« Nous savons d’ailleurs trop bien l’impuissance du Parlement à réaliser des réformes administratives [dans la Marine] ; les commissions extraparlementaires, excellent organe d’informations, d’études, n’y sont pas plus aptes. Leur rôle est un rôle de critique. La réforme ne peut réussir que par l’initiative d’un ministre. Nous attendons cette initiative1. »
Paul Ménard-Dorian, 1885.

1Au milieu des années 1880, cet aveu du rapporteur du budget de la Marine à la Chambre des députés est révélateur de l’impuissance du Parlement à peser sur les réformes de la Marine et, plus généralement, sur la politique navale du pays. De plus, émanant d’un métallurgiste important du paysage industriel national, la critique présentée ici n’est pas sans arrière-pensée alors que la marine militaire est l’un des acteurs économiques consommant le plus d’acier à la fin du xix^e siècle. Ces quelques lignes résument finalement bien les rapports entre la République et la Marine à la fin du xix^e siècle, et les luttes de pouvoirs et d’influence qui les nourrissent à un moment où toutes deux connaissent de profondes mutations. La République s’impose en France dans les années 1870 après de nombreuses concessions envers les milieux conservateurs du pays. La République de 1875 n’est pas celle rêvée par les républicains du Second Empire. Aussi change-t-elle rapidement de forme dès la fin des années 1870 et la conquête républicaine des institutions. Au même moment, la Marine connaît de profondes mutations techniques induisant d’importants bouleversements humains alors que son administration figée répugne à se réformer.

De l’intérêt du sujet

2En 1871, le ministère de la Marine exerce son autorité sur l’ensemble de la France maritime et coloniale : il administre la marine militaire mais également les colonies et encadre la marine marchande, les pêcheries et les populations littorales par le biais de l’Inscription maritime. Les missions de ce ministère dépassent largement la marine militaire2. Cependant, le sujet de notre étude se limite à cette dernière et l’usage du terme « Marine » renvoie ici à la marine militaire. S’intéresser aux rapports entre le pouvoir politique républicain et cette Marine des débuts de la Troisième République à la Première Guerre mondiale implique nécessairement de se pencher sur l’un des piliers de ce pouvoir : le Parlement. La première idée de ce travail fut donc de se pencher sur le cœur du travail parlementaire : les commissions. Ce fut d’ailleurs le premier titre de nos recherches : « Les commissions parlementaires de la Marine, 1871-1914. » Le cadre chronologique est des plus classiques, reprenant les bornes communément admises de la première partie de la Troisième République3. La date de 1871 est privilégiée à 1870 car elle correspond, en février, à l’élection du nouveau parlement. Travailler sur les commissions parlementaires de la Marine nécessite de définir ces commissions alors qu’elles sont une source de confusions pour de nombreux historiens de la Marine4. La définition des différentes commissions parlementaires travaillant sur la Marine aboutit à faire le distinguo entre les commissions spécialisées sur des textes liés à la Marine, les commissions de la Marine à proprement parler qui n’apparaissent qu’en 1890 et les commissions extraparlementaires de la Marine. À ces commissions, il faut ajouter l’étude des commissions du budget – dénommées commissions des finances au Sénat – dont émanent les rapports sur le budget de la Marine. C’est l’une d’elle qui produit le fameux rapport Lamy de 1878 sur lequel tant d’historiens du maritime se sont appuyés. Dès lors, comment étudier ces différentes commissions sans s’intéresser aux liens qui existent entre elles et au premier chef, les assemblées qu’elles représentent ? C’est donc bien sur l’ensemble des mécanismes parlementaires qu’il faut travailler pour comprendre l’influence des parlementaires sur les processus de décision concernant la Marine durant la première partie de la Troisième République.

