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    Plan détaillé Texte intégral L’organisation provinciale L’administration provinciale et les institutions municipales Les nouveaux centres publics La mise en place du réseau routier Le cens La création du culte impérial Les affaires de Germanie et le recrutement militaire en Gaule L’évolution économique Notes de bas de page

    Gallia Comata. La Gaule du Nord

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre VII. Le temps de l’organisation

    p. 281-326

    Texte intégral L’organisation provinciale L’administration provinciale et les institutions municipales L’échelon provincial vs l’administration des cités L’administration locale des cités Les nouveaux centres publics La mise en place du réseau routier Le cens La création du culte impérial Les affaires de Germanie et le recrutement militaire en Gaule L’évolution économique La diffusion de la nouvelle monnaie romaine Les amphores et la céramique d’importation Notes de bas de page

    Texte intégral

    1Après avoir décrit le nouveau partage du pouvoir entre le Sénat et le Prince, Dion Cassius ajoute, pour l’année 27 av. J.-C., qu’« Auguste quitta Rome dans l’intention de mener une expédition militaire en Bretagne. Pourtant, arrivé en Gaule, il s’y attarda. D’un côté les Bretons semblaient disposés à négocier ; d’un autre côté, la situation, chez les Gaulois, n’était pas stabilisée, parce que la conquête s’était déroulée juste avant les guerres civiles romaines. Il procéda donc à un cens (apographè) et entreprit d’organiser leur vie et leur mode d’administration. Puis il se rendit en Espagne pour y mettre de l’ordre là aussi1 ». Ce récit doit être complété par une très brève mention de Tite-Live qui signale cette même opération censitaire pour les Trois Gaules2. On doit toutefois observer qu’il s’agit d’un abrégé tardif puisque le texte original de l’historien est perdu.

    2Ces deux passages constituent à peu près tout ce dont nous disposons pour supposer, comme on l’a souvent fait, que la Gaule tout entière reçut à ce moment les cadres qui devaient rester les siens pendant tout le Haut Empire : la division provinciale, les structures territoriales et civiques. Rien n’est pourtant moins sûr. D’autres sources semblent en effet indiquer une organisation plus tardive, au moins pour la Gaule du Nord. La première nous est fournie par un passage de la Table claudienne de Lyon dans lequel l’empereur Claude évoque la mémoire de son père (Drusus) et les événements de l’année 12 av. J.-C. Ceux-ci furent marqués par le début de l’offensive en Germanie, l’établissement du culte impérial à Lyon et le recensement qui eut lieu cette année-là, « opération nouvelle alors et insolite pour les Gaulois… Une telle opération, combien elle est ardue pour nous, ajoute Claude, tout juste maintenant, quoique l’enquête n’ait d’autre objet que la constatation officielle de nos ressources, à l’épreuve nous l’apprenons trop bien3 ». Une autre Periocha de Tite-Live (Periocha CXXXIX) confirme ce recensement dont on retiendra qu’il provoqua une véritable révolte (tumultus), ce qu’atteste encore un autre passage de Dion Cassius : « Les Sicambres et leurs alliés ayant recommencé la guerre à la faveur de l’absence d’Auguste et du fait que les Gaulois ne supportaient pas leur esclavage, <Drusus> prévint le soulèvement des peuples soumis en convoquant les principaux chefs des Gaulois sous le prétexte de la fête qu’ils célèbrent aujourd’hui encore à Lyon devant l’autel d’Auguste4. »

    3Cette opération de cens doit être replacée dans le contexte historique qui suit le long séjour effectué par Auguste en Gaule, de 16 à 13 av. J.-C. et dont le début fut marqué par la conquête des Alpes, en 15, opération préliminaire indispensable si l’on voulait assurer la continuité territoriale entre l’Italie et la Comata. L’action impériale est décrite par Dion Cassius dans les termes suivants : « Après avoir tout mis en ordre dans les Gaules, les Germanies et les Espagnes, dépensant beaucoup pour les uns, prenant beaucoup aux autres, donnant aux uns la liberté (eleutheria) et une organisation politique (politeia), en privant les autres, Auguste laissa Drusus en Germanie, et revint à Rome sous le consulat de Tibère et de Quin<c>tilius Varus5. »

    4Ces différents textes permettent de reconstituer le déroulement des événements. Dès son voyage de 27, Octavien, à peine devenu Auguste, entreprit de mettre de l’ordre dans les affaires de l’Occident dont les provinces venaient de lui être officiellement confiées au terme du partage conclu avec le Sénat. À cette époque, le Nord-Ouest de la péninsule Ibérique et les Alpes n’étaient pas encore conquis, l’Aquitaine venait tout juste d’être pacifiée par M. Valerius Messalla Corvinus. Les troubles provoqués par les guerres civiles romaines n’avaient pas permis d’organiser les provinces récemment acquises – la Gaule du Nord – ou de réorganiser les plus anciennes – les Espagnes, la Transalpine. Une mise en ordre générale s’imposait donc, mais celle-ci prit du temps et nécessita probablement plusieurs étapes. Le recensement de 27, effectif dans le Midi, prévoyait peut-être une extension à la Comata. Mais le témoignage de Claude, dans le cadre d’un discours officiel devant le Sénat, ne saurait être négligé et mis en doute : le premier census effectif accompagné d’une mesure des territoires à visée fiscale n’eut sans doute lieu qu’en 12, à la suite du nouveau séjour impérial de 16-13, dont le texte de Dion Cassius montre qu’il fut décisif dans l’organisation des cités6. On ne pouvait d’ailleurs l’organiser qu’après avoir jeté les bases politiques de la fiscalité, qui supposaient l’octroi de privilèges aux uns, alors que d’autres en étaient privés, quand ils n’étaient pas punis. La nouvelle division provinciale de la Gaule du Nord entre les trois provinces de Belgique, de Lyonnaise et d’Aquitaine est très probablement datée de ce moment décisif7. Elle ne respectait que partiellement les anciens cadres ethniques hérités de l’époque de l’Indépendance, tels que nous les connaissons par César, car elle créait des circonscriptions administratives et fiscales nouvelles, plus équilibrées, en répartissant au mieux les civitates gauloises selon une logique qui n’était plus celle qui prévalait avant la conquête. L’Aquitaine était ainsi notablement agrandie par l’adjonction d’une série de cités de l’ancienne Celtique qui n’appartenaient pas à la même sphère religieuses, culturelle et sans doute linguistique.

    5Ce nouvel ordre et le cens de 12 furent une cause de troubles politiques dangereux au moment où s’engageait la conquête de la Germanie, c’est-à-dire au moment où l’essentiel de l’armée se déplaçait sur le Rhin et quittait l’intérieur du pays8. L’assemblée de Lyon, qui vit la création du culte impérial, gage de fidélité à Rome et à Auguste, donna lieu, de la part de Drusus, à une mise au pas brutale et comminatoire devant les notables gaulois responsables de leurs cités. On a connu situation plus irénique.

    6Les événements de cette époque sont la plupart du temps décrits séparément, pour des raisons de commodité de l’exposé historique, mais il ne faut pas oublier qu’ils sont intimement liés. Difficile, en effet, d’organiser la Gaule sans sécuriser sa frontière ; difficile aussi de se lancer dans de nouvelles « conquêtes défensives » sans s’appuyer sur un arrière-pays pacifié. L’enchaînement des événements ne doit donc pas être perdu de vue :

    • 27 : Premier séjour d’Auguste en Gaule. Recensement.

    • 20-19 : Second gouvernement d’Agrippa. Transfert probable des Ubiens sur la rive gauche du Rhin. Construction du réseau routier.

    • 17-16 : Clades Lolliana (« désastre de Lollius ») : invasion germanique en Gaule du Nord.

    • 16-13 : Présence d’Auguste en Gaule. Division provinciale de la Gaule du Nord. Début de l’organisation des cités.

    • 15 : Conquête des Alpes.

    • 12 : Recensement effectif des terres, cité par cité, et fixation des obligations fiscales. Organisation du culte impérial. Début de l’offensive de Drusus en Germanie.

    L’organisation provinciale

    7La division en trois provinces fut une décision d’Auguste (Strabon IV, 1, 1). L’appellation traditionnelle de Gallia Comata est toutefois restée longtemps en usage puisque Claude l’utilisait encore dans son fameux discours devant le Sénat. Pline l’Ancien l’employait toujours dans son Histoire Naturelle, parue sous Titus (Pline, NH IV, 105)9. Au reste, les sources littéraires et épigraphiques n’ont pas révélé les noms de gouverneurs des trois provinces gauloises (Lyonnaise, Belgique, Aquitaine) avant l’époque tibérienne10. Jusque-là, en effet, la Gaule est longtemps restée sous l’autorité effective d’un seul homme, issu le plus souvent de la famille impériale ou d’une gens sénatoriale très proche de celle-ci : après le départ d’Auguste en 13 av. J.-C., son beau-fils Drusus exerça le pouvoir jusqu’à sa mort accidentelle en 9 ; puis ce fut Tibère (le futur empereur) en 9-8/7 av. J.-C., en 4-6 apr. J.-C. et pour finir en 9-12 après le désastre de Varus. Ce fut enfin Germanicus, fils de Drusus, qui exerça le commandement suprême de 13 à 17. La raison de ces mandatures exceptionnelles réside évidemment dans l’importance des campagnes militaires entreprises pendant ces années là et du nombre très élevé de légions présentes sur le théâtre des opérations germaniques.

    8Dans les intervalles de ces différents gouvernements exercés par les princes impériaux, ou parfois sous les ordres de ceux-ci, on rencontre de grands personnages comme L. Domitius Ahenobarbus (de 6 av. à 1 apr. J.-C. ?), M. Vinicius (de 1 à 3-4 apr. J.-C.), C. Sentius Saturninus (de 3 à 7 apr. J.-C.), P. Quinctilius Varus (de 7 à 9 apr. J.-C.), peut-être aussi L. Aelius Lamia sous l’un des commandements de Tibère11. Sous l’autorité de Germanicus on voit encore agir C. Silius pendant sept années, jusqu’à la révolte de 21 (Tacite, Ann. I, 31 ; IV, 18), mais aussi A. Caecina et L. Apronius. Tous les trois reçurent les ornements triomphaux, signe certain de l’importance du front germanique à cette époque (Tacite, Ann. I, 72). Mais chacun d’eux, ainsi que C. Visellius, avait été chargé d’une armée particulière, soit en Germanie inférieure, soit en Germanie supérieure et non plus sur la totalité du front rhénan ; le titre de legatus pro praetore devint explicite pour L. Apronius en 28 (Tacite, Ann. IV, 73).

    9Naturellement, l’importance des événements de Germanie, puis de la révolte de 21 suffisent à justifier que nos sources littéraires (Dion Cassius, Velleius Paterculus et Tacite) mentionnent les grands chefs militaires qui y sont mêlés et non les simples légats des provinces civiles, dont l’existence nous reste totalement inconnue. On peut toutefois se demander si la division provinciale augustéenne n’a pas été mise de facto entre parenthèses pendant un certain nombre d’années. La question reste malheureusement sans réponse, en l’absence de sources épigraphiques explicites12.

