Chapitre VI. Le Parlement et l’organisation d’une administration de la Marine à la hauteur des enjeux navals
p. 265-314
Texte intégral
1Après l’échec du ministère Aube à entreprendre des réformes profondes de l’administration de la Marine, le Parlement montre une nouvelle volonté d’obtenir une évolution des structures administratives de la Royale afin d’en diminuer les coûts.
2Les commissions permanentes de la Marine installées en 1890-1891 répondent d’abord à l’idée d’organiser les personnels de la Royale dans le cadre de la loi. L’organisation administrative des services de la flotte fait fondamentalement partie des compétences du pouvoir exécutif. Pour autant, le Parlement ne ferme pas la porte à l’idée de légiférer en la matière et refuse de limiter les compétences des commissions de la Marine aux seules questions de personnels. C’est ce que les autorités de la rue Royale semblent comprendre lorsque le ministre-amiral Lefèvre nomme une nouvelle commission extraparlementaire de la Marine en 1894, pour désamorcer les critiques parlementaires contre l’administration de la Marine.
3Les mêmes élus qui s’affirment au Parlement sur les questions de stratégie navale posent la question des réformes administratives de la Marine, nécessaires pour basculer une partie des dépenses administratives vers des dépenses de construction navale. Une fois ministres, Lockroy, Lanessan et Delcassé imposent donc d’importantes réformes à l’organisation de la rue Royale et aux administrations locales de la Marine.
4Avec de telles personnalités en son sein, il convient donc d’étudier désormais l’influence du Parlement sur les réformes administratives engagées dans la Marine à partir du milieu des années 1890 et jusqu’en 1914. Une fois de plus, il s’agit d’identifier les principaux protagonistes de l’action parlementaire en la matière, les jeux d’influences opérés par les groupes de pression et les mécanismes parlementaires régis par les actions conjointes des différentes commissions et des deux chambres.
Un intérêt grandissant du Parlement pour l’administration de la Marine (1889-1895)
La pression de plus en plus importante de la commission du budget
5Depuis le rapport Lamy de 1878, la commission du budget est le centre des critiques parlementaires formulées contre l’administration de la Marine. Dans les années 1880, elles sont portées par les présidents de la commission du budget et par les rapporteurs des budgets de la Marine. Dans la première moitié des années 1890, le cercle des parlementaires critiquant l’administration de la rue Royale au sein de la commisison s’élargit alors que de nouvelles personnalités politiques prennent le relais de Gerville-Réache.
6Le député de la Guadeloupe, rapporteur du budget de la Marine en 1885, 1888 et 1889 est réélu aux élections législatives de septembre-octobre 1889. Réintégrant la commission du budget, il retrouve la fonction de rapporteur de la Marine en 1890 et 1893. Au sein de la commission pour l’exercice 1891, il poursuit ses critiques traditionnelles contre l’administration de la Royale. Il réclame ainsi une diminution des effectifs du commissariat et propose de sanctionner la gestion des approvisionnements par une diminution de 300 000 francs sur le chapitre concerné. Il critique également la gestion comptable du programme de constructions neuves et veut contraindre le ministre de la Marine à vendre les vieilles matières pour participer au financement de ces constructions. Il est appuyé dans ses critiques par Antonin Dubost et par le contre-amiral Vallon (opportuniste, Sénégal), qui « attribue [au commissariat] une influence néfaste dans la Marine et qu’il rend responsable des fautes de comptabilité1 ». Le rapport sur le budget de la Royale de 1891 rédigé par Gerville-Réache s’évertue à défendre l’intérêt de spécialiser les ports militaires afin de réduire les frais généraux. Il développe ensuite ses accusations contre « le système défectueux des approvisionnements de la Marine ». Cette dernière continuant à accumuler des stocks de matières et d’objets dans ses magasins au point d’en rendre une bonne partie inutilisable, le rapporteur réclame une enquête dans ces magasins afin de rendre compte précisément des stocks existants. Gerville-Réache reproche également à la Marine le cloisonnement entre l’administration des magasins et les directeurs des travaux : « Bien des achats eussent été évités si les services des consommateurs avaient eu connaissance des existants2. » Il encourage la rue Royale à suivre les conclusions faites par le directeur des constructions navales Vidal, employé de la Marine à Paris et membre de la commission permanente des machines et du grand outillage3 : tenir un inventaire précis des objets et matières en stocks et le porter à la connaissance des directeurs des constructions avant qu’ils puissent juger de la nécessité ou non d’effectuer de nouvelles commandes ; vendre au meilleur prix possibles les vieilles matières de la Marine. Le rapporteur s’attaque enfin aux irrégularités budgétaires et à l’indépendance de l’administration de la Marine devant les volontés parlementaires. Il observe en effet que l’administration centrale couvre les irrégularités budgétaires des arsenaux : ainsi, au port de Toulon, 600 000 francs dédiés à la construction du cuirassé Charles Martel sont portés du chapitre 20 (achats pour constructions navales) au chapitre 18 (achats pour entretien et service courant) ; l’administration centrale se charge des artifices budgétaires nécessaires pour rétablir les lignes votées par le Parlement, illustrant ainsi le décalage entre les livres comptables et la réalité de l’activité des arsenaux4.
7En 1892, le rapport de la Marine échoit au radical Henri Brisson, sur la proposition de Gerville-Réache. Les critiques du nouveau rapporteur sur l’administration sont relativement modérées, la priorité de son travail se concentrant sur la définition d’un nouveau programme de construction navale. Mais Brisson est toutefois interpellé par l’inefficacité de l’administration de la Royale5. La difficulté de se rendre compte de la gestion de la Marine à partir de ses comptes provoque un conflit entre le rapporteur Brisson et le ministre Édouard Barbey. Ce conflit se solde par la démission de Brisson après le refus de la commission de lui voter la confiance et de s’engager dans un conflit avec le ministre6. Brisson est remplacé dans sa fonction de rapporteur par Cochery, officier d’artillerie élu député opportuniste du Loiret, qui rédige un rapport prenant soin de laisser de côté les problèmes liés à l’administration de la Marine7. L’année suivante, le rapport sur le budget de la Marine, rédigé par Gaston Thomson (opportuniste, Constantine) est relativement édulcoré sur la question des approvisionnements, des vieilles matières et du gaspillage généralisé dont l’administration de la Marine est responsable malgré les débats ayant eu lieu en commission8.
8Avec le nouvel investissement de députés radicaux dans l’étude du budget de la Marine, les critiques de la commission du budget à l’encontre de l’administration de la rue Royale se teintent d’idéologie. Les républicains radicaux qui investissent désormais en nombre la commission du budget voient dans la Marine un regroupement d’esprits conservateurs, rétifs aux changements et surtout à la République et au pouvoir du Parlement. La charge est donnée par Henri Brisson en novembre 1894. Après son échec de 1892, Brisson retrouve le rapport du budget de la Marine, soutenu par une commission plus à gauche que celle de 1892 : 15 députés sur 33 appartiennent à des tendances républicaines radicales voire socialistes. Si Brisson n’appartient pas encore au groupe républicain radical, son passé gambettiste et ses prises de position au sein du groupe des républicains opportunistes le rapprochent des radicaux9. Dans le rapport qu’il rédige sur le budget de la Marine et qui est adopté par la commission, la critique de l’administration de la Marine est plus violente encore que dans les rapports précédents :
« C’est l’administration elle-même qu’il faut renouveler, c’est l’organisation même du département qu’il faut modifier, organisme qui date d’un autre âge, qui a créé toute une école d’administrateurs vivant de l’esprit d’une autre époque, dont la prétention est de rester un monde à part, impénétrable à tout ce qui n’est pas lui ; il redoute par-dessous tout la vulgarisation et le débat ; à l’heure où une publicité bienfaisante, quoi qu’on en dise, fait pénétrer partout la lumière, la Marine garde secrets des documents qui, ailleurs sont rendus publics, et diminue les indications donnée par ces documents10. »
9Il s’attaque à la culture de l’« à-peu-près » qui règne dans l’administration de la Marine et qui rend impossible toute étude de sa comptabilité. Finalement, Brisson reproche au département de la Marine son refus de se soumettre à la volonté du Parlement et à travers cette attitude, son antirépublicanisme. Aux yeux de Brisson, la solution est donc de réformer l’ensemble de l’administration de la Marine et non pas une simple partie comme cela a déjà été tenté. Mais cela dépasse le cadre d’un simple rapport sur le budget de la Marine et Brisson encourage donc les députés à légiférer en la matière. Dans un premier temps, il propose donc à la Chambre de faire appliquer à la Royale la loi de 1882 sur l’administration de l’Armée. Il dépose le même jour que son rapport, une proposition de loi dans ce sens11. Celle-ci suggère de faire cesser « le contrôle de l’administration par les administrateurs eux-mêmes » en organisant trois sections autonomes les unes par rapport aux autres : la direction, la gestion et le contrôle.
10L’année suivante, la nouvelle commission du budget pour l’exercice 1896 conserve les mêmes équilibres politiques que la commission précédente. Quinze membres sur 33 appartiennent à la gauche radicale ou socialiste. Président de la Chambre depuis décembre 1894, Henri Brisson ne fait plus partie de la commission du budget. Quant à Gerville-Réache, il semble avoir perdu la main sur la Marine face aux républicains plus radicaux : le rapport échoit à Camille Pelletan, soutenu par le nouveau président de la commission Édouard Lockroy. Ces deux députés s’imposent alors au Parlement comme des partisans assumés de la Jeune École, en lieu et place de Gerville-Réache. Mais, contrairement à Aube et aux résultats de son action au ministère, les deux députés radicaux-socialistes estiment que la réforme de l’administration est fondamentale pour repenser la Marine dans son ensemble12. La discussion sur le budget de la Marine a lieu en octobre 189513. Lockroy et Pelletan imposent à la commission leur façon de procéder : le premier divise les discussions pour que l’administration de la Royale soit débattue à part ; le second impose face à Gerville-Réache, une discussion générale sur une diminution des crédits. Pelletan préconise à la commission la réforme de la comptabilité de la Marine qui serait tenue par « les gens de métier » et qui simplifierait ses écritures avec l’objectif d’aboutir à une « comptabilité par bâtiments basée sur le prix réel ». Pelletan s’insurge également devant la commission contre le désordre dans les arsenaux où les détournements de matières se multiplient.
11Le rapport adopté par la commission est truffé d’exemples pour démontrer le caractère antirépublicain de l’administration de la Marine et l’inefficacité de la gestion de celle-ci qui multiplie les gaspillages14. Il reproche ainsi les dépenses faites pour les officiers de marine qui peuplent à Paris, les nombreux comités du ministère. Ceux-ci sont pour Pelletan un exemple de la suprématie de l’autorité militaire sur le pouvoir civil à la rue Royale et coûtent inutilement chers. Les compétences de l’état-major général sont à ses yeux une abomination antidémocratique car cette institution est pour Pelletan un moyen de contrôle de l’autorité militaire sur le pouvoir civil à tous les niveaux hiérarchiques. Pelletan reprend également les critiques classiques à l’encontre de l’administration de la Marine : il dénonce le nombre de ports militaires et les frais généraux qu’ils engendrent. Il réprimande encore une fois la Marine sur la comptabilité de ses magasins qui rend impossible la connaissance de la valeur réelle des stocks. La gestion des magasins de la Marine fait l’objet d’un chapitre entier dans lequel Pelletan dénonce la confusion générale liée à la mauvaise tenue de la comptabilité. Pelletan dénonce enfin une administration de la Marine engoncée dans des habitudes bureaucratiques dénuées de toute logique. Cette déconnexion entre les bureaux de la rue Royale et les réalités locales provoque « de périlleux déficits dans les approvisionnements indispensables, bien qu’on ait pris au Trésor plus que les sommes nécessaires pour les avoir en bon état ». Le rapporteur illustre cette critique des commandes inutiles par ce que nous appellerons « le syndrome des chaussures de Cherbourg » :
« L’autorité compétente avait soigneusement recherché quelle étaient les plus grandes dimensions que pût atteindre un pied humain, et les plus petites auxquelles il pût se réduire. Elle avait régulièrement divisé l’intervalle en pointures échelonnées, et réparti l’approvisionnement entre ces pointures diverses avec un remarquable esprit d’égalité. On n’avait oublié qu’un détail : c’est que les dimensions extrêmes, ne convenant qu’à des pieds exceptionnels, ne seraient jamais utilisées, et que les autres, au contraire seraient épuisés rapidement. C’est ce qui s’est produit. Il a donc fallu renouveler les stocks. On semble l’avoir fait d’après le principe du début, en remplaçant par un assortiment complet et régulier de toutes les dimensions les chaussures disparues qui appartenaient presqu’exclusivement aux mesures moyennes. Ainsi les pointures extrêmes n’ont cessé de s’accroître, tandis que les autres s’épuisaient toujours. Aujourd’hui nous avons en magasin de quoi fournir largement aux besoins de la Marine d’un peuple de géants ou d’un peuple de nains. Mais il manque 20 000 paires au stock reconnu indispensable pour les marins de taille ordinaire15. »
12Finalement, le problème fondamental réside aux yeux de Pelletan dans l’ignorance du commissaire aux approvisionnements de la réalité des stocks existants. Chargé de remplir les magasins, il ignore ce qui en sort et les besoins réels des services consommateurs. Cela aboutit à des gaspillages de manière quasi automatique. Car soit le commissariat gère les commandes mais les matériaux commandés sont alors inadaptés aux besoins, soit ce sont les services compétents qui le font mais ceux-ci sont dans ce cas irresponsables, le commissaire apposant sa signature administrative.
13Aux côtés de la commission du budget, d’autres institutions parlementaires sont susceptibles d’émettre des critiques à l’encontre de l’administration de la Marine. La nouvelle commission de la Marine instituée par la résolution de la Chambre du 14 novembre 1890 est consciente de sa responsabilité en la matière mais préfère rester en retrait dans un premier temps. L’ensemble de la commission toutes tendances politiques, origines professionnelles ou origines géographiques confondues s’accorde sur les compétences de la nouvelle commission qui ne s’empare pas pour le moment des enjeux de l’administration navale, en particulier dans les arsenaux, mais s’en réserve le droit : il suffira que l’un de ses membres dépose une proposition de loi pour que la commission puisse mener son étude16.
14Au Sénat, la nouvelle commission de la Marine établie par la résolution du 22 janvier 1891, confirme ses compétences de la même manière que sa consœur de la Chambre et ne montre aucun intérêt pour les problèmes de l’administration de la Marine. Par contre, la commission des finances abandonne la discrétion qu’elle s’est imposée dans les années 1880 sur ces problèmes. L’arrivée de Barbey rue Royale en novembre 1889 et jusqu’en février 1892 semble libérer la parole au sein de la commission. En novembre 1890, le nouveau rapporteur du budget de la Marine Alfred Chardon mène l’audition du ministre Barbey, son prédécesseur dans la fonction de rapporteur17. Chardon est un avocat élu de Haute-Savoie et inscrit au groupe sénatorial de la Gauche républicaine, comme Barbey. Mais appartenant pour la première fois à la commission des finances, il n’a jamais travaillé avec Barbey sur le budget de la Marine et semble vouloir démontrer son talent en menant l’audition du ministre à charge. Deux jours avant cette audition, Chardon fait un état des lieux de l’administration de la Marine devant la commission, reprenant les rapports Lamy de 1878 et Gerville-Réache de 1890. Deux des trois points de discussion choisis par le rapporteur pour auditionner le ministre concernent l’administration de la Marine :
« 2o Les crédits affectés à l’administration générale ne sont-ils pas trop considérables si on les compare à ceux qui sont destinés aux constructions neuves ? 3o Quel est le programme du ministère en ce qui concerne les réformes à faire dans la comptabilité et autres services dans le but d’augmenter ces crédits pour arriver à mettre la flotte à la hauteur de celle des autres puissances européennes18 ? »
15Un an plus tard, c’est au tour du rapporteur général Ernest Boulanger, sénateur de la Meuse inscrit à la Gauche républicaine, de tenter de réformer par la voie législative la gestion des vieilles matières et de l’imposer au ministre Barbey19. Une fois Barbey revenu à la commission des finances après son départ de la rue Royale, celle-ci préserve ses nouvelles habitudes. En juillet 1892, le rapporteur Chardon – reconduit pour le budget de 1893 – et Jules Godin reposent le problème de la comptabilité et du « système actuel de l’administration des arsenaux de la Marine » au nouveau ministre Godefroy Cavaignac20. Enfin, l’année suivante, le rapporteur Ernest Boulanger pose encore une fois le problème des vieilles matières devant la commission21. En séance plénière de la Chambre comme du Sénat, les discussions sur l’état de l’administration de la Marine continuent d’être aussi rares que dans les années 1880. Si la commission du budget s’affirme comme la principale promotrice des réformes administratives dans la Marine, elle est largement influencée par des individualités précises.