3Dès 1937, Théodore Ropp a étudié la politique navale de la France entre 1871 et 19045. Son travail s’intéresse à l’action des parlementaires dans une dimension plus large qui inclut officiers de marine, administrateurs du ministère et publicistes intéressés par la stratégie navale, afin de présenter les ressorts des choix navals de la France. Mais Ropp ne choisit pas d’étudier les mécanismes des décisions parlementaires, s’appuyant d’abord sur les résultats bruts de ces mécanismes : rapports sur le budget et lois votées. Ses sources sont donc d’abord des sources imprimées et Ropp n’a pas eu l’occasion de plonger dans les profondeurs du travail en commission. Walser poursuit son travail une quarantaine d’années plus tard en s’intéressant à la politique navale française entre 1898 et 19146. Contrairement à Ropp, Walser s’immerge dans les profondeurs des archives des commissions du budget et de celles de la Marine. Mais son travail obéit à la même problématique que celle de Ropp et il n’a pas l’occasion de s’intéresser aux influences contradictoires s’opposant au sein des commissions, ni aux parlementaires qui composent celles-ci. Notre travail n’a pas pour ambition d’égale l’étude monumentale de Michèle Battesti sur La Marine de Napoléon III7, ce qui aurait pu bâtir une suite à une réécriture en profondeur de l’histoire de la Marine au xix^e siècle. Mais, s’insérant dans la dynamique portée par les thèses de Martin Motte et de Jean de Preneuf8, ce travail se veut une modeste contribution au renouvellement de l’étude de la Marine de la Troisième République9.

4Nous souhaitons également participer à l’écriture d’une histoire parlementaire redynamisée par le Comité d’histoire parlementaire et politique depuis le début des années 2000. L’histoire politique de la Troisième République est un sujet traité depuis longtemps, ce qui a donné lieu à de nombreuses synthèses. Celles de René Rémond et de Jean-Marie Mayeur ont constitué les fondations de notre travail10. Les travaux classiques de Mattei Dogan doivent également être cités11. De même que ces illustres historiens, nous nous sommes appuyés sur le travail d’Eugène Pierre, travail fondamental pour toute étude politique de la Troisième République. Secrétaire général de la présidence de la Chambre entre 1885 et 1925, Eugène Pierre rassemble l’ensemble des règles, us et coutumes parlementaires en un volumineux ouvrage : son Traité de droit politique, électoral et parlementaire est une mine d’informations12. Les travaux de Gilles Candar ou de Jean Garrigues modernisent aujourd’hui cette histoire politique et parlementaire13. Notre idée est de nous insérer dans l’étude des mécanismes parlementaires par l’étude d’un sujet particulier, ici la Marine. Depuis La Vie quotidienne des députés en France, 1871-1914, de Pierre Guiral et Guy Thuillier, paru en 198014, l’étude de ces mécanismes et des comportements des parlementaires a progressé, tout particulièrement depuis la fin des années 1990. La figure des élus a déjà donné lieu à des études sur leurs pratiques et la conception de métier qui se développe autour de l’activité politique15. Gilles Le Beguec a poursuivi les travaux pionniers de Rainer Hudemann sur les groupes parlementaires16 alors que Jean-Marc Guislin, Nicolas Rousselier et Christophe Bellon se sont intéressés à l’éloquence des parlementaires et à leurs délibérations17. Le travail parlementaire et les commissions qui en sont le cadre sont également un sujet d’étude ces dernières années18. Notre travail peut être compris comme une étude de cas en la matière.

5Cette étude s’insère également dans le cadre de l’étude des groupes de pression dans la vie politique de la Troisième République. Cette problématique a été abordée lors d’un colloque organisé à l’université de Paris X-Nanterre en mars 2000 et impulsé par Jean Garrigues19. Ce dernier regrette l’avance prise par la recherche anglo-saxonne en la matière20 et met en avant, pour la France, les travaux de référence de Jean Meynaud21. Depuis, cette prise de conscience, plusieurs travaux se sont intéressés à des groupes socioprofessionnels particuliers au sein du Parlement de la Troisième République22. Nous proposons donc d’ajouter à ces travaux, l’étude des groupes de parlementaires liés aux intérêts de la Marine pour tenter d’établir s’il s’agit de véritables groupes d’intérêts, c’est-à-dire d’« un ensemble d’individus (personnes physiques ou morales) qui, sur l’impulsion d’un intérêt commun, expriment des revendications, émettent des prétentions ou prennent des positions affectant, de manière directe ou indirecte, d’autres acteurs de la vie sociale23 ». Jean Meynaud complète cette définition de David Truman pour définir un groupe de pression : « Les groupes d’intérêt ainsi caractérisés ne se transforment en organisme de pression qu’à partir du moment où les responsables utilisent l’action sur l’appareil gouvernemental pour faire triompher leurs aspirations ou revendications24. » Les groupes étudiés tout au long de cette étude peuvent être économiques – les fournisseurs de la Marine – géographique – les élus des ports de guerre – ou socio-professionnels – les officiers de marine. Car les rapports entre les marins et la République ont été peu étudiés jusqu’à présent. L’Armée et ses rapports avec la République ont fait l’objet de nombreux travaux, comme ceux de Jean-Charles Jauffret, Jean-François Chanet, François Bédarida ou Olivier Forcade25. Fabienne Bock a travaillé sur le parlementarisme de guerre entre 1914 et 191926. Mais les rapports entre la Marine et la République ont été peu traités jusqu’à présent, à l’exception d’un mémoire de maîtrise sur les officiers de marine parlementaires et des travaux de Jean de Preneuf27. Traiter des rapports entre le Parlement et la marine de guerre permet donc de pallier ce manque.