    10Elle se complique par ailleurs aujourd’hui d’une hypothèse de Chr. Goudineau à propos de la description géographique de la Gaule par Strabon13. Nous y avons déjà fait allusion mais il est nécessaire d’y revenir à ce point du récit. S’appuyant sur la carte de Strabon qu’il reconstitue avec beaucoup d’acribie et de brio14, et suivant une hypothèse déjà suggérée par E. M. Wightman, Chr. Goudineau en vient à commenter le passage dans lequel le géographe grec décrit la division de la Celtique par Auguste15 : « Après le territoire de l’Aquitaine et celui de la Narbonnaise, celui qui fait suite s’étend jusqu’au Rhin – pris sur tout son cours – depuis le fleuve Loire et depuis le Rhône – pris dans sa partie entre sa source et l’arrivée à Lyon. De ce territoire, les parties supérieures (ta men ano merè) – des sources des fleuves Rhin et Rhône jusqu’à, grosso modo, le milieu des plaines – sont soumises à Lyon ; le reste, y compris les régions proches de l’océan, correspond à une autre province qu’on attribue – pour employer le terme propre – aux Belges. Quant à nous, c’est en bloc que nous traiterons de ces deux entités ». À partir de cette description associée à sa carte, Chr. Goudineau concluait à une division nord-sud entre Belgique au nord et Lyonnaise au sud, proposant ainsi une nouvelle carte politique de la Gaule (fig. 146). Celle-ci se distingue par une division qui n’est pas celle à laquelle nous sommes habitués pour le Haut-Empire, avec une Belgique dont les peuples sont installés au Nord-Est de la Seine et une Lyonnaise étirée du Lyonnais à l’Armorique. Chr. Goudineau en concluait que la Celtique avait connu deux divisions politiques successives, l’une sous Auguste (celle qu’il propose), l’autre peut-être sous Tibère, devenue définitive et que nous connaissons.

    Fig. 146. – La première division administrative de la Gaule, selon Goudineau, 1990 (en haut) ; en bas la division administrative classique du Haut-Empire.

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    11Cette belle hypothèse a reçu, en France du moins, un accueil généralement chaleureux mais, à la réflexion, il vaut sans doute mieux y renoncer car le texte grec ne dit pas tout ce qu’on veut lui faire dire. L’expression « ta ano merè », bien glosée par celle qui suit (« des sources des fleuves Rhênos et Rhodanos ») désigne en effet les reliefs alpins où les fleuves prennent leurs sources mais rien ne dit dans le texte que la division « au milieu des plaines » entre Belgique et Lyonnaise soit parallèle à la côte et organisée selon le sens Est-Ouest. Rien ne dit non plus que tout le littoral soit Belge jusqu’à l’Aquitaine. C’est là forcer le sens du propos de Strabon. Dans ces conditions, imaginer deux divisions politiques successives de la Gaule ne s’impose pas et il vaut mieux renoncer à cette proposition, certes séduisante mais improbable16.

    12Il en va de même de l’hypothèse d’une grande province maritime d’Aremorica, qui serait une dénomination ancienne (césarienne ?) étendue à tout le littoral, puis appliquée à l’Aquitaine augustéenne (des Pyrénées à la Loire), avant le redécoupage tibérien supposé par Chr. Goudineau17. Cette proposition s’appuie fondamentalement sur un passage de Pline qui décrit la division de la Gaule : « L’ensemble de la Gaule désignée sous le nom général de Chevelue est divisé en trois groupes de peuples séparés principalement par des fleuves. De l’Escaut à la Seine, c’est la Belgique ; de ce fleuve à la Garonne, la Celtique ou Lyonnaise ; de là jusqu’à l’avancée de la chaîne des Pyrénées, c’est l’Aquitaine appelée auparavant Arémorique18. » Il est très clair, si ce dernier membre de phrase n’est pas une glose interpolée dans le texte original du Naturaliste, que le mouvement de la phrase latine interdit de prolonger jusqu’à la Loire cette Arémorique, explicitement limitée au littoral entre Gironde et Pyrénées. La restitution d’une grande province proto-augustéenne d’Armorique, des Pyrénées à l’Escaut, laisse donc sceptique, d’autant qu’elle doit nécessairement s’appuyer sur l’hypothèse de Chr. Goudineau, sur laquelle le doute est permis. Au total, cet échafaudage audacieux ne mène à rien.

    13Il faut en revanche considérer avec beaucoup plus d’attention l’éventualité de la création d’une Germanie augustéenne, alors que nous savons que les deux provinces de Germanie supérieure et inférieure ne furent pas établies officiellement avant le règne de Domitien19. L’offensive militaire d’Auguste, depuis le Rhin et le Danube jusqu’à l’Elbe, fut dans un premier temps couronnée de succès, si l’on en croit des sources explicites et concordantes. C’est d’abord l’affirmation d’un acteur direct de cette conquête, Velleius Paterculus, qui dit de Tibère (pas encore Empereur à ce moment-là) qu’il domina la Germanie et la réduisit presque à l’état de province stipendiaire (Velleius Paterculus II, 97). C’est ensuite Dion Cassius, qui, à la veille du désastre de Varus, en 9 apr. J.-C., décrit la situation en ces termes : « Les Romains possédaient quelques régions qui ne formaient pas un ensemble homogène, mais éparses, ici et là, (c’est pour cette raison que la mémoire s’en est perdue dans l’histoire) ; les soldats y avaient leurs quartiers d’hiver et y formaient des colonies ; les barbares étaient en train d’adopter leurs usages, ils prenaient l’habitude de marchés réguliers et tenaient des assemblées pacifiques. Ils n’avaient néanmoins perdu ni leurs habitudes ancestrales, ni leurs mœurs naturelles, ni leur mode de vie libre, ni l’usage des armes. Aussi, tant qu’ils désapprirent tout cela petit à petit et, pour ainsi dire, en suivant la route sous bonne garde, ce changement de vie ne leur était pas pénible et ils ne s’apercevaient pas de cette transformation ; mais, lorsque Quinctilius Varus, venant prendre le gouvernement de la Germanie et administrer le pays, pressa trop fort ces changements, qu’il leur commanda comme à des esclaves, et qu’il leva des contributions comme chez un peuple soumis, les Germains ne le supportèrent pas20. » Ces deux passages fondamentaux affirment explicitement que la provincialisation était en bonne voie, mais pas encore achevée.

    14Quatre arguments tendent toutefois à prouver que celle-ci était effective :

    • la fondation de villes, attestée par le texte de Dion Cassius mais aussi par l’archéologie puisque l’une d’entre elles a été mise au jour à Waldgirmes, à l’Est du Rhin21 ;

    • l’érection d’un autel du culte impérial à Cologne22 ;

    • la mise en place d’une administration fiscale à Cologne, où l’on connaît notamment le tombeau d’un dispensator Augusti (AE 2004, 969) ;

    • l’exploitation économique de la Germanie, notamment celle du plomb, à l’Est du Rhin23.

    15La Germanie aurait donc été très tôt dotée d’une véritable administration, bien qu’aucune loi provinciale n’ait été promulguée, ce qui n’était d’ailleurs pas nécessaire puisqu’il n’y avait pas de communautés indigènes dont on dût fixer les droits.

    16Cette grande province ne fut guère durable. Il est bien clair que le pouvoir romain a tenté tout de suite de transformer la rive droite et de l’exploiter économiquement à mesure que l’avancée militaire le permettait. Mais ceci s’est fait sans que le territoire fût complétement contrôlé. Le désastre de 9 apr. J.-C. et la perte des trois légions de Varus dans la forêt du Teutoburg allaient obliger à un repli sur le Rhin, avant que l’arrêt, par Tibère, de la reconquête entreprise sous le commandement de Germanicus ne mît un terme à la mainmise de Rome sur les territoires à l’est du Rhin. Enfin, il faut se souvenir que, dans la description de la Gaule par Pline l’Ancien, les cités rhénanes sont toujours partie intégrante de la province de Belgique. Il est vrai qu’on affirme souvent que ce texte essentiel n’aurait pas été remis à jour par son auteur et refléterait une situation anachronique à sa date de publication, en 77 apr. J.-C. En voici les données, transcrites dans un tableau synthétique (Pline, HN IV, 101 ; 106-108) :

    Tableau 10. – Les peuples de la liste plinienne. L’astérisque signale ceux qui ont formé des corps auxiliaires portant une dénomination ethnique.

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    a. d’après Strabon IV, 2, 2.

    17Ce texte est le pendant, pour la Gaule chevelue, de la description de la Narbonnaise, dont la genèse et la structure sont désormais bien étudiées24. Il n’en pose pas moins de redoutables problèmes, qu’il n’est pas question d’embrasser ici en détail. On peut aborder les principaux, en sachant que toute tentative d’explication risque de se révéler hasardeuse et que les commentaires formulés pour le Midi ne doivent pas forcément être extrapolés sans examen à la Gaule du Nord.

    18S’agissant de la province sénatoriale du Midi, Pline se fonde sur des documents administratifs établis à l’époque augustéenne, mais complétés jusque sous Galba en 68. Nous savons en outre qu’il a probablement effectué au moins une de ses milices équestres en Germanie sous le commandement de Corbulon, pendant le règne de Claude, avant de devenir procurateur de Belgique et des deux Germanies, vers 7525, ce qui faisait de lui un excellent connaisseur de la Comata ; ses informations doivent donc être scrutées avec le plus grand soin.

    19L’auteur décrit tout d’abord les grands ensembles provinciaux. Puis, comme pour la Narbonnaise, il effectue sa description par une série de va-et-vient de la mer (extera) vers l’intérieur des terres (introrsus), ponctués ici ou là de notations topographiques (fleuves, montagnes, proximité de cités) ou de sens de lecture (rursus, quand il aborde les régions limitrophes de la Narbonnaise, comme s’il suivait un document graphique ou une liste). Après les îles de la mer du Nord, qui constituent un paragraphe à part, il commence à l’Escaut, suivant la côte vers le Sud, avant de revenir à l’intérieur puis d’aborder la question des régions rhénanes (Rhenum accolentes). La constitution des civitates dans ce secteur pose de redoutables problèmes à la fois géographiques, chronologiques et administratifs qu’il serait trop long d’exposer ici dans le détail (fig. 147)26.

    Fig. 147. – Carte de la Belgique et de la Germanie inférieure.

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    M.-Th. et G. Raepsaet-Charlier.

    20Vient ensuite la description de la Lyonnaise qui commence autour de l’estuaire de la Seine (Lexoviens, Veliocasses, Calètes) avant de recommencer beaucoup plus à l’ouest (Vénètes, Abrincatuens, Osismes), oubliant (?) au passage les Coriosolites, qui sont toutefois mentionnés plus loin. L’ordre suivi pour la description de la Lyonnaise échappe ensuite à notre compréhension avec les Namnètes qui précèdent les Héduens, puis les différents peuples de l’intérieur. Ceci pourrait plaider pour l’existence d’une carte géographiquement déformée, sur laquelle les noms auraient été topographiquement décalés. Quant à l’Aquitaine, elle est décrite d’abord du nord vers le sud, depuis l’embouchure de la Loire vers la Gironde puis les Pyrénées, en suivant la côte, avant de revenir vers l’intérieur au nord (Bituriges Cubes) et de redescendre jusqu’à la Narbonnaise27.

