Vers une hégémonie des statistiques publiques ? xixe-xxe siècles
p. 93-102
Texte intégral
1Comme le rappelle l’étymologie du mot, statistiques est liée à l’État1. L’augmentation de la production de chiffres publics dans le temps accompagne le développement des compétences de l’État, qui dépasse ses fonctions régaliennes, en s’appuyant sur des institutions spécialisées (les ministères et les administrations publiques), en organisant les collectivités territoriales, puis, après 1945, en édifiant un solide appareil public de statistiques nécessaire à la redistribution et à l’État social. L’élargissement du périmètre de l’action publique conduit à développer les statistiques, qui, en retour, constituent l’une des formes de la mise en chiffre au service de l’État.
2Même s’ils sont disséminés dans les bureaux des ministères et des administrations centrales, régionales ou municipales, même si leurs méthodes de fabrication ne sont pas homogènes, même si les ministères défendent jalousement leur pré carré et si la plupart des données qu’ils produisent ne sortent pas du ministère, les chiffres publics au xixe siècle prennent un essor national. Au siècle suivant, ces chiffres participent à l’emprise croissante du collectif sur l’individu, personnellement assujetti à l’impôt, contributeur et bénéficiaire des prestations sociales et plus souvent salarié qu’indépendant. La sphère publique, accessible aux enquêtes statistiques, s’élargit, alors que la sphère privée, qui en est préservée, se réduit. L’État est ainsi conduit à légiférer pour préciser les règles et les limites de l’intrusion du regard collectif et de sa synthèse chiffrée sur la sphère privée.
L’affirmation des statistiques publiques et de leur institutionnalisation : une lente mutation politique et technique (1801-1944)
3Depuis le xixe siècle, les chiffres publics comptent, énumèrent et enregistrent les richesses et les activités administratives et civiles des Premier et Second Empires, de la Restauration et de la monarchie de Juillet, puis de la IIIe République2. Leur production n’est pas centralisée. L’expérience du premier Bureau central de statistiques, créé en 1801 pour organiser le recensement démographique, échoue, car ses rapports annuels sur l’état de l’Empire sont jugés partiaux. Le bureau est supprimé en 1811. Il faut attendre 1833 pour que le ministre du Commerce Adolphe Thiers crée un bureau de la Statistique générale de la France (SGF) dans son département et le charge de collecter les statistiques disponibles sur l’activité du Royaume et de ses colonies auprès des différentes administrations et de les diffuser dans des annuaires réguliers. L’initiative est peu soutenue. Les données sont fournies de mauvaise grâce et elles apparaissent hétérogènes et incomplètes. Le développement et la centralisation des statistiques publiques progressent lentement. En conservant leurs chiffres et leurs méthodes, les différents bureaux et services administratifs défendent leur autonomie autant qu’ils justifient leur existence. Seuls les résultats de quelques enquêtes menées à l’échelle nationale sont largement diffusés. Les connaissances sur l’activité des départements français proviennent des recensements économiques de 1847 et de 1863. L’ambition des questionnaires des recensements démographiques s’accroît à partir de l’introduction du bulletin individuel, qui remplace l’état récapitulatif communal en 1876 et dont le dépouillement est centralisé par la SGF à Paris. À partir des années 1880, le chiffre public devient un argument dans les principaux débats économiques et politiques qui secouent la République, qu’il s’agisse par exemple du protectionnisme, de la colonisation, de l’immigration, de la natalité, de la politique scolaire ou du nombre de fonctionnaires3.
4La concurrence entre les producteurs de ces chiffres demeure. La centralisation des statistiques et le rôle de la SGF peinent à s’affirmer alors que le nombre de ministères s’accroît. Les questions des salaires, des prix, de la main-d’œuvre, de la production sont traitées à l’échelon régional. Le premier annuaire statistique publié en 1878 ne couvre ni l’ensemble du territoire et des colonies, ni toutes les activités des administrations4. Dès sa formation en 1881, le ministère de l’Agriculture s’équipe de son propre service de statistiques. Quantifier ses activités est un signe d’autonomie et de puissance qui légitime l’existence du service. Rattachée à des tutelles de faible envergure, la SGF est incapable de surmonter ces réticences. Elle reste un petit bureau entièrement absorbé par l’organisation des recensements démographiques.