Les parlementaires promoteurs des réformes
16Gerville-Réache est le contempteur traditionnel de l’administration de la Marine depuis son entrée à la commission du budget en 1885 et son premier rapport, la même année, sur le budget de la Marine. Une fois éliminé son rival Ménard-Dorian avec qui il s’oppose sur les idées de la Jeune École dont il se déclare partisan, Gerville-Réache apparaît comme le député spécialiste des questions navales et à l’écart des intérêts locaux ou économiques liés à la Royale. Il a pour lui cinq rapports sur le budget de la Marine en 1885, 1888, 1889, 1890 et 1893 mais également la charge du rapport sur le cadre des corps des officiers de marine en 1886-1888 et la vice-présidence de la nouvelle commission de la Marine à partir de 1890. Député de la Guadeloupe depuis 1881, son intérêt pour les affaires navales n’est pas totalement détaché de ses préoccupations électorales : son île accueille en effet une station depuis le Second Empire et l’île voisine de la Martinique dispose d’un bassin de radoub à Fort-de-France depuis 186822. En 1890, le Conseil supérieur de la Marine étudie même la possibilité d’organiser une base d’opération de la flotte dans ces îles23. De 1885 à 1893, il est membre permanent de la commission du budget dans laquelle il siège également en 1895. En séance plénière, les didascalies insérées au compte-rendu des séances dans le Journal officiel laissent apparaître que ses interventions sont respectées : peu de députés coupent ses discours pour en exiger la fin comme c’est le cas pour certains orateurs sur les questions navales. Dominant les débats avec François de Mahy en commission de la Marine, Gerville-Réache s’efface progressivement en commission du budget. Cet effacement est en partie volontaire : en 1891, devant les difficultés qu’il rencontre pour aboutir à une réforme de l’administration de la Marine, il encourage la commission à se tourner vers Henri Brisson afin de disposer d’un poids politique plus fort pour peser sur l’administration de la Marine24. Cette décision lui fait perdre la main sur les questions navales au sein de la commission du budget mais son opinion reste écoutée. L’année suivante, Gerville-Réache commence à se faire dépasser par les nouveaux députés radicaux et radicaux-socialistes de la Chambre. Partisan d’augmenter le budget de la Marine pour pallier son « état de délabrement », il rencontre l’opposition d’Édouard Lockroy25. En 1893, Gerville-Réache retrouve la fonction de rapporteur du budget de la Marine mais il ne dispose plus de son autorité passée au sein de la commission. Il doit sans cesse ajuster les lignes de son rapport aux idées de Lockroy, vice-président de la commission mais qui n’a pas souhaité prendre en charge le rapport sur la Marine26. Non élu à la commission du budget en 1894, son retour en 1895 se fait dans une grande discrétion : les débats sur la Royale et son administration sont désormais dominés par le nouveau président de la commission, Édouard Lockroy, et le nouveau rapporteur de la Marine, Camille Pelletan.
17Ces deux élus radicaux s’emparent, avec Henri Brisson, des débats sur la Marine et son administration dans la première moitié des années 1890. Henri Brisson est élu de Paris au Parlement depuis 1871. Inscrit depuis à l’Union républicaine de Léon Gambetta, il se rapproche progressivement dans les années 1890, des républicains radicaux, qui eux-mêmes se modèrent face à la progression des radicaux-socialistes27. Quand, en 1891, au moment de son retour au sein de la commission du budget, Brisson s’investit dans les affaires de la Marine sur la demande de Gerville-Réache, il dispose de deux atouts aux yeux du député de Guadeloupe. Tout d’abord, les fonctions politiques qu’il a exercé depuis 1871 en font un parlementaire de premier plan. Président de la Chambre des députés entre novembre 1881 et avril 1885, il descend du perchoir du Palais Bourbon pour accepter la fonction de président du Conseil entre avril et décembre 1885. Ensuite, Brisson connaît déjà bien les problèmes posés par l’administration de la Marine : président de la commission du budget de février 1879 aux élections d’août-septembre 1881 qui précèdent son élection à la présidence de la Chambre, il a dirigé les débats des commissions du budget faisant suite au rapport Lamy de 1878. L’échec qu’il connaît et qui l’amène à démissionner de sa charge de rapporteur le pousse à refuser la fonction de rapporteur de la Marine les années suivantes. Mais en 1894, il retrouve cette fonction après une élection remportée face à James Monjaret de Kerjégu, républicain conservateur implanté entre Brest et Lorient, et à Gaston Thomson, républicain opportuniste élu de Constantine, ancien rapporteur de la Marine en 1892 et membre du groupe colonial à la Chambre. Face aux représentants opportunistes des intérêts des ports militaires et des colonies, nous pouvons raisonnablement penser que la candidature de Brisson a été soutenue par les quatorze députés radicaux et radicaux-socialistes associés à deux votes opportunistes : après l’élimination de Monjaret de Kerjégu, Brisson l’emporte par 16 voix contre 15 à Thomson et un bulletin (socialiste ?) blanc. Fort du soutien d’une commission du budget accueillant de nombreux radicaux et radicaux-socialistes, Brisson peut alors développer sa charge contre l’administration de la Marine avant de retrouver le fauteuil de la présidence de la Chambre en décembre 1894.
18Le retour de Brisson à la fonction de rapporteur n’aurait pu se faire sans le soutien d’Édouard Lockroy. Membre parmi les plus actifs de l’extrême-gauche parlementaire depuis sa première élection en 1871, inscrit à l’Union républicaine de Gambetta cette même année, au groupe de l’Extrême gauche en 1877 puis à sa déclinaison radicale-socialiste dans les années 1880, Lockroy ne s’intéresse guère à la Marine dans les années 1880. Il est pourtant membre de la commission du budget entre 1879 et 1882 mais ne s’investit nullement dans les débats navals qui agitent cette dernière après le rapport Lamy. Collègue du ministre-amiral Aube en tant que ministre du commerce et de l’industrie entre janvier 1886 et mai 1887, de nouveau ministre, de l’instruction publique cette fois, entre avril 1888 et février 1889, Lockroy dispose d’un poids politique important au sein de la gauche radicale et radicale-socialiste de la Chambre. Son intérêt affiché pour les problèmes navals débute en 1891 mais sa première grande intervention en séance plénière à l’occasion de la discussion générale du budget de la Marine, illustre sa maîtrise des enjeux navals28. Quelques mois plus tard, il confirme en commission du budget sa maîtrise des problématiques de la Marine, intervenant à propos de l’installation des canons à tirs rapides sur les navires lors d’une audition du ministre Godefroy Cavaignac29. L’officier de marine Campion, gendre de Aube, et le stratégiste Paul Fontin, ancien secrétaire personnel du même Aube, ont visiblement déjà fait son éducation navale30. À partir de ce moment, Lockroy ne va cesser de prendre part aux débats navals au Parlement que ce soit en commission du budget où il siège de 1892 à 1895, année où il en exerce d’ailleurs la présidence, ou en séance plénière. La rédaction des rapports de Gerville-Réache en 1893, de Brisson en 1894 et de Pelletan en 1895 sont ainsi marqués de son empreinte.
19Camille Pelletan est le fils du parlementaire Eugène Pelletan, député au Corps législatif en 1869, représentant à l’Assemblée nationale en 1871 et sénateur entre 1876 et 1884. Il est élu député pour la première fois en 1881 et s’affirme rapidement comme l’un des principaux orateurs de l’extrême-gauche parlementaire. C’est lors de sa première participation à la commission du budget, en 1887, au moment du départ de Aube de la rue Royale, que Pelletan paraît prendre connaissance de la réalité administrative de la Marine, ne comprenant pas comment le ministre de la Marine – c’est alors Édouard Barbey – peut venir en commission du budget accompagné de son directeur de la comptabilité pour demander son approbation pour l’imputation de dépenses ordinaires sur un budget extraordinaire31. Pour autant, Pelletan ne s’investit que très peu sur les questions navales jusqu’à sa désignation comme rapporteur du budget de la Marine en 1895. Ses quelques interventions consistent à réclamer des diminutions de crédits envers l’administration de la Marine afin de la forcer à se réformer d’elle-même. Devant si peu d’intérêt, est-il possible encore une fois d’y voir l’influence de Lockroy, alors élu président de la commission ? Tous deux membres de la tendance radicale-socialiste de la Chambre, Lockroy est beaucoup plus au fait des enjeux de la Marine que ne l’est alors Pelletan. Le rapport de ce dernier est influencé par les interventions de Lockroy dans les débats de la commission du budget qu’il préside. De plus, le rapport Pelletan concentre principalement son étude sur l’administration de la Marine à proprement parlé et s’occupe peu de la constitution de la flotte si ce n’est pour signaler la lenteur des constructions et leur coût32. Tout cela nous laisse penser que le Camille Pelletan de 1895 n’est pas encore celui de 1902 et que le leader radical-socialiste est alors encore sous l’influence de son collègue Lockroy en matière navale.
20Parallèlement à l’épanouissement de la critique radicale-socialiste envers l’administration de la Marine, les groupes d’intérêts propres aux enjeux de cette Marine continuent d’intervenir dans les débats critiques en la matière mais leur faible présence en commission du budget limite leur influence. En premier lieu, le contre-amiral Vallon prétend défendre les intérêts de la Marine en général et de ses collègues officiers en particulier. Élu député du Sénégal en 1889 sur un programme républicain « anti-révisionniste », c’est-à-dire anti-boulangiste, il s’investit rapidement dans les questions concernant la Marine. Élu membre de la commission du budget en 1890, il prétend y porter la parole de ses collègues de la Royale sur les problèmes liés à l’administration de ce département33. Mais si le contre-amiral défend effectivement les intérêts des officiers pendant les travaux de la commission de la Marine sur les cadres des corps d’officiers, il délaisse la question de l’administration34.
21Jean-Baptiste Abel connaît une influence comparable à celle du contre-amiral Vallon. Elu député de Toulon en 1893, il intègre rapidement le groupe parlementaire des députés des ports de guerre. Il se fait élire au sein de la commission de la Marine, avec d’autres collègues représentant les ports de guerre. Aux côtés du député de Lorient Paul Guieysse, il intervient régulièrement lors des discussions sur le budget de la Marine en séance plénière. En 1895, il réussit à se faire élire au sein de la commission du budget pour l’exercice 1896, aux côtés de ses collègues radicaux-socialistes Lockroy et Pelletan. Face à ce dernier, rapporteur du budget de la Marine, il défend les administrations locales de la Royale mais soutient l’idée de réduire les crédits pour l’administration centrale35. Abel s’oppose en particulier à la réduction du nombre de commissaires dans les ports et les quartiers de l’Inscription maritime. Il porte ainsi la parole de ses collègues députés des ports au sein de la commission du budget : défendant des réformes et des réductions de crédits pour l’administration centrale, il défend vigoureusement le statut quo de l’administration de la Marine dans les ports, dont de nombreux employés à Toulon sont ses électeurs.
22Ces différents parlementaires défenseurs des réformes dans l’administration de la Marine obtiennent satisfaction en partie seulement au début des années 1890.
Des premiers résultats limités
23Les résultats de cette nouvelle pression parlementaire restent très limités. Sans action législative sur l’administration de la Marine, les changements concernant cette dernière restent du ressort du pouvoir ministériel. Mais sous la pression du Parlement, ce pouvoir cherche toutefois à composer et à donner des gages de bonne volonté susceptibles d’apaiser les critiques.
24Malgré les efforts de certains parlementaires, l’administration de la Marine est encore organisée par décrets au milieu des années 1890. Les ministres Édouard Barbey en août 1890, Auguste Burdeau en décembre 1892, le vice-amiral Rieunier en mai et juillet 1893 et Félix Faure en septembre 1894 font paraître des décrets réorganisant l’administration ou la gestion de la Marine. Pourtant, une tentative est faite par Henri Brisson de légiférer sur l’administration de la Royale en novembre 189436. Sa proposition est renvoyée à la commission de l’Armée, la commission de la Marine étant déjà surchargée de textes. Mais elle n’aboutit jamais en séance plénière et se perd dans les débats de la commission de l’Armée.
25La maîtrise politique de la réforme de l’administration de la Marine reste en réalité aux mains de la rue Royale. De la même manière que le ministre-amiral Pothuau désamorce les critiques du rapport Lamy par la nomination d’une commission mixte – ou extraparlementaire – de la Marine en 1878, le ministre-amiral Lefèvre fait de même en janvier 1894. Devant les critiques insistantes et de plus en plus virulentes de la Jeune École parlementaire représentée par Lockroy et Pelletan, Lefèvre décide de nommer une « commission mixte chargée d’examiner la situation du matériel et des approvisionnements de la flotte » et disposant de pouvoirs d’enquête par son décret du 19 janvier 189437. Cette nouvelle commission extraparlementaire lui permet de garder la main sur les réformes réclamées par Lockroy et Pelletan et qui trouvent un soutien de plus en plus important à la Chambre et en commission du budget. Tout d’abord, il évite la nomination d’une commission d’enquête par la Chambre, commission souhaitée par Lockroy38. Ensuite, il choisit les membres de cette commission à sa convenance. L’équilibre choisit révèle sa volonté de garder le contrôle des débats et de limiter l’influence politique de Lockroy. La commission est composée majoritairement de parlementaires puisqu’elle accueille quatorze députés et sept sénateurs aux côtés de cinq hauts fonctionnaires de la Cour des comptes et du Conseil d’État et de onze membres du ministère de la Marine dont deux secrétaires aux voix uniquement consultatives. Parmi les membres du ministère se trouvent les vice-amiraux Gervais, chef d’état-major général de la Marine et directeur du cabinet du ministre, et Parrayon, vice-président du Conseil des travaux ainsi que le contre-amiral Dieulouard, inspecteur général de la Marine. Siègent également les différents chefs des autres inspections générales de la Marine : de l’artillerie, du génie, des travaux administratifs, du commissariat et du contrôle central. Le savant équilibre mis en place par le ministre-amiral Lefèvre se situe en fait dans le choix des parlementaires destiné à préparer l’échec de cette commission et à en reporter la faute sur les parlementaires eux-mêmes. La commission accueille évidemment Lockroy ainsi que Brisson et Gerville-Réache, tous trois à l’origine des récentes critiques de la commission du budget qui provoquent la nomination de cette commission. Mais elle accueille également le sénateur Édouard Barbey et le député Georges Cochery qui se sont montrés conciliants avec les excès de l’administration de la Marine à l’occasion de leurs travaux en commission des finances et en commission du budget, ainsi qu’au ministère pour le premier. Surtout, le ministre fait une large place aux parlementaires représentants les intérêts des ports militaires et des ports accueillant des services de la Marine et pour qui l’administration locale de celle-ci représente aussi un capital électoral dont il faut défendre les intérêts. Onze parlementaires sur 21 défendent ainsi les intérêts des employés locaux de la Marine : Cabart-Danneville pour Cherbourg, Delobeau et le contre-amiral Vallon pour Brest, Guieysse et Monjaret de Kerjégu pour Lorient, Abel et Allègre pour Toulon, Huguet pour Boulogne-sur-Mer, Félix Faure pour Le Havre et Labat pour Bordeaux. Se réunissant sous la présidence du ministre de la Marine, cette commission extraparlementaire de la Marine de 1894 n’a donc pas les cartes en main pour réformer l’administration autrement que selon les désirs du locataire de la rue Royale. Elle est tout de même l’occasion pour un député de révéler son intérêt pour les problèmes navals : Théophile Delcassé, député progressiste de Foix, dans l’Ariège, est la véritable âme de la commission39.
26Entre 1890 et 1895, l’administration de la Marine connaît quelques réorganisations limitées impulsées par différents ministres pour tenter d’apaiser les critiques parlementaires. Par son décret du 15 août 1890, Édouard Barbey réorganise ainsi l’administration centrale en recréant une direction de l’artillerie supprimée en 187140. Cette direction est scindée en deux bureaux administratif et technique auxquels sont affectés un chef et un sous-chef de bureau pour chacun. Le service de l’artillerie est ainsi disjoint de la direction du matériel auquel il était attaché auparavant. Le rétablissement de cette direction répond aux inquiétudes des parlementaires et de l’opinion publique faisant suite aux progrès britanniques et italiens en matière d’artillerie41. Deux ans plus tard, le ministre Auguste Burdeau regroupe les bureaux du service intérieur, du personnel central et des impressions et le bureau des archives, bibliothèques et publications en un seul bureau afin de pouvoir scinder en deux le bureau de la navigation commerciale sans que cela n’impose de dépenses supplémentaires de traitement des chefs de bureau42. En septembre 1894, c’est au tour de Félix Faure de laisser son empreinte sur l’administration centrale de la Royale : son décret du 21 septembre 1894 réorganise l’état-major général de la Marine et le cabinet du ministre mais ne touche finalement pas à l’organisation administrative civile de son département43. L’objectif de Faure étant de réaffirmer la primauté du pouvoir civil sur l’autorité militaire, il restreint les attributions de l’état-major général aux questions purement techniques et stratégiques et centralise les services administratifs sous l’autorité d’un cabinet civil disposant de son propre chef mais ne réorganise nullement ces services44.
