Chapitre 3. Arts et poésie

p. 23-27


Texte intégral

A. La musique

1Versailles n’est plus le lieu de fêtes aussi brillantes qu’au zénith du règne de Louis XIV, Lulli est mort ; ce n’est pas pour autant que l’art stagne. On ne cesse de redécouvrir l’intérêt de cette période musicale qui va de Lulli à Rameau. Marc-Antoine Charpentier s’éteint en 1704, sa Médée donnée en 1693 à l’Académie royale de musique est une grande œuvre. La tempête d’Alcyone (1706) de Marin Marais mérite d’être signalée, comme l’Iphigénie en Tauride (1704) de H. Desmarets et Campra.

2Si la Cour est gagnée à l’austérité, les princes, les financiers organisent des fêtes favorables au développement de certains genres musicaux : la pastorale héroïque (Destouches, Issé, 1697), le ballet à entrées, et surtout l’opéra-ballet, dont la vogue naît grâce à La Motte et au livret de l’Europe galante (1697), les Fêtes vénitiennes (1710) dont Campra écrit la musique. Campra excelle dans la tragédie avec Hésione et Tancrède ; Jean-Joseph Mouret anime les fêtes de Sceaux, et écrit l’opéra-ballet Les Festes de Thalie (1714). Notons enfin l’importance de la cantate. Bernier met en musique celles de J.-B. Rousseau (1703-1723) ; Elizabeth Jacquet de la Guerre donne des Sujets tirés de l’Écriture (1708-1711).

3Il n’est pas superflu d’attirer ici l’attention sur cette activité musicale : l’absence de ces figures tyranniques que fut Lulli et que sera Rameau semble favoriser la diversité et le foisonnement de la création. La musique entretient des liens étroits avec la littérature ; nous venons de citer La Motte et J.B. Rousseau. La collaboration du poète et du musicien est essentielle : pour tout ce xviiie siècle dont on a décrié la poésie, tandis qu’on exaltait sa musique, on a peut-être trop oublié que les véritables chefs-d’œuvre étaient nés d’une conjonction entre le texte et la mélodie.

4La musique, pendant tout le siècle, est aussi objet du discours esthétique. Dès l’aube du siècle, musique italienne et musique française s’opposent avec les pamphlets de Raguenet. Même si ces textes n’ont pas une importance littéraire capitale, ils sont intéressants dans la mesure où l’on retrouve l’écho de ces discussions à travers les écrits esthétiques du temps, en particulier chez l’abbé Du Bos.

B. Les arts plastiques

5Ici aussi, les dernières années du règne de Louis XIV sont fécondes et l’on y sent un renouvellement, une vigueur nouvelle, plus de réalisme dans la sculpture (Nicolas et Guillaume Coustou), plus de liberté dans la peinture chez Largillière, Desportes, Rigaud et surtout chez Antoine Coypel (1661-1722) et J.B. Santerre (1651-1717). Lorsque Louis XIV s’éteint, Watteau a déjà produit ses premières œuvres : des scènes militaires, et bientôt son Embarquement pour Cythère ouvrira une ère nouvelle (cf. infra). On peut considérer que la fin du style Louis XIV remonte à vingt-cinq ans avant la mort du souverain, à celle de Le Brun (1690). À partir de ce moment se manifestent une plus grande liberté à l’égard des règles, ainsi qu’un goût plus personnel. Les stalles de Notre-Dame de Paris (1710) sont bien révélatrices de cette esthétique nouvelle. Dans l’architecture, cette transformation apparaît aussi bien dans la salle de l’Œil de Bœuf de Versailles (1701), que dans le merveilleux Hôtel Soubise (actuellement Archives nationales) que Delamain construit de 1704 à 1714.

C. L’abbé Du Bos et la réflexion esthétique

6Un des intérêts de la célèbre querelle des Anciens et des Modernes, c’est bien d’avoir développé la critique esthétique. Perrault avait chanté le Labyrinthe de Versailles ; Du Bos, qui a voyagé en Italie (1700-1701), écrit des Réflexions critiques sur la poésie et la peinture (1719) : ce sont souvent aussi des réflexions sur la musique. Du Bos est persuadé que l’histoire culturelle d’une époque forme un tout. Il montre comment la production artistique est liée à l’état politique, mais aussi à la situation géographique. Sa théorie esthétique est fondée sur deux leitmotive : le plaisir esthétique provient du sentiment, d’une sorte de « sixième sens » ; il ne peut être parfait que si l’artiste a su imiter la nature. Certes, il n’y a là rien de révolutionnaire par rapport à ce qu’enseignaient les grands classiques. Cependant l’accent est davantage mis sur la sensation. D’autre part, on perçoit chez Du Bos un relativisme historique qui nous semble riche en développements ultérieurs.