5La prise en compte de la question sociale, portée par la poussée du salariat ouvrier et par la présence de nouveaux partenaires, parlementaires, patrons et ouvriers, syndicats et partis politiques renforcent la demande d’outils quantifiés. La nécessité des statistiques pour comprendre les transformations en cours favorise la concentration de leurs producteurs et l’uniformisation de leurs méthodes. Le changement se produit en 1891, lorsque la SGF est rattachée au nouvel Office du travail dirigé par Arthur Fontaine. La SGF est confiée à Lucien March pour qu’il fabrique des statistiques sociales5. Les nomenclatures d’activité et les classifications professionnelles sont alors introduites. March équipe la SFG du classi-compteur imprimeur pour exploiter les bulletins individuels du recensement démographique de 1896. Cet équipement sera utilisé jusqu’en 1941. Rattaché au tout nouveau ministère du Travail (1906) et doté d’un budget permanent indépendant des crédits du recensement démographique, le service organise ses propres enquêtes économiques. Un premier concours de recrutement de statisticiens est ouvert en 19076. Répondant aux premiers sursauts de la vie chère, un indice parisien des prix de détail des treize articles de consommation courante est calculé et diffusé par le Bulletin mensuel de la SGF, publié depuis 1911 seulement7. Aux données administratives, au comptage des wagons chargés pour suivre la conjoncture ou aux relevés de mercuriales pour suivre les évolutions des prix s’ajoutent désormais quelques enquêtes du service.
6À la veille de la Grande Guerre, la SGF et son personnel éclairent sensiblement mieux l’activité économique et l’environnement social que dix ans plus tôt. Le recensement de 1911 est en cours d’exploitation tandis que l’on prépare celui de 1916. En revanche, le développement de la statistique publique est moins net entre les deux guerres, si l’on suit plusieurs témoignages, celui du successeur de Lucien March, Michel Huber ou surtout ceux d’Alfred Sauvy, statisticiens et inventeurs des projections démographiques par exemple8. Les techniques de traitement des données et les indices comme les enquêtes s’étoffent néanmoins. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, la SGF compte 139 salariés, mais elle ne dispose que d’une seule antenne régionale, héritée de l’Office statistique du Troisième Reich, à Strasbourg.
7La boulimie de chiffres du régime de Vichy condamne l’artisanat. En octobre 1941, la Statistique générale de la France est absorbée par le Service national des statistiques (SNS), une usine à chiffrement, disposant de dix-huit directions régionales puissamment outillées en équipements mécanographiques et chargée de tenir à jour des fichiers de personnes issues des propres enquêtes du SNS et de données administratives.
Les chiffres publics et l’Insee au service de l’État social (1946-)
8À la Libération, le SNS compte près de huit mille personnes, dont de très nombreux militaires démobilisés devenus vacataires mécanographes. La multiplication des questionnaires et des enquêtes sous Vichy et les usages liberticides de nombreux outils quantifiés expliquent que la statistique publique a très mauvaise presse. La fin du régime de la traque, le rétablissement de la démocratie et des libertés publiques, la volonté de réformer la société en profondeur et d’encadrer la Reconstruction conduisent à la création de l’Institut national de la statistique et des études économiques pour la France et l’outre-mer (Insee) en avril 1946. Le choix du terme institut souligne la vocation d’études et de recherches, tandis que la fonction de production des chiffres publics, le financement étatique, la nature du mandat du directeur général (nommé en Conseil des ministres et révocable ad nutum) en font un service technique. Du fait de cette dénomination, les statisticiens de l’Insee portent eux-mêmes une double casquette, celle du chercheur indépendant et celle du technicien exécutant.
