Introduction à la troisième partie
p. 169-170
Texte intégral
1De tous les présidents de la Ve République, François Mitterrand est sans doute celui qui entretint les liens les plus étroits avec de nombreux territoires. Dévoilée par la plume ou par l’image, cette intimité constitue bel et bien – et ce n’est pas le moindre de son intérêt – la matière d’un autoportrait. François-Jean Authier le montre en prenant ces territoires pour ce qu’ils sont aussi : un objet littéraire. Sous la plume du « poète marcheur », les territoires ne sont pas tant le prétexte à l’écriture d’un paysage intérieur, pas plus qu’ils ne se réduisent à la description d’un paysage. À travers le souci de saisir l’instant et de le fixer par l’écrit pour en refaire l’expérience sensible, François Mitterrand dessine un « moi-paysage », « une autre manière de dire le moi ». Car ces territoires littéraires sont aussi des territoires de communication particulièrement convoqués dans les années 1970 par le chef de l’opposition alors désireux de s’inscrire dans le paysage national, ainsi que le montre Pierre-Emmanuel Guigo à partir des écrits mitterrandiens comme des sources audio-visuelles. Ainsi, en évoquant « la jubilation (que François Mitterrand éprouvait) d’appartenir à cette terre plutôt que de la posséder », Gilbert Mitterrand rappelle que, pour avoir su mobiliser ces territoires à des fins politiques, le lien tissé n’était en rien factice ou simplement d’opportunité.
2Trois lieux mitterrandiens par excellence font ici l’objet d’analyses approfondies. Les territoires de l’enfance, de Jarnac à Nabinaud (Éric Kocher-Marboeuf), dessinent volontiers le portrait du barrésien, attaché à la terre plus qu’aux hommes et femmes qui la travaillent ; objets d’un pèlerinage, ils constituent un repère dans un temps presque immobile, loin des turpitudes de la vie politique. L’exemple de Latche, la villégiature landaise que François Mitterrand partageait avec son épouse Danièle et ses fils, suggère cependant que ces territoires intimes ne sont en rien des espaces de repli (témoignage de Gilbert Mitterrand). Judith Bonnin analyse ainsi comment François Mitterrand mobilisa ce lieu privé à des fins de diplomatie, accueillant à maintes reprises « le monde » sur son sol, par un emboîtement d’échelles. Noëlline Castagnez, enfin, montre à quel point certains territoires furent « mitterrandisés », à l’instar de la Roche de Solutré, qui devint un lieu de mémoire, au même titre ou presque que la maison natale de François Mitterrand, rachetée par la commune de Jarnac (témoignage de Jérôme Royer, ancien maire de la commune).
3Dès lors que la politique s’invite dans l’intimité et que le territoire intime est convoqué par le politique, qu’apporte-t-il ? Un discours politique, d’abord, mais aussi et peut-être avant tout un discours sur l’homme politique. Le « pèlerinage » à Jarnac et plus encore le « rituel » de Solutré confèrent à François Mitterrand une dimension supplémentaire ; l’homme politique, qui en profite à l’occasion pour apparaître comme un homme simple, y gagne en substance et en épaisseur. En mettant en avant son rapport littéraire, patrimonial, spirituel et même mystique aux territoires, François Mitterrand déploie sa complexité. Ces territoires intimes constituent en outre assurément un instrument de pouvoir. La médiatisation de Latche ou de Solutré participent de la personnalisation du pouvoir de François Mitterrand et de sa présidentialisation. D’autant que, dans une tradition toute monarchique, l’homme les mobilise aussi à l’appui d’une politique de faveur, tant l’invitation et la présence à ses côtés dans ces territoires intimes vaut proximité politique. Enfin, ces territoires offrent un cadre propice pour faire de la politique autrement, à la faveur d’un protocole moins pesant, misant sur les contacts humains et la sociabilité pour favoriser le dialogue politique et, peut-être, certaines décisions ainsi que le suggère Latche – même si le lieu n’a pas encore livré tous ses secrets… Car c’est bien de secret et d’un dévoilement savamment calculé qu’il est ici question avec ces territoires.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008