    21La source administrative sur laquelle s’appuie Pline est-elle la formula de chacune des trois provinces de Gaule Chevelue, comme on l’admet pour la Narbonnaise, et est-elle aussi d’époque augustéenne ? C’est l’hypothèse la plus probable, de l’avis général. Il est en effet vraisemblable d’attribuer sa rédaction initiale aux réformes administratives d’Auguste pendant les années 16-13, même si aucun élément explicite ne permet de l’affirmer. Le texte plinien comprend toutefois un certain nombre d’indications chronologiques qui peuvent nous aider à dater le document officiel d’où le Naturaliste tirait son information : la mention de la Narbonnaise nous renvoie, en principe, après 22 av. J.-C.28 ; l’attribution du droit latin aux Ausques et aux Convènes, signalée par Strabon29 n’est en revanche pas mentionnée par Pline, ce qui peut impliquer que la source de ce dernier soit antérieure au début du règne de Tibère30, ou que l’auteur ne l’ait pas remise à jour après cette date31. Un argument semble toutefois plaider contre cette dernière hypothèse. La mention de la colonia Agrippinensis (Cologne), nous renvoie en effet à une date postérieure à 50, ce qui implique bien une réactualisation du document après le milieu du ier siècle. Dans ce contexte, il importe donc pour notre propos de remarquer que le texte ne mentionne aucune cité de droit latin32. On notera aussi que les cités rhénanes sont toutes formellement en Belgique, même si elles sont, de facto, sous l’autorité des légats des deux armées, supérieure et inférieure, de Germanie, dont la compétence territoriale n’est pas douteuse.

    22Enfin le tableau précédent montre l’adjonction, dans la province augustéenne d’Aquitaine, des différentes cités auparavant considérées comme Celtiques par César, au terme d’une recomposition bien soulignée par Strabon (Strabon IV, 1, 1) : « César Auguste, en revanche, a divisé la Celtique en quatre parties. Il a fait une province des Celtes de Narbonnaise et une autre des Aquitains, tels que César les avait délimités, mais en leur ajoutant quatorze peuples qui occupent le territoire sis entre le cours de la Garonne et celui de la Loire ». On observe par ailleurs que la Belgique césarienne a été amputée des Véliocasses et des Calètes, pourtant cités dans la coalition belge de 57 av. J.-C. (César, BG II, 4). La plupart des chercheurs considèrent que ces « transferts » constituent des mesures destinées à équilibrer le poids respectif des nouvelles provinces gauloises. Toutes ces décisions renvoient à un document source probablement postérieur à la réorganisation augustéenne des années 16-13 av. J.-C., pour la Gaule du Nord.

    23Cette liste plinienne nous montre aussi que la situation politique des différents peuples est complexe et peu homogène. Tous ne sont pas nécessairement constitués en civitates. On le voit notamment à travers l’exemple bien connu des Catuslougi/Catuslouii, connus désormais par deux inscriptions de Bois l’Abbé (AE 1982, 716 et AE 2006, 837) qui mentionnent, au iie siècle, non pas une cité mais un pagus33. D’autres peuples, comme les Marsaci ou les Britanni n’ont probablement jamais été organisés sur le modèle d’une civitas autonome et doivent sans doute être considérés comme des pagi.

    24Combien donc y avait-il de civitates dans la Gaule romaine, après la réorganisation augustéenne ? La question a été maintes fois débattue, sans qu’un consensus ait pu être trouvé34. Les sources sont en effet contradictoires : d’après Strabon (IV, 3, 2), l’autel du confluent, à Lyon, portait le nom de 60 peuples, alors que Tacite (Ann. III, 44) mentionne 64 cités au moment de la révolte de 21. Il y a de bonnes chances que ce dernier s’appuie sur des sources officielles, mais il faut évidemment se souvenir que les peuples de Germanie relevaient d’une autre organisation cultuelle que celle de Lyon, et il en va peut-être de même des novem populi de la petite Aquitaine césarienne. Quant aux listes de Pline, beaucoup plus fournies, il paraît hasardeux de les solliciter sur ce point car elles reflètent manifestement une réalité ethnique et pas seulement une organisation civique.

    L’administration provinciale et les institutions municipales35

    L’échelon provincial vs l’administration des cités

    25Rappelons pour commencer que les gouverneurs des provinces de Gaule disposaient du pouvoir civil et militaire (imperium) et que leur rôle était de protéger les intérêts de Rome en contrôlant la province, de rendre la justice, d’assurer l’ordre, de faire respecter la paix religieuse36. Ils n’avaient pas pour autant beaucoup de personnel civil ou militaire dédié à ces tâches, et c’est donc sur les communautés civiques, représentées par leurs notables, que reposait l’administration locale. Le concours de celles-ci était indispensable à une gestion harmonieuse et pacifique, notamment en matière fiscale37; quand il faisait défaut, la situation pouvait se tendre à l’extrême, comme on le vit par deux fois, en 21 et en 68 de n. è. L’autonomie des cités, d’abord pérégrines avant d’être progressivement latinisées, constituait donc un principe essentiel de l’administration romaine, et elle s’exerçait conformément aux statuts propres à chaque communauté. Cette diversité politique explique qu’il n’existait pas de « conscience provinciale » globale : jamais un Trévire ne se disait « Belge » ou un Vivisque « Aquitain », pas plus d’ailleurs qu’il ne se disait « Gaulois » : ce sont toujours les cités qu’on trouve nommées dans les inscriptions ; le cadre provincial ne constituait, en l’espèce, qu’un échelon purement administratif, ce qui fait que le transfert d’une civitas dans une nouvelle province n’entraînait pas nécessairement de grands bouleversements dans la vie quotidienne.

    26Ce principe étant énoncé, on peut gager que l’intervention du gouverneur dans la vie des cités était pourtant fréquente, si l’on en croit les informations que nous fournit la correspondance entre Pline le Jeune et Trajan, au début du iie siècle, pour la Bithynie. Pline, légat d’Auguste, consultait en effet de manière permanente son maître et les bureaux impériaux sur toutes sortes de questions administratives touchant à la pratique locale de sa province. Cette forme de « contrôle de légalité » avant la lettre était évidemment destinée à prévenir les conflits. En Gaule, il est clair que, dans ces conditions, les aristocrates ont continué à exercer leur influence traditionnelle, servant d’intermédiaires naturels entre le pouvoir romain et leurs communautés respectives. Dans ce contexte, on doit souligner l’importance politique des tournées que chaque gouverneur se devait d’accomplir dans les territoires qu’il administrait, notamment pour rendre la justice, même si nous ignorons tout des assises (conventus) qui devaient se tenir en Gaule comme ailleurs. Ces déplacements longs et lents, à l’échelle des transports de ce temps, permettaient au légat impérial de rencontrer les notables et de prendre le pouls des cités, de toucher du doigt les problèmes locaux, de soupeser les fidélités, les clientèles, les alliances entre familles, les inimitiés, les fortunes. Ces rencontres étaient au moins aussi essentielles que celles qui avaient lieu chaque année à Lyon pour la célébration du culte de Rome et d’Auguste et au cours desquelles se rassemblaient les délégués de toute la Gaule. Mais cette remarque vaut pour toutes les provinces de l’Empire.

    27On doit aussi rappeler que l’organisation des cités était globale et que l’administration de leur territoire, y compris celle des agglomérations, dépendait des magistrats du chef-lieu, même si l’on connaît des charges propres aux pagi, nécessairement subordonnés à l’ordo de la civitas38. Dans la suite de ce livre, le mot « municipal » ne doit donc être considéré que comme une commodité de langage impliquant l’ensemble de la civitas.

    L’administration locale des cités

    28La réorganisation augustéenne des peuples gaulois, que nous avons datée des années 16-13 av. J.-C., impliquait-elle ipso facto l’adoption par celles-ci d’un mode de fonctionnement civique identique à celui qu’on connaît pour les cités latines ou romaines, c’est-à-dire la mise en place immédiate d’une assemblée de décurions et d’un collège de deux magistrats (duumviri) à la tête de la nouvelle civitas, comme nous le verrons fonctionner au iie siècle de n. è. ? La plupart des historiens rejettent cette hypothèse, dans la mesure où elle paraît peu conforme à ce que nous savons (ou croyons savoir) du mode de fonctionnement des cités romaines39. Pour le dire autrement, quel a été le rythme réel de la transformation ? La question est extrêmement complexe car les sources épigraphiques, pour la période augustéenne voire julio-claudienne, sont tellement minces que toute conclusion tranchée s’avère audacieuse40. Y revenir, c’est inévitablement se replonger dans le dossier ancien et controversé du vergobret et, plus largement, de la magistrature unique en Gaule. Une question complexe.

    29On observe en effet, au moins jusqu’au milieu du ier siècle apr. J.-C., la rémanence du titre gaulois de vergobret, connu par César à propos de la querelle de 52 av. J.-C. entre aristocrates Éduens. Nous avons déjà évoqué celle-ci et il convient seulement de rappeler que, selon le conquérant, elle concernait la charge élective suprême, confiée à un seul homme. Le proconsul n’en parle qu’à propos des Éduens, mais le titre réapparaît ultérieurement dans un très petit nombre d’inscriptions de la première moitié du ier siècle apr. J.-C. chez les Santons (CIL XIII, 1038 ; 1048+1074), les Lémovices (AE 1989, 521), les Vellaves (CIL XIII, 1579), bien que ce dernier cas soit douteux. Il apparaît aussi, mais sur d’autres types de supports (céramique, enduit), chez les Lexoviens et les Bituriges Cubes41. On en conclut généralement que le mot désignait la magistrature suprême d’un certain nombre de peuples gaulois et pas seulement chez les Éduens. Il serait toutefois imprudent d’extrapoler les fonctions du vergobret gallo-romain de celles de son prédécesseur gaulois (que nous ne connaissons guère) et vice versa. La permanence du titre, au tout début de l’Empire, oblige toutefois à s’interroger sur la persistance de magistrats uniques en Gaule romaine alors que la collégialité est très largement considérée comme la marque du passage au droit latin42. Mais la date de cette promotion, souvent attribuée à la politique de Claude, reste controversée. À ce dossier déjà complexe du vergobret viennent s’ajouter d’autres inscriptions qui mentionnent l’existence chez les Bituriges Vivisques d’un préteur (CIL XIII, 596-600), une titulature latine souvent considérée comme une transcription du gaulois vergobret, d’un summus magistratus chez les Bataves (CIL XIII, 8771), une cité par ailleurs plus germanique que gauloise. On doit enfin ajouter la mention du magister Helvète, connu par plusieurs inscriptions antérieures à la promotion coloniale réalisée sous Vespasien43. Enfin il ne faut pas oublier le Trévire Priscus dont le cursus (AE 1929, 173) doit être cité ici en entier car il va servir de base au commentaire qui suit : [---] Prisc(o),/[f]lamini,/[s]acerd(oti) Rom(ae) et/[A]ug(usti), magistro, q(aestori) c(iuitatis) T(reverorum),/[pr]aef(ecto) coh(ortis) I Aresac(um).