9L’Institut ne dispose pas des moyens de ses ambitions. Après l’échec du projet de grand ministère de l’Économie porté par Pierre Mendès France en 1944-1945, il est rattaché au (faible) secrétariat d’État aux Affaires économiques et change plusieurs fois de tutelle. On note même une brève intégration au secrétariat d’État au Commerce à la fin des années 1950, jusqu’à son rattachement au puissant ministère des Finances dirigé par Valéry Giscard d’Estaing en 1962. Les premières années sont donc celles des « vaches maigres ». Les commissions d’économies budgétaires, dites de la Hache puis de la Guillotine, infligent à l’Insee un régime draconien. Les baisses d’effectifs visent d’abord les vacataires et le personnel le moins qualifié. Entre 1946 et 1948, de 8 000 les effectifs totaux passent à 6 000, alors que les travaux se multiplient. Les coupes budgétaires atteignent les missions essentielles de l’Institut. Elles obligent à différer à plusieurs reprises, et cela jusqu’en 1954, l’organisation du recensement démographique, après celui, fort imparfait et quasi inutilisable, de 1946, premier recensement d’après-guerre organisé alors que la population n’est pas stabilisée. Les crédits nécessaires au recensement sont débloqués en 1954, au moment de l’accession de Pierre Mendès France au pouvoir. Malgré les engagements internationaux de la France, le recensement agricole n’est pas organisé avant 1956. En dépit des fortes demandes des organisations internationales, de celles du Marché commun en construction ou bien même des ministères et des directions ministérielles françaises, les détachements ou les missions de fonctionnaires statisticiens de l’Insee sont limités. Leurs effectifs atteignent 3 000 à la fin des années 1950, comme actuellement (en 2020).
10Malgré ce contexte d’économies, la production des chiffres publics connaît un développement sans précédent. La formation de nouvelles institutions publiques participe de cet essor : celle de l’Institut national d’études démographiques (Ined), ou d’autres structures soutenues par l’État comme le Centre d’étude et d’observation des conditions de vie (Credoc), qui procèdent à des enquêtes quantitatives et qualitatives et publient leurs résultats. De nouvelles demandes de chiffres formulées par des organismes inexistants avant la guerre, en particulier le Commissariat général du Plan à partir de 1946, le Service des études économiques et financières (Seef) rattaché au Trésor pour établir la comptabilité nationale en 1950, y contribuent également9. L’Insee ne peut d’ailleurs répondre qu’imparfaitement à leurs demandes. Les relations directes établies entre les organismes du Plan et le Seef, d’une part, et certaines directions (comme celle des Impôts par exemple) ou des grandes entreprises publiques et privées, d’autre part, pallient les insuffisances de l’Insee, dont la production est lente et dont les chiffres restent lacunaires. Jusqu’en 1962, l’Insee se situe au second plan parmi les producteurs des chiffres publics. Les données quantifiées mobilisées par les autorités politiques pour prendre des décisions viennent en partie d’ailleurs.
11L’Insee fournit les informations précises nécessaires à la connaissance des structures économiques, démographiques et sociales du territoire, il éclaire les tendances lourdes, mais il ne peut pas répondre à l’urgence de la décision politique. Sa légitimité reste à affirmer. Cet institut tire sa force de ses cadres, les administrateurs statisticiens férus de sociologie et convaincus de la nécessité de la statistique publique pour éclairer les décisions, ainsi que des efforts de diffusion des résultats. La leçon des premières enquêtes de conjoncture, organisées à partir des années 1950 auprès de certains dirigeants de grandes entreprises, est retenue : la confiance des fournisseurs de données comme celles des utilisateurs des statistiques doit être conquise par une activité systématique de diffusion des résultats. Mais ces efforts ont un coût. Ils servent à la fois à améliorer la compréhension et les usages des chiffres publics dans l’opinion, et partant, à asseoir la légitimité même de l’Insee.
Les chiffres publics au service du public, une nouvelle fonction politique
12Dès 1946, une division de coordination est chargée de la diffusion au sein de la première direction de l’Insee. Les publications et la volonté d’expliquer le mode de construction et de poser les limites des indicateurs sont jugées prioritaires par la Direction générale10. Ces pratiques sont conformes aux prescriptions des conférences internationales de statistiques. Elles renforcent l’assise des chiffres publics et les mettent au service du public. Le coût des publications s’accroît à mesure de l’augmentation de leur tirage. La charge est d’autant plus lourde que ces publications sont le plus souvent distribuées gracieusement à des instituts de recherches ou à des bibliothèques universitaires, comme le montre la comparaison entre le nombre des abonnés payants des quinze premières publications de l’Insee et les chiffres des tirages en 1954 (tableau 1).
