on n’y aurait sans doute pas trouvé de discours spécifique, puisque tout était plus ou moins réglé par un formulaire14. Dès son premier passage dans sa cité épiscopale à l’été 1596, Du Perron marqua sa reconnaissance au souverain en instituant le 17 septembre 1596 et pour vingt ans un office pour commémorer la conversion du roi15.

  • 16 Poncet Olivier, La France et le pouvoir pontifical, op. cit., p. 637 et suiv.

6Avec l’investiture canonique du nouvel évêque d’Évreux, le cours de la vie bénéficiale pouvait donc reprendre dans le royaume. Du Perron ne se fit pas faute d’en profiter, selon les conceptions partagées à Rome comme en France selon lesquelles le système bénéficial devait être exploité au maximum de ses possibilités pour la grandeur et le service de l’Église. Du Perron, qui n’était pas riche et désirait occuper une position sociale remarquable, exploita au mieux les potentialités ouvertes par le droit canon. À plusieurs reprises, en effet, il usa de procédures auxquelles le concile de Trente s’efforçait de mettre fin et il prolongea ainsi durant quelques années les effets d’apparent désordre que les envoyés pontificaux en France s’efforçaient de résorber de leur côté16.

  • 17 Bergin Joseph, The Making, op. cit., p. 138 et suiv.
  • 18 Par un concordat avec ses moines conclut le 9 septembre 1604, il organise le partage des biens (Gué (...)
  • 19 Ambassades, p. 188, Du Perron à Henri IV, Condé, 19 juin 1604.
  • 20 Bergin Joseph, The Making, op. cit., p. 554-555.

7En raison de sa proximité avec le roi, Du Perron avait échappé aux pensions ordinairement assises par la monarchie sur les revenus des évêchés pour financer des récompenses ou des achats de fidélité dans cette période de compétition politique intense17. Il agrandit son pécule bénéficial par la nomination à l’abbaye bénédictine de Lyre dans son diocèse où il succédait au demi-frère du roi, l’archevêque de Rouen Charles de Bourbon (1554-1610), et dont il prit possession le 18 août 160018. Sa promotion au cardinalat en 1604, par laquelle le roi l’avait « élevé de la poudre19 », accéléra ce tourbillon de charges et de revenus de manière remarquable, à la fois en raison du soutien indéfectible de la monarchie mais aussi, pour toutes les facilités obtenues, grâce à l’aide tout aussi régulière de la papauté. Son transfert au siège archiépiscopal de Sens en 1606 n’était pas inscrit dans un cursus honorum qui n’existait pas à proprement parler dans le royaume de France, à la différence de ce qui se pratiquait en Espagne à la même époque20. Mais Sens n’était pas un siège tout à fait comme les autres : Du Perron y gagnait, outre la hiérarchie métropolitaine, la primauté des Gaules et de Germanie. Pourtant, il faut plutôt y voir un effet d’aubaine.

  • 21 Ambassades, op. cit., p. 476-477, Du Perron à Villeroy, Rome, 17 mai 1606.
  • 22 Gallia christiana, t. XII, p. 124.
  • 23 Bergin Joseph, The Making, op. cit., p. 111-112.
  • 24 Un premier bref du 9 octobre 1606 lui accordait deux ans lors de son transfert à Sens (Hierarchia c (...)
  • 25 Guillaume fut évêque d’Évreux jusqu’à son décès en 1613, son neveu François lui succéda jusqu’à sa (...)
  • 26 Aristide Isabelle, La fortune de Sully, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de l (...)
  • 27 Gallia christiana, t. XII, p. 96.
  • 28 Gallia christiana, t. XI, col. 651, et t. XII, col. 99. Une partie des manuscrits d’étude de Du Per (...)

8En mai 1606, en effet, Du Perron avait alerté le gouvernement royal sur l’intention qu’avait le pape d’obliger ses évêques à aller résider dans leurs diocèses, à moins qu’ils ne finançassent un coadjuteur21. Pour lui, c’était impossible, à moins d’avoir de meilleurs revenus. Il demandait donc instamment son transfert à un siège plus lucratif. Or Du Perron était déjà abbé de Saint-Rémi de Sens depuis 1605, après avoir succédé à Michel Le Chambellan, un moine de Saint-Vincent de Laon qui en touchait les fruits depuis 1595 mais qui n’avait jamais pu avoir ses bulles, à moins qu’il ne fût un prête-nom pour un autre bénéficiaire22. Sur ces entrefaites, l’archevêque de Sens Renaud de Beaune (1527-1606) décédait le 27 septembre 1606. Financièrement, le diocèse de Sens n’était pas objectivement une grosse affaire, puisque la différence de revenu entre les deux sièges n’était guère que de 3 000 livres23. Un montage assez peu tridentin fut alors mis en place avec l’accord du pape. D’abord, Du Perron conserva l’administration d’Évreux pendant deux années, au moyen de deux brefs qui lui furent délivrés chaque année par le pape24, le temps de trouver un successeur qui fût prêt à certaines souplesses. Ce qui arriva avec Guillaume Péricard (1548-1613), d’une prolifique famille épiscopale normande25 qui avait été très active durant la Ligue aux côtés de Mayenne. Péricard, qui était le vicaire général de l’archevêque de Rouen, fut contraint avant de prendre possession le 5 septembre 1608, non seulement de verser une pension de 1 000 livres par an à Du Perron, mais aussi de lui céder en commende sa riche abbaye de Saint-Taurin d’Évreux qui doublait pratiquement le revenu archiépiscopal de Sens, comme nous le savons par les papiers de Sully qui en avait perçu les fruits pour son compte pendant une quinzaine d’années26. Du Perron, qui prit possession de son siège de Sens le 26 octobre 160827, disposait donc à cette date d’un solide revenu bénéficial que l’on peut estimer à environ 40 000 livres annuelles, sans compter les émoluments liés à sa charge de grand aumônier à laquelle le roi l’avait nommé en 1606. Il conserva ces revenus ecclésiastiques intégralement jusqu’à la fin de sa vie, puisqu’il ne désigna son frère Jean († 1621) comme coadjuteur de ses abbayes et de son archevêché qu’en 1616 et 161728.