    30Sans entrer dans un commentaire détaillé de chaque inscription, ce qui nous entraînerait trop loin, il faut remarquer que ce dossier, en lui-même assez hétéroclite, révèle plusieurs cas de magistratures uniques qui n’entrent pas dans le cursus municipal tel que nous le connaîtrons ultérieurement après la diffusion du droit latin. Ceci indique donc assez vraisemblablement l’existence d’une période de transition pendant laquelle le fonctionnement des nouvelles cités pérégrines, probablement différent d’une communauté à l’autre, n’obéissait pas encore aux règles romaines très codifiées qui seront en vigueur par la suite. Toute la difficulté est d’arriver à dater précisément ces différentes inscriptions et de restituer l’ordre des cursus, le sens précis des titres, notamment les prêtrises, dont on considère généralement qu’elles ne sont pas identiques dans les cités pérégrines et celles de droit latin. Prenons l’exemple du flamen mentionné dans l’inscription du Trévire Priscus : ce titre traduit, croit-on généralement, le passage à une réalité latine ou romaine, donc un droit qui n’est plus pérégrin. Ceci devrait donc, en théorie, dater la rédaction de l’inscription d’une période postérieure à l’octroi du droit latin. Mais Priscus a aussi été magister, ce qui semble impliquer une charge unique, donc typiquement pérégrine et antérieure à cette mesure. Il a en outre été sacerdos Romae et Augusti, une charge qu’on n’exerce généralement qu’au terme d’un cursus municipal complet. Postulant que cette prêtrise doit être datée du premier tiers du ier siècle apr. J.-C. et que les Trévires disposaient du droit latin sous Claude, ce qui n’est pas formellement prouvé, on en conclut volontiers que le début de ce cursus est antérieur au milieu du ier siècle apr. J.-C.44. L’hypothèse est certes recevable, mais la question paraît plus complexe. On constate en effet la mention très précoce (entre 10 av. J.-C. et 14 apr. J.-C.) d’un sacerdos Romae et Augusti, dans une inscription de Rodez qui indique déjà la présence d’un Sénat (senatus), vocable significatif (AE 1994, 1215). Cette prêtrise indigène n’implique pas uniquement une charge à l’autel du confluent, à Lyon, car il existait des magistratures religieuses de même nature à l’échelon municipal45. Le titre de sacerdos ne saurait en outre être limité à une époque antérieure au milieu du ier siècle apr. J.-C. et les deux appellations (flamen et sacerdos) apparaissent parfois conjointement dans la même cité46. On peut conclure que « les intitulés des prêtrises municipales ne répondent pas toujours à une logique établie, variant selon les cités, les statuts juridiques des communautés et les époques47 ». Dans le cas du Trévire Priscus, c’est seulement l’hypothèse d’un octroi du droit latin sous Claude qui conduit à une datation haute de l’inscription. Mais, formellement, les étapes, au demeurant controversées, du cursus ne suffisent pas à préciser sa chronologie absolue et on pourrait proposer une date plus basse. La double apparition dans les inscriptions ultérieures de la mention de flamen et de duumvir traduira au contraire à coup sûr l’obtention du droit latin.

    31Pour conclure cette présentation volontairement très simplifiée, il est bien clair que l’administration des nouvelles cités augustéennes, dans les Trois Gaules, a d’abord connu (sauf dans les colonies de droit romain, évidemment) une période de transition assez longue, sans doute inégale d’une communauté civique à une autre, et sous des formes qui n’étaient pas encore celles qu’on observera par la suite. Que les magistratures de cette époque intermédiaire portent encore une dénomination gauloise (vergobret) ou traduisent, sous une forme latine (praetor, summus magistratus, magister), une pratique du pouvoir qui n’est pas encore inscrite dans le cadre juridique des cités de droit romain, qui peut vraiment s’en étonner48 ? Il était d’ailleurs normal, sage et pratique que les autorités impériales continuent, dans un premier temps, à s’appuyer sur les grands notables traditionnels pour gouverner des civitates encore très gauloises. La plus grande des difficultés que nous rencontrons est plutôt de déterminer à partir de quand, et dans quelles cités, l’intégration a été suffisante pour autoriser l’octroi du droit latin, cette reconnaissance, par le pouvoir romain, du degré de « romanisation » d’une communauté et de sa capacité à s’autogouverner sur le modèle de l’Urbs. D’une manière générale, et sauf pour les Ausques et les Convènes, si l’on retient que les renseignements de Strabon sont bien valides pour cette époque et ne sont pas une adjonction ultérieure, la Gaule du Nord n’a pas connu ce mode de fonctionnement municipal à l’époque augustéenne, à la différence de ce qu’on observe en Narbonnaise.

    32Du processus de transition lui-même et de son rythme, nous ne savons donc presque rien de bien assuré. Le préalable pour le pouvoir impérial était, en théorie, l’émergence dans chaque communauté d’un groupe de notables suffisamment nombreux et suffisamment « romains » pour exercer des magistratures. Dans la pratique de ce temps, ces honneurs électifs nécessitaient la prise en charge financière du fonctionnement municipal, la participation aux dépenses des infrastructures nécessaires à la vie civique, les relations souvent dispendieuses avec les autorités provinciales, notamment l’envoi d’ambassades, indispensables pour communiquer avec le gouverneur provincial, voire les bureaux romains dans les cas très importants. Ce mode de fonctionnement, à la fois aristocratique et timocratique, nécessitait, dans les faits, une assez longue période d’acculturation aux pratiques romaines.

    Les nouveaux centres publics

    33La chronologie de l’apparition des centres publics nécessaires au fonctionnement des nouvelles civitates pérégrines constitue un autre indicateur de la manière dont la transition politique et administrative s’est effectuée et sur laquelle l’archéologie nous renseigne aujourd’hui d’une manière plus précise qu’autrefois. Nous avons déjà analysé le phénomène dans les pages qui précèdent49. Il suffit de rappeler que la mise en place des carroyages urbains ne semble généralement pas antérieure à la dernière décennie av. n. è., sauf, peut-être, pour le premier réseau de Reims, et que l’aménagement des fora semble avoir été progressif, s’étalant parfois bien au-delà de l’époque augustéenne. On ne peut manquer de relever que les recherches les plus récentes vont toutes dans le même sens, c’est-à-dire celui d’une datation des premiers centres monumentaux connus plus tardive qu’on ne le croyait. Cette observation semble au demeurant tout-à-fait cohérente avec ce que disent les sources historiques et épigraphiques sur les premiers temps de l’administration municipale en Gaule du Nord. Elle n’est pas exclusive de l’existence possible de bâtiments en bois, dont nous avons cité les rares exemples à peu près documentés. Mais on doit aussi se rappeler que la construction des édifices publics nécessaires aux nouveaux cadres civiques exigeait du temps.

    34Quelques inscriptions célèbres viennent toutefois nous rappeler que les premiers aménagements connus n’ont peut-être pas été les bâtiments classiques de la vie municipale à la romaine (curie, basilique) mais les monuments du culte impérial, dont nous connaissons plusieurs exemples50. À la suite de la cérémonie instaurée au confluent par Drusus en l’honneur de Rome et d’Auguste, il semble en effet que plusieurs cités aient manifesté plus ou moins spontanément leur fidélité à la dynastie en érigeant des autels funéraires aux « princes de la jeunesse », Lucius et Caius César, les petits-fils d’Auguste, devenus ses fils adoptifs, qui auraient dû un jour lui succéder. Nous en connaissons en Gaule deux exemples, l’un à Reims (CIL XIII, 3254 ; AE 1982, 715), l’autre à Trèves (CIL XIII, 3671 ; BRGK 1959, 123, 1) qui doivent être rapprochés des décrets municipaux de Pise sur les honneurs funèbres rendus aux princes défunts (ILS 140). À cela il faut ajouter une inscription de Sens pour le seul Caius César, probablement une base de statue, peut-être accompagnée d’un autel, si l’on en croit l’exemple de Reims et de Trèves, mais ce point reste hypothétique (CIL XIII, 2942). Cette dernière inscription est datée de 2-3 apr. J.-C., les premières sont postérieures à la mort de Caius, le 21 février 4 de n. è. Retenons la chronologie, qui nous amène une quinzaine d’années après la mise en place de l’organisation augustéenne. Ces monuments du culte impérial naissant constituent des éléments structurants des premiers centres publics de la Gaule du Nord, au sein d’un paysage urbain en cours d’élaboration51. Ils trouvent leur équivalent dans le monde méditerranéen, aussi bien dans des villes anciennes comme Athènes ou Thasos, mais aussi en Narbonnaise, témoignant de la sacralisation du pouvoir augustéen52. On peut ainsi se demander si les inscriptions heureusement préservées de Reims, de Trèves ou de Sens ne sont pas les vestiges d’une mesure plus générale touchant l’ensemble des cités de la Gaule du Nord, à un moment où se mettaient en place les nouveaux pouvoirs civiques. Dans ces conditions, on peut sans doute avancer que le culte impérial a constitué l’élément primordial dans la constitution des centres urbains et l’élaboration des nouvelles pratiques de la vie politique.

    35L’une des questions principales, rarement posée, est de savoir qui a financé l’équipement des nouvelles capitales, nécessairement très dispendieux. La caisse impériale ou les cités elles-mêmes, c’est-à-dire probablement leurs notables ? La réponse ne va pas de soi car nous n’avons pratiquement pas de sources explicites pour l’argumenter. Elle n’est pourtant pas sans importance si l’on veut mesurer la capacité d’endettement des communautés gauloises, donc aussi, bien entendu, leur capacité à s’intégrer dans le monde naissant en menant une vie publique d’un nouveau genre, « à la romaine ».

    36Nous ne disposons guère d’inscriptions faisant état d’un financement par l’Empereur des nouveaux équipements monumentaux. Par exception on peut citer l’enceinte de Nîmes « donnée » par Auguste en 16-15 av. J.-C., une expression qui implique sans doute que les travaux, considérables, ont été offerts, au moins partiellement (CIL XII, 3151). Une autre forme de contribution pouvait être apportée en nature, grâce à la mise à disposition de techniciens et de main d’œuvre militaires au profit d’une communauté. Un bon exemple en est fourni à propos du carroyage initial de Tongres, où l’on peut reconnaître le rôle de l’armée dans la mise en place du réseau de voirie, aménagé par des soldats sur un sol vierge53. On créait ainsi une capitale pour un peuple nouveau, artificiellement constitué d’ethnies diverses54. Mais les premiers habitats archéologiquement constatés sur le site sont constitués de fermes indigènes typiques des régions de l’Europe du Nord et c’est seulement dans un second temps que s’installèrent des demeures d’un autre type, avec une architecture plus romaine. On ne saurait affirmer pour autant que toutes les villes nouvelles furent ainsi « fondées » par des légionnaires, l’expression même de « fondation » étant en elle-même une commodité de langage périlleuse car ces nouvelles villes pérégrines ne pouvaient évidemment pas faire l’objet d’un acte religieux more romano.

    37Mais il paraît bien peu vraisemblable que, malgré son immense richesse, Auguste ait pu financer intégralement la mise en place de tous ces chantiers urbains et surtout l’édification de leurs monuments. La multiplication des opérations de recensement, donc des ponctions fiscales nécessaires à la poursuite des opérations militaires en Germanie, à la fin du règne, montre que l’on prenait l’argent là où il était, c’est-à-dire dans la poche des vaincus, les appauvrissant du même coup. C’est donc probablement sur les notables gaulois que reposait le poids du développement des nouveaux centres monumentaux et du fonctionnement de la vie publique.

