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  • Chapitre 14. Sainte-Beuve
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    Plan détaillé Texte intégral Une vie au fil de l’HistoireÉcrivain secondaire ou précurseur ?Une critique multiformeLe beuvisme, principes et méthode Bibliographie

    Histoire de la littérature française du XIXe siècle

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    Chapitre 14. Sainte-Beuve

    p. 173-178

    Texte intégral Une vie au fil de l’HistoireÉcrivain secondaire ou précurseur ?Une critique multiformeLe beuvisme, principes et méthode Bibliographie • Éditions• Biographie• Ouvrage de synthèse• Sélection de travaux critiques

    Texte intégral

    1Lorsque, au cours des années 1960, la critique littéraire française s’est renouvelée en se modelant sur les sciences sociales, le biographisme, auquel on réduisait caricaturalement la méthode de Sainte-Beuve, fut la première victime de ce rajeunissement, et Proust, par la grâce d’un litre dont il n’était d’ailleurs pas le responsable (Contre Sainte-Beuve), servit à cautionner cette exécution posthume du plus grand critique du xixe siècle. Le développement de la sociologie littéraire et un retour au biographique qui s’efforce, cette fois, de se raisonner ont récemment conduit à réviser ce jugement et à souligner les enseignements très actuels qu’il est possible de tirer de Sainte-Beuve, d’une part pour caractériser les rapports entre l’homme et l’œuvre – jamais négligeables ni unilatéraux –, d’autre part pour mieux penser, en termes de création littéraire, le jeu complexe qui s’instaure entre les déterminations internes et externes au texte.

    2Ce travail de réhabilitation ne doit cependant pas conduire jusqu’à l’anachronisme : la réflexion beuvienne, toute en demi-teintes, baigne dans une ambiance de clair-obscur qui tient à la fois à la complexion psychologique de l’homme et au contexte culturel de l’époque. Cette atmosphère marque sans doute les limites de la démarche intellectuelle, mais elle est précisément ce qui signe les écrits de Sainte-Beuve et qui, malgré leur masse, leur diversité et leur origine journalistique ou professorale, les constitue en œuvre littéraire.

    Une vie au fil de l’Histoire

    3Le principe de réalité est l’une des clés de la pensée et dit comportement de Sainte-Beuve, qui ne croit pas qu’aucune illusion, aussi séduisante soit-elle, puisse l’emporter sur l’observation des faits. Aussi ne doit-on pas s’étonner que la vie de l’homme reflète, assez exactement, les évolutions – idéologiques, culturelles, politiques...– de son temps, sans qu’il y ait lieu d’incriminer un opportunisme de mauvais aloi.

    4Né en 1804 dans la petite bourgeoisie de Boulogne-sur-Mer et orphelin de père, il connaît une jeunesse austère et studieuse, dans le Pas-de-Calais puis à Paris. Assez bon élève pour être remarqué par son professeur Paul Dubois – co-fondateur, avec Pierre Leroux, du Globe –, il lui doit la publication de ses premiers articles de critique et d’érudition. En 1827, ses comptes rendus favorables d’Odes et Ballades marquent le début de sa première époque : il devient un familier et un disciple enthousiaste de Victor Hugo, établit sa réputation de critique et se sent assez sûr de son devenir pour abandonner les études de médecine commencées en 1823. Avec ses premiers livres (Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au xvie siècle, 1828 ; Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme, 1829), il conquiert une place privilégiée au sein du mouvement romantique, comme historien de la poésie et vrai spécialiste du vers. Sa jeune autorité lui permet, dès 1831, d’entrer à la Revue des Deux-Mondes dont il sera jusqu’en 1849, avec Gustave Planche, l’un des deux critiques attitrés. Autour, de 1830, il adhère avec passion aux courants intellectuels qui se répandent dans l’opinion publique. Pour un temps encore l’ami de Victor Hugo, avant de reporter son affection sur la femme du poète, il sera aussi tour à tour spiritualiste, républicain et saint-simonien, adepte du catholicisme social de Lamennais, légitimiste.