27La gestion des matières dans les magasins de la Marine est également l’objet de décrets réorganisant leur gestion de manière très limitée. Tous deux sont l’œuvre du ministre-amiral Rieunier en 1893. Le premier est publié le 16 mai de cette année-là45. Ce décret charge les comptables de dresser les inventaires des magasins en fin d’année à la place de l’officier du commissariat auparavant responsable. Rieunier choisit donc de laisser le soin aux comptables qui connaissent l’état des magasins de dresser leur inventaire ; pour autant il les rend irresponsables puisque c’est au commissaire de la Marine – qui n’a pas les moyens de connaître la réalité des stocks – de viser cet inventaire. De plus, cette comptabilité continue d’être tenue en valeurs selon les prix « officiels » déterminés par l’administration de la Marine. C’est ce que Pelletan reprochera deux ans plus tard à l’administration dans son rapport sur le budget de la Marine évoqué précédemment. Trois mois plus tard, le vice-amiral Rieunier fait publier un second décret, le 8 juillet46. Celui-ci, sous prétexte de régler les aberrations de la comptabilité de la Marine dans les magasins, les confortent en fait davantage. Rieunier souhaite « donner à la fois plus de simplicité et une plus grande clarté » au compte général du matériel. Mais les recommandations du comité d’examen des comptes de travaux de la Marine se bornent à éviter de réorganiser la comptabilité des matières. Il souhaite même que les comptes des approvisionnements des magasins de la Marine ne soient plus résumés dans la comptabilité centrale : tenus en partie simple, ces comptes ne sont d’aucune utilité dans la comptabilité centrale tenue en partie double aux yeux du comité. A aucun moment n’est émise l’idée de faire adopter par les comptables des magasins une comptabilité en partie double à laquelle ils se montrent rétifs47. Le décret se contente donc de moderniser la nomenclature du Compte général des matières sans aller plus loin.
28La principale innovation que connaît la rue Royale au début des années 1890 est l’installation du Conseil supérieur de la Marine (CSM). Celui-ci est créé par le décret du 5 décembre 1889 d’Édouard Barbey. Dans le cadre de la politique navale, il est l’héritier du Conseil d’amirauté, supprimé un an plus tard. Il en récupère la fonction de préparation à la guerre48. Les autres fonctions du Conseil d’amirauté comme l’avancement des officiers, l’administration de la Marine ou ses approvisionnements restent aux mains de ce dernier conseil puis sont réparties entre des commissions ad hoc à sa suppression. À sa création, il est composé de neuf membres, officiers généraux de la Marine et ministre qui le préside. Ces officiers sont en fait ceux « auxquels incombent en temps de guerre les premières responsabilités49 ». La composition du CSM est modifiée à six reprises jusqu’en 1909, les différents ministres se succédant ne s’accordant pas sur la nécessité d’intégrer ou non les commandants d’escadre au CSM50. Cependant, privé de doctrine navale claire, le Conseil supérieur de la Marine peine à assumer son rôle de conseil dans la préparation de la guerre navale. Les programmes de constructions navales sont le plus souvent inadaptés aux capacités budgétaires du pays. Le vice-amiral Gervais affirme ainsi que « les chefs militaires doivent, avant tout, donner un avis dégagé de toute autre préoccupation sur ce qui leur paraît nécessaire pour assurer les besoins de la défense51 ». C’est donc au Parlement et à la commission du budget de trancher dans des programmes qui s’enchaînent et se contredisent dans les choix stratégiques. Entre 1890 et 1898, quatre programmes sont présentés52. Entre Fachoda, en 1898, et Tsushima, en 1905, le CSM est « en veilleuse ». C’est Gaston Thomson qui le remobilise après la guerre russo-japonaise et le lancement du Dreadnought britannique pour établir un nouveau programme naval en 190553. Il retrouve alors une certaine utilité jusqu’en 1914. Finalement, la pression parlementaire en faveur des réformes administratives n’obtient réellement satisfaction qu’à partir de 1895 et de l’arrivée rue Royale de l’un des parlementaires les plus actifs dans ces réclamations : Édouard Lockroy.
De Lockroy à Pelletan, le Parlement et les réformes de l’administration de la Marine (1895-1905)
Lockroy de la rue Royale aux commissions parlementaires
29Au milieu des années 1890, l’absence de réformes dans l’organisation des arsenaux provoque une complexification croissante de leur administration. La dualité des responsabilités entre le commissaire chargé du personnel et celui chargé du matériel, miroir local de l’organisation centrale de l’administration de la Marine, est la source de nombreuses confusions. Mais la Marine se refuse à modifier le système : la commission extraparlementaire de 1894 y voit un moyen de gestion financière efficace54. L’importance de fonctionnaires du ministère et des parlementaires des ports au sein de la commission peut expliquer cet attachement à un statu quo qui engendre de nombreux gaspillages. La complexité administrative aboutit à Toulon à une organisation équivalente à quatre arsenaux différents pour les constructions navales, les réparations navales, les torpilles et l’artillerie, disposant chacun de son propre personnel et multipliant ainsi les frais généraux de fonctionnement. Ajoutés à la question récurrente du nombre de ports militaires et d’arsenaux, ces problèmes d’organisation administrative sont au centre des débats parlementaires et publics sur les ports-arsenaux de la Marine.
30Dès son entrée au ministère en septembre 1895, Édouard Lockroy se choisit une nouvelle équipe pour le seconder dans les instances de la rue Royale55. Il nomme le contre-amiral Chauvin chef d’état-major à la place du vice-amiral Humann installé par Félix Faure en septembre 1894. Paul Fontin, ancien secrétaire personnel de Aube et un des leaders théoriques de la Jeune École, est installé à la tête de la librairie de la Marine. Un autre intime du défunt Aube, Jean-Baptiste Châtelain, est installé à la direction de la comptabilité. Lockroy s’attache rapidement à réformer l’administration. Par son décret du 7 avril 1896, il sépare l’administration de la flotte en service de celle en construction, reprenant l’idée mise en place par le commandant Gougeard en 188156. Ainsi, la distinction communément admise depuis le début du xixe siècle – voire depuis Colbert – entre la direction du personnel et celle du matériel est abandonnée par Lockroy qui critique l’incohérence de ce schéma57. Elle laisse la place à l’organisation d’un service militaire de la flotte associé à ceux du personnel militaire et des services auxiliaires pour gérer la flotte en service. La flotte en construction est sous les ordres de la direction du matériel organisée simplement en trois bureaux : celui des constructions navales, celui des travaux hydrauliques et celui du magasin central pour les approvisionnements des services gérés par les deux premiers bureaux. Lockroy s’attaque également au fouillis bureaucratique de la rue Royale en réduisant les sections des magasins de 112 à 1158. Toutefois, l’œuvre administrative de Lockroy ne survit pas à son départ du ministère à la fin du mois d’avril 1896 : dès le 23 mai suivant, le vice-amiral Besnard revenu à la rue Royale rétablit la division administrative entre direction du personnel et direction du matériel59.
31Au cours de son bail de six mois rue Royale, Lockroy n’a guère le temps de traiter de la réorganisation administrative de la Marine avec les parlementaires, d’autant que son œuvre en la matière ne lui survit pas. La commission du budget pour l’exercice 1897 est nommée le 25 février 1896 dans les bureaux. Illustration à la fois du phénomène majoritaire dans les bureaux et des tensions entre la Chambre républicaine modérée et le cabinet radical de Bourgeois, la nouvelle commission accueille une majorité écrasante de modérés : elle compte vingt-sept députés « progressistes », cinq députés radicaux et radicaux-socialistes dont Camille Pelletan et un député conservateur. Son rapporteur pour le budget de la Marine est le député progressiste de Quimperlé James Monjaret de Kerjégu, candidat malheureux à la fonction deux ans plus tôt contre Brisson. Ce dernier, membre de la commission extraparlementaire de la Marine, fait part des travaux et suggestions de cette dernière à la commission du budget. Sans contradicteur dans celle-ci – le rapporteur radical précédent, Pelletan, est isolé politiquement et particulièrement discret – Kerjégu intègre à son rapport les recommandations de le commission extraparlementaire, en particulier sur l’administration des arsenaux. Il réclame une séparation des fonctions militaires et civiles dans l’administration des arsenaux. Il souhaite ensuite la fin de la dualité entre le personnel et le matériel au sein des arsenaux : « le directeur dépense mais n’achète pas. Il ne compte que pour la main d’œuvre ; pour les matières, c’est un autre service indépendant qui suit la gestion des approvisionnements et de crédits. Cette dualité […] rend impossible le jeu des responsabilités car pour être responsable, il faut posséder la plénitude des moyens d’action60 ». Surtout, Kerjégu vante les mérites du système de « fonds de roulement » défendu en commission extraparlementaire de la Marine par le membre de la Cour des comptes, Blignières :
« Les crédits budgétaires, alloués au titre des chapitres du matériel, prendraient désormais le caractère de crédits de consommation et non plus de crédits d’achats, comme actuellement. Ils seraient mis, par le ministre, à la disposition des services qui emploient les matières et ces services seraient tenus de rembourser la valeur de toute quantité qu’ils puiseraient dans les magasins. Ces derniers ne disposeraient d’aucune ressource particulière pour leurs achats. Ils les imputeraient sur un fonds de roulement, alimenté par les remboursements dont nous venons de parler61. »
32Kerjégu encourage le ministre-amiral Besnard à tenter l’expérience de ce fonds de roulement dès 1898 dans l’un des arsenaux.
33L’ostracisme des radicaux en commission du budget se poursuit en 1897. Au sein de la commission du budget de l’exercice 1898, seuls trois radicaux siègent au milieu des républicains progressistes. Parmi eux, aucun ne démontre un intérêt particulier pour la Marine. Logiquement, Kerjégu conserve le rapport sur le budget de la Marine. Collègue de Lockroy au sein de la commission extraparlementaire de la Marine, il invite ce dernier à exposer sa vision équilibrée de ce que doit être la flotte et sa vision des réformes administratives et comptables. Lockroy suggère l’établissement d’un compte spécial pour financer la réfection de la flotte, fonctionnant sur le principe du fonds de roulement défendu par la commission extraparlementaire de la Marine. Il suggère également l’adoption du système de fonds de roulement dans les arsenaux. Cette intervention permet ainsi à Kerjégu d’augmenter la pression parlementaire sur la Royale pour l’adoption du fonds de roulement. Alors que son rapport précédent se contentait de souhaiter cette adoption, le nouveau rapport va plus loin. Kerjégu fait adopter à l’unanimité par la commission du budget une résolution demandant expréssement l’adoption de ce fonds de roulement62. Le ministre-amiral Besnard vient donc présenter sa réforme de la comptabilité de la Marine en octobre 1897 à la commission. Il souhaite mettre en place le fonds de roulement en même temps que faire cesser la pratique des « prix officiels » sur les objets et matières des magasins de la Marine. La commission s’entend avec le ministre sur le caractère invariable du futur fonds de roulement.
34Présentée par la commission extraparlementaire, soutenue par l’ancien ministre radical de la Marine Édouard Lockroy et par la commission du budget progressiste et son rapporteur Kerjégu, l’introduction du fonds de roulement dans la comptabilité des matières et des approvisionnements est donc organisée par le ministère du vice-amiral Besnard et le rapporteur général de la commission du budget Camille Krantz au début de 1898. Trois mesures sont adoptées par la commission du budget : l’inventaire des matières dans les magasins de la Marine, la substitution des valeurs réelles aux prix officiels en usage dans la Royale et le contrôle parlementaire régi par l’adoption d’une loi de finances fixant des crédits-matières évalués en argent63. Après quelques négociations de détails avec le ministre-amiral Besnard, la réforme est insérée à la loi de finances pour l’exercice 1898 qui est définitivement adoptée le 13 avril 1898.
35Édouard Lockroy retrouve la rue Royale à la fin du mois de juin 1898 à la suite des élections législatives de mai 1898 et à la chute du cabinet Méline. Le nouveau Conseil est présidé par le radical Henri Brisson, qui forme un gouvernement radical accueillant quelques ministres progressistes. Mais l’affaire Dreyfus et la découverte du « faux Henry » entraîne sa chute dès novembre 189864. Le nouveau gouvernement, marqué au centre, est formé par Charles Dupuy qui s’appuie sur des ministres modérés mais conserve le radical Lockroy. Celui-ci exprime rapidement sa volonté de simplifier la lourde machine bureaucratique de la rue Royale. En août 1898, il introduit donc un nouveau schéma administratif65. Lockroy remet en place la distinction entre la flotte en service et celle en construction. La première est sous les ordres du chef d’état-major de la Marine et s’organise entre les services militaires de la flotte, ceux du personnel, les services auxiliaires, le service hydrographique et celui des torpilles. Aux côtés de cette administration, la direction du matériel est chargée de la flotte en construction et regroupe les trois mêmes bureaux regroupés deux ans plus tôt par Lockroy : celui des constructions navales, celui des travaux hydrauliques et celui du magasin central de la Marine. Trois directions complètent l’administration de la Marine : celles de l’artillerie, de la comptabilité générale et de la marine marchande. Un second décret paru quelques jours plus tard insère une dernière direction : la direction du contrôle66.
36Le contrôle de l’administration de la Marine est l’une des deux réformes défendues par Lockroy à son arrivée. Dès octobre 1898, il retire le projet précédent déposé par le vice-amiral Besnard à la Chambre67. Ce dernier supprimait l’inspection permanente au profit d’une inspection mobile. Lockroy dépose son propre projet sur le contrôle de l’administration de la Marine qui prévoit la combinaison d’une inspection permanente et d’une inspection mobile68. Il dispose pour cela du soutien de la commission du budget et de son rapporteur de la Marine pour 1899, Amédée de La Porte69. Ce dernier, député radical de Niort, représente bien l’équilibre politique de la nouvelle commission qui accueille dix députés radicaux-socialistes, neuf radicaux et onze progressistes. Le rapporteur bénéficie d’une relative autonomie sur les questions de la Marine : la seule concurrence à sa parole est celle, importante, de Pelletan qui a obtenu le rapport général de la commission. En mai 1899, pour accélérer l’adoption de ce projet, Lockroy demande la mise à l’ordre du jour du texte en commission de la Marine chargée de rapporter ce texte70. Celle-ci accueille dix-sept députés progressistes, cinq radicaux et huit radicaux-socialistes. Mais surtout, elle est le repère des intérêts autour de la Marine, comptant cinq anciens membres de la Royale ou officiers de réserve, quatre députés des ports militaires et quatre députés de ports de commerce accueillant des administrations de la Marine. Le projet de loi de Lockroy commence à être étudié le 19 juin, quelques jours avant son départ de la rue Royale71. La première discussion du projet révèle les prises de positions au sein de la commission. Gerville-Réache soutient sans hésitation le projet de Lockroy. Mais face à lui, le vice-amiral Rieunier, député rallié de Rochefort et le comte d’Agoult, député progressiste du Sénégal et ancien lieutenant de vaisseau, se prononcent pour un contrôle exclusivement mobile, à l’image de ce que prévoyait le projet du vice-amiral Besnard.
37Lockroy lance parallèlement une réforme de l’organisation administrative des arsenaux. La loi de finances du 13 avril a déjà initié la réforme de la comptabilité dans les arsenaux en substituant les prix réels aux prix officiels des matières de la Marine. Le nouveau projet de loi que Lockroy soumet aux parlementaires maintient les prérogatives administratives du préfet maritime et du major général. Mais il demande expressément aux députés d’admettre l’autonomie des directeurs de travaux72.
38Lockroy inscrit également le principe du fonds de roulement pour la gestion des directions des travaux afin de « garantir le sérieux » de ces dernières. Présenté en commission de la Marine, le texte suscite des méfiances quant aux coûts qu’il risquerait d’engendrer73. Le président de la commission, François de Mahy, l’expose rapidement à ses collègues, soutenu par d’Agoult qui craint que la mise en œuvre du texte ne coûte finalement plus que le « coulage » qu’il est censé prévenir, c’est-à-dire l’habitude de la Marine de dépenser la totalité des crédits votés afin de s’assurer d’obtenir les mêmes crédits pour l’année suivante. Albert Le Moigne, est le principal soutien de Lockroy au sein de la commission : pour lui, le fonds de roulement et un système nécessaire pour prévenir les excès de l’administration de la Marine et permettra de réaliser des économies. Dans une commission globalement acquise aux réformes de Lockroy car elles reprennent les idées de la commission extraparlementaire de 1894, Le Moigne est donc nommé rapporteur du projet de loi. Les dernières réticences sont levées par l’audition du directeur de la comptabilité de la Marine, Sémichon74. Pour ce dernier, l’adoption du fonds de roulement, déjà en vigueur dans l’industrie privée, a également été réalisée sans problème dans les chemins de fer de l’État et pourra donc l’être de même dans la Marine. Sémichon rassure également la commission en annonçant que la loi amènera son département à ne réclamer que 40 000 francs supplémentaires, ce qui correspond aux yeux de François de Mahy, « à l’augmentation normale des services ». L’action de Lockroy est toutefois stoppée par la chute du cabinet Dupuy, emporté par l’affaire Dreyfus et la fièvre nationaliste qui en émane75. Le nouveau ministre, Lanessan, s’efforce de poursuivre et d’accentuer les réformes entreprises par son prédécesseur.
Le ministère Lanessan
39Après la chute du gouvernement Dupuy, Waldeck-Rousseau organise un nouveau gouvernement de « Défense républicaine » qui s’appuie sur une majorité de la Chambre attaché aux libertés républicaines, des socialistes au groupe centriste des « Républicains de gauche » qui se sont séparés des républicains progressistes antidreyfusards76. Lorsqu’il arrive à la rue Royale, le nouveau ministre, Jean-Louis de Lanessan, reprend l’œuvre de son prédécesseur. Il invite ainsi la majorité des collaborateurs de Lockroy à rester en poste au ministère77. Lanessan réforme d’abord l’administration centrale de la Marine. Pour cela, il remanie l’organisation de l’état-major. Celui-ci est réduit à un corps limité en nombre, chargé de préparer les plans de guerre et de mobilisation78. Le décret du 18 juillet 1899 soulage le chef d’état-major de la Marine de ses tâches administratives en même temps qu’il lui ôte son autorité sur les bureaux. Après le décret du 30 janvier 1902 la réorganisation de l’état-major aboutit à lui assigner une fonction purement militaire. Les officiers qui y siègent ne peuvent plus que difficilement participer à d’autres conseils ou comités et dans le cas seulement où cela concerne la préparation militaire de la guerre.
