Conclusion
p. 181-182
Texte intégral
1Pierre Perrault fut incontestablement (avec Bernard Palissy) le fondateur de l’hydrologie continentale moderne. Avant lui, ce n’était que supputations métaphysiques, avec lui on entra dans la démonstration scientifique.
2À l’origine, cet honnête homme n’était pourtant pas un scientifique. En effet, c’était un juriste qui avait suivi une formation d’avocat, avant de faire carrière dans l’administration fiscale. Selon les méthodes de l’époque, il œuvrait en homme d’affaires en avançant l’impôt au trésor royal, pour ensuite le lever avec un bénéfice. Mais la réforme fiscale décidée par Louis XIV en 1664 l’avait contraint à la faillite. Il avait renoncé à sa charge pour être exilé à Dijon, où il se livra à la « recherche scientifique ». Son choix de l’hydrologie provient apparemment de la lecture des philosophes de l’antiquité ainsi que de quelques contemporains : Cardan, Schottus, Lydiat, Descartes… Mais ce fut sans doute la lecture des travaux de Bernard Palissy : Discours admirables des eaux et des fontaines, tant naturelles qu’artificielles, des métaux, des sels et salines, des pierres, des terres, des émaux, publiés en 1580, qui l’a conduit à remettre en cause les conceptions erronées qui, à la suite des réflexions d’Aristote continuaient de voir dans l’eau des océans et un hypothétique feu interne, l’origine des eaux s’écoulant par les sources et les fontaines. D’Aristote (ive siècle av. J.-C.) à du Hamel (mort en 1705), aucun n’avait envisagé une origine pluviale (qui pourtant tombait sous le sens) du fait d’une croyance bien ancrée que les précipitations étaient jugées (sans démonstrations ni mesures) insuffisantes à assurer la totalité de l’écoulement. On avait donc imaginé que « la mer pénétrait sous la terre où elle formait d’immenses lacs souterrains dans des cavernes souterraines, gagnait les montagnes pour s’écouler dans les sources ». Au début du xviie siècle, on avait cherché un « moteur » capable d’assurer cette ascension, et Lydiat avait imaginé que, chauffée par le feu souterrain (observé avec les volcans) l’eau « des cavernes souterraines » s’évaporait pour se condenser sur « les toits des cavernes », s’écouler et enfin alimenter les sources puis les rivières et les fleuves.
3La fréquentation épistolaire de Christian Huygens, la lecture de l’ouvrage de Bernard Palissy, l’encourageaient à trouver une explication simple et plus réaliste. C’est dans la seconde partie de son ouvrage qu’il réalise la synthèse de sa pensée. Il avait remarqué que les nuages, générateurs de pluies, étaient constitués de gouttelettes d’eau en suspension. Il comprit que l’évaporation des eaux marines et continentales était assurée par l’action du soleil, fournisseur de chaleur, puis par celle des vents, qui transportaient les nuages de la mer vers les continents. Peu après Perrault, George Hadley évoqua le concept des cellules atmosphériques, entre des « anticyclones » situés aux pôles où l’air est froid et pesant, et des « dépressions » occupant la zone équatoriale où l’air est chaud et léger. Le mécanisme est plus complexe, mais il reconnaissait une origine thermodynamique aux vents réguliers.
4Pierre Perrault fut alors convaincu que les pluies venaient de la condensation de la vapeur d’eau et de la coalescence des gouttelettes d’eau des « nuées » en gouttes d’eau. L’origine pluviale des rivières prenait forme. Alors que ses contemporains dissertaient selon des démonstrations métaphysiques très proches d’une mythologie, il mesura la quantité d’eau chue sur le bassin de la Seine en amont d’Aignay-le-Duc, et il mesura le débit du fleuve. Il cumula les données de trois années, et démontra que le bassin-versant avait reçu une lame d’eau de 485 mm alors que la Seine n’en avait écoulé que 78 mm (une sous-évaluation de la réalité). L’apport pluvial éliminait toutes les explications alambiquées des autres savants. Comme Bernard Palissy l’avait subodoré, il démontrait que l’écoulement fluvial prenait sa source dans les précipitations. Le solde, 407 mm (très exagéré) était très justement attribué à l’évaporation (Edmond Halley en démontra l’existence en 1687).
5Par la suite, Pierre Perrault affina (seconde partie de son ouvrage) sa conception du cycle de l’eau en reconnaissant le rôle de l’évaporation et de la transpiration des plantes, celui de l’infiltration dans la constitution de réserves souterraines au-dessus d’une couche géologique aquiclude, et l’émergence de cette eau dans la source. Mais il avait aussi compris le rôle du ruissellement de surface dans l’occurrence des torrents de montagne.
6Cependant, son ouvrage resta très confidentiel à son époque. Lui-même n’avait jamais imaginé une édition quand on lui força la main pour celle de 1674. Mais n’oublions pas que cet honnête homme fut aussi un critique littéraire : La Secchia rapita, poema eroicomico di Alessandro Tassoni en 1678, Alceste, anciens et modernes avant 1680 et Critique du livre de Dom Quichotte de la Manche dont le manuscrit écrit en 1679 ne fut imprimé qu’en… 1930.
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