Chapitre 1. Histoire et société
p. 50-59
Texte intégral
A. Situation historique
1. La mort de Louis XIV et la Régence
1Louis XIV meurt en 1715. À en croire Saint-Simon, « les provinces, au désespoir de leur ruine et de leur anéantissement, respirèrent et tressaillirent de joie ». Ce fut un mouvement de soulagement, « le peuple, ruiné, accablé, désespéré, rendit grâce à Dieu ». C’est bien essentiellement comme un temps de libération après un long despotisme que l’on est tenté d’analyser cette période de la Régence caractérisée par la réaction contre la dévotion de Louis XIV vieillissant et de sa cour, mais aussi contre une certaine forme d’absolutisme. Il fallait d’abord s’affranchir de ce pouvoir que le Roi semblait vouloir prolonger par delà sa mort, et pour cela casser son testament. Deux niveaux du « pouvoir intermédiaire » entre le Roi et ses sujets s’étaient sentis brimés par l’absolutisme louisquatorzien et vont donc relever la tête : les parlementaires et la noblesse de sang. Le Parlement casse le testament et recouvre le droit de remontrances ; l’aristocratie reprend du pouvoir autour du régent Philippe d’Orléans. La politique des Conseils préconisée par Saint-Simon, va pouvoir fonctionner quelque temps. Curieusement, ce temps de libération des mœurs, est aussi favorable aux austères jansénistes. C’est donc universellement une poussée des anciens opposants au régime. Ce qui ne va d’ailleurs pas sans tensions. C’est ainsi qu’en 1716, le pape refuse l’investiture aux nouveaux évêques nommés par le Régent. En même temps qu’une poussée du jansénisme, on assiste à un renouveau du gallicanisme.
2En réaction contre les guerres du siècle précédent, la Régence se veut pacifique et en 1717 la Triple Alliance (France, Angleterre, Hollande) semble inaugurer une période de paix. Le système du papier-monnaie lancé par Law entraîne une euphorie économique bien momentanée. Le Régent est fort cultivé, aime les sciences expérimentales, la musique. Entouré des quatre Conseils (Conseil du Dedans, Conseil du Commerce, Conseil des Finances, Conseil des Consciences, à tendance janséniste), il fait figure de souverain libéral et peut satisfaire les esprits contestataires.
3Cependant, ce libéralisme est assez superficiel et les structures profondes, économiques et sociales de la France ne sont pas remises en cause. Le Régent doit vite revenir à une politique qui n’est pas très différente de celle de son prédécesseur. Dès 1718, le droit de remontrances des Parlements est considérablement limité, les Conseils seront supprimés en 1723. En 1719, c’est la débâcle financière, à la suite de la faillite de Law ; par ailleurs la guerre reprend entre l’Espagne et la France. L’abbé Dubois, ancien précepteur du Régent, a un pouvoir croissant et qu’il conservera jusqu’à sa mort et celle du Régent en 1723. Le travail de mise en ordre qu’il entreprend ne suffit pas à triompher des graves problèmes économiques que connaît la France appauvrie à la fin du règne de Louis XIV. Les émeutes qui secouent Paris en 1720 et 1721 sont des conséquences de la faillite de Law, mais ont des causes plus profondes et plus lointaines (famine, misère). La prospérité économique de Marseille se trouve gravement atteinte par la terrible épidémie de peste qui ravage cette ville et ses environs en 1720. Finalement on peut se demander si ce sentiment de libération et d’expansion qui est ressenti sous la Régence, n’est pas le fait d’un noyau très limité : la Cour, mais aussi des écrivains qui se sentent plus libres qu’auparavant de s’exprimer, quoique tous les mécanismes de la censure mis en place par Louis XIV continuent d’exister. Inversement, il serait tout à fait simpliste de croire que la Frühaujklarung soit essentiellement liée à la Régence. À bien des égards, la relative libéralisation de la Régence ne fait que permettre l’explosion d’une tendance largement entamée à la fin du règne de Louis XIV.
2. Une période d’équilibre sous Louis XV
4La reprise en mains du pouvoir, effectuée par Dubois, va être confirmée par le cardinal Fleury (de 1726 à 1743) dont Marivaux fait l’éloge dans La Vie de Marianne. Cet homme de paix et d’ordre est en partie responsable de l’équilibre de cette première partie du règne de Louis XV.