  • 29 Du Perron Jacques Davy, Harangue faitte de la part de la chambre ecclesiastique en celle du tiers e (...)
  • 30 Poncet Olivier, La France et le pouvoir pontifical, op. cit., p. 600 note.
  • 31 Ambassades, p. 116-117, Du Perron à Pietro Aldobrandini, Condé, 10 février 1604.
  • 32 Ibid., p. 25-32, Du Perron à Henri IV, Rome, 17 janvier 1596, aux p. 29-32, et p. 32-37, id. à id., (...)

9En 1615, dans son fameux discours aux états généraux en réponse au premier article du tiers état, Du Perron déclarait : « Car je n’ay jamais receu ny biens, ny dignitez que de luy [=le roi]. C’est luy seul qui m’a porté à l’épiscopat, à l’archiépiscopat, au cardinalat, m’a fait grand aumosnier et m’a donné les moyens et appointemens nécessaires pour m’aider à soustenir une partie de ces charges29. » Ce qu’il ne disait pas à l’attention d’une assemblée fortement gallicane, c’est que la papauté avait été particulièrement accommodante à son égard. Son premier passage à Rome en 1595-1596 avait en effet eu un autre effet de longue durée car il l’avait définitivement rapproché des intérêts romains et, plus largement, de ceux de l’Italie tout entière. Dès son retour en France, à l’été 1596, il entamait une correspondance suivie avec Pietro Aldobrandini (1571-1621), le neveu du pape Clément VIII, qui lui avait laissé pour cela une table de chiffre épistolaire à son départ de Rome30. En 1603 encore, un an avant son retour à Rome en tant que cardinal, Du Perron déclarait à Aldobrandini qu’il était entré depuis huit ans dans « sa protection et clientèle31 », des mots forts mais qui n’étaient ni purement rhétoriques, ni contradictoires avec le service du roi. En effet, dès janvier 1596, Du Perron avait théorisé pour lui-même et pour ses correspondants français le fait qu’une partie du sort de la France se jouait en Italie et donc à Rome32.

Le cardinal diplomate : le choix du roi

  • 33 Hierarchia catholica, t. IV, p. 7-8.

10Le cardinalat de Du Perron a longtemps semblé évident aux yeux des Français, mais il a mis du temps à s’imposer. Il fut en effet pressenti pour entrer au Sacré Collège dès 1596, mais il manqua la marche, tout comme le roi lui-même qui dut constater avec amertume la promotion du ligueur Anne d’Escars de Givry (1546-1612) dans une Curie désireuse de marquer son indépendance. En 1599, il fut assez logiquement devancé par son complice d’Ossat, son aîné de vingt ans, et plus politiquement par l’évêque de Maillezais François d’Escoubleau de Sourdis (1574-1628) son cadet de dix ans. Du Perron fut enfin promu lors de la populeuse fournée de dix-huit cardinaux annoncée le 9 juin 160433. Il partit à l’automne 1604 à Rome pour y recevoir le chapeau. Ce qu’il ignorait alors, c’est que son séjour devait excéder les quelques mois ordinaires pour pareille démarche et qu’un concours de circonstances l’amènerait à y rester pendant près de trois ans, en enchaînant un premier conclave, puis un deuxième, puis une première crise ecclésiologique autour des querelles entre jésuites et dominicains et une seconde à propos de l’Interdit de Venise.

11La longueur de ce séjour romain n’est pas très usuelle. Pour s’en tenir, parmi les ecclésiastiques français, aux seuls cardinaux du temps de Du Perron, son rapport physique à Rome est particulier. Les cardinaux français se partagent entre ceux qui y étaient à demeure (Ossat et Séraphin Olivier-Razali, 1538-1609), ceux qui y faisaient leur retraite après avoir laissé leur siège épiscopal à des parents (Jean de Bonsi, 1554-1621), ceux qui n’y venaient jamais (ou plus jamais) (Pierre de Gondi, 1533-1616), le groupe de ceux qui n’y allaient que pour prendre le chapeau ou participer à des conclaves, soit 3 à 6 mois de séjour (Sourdis, François de La Rochefoucauld, 1558-1645, ou Louis de Guise, 1575-1621) ou encore ceux qui y faisaient de fréquents séjours sur une longue période (François de Joyeuse, 1562-1615, présent presque tous les deux ans sur une quinzaine d’années). Seul Givry, qui resta quatre ans et n’y revint plus par la suite, connut une évolution semblable à celle de Du Perron, avec cette différence essentielle qu’il était loin d’avoir eu la même histoire personnelle avec le roi de France.

  • 34 Ambassades, p. 42-43, Du Perron à Ossat, Ancône, 1595, à la p. 42.
  • 35 Ibid., p. 366-368, Du Perron à Henri IV, Rome, 14 juin 1605, à la p. 366.

12Le rôle que pouvait jouer Du Perron à Rome était handicapé a priori par deux facteurs, la maîtrise de la langue italienne et l’absence de formation universitaire en droit ou en théologie. Alors qu’il ne parlait presque pas italien lors de son premier séjour34, dix ans plus tard il dominait assez la langue du pape pour pouvoir lui traduire au vol une lettre du roi dès le mois de juin 160535. Quant au bagage universitaire, son talent et sa force de travail firent le reste aux côtés d’un pape, qui lui confia rapidement des tâches de confiance, et auprès d’un Sacré Collège qu’il séduisit littéralement par ses capacités littéraires qui faisaient oublier la modestie de ses origines. Pour Du Perron, la dignité de prince de l’Église était aussi une conquête sociale, d’autant que le roi de France s’employait à lui donner les moyens de la soutenir.

  • 36 Barbiche Bernard, « L’influence française à la cour pontificale sous le règne de Henri IV », Mélang (...)
  • 37 Ibid., p. 520.

13À Rome, Du Perron était en effet l’un des bénéficiaires principaux de l’argent qu’Henri IV y déversait de manière inédite comme l’a montré Bernard Barbiche36. De 1605 à 1610, il reçut 21 000 livres par an, soit plus de 40 % des sommes allouées aux cardinaux français là-bas et plus d’un sixième au total des pensions versées à Rome, tous personnages confondus37. Plus symboliquement, la seule pension extraordinaire versée à Du Perron, 12 000 livres par an, était supérieure de 25 % aux pensions versées aux mieux lotis des cardinaux français comme Givry ou Sourdis et équivalente à celle de Pietro Aldobrandini, neveu de Clément VIII et l’un des plus puissants cardinaux de Curie. Muni de toutes ces armes, Du Perron s’employa à conquérir la Curie dont il faisait un tremplin et un moteur de la politique française dans la péninsule italienne, comme il le démontra à l’occasion de la crise avec Venise.

