Introduction à la première partie
p. 27-28
Texte intégral
1Rien ne prédestinait François Mitterrand, né le 26 octobre 1916, dans une famille charentaise, bourgeoise et catholique, à devenir, quelque quarante ans plus tard, l’artisan de l’union des gauches dans le département de la Nièvre. Ses liens solides noués avec ce territoire constituent donc une entreprise inattendue, mais capitale notamment par la dimension expérimentale qu’elle revêt dans sa carrière politique.
2Ses activités conjointes de maire de la petite commune morvandelle de Château-Chinon et de président de conseil général l’ont en effet initié aux logiques de l’action locale dans un département à forte empreinte rurale. Aussi convient-il de préciser ses conceptions en matière de décentralisation à la lumière de cette expérience d’élu local. C’est tout l’intérêt de l’étude proposée ci-après par Jean Vigreux, laquelle s’attache à présenter la Nièvre comme un laboratoire politique mais aussi comme un lieu de contre-pouvoir. François Mitterrand, tout comme d’autres leaders de la gauche ayant fait le choix de l’implantation locale, relaie les mécontentements et frustrations partagés par de nombreux élus locaux qui se heurtent régulièrement aux limites des attributions, pouvoirs et moyens des collectivités face à l’État. Il revendique une plus grande autonomie et des compétences accrues, y compris à l’échelon régional dont il rejette le caractère technocratique au profit d’une véritable démocratie locale.
3Cependant, les contributions de François Dubasque et Thibault Tellier montrent que les mandats exercés par François Mitterrand aux différents échelons territoriaux – celui de la région compris – ont nourri une réflexion beaucoup plus complexe qu’on ne l’a dit parfois autour de la décentralisation, et ce d’autant qu’on connaît finalement assez mal ses positions concernant l’organisation territoriale pour la période qui précède 1981. Croiser, comme ils le proposent ici de manière très opportune, ses participations au débat parlementaire, ses prises de position à la Commission de développement économique régional de Bourgogne instituée par le pouvoir gaulliste en 1964, et ses discours de Premier secrétaire prononcés lors des conventions du parti socialiste, permet en effet de dessiner les contours d’une culture politique complexe et évolutive : celle d’un « jacobin converti ». Cette conception originale le distingue d’autres courants de pensée socialistes comme celui incarné par Michel Rocard, influencé par des thèses autogestionnaires, là où François Mitterrand envisage la décentralisation en élu local.
4Dès lors, comme le démontre Thibault Tellier, c’est sa capacité de synthèse entre ces différents courants qui détermine assez largement le rôle de François Mitterrand dans le pilotage de la réforme de la décentralisation présentée par Pierre Mauroy comme « la grande affaire » de son premier septennat. Mais au-delà des considérations d’ordre institutionnel, il s’agit également d’examiner la portée de celle-ci dans un contexte de crise économique, autrement dit de mesurer les effets de la conjoncture sur le projet politique porté par le pouvoir mitterrandien. À ce titre, l’analyse économique de Pascal Chauchefoin est riche d’enseignements. Elle met clairement en évidence combien, dans les années 1980, la crise du modèle de croissance de l’après-guerre rend assez largement inopérants les outils d’intervention économique dont les collectivités ont hérité grâce à la décentralisation, et altère par conséquent l’ambition politique qui consistait à rééquilibrer les pouvoirs et libérer les énergies locales.
5Deux témoignages viennent par ailleurs compléter le tableau ainsi brossé par les chercheurs. Celui de Michel Cantal-Dupart, architecte et urbaniste, qui a participé, aux côtés de Roland Castro, à la mission « Banlieues 89 » lancée en 1983, met en lien la sensibilité de François Mitterrand aux paysages et les jalons constitutifs d’une politique de la ville durant son premier septennat. Celui de Philippe Marchand qui fut, en qualité de ministre de l’Intérieur (1991-1992), l’un des architectes de la loi relative à l’administration territoriale de la République1, illustre de manière concrète le croisement incessant des échelles dans l’action publique.
6C’est donc un pan entier de l’histoire politique et économique des IVe et Ve Républiques qu’éclaire le parcours politique de François Mitterrand tel qu’il est évoqué dans cette première partie, depuis son ancrage local jusqu’à la définition de sa politique territoriale.
Notes de bas de page
1 Loi no 92-125 du 6 février 1992, relative à l’administration territoriale de la République (loi ATR).
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