    5En fait, comme beaucoup d’autres, il tend à prendre ses distances avec la vogue romantique. Il ne se sent à l’aise ni à l’égard du culte rendu au chef d’école, ni devant la fièvre artificielle qu’entretient la presse parisienne ; il désapprouve l’apparition, avec le roman-feuilleton (1836) et la Société des gens de lettres (1838), de la « littérature industrielle ». Pour se protéger de ces dérives, il voudrait asseoir plus solidement le magistère qu’il se sent capable d’exercer. En 1837-1838, il part en Suisse donner un cours d’histoire littéraire dont il tirera son Port-Royal ; en 1840, il est nommé conservateur à la Mazarine ; en 1844, il est élu à l’Académie française ; en 1848-1849, il repart enseigner à l’étranger, cette fois en Belgique, où il donnera la substance de sa future étude sur Chateaubriand et son groupe littéraire sous l’Empire.

    6Sous la monarchie de Juillet. Sainte-Beuve est donc un critique éminent, mais un peu à l’écart. Sa situation change avec le virage conservateur de la IIe République et surtout à la ’faveur du coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte, qu’il soutient. Son clair ralliement lui vaut charges et honneurs ; il devient le critique du Moniteur ; il enseigne – très brièvement – au Collège de France, puis à l’École normale supérieure ; il est nommé sénateur en 1865. Il fait alors office de critique officiel, et ses avis ont valeur de sentences.

    7Mais l’homme vieillissant laisse de plus en plus paraître sa vision sceptique du monde, et son anticléricalisme, que partagent beaucoup d’intellectuels de l’époque, devient virulent et souvent provocateur. Il se libéralise, au moment où, d’ailleurs, le pouvoir allège sa pression : il passe du Moniteur – le Journal officiel de l’époque – au Constitutionnel – organe pro-gouvernemental – puis, en 1869, au Temps – journal d’opposition. Il meurt le 13 octobre 1869, quelques mois avant la chute de l’Empire.

    Écrivain secondaire ou précurseur ?

    8Hormis ses textes critiques, les œuvres de Sainte-Beuve ne sont plus guère lues aujourd’hui : il est à peu près entendu que, ayant quelques bonnes idées, il lui a manqué l’énergie et la force créatrice pour leur donner forme et qu’il demeura, tout bien considéré, un auteur secondaire. Pourtant, tandis que Gustave Planche tenait le rôle ingrat de censeur, il a joui, lui, d’une autorité remarquable, non seulement aux yeux du public, mais auprès des écrivains, qui reconnaissaient en lui un des leurs et qui ont vu dans ses œuvres de jeunesse la préfiguration, même incomplète, d’une littérature à venir.

    9Par tempérament, Sainte-Beuve fut viscéralement hostile à toutes les formes, d’excès littéraire (emphase, abondance verbale, débordements de l’imagination, etc.), qui sont pour lui des négligences et, pis encore, les manifestations d’une coupable complaisance à l’égard de soi : de là certains malentendus critiques et ses réticences devant le romantisme le plus flamboyant.

    10Pour son usage personnel il en a tiré la conviction que la littérature, tout en approfondissant les idées ou les sentiments, ne devait, pas s’exempter du réel et du raisonnable. De manière très significative, sa première œuvre personnelle (Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme) mêle le récit biographique, des poèmes et des réflexions théoriques, comme s’il n’y avait pas solution de continuité entre la poésie et la vie, le littéraire et le métalittéraire. De même, ses autres recueils poétiques (Les Consolations, 1830 ; Pensées d’août, 1837) mêlent curieusement le prosaïsme et la solennité : prosaïsme pour dire les choses, solennité, parfois embarrassée, pour expliquer leur répercussion dans la conscience intime. Sainte-Beuve est ainsi un des premiers – du moins revendiquera-t-il toujours ce rôle de précurseur – à essayer de formuler la poésie du quotidien et du banal, annonçant un courant littéraire qui s’épanouira sous le second Empire.

    11D’autre part, alors que tant d’écrivains d’imagination s’aventurent sur le terrain des idées, la poésie beuvienne apparaît comme la tentative d’un intellectuel de prendre pied en littérature – avec toute la force d’inhibition que cela suppose à l’égard de la fiction. D’où la résonance originale de son roman Volupté (1834), avec lequel Balzac voudra rivaliser dans Le Lys dans la vallée : on y lit le récit de vie d’un évêque, qui s’est consacré à la religion après avoir successivement renoncé aux trois modèles féminins canoniques : la jeune fille (qui implique le mariage et le calme du foyer), la femme mariée (qu’on ne saurait déshonorer), la mondaine (dont l’affection est feinte et superficielle). L’histoire a de fortes connotations autobiographiques : le monde parisien reconnaît sans peine, derrière la marquise de Couaën (l’épouse), la silhouette de Mme Hugo. Surtout, l’histoire est traversée de longues considérations psychologiques et mystiques, où paraissent s’engluer l’histoire et jusqu’aux sentiments eux-mêmes.