  • 38 Ambassades, p. 351, Villeroy à Du Perron, Paris, 3 juin 1605.
  • 39 Ibid., p. 424-429, Du Perron à Henri IV, Rome, 4 octobre 1605, à la p. 427.
  • 40 Ibid., p. 428.
  • 41 Ibid., p. 473-475, Du Perron à Henri IV, Rome, 17 mai 1606, à la p. 474.

14Au décès de Clément VIII (5 mars 1605), il participa tout d’abord à deux élections pontificales, celle de l’ancien légat Alexandre de Médicis sous le nom de Léon XI (1er avril 1605), puis quelques semaines plus tard celle de Camillo Borghese sous le nom de Paul V (16 mai 1605). Si le premier conclave était une victoire éclatante de l’influence et de la politique françaises, le second pouvait être considéré comme un résultat satisfaisant, comme il existe de magnifiques retraites dans l’art militaire, puisque Du Perron parvint à faire échouer des candidatures réellement espagnoles. De manière générale, Du Perron à qui le roi avait remis la conduite des intérêts français aux côtés de l’ambassadeur38, identifiait les cardinaux qu’il était possible de gagner, échafaudait des combinaisons financières inédites, empruntait au besoin de l’argent sur son crédit personnel39, bref travaillait à construire un véritable parti français qui avait échappé à ses prédécesseurs qui en avaient seulement posé les bases : « Ils n’ont veu icy les fruits de leurs œuvres qu’en graine et en semence et non pas en épy et en moisson, comme nous les voyons maintenant40. » Rien ne lui paraissait impossible : en mai 1606, il proposa ainsi à Henri IV de faire de son fils illégitime Alexandre de Vendôme (1598-1629), né en 1598 et destiné à l’ordre de Malte, un cardinal richement doté et capable de tenir durablement les intérêts de la France à Rome. Et si jamais le roi désirait ensuite l’employer à autre chose, le chapeau pourrait passer sur la tête de son demi-frère cadet, le duc de Verneuil à qui, selon l’expression de Du Perron l’autre aurait « fait la planche et servy de préjugé41 ».

  • 42 Emich Birgit, Bürokratie und Nepotismus unter Paul V. (1605-1621). Studien zur frühneuzeitlichen M (...)
  • 43 Reinhardt Volker, Kardinal Scipione Borghese (1605-1633). Vermögen, Finanzen und sozialer Aufstieg (...)
  • 44 Ambassades, p. 401-415, Du Perron à Henri IV, Rome, 7 septembre 1605, à la p. 406.
  • 45 Ibid., p. 413-414. Paolo Costa demeura de fait en poste jusqu’en juin 1606 et fut remplacé non par (...)

15Au-delà, Du Perron ne mit guère de temps à comprendre les mutations institutionnelles et sociales de la Curie livrée depuis quelques pontificats à un népotisme bureaucratique assez inédit et qui prit son envol sous ses yeux avec Paul V Borghese42. Il comprit assez finement que les acteurs de second plan apparemment étaient les rouages essentiels d’un système où domina bientôt la figure du cardinal-neveu Scipione Borghese (1577-1633)43 : il était très lié avec son maître de chambre et il déconseilla au roi de faire des mauvaises manières à Lanfranco Margotti (1558-1611), secrétaire d’État et principal conseiller du pape dans les affaires diplomatiques au début de son pontificat44. Une grande proximité avec le souverain pontife et la relative maîtrise de l’appareil curial permit par exemple à Du Perron d’empêcher la nomination à Turin d’un nonce favorable à l’Espagne45.

  • 46 Ambassades, p. 274-277, Du Perron à Henri IV, Rome, 25 janvier 1605, à la p. 274.
  • 47 Ibid., p. 417-419, Du Perron à Henri IV, Rome, 20 septembre 1605, à la p. 419 ; ibid., p. 447-448, (...)
  • 48 Voir dans ce volume la contribution de Marie-Cécile Pineau.
  • 49 Ambassades, p. 424-429, Du Perron à Henri IV, Rome, 4 octobre 1605, à la p. 425.
  • 50 Ibid., p. 425-426.
  • 51 Ibid., p. 439-444, Du Perron à Henri IV, Rome 14 décembre 1605, à la p. 440.
  • 52 Barbiche Bernard, Sully, Paris, A. Michel, coll. « L’aventure humaine », 1978 p. 100.

16Dès son arrivée à Rome, comme il était d’usage, le pape l’affecta à diverses congrégations : l’Impression des livres – une congrégation distincte de celle de l’Index –, le suivi des affaires d’Angleterre et celle que l’on nomma de auxiliis et qui était dévolue à l’examen des différends entre jésuites et dominicains à propos de la grâce efficace46. Le rôle joué par Du Perron dans cette dernière est avéré. Sa correspondance témoigne du temps énorme qu’il a consacré à des congrégations qui duraient jusqu’à sept ou huit heures par jour et qui lui prenaient sans doute bien plus de temps à préparer, en particulier lorsque le pape lui confia les archives originales du concile de Trente tirées du Château Saint-Ange pour examiner les points en discussion47. Avec l’appui de l’ambassadeur Charles de Neufville (1566-1642)48, Du Perron se sentait suffisamment bien intégré à la Curie pour se permettre de suggérer des orientations nouvelles pour la papauté. Dans une longue lettre, très argumentée, datée d’octobre 1605, le nouveau cardinal français soumit à Henri IV un projet assez radical de réforme de la gestion de l’argent accumulé au Château Saint-Ange qu’il qualifiait de « deniers morts49 ». Non seulement il souhaitait éviter que des puissances extérieures (entendez l’Espagne) pussent s’en emparer à l’occasion d’un nouveau sac comme celui de 1527, mais il considérait que ce serait une façon moderne d’utiliser cet argent pour financer des missions d’évangélisation sur les divers continents, pour favoriser des conversions parmi les hérétiques ou pour mener une politique de soutien dans le domaine des lettres50. L’idée de Du Perron, qui annonçait des inflexions profondes que les décennies suivantes allaient amener sur le devant de la scène pontificale, déplut visiblement à Henri IV qui lui répliqua sèchement que ce n’était pas là une voie à suivre51. Sans doute le roi de France avait-il été conseillé sur ce point par son surintendant des finances Sully qui s’employait à la même époque à remplir les coffres de la Bastille de « deniers morts52 »…