5Dans le domaine de la politique internationale, cette période est marquée par l’alliance anglaise qui favorise la circulation des idées entre les deux pays. Mais l’idéal pacifique des premiers temps du règne est de brève durée. De 1733 à 1738, Louis XV est entraîné dans la guerre de Succession de Pologne, pour défendre les droits de son beau-père Stanislas Leszcynski auquel le traité de Vienne en 1738 donnera la Lorraine et le Barois qui reviendront à la France à sa mort. Ce sera ensuite la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748) avec la victoire de Fontenoy (où Jacques le Fataliste contracte sa douloureuse blessure au genou) qui se termine par la paix d’Aix-la-Chapelle (1748).
6À l’intérieur, calme très relatif avec les problèmes qui seront ceux de tout le xviiie siècle : le jansénisme, les Parlementaires, la situation du peuple. Rebondissement des conflits autour du jansénisme avec l’affaire des Convulsionnaires de Saint-Médard ; l’opinion publique, qui n’est que peu portée aux visions mystiques, réprouve cependant l’autoritarisme royal qui fait fermer le cimetière, sur lequel on affiche le placard : « De par le Roy, défense à Dieu / De faire miracle en ce lieu. » L’agitation janséniste utilise souvent l’affichage de « placards » séditieux.
7Les parlements sont fortement marqués de jansénisme (l’affaire des Billets de Confession en 1749) ; déjà en 1732, Fleury avait exilé 139 membres du Parlement de Paris en province. L’opinion publique exprimée ou guidée par les écrivains s’intéresse davantage aux querelles du jansénisme et à la lutte des Parlementaires qu’aux problèmes économiques et sociaux. Après les soubresauts de l’affaire Law, les frères Pâris ont contribué à rendre à la monnaie cette stabilité qui caractérise la première partie du règne de Louis XV. D’autre part, à partir de 1730, le commerce connaît une grande expansion vers l’Afrique et les Antilles. Le grand négoce acquiert un prestige qui n’est pas sans influence sur l’idéologie des Lumières ; mais il repose sur la traite des Noirs dont les écrivains s’émeuvent inégalement en cette première partie du siècle.
8La famine et les grandes épidémies sont en recul en France, ce qui ne veut pas dire pour autant que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes. Les difficultés d’approvisionnement sont encore grandes dans les campagnes. Rien de semblable cependant à la crise de l’hiver 1709. On constate une hausse des revenus agricoles. Mais les transports d’une partie à l’autre de la France sont entravés par les douanes intérieures et les méthodes agricoles n’évoluent pas. Des mouvements de grèves se manifestent dans les manufactures (papeteries du Dauphiné en 1724, drapiers d’Amiens en 1727 et surtout soyeux lyonnais en 1744). Malgré ces nombreux problèmes de la société française, cette période de la première moitié du xviiie siècle apparaît comme fondamentalement stable. Ce n’est guère qu’à partir de 1750 que se feront sentir les premiers signes du séisme qui emportera l’Ancien Régime.
B. Le livre et l’écrivain
9La sociologie de la lecture et de l’écrivain à l’époque des Lumières s’est beaucoup développée depuis une trentaine d’années, bénéficiant des progrès de la sociologie, de la statistique et de recherches d’archives approfondies.
1. Sociologie de l’écrivain
10Une grande variété d’origines est frappante, du pauvre curé Meslier au duc et pair Saint-Simon, certes ; mais de ce que l’on écrit dans des classes sociales très diverses, faut-il conclure que les « écrivains » viennent de tous les milieux ? Ni le curé Meslier ni Saint-Simon ne sont des écrivains de profession. Ce qui caractérise peut-être cette période de 1715 à 1750, c’est l’importance qu’y prennent les hommes de lettres, ces « gens de lettres » dont Voltaire fait l’éloge et qu’il voudrait voir la France honorer à l’égal de l’Angleterre. La notion de « gens de lettres » ne recoupe pas absolument celle d’auteurs et englobe aussi des hommes qui ne font pas leur métier d’écrire, mais qui s’intéressent passionnément aux choses de l’esprit. Les écrivains émanent en majorité, mais non exclusivement, de la bourgeoisie parlementaire, des milieux de professions libérales. Cependant, le milieu d’origine d’un Montesquieu est sensiblement différent de celui d’un Voltaire. Cette diversité des milieux d’origine entraîne aussi une grande diversité des moyens d’existence. Le plus souvent l’écrivain combine, avec des dosages fort variables, les revenus de sa fortune personnelle, les pensions royales ou le mécénat de quelque financier et les fruits de la vente de ses manuscrits aux libraires.