Tableau 1. – Nombres des abonnés payant des quinze premières publications de l’Insee comparés aux chiffres des tirages en 1954.
Titres | Tirages | Abonnés payants |
Bulletin mensuel de statistiques (BMS) | 3 400 | 1 924 |
Bulletin hebdomadaire | 2 900 | 1 147 |
Études et conjoncture | 2 350 | 923 |
Bulletin régional de Rouen | 850 | 564 |
Lille | 600 | 408 |
Nantes | 550 | 317 |
Notes rapides | 690 | 253 |
Bulletin régional de Reims | 550 | 232 |
Documentation économique | 230 | |
Bulletin régional de Marseille | 600 | 213 |
Strasbourg | 600 | 204 |
BMS d’outre-mer | 1 200 | 196 |
Bulletin régional de Rennes | 450 | 156 |
Toulouse | 350 | 138 |
Dijon | 450 | 121 |
Source : Centre des archives économiques et financières de la France (CAEF) à Savigny-le-Temple, B 57 537, Insee, Comité de coordination des enquêtes statistiques (COCOES), 1948-1957. Coordination statistique. Avancement des travaux de rédaction des bulletins statistiques. Récapitulation des ventes des publications pour la période allant de leur sortie d’impression, 1954.
13La charge des publications est le prix à payer pour que le chiffre public soit mis au service du secteur public et aussi du secteur privé, et que l’Insee conquiert sa légitimité. L’institution ne se préoccupe pas de la rentabilité économique, mais des tirages des publications, qui sont suivis depuis 1946, comme l’indique le tableau 2.
Tableau 2. – Récapitulation des ventes des publications de l’Insee pour la période allant de leur sortie d’impression au 30 juin 1954.
Titres | Dates de publication | Tirages | Prix de vente (en francs courants) | Nombre d’exemplaires vendus depuis leur sortie |
Annuaire statistique de la France 1952 (édition 1953) | 12 février 1954 | 3 500 | 2 500 | 995 |
Annuaire statistique 1951 | 4 septembre 1952 | 2 500 | 2 000 | 910 |
Mouvement économique en France 1938-1948 | 14 novembre 1950 | 2 000 | 1 200 | 565 |
Mouvement économique en France 1929-1939 | 1941 | ? | 350 | 102 |
Indices généraux du Mouvement économique de la France 1901-1931 | 1932 | ? | 250 | 16 |
Recensement de 1946, fascicules départementaux | Février 1952 à mars 1953 | Seine 400 | 200 | 7 883 |
Annuaire statistique abrégé 2e vol. 1949 | 14 novembre 1950 | 6 000 | 700 | 558 |
Statistiques et indices du commerce extérieur | 8 octobre 1952 | 1 000 | 500 | 136 |
Études démographiques no 1 | 24 mai 1941 | 1 000 | 200 | 62 |
Manuel des enquêteurs par sondage | 11 septembre 1950 | 500 | 325 | 168 |
La méthode des sondages | 1950 | 1 200 | 400 | 260 |
Dénombrement de la population en 1946 | 16 août 1948 | 4 000 | 1 500 | 513 |
Recensement général de la population 1946 : 1ers résultats | 22 août 1947 | 3 000 | 150 | 432 |
Annuaire statistique de la France 1946 | 17 février 1948 | 2 000 | 800 | 533 |
Recensement général des agents des services publics en France 1947 | 19 mai 1949 | 1 500 | 600 | 3 |
Source : Centre des archives économiques et financières de la France (CAEF) à Savigny-le-Temple, B 57 537, Insee, Comité de coordination des enquêtes statistiques (COCOES), 1948-1957. Coordination statistique. Avancement des travaux de rédaction des bulletins statistiques. Récapitulation des ventes des publications pour la période allant de leur sortie d’impression, 1954.