40Pour les affaires administratives, Lanessan donne davantage d’autonomie aux différentes directions et réduit l’importance de son cabinet civil aux fonctions de contrôle des correspondances et de l’administration centrale ; considérant l’existence d’officiers de liaison entre lui-même et les directions incompatibles avec sa responsabilité ministérielle, Lanessan choisi de s’entretenir directement avec les directeurs et le chef d’état-major. Le décret du 25 août 1900 organise l’indépendance financière et administrative de chaque bureau et de leurs annexes dans les ports vis-à-vis du commissariat. Lanessan considère en effet que les commissaires sont trop peu expérimentés dans les évolutions techniques de la Marine et que leurs compétences en matière de choix des fournisseurs et de matériaux sont dorénavant insuffisantes. Il les dépouille donc de l’autorité de signer les contrats navals. Cette décision est finalement l’aboutissement d’un processus engagé à partir de juin 1891 par les circulaires de Barbey. Mais pour Lanessan, c’est la seule manière de rendre les bureaux de l’administration responsables de leurs actes, à l’image de ce que le projet de loi de Lockroy prévoit pour les directions des travaux dans les ports.
41Les réformes de Lanessan sont soutenues par la plupart des jeunes officiers mais ceux-ci considèrent toutefois les décisions du ministre prématurées. Le vice-amiral Bienaimé, chef d’état-major de la Marine depuis mai 1900, se montre opposé à ces réformes dont il ne remet pas en doute le bienfondé : il critique l’importance de la séparation entre l’état-major et l’administration centrale qu’elles imposent alors que les évènements de Fachoda ont démontré l’impréparation de la Royale dans le cas d’une guerre contre la Grande-Bretagne. En février 1902, il démissionne de sa fonction pour le poste de préfet maritime de Lorient sur la proposition de Lanessan. Ce départ affaibli d’autant plus la fonction de chef d’état-major que le successeur de Bienaimé choisi par Lanessan est le vice-amiral Marquer qui ne s’est réellement distingué dans la Marine que par ses convictions républicaines79. Mais si les marins reprochent à Lanessan ce qu’ils considèrent comme de la précipitation, qu’en est-il des parlementaires ?
42Avec le départ de Lockroy et l’arrivée de Lanessan, le travail parlementaire sur les deux projets de loi déposés par le premier se poursuit. Lanessan maintient en effet les deux textes sur le contrôle de la Marine et l’administration des arsenaux. Dès lors, le processus législatif se poursuit dans le contexte de l’affaire Dreyfus : aux députés membres de la majorité de « Défense nationale » qui veulent un contrôle plus strict du pouvoir politique sur l’autorité militaire, s’opposent des députés progressistes, ralliés et nationalistes qui veulent garantir les pouvoirs administratifs des officiers généraux.
43Dès le 28 juin 1899, la commission de la Marine poursuit ses travaux sur l’organisation administrative des arsenaux en auditionnant le directeur des services administratifs de la Marine, Châtelain80. Le texte ne suscitant pas d’opposition, la commission se sépare en laissant le soin au rapporteur Le Moigne d’appuyer le projet Lockroy-Lanessan. Les conclusions du Cherbourgeois sont adoptées sans discussion le 13 janvier 190081. Considérant que les différentes réformes réalisées depuis les années 1880 ont échoué car elles ont été réalisées par décret et sur des parties seulement de l’organisation des arsenaux, Le Moigne soutient l’idée de la réforme d’ensemble proposée par le texte gouvernemental. Il accepte donc l’autonomie des directions des travaux dans les arsenaux qui pourront dorénavant liquider toutes leurs dépenses en salaires – comme auparavant – mais aussi en matières – c’est la nouveauté. Cependant, Le Moigne exprime le vœu de la commission que soient maintenues, rue Royale, la commission des marchés afin de centraliser les fournitures communes aux cinq arsenaux, et celle des machines et du grand outillage, pour les marchés relatifs aux achats de machines, navires, grand outillage, matériel de torpillerie ou d’artillerie. De même, la commission de la Marine soutient le principe des crédits-matières que le Parlement a voté dans la loi de finances de 1898 et que le projet de loi confirme ; le système du fonds de roulement est également adopté. Aux yeux des députés, ces deux principes sont un moyen de garantir la spécialisation des chapitres du budget votés par le Parlement et constamment ignorée par la Marine depuis 1815. En fait, la commission de la Marine ne modifie presque pas le texte original de Lockroy. Seuls quelques détails sont corrigés afin de consolider encore davantage l’aspect réformateur du texte. Ainsi, l’expression « fonds de roulement des approvisionnements » est remplacée par « fonds de roulement du matériel » afin que tous les objets et matières des magasins de la Marine soient concernés par la réforme82.
44Cette première étape du processus législatif est finalement la plus facile pour la réforme de Lockroy, portée maintenant par Lanessan. Car la réforme intéresse évidemment les députés du groupe des ports militaires. Portée par Albert Le Moigne en commission du budget dont il est également membre, l’idée de la fusion des magasiniers et des comptables consiste à ne faire plus qu’un corps de ces deux personnels, sans aucune réduction des effectifs et en assimilant les deux corps aux conditions du corps le mieux traité. Cela aboutit donc à une hausse de crédit de 29 000 francs. L’amendement est rejeté en commission du budget en février 1900 car Lanessan n’en veut pas83. Mais en séance plénière, c’est le groupe des ports tout entier qui dépose l’amendement : Lanessan craignant de voir sa réforme remise en cause, cède et l’amendement est adopté84. Le président du groupe des ports de guerre peut s’en féliciter en séance plénière à la fin de l’année, en même temps qu’il exprime son soutien au projet Lockroy-Lanessan85. La commission du budget, saisie du texte pour avis, soutient le projet sans difficulté et défend en particulier le principe du fonds de roulement86. En mai 1901, le rapport Le Moigne de la commission de la Marine et l’avis Fleury-Ravarin de la commission du budget sont enfin déposés sur le bureau de la Chambre87.
45Si l’autonomie des directions des travaux et l’adoption du fonds de roulement dans la comptabilité des arsenaux ne posent pas de problèmes aux députés, il en est tout autre sur la question de la séparation des fonctions administratives et militaires. À l’occasion de la discussion du budget de la Marine pour 1901, la nouvelle commission du budget affirme son opposition à l’idée de séparer les fonctions militaires des fonctions administratives dans les ports militaires. Lockroy puis Lanessan ont en effet lancé un mouvement de dissociation de ces deux fonctions au sein de l’administration centrale ; l’idée d’étendre ce mouvement aux ports militaires se fait maintenant régulièrement entendre. La commission du budget de l’exercice 1901 ne connaît pas de majorité politique claire : aux seize députés de la droite républicaine – quinze progressistes et un rallié – s’opposent seize députés républicains de gauche, radicaux et radicaux-socialistes soutenant le gouvernement de « Défense nationale » de Waldeck Rousseau. Or, le progressiste Fleury-Ravarin – député de Lyon qui s’est déjà beaucoup intéressé à l’Armée – réussit en juin 1900 à remporter le rapport du budget de la Marine face à Lockroy par seize voix contre quatorze. Fleury-Ravarin et les progressistes reprennent donc l’idée des amiraux que la séparation de l’autorité militaire avec le pouvoir civil doit cesser : dans les arsenaux, le préfet maritime doit donc garder ses fonctions militaires et administratives88.
46Une réforme du contrôle de l’administration de la Marine est également lancée par Lockroy en décembre 1898. De même que pour l’organisation administrative des arsenaux, le projet de loi est maintenu par Lanessan lorsque celui-ci remplace Lockroy au ministère de la Marine. En commission de la Marine, le texte suscite quelques inquiétudes quant au coût de la réforme89. Le directeur des services administratifs de la Marine, Châtelain, doit avouer que les effectifs du corps de contrôle de la Marine vont devoir passer de 33 à 96 membres. Le président progressiste François de Mahy et le député catholique Dupuytrem s’interrogent aussi sur la nécessité d’une réforme qui remet en cause, dans le contexte de l’affaire Dreyfus, la valeur des employés de la Royale. Du côté des députés membres de la majorité de « Défense nationale », le républicain de gauche Muteau – ancien commissaire de la Marine – et le radical-socialiste Honoré Leygues – ancien officier d’artillerie – s’inquiètent du positionnement hiérarchique que le ministre entend donner aux nouveaux inspecteurs du contrôle, rang nécessaire à une certaine autorité sur les administrations contrôlées. La discussion du projet de loi en commission de la Marine débute réellement en janvier 1900 : le vice-amiral catholique Rieunier et Gerville-Réache, inscrit dorénavant au groupe de la Gauche radicale, s’affrontent sur la question. Le premier estime que le projet n’apportera aucune économie alors que le second estime que le texte de Lockroy répond aux problèmes rencontrés90. Albert Le Moigne s’oppose également au projet, estimant qu’une simple inspection mobile doit suffire et coûtera moins cher91. Mais les dix-sept députés de la majorité de « Défense nationale » s’imposent aux seize députés progressistes, catholiques ralliés et nationalistes : le rapporteur choisi est Gerville-Réache et le soutien de la commission de la Marine envers le texte peut donc être exprimé. Le texte fait disparaître la subordination hiérarchique des contrôleurs au chef de l’administration de l’arsenal et rend le système de contrôle dorénavant mobile et permanent à la fois92.
47En séance plénière, le texte rapporté par la commission, sensiblement le même que celui déposé par Lockroy en 1899, est adopté sans difficulté et les quelques amendements déposés par d’Agoult et Rieunier sont rapidement rejetés. Le débat est toutefois l’occasion pour le vice-amiral Rieunier de faire entendre son opposition à la mise en avant des inspecteurs de la Marine face aux officiers de marine dont il déplore la suspicion dont ils sont l’objet de la part des parlementaires de gauche93. Au Sénat, les droites progressistes et catholiques s’opposent au texte : les vice-amiraux catholiques de Cuverville et de La Jaille s’associent aux représentants progressistes de Cherbourg et de Brest Cabart-Danneville, Pichon et Delobeau pour proposer un contre-projet. Celui-ci défend l’idée d’un contrôle uniquement permanent de l’administration de la Marine94. La gauche radicale et son leader à la commission de la Marine, Émile Combes, défendent quant à eux le texte de Lockroy : dans son rapport au nom de la commission, Combes soutient sans hésitation l’œuvre de Lanessan qui a maintenu ce texte95. Mais il n’a pas l’occasion de défendre le texte au Sénat : en juin 1902, il devient président du Conseil avant que le texte sur le contrôle de la Marine ne soit débattu au Sénat. Son arrivée à la présidence du Conseil s’accompagne de l’installation de Camille Pelletan à la rue Royale. Son action au ministère est un désastre administratif mais, autorité morale des radicaux-socialistes, elle est en partie défendue au Parlement.
Les divisions parlementaires face aux excès de Pelletan
48L’arrivée de Pelletan à la rue Royale mine les réformes de Lanessan. L’usage des bureaux de la rue Royale que fait le nouveau ministre de la Marine perturbe considérablement son administration. Pelletan reforme rapidement une nouvelle équipe de collaborateurs. Mais la qualité attendue de ceux-ci est d’abord leur loyauté politique avant même leur expérience. Il se choisit pour chef de cabinet Louis Tissier, un ancien professeur de physique à la faculté de Lyon. Mais surtout, il fait entrer au ministère les deux grands théoriciens de la Jeune École des années 1890, Paul Fontin et Henry Vignot96. Pelletan porte son intérêt sur des détails administratifs dans le souci d’y trouver des sources d’économie97. Il refuse donc de déléguer l’administration des affaires courantes à ses subordonnés qui doivent s’adapter à ses habitudes de travail nocturnes. Obnubilé par le conservatisme et le cléricalisme dans la Marine qu’il veut républicaniser, Pelletan s’efforcent de pousser à la démission de nombreux fonctionnaires dont il soupçonne un faible attachement à la République98.
49Tout ceci aboutit à une importante désorganisation de l’administration centrale de la Marine. Rapidement, les procédures bureaucratiques mises en place par ses prédécesseurs sont abandonnées et le travail connaît une extrême lenteur. Ainsi, les simples remises de médailles militaires connaissent des retards d’un mois99. En octobre 1903, le commandant du transport la Vienne avertit la rue Royale de l’état désastreux de la coque ; pour autant, il reçoit l’ordre d’appareiller de Brest pour Toulon quelques semaines plus tard. Le navire coule dans le golfe de Gascogne au cours de son trajet100. Pelletan ignore également et délibérément les principaux organes consultatifs de la politique navale : le Conseil supérieur de la Marine n’est plus convoqué101.
50Les réformes administratives de Pelletan sont en réalité très limitées. Seule l’organisation d’un nouveau corps des administrateurs de l’Inscription maritime est à mettre à son compte. Toutefois cette réforme se réalise dans une certaine confusion parlementaire. Le décret de Pelletan du 7 octobre 1902 crée un corps indépendant d’administrateurs de l’Inscription maritime. Le ministre de la Marine jugeant que le commissariat se mêle trop de la vie des inscrits, il souhaite organiser un nouveau corps composé de civils. Les nouveaux administrateurs seront désormais recrutés à la sortie des universités et permettront de républicaniser l’encadrement des populations littorales102. Pelletan juge nécessaire de spécialiser et démilitariser le personnel des quartiers de l’Inscription maritime car les principes de la République « interdisent de maintenir un reste d’autorité militaire sur [les] marins qui […] jouissent des mêmes droits que les autres citoyens103 ». Mais effectuée sans consultation, cette réforme doit affronter l’opposition des populations littorales qui y voient une ingérence parisienne dans leur vie quotidienne104, et l’opposition de nombreux parlementaires – y compris radicaux-socialistes – qui voient dans l’usage d’un décret ministériel, la négation de leurs prérogatives financières.
51L’opposition parlementaire est à peu près unanime contre l’utilisation d’un décret pour une réforme administrative ayant des conséquences financières. Dès décembre 1902, la commission du budget et son rapporteur pour la Marine Honoré Leygues s’insurgent contre la création d’un nouveau corps de la Marine et ses conséquences financières sans l’accord du Parlement105. Les explications de Pelletan devant la commission du budget ne convainquent pas celle-ci : le ministre peut s’appuyer sur des précédents, la majorité de la commission prend le parti du rapporteur Leygues qui considère que le ministre s’est mis dans l’illégalité106. Pelletan doit donc déposer un projet de loi en juillet 1903, projet qui reprend en fait son décret du 7 octobre 1902107.
52Dès lors que le projet de loi est déposé, les parlementaires peuvent le retravailler et le corriger. Cette correction leur paraît d’autant plus nécessaire que l’ensemble de la France maritime s’oppose au projet : Honoré Leygues cite dans son rapport sur le budget de la Marine pour 1903 les « protestations fortement motivées de toutes les chambres de commerce des ports importants de France, Dunkerque, Le Havre, Caen, Granville, Saint-Servan, Nantes, Saint-Nazaire, Bordeaux, Cette, Marseille, Nice, etc. ». L’ensemble des inscrits maritimes prennent la défense du commissariat de la Marine dont ils se sentent proche de ses officiers qui connaissent « la vie maritime108 ». Le projet est soumis à l’étude de la commission de la Marine, largement dominée par le Bloc des gauches depuis les élections législatives de 1902. Dix-neuf députés radicaux et radicaux-socialistes ainsi que sept socialistes peuplent la commission et soutiennent donc théoriquement la politique de Pelletan. Les deux tiers de la commission représentent la France maritime, parmi lesquels se trouvent six députés des ports militaires : trois de Toulon et un de Brest, Lorient et Rochefort ; seul Cherbourg n’est pas représenté. Ce sont en fait les députés de cette France maritime qui vont retravailler le texte. Alors que les radicaux-socialistes Honoré Leygues et Édouard Lockroy – bien que ce dernier prenne ses distances avec cette tendance politique – s’associent pour s’opposer au projet de loi Pelletan et défendre la mainmise du commissariat de la Marine sur les populations littorales, les députés littoraux appuient le projet Pelletan sur son principe109. Paul Guieysse et le député de Saint-Brieuc Louis Armez dénoncent « l’application brutale des règlements par les officiers du commissariat » sur les populations littorales et réclament le retrait du commissariat de l’administration de l’Inscription maritime. Pour autant, la commission dominée par les élus littoraux repousse l’idée d’un corps totalement civil, reprenant l’idée portée par les chambres de commerce qu’il est nécessaire que les futurs administrateurs connaissent la réalité de la mer110. Aidée par l’audition des délégués de la Fédération nationale des inscrits maritimes, la commission retravaille le projet de Pelletan : elle décide que les futurs administrateurs seront recrutés de la même manière que les commissaires et qu’ils seront assimilés aux personnels ayant des compétences civiles dans la Marine comme les ingénieurs ou les inspecteurs111.