2. Sociologie du livre
11Les études de L. Trahard et de D. Roche ont ouvert des voies fécondes. Les inventaires après décès, les catalogues des libraires, les archives de la Direction de la Librairie sont des sources immenses de matériaux. Cependant, à supposer même que grâce à des équipes et des générations de chercheurs cette abondance d’information soit maîtrisée, il restera inévitablement des lacunes : à ne consulter, par exemple, que les archives de la Direction de la Librairie, des œuvres capitales, publiées à l’étranger, nous échapperaient. D’autre part, une étude du quantitatif pur ne donne qu’une idée assez sommaire du fait littéraire. Enfin dans tout classement se pose le difficile problème d’établir des catégories, et particulièrement à cette époque où, par exemple, les limites sont imprécises entre les domaines que nous nommons « littéraire » et « scientifique ».
12Ce que l’on peut du moins tirer de toutes ces analyses, ce sont des tendances générales bien affirmées : un recul de la théologie et une laïcisation de la culture, très sensible par rapport à la période 1700-1715. Une nette progression de la catégorie « Sciences et arts » qui recouvre aussi les techniques. Un recul de la poésie devant les ouvrages scientifiques et les dictionnaires : le goût du public pour les ouvrages qui apportent une information explique le triomphe de librairie que constituera l’Encyclopédie au début de la période suivante.
3. Sociologie de la lecture
13Il est très difficile de savoir combien de lecteurs ont lu un livre. Les tirages de l’Ancien Régime nous sont mal connus ; quand ils le sont, ils nous semblent étonnamment faibles par rapport à ceux de notre époque. Mais il y a tout un réseau de rééditions plus ou moins clandestines et de contrefaçons, qui sont difficiles à recenser ; d’autre part, en dehors même des cabinets de lecture, le livre circule dans un cercle familial, amical, mondain plus qu’il ne le fait maintenant. À la fois parce que le livre est denrée relativement rare et précieuse, et parce que les réseaux de sociabilité sont plus fermement établis qu’à notre époque.
14Ce qu’il y a de sûr, c’est que, par ailleurs, plus des trois quarts de la population sont analphabètes et ne sauraient donc être touchés par les progrès du livre. Mais la culture populaire a aussi ses publications. Nous avons déjà parlé de la Bibliothèque bleue. Le phénomène n’est pas nouveau, mais il s’étend entre 1715 et 1750, ainsi que le décalage entre culture savante et culture populaire. Tandis que la littérature des Lumières s’élance vers l’avenir, cette littérature populaire travaille à maintenir un univers figé, en dehors du temps ; elle se garde d’évoquer les véritables problèmes de ses lecteurs, elle est essentiellement une littérature d’évasion. Alors que la littérature des Lumières fait l’éloge du commerce, de l’industrie et contribue à la dégradation de l’idéologie nobiliaire, elle immobilise la représentation de la noblesse dans des images rétrogrades de chevalerie médiévale.
4. Les périodiques
15Une des caractéristiques de cette période d’expansion des Lumières, c’est le développement des journaux. L’Angleterre est pionnière, la Hollande aussi est active. Mais la France a un rôle déterminant. On a pu y recenser en 1750, 80 périodiques, alors qu’il en existe 170 en Europe dont beaucoup sont écrits en français. Le Journal des Savants date de 1665 et paraîtra jusqu’en 1792. Le Journal de Trévoux (ou Mémoires pour servir à l’histoire des sciences et des arts) est l’organe des Jésuites et donc lié aux vicissitudes de l’Ordre ; il durera de 1701 à 1767. Le Mercure de France qui prend la suite du Mercure galant vivra de 1724 à 1791. Le Pour et contre de Prévost est publié de 1733 à 1740. Par rapport à l’époque qui suivra, ces journaux sont moins âprement polémiques (L’Année littéraire de Fréron ne commence qu’en 1754) ; beaucoup sont « scientifiques » ; les chroniques littéraires sont souvent des comptes rendus d’ouvrages, avec cependant, dans le Mercure surtout, des comptes rendus de spectacles ; mais aussi des poèmes, essais, etc.