6Pour répondre au problème des influences qui s’exercent sur la Marine au Parlement, nous nous sommes tournés vers les archives parlementaires. Les commissions parlementaires ont consigné la tenue de leurs délibérations dans des procès-verbaux conservés aux Archives nationales (série C) pour l’Assemblée nationale et au Sénat (série 69S et 124S) pour les commissions de la chambre haute. Ces procès-verbaux reprennent le plus souvent l’intégralité des échanges et, pour les commissions spécialisées, les principales idées échangées. Les archives du Sénat sont incomplètes : les procès-verbaux de certaines commissions des finances ou de la Marine ont disparu. Nous avons tout de même pu consulter les quatre cinquièmes des procès-verbaux de ces commissions. Quant aux archives de l’Assemblée nationale, elles conservent l’intégralité des procès-verbaux des commissions du budget et de la Marine. Il semble que la mise à disposition d’une commission, d’un secrétaire de l’assemblée, permette la retranscription intégrale des débats. Dans les commissions spéciales ne disposant pas de ces fonctionnaires, le compte rendu des débats est beaucoup plus succinct. Le secrétaire rédigeant les procès-verbaux étant relativement neutre, les retranscriptions obéissent à un souci d’exactitude. C’est ce que nous montrent les volumes d’archives contenant à la fois les brouillons des procès-verbaux et les registres recopiés « au propre » : les ratures des premiers et leurs comparaisons avec les procès-verbaux définitifs ne révèlent aucun changement dans le sens des idées émises mais seulement dans la compréhension attendue des propos rapportés par écrit. Les comptes rendus des séances plénières des assemblées répondent également à un souci d’exactitude des propos en même temps qu’ils représentent une source digne de confiance. Ils sont publiés au Journal officiel de la République française. Comme l’explique Stephen Roberts dans sa préface de l’ouvrage de Théodore Ropp et que reprend Martin Motte, ces comptes rendus et les documents publiés au Journal officiel ne répondent à des considérations de confidentialité que de manière limitée28. Seuls les plans d’état-major gardent un caractère secret et les présentations de ces plans par les ministres de la Marine devant les commissions ne sont jamais couchées sur le papier. L’usage du Journal officiel a été étendu aux volumes des Lois et décrets. Les lois promulguées étant immanquablement comparées aux lois présentées au Parlement pour observer les modifications subies. Quant aux décrets présentés, ils nous ont particulièrement intéressés pour comprendre l’organisation de l’administration de la Marine et son évolution, compréhension nécessaire pour tenter d’appréhender l’influence parlementaire sur ce point. Pour compléter le Journal officiel, nous avons également consulté les autres publications officielles numérisées par la BNF que sont le Bulletin des lois de la République française et le Bulletin officiel de la Marine. De même, la Revue maritime et coloniale – puis la Revue maritime après 1896 – publiée par le ministère de la Marine et l’Almanach national nous ont offert de nombreuses sources complémentaires à notre corpus principal d’archives imprimées. Les références précises seront indiquées au fil du propos en note de bas de page. Pour plus d’exhaustivité, nous renvoyons à notre thèse de doctorat à l’origine de cet ouvrage29.