53Au Sénat, la commission des finances affiche son soutien à Pelletan : les radicaux y possèdent une majorité relative et rares sont les membres de la commission maîtrisant les enjeux de la Marine. Le sénateur et ancien maire de Brest progressiste Louis Delobeau est trop isolé politiquement pour peser dans les débats. Ce sont donc le rapporteur radical du budget de la Marine Victor Méric et le rapporteur général, radical également, Antonin Dubost, qui dominent les débats. Tous deux approuvent les choix de Pelletan en matière d’administration de l’Inscription maritime et soutiennent la volonté de démilitariser l’encadrement des inscrits : Dubost compare même les inscrits avant la réforme de Pelletan à des « serfs militaires112 ». Nous ne disposons pas des procès-verbaux de la commission de la Marine du Sénat qui étudie le projet de loi sur l’administration des inscrits maritimes à partir du printemps 1904. L’attitude des sénateurs radicaux devant la politique de Pelletan ne peut donc malheureusement pas y être étudiée. Mais de nombreuses questions se posent sur le devenir du texte remanié par la commission de la Marine de la Chambre. En effet, la trace de ce texte se perd après son arrivée en commission de la Marine du Sénat. Cela est-il dû à une volonté de Pelletan de ne pas mettre en œuvre les dispositions adoptées par les députés en lieu et place de celles de son décret d’octobre 1902 ? Dans ce cas, un soutien efficace de la commission de la Marine du Sénat aurait pu lui permettre d’enterrer ce texte. Ou bien, les multiples attaques auxquelles Pelletan doit faire face à la Chambre à partir du printemps 1904 l’obligent à délaisser ce projet ? Rien ne nous permet aujourd’hui de trancher cette question.
54Dès 1903, les parlementaires réclament de nouvelles réformes administratives à Pelletan. Mais l’absence de réforme, le désordre qui s’installe à la rue Royale et la guerre russo-japonaise débutée en février 1904 font monter la tension entre le Parlement et le ministre Pelletan. De manière classique, les rapports sur le budget de la Marine s’évertuent à réclamer les réformes traditionnellement préconisées. En octobre 1902, Honoré Leygues réclame ainsi, au nom de la commission du budget, de généraliser la comptabilité des matières en prix réels à l’ensemble des arsenaux après que cette comptabilité ait été expérimenté avec succès à Cherbourg113. En juillet 1903, c’est au tour d’Adolphe Messimy, officier démissionnaire de l’armée de terre et jeune député radical-socialiste de 34 ans, de rédiger les préconisations de la commission pour l’administration des arsenaux : il souhaite l’installation d’un directeur unique pour tous les organes de l’arsenal-usine, comme cela se fait en Grande-Bretagne et comme cela a été préconisé par le commandant Gougeard dès 1881, dans son ouvrage Les arsenaux de la Marine – Organisation administrative. Messimy et la commission du budget rappellent aussi la nécessité de spécialiser les ports en ports de construction ou d’armement et de réparation114. Ils souhaitent également une simplification des écritures comptables dans les arsenaux qui permettrait une comptabilité exacte et sincère et une diminution des personnels comptables115. Au Sénat, en décembre 1903, c’est le rapporteur du budget Paul Cuvinot – un ingénieur des ponts et chaussées, élu progressiste de l’Oise – qui recommande la diminution du nombre de conseils, comités et autres commissions dans les arsenaux comme dans l’administration centrale ; ce trop grand nombre « entraîne fatalement de longs délais, provoque des conclusions contradictoires et conduit à la dispersion et souvent à la suppression des responsabilités116 ».
55Mais l’état anarchique dans lequel Pelletan plonge l’administration de la Marine provoque la mise en accusation du ministre par Lockroy. Il semble que ce dernier ait gardé de nombreux contacts au sein même du ministère, qui le préviennent de la tournure que prennent les choses depuis l’arrivée de Pelletan117. Lockroy lance les hostilités à la fin du mois de novembre 1903 : il interpelle le ministre sur « la situation de la Marine et sur les réformes [qu’il] compte introduire dans l’administration de son département118 ». Lockroy appuie son attaque sur le marché passé par Pelletan avec deux marchands de vin marseillais pour renflouer un navire échoué dans des conditions financières particulièrement désavantageuses pour la Marine qui aurait été capable de le faire elle-même. Cette première interpellation ne fait guère réagir une Chambre des députés en grande partie vide, mis à part le républicain de gauche bordelais Charles Chaumet qui prend le relais de Lockroy pour accuser la manière qu’à Pelletan de gérer les avancements de son personnel administratif119. Cette première interpellation est surtout l’occasion pour Lockroy de s’opposer violemment à ses anciens camarades radicaux-socialistes. Il prend pourtant soin de réaffirmer son appartenance à la majorité du Bloc des gauches dès le début de son interpellation : « Il m’a semblé que c’était le devoir d’un membre de la majorité de ne pas laisser aux ennemis du régime actuel, aux ennemis de la République, le soin et le bénéfice de défendre ici la loi, la Défense nationale et la patrie (applaudissements sur divers bancs)120. » Mais l’extrême gauche de la Chambre ne lui pardonne pas cette prise de position : « Le châtiment de M. Lockroy est d’être applaudi par la droite121. » À l’exception du centriste Chaumet, Lockroy ne trouve d’ailleurs ses soutiens qu’à droite : le nationaliste Lasies et les catholiques ralliés l’Estourbeillon et Reille-Soult. Le lendemain du début de l’interpellation, la Chambre clôture celle-ci en confirmant sa confiance au gouvernement Combes.
56Le début de la guerre russo-japonaise au début de février 1904 change la donne. Le groupe parlementaire de l’Union démocratique (qui regroupe les Républicains de gauche) saisit la Délégation des gauches, organe de liaison entre les différents groupes parlementaires de la majorité gouvernementale122. En commission du budget, Lockroy dénonce « l’état moral » dans la Marine et son administration : on lui a signalé de nombreuses délations anonymes conduisant à des enquêtes administratives sans fondements. Dans l’administration centrale, Lockroy rapporte :
« Systématiquement, on écarte, on refuse de voir les chefs de service. Quand le ministre a besoin d’un renseignement, c’est un chef de bureau que l’on appelle et quelquefois, moins que cela. On mettrait deux Colbert à la Marine qu’ils n’en viendraient pas à bout, s’ils ne consultaient pas leurs chefs de service. On veut tout voir au cabinet et l’on n’a pas le temps de tout étudier ; les dossiers traînent, s’égarent et les décisions attendent des mois123. »
57Auditionné par la commission du budget, Pelletan récuse les accusations en même temps qu’il rejette le droit à la commission de mener une enquête : à ses yeux, seul le Parlement peut l’ordonner124. Devant la demande de la commission de lui transmettre des documents, Pelletan n’en livre qu’une infime partie tenant dans une enveloppe. Lockroy y voit « la preuve manifeste du désordre et de l’anarchie qui règne au ministère de la Marine ». Pour lui, si l’administration était en ordre, « elle aurait ouvert ses tiroirs et ses cartons et nous aurait accablé de preuves de sa bonne gestion. Nous avons reçu seulement cette petite enveloppe de documents. J’y voit une nouvelle preuve du désordre administratif ». Les conséquences de ce désordre son particulièrement graves pour Lockroy : « M. le ministre n’a pas répondu ni peu ni beaucoup à une question qui me paraissait des plus graves, à savoir le désordre matériel et moral de l’administration, la non-préparation à la guerre, la non-convocation des conseils techniques qui devraient aider le ministre dans cette préparation125. » Devant l’attitude du ministre, la commission du budget et son président, Paul Doumer, considère son rôle terminé et en avertit la Chambre.
58Cette situation débouche naturellement sur une nouvelle interpellation à l’encontre du ministre Pelletan, le 24 mars 1904126. Elle est menée par Chaumet. Au-delà des arguments développés par les détracteurs du ministre, qui restent les mêmes que ceux développés lors de l’interpellation de novembre 1903 et lors des débats de la commission du budget, ces échanges nous permettent d’observer l’attitude des parlementaires. Les débats prennent d’emblée une tournure politique : à l’exception de Lockroy, aucun intervenant ne peut se prévaloir d’une réelle expertise sur les questions navales. De nombreux orateurs et intervenants intempestifs ne se sont que très peu intéressés à la Royale jusqu’alors. Mais la frontière entre les soutiens et les opposants à l’action du ministre de la Marine s’est toutefois déplacée vers la gauche de l’hémicycle par rapport à novembre 1903. Aux nationalistes (Firmin Faure, Lasies) et aux catholiques ralliés (Reille-Soult) s’adjoignent désormais les républicains progressistes (Charles Benoist, Paul Bignon) pour soutenir les interventions de Chaumet et de Lockroy. Face à eux, ce sont principalement les députés radicaux-socialistes qui prennent le parti de leur camarade Pelletan : Magniaudé, Sénac, Bepmale, Féron et Henri Michel. Les socialistes Jules-Louis Breton et Fournier se montrent aussi actifs pour défendre l’action de Pelletan. Les radicaux se montrent quant à eux beaucoup plus discrets à l’image de Decker-David, extrêmement critique en commission du budget mais particulièrement mal à l’aise pour répéter ses propos en séance plénière127. De ce fait, l’interpellation ne débouche nullement sur une chute du gouvernement Combes, encore appuyé par sa majorité parlementaire. Mais le président du Conseil accepte tout de même de nommer une commission d’enquête extraparlementaire128. Noyautée par Combes via la présence de Clemenceau comme vice-président, présidée par Pelletan lui-même, elle est composée d’une vingtaine de députés peu au fait des questions navales mais inébranlablement fidèles au gouvernement129. Ses travaux sont rapportés par un fidèle du ministre de la Marine, Adolphe Messimy. La commission se réunit peu, accouche d’un rapport illisible et se dissout finalement après la chute du gouvernement Combes en janvier 1905130. Le départ de Pelletan permet à ses successeurs de reprendre le cours des réformes administratives de Lockroy et de Lanessan. La majorité parlementaire, sous l’influence des républicains de gauche qui se sont opposés à Pelletan, soutient de nouveau ces réformes.
De profondes réformes administratives appuyées par le Parlement (1905-1914)
Un redressement trop lent de l’administration navale aux yeux du Parlement (1905-1909)
59Le nouveau ministre Thomson trouve une administration centrale dévastée par les méthodes de Pelletan. Il restaure donc autant que possible l’ordre dans cette administration. Pour cela, il rétablit les autorités administratives traditionnelles. Il choisit pour chef de cabinet, le dénommé Dupont, ingénieur naval expérimenté131. Par son décret du 21 avril 1905, Thomson rétablit le Conseil supérieur de la Marine. Celui-ci est composé de douze officiers généraux parmi lesquels les cinq préfets maritimes et les commandants des escadres du Nord et de la Méditerranée. Au sein de ce Conseil, une section permanente de trois membres est instituée pour traiter des questions politiques ne nécessitant pas la venue des sept amiraux présents dans les ports et les escadres. Ce système répond d’ailleurs au problème posé dans les années 1890 par la distance des ports avec Paris pour constituer un Conseil réunissant rapidement les officiers généraux en service. Le nouveau chef d’état-major de la Marine est le vice-amiral Touchard à partir de février 1905. Son successeur, le contre-amiral Aubert, profite à partir du décret du 18 novembre 1907 d’attributions plus étendues qu’auparavant puisqu’il peut dorénavant superviser l’administration. Le chef d’état-major de la Marine peut ainsi réunir autour de lui différents chefs de bureau afin de régler des problèmes nécessitant la collaboration de plusieurs services132. Thomson répond ainsi au souhait exprimé par certains parlementaires, au Sénat en particulier133. Enfin, le ministre de la Marine recrée une direction de l’artillerie navale par son décret du 6 avril 1906134.
60Pour autant, ces réformes ne suffisent pas aux parlementaires. La commission du budget émet ses critiques et recommandations traditionnelles. Celle de l’exercice 1908 est particulièrement vindicative. Cette commission s’illustre par une surreprésentation des républicains de gauche par rapport à leur poids à la Chambre. Cet équilibre politique permet à Charles Chaumet de se faire élire rapporteur du budget de la Marine, d’autant plus que peu de députés de la commission maîtrisent les enjeux navals et maritimes. Après avoir critiqué le manque de réformes de la Marine, Chaumet fait donc adopter à la commission les recommandations traditionnelles du Parlement au ministère de la Marine135. Le rapport de la commission réclame ainsi la spécialisation des arsenaux, « trop nombreux, mal outillés, mal organisés », et une organisation industrielle sous l’autorité d’un directeur des constructions navales indépendant des approvisionnements de Paris et du magasin général136. Le rapport réclame également la transformation radicale de l’administration centrale et une décentralisation administrative de la Marine137. Pour Chaumet, ces réformes doivent permettre une plus grande efficacité administrative des arsenaux et par là-même, une meilleure productivité.
61Ces critiques de la part de la commission du budget sont relativement classiques. Mais la commission des finances tend à se montrer également plus critique. Le décès d’Édouard Barbey en mars 1905 paraît libérer la parole au Sénat où l’ancien ministre de la Marine semble avoir exercé une véritable autorité morale sur les questions navales dans les années 1890. C’est Paul Cuvinot (progressiste, Oise) qui est chargé du rapport sur le budget de la Marine de 1904 à 1907, après l’avoir déjà été en 1894 et 1902. Mais ce n’est qu’à partir de 1905 que Cuvinot rédige, à l’image des rapporteurs de la Chambre, de nombreuses critiques et recommandations pour la Royale. Celles-ci répondent principalement à la volonté du Sénat de participer au contrôle de la Marine aux côtés de la Chambre. En mars 1905, il fait ainsi adopter, avec le rapporteur général de la commission, Antonin Dubost, la résolution d’exiger désormais de l’administration de la Marine, une présentation par ports des crédits nécessaires :
« Pour que le contrôle du Parlement puisse efficacement s’exercer sur les dépenses faites pendant les exercices antérieurs, il y a lieu de limiter autant que possible les pouvoirs de l’administration touchant l’affectation des crédits à tel ou tel des navires en construction. Le département de la Marine a pris, cette année, l’initiative d’un résumé de l’état, où les dépenses sont réparties par type de bâtiment : cuirassés, croiseurs-cuirassés, contre-torpilleurs, sous-marins et torpilleurs ; c’est un premier pas dans la voie qu’il convient de suivre. Si dans le budget lui-même, les crédits recevaient une spécialisation par type de navire, au lieu de figurer sans distinction aucune à un seul chapitre, le Parlement serait assuré que les crédits votés vont bien aux navires auxquels on les destine138. »
62L’année suivante, en mars 1906, Paul Cuvinot et la commission des finances en majorité progressiste appuient leurs prétentions pour un meilleur contrôle sénatorial du budget de la Marine. La commission des finances affirme son souhait de la mise en place d’un cadre des personnels de l’administration centrale afin de permettre des prévisions budgétaires et un meilleur avancement du personnel de cette administration grâce à la définition fixe des effectifs par grade. Ce même rapport défend l’idée que le chef d’état-major de la Marine doit être chargé directement des différents services de la flotte armée, y compris des services administratifs139. Cette idée est reprise par le ministre Thomson dans son décret du 18 novembre 1907.
63Quelques mois auparavant, le 12 mars, l’explosion du cuirassé Iéna dans le port de Toulon provoque la stupéfaction dans les rangs du Parlement et de nombreuses interrogations sur l’état de son administration. Les interpellations qui s’en suivent à la Chambre sont dominées par les voix d’Henri Michel, défenseur des idées de la Jeune École, et du vice-amiral nationaliste Bienaimé, qui obtiennent la nomination d’une commission d’enquête à la Chambre dès le 28 mars. La motion réclamant cette commission est cosignée par 47 députés : 12 socialistes, 12 radicaux-socialistes, 11 socialistes, 5 républicains de gauche, 4 progressistes, 2 nationalistes et un conservateur. Comparativement à la composition de la Chambre, ce panel offre un poids particulier aux socialistes qui n’occupent que 12,8 % des sièges de l’assemblée. Inversement, les droites conservatrice, nationaliste et catholique ralliées sont sous-représentées parmi les signataires de la motion et cela, malgré la présence affichée du vice-amiral Bienaimé. Les signataires de la motion sont essentiellement des députés de l’intérieur du pays : 35 d’entre eux sont élus de circonscriptions non maritimes. Seuls Guieysse (Lorient) et Ferrero (Toulon) sont élus des ports de guerre parmi les signataires. Cette commission d’enquête représente donc un véritable danger pour Thomson, susceptible d’être attaqué par sa propre majorité. Cela d’autant plus que la puissante commission du budget affiche sa confiance envers la nouvelle commission d’enquête140. Celle-ci, menée par Théophile Delcassé, présente ses conclusions à la Chambre en octobre 1908 : elle incrimine le manque de stabilité de la poudre B dont le vieillissement explique la combustion spontanée à bord du Iéna. Elle recommande à l’administration de la Marine de s’emparer de la question et de régler le problème des conflits existants entre les officiers de ligne, les officiers d’artillerie et le service des poudres et des salpêtres, conflit inhérent aux liens organisés par l’administration entre ces protagonistes141.