16Il ne peut pas y avoir une presse proprement politique. Les gazettes sont des feuilles volantes qui diffusent une certaine information, mais aussi colportent des « on-dit » (Gazette de France, Gazette de Hollande). Le mot « journal » n’implique pas une parution quotidienne, et le xviiie siècle ne fait pas la distinction entre journal et revue. Les titres peuvent dérouter : Lettres de… fait penser à un titre romanesque, il est cependant utilisé de Fréron à Mirabeau pour désigner un périodique. Bibliothèque, qui nous semblerait davantage fait pour une collection, peut aussi désigner une revue.
C. Lieux de formation et de culture
1. Les collèges
17L’enseignement des garçons est essentiellement assuré en France par les Oratoriens et par les Jésuites. Les Jésuites passent pour plus littéraires, les Oratoriens plus scientifiques. Le niveau est fort variable d’un collège à un autre. Ce qu’il y a de sûr, c’est que nos grands écrivains se répartissent entre élèves des Jésuites (Voltaire) ou des Oratoriens (Marivaux) sans qu’il soit toujours possible de rattacher à cette première éducation leurs différences profondes de tempérament.
18Beaucoup d’esprits distingués parmi ces maîtres, ainsi le P. Buffier, le P. Tournemine, le P. Porée. Le P. Buffier a publié des manuels de géographie et de grammaire, mais surtout un Traité des premières vérités et de la source de nos jugements (1724), des Éléments de métaphysique à la portée de tout le monde (1725), une Exposition des preuves les plus sensibles de la véritable religion (1732), un Cours de Sciences. Voltaire lui rend hommage, ainsi qu’au P. Tournemine qu’il eut pour professeur à Louis-le-Grand. Le P. Porée est vanté par Diderot pour la finesse de son jugement esthétique. L’éducation des collèges sera cependant fort critiquée par l’Encyclopédie et d’Alembert, mais après 1750, quand la lutte sera plus nettement engagée. Dans un premier temps, il semble que nos grands écrivains leur aient été fort redevables de la solidité de leur culture classique, de leur style, de leur rhétorique et même d’une certaine rigueur intellectuelle.
19La formation reçue est au total plus littéraire que scientifique, et dans le domaine des lettres, le latin est privilégié par rapport au grec que les hommes du xviiie siècle connaissent mal, et aux langues vivantes qu’ils ignorent superbement, persuadés que le français est la langue universelle. On notera aussi que ces pédagogues ne se contentent pas de diffuser un savoir, ils réfléchissent sur les méthodes mêmes de l’enseignement. Le Traité des Études de Ch. Rollin est important (1726-1728).
20L’éducation des filles, elle, est bien négligée en comparaison de celle des garçons. Il semble même qu’il y ait un recul de l’éducation des filles au xviiie siècle. Dans les couvents que fréquentent les jeunes filles de la bourgeoisie et de la noblesse, on enseigne surtout à être une femme du monde, vertueuse si possible, et ayant la pratique des arts d’agrément. Cette faiblesse de l’enseignement féminin contraste avec l’activité créatrice des femmes du xviiie siècle. Les femmes de grande culture comme Mme de Lambert ou Mme de Tencin sont des autodidactes.
2. Les académies
21Leur rôle et leur importance vont encore croître après 1715. Les académies scientifiques se multiplient dans les provinces. Dans ce siècle de sociabilité, elles permettent une forme de travail d’équipe.
22L’Académie française est un lieu prestigieux et mondain où il n’est pas absolument nécessaire d’être un écrivain, et où, inversement, bien des écrivains n’entrent jamais : ainsi Lesage et Prévost. Depuis ses origines mêmes, le contrôle du pouvoir y est puissant et le cardinal de Fleury y exerce une tutelle qui n’est pas sans rappeler celle du cardinal fondateur. Si l’on désire être à l’Académie, mieux vaut ne pas être janséniste. L’Académie française est marquée par la pensée des « Modernes » dont nous avons vu d’ailleurs qu’elle se concilie assez facilement avec la fidélité à l’orthodoxie monarchique. La longévité de Fontenelle lui assure une influence constante, et qui s’exerce également sur l’Académie des Sciences dont il est le secrétaire perpétuel de 1697 à 1740. Il y défend la physique cartésienne, mais l’arrivée de Maupertuis en 1732 y apporte un vent de newtonisme. L’Académie des Sciences a eu un rôle fort important dans ce que nous appelons la recherche. Réaumur dirige à partir de 1711 une Description des divers arts et métiers et accumule une documentation dont l’Encyclopédie se servira largement. L’Académie s’occupe également de recherches médicales, de la phonation, de la nature de la voix, de la question de la résonance du corps sonore. Notons la création, en 1731, d’une Académie de Chirurgie.