  • 53 Ambassades, p. 260-268, Du Perron à Henri IV, Rome, 12 janvier 1605, à la p. 268.
  • 54 Ibid., p. 680 et suiv., nombreuses lettres de condoléances adressées à Du Perron après la mort de H (...)
  • 55 Ambassades, p. 55, Du Perron à la grande-duchesse de Toscane, Paris, s. d. ; ibid., p. 56, Du Perro (...)
  • 56 Ibid., p. 260-268, Du Perron à Henri IV, Rome, 12 janvier 1605, aux p. 262 et suiv.
  • 57 Ibid., p. 274-277, Du Perron à Henri IV, Rome, 25 janvier 1605, à la p. 275.
  • 58 Ibid., p. 277.
  • 59 Ambassades, p. 439-444, Du Perron à Henri IV, Rome, 14 décembre 1605, à la p. 442.

17La géopolitique italienne de Du Perron ne se limitait pourtant pas à Rome. À ses yeux, comme du reste aux yeux de la Curie53, la Ville était le lieu idéal pour organiser le combat pour les libertés italiennes, cet horizon théorique qui inspirait tous les acteurs de la péninsule, aussi bien Machiavel que l’ensemble des puissances extérieures ou locales. Les voyages de Du Perron à l’aller et au retour de Rome étaient l’occasion de rencontrer et de converser avec tous les princes et seigneurs des États italiens rencontrés sur son parcours : ducs de Savoie, de Parme, de Mantoue, de Modène, grand-duc de Toscane, etc. Tous ont été pendant de longues années, de 1595 aux années 161054, les correspondants de Du Perron, à travers des lettres très formelles, mais qui établissent aussi le statut du cardinal dans ces échanges. Celui-ci discutait avec eux de science, mais aussi des intérêts du roi de France en Italie55. Sur le chemin de Rome, il évoqua ainsi la situation de la France en l’Italie septentrionale et centrale avec ses interlocuteurs. L’abandon en 1601 de Saluces, dernier territoire français dans la péninsule, revenait au cœur de toutes les discussions et le grand-duc de Toscane considérait que désormais l’Italie était tenue en esclavage au point qu’il lui proposait de s’appuyer sur les Vénitiens pour faire pleuvoir de l’argent sur la Curie romaine afin que le roi reprît pied à Saluces56. Du Perron, comme Baronius57, semblait parfaitement convaincu de cette position58, mais il devait composer avec le réalisme de Henri IV, ce qui ne l’empêchait pas, si l’occasion se présentait, d’essayer de peser çà et là, comme à Gênes où il poussait, en vain, pour un changement de gouvernement pour arracher la République de Saint-Georges à l’orbite espagnole59.

  • 60 Du Perron Jacques Davy, Lettre au roy sur l’estat des affaires de Venise, Rome, 5 avril 1607, in Œu (...)
  • 61 Ibid., p. 876.
  • 62 Ambassades, p. 361-364, Du Perron à Henri IV, Rome, 3 juin 1605, à la p. 362.
  • 63 Ibid., p. 498-500, Du Perron à Philippe de Fresne-Canaye, Rome, 5 août 1606, à la p. 499.
  • 64 Voir dans ce volume la contribution de Nicolas Schapira. Voir aussi Poncet Olivier, « Raison d’État (...)
  • 65 Ambassades, p. 464-466, Du Perron à Henri IV, Rome, 18 avril 1606, à la p. 465.
  • 66 Ibid., p. 508-509, Du Perron à Henri IV, Rome, 4 septembre 1606, à la p. 509.

18La crise de l’Interdit de Venise fut pour Du Perron une occasion unique de conjuguer l’ensemble de ses vues en soutenant les intérêts géopolitiques de la France tout en amenant la papauté à sauver son avenir. Pour Du Perron en effet, le parallèle entre la sortie de crise française de 1595 et l’issue de la confrontation avec Venise devait épargner les mêmes dangers au Saint-Siège. Mieux valait des concessions, qui pouvaient asseoir une alliance durable et favorable à l’indépendance du pape, que de risquer une hérésie ou un schisme par une rigidité inutile et imprudente qui avait été celle de Léon X et de Clément VII face à Luther ou Henri VIII60. Comme il avait de la suite dans les idées, Du Perron alternait auprès du pape des considérations concrètes sur l’insuffisance des réserves du trésor du Château Saint-Ange pour soutenir la guerre61 et sur l’intérêt qu’il y avait à sortir par le haut de la crise avec Venise à l’occasion d’une union de l’Italie contre les Espagnols dont il entretenait le pape depuis longtemps62 : « Si ceste chaisne a à se forger, il faudra que le fer s’en batte principalement à Venise63. » On crédite souvent Du Perron d’un rôle décisif dans l’issue de la crise : c’est là un point qui mérite d’être sans doute nuancé, ne serait-ce que pour prendre la vraie mesure d’une œuvre de propagande semée par la publication de ses œuvres et correspondances après son décès64. Il est ainsi assez remarquable que le cardinal, si allant par ailleurs, se soit fait porter pâle lorsque le pape recueillit l’avis des cardinaux avant le décret d’excommunication de Venise en avril 160665. Ce qui est certain en revanche, et sa correspondance en fait foi, c’est qu’il a perçu dès le départ que le conflit allait devenir une affaire européenne d’une importance considérable66. Visionnaire, tenace, le cardinal du Perron ne transforme pas toujours l’essai qui s’offre à lui. Une fois rentré en France, il démontra également cette incapacité à aller rudement au bout de ses combats.

Le cardinal de la Sainte Église romaine et le pouvoir des clés : échec au pape ?