64Thomson quitte le ministère de la Marine en octobre 1908 après la présentation des conclusions de la commission d’enquête sur la catastrophe du Iéna à la Chambre. Pour le remplacer, le président du Conseil Georges Clemenceau appelle Alfred Picard. Ce dernier, ingénieur des ponts et chaussées, est reconnu pour son érudition mais ne dispose d’aucune expérience en matière navale142. Dès sa première intervention devant la Chambre, le nouveau ministre promet d’établir un bilan de l’état de la Marine et de son administration143. Ce bilan est déposé à la Chambre le 23 mars 1909, à l’occasion d’une demande de crédits supplémentaires. L’« Exposé du ministre de la Marine actuel relatif à la mise en état des forces navales actuelles et aux dispositions propres à garantir le bon emploi des ressources budgétaires » provoque l’ire de la commission du budget qui, dès le lendemain, débat des modalités de l’enquête parlementaire à mener144. Le rapporteur général de la commission, Paul Doumer, s’emporte contre « l’imprévoyance noire de la Marine ». La fin du mandat de la commission du budget amène celle-ci à se prononcer pour la nomination d’une nouvelle commission d’enquête qui pourra, de plus, travailler plus rapidement. Ce soutien à la nomination d’une commission d’enquête dépasse, comme en 1907, les clivages partisans : il provient des radicaux-socialistes (Henri Michel), des radicaux (Le Hérissé), des républicains de gauche (Chaumet) comme de la droite (Bienaimé). La commission décide donc, de manière unanime, de se prononcer pour la nomination d’une commission d’enquête dès lors que la Chambre lui demandera son avis, ce qui ne devrait pas tarder à arriver. En effet, le 25 mars, Delcassé, exaspéré par l’état de l’administration de la Marine demande la nomination de cette commission. Le président du Conseil Clemenceau propose sans succès de nommer une commission administrative ad hoc145. Mais Delcassé dénonce dans la manœuvre une « procédure d’étouffement » et la Chambre adopte la résolution à l’unanimité des 545 députés présents146. La commission d’enquête sur la Marine est nommée dès le lendemain dans les bureaux et se divise rapidement en trois sous-commissions. L’une d’elles doit se consacrer à l’administration de la Marine. Delcassé domine nettement les débats de cette sous-commission : parmi les douze autres membres, seul Henri Michel possède des connaissances navales suffisantes pour débattre avec Delcassé qui s’intéresse aux enjeux navals depuis sa participation aux travaux de la commission mixte de 1894 et qui dispose d’une expérience gouvernementale importante au quai d’Orsay. Les autres députés se démarquent au Parlement par leur transparence quasi totale sur les affaires navales et maritimes, bien que certains d’entre eux soient pourtant membres de la commission de la Marine. Le président de la sous-commission, Dauzon, est un radical-socialiste d’Agen qui n’est que très rarement intervenu sur des questions navales au Parlement. Il en est de même pour les autres radicaux-socialistes Binet (Creuse), Lagasse (Lot-et-Garonne) et Pélisse (Hérault). Les collègues radicaux de Delcassé sont également transparents : Combrouze (Gironde), Leboucq (Seine) et Raynaud (Charente) ne s’intéressent pas à la Marine, de même que les républicains de gauche Emmanuel Brousse (Pyrénées-Orientales) – qui va cependant se découvrir à l’occasion un intérêt pour la Marine – et Pérès (Ariège), le progressiste Ballande (Gironde) et le conservateur Lavrignais (Vendée).
65Le rapport de la commission d’enquête est déposé à la Chambre dès le mois de juin suivant. Il est principalement l’œuvre de son rédacteur Henri Michel et de son promoteur Delcassé, complétée parfois par d’autres membres influents de la commission comme Charles Chaumet ou Paul Doumer147. Il condamne violemment l’administration de la Marine sans jamais mettre en cause l’action parlementaire et politique sur cette administration. Cette dernière est directement responsable des lenteurs des constructions navales. D’une part parce que ses bureaux sont un véritable « labyrinthe » dans lequel personne n’a la responsabilité des plans de navires réalisés d’après certains de ses membres148. Ensuite, parce qu’elle est incapable de s’imposer face aux industriels qui la fournissent. Alors que la presque totalité des crédits de constructions navales sont absorbées par les commandes à l’industrie privée – de navires, de machines ou de matières nécessaires aux constructions – cette dernière fixe ses tarifs par l’entente des différentes firmes se partageant les marchés d’approvisionnements de la Marine149. Henri Michel rapporte ainsi que tous les fournisseurs se sont organisés en syndicats : « À chaque spécialité de fournitures correspond une chambre syndicale. Parmi les plus importantes, on peut citer la chambre syndicale de la construction navale, qui comprend toutes les sociétés de constructions navales, et celles du matériel de guerre150. » Ce dernier syndicat assume même dans ses statuts son objectif « d’obtenir des pouvoirs publics, avec inscription au budget, une plus juste répartition des commandes entre l’industrie et les ateliers de l’État151 ». Pour Henri Michel et Delcassé, la structure administrative créée par Lanessan en 1902 a échoué à produire une administration efficace. Ils conseillent à la Marine d’accepter la dissociation entre la conception et la construction navale. Plutôt que de se concentrer à modifier les plans de navires en cours de constructions, les bureaux doivent se consacrer à la conception des plans suivants152. Les deux députés mettent également en avant la coordination incomplète entre les différents bureaux. Ils observent ensuite l’inefficacité du contrôle de la Marine, organisé par les lois des 2 mars 1902 et 30 décembre 1903 qui ont associé au contrôle permanent, un contrôle mobile limité. Ils lui reprochent en particulier de ne pas pouvoir empêcher la Marine de se soustraire au principe de la spécialité budgétaire : le contrôle observe que les chapitres budgétaires sont régulièrement ignorés – les écritures comptables rectifiant les approximations – sans jamais pouvoir s’y opposer153. Il en est de même pour les nombreuses erreurs et négligences opérées dans la comptabilité des bâtiments. Aux yeux de Delcassé et Michel, le contrôle doit donc améliorer ses méthodes de travail et obéir à une direction générale et unique lui permettant d’avoir une vue d’ensemble sur les opérations qu’il traite et d’éviter de se perdre dans des détails insignifiants154.
66Les conclusions de ce rapport sont discutées en séance plénière de la Chambre à partir du 1er juillet 1909155. Le rôle de l’administration de la Marine est attaqué de toute part par les parlementaires. Cette discussion se transforme en interpellation et aboutit après deux semaines de discussions, à la chute du gouvernement Clemenceau le 20 juillet. Au-delà des arguments du rapport Michel qui sont repris par de nombreux orateurs, il nous semble intéressant de mettre en avant le profil des parlementaires ayant participé à ces débats. Ceux-ci sont animés principalement par des personnalités du centre et de la gauche socialiste. Les républicains de gauche mènent la charge contre le ministre Picard : l’ancien ministre Thomson attaque son successeur en même temps qu’il défend sa propre action. Emmanuel Brousse et Eugène Pérès, membres de la commission d’enquête, se découvrent une passion pour la Marine. Charles Chaumet fait part de ses connaissances en la matière pour appuyer les attaques de ses camarades. Les républicains de gauche concentrent 30 % des interventions alors qu’ils n’occupent que 16 % des sièges. A gauche de l’assemblée, les socialistes Jean Jaurès, Jean Allemane et Félix Aldy concentrent leurs attaques sur le traitement de la question ouvrière par l’administration de la Marine. Ils cumulent ainsi 12 % des prises de parole, chiffre proportionnel à leur importance numérique à la Chambre. Parmi les autres grands orateurs, citons Delcassé évidemment et le vice-amiral Bienaimé qui portent de nombreux coups, ainsi que Pelletan qui s’évertue à défendre son action au ministère quelques années plus tôt.
67Géographiquement, ces débats sont principalement portés par des députés de l’intérieur : 65 % des interventions sont le fait de ces derniers. Les députés des arrondissements littoraux ne représentent que 15 % des prises de parole. Ceux des colonies se montrent proportionnellement plus intéressés par les débats : 11 % des interventions sont de leur fait alors qu’ils n’occupent pas plus de 2 % des sièges. Les députés des ports militaires et des ports de commerce, peu nombreux mais intéressés au premier chef par la Marine et son administration, se montrent très discrets : ils représentent respectivement 3 % et 6 % des interventions. Ce dernier chiffre est surtout dû à l’investissement particulier du Bordelais Charles Chaumet. Hormis ce dernier, aucun élu des ports ne s’inscrit pour prendre la parole et leurs interventions se bornent à quelques remarques et des apostrophes. Professionnellement, ce sont les juristes et professions intellectuelles qui participent au débat : ils représentent 74 % des interventions. Les marins n’en représentent que 7 % essentiellement dus à l’investissement du vice-amiral Bienaimé dans le débat. Tous ces chiffres révèlent que la discussion des conclusions de la commission d’enquête sur la Marine qui aboutit à la chute de Clemenceau est purement politique. Les orateurs traditionnels des débats navals se montrent discrets et laissent la place à des députés parfois peu au fait des problèmes de la Marine ; ils semblent les avoir découverts avec cette enquête. Quelques parlementaires s’affirment cependant par leur niveau d’expertise : Charles Chaumet, Henri Michel et surtout Théophile Delcassé maîtrisent leur sujet. Ce dernier souhaite d’ailleurs entrer à la rue Royale et refuse pour cela la présidence du Conseil que lui propose le président Émile Loubet156. Il n’obtient alors ni l’un ni l’autre. Se plaignant de la lenteur des réformes de Thomson, comment les parlementaires accueillent-ils le volontarisme du vice-amiral Boué de Lapeyère en la matière ?
Les réactions parlementaires devant les réformes administratives du ministère Boué de Lapeyrère
68Après la chute de Clemenceau, le nouveau président du Conseil, Aristide Briand, nomme le vice-amiral Boué de Lapeyrère, ministre de la Marine. Ce dernier montre rapidement son sens politique en donnant des gages aux parlementaires par le biais de la promotion de quelques officiers d’origine modeste. Inspiré par Delcassé et par les théories stratégiques de Daveluy, il bénéficie de la confiance des députés157. Il peut donc lancer une série de réformes de l’administration de la Marine, inspirées par le rapport de la commission d’enquête sur la Marine de 1909. Boué de Lapeyère débute par la création d’un sous-secrétariat d’État à la Marine par le décret du 25 juillet 1909 qui en fixe également les attributions :
« [Elles] embrassent toutes les affaires d’ordre administratif, financier ou contentieux, les marchés et contrats de toute nature, l’ordonnancement des dépenses, le service de santé ; toutes les questions relatives à l’hygiène des militaires et marins, les questions ouvrières, et, d’une manière générale, toutes celles qui touchent à la règlementation du travail, à la législation pénale et à la justice maritime, les œuvres d’éducation morale et celles de préparation au service militaire158. »
69Le ministre fait nommer Henry Chéron à la nouvelle fonction. Le député-maire radical de Lisieux s’est auparavant illustré au nouveau poste de sous-secrétaire d’État à la Guerre où il a su améliorer le confort des troupes et gagner le surnom de « bonne fée barbue159 ». Boué de Lapeyrère se tourne vers un homme politique méthodique pour assumer les réformes administratives nécessaires à la Marine pendant que lui se consacre aux aspects techniques de son ministère. Le nouveau sous-secrétaire d’État s’inspire des conclusions de la commission d’enquête de 1909 pour mettre en œuvre ses réformes administratives. Il fait ainsi réviser la règlementation des marchés passés entre la Royale et ses fournisseurs et révise l’ensemble de l’administration de la Marine par le décret du 18 décembre 1909. Il crée une direction du service de santé et une autre de la flotte armée160. Mais surtout, il réorganise profondément l’administration des arsenaux. Les directions de l’exécution, de la gestion et du contrôle sont définitivement séparées. L’autonomie des services est réaffirmée et leur coordination assurée par un conseil des directeurs techniques (constructions navales, artillerie, intendance…) réuni sous l’autorité militaire du préfet maritime, du chef d’état-major ou du major général161. Dorénavant, « chaque service du port trouve au ministère son service correspondant162 ».
70Henry Chéron poursuit ensuite en développant la décentralisation administrative de la Marine. Le décret du 11 janvier 1910 réserve à l’administration centrale « les seules questions engageant un principe ou dépassant certaines limites de compétence [des administrations des ports et arsenaux] et abandonn[e] la solution des autres aux autorités locales ». L’objectif assumé est de dégager l’administration centrale « des questions qui lui étaient inutilement soumises163 ». Un nouveau décret, quatre jours plus tard, complète celui-ci par la redéfinition des attributions du contrôle, nécessairement renforcées pour éviter des dérives inhérentes à cette décentralisation des responsabilités. Enfin, par son décret du 18 mars 1910, Chéron organise le contrôle des dépenses engagées dans les ports, de la même manière que le décret du 14 mars 1893 l’a organisé dans les bureaux du ministère164.
71Comme très souvent, une fois la colère affichée devant la situation de la Marine, l’immense majorité des parlementaires retourne à sa relative indifférence envers les affaires de la rue Royale et laisse le soin de contrôler ces questions aux quelques parlementaires « spécialistes » de ces affaires. Ceci est d’autant plus vrai en 1909 que, nous l’avons vu, de nombreuses attaques menées contre le ministère Clemenceau en juillet sont le fait de députés jusqu’alors étrangers aux affaires navales. Par essence, les questions administratives sont sous la responsabilité du pouvoir exécutif. Le contrôle parlementaire ne peut donc être engagé que par le prisme des questions financières. La commission de la Marine de la Chambre, renouvelée en 1910 et où siège encore Delcassé, n’a donc aucune prise légale sur ces affaires. Par contre, la commission du budget peut, sous couvert de l’examen du budget, contrôler les réformes de l’administration menée par le nouveau ministre. La commission des finances du Sénat peut également se saisir de l’étude de ces questions mais elle n’est guère prolixe en la matière. Les deux commissions du budget des exercices 1910 et 1911 se chargent donc d’étudier les réformes présentées et leurs conséquences budgétaires. Mais ce contrôle est en réalité opéré par quelques députés seulement. La commission de l’exercice 1910 est dominée par des députés de l’intérieur du pays, peu au fait des questions maritimes et par la majorité de gauche issue des élections de 1906. Les questions administratives se limitent donc à l’exposé du rapporteur de la Marine Henri Michel : celui-ci étudie le respect des décisions prises par le ministre et son sous-secrétaire d’État par rapport aux conclusions de la commission d’enquête de 1909 qu’il a lui-même rédigé165. Le rapporteur général Paul Doumer commente les aspects purement financiers de la chose.
72L’année suivante, les débats sont un peu plus animés du fait de la composition même de la commission du budget pour l’exercice 1911 qui compte désormais 45 membres au lieu de 33. Celle-ci est toujours dominée par la gauche mais, à la suite des élections d’avril-mai 1910 qui confirment la continuité du basculement de la Chambre vers la gauche166, elle doit accueillir cinq députés socialistes et trois républicains socialistes. L’immense majorité de ces élus sont des députés de l’intérieur, très souvent juristes ou exerçant des professions intellectuelles mais quelques élus des ports de commerce intègrent la commission : Auguste Bouge et Joseph Thierry pour Marseille, Gabriel Guist’hau pour Nantes. Cette commission accueille également un plus grand nombre de parlementaires intéressés par les affaires navales que la commission précédente : le vice-amiral Bienaimé, désormais inscrit à la droite progressiste, l’ancien sous-secrétaire d’État à la Marine redevenu simple député radical Henry Chéron et les anciens ministres Gaston Thomson et Camille Pelletan. Ce dernier est extrêmement discret sur la Marine, ne semblant plus s’intéresser à ce département depuis son départ de la rue Royale – à la seule exception de défendre son action comme il a pu le faire en juillet 1909 devant la Chambre. Bénazet (républicain de gauche, Indre), est désigné rapporteur du budget de la Marine devant le Marseillais Joseph Thierry et le vice-amiral Bienaimé. Mais pour rédiger son rapport sur le budget de la Marine et les réformes de son administration, il doit composer avec le rapporteur général radical-socialiste Lucien-Louis Klotz, le républicain socialiste Victor Augagneur et quelques remarques du vice-amiral Bienaimé167. Contrairement au rapport sur le budget de 1910 travaillé par le seul Henri Michel, ce rapport et les remarques qu’il porte sur les réformes de l’administration de la Marine sont donc le fruit d’un travail de trois à quatre députés.
73Les réformes administratives menées par le vice-amiral Boué de Lapeyrère et son sous-secrétaire d’État Chéron sont bien accueillies par ces quelques parlementaires intéressés. Ceux-ci voient en effet dans ces réformes une application des principes énoncés par le rapport de la commission d’enquête parlementaire de 1909 : le respect de la volonté parlementaire est perçu par les députés comme une victoire de la démocratie sur une Marine trop longtemps rétive aux règles du jeu démocratique. Les députés considèrent que le Gouvernement doit toujours exposer au Parlement toutes les réformes envisagées et leurs conséquences budgétaires avant de les engager168.
74Le rapport d’Henri Michel, en 1909, accueille donc très favorablement la reprise de ses conclusions rédigées quelques mois plus tôt à l’issue de la commission d’enquête et avec l’aide de Delcassé. Le rapporteur rappelle d’ailleurs rapidement son travail précédent : « La commission d’enquête parlementaire avait mis en lumière de graves et nombreux abus commis par l’administration de la Marie sur lesquels elle avait appelé l’attention, en réclamant d’énergiques remèdes169. » Il félicite donc le nouveau sous-secrétaire d’État Chéron pour les réformes qu’il entreprend rapidement en s’inspirant des remèdes que lui-même a pu proposer. Il apprécie en particulier la décentralisation de l’administration de la Marine et la meilleure coordination entre les différents services170. Le rapport sur le budget de la Marine pour 1910 ne se montre donc guère critique car finalement peu objectif. Sans contradiction au sein de la commission du budget, le rapport s’apparente à un exercice d’autosatisfaction de la part d’Henri Michel.