14La croissance du coût de diffusion des statistiques de l’Insee est l’une des conditions essentielles à son affirmation. Elle se confirme et connaît un nouvel essor sous le mandat de Jean Ripert (1922-2000)11 à partir de 1967. Une étape supplémentaire en faveur de la large diffusion des statistiques publiques se trouve franchie avec la création des observatoires économiques régionaux visant à rapprocher l’Insee du public à partir de 196712. L’ouverture est poursuivie par Edmond Malinvaud (1923-2015)13 après 1974, en partie en réponse aux violentes attaques menées contre les calculs de l’indice des prix de détail de la part des syndicats de salariés, et en particulier par la CGT qui publie un indice alternatif14. Le temps où Michel Huber, directeur de la SGF, refusait de commenter les divergences entre l’indice des prix de détail et de gros, laissant libre cours aux attaques contre les intermédiaires et préférant publier tous les chiffres dans le bulletin mensuel plutôt que de prendre position, est révolu. Les chiffres publics constituent désormais des arguments dans le débat public. Soumis à la critique, ils tirent leur légitimité de leur qualité scientifique, qui dépend elle-même de l’indépendance de leur producteur (à l’égard des gouvernants et des groupes de pression), de la confiance et des moyens (budgétaires) qui lui sont attribués.
Centralité de l’Insee dans la production des chiffres publics (1962-)
15Le changement de la position institutionnelle de l’Insee intervient en 1962, avec son rattachement au ministère des Finances et le remplacement de son premier directeur général Francis-Louis Closon (1910-1998)15 par Claude Gruson (1916-2000), en poste jusqu’en 196716. Ce rattachement rend l’institution plus attirante et mieux pourvue. Il garantit des primes importantes à son personnel et attire des polytechniciens sortis de la botte. La nomination de Claude Gruson, qui dirigeait le Seef au Trésor depuis 1950, incorpore la comptabilité nationale et ses cadres à l’Insee, en en faisant (enfin) le fournisseur principal des chiffres publics. L’implantation par des statisticiens de l’Insee de services de statistiques déconcentrés dans les ministères commence alors. Le rôle de l’école d’application créée sous l’Occupation se confirme. Transformée en École nationale de la statistique et des études économique (Ensae), elle accueille des statisticiens français et d’outre-mer et forme les futurs spécialistes des pays francophones à mesure qu’ils acquièrent leur indépendance. À la coopération économique s’ajoute la forte présence des statisticiens français dans les institutions internationales, particulièrement européennes. La diversification et la multiplication des enquêtes (mode de vie, consommation, dépenses, industrielles, de conjoncture…), l’organisation des recensements démographiques (qui reste pris en charge par l’Insee), la tenue de fichiers nationaux (fichier électoral ou celui des cartes grises par exemple), mais aussi la production d’indicateurs essentiels à l’encadrement de l’économie (études de conjoncture, recensement industriel en 1963, connaissance des revenus et des coûts, évaluation du produit national brut…) et à la redistribution (suivi du pouvoir d’achat, étude des modes de vie, de morbidité par catégorie sociale…) lui reviennent. Le rôle majeur de l’institution dans la coordination des enquêtes statistiques contribue à sa centralité. La plupart des garde-fous mis en place pour disposer de statistiques de qualité tout en préservant l’intégrité des personnes se sont avérés efficaces.
Notes de bas de page
1 Jacqueline Hecht, « L’idée de dénombrement jusqu’à la Révolution », dans Pour une histoire de la statistique, Paris, Insee, 1977, t. 1, p. 21-83 : La Staatenkunde allemande, l’école de Göttingen avec Gottfried Achenwall (1719-1772) diffusent le terme statistique, « sciences de constitution de l’État ». Leur approche descriptive fonde la tradition germanique.
2 Sur l’histoire du Service central de la statistique publique française, je me permets de renvoyer à Béatrice Touchelay, « L’Insee, histoire d’une institution », dans Jean-Pierre Beaud et Jean-Guy Prévost (dir.), L’ère du chiffre. Systèmes statistiques et traditions nationales, Québec, Presses de l’université du Québec à Montréal, 2000, p. 153-187.