    La mise en place du réseau routier

    38Il ne suffisait pas d’équiper les nouvelles villes et d’administrer les cités. En devenant province de l’Empire, la Gaule entrait dans un vaste ensemble dont toutes les composantes devaient pouvoir entretenir des relations rapides entre elles. Il lui fallait un réseau routier renouvelé, avec de grandes rocades de liaison, à un moment, où l’offensive sur le Rhin nécessitait de pouvoir disposer de communications rapides entre le Nord et le Sud du pays, d’une part, entre l’Italie et sa nouvelle possession, d’autre part.

    39L’ensemble des routes romaines, dont la construction est attribuée par Strabon à l’action d’Agrippa, doit en effet être considéré comme un équipement stratégique. Bien que le texte soit célèbre, il n’est pas inutile de le reproduire de nouveau : « l’un des cols qui permettent de passer d’Italie en Celtique extérieure et septentrionale est celui qui conduit à Lugdunum par le pays des Salasses. Il comporte deux itinéraires, l’un praticable aux charrois sur la plus grande partie du trajet, par le pays des Ceutrons, l’autre, étroit et raide, mais court, par le Poenin. Lugdunum occupant le centre du pays, comme une acropole, en raison de sa position au confluent et de sa proximité avec toutes les parties du pays, Agrippa en a fait le point de départ des grandes routes : celle qui traverse le pays des Cévennes conduit jusqu’au pays des Santons et en Aquitaine ; puis il y a celle qui mène au Rhin ; la troisième qui conduit à l’océan, par le territoire des Bellovaques et celui des Ambiens ; enfin la quatrième va en Narbonnaise et au littoral massaliète. Mais on peut aussi, laissant à gauche Lugdunum et les territoires en amont de cette ville, bifurquer dans le Poenin même, traverser le Rhône ou le lac Léman pour gagner les plaines des Helvètes et, de là, passer le Jura pour aller chez les Séquanes, puis les Lingons, où la route se divise en deux branches, vers le Rhin ou vers l’Océan55 ».

    40La première question posée par ce texte concerne la datation du réseau puisque Agrippa a effectué deux séjours en Gaule, l’un pendant les guerres civiles (40/39-38), l’autre au tout début de la seconde décennie av. n. è. (20-19). L’archéologie n’a pas encore formellement tranché ce débat ancien, même si quelques indices ténus invitent aujourd’hui à privilégier le second séjour, qui correspond aux prémices de l’organisation militaire sur le Rhin. On comprendrait mal, en effet, que le premier camp connu, celui de Nimègue, qui est aujourd’hui daté de 19 av. J.-C.56, ne soit pas lié à la mise en place de la voie venue de Langres, via Trèves, avec un diverticule vers Cologne (deux villes qui n’existaient pas encore à cette époque). Le pont de Trèves, daté de 18-17 par dendrochronologie, se conçoit assez mal sans une organisation viaire correspondante. Toutefois, certains tronçons, récemment fouillés, pourraient être légèrement antérieurs au second gouvernement d’Agrippa, bien que la preuve formelle de ces datations n’ait pas été apportée57. Il est au demeurant très probable que cette réalisation ait pris beaucoup de temps et n’ait pu être achevée que bien au-delà du changement d’ère.

    41Ce réseau a rapidement connu des adjonctions par rapport au schéma initial que décrit Strabon (fig. 148). L’une des plus importantes est sans doute celle de la chaussée Boulogne/Cologne via Cassel, Courtrai, Velzeke, Asse, Tierlemont, Tongres tout au long de laquelle la présence récurrente de matériel appartenant à l’horizon de Haltern (vers 6-5 av. J.-C.-9 apr. J.-C.) est bien attestée. C’est sans doute à elle que fait allusion un passage assez obscur de Florus qui écrit, à propos de la conquête de la Germanie, commencée en 12 av. J.-C. que « Drusus Bormam et Caesoriacum pontibus iunxit classibusque firmavit » (Florus II, 30). Sans doute faut-il revenir aujourd’hui, après bien des commentaires et des hypothèses opposées, à l’idée d’une route stratégique reliant Boulogne (Gesoriacum) à Bonn (*Borma) au début de la conquête de la Germanie par Drusus, en 12 av. J.-C., tracée pour des raisons logistiques au début de l’offensive. Elle aurait été partiellement équipée de travées de bois sur pilotis (pontes) dans ses parties humides et on connaît les flottes basées à chacune de ses extrémités. Une variante méridionale, par Bavay, faisait en même temps de cette ville, devenue la nouvelle capitale des Nerviens, un important nœud routier.

    Fig. 148. – Principales routes du Nord de la Gaule et camps augusto-tibériens de Germanie.

    Image

    M. Reddé.

    42L’autre grande voie précoce, bien mise en évidence par l’archéologie, montre aussi l’importance du nouvel itinéraire qui, de Chalon-sur Saône, menait vers Autun puis empruntait la vallée de l’Yonne, celle de la Seine en aval de Montereau, jusqu’à l’estuaire58. Là encore il s’agit d’une liaison à grande distance destinée à permettre une circulation rapide au sein d’un espace gaulois en pleine réorganisation stratégique. Le schéma directeur de ce réseau routier, qui négligeait largement l’Ouest du pays, et en particulier le Nord-Ouest, allait assurer pour longtemps le développement prioritaire de la Gaule de l’Est et du Nord, bien au-delà même de l’époque romaine proprement dite. Ailleurs, on a dû sans doute se contenter pendant longtemps du réseau gaulois préexistant.

    Le cens

    43Nos connaissances sur la fiscalité directe en Gaule sont extrêmement imprécises et lacunaires sauf à partir du iie siècle apr. J.-C. où la documentation s’enrichit d’une bonne série d’inscriptions59. Or il s’agit là d’un problème fondamental pour comprendre la réalité de la conquête et le poids qu’elle faisait peser sur les anciens vaincus, tout particulièrement pendant cette période de transition où la prise en compte de leurs intérêts n’était sans doute pas la préoccupation première de Rome.

    44Nous avons déjà dit que le tribut exigé par César nous paraissait beaucoup plus lourd qu’on ne l’avait longtemps supposé, en proposant de le calculer selon un « équivalent solde » de l’époque. Il s’agissait là d’un vectigal certum qui reposait sur le versement d’une somme forfaitaire60. Nous ignorons en revanche quelle fut l’évolution effective, au cours du temps, de cette première forme d’imposition. Mais il nous paraît évident que la somme exigée, fixée de manière globale et en l’occurrence punitive, ne pouvait pas continuer très longtemps d’être perçue sans une meilleure connaissance du pays, communauté par communauté, afin de fixer au mieux l’assiette de la contribution. Pour cela, il fallait mesurer les territoires et recenser les ressources mais aussi savoir comment répartir l’impôt, en fonction des intérêts politiques du vainqueur. Certes de telles mesures de recensement provincial s’inscrivent dans une action plus large voulue par Auguste qui consistait à réaliser l’« inventaire du monde61 ». Sans doute peut-on considérer aussi que l’évolution de la fiscalité montre une plus grande rationalisation sous l’Empire. Mais en était-on déjà là, dans la Gaule du Nord tout juste conquise ? Le passage de Dion Cassius que nous avons déjà cité exprime l’essentiel : épargner les amis, charger les autres (Dion Cassius LIV, 25). Il y eut donc un petit nombre de cités « libres », exemptes de charges, et privilégiées en proportion de leur docilité, et un grand contingent de peuples « stipendiaires » largement mis à contribution. La liste des gagnants et celle des autres nous est fournie par Pline62.

    45On fait souvent remonter cette répartition à César lui-même, mais aucune preuve d’une telle décision n’a jamais été apportée, on l’a dit. Le fait est que l’époque des guerres civiles n’était guère favorable à un examen approfondi des ressources de la Gaule. C’est donc très vraisemblablement au règne d’Auguste qu’il faut attribuer la répartition fiscale, ce à quoi nous invitent les maigres sources dont nous disposons et qui ont déjà été mentionnées.

    46Un recensement était une opération lourde, en elle-même génératrice de conflits, comme l’indique Claude dans son discours au Sénat de Rome. À partir de l’époque augustéenne, elle s’exerça dans le cadre des pouvoirs censoriaux du prince, selon une conception patrimoniale du contrôle territorial63. La division provinciale et les remaniements qu’elle entraîna par rapport aux réalités de l’époque césarienne peuvent s’interpréter de cette manière, l’organisation des cités aussi. Le cens de 27, s’il fut effectif en Gaule chevelue, ce dont nous doutons en raison du témoignage de Claude, mais surtout celui de 12, immédiatement antérieur au déclenchement de l’offensive de Drusus en Germanie, ont entraîné des opérations d’arpentage pour fixer les bornes des communautés et mesurer les capacités contributives du sol. Nous n’avons certes pas de texte qui nous le prouve explicitement pour la Gaule, mais un passage de Frontin nous apprend les principes de l’opération : « Il y a trois qualités de terres : une est celle de la terre divisée et assignée, une autre est celle de la terre mesurée par son extrémité, la troisième est celle de la terre arcifinale, qui n’est contenue par aucune mesure […]. La terre comprise par la mesure est celle dont toute la superficie a été assignée à une cité, comme en Lusitanie aux Salmaticenses ou en Espagne citérieure aux Palantini, et dans de nombreuses provinces, le sol tributaire a été défini dans sa totalité pour les peuples. Et c’est selon le même système que sont faites les mesures des terres privées. Cette terre, en beaucoup de lieux, les arpenteurs, bien qu’ils l’aient comprise et mesurée par son extrémité, l’ont consignée sur le plan cadastral comme une terre limitée64. » Pour l’Espagne citérieure, recensée sans doute peu après 27, l’opération s’est donc faite « per extremitatem », c’est-à-dire en définissant le territoire dans son intégralité par une délimitation de son pourtour, d’où l’on déduit que la Gaule fut recensée de la même manière65. Ce faisant, on entrait nécessairement dans les conflits de voisinage entre communautés, d’autant que celles-ci étaient sans doute collectivement responsables du versement fiscal66. Il fallait naturellement des arpenteurs, mais la présence militaire, source de tensions supplémentaires, devait sans doute être assez fréquemment requise. Dans le même temps on recensait les fortunes particulières, dont un registre spécifique était conservé. Caligula saurait s’en servir pour spolier les plus riches à son profit (Dion Cassius LIX, 22, 4).

    47On a longtemps supposé que le territoire de la Comata avait été centurié, au moins en partie, sur le modèle de ce que l’on connaît en Narbonnaise où l’implantation de colonies de vétérans est bien attestée. Cet aspect de la politique fiscale est important dans la mesure où il suppose la confiscation du sol, la dépossession des populations locales et leur transfert ailleurs, au profit de nouveaux arrivants. On avait cru reconnaître les traces de cette organisation des territoires en Belgique, en Alsace, chez les Rèmes, dans la vallée de la Saône notamment. Ces recherches, très actives dans les années 1970-1980, doivent toutefois être aujourd’hui réévaluées. La reprise des dossiers anciens, à partir de méthodes et de réflexions renouvelées, conduit en effet à mettre fortement en doute les conclusions anciennes dans la plupart des cas qu’on avait cru pouvoir identifier67.