75Le rapport de l’année suivante se montre plus critique, même s’il soutient sans ambiguïtés l’action du ministre-amiral Boué de Lapeyère. Il relève les différentes réserves que les membres actifs de la commission présentent sur le budget de la Marine et son administration. Certes, la commission est unanime pour approuver la nouvelle présentation du budget. Celle-ci distingue les frais d’entretien de la Marine, les dépenses liées à la Marine marchande et à la pêche et les dépenses liées à la flotte en construction sous l’expression « Travaux neufs – Approvisionnements de guerre171 ». Mais Bénazet, Klotz, Bienaimé et Thomson s’inquiètent d’une possible augmentation de crédits pour l’administration centrale après les réformes adoptées172. Le rapport fait également part de nombreuses réserves sur des réformes qui, au goût de la commission, ne vont pas assez loin. Ainsi, concernant l’administration des arsenaux, la commission s’inquiète d’un possible retour en arrière et souhaite voir la spécialisation du commissariat de la Marine dans l’intendance des arsenaux. De même, la commission ne se montre guère convaincue par les décrets de janvier 1910 qui organisent la décentralisation administrative et redéfinissent les attributions du corps de contrôle de la Marine : les députés estiment que la décentralisation est encore « trop timide » et que le problème du manque de méthode dans l’organisation du travail de contrôle n’est pas réglé. Ils considèrent également que les responsabilités sont encore mal établies en matière de comptabilité des travaux. Pour ce qui est de la règlementation des marchés passés avec les fournisseurs, la commission se montre clairement partisane de l’abandon du vieux système d’adjudication pour celui du marché « gré à gré » ; elle considère également que face aux fraudes et malfaçons des fournisseurs, l’abandon de ces derniers est la seule réponse efficace de la Marine. Enfin, la vieille antienne de la spécialisation des ports est reprise une énième fois : alors que le Royaume-Uni n’a que trois ports de plein exercice et l’Allemagne seulement deux, la France doit pouvoir diminuer le nombre de ses six ports en en spécialisant un ou deux – Lorient et Rochefort étant visés une fois de plus173. Soucieux d’appuyer les réformes administratives de la Marine, les parlementaires républicains soutiennent avec enthousiasme l’action de Delcassé à partir de 1911.
Le ministère Delcassé et l’avant-guerre
76Delcassé prend les rênes du ministère de la Marine en mars 1911. Il y gagne rapidement la confiance des officiers de marine. Grâce à cela, il peut changer profondément les habitudes de travail des employés de la rue Royale. Si le nouveau ministre maintient la plupart des directeurs et chefs de bureau mis en place par son prédécesseur, il change rapidement les pratiques traditionnelles de l’administration : les jours de week-end sont désormais travaillés et la ponctualité est de mise. La catastrophe du Liberté, dont l’explosion est due à l’instabilité de la poudre B, ne remet pas en cause le soutien parlementaire à Delcassé. Celui-ci rejette la responsabilité sur le service des poudres et profite de la confiance de députés qui se contentent des conclusions de l’enquête interne au ministère menée par le capitaine de vaisseau Antoine Schwerer. Seul Paul Painlevé, rapporteur du budget de la Marine et élu républicain socialiste de Paris, attaque Delcassé sur les responsabilités de l’administration de la Marine174. Mais isolé politiquement au sein d’une commission majoritairement radicale et radicale-socialiste acquise à Delcassé, il n’est guère soutenu dans sa démarche. Le ministre peut ainsi poursuivre l’œuvre de réorganisation administrative lancée par Boué de Lapeyrère et dans le but d’établir un contrôle ministériel plus étroit encore sur le département. Le 6 mars 1912, il présente à la Chambre des députés son intention d’établir deux directeurs militaires pour contrôler la construction des principales unités pour le premier et les opérations de la flotte armée pour le second, moyen de distinguer clairement la gestion de la flotte en construction et de celle en service. Le premier de ces directeurs est établi sous le titre de « directeur des travaux ». À partir du décret du 15 avril 1912, l’officier général qui occupe la fonction a désormais l’autorité nécessaire pour coordonner le travail des bureaux de constructions navales, de l’artillerie navale et des travaux hydrographiques. Les chefs de bureaux sont désormais obligés d’en référer au directeur des travaux pour le moindre problème requérant la coordination d’au moins deux bureaux. Delcassé nomme le vice-amiral Pierre Le Bris comme premier directeur des travaux. Parallèlement, la direction de la flotte en service est rapidement organisée : dirigée aussi par un officier général – Delcassé nomme le vice-amiral Jean-Louis Gaschard – cette direction centralise toutes les questions de personnels et supervise le travail du commissariat. Enfin, Delcassé met en place des conférences régulières entre les directeurs et les chefs de bureaux – conférences qu’il préside lui-même – afin de faciliter la coopération entre les services175.
77De même que pour les réformes administratives menées par le vice-amiral Boué de Lapeyrère et son sous-secrétaire d’État Chéron, le contrôle de l’action administrative de Delcassé est mené par les commissions du budget. Deux d’entre elles en ont l’occasion : celles des exercices 1912 et 1913. Élues au scrutin de liste en séance plénière, elles sont composées proportionnellement au poids des groupes parlementaires de la Chambre et leur composition politique ne diffère donc pas de celle de la commission du budget pour l’exercice 1911. Leurs profils socioprofessionnel et géographique sont d’ailleurs très ressemblants à cette dernière commission, la nomination au scrutin de liste facilitant la reconduction des mêmes membres au sein de la commission. Les députés s’investissant sur les questions navales restent limités : le vice-amiral Bienaimé, Henry Chéron, le président Georges Cochery, le Marseillais Joseph Thierry et l’ancien ministre Gaston Thomson complètent par quelques remarques la présentation du rapport sur le budget de la Marine par son nouveau rédacteur, le républicain socialiste Paul Painlevé en 1911. L’année suivante, le rapport de ce même Painlevé prend de nouveau en compte les remarques du vice-amiral Bienaimé, de Henry Chéron devenu rapporteur général, du président Georges Cochery, de Joseph Thierry et de Gaston Thomson mais aussi de l’ancien rapporteur revenu en commission du budget Paul Bénazet. Mais les séances de la Chambre des députés accueillent de nouveau des critiques à l’encontre de l’administration de la Marine. Celles-ci proviennent des députés des ports qui sont finalement les premiers parlementaires à observer les effets des réformes administratives dans les arsenaux. C’est aussi vers eux que les employés de la Marine se tournent pour faire part de leur sentiment vis-à-vis de l’application de ces réformes.
78Le 13 mars 1911 – soit onze jours seulement après la nomination de Delcassé au ministère de la Marine – les députés de Lorient Louis Nail, de Brest Émile Goude et de Cherbourg Albert Mahieu font part des difficultés que les ingénieurs dirigeant les directions de travaux, nouvellement autonomes dans les arsenaux, rencontrent face à leurs nouvelles tâches administratives. Les députés des ports font adopter par la Chambre des députés une résolution sur le sujet : « La Chambre invite M. le ministre à étudier aussitôt que possible les moyens de confier l’administration de l’usine navale à un corps d’administrateurs, fortement constitué, en dehors des ingénieurs176. » Le problème est reposé en commission du budget qui suggère au ministre de constituer « à côté de la sous-direction, sous les ordres directs du directeur, une section administrative dirigée par l’agent administratif principal et comprenant trois bureaux » du personnel, du matériel et financier177. Mais ce problème constitue finalement la seule critique de l’action administrative de Delcassé par la commission du budget en 1911. Cette critique de l’absence d’un véritable corps d’administrateurs dans les arsenaux est reprise par les députés des ports en février 1912 : ces derniers profitent de la discussion sur le projet de loi navale présenté par Delcassé pour redemander – sans succès auprès de la Chambre – la création de ce corps178. En mai de la même année, la commission du budget félicite encore une fois l’action administrative de Delcassé. Elle relève cependant que le contrôle budgétaire des dépenses de la Marine doit encore être amélioré, malgré ce qu’elle pensait : le rapport annuel rédigé de manière commune par le contrôleur des dépenses engagées dans les arsenaux et par le corps de contrôle de la Marine ne suffit pas améliorer la gestion comptable des arsenaux179. Mais ceci est bien la seule critique des réformes administratives de Delcassé.
79La présence de Théophile Delcassé à la rue Royale survit à la chute de deux ministères mais pas à l’élection de Raymond Poincaré, alors président du Conseil, à la présidence de la République en janvier 1913. Jusqu’aux élections législatives de mai 1914, les changements incessants de majorités gouvernementales provoquent à la fois la précarité des locataires de la rue Royale mais également une instabilité – relative – en commission du budget. En janvier 1913, Aristide Briand retrouve la présidence du Conseil et place à la rue Royale le radical-socialiste Pierre Baudin. Élu depuis 1898 à la Chambre, ce dernier ne s’est jamais réellement intéressé à la Marine : vice-président de la commission du budget entre 1903 et 1906, il s’est alors contenté d’exprimer par quelques mots son soutien au ministère de Pelletan. Après la chute de Briand – dès mars 1913 – il garde son portefeuille ministériel dans le cabinet Barthou, qui chute à son tour en décembre de la même année. Gaston Doumergue, nouveau président du Conseil, choisit alors Ernest Monis pour gérer la Marine. Ce sénateur de Gironde, membre de la commission de la Marine depuis 1894, maîtrise davantage que son prédécesseur les problématiques navales ; il fait d’ailleurs partie des principaux orateurs du Sénat en la matière. Mais en désaccord avec la politique du gouvernement, Monis démissionne en mars 1914180. Il est remplacé par le sénateur de l’Aude Armand Gauthier. Ce dernier, membre quasi permanent de la commission des finances du Sénat depuis 1895, n’a jamais démontré un grand intérêt pour la Marine au sein de la haute assemblée.
80À la Chambre des députés, la commission du budget se montre très discrète quant aux affaires administratives de la Marine. Certes, elle connaît une certaine instabilité par rapport aux années précédentes et malgré sa nomination au scrutin de liste. En 1912, seuls sept membres sont remplacés sur 45 ; l’année suivante, ils sont dix-neuf, ce qui équivaut au renouvellement de presque la moitié de la commission. Cette commission du budget de l’exercice 1914 qui contrôle le travail des successeurs de Delcassé n’est pas dépourvue de parlementaires compétents sur les questions navales : elle accueille les anciens rapporteurs de la Marine Adolphe Messimy, Charles Chaumet, Paul Bénazet et Paul Painlevé, le vice-amiral Bienaimé ainsi que les députés des ports de Lorient et Toulon, Louis Nail et Jean-Baptiste Abel. Le résultat de leurs débats, rapportés par le radical d’Eure-et-Loir Maurice Maunoury, est une transparence absolue des problèmes administratifs de la Marine : les membres de la commission du budget estiment que celle-ci a été réformée de manière satisfaisante par Boué de Lapeyrère puis Delcassé ; les problèmes à régler sont maintenant d’ordre matériel et humain181.
81Paradoxalement, c’est au Sénat que l’on observe un contrôle – certes limité – de l’action administrative de la Marine. La haute assemblée renvoie ainsi à la commission de la Marine l’étude de l’augmentation des effectifs du contrôle de la Marine inscrite dans le budget voté par la Chambre pour 1913182. L’avis de la commission de la Marine doit compléter le rapport de la commission des finances alors qu’à la Chambre, cette augmentation n’a pas vraiment été débattue183. Mais le contrôle parlementaire de l’action administrative s’arrête à cela, illustrant la confiance des députés et des sénateurs envers les résultats des réformes menées entre 1909 et 1913.
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82Il s’avère donc que la commission du budget et un nombre limité de personnalités politiques influencent fortement les réformes de l’administration de la Marine dans les années 1890 et jusqu’en 1914. La commission du budget est à l’origine de nombreuses attaques parlementaires contre l’administration de la Marine et le coût qu’elle représente par les dépenses qu’elle engendre, dépenses considérées comme improductives par la commission du budget. La montée en puissance des radicaux dans le jeu politique des années 1890 accentue la vision idéologique de la nécessaire réforme de l’administration de la Marine : plus que rendre cette administration plus productive, il s’agit de la rendre désormais plus républicaine. Cette vision est portée par des personnalités politiques de premier plan parmi les radicaux et les radicaux-socialistes. Henri Brisson et Édouard Lockroy prennent le relais des critiques traditionnelles de Gerville-Réache. La transmission du rapport du budget de la Marine par ce dernier à Brisson en 1891 se charge dès lors d’une portée symbolique. Camille Pelletan donne une virulence plus importante à ces critiques. Finalement, son action et celles de Brisson et Lockroy permettent d’offrir plus de visibilité aux critiques de la commission du budget à l’encontre de l’administration navale. Les résultats de cette pression grandissante n’apparaissent qu’une fois ces parlementaires aux responsabilités. Avant 1895, la haute main des marins sur le ministère leur permet de limiter les réformes. Ainsi, la commission extraparlementaire de 1894 nommée par le ministre-amiral Lefèvre permet à ce dernier de désamorcer les critiques parlementaires tout en gardant le contrôle d’une commission qu’il préside et qui intègre de nombreux fonctionnaires de la Marine, mis en cause par ces critiques. Même si Delcassé y révèle son intérêt grandissant pour les affaires navales, la commission est incapable d’impulser une réelle dynamique de réformes. C’est l’arrivée de Lockroy à la rue Royale qui lance cette dynamique avec, en particulier, la séparation administrative de la flotte en service et de celle en construction. Ces réformes sont poursuivies et approfondies par Lanessan, qui succède à Lockroy en 1898. Le ministère de Défense républicaine auquel il appartient dans le cadre de l’affaire Dreyfus, peut compter sur un soutien important de sa majorité parlementaire pour réformer une administration définitivement considérée par les parlementaires républicains comme le nid de nombreux conservatismes. Les républicains progressistes gardent toutefois une réelle capacité d’influence politique malgré leur entrée dans l’opposition parlementaire. Ils sont ainsi capables de freiner la séparation des fonctions civiles et militaires au sein des arsenaux, séparation à laquelle ils s’opposent. Le ministère Pelletan met un frein à cette collaboration active de la majorité parlementaire aux réformes imposées par l’exécutif. Son action administrative désordonnée met à mal l’alliance parlementaire du Bloc des gauches. Les républicains de gauche, inquiets des dérives de la flotte sous ce ministère, cinq ans seulement après Fachoda, attaquent frontalement le ministre radical-socialiste. Mais après cet intermède Pelletan, le Parlement accueille suffisamment d’élus ayant développé une réelle expérience des affaires navales en tant que ministre ou rapporteurs du budget, pour pouvoir participer activement et en collaboration avec les ministres, à l’accélération des réformes administratives jusqu’en 1914.
Notes de bas de page
1 AN C//5441, PV de la commission du budget pour l’exercice 1891, 29 mai 1890.
2 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1891 (Marine), par M. Gerville-Réache », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1890, annexe no 642, p. 969.
3 Almanach national. Annuaire officiel de la République française pour 1891, Paris/Nancy, Berger-Levrault et Cie, 1891, p. 214.
4 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1891 (Marine), par M. Gerville-Réache », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1890, annexe no 642, p. 970-973.
5 AN C//5443, PV de la commission du budget pour l’exercice 1892, 23 et 24 juillet 1891.
6 Ibid., 11 novembre 1891.
7 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1892 (Marine), par M. Georges Cochery », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1891, annexe no 1745, p. 2687-2767.
8 AN C//5445, PV de la commission du budget pour l’exercice 1893, 23 juin 1892, 8 octobre 1892 et 9 novembre 1892.
9 Jean-Marie Mayeur et Arlette Schweitz (dir.), « Brisson, Henri », Les Parlementaires de la Seine sous la Troisième République, op. cit.
10 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1895 (Marine), par M. Henri Brisson », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1894, annexe no 965, p. 1831.
11 « Proposition de loi portant application à l’administration de la Marine de la loi du 16 mars 1882 sur l’administration de l’armée, présentée par M. Henri Brisson, député », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1894, annexe no 950, p. 2115-2124.
12 Théodore Ropp, The Development of a Modern Navy, op. cit., p. 257.
13 AN C//5548, PV de la commission du budget pour l’exercice 1896, séance du 11 octobre 1895.
14 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1896 (Marine), par M. Camille Pelletan », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1895, annexe no 1540, p. 1200-1237.
15 Ibid., p. 1213.
16 AN C//5435, PV de la commission de la Marine (1890-1893), 5 décembre 1890.
17 AS 14S18, PV de la commission des finances de 1890, 22 novembre 1890.
18 Ibid., 20 novembre 1890.
19 AS 14S19, PV de la commission des finances de 1891, 22 décembre 1891.
20 AS 14S20, PV de la commission des finances de 1892, 6 juillet 1892.
21 AS 14S21, PV de la commission des finances de 1893, 6 juillet 1893.
22 Martin Motte, Une éducation géostratégique. La pensée navale française de la Jeune École à 1914, op. cit., p. 112 ; Michèle Battesti, La Marine de Napoléon III. Une politique navale, op. cit., p. 592.