    Une critique multiforme

    12Sainte-Beuve a beaucoup écrit et publié de critiques ; il l’a fait avec une remarquable régularité. Son abondance parfois verbeuse, qui nuit sans doute, aujourd’hui, à la pérennité de l’œuvre, tient d’abord à la place incertaine qui est faite au critique au sein des institutions littéraires du xixe siècle.

    13Sainte-Beuve, qui a le plus fait pour constituer et imposer la figure du critique, est amené à cumuler trois fonctions. Il est, d’abord et surtout, un journaliste qui doit remplir les colonnes de son journal ou de sa revue et respecter les délais : ainsi de cette abondante production de la monarchie de Juillet, qu’il réunit en volumes sous le titre général de Portraits. Il aspire d’autre part à l’autorité magistrale, à étendre ses analyses dans des ouvrages de plus longue haleine : Port-Royal (1840-1859), consacré au mouvement janséniste ; Chateaubriand et son groupe littéraire sous l’Empire (1860), où il jette un regard mitigé sur le grand homme du romantisme naissant.

    14Enfin, le modèle auquel il aspire plus ou moins explicitement est celui de la parole mondaine, de ces jugements lâchés dans un salon et au détour d’une phrase subtile et retorse, de cette éloquence ironique par nature, qui signifie toujours plus qu’elle ne dit. D’où le terme de « causerie », employé par Sainte-Beuve pour ses articles publiés sous l’Empire (Causeries du lundi, 1849-1861 ; Nouvelles Causeries du lundi, 1861-1869). Le titre est sans doute là pour rassurer le public, sûr de trouver dans ses textes un ton de bonne compagnie. Mais il correspond aussi au désir personnel de Sainte-Beuve, qu’il exprimait en ces termes, dans une lettre datée du 15 mars 1850, à George Sand : « Je n’ai qu’un goût qui devient plus difficile et qui me procure un plaisir aride, celui de juger : pour en jouir, j’aimerais à en user pour moi seul et pour mes amis, en causant. Mais la nécessité, cette suprême Muse, me force de crier mes jugements au coin d’un carrefour. »

    Le beuvisme, principes et méthode

    15Quel bilan tirer de cette production ? Il est trop facile, à son propos comme à celui de tout autre critique, de relever ce qui nous apparaît comme des erreurs de jugement, des sous-estimations au regard de la postérité (Balzac, Stendhal, Baudelaire, Nerval, etc.) ou la surévaluation de nombreux minores. Critique de presse, Sainte-Beuve suit la littérature vivante telle qu’elle se fait : non seulement il est à l’occasion victime d’une certaine myopie, mais ses critères ne peuvent être ceux de l’histoire littéraire, qui n’a pas à peser les qualités et les défauts de chaque œuvre, et qui doit même se l’interdire.

    16Il est d’ailleurs un domaine où il possède une compétence qu’on ne lui discute pas : il est poète et spécialiste de poésie. Il a réintroduit en France la poésie du xvie siècle et les anciennes formes fixes ; il a reposé, dans des termes justes, la question du Vers et de la rime ; au travers de ses articles, il a mené une réflexion continue sur la relation, fragile et antagoniste, entre le travail et l’émotion poétique. Son évolution même témoigne de l’histoire d’un genre dont il a pressenti, au moins dans leurs principes, les grandes avancées du siècle vers davantage de dénuement et de réalisme, même si, au passage, il s’est intéressé ou a feint de s’intéresser à des auteurs qui ne le méritaient peut-être pas.

    17Or, c’est aussi en poète qu’il juge de la littérature en général des textes et des institutions. Aimant de la poésie l’agencement contraint des mots et des formes et son art nécessaire de la litote, il se méfie du paraître : du paraître trop splendide d’une œuvre qui donnerait trop à voir pour ne rien cacher de sérieux (de là sa réticence pour Balzac), du paraître social d’un auteur (Hugo, puis. Musset), dont la gloire bruyante se mêle inévitablement, de la part du public, à de l’aveuglement. Cette double réaction lui a inspiré parfois quelque malignité, dont on trouvera le reflet dans ses écrits intimes (Mes poisons, publiés en 1926). Elle n’en repose pas moins sur une vraie conviction, et débouche sur une méthode.