  • 67 Sur cette séquence de la vie de Du Perron, ici réduite au minimum, voir dans ce volume la contribut (...)
  • 68 Collection de procès-verbaux, op. cit., t. II, p. 3 (1610, en tant qu’« agrégé » et non pas comme é (...)
  • 69 Ibid., t. I, p. 784.
  • 70 Ibid., t. II, p. 26 ; l’archevêque de Reims et le cardinal de Sourdis obtinrent également des remis (...)
  • 71 Bergin Joseph (The Making, op. cit., p. 615) parle d’une « magnetic figure […], even though his wid (...)
  • 72 Poncet Olivier, La France et le pouvoir pontifical, op. cit., p. 628 note.

19À son retour en France, Du Perron après avoir été le protecteur diplomatique et curial des intérêts du roi à Rome et en Italie se montra attaché à prendre la défense du pouvoir pontifical dans le royaume67. Entre 1610 et 1615, Du Perron qui était entré au Conseil de régence après la mort de Henri IV, fut sollicité chaque année pour répliquer aux attaques dont le Saint-Siège était l’objet, soit pour défendre une publication qui lui était favorable, soit pour éteindre ou marginaliser des positions qui lui étaient contraires. Il est à noter que si Du Perron ne participa à aucune assemblée du clergé avant son départ pour Rome en 1604, il n’en manqua aucune, petite ou grande, après son retour68. Il fit même approuver le principe d’une invitation permanente de l’archevêque de Sens au même titre que l’évêque de Paris, en arguant du fait qu’il possédait à Paris un hôtel et un vicaire69. Il tenait dans ces assemblées une place éminente, en tant que cardinal, archevêque et grand aumônier. Son action en faveur de l’affermissement du pouvoir de Henri IV lui tenait lieu de titre de gloire : dès 1610, à l’occasion d’une remise de décimes, des lettres patentes royales rappelaient « la réconciliation faite du feu roi avec Sa Sainteté et instruction à la religion catholique, conférence faite à Fontainebleau et plusieurs signalés services écrits dont il a voulu honorer le royaume70 ». Il n’est pas erroné d’affirmer qu’il fut le vrai patron de l’Église de France durant la régence de Marie de Médicis, même s’il s’agissait davantage d’un rôle de prestige plus que de poids politique71, comme lorsqu’il consacra en 1608 le nonce Roberto Ubaldini (v. 1578-1635), le petit-neveu du pape Léon XI, nommé archevêque de Montepulciano, ou lorsqu’il apporta son témoignage en 1612 au procès d’information de l’évêque de Langres Sébastien Zamet (1588-1655)72.

  • 73 De Franceschi Sylvio, La crise théologico-politique du premier âge baroque. Antiromanisme doctrinal (...)

20L’appui qu’il apporta à la papauté durant cette période témoigne naturellement de son engagement au service d’une catholicité qui ne pouvait être qu’unie à son centre romain, ainsi qu’il l’avait dit dans sa célèbre lettre à Isaac Casaubon : « Le nom de catholique n’est pas un nom de simple créance, mais de communion73. » Dans le même temps, chacune de ses affirmations s’accompagnait d’un élément qui en nuançait la vigueur, voire qui portait en lui une forme d’affaiblissement.

  • 74 Ibid., p. 400.

21En 1610, il approuva hautement le traité de Bellarmin De potestate summi pontificis et proposa même à Paul V de souscrire, avec tous les cardinaux français et quelques archevêques et prélats du royaume, une déclaration par laquelle ce traité serait autorisé comme conforme aux canons de l’Église. Mais rien ne fut fait, laissant la porte ouverte à de futurs développements. En 1611, Du Perron eut beau qualifier de « pure hérésie » la thèse de l’avocat général Louis Servin qui soutenait que l’on pouvait rompre le secret de la confession pour révéler un complot contre le prince, il échoua à le faire condamner et Servin demeura en charge pour de longues années encore74.

  • 75 Ibid., p. 412.
  • 76 Pierre Benoist, La monarchie ecclésiale. Le clergé de cour en France à l’époque moderne, Seyssel, C (...)
  • 77 De Franceschi Sylvio, La crise théologico-politique, op. cit, p. 519.

22En 1611-1612, les débats suscités par le syndic de Sorbonne Edmond Richer se soldaient certes par un point final donné par Du Perron, mais Richer avait réussi à porter ses thèses au-delà des murs de la Faculté de théologie et avait intéressé à son combat le premier président du parlement de Paris qui lui avait apporté son soutien. Et même lorsque Du Perron paraissait gagner à plate couture, en réalité il cédait du terrain. Il fit ainsi condamner les thèses de Richer par le concile provincial de Sens réuni sous sa direction en 1612, mais il fut contraint d’assortir le texte d’une réserve qui préservait les libertés gallicanes, ce qui revenait à en affaiblir considérablement la portée75. Benoist Pierre n’a pas tort ici de lire dans cette volonté d’ajouter cette restriction la force de l’habitude d’un prélat de cour76. Même le nonce Ubaldini était obligé de convenir que Du Perron avait en l’occurrence été trop précautionneux et donc ambigu77.

  • 78 Voir la contribution dans ce volume de James Collins et Mark Greengrass.
  • 79 Ambassades, p. 708, Paul V à Du Perron, Rome, 31 janvier 1615.
  • 80 De Franceschi Sylvio, La crise théologico-politique, op. cit., p. 321, 892 et suiv. et 908.
  • 81 Pierre Benoist, Le Père Joseph. L’Éminence grise de Richelieu, Paris, Perrin, 2007, p. 67-94.
  • 82 Du Perron Jacques Davy, Harangue, op. cit., p. 636.
  • 83 Ibid., p. 642.