    48Nous ne savons rien, pour les Tres Galliae, de la manière dont la qualité de la terre et son rendement fiscal étaient évalués. Seul un passage de Hygin le gromaticien, pour la Pannonie, au iie siècle de n. è., nous offre un point de comparaison possible : « Les terres vectigaliennes ont un grand nombre de régimes. Dans certaines provinces, on verse une part définie de la récolte, tantôt le cinquième, tantôt le septième, ou bien de l’argent, et cela en fonction de l’estimation du sol. En effet, des valeurs ont été définies pour les terres, comme en Pannonie : terre labourée de première catégorie, de deuxième catégorie, pré, forêt à glands, forêt ordinaire, pâture. Pour toutes ces terres le vectigal a été fixé par jugère en fonction de la fertilité68. »

    49Nous ne savons pas précisément si, dans la Gaule augustéenne, le recouvrement de l’impôt se faisait en espèce, en nature, ou des deux manières à la fois. Le recouvrement en nature sous forme de livraisons de blé était parfaitement bien connu et pratiqué depuis longtemps : l’exemple le plus célèbre est celui de la Sicile de Verrès. On peut penser que cette situation, qui reposait sur d’antiques principes de répartition, ne pouvait s’appliquer en Gaule, mais l’exemple de la Bretagne flavienne, une quarantaine d’années après la conquête de l’île, prouve qu’elle était toujours appliquée, si l’on en croit le témoignage très sombre de Tacite qui en décrit les excès et les révoltes que ceux-ci provoquaient (Tacite, Agricola, 19.4-5 ; 31.2).

    50On considère néanmoins, en général, que l’impôt direct était au moins en partie versé sous formes d’espèces ou de métaux précieux, dès l’époque augustéenne : en témoigneraient les excès commis par le célèbre Licinus, affranchi d’Auguste qui était chargé du fisc, juste avant le séjour de l’Empereur en 16-13. Ils laissent en effet supposer le maniement d’argent si l’on comprend bien le texte de Dion Cassius : « Quant à Licinus, c’était un ancien Gaulois ; fait prisonnier par les Romains et devenu esclave de César, il fut affranchi par lui et nommé par Auguste procurateur de la Gaule. Unissant l’avarice d’un barbare aux prétentions d’un Romain, Licinus abattit tout ce qui autrefois avait paru supérieur à lui, et opprima tout ce qui dans le moment avait quelque puissance ; il leva de fortes sommes pour satisfaire aux exigences des fonctions dont il était chargé, il en ramassa également de fortes tant pour son compte personnel que pour les siens. Sa méchanceté alla au point que, les Gaulois payant certains tributs mensuels, il établit quatorze mois dans l’année, soutenant que Décembre, le dernier, n’en était véritablement que le dixième, et qu’il fallait, par conséquent, en compter deux encore, nommés l’un Undécembre, l’autre Duodécembre, et payer les sommes afférentes. Cette habileté faillit coûter cher à Licinus : les Gaulois, ayant saisi Auguste de l’affaire, lui adressèrent des plaintes telles que, sur certains points, il partagea leur irritation, chercha, sur d’autres, à excuser Licinus ; prétendit ignorer certains faits, feignit de ne pas croire quelques autres, et en dissimula plusieurs, honteux d’avoir employé un tel procurateur » (Suétone, Claude, 2, 1). Quoi qu’il en soit, ces excès et la mise en place du cens de 12 av. J.-C., sans doute indispensable au financement de l’offensive de Drusus, allaient provoquer une grave crise au moment où la campagne de Germanie démarrait, nécessitant une remise au pas.

    La création du culte impérial

    51Les deux textes de Dion Cassius et de Tite-Live que nous avons mentionnés datent la création de l’autel du confluent de 12 av. J.-C. Suétone relie toutefois la dédicace du monument à la naissance de Claude, sous le consulat de Iulius Antonius et de Fabius Africanus, en 10 av. J.-C. (Suétone, Claude, 2, 1). Plusieurs savants concilient cet écart chronologique en évoquant, pour la première étape, la décision constitutive et, pour la seconde, la dédicace effective de l’autel69. L’important pour nous est de constater que le culte, instauré dans un contexte de troubles sérieux, fut, en quelque sorte, imposé par Drusus. On comprend, dans ces conditions que ce témoignage de loyalisme des principaux notables gaulois envers Rome et Auguste ne fut pas une manifestation spontanée et il était important qu’on choisît un Éduen, Vercondaridubnus, issu du peuple le plus anciennement allié au vainqueur, pour exercer le premier la prêtrise et rassembler ceux sur qui reposait le succès de la politique d’assimilation. On notera à ce propos que le terrain choisi n’était pas le territoire urbain de la colonie de Lyon dans les limites de son pomerium, mais un lieu dont le statut juridique exact nous échappe. Bien qu’on le qualifie souvent de « fédéral », il s’agit là d’une simple commodité de langage moderne qui ne correspond guère à ce que nous savons de la propriété du sol provincial à cette époque. On remarque aussi qu’il s’agissait d’un autel et non d’un temple, portant le nom des soixante cités et entouré de statues (Strabon IV, 3, 2). L’emplacement exact, sur les pentes de l’actuelle Croix-Rousse, n’étant guère connu, on n’en sait pas vraiment davantage, si ce n’est par l’étude précise des monnaies qui le représentent70. On doit enfin souligner que le prêtre portait le titre de sacerdos, ce qui implique un culte indigène et non romain. Les inscriptions retrouvées permettent d’en dresser une liste incomplète puisque toutes les cités ne sont pas représentées.

    52Rien ne laisse supposer une antériorité gauloise à ce culte, rendu au demeurant le 1er août, le jour même du dies imperii d’Auguste, une coïncidence qui n’en est sans doute pas une pour cette manifestation d’union des provinciaux autour du prince71. Il est possible que les peuples de l’Aquitaine césarienne n’y aient pas participé car ils semblent absents, tout au long de l’Empire, des inscriptions retrouvées au confluent72. Toutefois, aucune trace d’un autel similaire n’a jamais été retrouvée à Lugdunum Convenarum, contrairement à l’hypothèse tenace qui en fait le centre d’un culte impérial propre à l’Aquitaine du Sud de la Garonne. En revanche la création de l’autel des Ubiens, dans la future Cologne, constituera une des marques fondatrices de la province de Germanie. La date précise de l’installation n’est toutefois pas connue mais elle est assurément antérieure au soulèvement d’Arminius en 9 apr. J.-C. puisque Tacite nous apprend que le jeune Ségimond, un noble germain, avait rompu les bandelettes, insignes de son sacerdoce à l’autel des Ubiens (Tacite, Ann. I, 57). Les peuples cisrhénans de la rive gauche rendaient toutefois, depuis 9 av. J.-C., un culte annuel à Drusus mort, près de son cénotaphe, érigé à Mayence, si l’on en croit la Tabula Siarensis, et ces différentes manifestations du culte impérial ne sont aucunement exclusives les unes des autres (AE 1991, 20, fr. I, 26-34).

    Les affaires de Germanie et le recrutement militaire en Gaule

    53La conquête césarienne avait laissé la Gaule ouverte au nord-est, d’où étaient venus les Cimbres et les Teutons, à la fin du iie siècle av. J.-C., puis les Germains d’Arioviste, peu de temps avant la guerre. La rive du Rhin est donc restée dépourvue de toute garnison militaire jusqu’à l’installation d’un premier camp militaire à Nimègue, sur le Hunerberg, en 19 av. J.-C.73. Le pouvoir romain se préoccupait néanmoins de sécuriser la zone rhénane souvent menacée, si l’on en croit les différentes sources dont nous disposons. Ce fut l’une des missions d’Agrippa, grâce à l’organisation d’un glacis de peuples clients, dont les plus célèbres sont les Ubiens (fig. 149). Ce peuple, originaire de la Hesse actuelle, sur la rive droite, avait fait soumission à César (César, BG IV, 3). Il fut transféré par Agrippa sur la rive gauche, dans une partie du territoire déserté des Éburons qui correspond à l’arrière-pays fertile de Cologne et au massif de l’Eifel (Dion Cassius, LIV, 11, 2). C’est Strabon qui nous en informe, sans préciser si cette installation remonte au premier ou au second séjour d’Agrippa (Strabon, IV, 3, 4). On peut hésiter sur ce point et les historiens se sont divisés. On considère plutôt aujourd’hui, sur la foi d’arguments numismatiques, qu’il faut rattacher cet événement au début de la seconde décennie av. n. è. Que ce transfert ait été volontaire et non contraint, Strabon l’atteste et son témoignage est sur ce point confirmé par Tacite. Ce dernier précise en effet que les Ubiens étaient là « pour monter la garde, non pour être gardés74 », car ils étaient recrutés aux termes d’un foedus comme des auxiliaires germaniques de l’armée romaine contre d’autres Germains.

    Fig. 149. – Le déplacement des différents peuples rhénans de la rive droite vers la rive gauche, à l’époque augustéenne.

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    N. Roymans.

    54La date de l’installation des Bataves, eux aussi d’origine transrhénane, n’est guère connue de manière précise, mais on la situe antérieurement à l’offensive de Drusus, en 12 av. J.-C. Là encore, l’argument numismatique est au cœur du débat. Le transfert pourrait remonter aussi à la politique d’Agrippa ou à ses suites immédiates75. C’est là encore le fruit d’un traité avec Rome, selon le témoignage de Tacite dont il vaut la peine de citer le propos : « De toutes ces nations, les Bataves sont les plus distingués par la valeur. Ils n’habitent qu’un coin de la rive du Rhin, mais en occupent une île. C’était jadis une tribu de Chattes, et à la suite de troubles domestiques elle passa dans le pays où elle devait devenir partie intégrante de l’Empire romain. Une distinction leur demeure, signe de leur ancienne alliance avec nous : ils ne subissent pas l’humiliation des tributs ou les exigences écrasantes d’un publicain : exempts de charges et de contributions extraordinaires, uniquement destinés aux combats, on les garde, comme on garde des armes pour les guerres » (Tacite, Germania 29). Ce passage est fondamental pour comprendre les conditions d’alliance entre Rome et ces peuples germaniques intégrés dans l’Empire, leur importance militaire, leur régime politique spécifique, sans doute aussi leur soulèvement en 68. Nous y reviendrons. L’installation du premier camp légionnaire sur le Hunerberg, à Nimègue, fut probablement doublée, dès cette époque ou peu de temps après, par la fondation d’une première agglomération civile (oppidum Batavorum) située à l’ouest de la forteresse, sans doute sur un modèle voisin de celui de Waldgirmes, postérieur mais archéologiquement mieux connu76. On se doit de rappeler à ce propos l’existence de la très belle tête en marbre gris de César, découverte sur le Hunerberg, et dont le prototype avait probablement été réalisé à partir du masque mortuaire du dictateur (fig. 150). Longtemps considérée comme une statue érigée dans les principia du camp, on la voit plutôt, aujourd’hui, comme provenant d’un monument commémoratif installé sur le forum civil de la nouvelle capitale des Bataves, probablement dans les années suivant l’offensive de Drusus, à partir de 12 av. J.-C. Le lien politique de ce peuple avec le conquérant des Gaules était ainsi affirmé77.

