Introduction à la deuxième partie
p. 97-98
Texte intégral
1Les pages qui suivent s’intéressent à la place du maillage territorial dans le pouvoir mitterrandien, tant sur le parti que dans le pays à travers son accession, en 1981, aux plus hautes fonctions politiques. Elles montrent en effet combien la victoire présidentielle fut préparée de longue date – depuis les années 1960 –, méticuleusement, par des déplacements incessants – et sans doute éreintants – aux quatre coins de la France, comme en témoigne Jacques Santrot. Rémi Lefebvre rappelle ainsi que la conquête de l’Élysée passa d’abord par celle des pouvoirs locaux dans les années 1970. Apprenant de l’échec de 1974, celui qui était devenu en 1971 Premier secrétaire du PS n’eut de cesse d’encourager la politisation des élections et de la gestion locale, brandissant l’étendard du « parti de militants », tout en jouant les arbitres entre militants fougueux et notables conspués mais indispensables – ce qu’il savait bien pour être l’un d’entre eux. En faisant preuve de souplesse et de pragmatisme à leur égard, il renforçait son pouvoir sur le parti.
2Si François Mitterrand sut mettre à profit l’appareil socialiste pour quadriller le territoire, les deux ne se confondent pas totalement. Car le maillage du territoire fut bel et bien mitterrandien. Ainsi que le montrent Gilles Vergnon et François Prigent, les territoires sont aussi pour François Mitterrand associés à des visages, autrement dit des relais locaux avec lesquels l’homme entretient des relations personnelles souvent amicales et qu’il mobilise à des fins politiques. Gilles Vergnon met ainsi en évidence à travers le cas de la Drôme (dans une étude qui mériterait d’être systématisée) le rôle de « tête de pont » que joua l’un de ses proches dans la constitution locale du parti d’Épinay qui, loin de se réduire à un ravalement de façade de la SFIO, fut le fruit d’une véritable « hybridation ». L’exemple donne aussi à voir un système de don/contre-don, par lequel ces relais locaux recueillirent les fruits de leur investissement au service de leur champion, une fois celui-ci parvenu au pouvoir.
3Outre ces réseaux personnels, les déplacements de François Mitterrand dévoilent aussi un savoir-faire. En témoigne l’exemple de la Bretagne où le président est capable d’une part de mobiliser son histoire personnelle sur le territoire – quitte à forcer le trait ou annexer des histoires familiales – pour créer une intimité avec la population et incarner une politique nationale, participant ainsi de la nationalisation d’un territoire à l’identité fortement prononcée (François Prigent) ; d’autre part, de mobiliser sa familiarité avec le monde rural pour tenter d’amadouer des représentants des professions agricoles pour le moins réticents – contournant ainsi le gouvernement (témoignage d’Henri Nallet).
4Le cas lyonnais rappelle cependant que certains territoires furent longtemps délibérément ignorés par l’homme politique devenu chef de l’État, alors même que la ville ne lui accordait pas ses suffrages et qu’il n’y disposait pas ou plus de relais personnels (Bruno Benoit) ; ce qui ne signifie pas que cet animal politique, fin tacticien et éminent connaisseur de la carte électorale française, s’en désintéressait – en témoigne le jeu de division de la droite qu’il tenta vainement lors de son deuxième septennat. D’autres territoires, enfin, tout en lui accordant leurs suffrages, semblèrent indifférents à François Mitterrand. Dans le cas de Cavaillon, l’absence de rapports officiels dissimulait une présence officieuse du socialiste, qui avait choisi Gordes pour vivre ses amours avec Anne Pingeot et leur fille Mazarine (Christian Chevandier). La toile tissée par François Mitterrand eut ainsi parfois des ramifications secrètes.
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