7Pour traiter des rapports entre les parlementaires et la Marine, il nous a fallu dresser une prosopographie des députés et sénateurs concernés. Dans un premier temps, nous avons établi celle des membres des commissions financières, des commissions de la Marine et des commissions spécialisées sur l’étude de textes liés à la Marine. Dans un second temps, nous avons élargi cette prosopographie à l’ensemble des parlementaires. Trois éléments nous ont semblé importants pour comprendre les comportements des élus : les origines géographiques et plus particulièrement, les circonscriptions d’élection ; les origines socioprofessionnelles et les tendances politiques. Pour définir ces différents éléments biographiques, nous nous sommes tournés vers les dictionnaires biographiques des parlementaires d’Adolphe Robert et Gaston Cougny et de Jean Jolly30. Ces deux grands travaux classiques s’appuient sur divers dictionnaires biographiques publiés entre 1871 et 1914 – en particulier ceux d’Alphonse Bertrand – que nous avons également consultés31. Le dictionnaire de Robert et Cougny et celui de Jean Jolly contiennent une mine d’informations mais recèlent également de nombreux manques en ce qui concerne la formation, le milieu familial ou l’investissement local des élus. Nous nous sommes donc aussi appuyés sur les nombreuses prosopographies réalisées depuis la fin des années 199032.

8Les origines géographiques sont principalement traitées sous l’angle électoral. Nous avons choisi d’étudier les parlementaires dans le cadre de leur circonscription d’élection afin d’affiner autant que possible l’analyse. À la Chambre des députés, la circonscription est définie par arrondissement, certains arrondissements étant subdivisés en plusieurs circonscriptions. L’attachement électoral des élus à un port militaire ou un port de commerce est alors facilement identifiable. À l’Assemblée nationale (1871-1876), au Sénat (1876-1914) mais également à la Chambre des députés pendant une courte période (1885-1889), la circonscription est définie à l’échelle des départements. La définition précise d’un attachement géographique électoral est alors plus difficile. La présentation des élus à des élections législatives précédentes dans des circonscriptions plus précises et l’attachement professionnel à une ville particulière permettent alors de corriger ces imprécisions. Cette façon de procéder nous permet ainsi de définir les origines géographiques selon cinq types de circonscriptions : ports militaires, ports de commerce33, circonscriptions littorales, colonies et circonscriptions intérieures. Les origines socioprofessionnelles sont parfois peu précises dans les dictionnaires prosopographiques et biographiques consultés. Toutefois, les origines nous intéressant le plus apparaissent en général sans trop de problèmes : marins, membres ou anciens membres de l’armée, négociants ou armateurs appartenant au « monde du commerce » sont autant d’élus classés sans problèmes.

9Enfin, définir les tendances politiques s’est avéré particulièrement complexe. L’organisation de groupes parlementaires dès 1871 ne permet pas d’établir automatiquement la tendance politique à laquelle se rattache un élu. D’abord, parce que le phénomène de double appartenance est largement diffusé parmi ces élus : par exemple, ces derniers sont très nombreux à appartenir aux deux groupes parlementaires républicains de la Gauche républicaine et de l’Union républicaine jusqu’à leur fusion dans les années 1880. Au sein de l’Assemblée nationale élue en 1871, certains représentants s’inscrivent à trois voire quatre groupes parlementaires différents. Ensuite, l’appartenance des élus à tel ou tel groupe parlementaire a parfois été difficile à repérer au Sénat et, jusqu’en 1910, à la Chambre des députés. Cette année-là, l’officialisation des groupes parlementaires à la Chambre impose l’inscription des députés dans un seul et unique groupe dont la liste est publiée au Journal officiel. Il faut toutefois noter les précieux travaux de Rainer Hudemann en la matière qui présentent les groupes organisés à l’Assemblée nationale et leurs membres34. Finalement, il a été possible d’établir les grandes tendances politiques, leurs évolutions et les élus de notre prosopographie s’y rattachant à l’aide des travaux biographiques et prosopographiques précédemment cités mais aussi de sources journalistiques35. Durant les années 1870, les républicains se divisent entre le Centre gauche libéral, la Gauche républicaine modérée et l’Union républicaine plus radicale dont se détache progressivement un groupe d’« Extrême gauche » puis un autre de la « Gauche radicale ». À droite, les conservateurs se répartissent entre les orléanistes du centre droit, les légitimistes et les bonapartistes de l’« Appel au peuple ». Dans les années 1880, les républicains de la Gauche républicaine et de l’Union républicaine se regroupent dans un groupe « opportuniste ». Les radicaux s’affirment davantage et le groupe de l’« Extrême gauche » prend progressivement le nom de groupe « radical-socialiste ». Les conservateurs se réunissent dans l’« Union des droites » et il apparaît de plus en plus difficile de distinguer plus précisément leur positionnement politique. Dans les années 1890, les tendances évoluent peu : l’apparition d’un groupe socialiste, le changement progressif de dénomination des républicains opportunistes en républicains progressistes et l’apparition d’un groupe de conservateurs catholiques « ralliés » à la République, sont à noter. Ce groupe naît à la suite de l’encyclique Au milieu des sollicitudes du pape Léon XIII qui appelle les catholiques français à accepter les institutions républicaines. Tout au long de cet ouvrage, le terme « rallié » renvoie donc à cette tendance politique. Au cours de l’affaire Dreyfus, un groupe de républicains dreyfusards se séparent des républicains progressistes, en majorité antidreyfusards. Se désignant sous plusieurs noms consécutifs, nous les nommerons « républicains de gauche », du nom du groupe qui les rassemble dès la fin des années 1900.