23 Martin Motte, op. cit., p. 307.
24 AN C//5443, PV de la commission du budget pour l’exercice 1892, 9 mars 1891.
25 AN C//5445, PV de la commission du budget pour l’exercice 1893, 8 octobre 1892.
26 AN C//5447, PV de la commission du budget pour l’exercice 1894, 31 mai, 7 juin et 17 juin 1893.
27 Jean-Marie Mayeur et Arlette Schweitz (dir.), « Brisson, Henri », op. cit.
28 JORF, Débats parlementaires, Chambre des députés, 1891, 5 décembre 1891, p. 2448-2452.
29 AN C//5445, PV de la commission du budget pour l’exercice 1893, 23 juin 1892.
30 Martin Motte, op. cit., p. 371.
31 AN C//5381, PV de la commission du budget pour l’exercice 1888, 27 juillet 1887, p. 274.
32 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1896 (Marine), par M. Camille Pelletan », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1895, annexe no 1540, p. 1230-1232.
33 AN C//5441, PV de la commission du budget pour l’exercice 1891, 29 mai 1890.
34 AN C//5435, PV de la commission de la Marine (1890-1893).
35 AN C//5548, PV de la commission du budget pour l’exercice 1896, 11, 12 et 15 octobre 1895.
36 « Proposition de loi portant application à l’administration de la Marine de la loi du 16 mars 1882 sur l’administration de l’armée, présentée par M. Henri Brisson, député », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1894, annexe no 950, p. 2115-2124.
37 « Rapport adressé au président de la République par le ministre de la Marine, relatif à la nomination d’une commission mixte chargée d’examiner la situation du matériel et des approvisionnements de la flotte », JORF, Lois et décrets, 1894, p. 321-322.
38 JORF, Débats parlementaires, Chambre des députés, 1894, 30 janvier 1894, p. 123.
39 Martin Motte, op. cit., p. 600.
40 « Décret no 22568 portant modification des décrets des 12 août 1886 et 4 août 1887 sur l’organisation de l’administration centrale du ministère de la Marine du 15 août 1890 », BLRF, no 1347, 1890, p. 341-344.
41 Théodore Ropp, op. cit., p. 218.
42 « Décret no 25926 modifiant l’organisation de l’administration centrale de la Marine du 22 décembre 1892 », BLRF, no 1524, p. 1353-1354.
43 « Rapport adressé au président de la République par le ministre de la Marine, suivi d’un décret relatif à la réorganisation de l’état-major général de la Marine et du cabinet du ministre […] », JORF, Lois et décrets, 1894, p. 4617-4618.
44 Thierry Billard, Félix Faure, op. cit., p. 362.
45 « No 26660 – Rapport au président de la République française, suivi d’un décret modifiant l’article 40 du décret du 30 novembre 1857 sur la comptabilité des matières appartenant au département de la Marine », BLRF, no 1560, 1893, p. 1374-1375.
46 « No 26881 – Rapport au président de la République française, suivi d’un décret portant modifications dans la contexture du compte général du Matériel du département de la Marine », BLRF, no 1573, 1893, p. 347-348.
47 Bernard Lutun, « Marine et comptabilité : une incompatibilité ? », dans Philippe Bezes, Florence Descamps, Sébastien Kott et al., L’Invention de la gestion des finances publiques. Élaborations et pratiques du droit budgétaire et comptable au xixe siècle (1815-1914), Vincennes, IGPDE, 2010, p. 461.
48 Martin Motte, op. cit.. p. 733.
49 « Rapport adressé au président de la République par le ministre de la Marine, suivi d’un décret portant création d’un Conseil supérieur de la Marine, du 5 décembre 1889 », JORF. Lois et décrets. 1889, p. 6074.
50 « Rapport adressé au président de la République par le ministre de la Marine, suivi d’un décret portant modification à la composition du conseil supérieur de la Marine, du 28 novembre 1896 », JORF, Lois et décrets, 1896, p. 6502 ; « Rapport au président de la République suivi d’un décret et d’un arrêté concernant le conseil supérieur de la Marine, du 14 août 1900 », BLRF, no 222, 1900, p. 5534-5535 ; « Décret portant réorganisation administrative de la Marine, du 18 décembre 1909 », BLRF, no 24, 1909, p. 2278.
51 Claude Carré, Histoire du ministère de la Défense, Beychac-et-Caillau, Lavauzelle, 2001, p. 245.
52 Théodore Ropp, op. cit., p. 274.
53 Ibid. p. 163 ; Martin Motte, op. cit., p. 733.
54 Théodore Ropp, op. cit., p. 271.
55 Ibid., p. 273.
56 « No 31057 – Décret portant réorganisation de l’administration centrale du ministère de la Marine du 7 avril 1896 », BLRF, no 1776, 1896, p. 1210-1221.
57 Martin Motte, « La Royale sans le roi, le déclin français vu par Charles Maurras », art. cité, p. 72.
58 Martin Motte, op. cit., p. 378.
59 « No 31116 – Décret portant réorganisation de l’administration centrale du ministère de la Marine du 23 mai 1896 », BLRF, no 1779, 1896, p. 1348-1357.
60 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1897 (Marine), par M. J. de Kerjégu », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1896, annexe no 2039, p. 895.
61 Ibid., p. 895.
62 AN C//5555, PV de la commission du budget pour l’exercice 1898, 24 juillet 1897.
63 Ibid., 25 février 1898.
64 Jean-Marie Mayeur, La Vie politique sous la Troisième République, 1870-1940, op. cit., p. 180. Godefroy Cavaignac, ministre de la Guerre du cabinet Brisson, fait produire à l’été 1898 un faux par le colonel Henry afin de prouver la culpabilité de Dreyfus.
65 « No 35379 – Décret portant réorganisation de l’Administration centrale du ministère de la Marine du 27 août 1898 », BLRF, no 2019, p. 48-56.
66 « Décret réorganisant la direction du contrôle au ministère de la Marine du 3 septembre 1898 », BLRF, no 2019, p. 61-62.
67 JORF, Débats parlementaires, Chambre des députés, 1898, 25 octobre 1898, p. 2107.
68 Ibid., 2 décembre 1898, p. 2337.
69 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1899 (Marine) par M. de La Porte », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1898, annexe no 679, p. 411.
70 AN C//5619, Dossier 290, PV de la commission de la Marine, 31 mai 1899.
71 Ibid., 19 juin 1899.
72 « Projet de loi concernant l’organisation administrative des arsenaux et le régime comptable des approvisionnements de la Marine présenté […] par M. Lockroy, ministre de la Marine et par M. Peytral, ministre des Finances », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1899, annexe no 778, p. 853.
73 AN C//5619, dossier 290, PV de la commission de la Marine, 12 juin 1899.
74 Ibid., 14 juin 1899.
75 Jean-Marie Mayeur, op. cit., p. 181.
76 Ibid., p. 181-182.
77 Ray Walser, France’s Search for a Battle Fleet, op. cit., p. 54.
78 Ibid., p. 95-96.
79 Ibid., p. 96-97.
80 AN C//5619, PV de la commission de la Marine (1898-1902), 28 juin 1899.
81 Ibid., 13 janvier 1900.
82 « Rapport fait au nom de la commission de la Marine chargée d’examiner le projet de loi concernant l’organisation administrative des arsenaux et le régime comptable des approvisionnements de la Marine, par M. Albert Le Moigne, député », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1900, annexe no 1342, p. 168-175, p. 170-171.
83 AN C//5626, PV de la commission du budget pour l’exercice 1900, 21 février 1900.
84 JORF, Débats parlementaires, Chambre des députés, 1900, 7 mars 1900, p. 745.
85 Ibid., 1900, 20 décembre 1900, p. 2853.
86 AN C//5627, PV de la commission du budget pour l’exercice 1901, 27 et 29 mars 1900.
87 JORF, Débats parlementaires, Chambre des députés, 1901, 30 et 31 mai 1901, p. 1161-1214.
88 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1901 (Marine) par M. Fleury-Ravarin », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1900, annexe no 1870, p. 2237-2238.
89 AN C//5619, PV de la commission de la Marine, 28 juin 1899.
90 Ibid., 17 janvier 1900.
91 Ibid., 19 janvier 1900.
92 « Rapport fait au nom de la commission de la Marine chargée d’examiner le projet de loi portant organisation du corps de contrôle de l’administration de la Marine, par M. Gerville-Réache », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1900, annexe no 1899, p. 488.
93 JORF, Débats parlementaires, Chambre des députés, 1900, 4 juillet 1900, p. 1784.
94 « Proposition de loi portant organisation du contrôle de l’administration de la Marine, présentée par MM. l’amiral de Cuverville, amiral de La Jaille, Gustave Denis, Cabart-Danneville, Pichon et Delobeau », JORF, Documents parlementaires, Sénat, 1901, annexe no 274, p. 323.
95 « Rapport fait au nom de la commission de la Marine chargée d’examiner le projet de loi adopté par la Chambre des députés portant organisation du corps du contrôle de l’administration de la Marine, par M. Émile Combes », JORF, Documents parlementaires, Sénat, 1901, annexe no 466, p. 461.
96 Martin Motte, op. cit., p. 482-483.
97 Ray Walser, op. cit., p. 116.
98 Martin Motte, op. cit., p. 482.
99 Ray Walser, op. cit., p. 122.
100 Martin Motte, op. cit., p. 486.
101 Ray Walser, op. cit., p. 116.
102 Jean Martinant de Préneuf, « La politique de républicanisation de la Marine à la Belle Époque », art. cité, p. 50.
103 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1903 (Marine) par M. Honoré Leygues (Haute-Garonne) », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1902, annexe no 609, p. 665.
104 Ray Walser, op. cit., p. 120.
105 AN C//7283, PV de la commission du budget pour l’exercice 1903, 8 décembre 1902 ; « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1903 (Marine) par M. Honoré Leygues (Haute-Garonne) », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1902, annexe no 609, p. 666.
106 AN C//7283, PV de la commission du budget pour l’exercice 1903, 15 janvier 1903.
107 JORF, Débats parlementaires, Chambre des députés, 1903, 3 juillet 1903, p. 2269.
108 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1903 (Marine) par M. Honoré Leygues (Haute-Garonne) », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1902, annexe no 609, p. 666.
109 AN C//7258, Premier registre, PV de la commission de la Marine (1902-1906), 24 octobre et 11 novembre 1903.
110 « Rapport fait au nom de la commission de la Marine chargée d’examiner le projet de loi portant organisation du corps des administrateurs de l’Inscription maritime, par M. Paul Guieysse », JORF, Documents de la Chambre, 1904, annexe no 1431, p. 44.
111 AN C//7258, PV de la commission de la Marine (1902-1906), 14 et 18 novembre 1903.
112 AS 14S30, PV de la commission des finances de l’exercice 1903, 20 février 1903.
113 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1903 (Marine) par M. Honoré Leygues (Haute-Garonne) », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1902, annexe no 609, p. 672.
114 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1904 (Marine), par M. Messimy », JORF, Documents de la Chambre, 1903, annexe no 1201, p. 1552-1554.
115 Ibid., p. 1571.
116 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1904 (Marine), par M. Cuvinot », JORF, Documents parlementaires, Sénat, 1903, annexe no 324, p. 716.
117 AN C//7284, PV de la commission du budget pour l’exercice 1904, 29 février 1904.
118 JORF, Débats parlementaires, Chambre des députés, 1903, 30 novembre 1903, p. 3017-3022.
119 Ibid., p. 3018-3022.
120 Ibid., p. 3017.
121 Ibid., p. 3020.
122 Jean-Marie Mayeur, op. cit., p. 187.
123 AN C//7284, PV de la commission du budget pour l’exercice 1904, 4 mars 1904.
124 Ibid., 15 mars 1904.
125 Ibid., 24 mars 1904.
126 JORF, Débats parlementaires, Chambre des députés, 1904, 29 mars 1904, p. 1427.
127 AN C//7284, PV de la commission du budget pour l’exercice 1904, 4 mars 1904 ; JORF, Débats parlementaires, Chambre des députés, 1904, 29 mars 1904, p. 1427.
128 Ibid., 30 mars 1904, p. 1052.
129 René Wallier, Le Vingtième Siècle politique. Année 1904, op. cit., 472 p., p. 212.
130 Ray Walser, op. cit., 129.
131 Ibid., p. 133.
132 Ray Walser, op. cit., p. 161.
133 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1906 (Marine), par M. Cuvinot », JORF, Documents parlementaires, Sénat, 1906, annexe no 160, p. 498-510, p. 503.
134 Ray Walser, op. cit., p. 167.
135 AN C//7347, PV de la commission du budget pour l’exercice 1908, 18 et 23 juillet 1907.
136 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1908 (Marine), par M. Charles Chaumet », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1907, annexe no 1235, p. 1405.
137 Ibid., p. 1416.
138 AS 14 S 32, PV de la commission des finances de 1905, 6 mars 1905 ; « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1905 (Marine) par M. Cuvinot », JORF, Documents parlementaires, Sénat, 1905, annexe no 74, p. 172.
139 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1906 (Marine), par M. Cuvinot », JORF, Documents parlementaires, Sénat, 1906, annexe no 160, p. 503-504.
140 AN C//7347, PV de la commission du budget pour l’exercice 1908, 18 juillet 1907.
141 Ray Walser, op. cit., p. 156-158.
142 Ibid., p. 169.
143 « Rapport général fait au nom de la commission chargée de procéder à une enquête sur la Marine, par M. Henri Michel », JORF, Documents de la Chambre, 1909, annexe no 2554, p. 777.
144 AN C//7348, PV de la commission du budget pour l’exercice 1909, 24 mars 1909.
145 Martin Motte, op. cit., p. 602.
146 Ray Walser, op. cit., p. 172 ; JORF, Débats parlementaires, Chambre des députés, 1909, 25 mars 1909, p. 839-854.
147 « Annexe au rapport général fait au nom de la commission chargée de procéder à une enquête sur la Marine, par M. Henri Michel », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1909, annexe no 2554 (annexe), p. 818-1080.
148 Ray Walser, op. cit., p. 173-175.
149 « Rapport général fait au nom de la commission chargée de procéder à une enquête sur la Marine, par M. Henri Michel », JORF, Documents de la Chambre, 1909, annexe no 2554, p. 777-818, p. 783.
150 Ibid., p. 784.
151 Ibid.
152 Ray Walser, op. cit., p. 174.
153 « Rapport général fait au nom de la commission chargée de procéder à une enquête sur la Marine, par M. Henri Michel, député », JORF, Documents de la Chambre, 1909, annexe no 2554, p. 819.
154 Ibid., p. 820.
155 JORF, Débats parlementaires, Chambre des députés, 1909, 1er, 6, 7, 8, 16, 19 et 20 juillet, p. 175-2243.
156 Martin Motte, op. cit., p. 604.
157 Ibid., p. 554-559, 610. Daveluy défend le primat de la guerre d’escadre, nécessaire à la destruction des forces navales constituées par l’ennemi, forces qui sont la garantie de la puissance. Pour lui, la guerre d’escadre garantit l’immunité des côtes et les croiseurs mobiles, s’ils peuvent seconder les opérations générales en harcelant le commerce, ne peuvent aucunement provoquer la victoire sur mer.
158 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1910 (Marine) par M. Henri Michel », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1909, annexe no 2754, p. 1861.
159 Jean Jolly, « Chéron, Henry », Dictionnaire des parlementaires français, notices biographiques sur les ministres, sénateurs et députés français de 1889 à 1940.
160 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1910 (Marine) par M. Henri Michel », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1909, annexe no 2754, p. 1864 ; « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1911 (Marine), par M. Paul Bénazet », annexe no 368, p. 1341.
161 Joannès Tramond et André Reussner, Éléments d’histoire maritime et coloniale contemporaine, op. cit., p. 718.
162 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1911 (Marine), par M. Paul Bénazet », annexe no 368, p. 1341.
163 Ibid., p. 1342.
164 Ibid.
165 AN C//7349, PV de la commission du budget pour l’exercice 1910, 21 septembre 1909.
166 Jean-Marie Mayeur, op. cit., p. 230-231.
167 AN C//7424, PV de la commission du budget pour l’exercice 1911, 3 août et du 22 septembre 1910.
168 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1911 (Marine), par M. Paul Bénazet », annexe no 368, p. 1342.
169 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1910 (Marine) par M. Henri Michel », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1909, annexe no 2754, p. 1861.
170 Ibid., p. 1863.
171 AN C//7424, PV de la commission du budget pour l’exercice 1911, 3 août 1910.
172 Ibid., 22 septembre 1910.
173 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1911 (Marine), par M. Paul Bénazet », annexe no 368, p. 1341-1347.
174 Ray Walser, op. cit., p. 215.
175 Ibid., p. 202-203.
176 « Rapport [sur le] budget général de l’exercice 1912 (Marine), par M. Paul Painlevé », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1911, annexe no 1244, p. 1487.
177 Ibid.
178 JORF, Débats parlementaires, Chambre des députés, 1912, 13 février 1912, p. 325-338.
179 « Rapport [sur le] budget général des dépenses et des recettes de l’exercice 1913 (Marine), par M. Paul Painlevé », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1912, annexe no 1880, p. 2007.
180 Ray Walser, op. cit., p. 226.
181 « Rapport [sur le] budget général des dépenses et des recettes de l’exercice 1914 (Marine militaire), par M. Maurice Maunoury », JORF, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1914, annexe no 3489, p. 578-605.
182 AS 69 S 134, PV de la commission de la Marine (1913), 28 et 29 mars 1913.
183 JORF, Débats parlementaires, Chambre des députés, 1912, 5 décembre 1912, p. 2977-2978.
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