23En 1615, enfin, dans sa critique de l’article premier du Tiers où il déniait aux États généraux78 la capacité à empêcher que le pape ait le droit de déposer les princes hérétiques ou schismatiques et à délier les sujets de leur serment de fidélité, Du Perron paraissait comme gêné. En dépit d’une harangue convaincante sur le plan oratoire et dont le pape le félicita par un bref79, le cardinal-archevêque de Sens n’avait pu s’empêcher de dire que la proposition en question lui paraissait problématique (au sens où l’entendaient les théologiens) plutôt que de la condamner plus abruptement80. N’avait-il pas alors en tête le jeune prélat qu’il était en 1591 et qui avait protesté contre les ingérences de la papauté dans un royaume qui demandait avant tout du temps pour se mettre en conformité avec son appartenance à la communion romaine ? Il n’avait pas défendu autrement les positions de la République de Venise en 1606-1607, en plaidant pour l’écoute, la patience et l’intérêt bien compris de chacun. On pourra y voir le réflexe d’un controversiste. On pourra aussi y lire la hantise de la guerre civile, qui étreignait à la même époque un Père Joseph81. Il ne craignait d’exalter un patriotisme en des termes plutôt rares dans la bouche d’un prélat du temps : « Je suis français et fils de Français, et n’ay jamais regardé que les roys. Je n’ay jamais en faict d’Estat, jetté les yeux sur autres, et s’il plaist à Dieu me conserver l’esprit sain, ne les tourneray jamais ailleurs82. » Dans sa harangue, enfin, il avait ainsi loué les vertus des édits de tolérance en expliquant que par rapport à l’Angleterre, les sujets du roi de France jouissaient d’une « liberté de conscience83 ».

  • 84 De Franceschi Sylvio, La crise théologico-politique, op. cit., p. 874.
  • 85 Pierre Benoist, La monarchie ecclésiale, op. cit., p. 313.
  • 86 Blet Pierre, « Fidèle au pape, fidèle au roi », in Yves Durand (dir.), Hommage à Roland Mousnier. C (...)

24On pourra enfin y voir un prélat profondément attaché au siège romain et en même temps conscient du rôle historique d’une monarchie à laquelle il avait donné le meilleur de lui-même. Ainsi s’explique l’angle sous lequel il dénonçait les thèses richéristes comme comportant en elles-mêmes une menace qui s’étendait de l’Église au roi et à l’État84. Un demi-siècle avant Bossuet, Du Perron s’y révèle un partisan déclaré de l’absolutisme, mais d’un absolutisme articulé et double, celui du pape comme celui du roi. En resacralisant l’espace curial et l’ensemble de l’État85, Du Perron secondait objectivement le projet monarchique des Bourbons. Sans doute n’était-il pas suffisamment conscient qu’il était impossible à terme de tenir l’équilibre entre les deux pouvoirs, surtout lorsque les deux camps choisissaient de pousser au maximum les feux de la controverse. Si l’on pouvait rester fidèle au pape et fidèle au roi86 et illustrer à certains égards l’oxymore du gallican ultramontain, l’exemple de la vie de Du Perron faisait objectivement pencher la balance en faveur du roi.

Notes

1 Bergin Joseph, The Making of the French Episcopate, 1589-1661, New Haven/Londres, Yale University Press, 1996.

2 Pour l’intelligence de cette destinée, on verra la contribution de Joseph Bergin dans ce volume.

3 Voir dans ce volume la contribution de Sylvio De Franceschi.

4 La harangue faite par le roy Henry troisieme de France et de Polongne à l’ouverture de l’assemblée des trois estats generaux de son royaume […], Lyon, Jean Pillehotte, 1588. Sur ce texte, voir dans ce volume la contribution de Alexandre Goderniaux.

5 L’Examen pacifique de la doctrine des huguenots (Caen, 1590) qui lui est attribué évoque la figure du pape, mais il a été démontré que ce traité n’est pas de lui, mais de Henry Constable : Wootton David, Paolo Sarpi, between Renaissance and Englightenment, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 165 ; Higman Francis M., « The Examen pacifique de la doctrine des huguenots, Jacques Davy Du Perron and Henri IV », Australian Journal of French studies, vol. 31, no 3, p. 326-347.

6 Collection des procès-verbaux des assemblées générales du clergé de France […], t. I, Paris, Guillaume Desprez, 1757, p. 512 et pièces justificatives, p. 144.

7 Bergin Joseph, The Making, op. cit., p. 376.

8 Penzi Marco, « L’histoire tragique et mémorable de Claude de Sainctes, évêque d’Évreux », Cahiers du Centre de recherches historiques, no 44, 2009, p. 9-26 ; Bergin Joseph, The Making, op. cit., p. 384.

9 Du Perron a participé à diverses conférences de médiation avec les ligueurs (Collection des procès-verbaux, op. cit., t. I, p. 519).

10 Lettres de Henri IV concernant les relations du Saint-Siège et de la France, 1595-1609, éd. Bernard Barbiche, Cité du Vatican, Biblioteca apostolica vaticana, coll. « Studi e Testi », 1968, p. 3, no 1, Henri IV au cardinal de Saint-Georges, Fontainebleau, 9 mai 1595.

11 Ibid., p. 3, no 2, Henri IV à Clément VIII, [au camp de] Travecy, 17 novembre 1595.

12 Lettres du cardinal d’Ossat, 5 vol., Amsterdam, Pierre Humbert, 1708, t. I, Ossat à Villeroy, Rome, 18 décembre 1595, p. 513-520, à la p. 516. Notons à ce propos qu’il s’agit là d’une des rares erreurs de date relevées dans la Hierarchia catholica qui mentionne le 11 décembre « 1591 » (t. III, p. 190) et « 1592 » (t. IV, p. 179).

13 Ibid., p. 517. Du Perron fut consacré par François de Joyeuse, qui fut plus tard son métropolitain en tant qu’archevêque de Rouen, à Saint-Louis-des-Français le 27 décembre suivant, assisté de Guillaume d’Avançon, archevêque d’Embrun et d’Anne d’Escars de Givry, évêque du diocèse voisin de Lisieux.

14 Poncet Olivier, La France et le pouvoir pontifical (1595-1661). L’esprit des institutions, Rome, École française de Rome, coll. « Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome », 2011, p. 225.

15 Gallia christiana, t. XI, col. 615.

16 Poncet Olivier, La France et le pouvoir pontifical, op. cit., p. 637 et suiv.

17 Bergin Joseph, The Making, op. cit., p. 138 et suiv.

18 Par un concordat avec ses moines conclut le 9 septembre 1604, il organise le partage des biens (Guéry Charles, Histoire de l’abbaye de Lyre, Évreux, Impr. de l’Eure, 1917, p. 228) et promet de faire homologuer le concordat par Rome, moyennant… 100 livres de rente viagère, ce qui lui fut accordé en vertu d’une supplique signée le 25 septembre 1605 (ibid.).