    18La conviction, en faveur de laquelle on pourrait évoquer les figures de Socrate ou de Valéry, est que le meilleur de la pensée ne se donne pas à lire dans les textes, mais en deçà ou à côté, au stade de la réflexion informe ou dans le jeu conversationnel où des intelligences, entre soi, jouissent de leur inventivité : « Il y a deux littératures : […] une littérature officielle, écrite, conventionnelle, professée, cicéronienne, admirative ; l’autre orale, en causeries de coin de feu, anecdotique, moqueuse, irrévérente, corrigeant et souvent défaisant la première, mourant quelquefois presque en entier avec les contemporains » (Mes poisons).

    19Puisque l’essence même de la littérature n’est pas dans les œuvres publiées, qui fonctionnent comme des leurres, le travail de l’historien voire du critique ne consiste plus à scruter les textes, mais à reconstituer les groupes restreints auxquels appartiennent les auteurs, à ressusciter l’ambiance des salons et des camaraderies, l’esprit des bavardages et des correspondances, etc. Au moment où Taine élabore son histoire positive de la littérature sur les notions abstraites de race et de milieu, l’approche beuvienne, attentive aux forces concrètes qui structurent le champ littéraire, présente de réelles affinités avec la sociologie culturelle que nous pratiquons aujourd’hui.

    20Pourquoi, dans ces conditions, l’indifférence persistante à l’égard de Sainte-Beuve et l’irritation de Proust ? C’est que l’ancien admirateur de Hugo avait fini par mettre ses facultés d’analyse au service d’un scepticisme grandissant et par douter de la littérature même. Cette attitude était familière à beaucoup de ses confrères et notamment à ceux qu’il fréquentait aux célèbres dîners Magny (Flaubert, Renan, Gautier, les Goncourt…) ; mais sans doute a-t-on jugé que cette distance ironique convenait mal au critique impérial, dont l’autorité dépendait, malgré qu’il en eût, de son influence journalistique et magistrale.

    Bibliographie

    • Éditions

    Le Cahier vert, R. Molho éd., Paris, Gallimard, 1973.

    Causeries du lundi, Paris, Garnier, 1862, 12 vol.

    Chateaubriand et son groupe littéraire sous l’Empire, M. Allem éd., Paris, Garnier, 1948, 2 vol.

    Mes poisons, Paris, J. Corti, 1989.

    Nouveaux Lundis, Paris, M. Lévy, 1863-1870,13 vol.

    Port-Royal, M. Leroy éd., Paris, Gallimard, 1953-1955, 3 vol.

    Premiers Lundis, Portraits littéraires, Portraits de femmes, M. Leroy éd., Paris, Gallimard, 1949-1951, 2 vol.

    Vie, poésies et Pensées de F. Delorme, éd. J.-P Bertrand et A. Glinoer, Paris, Bartillat, 2004.

    Volupté, M. Regard éd., Paris, Imprimerie nationale, 1984.

    Correspondance générale, J. Pius A. Bonnerot éds, Paris et Toulouse, Stock puis Privat et Didier, 20 vol. parus depuis 1935.

    • Biographie

    A. Billy, Sainte-Beuve, sa vie et son temps, Paris, Flammarion, 1952.

    • Ouvrage de synthèse

    M. Regard, Sainte-Beuve, Paris, Hatier, 1959.

    • Sélection de travaux critiques

    R. Fayolle, Sainte-Beuve et le xviiie siècle ou Comment des révolutions arrivent, Paris, A. Colin, 1972.

    M.-C. Huet-Brichard, La Poésie de Sainte-Beuve : un imaginaire de l’échec, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 1999.

    W. Lepenies, Sainte-Beuve. Au seuil de la modernité, trad. J. Etoré et B. Lortholary, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des Idées », 2002.

    R. Molho, L’Ordre et les Ténèbres. Essai sur la formation d’une image du xviie siècle dans l’œuvre de Sainte-Beuve, Paris, A. Colin, 1972.

    P Moreau, La Critique selon Sainte-Beuve, Paris, SEDES, 1964.

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    • Ahr, Sylviane. (2021) « Le Lac » de Lamartine : quels usages pour quels enjeux lorsque l’extrait se substitue à l’œuvre ?. Repères. DOI: 10.4000/reperes.4529

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