23L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres produit des mémoires moins connus du public mais tout aussi intéressants que ceux de l’Académie des Sciences. Grâce à l’érudition de ses membres, les sujets les plus délicats (en histoire, archéologie et linguistique) y sont abordés, et les esprits y sont plus aisément audacieux que dans les « grandes académies ». Le sinologue Fréret, le médecin Falconet, Nicolas Boindin se rattachent à un courant de libre pensée. Ils prolongent les réunions officielles pour exprimer plus librement encore une pensée qui est nettement matérialiste, en particulier chez Mirabaud (Sentiment des philosophes sur la nature de l’âme).
24Les académies ont aussi un rôle capital dans l’histoire des arts à cette période. L’Académie royale des Beaux-Arts est déterminante dans la carrière des artistes et choisit les pensionnaires de l’Académie de France à Rome. À partir de 1725, elle organise des expositions dans le Salon carré du Louvre : les Salons, qui seront bisannuels après 1751. Les comptes rendus de ces salons, en particulier ceux de Diderot, vont contribuer au développement de la critique d’art. Les Coypel (Antoine, puis à partir de 1747, son fils Charles), y exercent une direction éclairée. L’Académie d’Architecture et surtout celle de Musique ont une place importante dans ce développement de la création artistique et de la réflexion des écrivains sur l’art : nous y reviendrons.
25Les académies de province sont au nombre de 9 en 1710, mais de 24 en 1750. Des villes moyennes tiennent à avoir la leur : Orléans (1725), Montauban (1730), La Rochelle (1732), Arras (1737), Dijon (1740), Rouen (1744), Clermont (1747), Auxerre (1749), Amiens (1750). Elles permettent la circulation des idées entre noblesse parlementaire, clergé (surtout des ordres enseignants) et professions libérales. Parmi les plus intéressantes : celles de Bordeaux et de Dijon. Elles proposent des sujets de concours, qui sont le plus souvent scientifiques et pratiques, du moins avant 1750 ; elles aborderont par la suite des sujets plus généraux (cf. Rousseau et l’Académie de Dijon, infra).
26Dans cette Europe des Lumières, il ne faut pas non plus négliger la place que tiennent les Français dans des académies étrangères. L’Académie royale des Sciences et des Belles-Lettres de Berlin a été reconstituée par Frédéric II ; elle possède quatre classes : mathématiques, philosophie, physique, belles-lettres. Le mathématicien français Maupertuis en est le président à partir de 1746. L’Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg, fondée en 1725 par Pierre le Grand, a aussi son prestige.
3. Les salons
27La cour de Sceaux connaît, autour de la duchesse du Maine, un éclat tout particulier sous la Régence. Les salons et châteaux de la haute noblesse bénéficient de l’affaiblissement du centralisme versaillais. Tandis que l’enrichissement des financiers leur permet de tenir salon, les couvents qui sont souvent des lieux mondains ont aussi les leurs : celui de Mme Doublet, chez les Filles de Saint-Thomas, manifeste une liberté d’esprit voisine du libertinage. Nous avons évoqué le salon de Mme de Lambert, important déjà avant 1715. Celui de Mme de Tencin (1682-1749), rue Saint-Honoré, est justement célèbre. Après 1733, il héritera d’une partie des habitués du salon de Mme de Lambert. Marivaux songe à elle dans La Vie de Marianne, lorsqu’il évoque Mme Dorsin. Duclos laisse d’elle un portrait moins bienveillant dans les Confessions du comte de… sous le nom de Mme de Tonins. Douée d’une forte personnalité, romancière de talent (cf. infra), elle a la tête politique et travaille efficacement à la carrière de son frère le futur cardinal. Elle s’intéresse aux écrivains et reçoit chez elle Fontenelle, Duclos, Marmontel. Elle suit de près l’édition parisienne de L’Esprit des lois et sa diffusion.