19 Ambassades, p. 188, Du Perron à Henri IV, Condé, 19 juin 1604.

20 Bergin Joseph, The Making, op. cit., p. 554-555.

21 Ambassades, op. cit., p. 476-477, Du Perron à Villeroy, Rome, 17 mai 1606.

22 Gallia christiana, t. XII, p. 124.

23 Bergin Joseph, The Making, op. cit., p. 111-112.

24 Un premier bref du 9 octobre 1606 lui accordait deux ans lors de son transfert à Sens (Hierarchia catholica, t. IV, p. 179), puis un second du 3 septembre 1607 lui redonnait encore deux ans (ibid.).

25 Guillaume fut évêque d’Évreux jusqu’à son décès en 1613, son neveu François lui succéda jusqu’à sa propre disparition en 1646 et un autre François, neveu du précédent, fut évêque d’Angoulême de 1647 à 1689. François de Montmorency-Laval, le premier évêque de Québec, leur était apparenté.

26 Aristide Isabelle, La fortune de Sully, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, coll. « Histoire économique et financière de la France », 1990, p. 137. Voir aussi la curieuse Lettre de M. D. L. R. écrite à M. A. C. D. V. au sujet du marquis de Rosny, depuis duc de Sully etc., contenant quelques remarques historiques etc., du 29 février 1732 publiée dans le Mercure de France, juillet 1732, p. 1501-1510.

27 Gallia christiana, t. XII, p. 96.

28 Gallia christiana, t. XI, col. 651, et t. XII, col. 99. Une partie des manuscrits d’étude de Du Perron était encore conservée à Saint-Taurin d’Évreux lorsque Julien Bellaise en dressa un catalogue en 1689 (BnF Lat. 13073, fo 76-84) : on y trouvait des volumes rapportés de son séjour romain comme un traité sur la musique de la fin du xvie siècle (ibid., fo 83 ro, no 29) ou quatre tomes d’actes du procès de canonisation de sainte Françoise Romaine de 1403 à 1604 (ibid., nos 33 à 36). À la fin du xixe siècle, il ne subsistait plus à la BM d’Évreux, affectataire de cette bibliothèque abbatiale, qu’un manuscrit latin et cinq grecs qui en provenaient (Omont Henri, « Manuscrits de la bibliothèque d’Évreux », in Catalogue des manuscrits des bibliothèques publiques de France, t. II, Paris, 1888, p. 379-465, à la p. 384).

29 Du Perron Jacques Davy, Harangue faitte de la part de la chambre ecclesiastique en celle du tiers estat sur l’article du serment, in Œuvres, p. 593-647, à la p. 637.

30 Poncet Olivier, La France et le pouvoir pontifical, op. cit., p. 600 note.

31 Ambassades, p. 116-117, Du Perron à Pietro Aldobrandini, Condé, 10 février 1604.

32 Ibid., p. 25-32, Du Perron à Henri IV, Rome, 17 janvier 1596, aux p. 29-32, et p. 32-37, id. à id., s. l. n. d., aux p. 34-36.

33 Hierarchia catholica, t. IV, p. 7-8.

34 Ambassades, p. 42-43, Du Perron à Ossat, Ancône, 1595, à la p. 42.

35 Ibid., p. 366-368, Du Perron à Henri IV, Rome, 14 juin 1605, à la p. 366.

36 Barbiche Bernard, « L’influence française à la cour pontificale sous le règne de Henri IV », Mélanges d’archéologie et d’histoire, no 77, 1965, p. 277-299, réimpr. in Barbiche Bernard, Bulla, legatus, nuntius. Études de diplomatique et de diplomatie pontificales (xiiie-xviie siècle), Paris, École des chartes, coll. « Mémoires et documents de l’École des chartes », 2007, p. 509-533.

37 Ibid., p. 520.

38 Ambassades, p. 351, Villeroy à Du Perron, Paris, 3 juin 1605.

39 Ibid., p. 424-429, Du Perron à Henri IV, Rome, 4 octobre 1605, à la p. 427.

40 Ibid., p. 428.

41 Ibid., p. 473-475, Du Perron à Henri IV, Rome, 17 mai 1606, à la p. 474.

42 Emich Birgit, Bürokratie und Nepotismus unter Paul V. (1605-1621). Studien zur frühneuzeitlichen Mikropolitik in Rom, Stuttgart, Hiersemann, « Päpste und Papsttum », 2001 ; Reinhard Wolfgang, Paul V. Borghese (1605-1621). Mikropolitische Papstgeschichte, Stuttgart, Hiersemann, coll. « Päpste und Papsttum », 2009.

43 Reinhardt Volker, Kardinal Scipione Borghese (1605-1633). Vermögen, Finanzen und sozialer Aufstieg eines Papstnepoten, Tübingen, Niemeyer, coll. « Bibliothek des Deutschen historischen Instituts in Rom », 1984.

44 Ambassades, p. 401-415, Du Perron à Henri IV, Rome, 7 septembre 1605, à la p. 406.

45 Ibid., p. 413-414. Paolo Costa demeura de fait en poste jusqu’en juin 1606 et fut remplacé non par celui que voulait y placer Clément VIII en septembre 1605 mais par Pietro Francesco Costa (Le istruzioni generali di Paolo V ai diplomatici pontifici 1605-1621, éd. Silvano Goirdano, 3 vol., Tübingen, Niemeyer, 2003, t. I, p. 6).

46 Ambassades, p. 274-277, Du Perron à Henri IV, Rome, 25 janvier 1605, à la p. 274.

47 Ibid., p. 417-419, Du Perron à Henri IV, Rome, 20 septembre 1605, à la p. 419 ; ibid., p. 447-448, id. à id., Rome, 28 décembre 1605 ; ibid., p. 492-494, id. à id., Rome, 11 juillet 1606, à la p. 493.