3 Émilien Ruiz, « Des économies très politiques. Dénoncer le nombre des fonctionnaires en France aux xixe et xxe siècles », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, Association Paul-Langevin, no 134 : L’État, objet d’histoire, 2017, p. 65-85.
4 Brigitte Salin, Catherine Crémieu, Yvette Ho Ta Khanh et Isabelle De Quay, « Les annuaires, bulletins et revues statistiques en France (1878-1969) », Économie et statistique, no 20, février 1971, p. 57-59.
5 Lucien March (1859-1933), polytechnicien, dirige la Statistique générale de la France jusqu’en 1920. Mécanicien novateur, traducteur des œuvres de Galton, pilier des congrès internationaux de statistique et fervent adepte du développement de l’enseignement de la statistique, il contribue de façon décisive à l’institutionnalisation de la statistique publique en France et à l’affirmation du métier de statisticien. Voir Michel Armatte, « Lucien March (1859-1933) : une statistique sans probabilité ? », Courrier des statistiques, no 123, janvier-avril 2008.
6 « Extrait de l’interview de Henri Bunle (1884-1986) par Alain Desrosières le 29 mai 1982 », Journ@l électronique d’histoire des probabilités et de la statistique, vol. 1, no 1, mars 2005 [http://www.jehps.net/Mars2005/Bunle.pdf]. Ce témoignage révèle que Henri Bunle se présente totalement par hasard au concours de recrutement ouvert par la SGF. Bunle précise également qu’il lui était difficile de faire comprendre la nature de sa fonction à sa famille du Périgord. Alfred Sauvy évoque une discussion avec un camarade de promotion, au cours de laquelle il a appris l’existence de la SGF et du concours de recrutement qui lui a permis d’y entrer en 1922.
7 Florence Jany-Catrice, L’indice des prix à la consommation, Paris, La Découverte, 2019 et Béatrice Touchelay, « La fabuleuse histoire des prix de détail en France », Entreprise et histoire, 2015, no 79, p. 135-146.
8 Alfred Sauvy, « Statistique générale et Service national de statistique de 1919 à 1944 », Journal de la Société de statistique de Paris, no 2, 1er trim. 1975, p. 34-43. L’auteur décrit (p. 35) les « étonnants contrastes » de la SGF, où des travaux d’une productivité très élevée sont entrepris parallèlement à des tâches rébarbatives et archaïques. Alfred Sauvy évoque par exemple l’absence de dessinateur, ce qui impose de tracer à la main les nombreux graphiques présentés dans les publications. Il précise que « tout ce que les ministères ne savaient ou ne voulaient pas faire aboutissait à la Statistique générale ».
9 Aude Terray, Des francs-tireurs aux experts. L’organisation de la prévision économique au ministère des Finances (1948-1968), Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2002.
10 Cette volonté de transparence joue des tours à l’Insee puisque, conformément aux recommandations de la conférence internationale des statisticiens du travail de la Libération, le Bulletin mensuel de statistiques publie la liste intégrale des marchandises retenues par l’indice des prix de détail des produits de consommation courante servant de référence à l’indexation du salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) créé à partir de 1952 (mécanisme de l’échelle mobile des salaires), ce qui permet les manipulations gouvernementales de l’indice lors des années 1956-1958.
11 Voir sa biographie sur le site de l’Insee : [https://www.insee.fr/fr/information/2015103].
12 René Padieu, « Les observatoires économiques régionaux et leurs utilisateurs », Économie et statistique, no 56, mai 1974, p. 57-64.
13 Voir sa biographie sur le site de l’Insee : [https://www.insee.fr/fr/information/2014934].
14 Béatrice Touchelay, « Les ordres de la mesure des prix. Luttes politiques, bureaucratiques et sociales autour de l’indice des prix à la consommation (1911-2012) », Politix, vol. 27, no 105, 2014, p. 117-138.
15 Voir sa biographie sur le site de l’Insee : [https://www.insee.fr/fr/information/2015232].
16 Michel Margairaz, « Claude Gruson (1910-2010) », dans Fabien Cardoni, Nathalie Carré de Malberg et Michel Margairaz (dir.), Dictionnaire historique des inspecteurs des Finances 1801-2009, Paris, IGPDE/Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2012, p. 701-703.
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