D. La Nouvelle Querelle des Anciens et des Modernes

7Trop longtemps on a opposé les partisans des « Anciens ». sclérosés dans un culte passéiste, aux partisans des « Modernes », qui s’élancent vers le futur, vers le progrès, vers les Lumières. En fait les choses ne sont pas si simples ; d’abord plusieurs écrivains gardent une position assez équilibrée et nuancée entre les deux camps ; d’autre part, les « Anciens » ne sont pas forcément bornés. Pour mieux défendre le siècle d’Auguste, ils vont être amenés à développer un certain relativisme, et le sens historique. D’autre part, les « Modernes » ne sont pas forcément des esprits frondeurs. On n’oubliera pas que l’éloge de l’art « moderne », c’est essentiellement l’éloge du règne de Louis XIV et de son rôle de mécène. Cela dit, il ne faut évidemment pas minimiser l’apport des « Modernes », qui nous semble finalement surtout important dans la remise en cause de la notion d’autorité, l’attention donnée au progrès scientifique, une réhabilitation du baroque, très sensible chez Perrault, la remise en cause de la hiérarchie des genres.

8Cette querelle semble appartenir au siècle précédent, et pourtant elle renaît au début du xviiie. Houdar de La Motte donne une adaptation d’Homère en 1713. Il ignore le grec, mais les traducteurs-adaptateurs de cette époque ne se croyaient pas obligés de connaître les langues étrangères. Il s’était servi de la traduction de Mme Dacier qui protesta énergiquement (Des causes de la corruption du goût, 1715). L’abbé de Pons (Lettre sur l’Iliade, 1714), Terrasson (Dissertation critique sur l’Iliade, 1715) prennent parti pour La Motte. Montesquieu ridiculisera la querelle dans les Lettres persanes. Ce rebondissement autour d’Homère n’est pas sans intérêt. Nouveau paradoxe : la cause des « Anciens », qui semblait marquée par l’anti-féminisme de Boileau, est défendue par une femme, et combien savante ! On y voit à la fois les progrès de la critique des textes et de l’érudition, mais aussi comment finalement l’opinion publique est gagnée au parti des « Modernes ».

E. Fénelon et la Lettre à l’Académie

9Fénelon prend parti pour les « Anciens », mais avec toute la subtilité et les nuances dont son esprit et son style sont capables ; il donne un bon exemple de la fécondité et de la nouveauté de certains thèmes des « Anciens » ; on lira dans cette Lettre (1714) un éloge du primitivisme, on y verra ce goût de la pastorale et ce mythe de l’âge d’or si chers au siècle des Lumières ; le monde d’Homère, comme celui de la Bible, ignorent ces vains raffinements des époques de luxe, ils sont plus proches de la Nature, donc du vrai et du bien. On trouve aussi dans ce texte une idée presque romantique de la poésie ; Fénelon « s’en tient à une conception pathétique et dramatique de la poésie ; il aime que le cri de l’âme se fasse entendre sans phrase ; au récit savamment conduit du Théramène racinien, il préfère les interjections de l’Œdipe sanglant de Sophocle. Paradoxalement, l’esthétique mélodramatique du “cri animal de la passion” (Diderot) tirera l’une de ses origines de ce chef-d’œuvre d’atticisme qu’est la Lettre à l’Académie » (R. Pomeau). C’est à partir de ce choix que Fénelon met la rime en accusation et donne à la fois une théorie (et une pratique dans le Télémaque) du poème en prose.

10Fénelon sera l’objet d’un culte pendant tout le xviiie siècle. Pour devenir ainsi le précurseur des Lumières, l’évêque de Cambrai a dû subir certaines métamorphoses. Il est, aux yeux des hommes du xviiie siècle, devenu l’apôtre de la tolérance, et il est bien vrai qu’il s’était insurgé contre les violences dont les protestants étaient les victimes (Discours pour le sacre de l’électeur de Cologne, 1707). Parce qu’il avait loué la charité et le « pur amour », il devient l’apôtre de cette vertu laïque si chère au xviiie siècle : la bienfaisance. De ses démêlés avec Bossuet, le défenseur des dogmes et de l’orthodoxie, on conclut qu’il est l’ancêtre du déisme et, pourquoi pas, de la Révolution française. Le théâtre des dernières années du siècle le met sur scène (M.-J. Chénier, Fénelon ou les religieuses de Cambrai, 1793) !