48 Voir dans ce volume la contribution de Marie-Cécile Pineau.

49 Ambassades, p. 424-429, Du Perron à Henri IV, Rome, 4 octobre 1605, à la p. 425.

50 Ibid., p. 425-426.

51 Ibid., p. 439-444, Du Perron à Henri IV, Rome 14 décembre 1605, à la p. 440.

52 Barbiche Bernard, Sully, Paris, A. Michel, coll. « L’aventure humaine », 1978 p. 100.

53 Ambassades, p. 260-268, Du Perron à Henri IV, Rome, 12 janvier 1605, à la p. 268.

54 Ibid., p. 680 et suiv., nombreuses lettres de condoléances adressées à Du Perron après la mort de Henri IV en provenance d’Italie (pape, grand-duc Toscane, duc de Savoie, duc d’Urbino, duc de Mantoue, duc de Parme, etc.). Par ailleurs, plusieurs lettres de correspondants italiens, y compris expédiées à Du Perron après son retour en France, n’ont pas été imprimées dans Ambassades, mais sont conservées en original dans les volumes BnF Dupuy 286 et 591.

55 Ambassades, p. 55, Du Perron à la grande-duchesse de Toscane, Paris, s. d. ; ibid., p. 56, Du Perron au duc de Mantoue, Paris, s. d. Son voyage vers Rome, qui fut aussi l’occasion d’une négociation diplomatique à l’échelle de l’Italie septentrionale et centrale, Du Perron arriva incognito à Turin (se faisant appeler évêque de Louviers, sic) et fut reçu par le duc de Savoie (Ambassades, p. 253-255, Du Perron à Villeroy, Turin, 22 novembre 1604), puis à Florence (ibid., p. 255-256, id. à id., Florence, 8 décembre 1604), Mantoue, Parme, Modène (ibid., p. 260-268, Du Perron à Henri IV, Rome, 12 janvier 1605).

56 Ibid., p. 260-268, Du Perron à Henri IV, Rome, 12 janvier 1605, aux p. 262 et suiv.

57 Ibid., p. 274-277, Du Perron à Henri IV, Rome, 25 janvier 1605, à la p. 275.

58 Ibid., p. 277.

59 Ambassades, p. 439-444, Du Perron à Henri IV, Rome, 14 décembre 1605, à la p. 442.

60 Du Perron Jacques Davy, Lettre au roy sur l’estat des affaires de Venise, Rome, 5 avril 1607, in Œuvres, p. 872-881.

61 Ibid., p. 876.

62 Ambassades, p. 361-364, Du Perron à Henri IV, Rome, 3 juin 1605, à la p. 362.

63 Ibid., p. 498-500, Du Perron à Philippe de Fresne-Canaye, Rome, 5 août 1606, à la p. 499.

64 Voir dans ce volume la contribution de Nicolas Schapira. Voir aussi Poncet Olivier, « Raison d’État et expérience diplomatique. La publicité éditoriale des négociations internationales en France sous le règne de Louis XIII », in Stefano Andretta, Lucien Bély, Alexander Koller et Géraud Poumarède (dir.), Esperienza e diplomazia. Saperi, pratiche culturali e azione diplomatica nell’età moderna (xv-xviii secc.). Expérience et diplomatie. Savoirs, pratiques culturelles et action diplomatique à l’époque moderne (xve-xviiie siècles), Rome, Viella, coll. « Studi e Ricerche », 2020, p. 315-339.

65 Ambassades, p. 464-466, Du Perron à Henri IV, Rome, 18 avril 1606, à la p. 465.

66 Ibid., p. 508-509, Du Perron à Henri IV, Rome, 4 septembre 1606, à la p. 509.

67 Sur cette séquence de la vie de Du Perron, ici réduite au minimum, voir dans ce volume la contribution de James Collins et Mark Greengrass et celle de Sylvio De Franceschi.

68 Collection de procès-verbaux, op. cit., t. II, p. 3 (1610, en tant qu’« agrégé » et non pas comme élu), 31 (1612), 69 (1614), 235 (1615) et 299 (invité, mais absent pour cause de maladie).

69 Ibid., t. I, p. 784.

70 Ibid., t. II, p. 26 ; l’archevêque de Reims et le cardinal de Sourdis obtinrent également des remises de décimes.

71 Bergin Joseph (The Making, op. cit., p. 615) parle d’une « magnetic figure […], even though his wider influence on royal church patronage remains difficult to establish ».

72 Poncet Olivier, La France et le pouvoir pontifical, op. cit., p. 628 note.

73 De Franceschi Sylvio, La crise théologico-politique du premier âge baroque. Antiromanisme doctrinal, pouvoir pastoral et raison du prince : le Saint-Siège face au prisme français, 1607-1627, Rome, École française de Rome, coll. « Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome », 2009, p. 390. Voir aussi la contribution dans ce volume de Jean-Louis Quantin.

74 Ibid., p. 400.

75 Ibid., p. 412.

76 Pierre Benoist, La monarchie ecclésiale. Le clergé de cour en France à l’époque moderne, Seyssel, Champ Vallon, coll. « Époques », 2013 p. 329.

77 De Franceschi Sylvio, La crise théologico-politique, op. cit, p. 519.

78 Voir la contribution dans ce volume de James Collins et Mark Greengrass.

79 Ambassades, p. 708, Paul V à Du Perron, Rome, 31 janvier 1615.

80 De Franceschi Sylvio, La crise théologico-politique, op. cit., p. 321, 892 et suiv. et 908.

81 Pierre Benoist, Le Père Joseph. L’Éminence grise de Richelieu, Paris, Perrin, 2007, p. 67-94.

82 Du Perron Jacques Davy, Harangue, op. cit., p. 636.

83 Ibid., p. 642.

84 De Franceschi Sylvio, La crise théologico-politique, op. cit., p. 874.

85 Pierre Benoist, La monarchie ecclésiale, op. cit., p. 313.

86 Blet Pierre, « Fidèle au pape, fidèle au roi », in Yves Durand (dir.), Hommage à Roland Mousnier. Clientèles et fidélités à l’époque moderne, Paris, PUF, 1981, p. 315-332 ; Tallon Alain, Conscience nationale et sentiment religieux en France au xvie siècle. Essai sur la vision gallicane du monde, Paris, PUF, coll. « Le nœud gordien », 2002, p. 162 (à propos d’Arnaud Du Ferrier).

Auteur

Olivier Poncet est professeur à l’École des chartes (« Histoire des institutions, archives et diplomatique de l’époque moderne ») et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (« Pratiques et théories des archives »). Son dernier ouvrage paru est Mazarin, l’art de gouverner, Paris, Perrin/BnF, 2021.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search