10Pour exploiter cette prosopographie et l’attitude des parlementaires concernés face à la Marine, il nous a fallu quantifier l’intérêt de ces élus pour la Royale, nom donné familièrement à la marine militaire. Nous avons choisi de comptabiliser les prises de paroles. Ce choix peut être contesté. En effet, s’arrêter au nombre de prises de parole revient à mettre sur le même plan une simple approbation orale et un long discours enflammé. Peut-être eût-il mieux valu compter le nombre de lignes dans les procès-verbaux consultés. Mais ces écrits ont leurs faiblesses. Selon le temps dont dispose le rédacteur du procès-verbal et selon la présence ou non de secrétaires adjoints – fonctionnaires de la chambre concernée – chargés de retranscrire les débats de la commission, la forme écrite de ces débats peut ne pas refléter leur intensité. De plus, puisque nous tentons d’évaluer le degré d’influence orale des parlementaires concernés, il n’est pas possible de considérer que le résultat d’un discours sur les opinions des auditeurs est proportionnel à sa longueur : une petite phrase vaut parfois mieux qu’un long discours. Mais la quantité de prises de paroles, mêmes courtes, au sein d’un débat illustre l’importance de celui-ci, de même que la variété des intervenants démontre l’intérêt des parlementaires pour le sujet ou bien le caractère technique d’un échange lorsqu’il est limité à quelques orateurs.

11Pour autant, nous ne nous arrêtons pas à la forme des débats : nous nous intéressons également à leur fond. Les arguments développés par les parlementaires sont souvent les mêmes selon les intérêts défendus ou les idées géostratégiques adoptées. Pour ces dernières, le travail de Martin Motte nous a été d’un secours précieux : les arguments des parlementaires ont pu être mis en perspective avec son analyse de la pensée navale durant la première partie de la Troisième République36. L’analyse du fond des débats revient donc à identifier les différentes argumentations développées et leurs influences.

12Ces différents éléments d’analyse nous ont permis d’établir la capacité d’influence du Parlement sur la politique navale de la France entre 1871 et 1914 mais aussi d’établir les différentes influences, parfois contradictoires, s’exerçant au sein même de ce Parlement quant aux enjeux de la Marine. Notre travail suit une organisation chronologique axée autour d’une rupture identifiée à la fin des années 1880. L’échec du ministère Aube à réformer l’administration de la Marine autant qu’à démontrer la pertinence des idées stratégiques de la Jeune École au moment où le boulangisme fait craindre chez la majorité des parlementaires, la puissance d’institutions militaires conservatrices, provoque le désir chez une majorité de députés d’imposer l’autorité du pouvoir politique sur la Marine. Aussi pouvons-nous distinguer une période d’influence limitée du Parlement sur la Marine (1871-1889) d’une période au cours de laquelle la Chambre des députés s’efforce de développer son contrôle sur les affaires et l’administration navale (1889-1914). Tout au long de la période étudiée, le Sénat se démarque en effet par son action limitée. Au sein de ces deux parties, nous élaborons notre propos autour du « triptyque » développé par Malouet au début du xix^e siècle : le matériel, les hommes et l’administration. Nous confessons que cette organisation de notre propos induit inévitablement certaines répétitions : le rapport Lamy est par exemple doublement évoqué dans notre travail, pour sa dimension administrative comme pour sa dimension matérielle des critiques à l’encontre de la Marine. Mais ce choix permet de mettre en exergue les influences parlementaires différentes qui s’exercent sur la Marine selon qu’il s’agisse de problématiques matérielles, humaines ou administratives.