4. Les clubs et les cafés
28Les cafés dont nous avons déjà signalé l’existence continuent d’être le lieu d’une sociabilité plus libre, strictement masculine. L’influence de l’Angleterre se fait sentir dans la mode des clubs : ainsi celui de l’Entresol, place Vendôme, où se retrouvent l’abbé de Saint-Pierre, Ramsay, le marquis d’Argenson. On y parle beaucoup de politique et de projets de réforme. Un peu trop aux yeux du pouvoir et le Cardinal Fleury fait fermer en 1731 ce club qui existait depuis 1724.
5. Les loges
29Par rapport à la période précédente, il faut noter le développement des loges maçonniques. L’anglomanie fut pour beaucoup dans leur multiplication à partir de 1730 ; elles s’affilient à la grande loge d’Angleterre en 1735 ; elles se heurtent à la méfiance du pouvoir monarchique et de l’Église. Clément XII par la bulle In eminenti (1738), Benoît XIV par la bulle Providas (1751) menacent d’excommunication les adhérents ; en 1736 Fleury interdit leurs réunions. Cependant bien des membres du clergé sont francs-maçons ; la bulle de Benoît XIV n’a pas été enregistrée par le Parlement et un prince de sang, le duc d’Antin, est grand maître de la Grande Loge de France.
30Les tendances idéologiques des loges sont diverses ; certaines, d’inspiration anglaise, sont plus égalitaires, tandis que d’autres multiplient grades et hiérarchies. La personnalité de Ramsay (1686-1743) est intéressante. Écossais d’origine, il a fréquenté le mystique protestant Poiret et Fénelon (dont il imite le Télémaque dans ses Voyages de Cyrus, 1727), puis s’est converti au catholicisme et laisse un Discours d’inspiration déiste et maçonnique (1736-1737). Le Parfait maçon ou les véritables secrets des quatre grades d’apprentis, compagnons, maîtres ordinaires et écossais expose un programme pour la maçonnerie qui est bien celui des Lumières : cet « établissement dont le but unique est la réunion des esprits et des cœurs pour les rendre meilleurs, et former dans la suite des temps une nation spirituelle, un peuple nouveau tenant de plusieurs natures ».
Bibliographie
• Histoire générale
La Régence, centre aixois de recherches (A. Colin, 1970). – P. Chaunu, La Civilisation de l’Europe des Lumières (Arthaud, 1971). – G. Chaussinand-Nogaret, La Vie quotidienne sous Louis XV (Hachette, 1979). – P. Gaxotte, Louis XV (Flammarion, 1980). – L. Méthivier, Le Siècle de Louis XV, (P.U.F., « Que sais-je ? », 1966). – J.-CH. Petitfils, Le Régent (Fayard, 1986).
• Le livre ; la presse
R. Estivals, La Statistique bibliographique de la France sous la Monarchie au xviiie siècle (Paris-La Haye, Mouton, 1965). – M. Gilot et J. Sgard, Dictionnaire des journaux, Inventaire de la presse classique (P.U. de Grenoble, 1978). – P. Rétat, Le Journalisme d’Ancien Régime (P.U. Lyon, 1982). – Livre et société dans la France du xviiie siècle (Mouton, 1965). – J. Sgard, Dictionnaire des journalistes (1600-1789) (P.U. de Grenoble, 1976).
• L’éducation
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• Les Académies
D. Oster, Histoire de l’Académie française (Vialetay, 1970). – D. Roche, Le Siècle des Lumières en province : académies et académiciens provinciaux, 1680-1789 (Mouton, 1978). – Cl. Salomon-Bayet, L’Institution de la science et l’expérience du vivant ; méthodes et expérience à l’Académie des Sciences, 1666-1793 (Flammarion, 1978).
• La Franc-Maçonnerie
P. Chevalier, Les Ducs sous l’acacia, ou les premiers pas de la franc-maçonnerie française, 1725-43 (Vrin, 1974). – R. Halévi, Les Loges maçonniques dans la France de l’Ancien Régime : aux origines de la sociabilité démocratique (Colin, 1984). – R. Priouret, La Franc-maçonnerie sous les lys (U.G.E., 1976).
• Les Salons
M. Glotz et M. Maire, Salons du xviiie siècle (Nouvelles éd. Latines, 1949). – J. Sareil, Les Tencin, histoire d’une famille du xviiie siècle, d’après de nombreux documents inédits (Genève, Droz, 1969).
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Histoire de la littérature française du XVIe siècle
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