F. Efforts de renouveau poétique

11La conception de la poésie au xviiie siècle est différente de la nôtre et en particulier sur deux points. Aussi bien en cette fin du règne de Louis XIV, que sous la plume de Voltaire et de Marie-Joseph Chénier, la poésie est considérée comme devant être le véhicule des idées philosophiques, religieuses et politiques. Pas d’« art pour l’art », pas de recherche du mystère et de l’incompréhensible. D’autre part, la nouveauté des idées ne remet pas en cause le système poétique ; rimes, strophes, contraintes diverses. André Chénier sera encore persuadé que l’on doit exprimer des « penser nouveaux » avec des vers antiques, ce qui signifie des vers inspirés par l’Antiquité, mais qui se conforment aussi à la prosodie classique telle qu’elle a été codifiée au xviiie siècle.

12N’y eut-il qu’un poète au xviiie siècle, et à son extrême fin : André Chénier ? Bien des chercheurs (S. Menant, E. Guitton) ont contribué à remettre en cause cette idée un peu sommaire. Pour s’en tenir à l’aube du xviiie siècle : Houdar de La Motte, Jean-Baptiste Rousseau, Chaulieu et quelques autres poètes ne sont pas absolument négligeables. Houdar de la Motte (1672-1731) a tenté de restaurer la grande poésie de l’ode ; ses cantates sont des « petites épopées » qu’il n’est pas utile de comparer à la Légende des siècles, mais qui font parfois songer aux poèmes bibliques de Vigny (Le Déluge, la Tour de Babel, etc.). En 1709, il publie le recueil de ses Odes, précédé d’un « Discours sur la poésie en général et sur l’ode en particulier » Il fait l’éloge d’une poésie qui suivrait essentiellement les pulsions de l’imagination. Mais il y a chez lui, comme chez beaucoup de ses contemporains, un décalage entre l’audace de la pensée et la forme poétique.

13Jean-Baptiste Rousseau (1671-1741) fut célèbre au xviiie siècle par ses Odes et ses Cantates, autant que par son indépendance d’esprit, (après l’affaire des couplets, il fut exilé peut-être injustement, et n’obtenant pas une réhabilitation, préférera mourir en exil). La perfection et la sensibilité de ses strophes ne devraient pas nous laisser insensibles. Comme La Motte, il essaie de renouveler ses sources d’inspiration en recourant aux thèmes bibliques. L’abbé de Chaulieu (1639-1729), homme d’affaires des Vendôme, ne néglige pas non plus l’ode (Ode contre l’esprit, 1708) ; mais il est plus inspiré dans le ton satirique (dans les Louanges de la vie champêtre) ou sur des sujets empruntés à la vie quotidienne.

14Cette poésie des premières années du xviiie siècle est marquée par deux tendances opposées : d’une part l’aspiration au grand lyrisme de l’ode, avec le renouveau que peut apporter l’inspiration biblique, d’autre part, la poésie familière, volontiers anacréontique des « petits genres », chansons à boire, lettres badines, simples divertissements de société (recueil d’Épigrammes et poésies mêlées, réunies par Sénécé, 1717).

Bibliographie

• Musique et arts

M. Benoît, Les Musiciens du roi de France : 1661-1773 (P.U.F., « Que sais-je ? », 1982). – G. Snyders, Le Goût musical en France aux xviie et xviiie siècles (Vrin, 1968). – R. Huyghe, La Peinture française dans les xviie et xviiie siècles (Flammarion, 1982). – L. Marin, Le Portrait du Roi (Minuit, 1981).

• Sur la querelle des Anciens et des Modernes

Cf. J. Rohou, Histoire de la littérature française du xviie siècle, Nathan-Université, 1989, pp. 364-371.

• Sur Fénelon

Cf. J. Rohou, Histoire de la littérature française du xviie siècle, Nathan, 1989, p. 364-371. – A. Chérel, Fénelon au xviiie siècle en France (Hachette, 1917). – J.-L. Goré, L’Itinéraire de Fénelon, Humanisme et spiritualité (P.U.F., 1957). – V. Kapp, Télémaque de Fénelon, la signification d’une œuvre littéraire à la fin du siècle classique (Tübingen, G. Narr, 1982).

• Sur la poésie

S. Menant, La Chute d’Icare, la crise de la poésie française, 1700-1750 (Droz, 1981).


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