    Fig. 150. – Buste de César à Nimègue.

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    National Museum of Antiquities, Leyde.

    55Au milieu de ces succès, on apprit la nouvelle du désastre subi par l’armée de Lollius, en 17-16 av. J.-C. et la perte de l’aigle de la Ve légion (Velleius Paterculus II, 97, 1). Les Sicambres, les Usipètes et les Tenctères, des peuples germaniques de l’actuelle Westphalie, à l’Est de Cologne, avaient franchi le Rhin et battu le légat M. Lollius, ce que l’histoire romaine a retenu sous le nom de clades Lolliana (Tacite, Ann. 1,10,4 ; Dion LIV, 20).

    56La réaction romaine face à ce désastre constitue un tournant de la politique augustéenne en occident puisqu’elle se traduisit par le nouveau séjour de l’Empereur en Gaule (16-13 av. J.-C.), la conquête des Alpes, l’organisation des cités, le début de la conquête de la Germanie. Cette dernière fut précédée par une concentration militaire sur le Rhin, de Mayence jusqu’au delta, et par l’installation de grandes bases opérationnelles dont certaines allaient avoir une influence durable dans l’histoire de l’Europe : Nimègue (Kops-plateau) de nouveau, Vetera (Xanten), Neuss, Cologne, Bonn, Mayence… Ces nouveaux points d’appui ne constituaient en rien un limes, au sens où on l’entendra plus tard ; il s’agissait au contraire de concentrer les troupes pour les lancer à l’assaut de la Germanie et d’utiliser au mieux les voies maritimes et fluviales en direction de l’Elbe afin de soumettre les peuples germaniques de ces territoires. Une offensive similaire se mit en place quelques années plus tard depuis le Danube moyen, au sud, provoquant ainsi une tenaille qui témoignait d’une grande conception stratégique et supposait une connaissance géographique suffisante, bien supérieure à celle que dénote le texte de Strabon, pourtant écrit un peu plus tard (fig. 151). Quoi qu’on en pense souvent, notamment en France, cette histoire ne doit pas être séparée de celle de la Gaule intérieure proprement dite. D’abord parce que l’offensive romaine vers l’est faisait désormais des Tres Galliae des provinces inermes (démilitarisées), dans lesquelles l’influence culturelle et sociale de l’armée n’allait pas être aussi prégnante que sur les frontières de l’Empire (Tacite, Hist. I, 16). Ensuite parce qu’en déplaçant le centre de gravité de la Gaule sur ses marges orientales, avec un marché militaire puis civil considérable, elle créait un pôle de développement économique qui devait renforcer encore la prépondérance de l’axe Rhône/Saône/Moselle/Rhin, déjà amorcé à l’époque de l’Indépendance.

    Fig. 151. – Les offensives augustéennes en Germanie.

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    M. Reddé.

    57Le détail de ces campagnes n’étant pas l’objet de ce livre, il suffira ici d’en rappeler les grandes étapes78. Les forces romaines commencèrent leur offensive en 12, sous les ordres de Drusus jusqu’à la mort de ce dernier, en 9 av. J.-C. Il fut alors remplacé par son frère Tibère jusqu’en 7 av. J.-C. Cette première étape a utilisé trois axes de pénétration : le premier, depuis le Rhin inférieur, utilisait la voie maritime jusqu’à l’embouchure de la Weser tout en progressant par l’intérieur ; le second fut celui de la Lippe, un petit affluent droit du Rhin qui pénètre profondément en Westphalie et permet de rejoindre assez aisément la moyenne vallée de la Weser, puis l’Elbe ; le troisième est constitué par le cours de la Lahn, plus au sud, en direction de la Hesse puis de la haute vallée de la Weser (Dion Cassius, LIV, 32-36 ; LV, 1). L’hypothèse traditionnelle d’une fortification complète du Rhin jusqu’à Bâle par une chaîne de fortins est fondée sur un passage mal compris de Florus ; elle doit aujourd’hui être abandonnée (Florus II, 30, 26)79.

    58Une seconde étape, pour laquelle nous sommes moins bien renseignés, va du départ de Tibère au début d’une « guerre gigantesque » (immensum bellum) qui toucha tout le pays à partir de 1 apr. J.-C. (Velleius Paterculus, II, 104, 2). Cette deuxième phase ne fut pas exempte d’offensives militaires, mais principalement au Sud, depuis le front pannonien (Dion Cassius, LV, 10a, 2). De nouvelles nations germaniques vaincues furent alors transférées sur la rive gauche du Rhin, en 8 av. J.-C. (Suétone, Aug. 21,1 et Tib. 9, 2 ; Dion Cassius, LV, 6, 1). Ces Sicambres et ces Suèves étaient des déditices80 qui n’avaient pas les privilèges accordés aux Bataves. On les connaîtra plus tard sous le nom de Cugernes, installés sur le territoire qui fait face à l’embouchure de la Lippe où Trajan établira sa colonie de Xanten81.

    59C’est durant cette période que l’on voit la construction d’une ville comme Waldgirmes, à l’est du Rhin, celle aussi où l’on voit l’émergence de l’oppidum Ubiorum, la future Cologne, conçue comme la capitale des territoires nouvellement conquis, avec la mise en place d’un autel du culte impérial82. Cette politique pacificatrice et cette soumission apparente des Germains devait conduire plus tard Auguste à proclamer fièrement dans son testament : Germaniam pacavi, « j’ai pacifié la Germanie » (Res Gestae divi Augusti, 25, 1-4).

    60La troisième phase, à partir de 6 apr. J.-C., vit une grande offensive menée depuis Mayence en direction du territoire Marcoman, au sud-est, tandis que Tibère préparait une attaque en tenaille depuis le Danube. Cette opération échoua, à cause de la révolte de toute la Pannonie et de l’Illyrie (Velleius Paterculus, II, 109-110). À peine celle-ci était-elle matée que survint la nouvelle d’un désastre majeur de l’armée romaine, dans la forêt du Teutoburg, en 9 de n. è. : P. Quinctilius Varus était mort, trois légions perdues qui ne devaient jamais être remplacées ; le Rhin était sans défense, ce qui justifia le retour en hâte de Tibère (Dion Cassius, LVI, 19-22).

    61Commence alors une quatrième et dernière étape qui déborde sur le règne de Tibère. À l’avènement de celui-ci, en 14 apr. J.-C., l’armée de Germanie comprenait huit légions avec leurs auxiliaires, soit près du quart de toutes les ressources militaires de l’Empire. Cet effectif énorme tenta, sous les ordres de Germanicus, de reprendre la pacification interrompue, jusqu’à ce que Tibère l’arrêtât définitivement, en 17 de n. è. (Tacite, Ann. II, 26). C’en était définitivement fini de l’entreprise ambitieuse qui consistait à conquérir tout l’espace Germanique jusqu’à l’Elbe.

    62Les Gaulois avaient joué un rôle majeur dans cette entreprise militaire romaine outre Rhin. Par leur absence de soulèvement, bien sûr, mais aussi en assurant le recrutement de nombreuses troupes auxiliaires que l’on connaît à la fois par le nom de leurs chefs ou celui des peuples qui ont fourni des recrues.

    63On a depuis longtemps observé l’existence de levées ethniques sous l’autorité d’un chef de guerre indigène, identifié dans les inscriptions de l’époque impériale par le nom transmis à sa troupe. Il s’agit pour l’essentiel d’ailes de cavalerie. L’ala Longiniana, l’ala Atectorigiana, l’Ala Indiana, l’Ala Petriana, pour se limiter à ces quelques exemples, empruntent, on le sait, leur nom au cognomen de leur premier chef83. Le phénomène n’est pas propre à la Gaule de cette époque, il est au contraire assez largement répandu dans différentes provinces84. Sans qu’on puisse démontrer de manière très stricte sa continuité avec les levées effectuées pendant la guerre des Gaules, il reflète un recrutement gaulois à l’origine et il est très vraisemblable que la pratique a continué jusque sous Claude. L’un des exemples les plus tardifs de la création d’une aile de cavalerie selon ce modèle est probablement celui de l’Ala Indiana, sous Tibère. Au moment de la révolte de 21 apr. J.-C., le commandement romain envoya contre le chef Trévire Iulius Sacrovir un certain Iulius Indus, lui-même Trévire, à la tête d’une troupe dont le texte de Tacite (Tacite, Ann. III, 42) ne révèle pas le statut de manière explicite puisqu’il s’agit d’une levée discrétionnaire et personnelle (« cum delecta manu »), mais dont nous retrouverons ultérieurement la trace dans l’épigraphie sous le nom d’Ala Indiana85. Toutefois, le recrutement ethnique homogène de ces unités ne semble pas avoir été longtemps maintenu, comme le prouve le cas du Namnète Argiotalus (fig. 152). Son monument funéraire, à Worms, montre qu’il s’était engagé au sein de l’Ala Indiana, évidemment à titre individuel86. La datation tibérienne de la pierre funéraire, à la fois pour des raisons épigraphiques et pour des motifs stylistiques, invite à penser qu’avant même le milieu du ier siècle apr. J.-C. l’homogénéité des levées nationales, même récentes, était déjà mise à mal (CIL XIII, 6230)87.

    Fig. 152. – Stèle du cavalier namnète Argiotalus.

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    Musée de Worms, photo M. Reddé.

    64Tous les peuples de Gaule ne semblent pas avoir été soumis aux mêmes obligations militaires, soit aux lendemains de la conquête soit après la réorganisation augustéenne. Certains disposaient d’un traité spécifique qui les dispensait du tributum financier, remplacé par des contributions en nature. Les deux exemples les plus célèbres, ceux des Ubiens et des Bataves, en témoignent. Les relations de dépendance avec Rome n’étaient en effet pas uniformes ; elles se définissaient peuple par peuple et dépendaient largement de la situation juridique de chacun.

    65Il est intéressant à ce propos de confronter les statuts juridiques des différents peuples gaulois, tels que nous les connaissons par la liste de Pline, et celle des unités auxiliaires caractérisées par un nom ethnique88. Mis à part les Lingons, qui semblent n’avoir fourni de troupes qu’après leur révolte de 70, les peuples fédérés de la Comata n’ont pas donné à l’armée romaine de recrues levées sur une base nationale89. D’une manière générale les peuples « libres » ne l’ont guère fait, à l’exception des Bituriges et des Nerviens. Tous les autres sont des stipendiaires, Belges ou Germains, mais ceci ne veut pas dire que tous les peuples de ces régions aient été concernés, loin s’en faut. Certains, comme les Bellovaques ou les Suessions, jouissaient pourtant d’une solide réputation militaire pendant la guerre des Gaules mais ils n’ont pas été sollicités dans le cadre de levées nationales sous l’Empire. Du moins n’en trouvons-nous pas de trace épigraphique. On constate en outre que des provinces entières comme la Lyonnaise n’ont pas du tout été concernées par ce mode de recrutement, l’Aquitaine à peu près pas, à l’exception des Bituriges qui, on le sait, étaient des Celtes et non des Aquitains. Il paraît donc à peu près certain, au total, que ces différences relevaient des conditions mêmes dans lesquelles chaque natio avait été intégrée dans l’« alliance » romaine et l’on n’a pas nécessairement ici la trace d’un règlement césarien, sanctionné ensuite par Auguste, comme on le dit souvent trop facilement. Il est intéressant, à cet égard, d’observer la répartition géographique des troupes, recrutées sur une base nationale, qui ont livré des inscriptions mentionnant, à une date parfois beaucoup plus tardive, des corps auxiliaires réguliers sous l’Empire (fig. 153). Ce document met en évidence une forte concentration dans les cités du Nord de la Gaule, belges pour les unes, germaniques pour les autres, ainsi que chez les peuples de l’Est90. Les Bituriges constituent donc une exception. On observe probablement, dans cette répartition, les vestiges fossiles d’un système ancien de recrutement qui s’appuyait sur les valeurs martiales de ces populations.

    Fig. 153. – Peuples gaulois ayant fourni des troupes auxiliaires qui portent un nom ethnique sous l’Empire.

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    DAO M. Reddé.

    66On peut confronter cette carte avec celle des tombes à armes conservées en Gaule91. Elle montre une concentration particulière dans le centre de la Gaule (chez les Bituriges, notamment, mais aussi chez les Héduens) et une répartition dense en Belgique, particulièrement chez les Trévires (fig. 154). On sait que ce type de tombes, qui a des antécédents laténiens, est encore bien documenté jusque dans les premières décennies de n. è., les dernières sépultures étant datées de l’époque de Caligula. Elles sont généralement considérées comme appartenant à des aristocrates gaulois qui avaient servi dans l’armée romaine mais étaient encore ensevelis selon des pratiques traditionnelles valorisant leur statut de guerrier. La plus emblématique de ces tombes est l’une des dernières de la série, celle de Chassenard, datée de l’époque de Caligula92. Elle a en effet livré, outre un casque à visage, des éléments d’équipement militaire et de cuirasse, un coutelas, un torque, toutes pièces qui font incontestablement du mort un officier, dont la romanité s’affiche aussi par la présence de strigiles, alors que son caractère indigène s’exprime par le mode même de la sépulture et la pratique du dépôt d’armes et de vaisselle métallique. Plus important que tout, notre homme s’est fait ensevelir avec des coins monétaires servant à frapper des aurei, une particularité qui pose incontestablement la question de sa fonction et de la frappe des monnaies avec lesquelles étaient payés les auxiliaires. Ces derniers, ou du moins certains corps recrutés sur une base nationale, étaient-ils encore rétribués, sous Caligula, par leurs officiers d’origine gauloise, comme on le voit faire au moment des guerres civiles par les deux frères Allobroges Raucillus et Egus (César, BC III, 69) ?

    Fig. 154. – Carte des tombes à armes, en Gaule.

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    Feugère, 1996.

    L’évolution économique

    67L’idée, assez largement répandue, d’un réel et rapide développement économique de la Gaule après la conquête repose le plus souvent sur la perception intuitive que nous avons d’un certain nombre de marqueurs visibles de la « romanisation » : le phénomène urbain et le développement architectural, qu’accompagne l’adoption de nouveaux canons artistiques, l’émergence et l’expansion de la villa, considérée comme l’instrument d’une économie agraire remodelée, l’apparition de nouvelles formes d’amphores, signe de l’importation de nouveaux produits méditerranéens, la diffusion de la sigillée et bien sûr celle de la monnaie. À cela s’ajoutent aujourd’hui des considérations nouvelles sur la croissance de la taille des animaux, qui serait un facteur manifeste de progrès économique, l’augmentation de la production minière, la multiplication des inscriptions etc. Les données archéologiques sont donc fortement sollicitées, alors qu’il n’existe à peu près aucune source écrite ou épigraphique qui nous permette d’aborder cette question complexe.

    68Jusqu’à une époque récente, le nécessaire débat sur l’économie de la Gaule a été englobé dans celui, beaucoup plus vaste, du monde romain dans son ensemble93. Le propos de ce livre n’est pas d’entrer ici dans une discussion à la fois théorique et générale sur le développement économique de l’Empire, souvent conduite à partir de « proxies » extérieurs à notre zone d’étude, mais d’essayer, beaucoup plus modestement, d’observer, à une tout autre échelle de temps et d’espace, en quoi l’époque augustéenne s’est traduite, ou non, par des changements économiques en Gaule du Nord, et de quels indicateurs nous disposons pour en juger.

    La diffusion de la nouvelle monnaie romaine

    69Trois cartes permettent d’apprécier ce phénomène, qui est à la fois quantitatif et qualitatif, en discriminant la circulation des frappes indigènes et l’irruption du numéraire romain, à partir de contextes archéologiques considérés comme fiables et bien datés94. La fig. 155 concerne les sites augustéens précoces, les oppida de Boviolles et du Titelberg, les habitats de Zürich et d’Epiais-Rhus, la colonie romaine de Lyon, le site militaire du Petrisberg à Trèves. On constate que les deux sites romains révèlent un numéraire issu des frappes républicaines ou coloniales, avec toutefois encore une moitié de frappes gauloises à Lyon. Sur l’oppidum fortement romanisé du Titelberg, ce sont ces dernières qui continuent de dominer largement, alors qu’elles sont exclusives à Epiais-Rhus ou Boviolles. Sur la carte suivante (fig. 156), qui illustre les contextes médio-augustéens, contemporains des débuts de la conquête de la Germanie, la masse des trouvailles s’est déportée complétement à l’Est de la Gaule, sur le Rhin, avec le camp d’Oberaden, celui de Rödgen ou celui de Dangstetten. On y observe la quasi exclusivité des émissions proprement romaines, mais avec des espèces gauloises résiduelles, alors que celles-ci restent très dominantes sur les sites de l’intérieur de la Gaule, y compris dans l’oppidum très romanisé de Bibracte, au sein des niveaux précoces de Paris, à Reims. À Lyon, elles en représentent encore le quart. Enfin la troisième carte (fig.157), sur laquelle figurent les contextes augustéens postérieurs au changement d’ère, la pénétration des monnaies romaines est un peu plus importante dans la Gaule intérieure, mais sans jamais être prépondérante, sauf à Lausanne et naturellement à Lyon. À Besançon, elle ne représente encore qu’un tiers du total, un quart à Reims, moins de la moitié à Arras. Vers l’Ouest, elle diminue encore. Elle est nulle à Alésia ou Paris, très faible à Bibracte.

    Fig. 155. – Monnaies gauloises et romaines dans les contextes augustéens précoces étudiés par St. Martin.

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    Martin, 2015, fig. 55.

    Fig. 156. – Monnaies gauloises et romaines dans les contextes augustéens moyens étudiés par St. Martin.

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    Martin, 2015, fig. 56.

    Fig. 157. – Monnaies gauloises et romaines dans les contextes augustéens tardifs étudiés par St. Martin.

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    Martin, 2015, fig. 57.

    70Un tel phénomène est révélateur d’une diffusion des nouvelles espèces monétaires de la périphérie vers le centre, c’est-à-dire depuis le milieu militaire, régulièrement approvisionné, avec une progression de proche en proche au sein du milieu civil. C’est donc très tardivement dans le règne d’Auguste que le numéraire romain pénètre – et encore timidement – dans les centres urbains ; ceux-ci ne semblent pas avoir été directement alimentés par les autorités émettrices, mais indirectement, par le biais de la circulation monétaire. Il n’y avait apparemment pas de politique visant à un développement économique concerté via une alimentation massive d’espèces nouvelles. Par ailleurs, on constate que les monnaies indigènes ont continué de circuler, avec même de nouvelles frappes durant toute la période augustéenne précoce, voire au-delà95. Il s’agit, pour l’essentiel, de bronzes frappés ou, pour le Centre-Est, de potins. Aucune accélération nette, ni dans l’approvisionnement des espèces romaines, ni dans l’interruption de la circulation des espèces indigènes n’est perceptible. Il faudra attendre le règne de Tibère pour voir celles-ci disparaître96. Pour le dire autrement, ce n’est pas l’apparition de la monnaie romaine qui a, sous Auguste, servi de stimulus économique puissant, en Gaule intérieure tout au moins. Pour la Germanie, c’est évidemment une autre histoire et les contrastes géographiques apparaissent ici très forts.

    Les amphores et la céramique d’importation

    71Il n’existe pas, à l’heure actuelle, d’ouvrage de synthèse faisant le point sur l’importation des produits méditerranéens en Gaule, à l’époque augustéenne, mais une multitude d’études locales ou partielles, ou encore d’analyses plus globales dont il faut essayer d’extraire l’information qui nous concerne ici spécifiquement. La tâche n’en est pas toujours simplifiée. Commençons toutefois par deux cartes et une remarque.

    72Les fig. 158 et 159, extraites du corpus des timbres sur sigillée italique, montrent la diffusion relativement faible de cette sigillée en Gaule du Nord avant le début de la conquête romaine en Germanie, à l’exception du Midi et de quelques sites privilégiés comme Lyon97. Tout change à partir des années 20-15 av. J.-C. : on voit alors la masse des importations qui touchent le pays, mais de manière très inégale : c’est l’axe Rhône-Saône-Rhin qui domine, une fois de plus, avec un marché provoqué par la présence militaire. En Gaule intérieure, en revanche, la présence des céramiques italiennes concerne principalement les villes, presque jamais les sites ruraux, avec des vides significatifs dans le quart Nord-Ouest ou l’extrême Nord du pays. On manque toutefois d’enquêtes synthétiques permettant, à l’échelle régionale au moins, d’évaluer l’importance de ce commerce, à la fois en volume et en valeur. On observera par exemple que, à l’occasion d’un colloque international tenu à Louvain et consacré à la diffusion de la sigillée italique dans le monde méditerranéen, seules la Belgique moderne, la Suisse et Lyon avaient fait l’objet d’enquêtes, sans que l’on puisse disposer de comptages précis qui permettraient d’évaluer autre chose que la présence ou l’absence de ces produits céramiques98.

    Fig. 158. – Marques de potiers sur sigillée italique durant la période A (40-20/15 av. J.-C.).

    Image

    Oxé et al., 2000, fig. 5.

    Fig. 159. – Marques de potiers sur sigillée italique durant la période B (20-15 av. J.-C.-15 apr. J.-C.).

    Image

    Oxé et al., fig. 6.

    73Venons-en aux produits phares du commerce méditerranéen, le vin et l’huile : on a observé depuis longtemps, et sur l’ensemble des sites fouillés, la baisse significative des importations de vin italien à cette époque99. Dans le dernier tiers du ier siècle av. J.-C., de nouveaux conteneurs (Dressel 2/4) ont remplacé progressivement les Dressel 1, sans doute en raison de leur meilleur rapport poids/volume, mais ces amphores semblent avoir été incomparablement moins nombreuses que les Dressel 1 à la fin de l’âge du Fer. Les vins italiens ont été alors supplantés par les productions d’autres régions, notamment celles de Tarraconnaise, mais de manière très différenciée selon les régions. Une enquête récente montre par exemple que les vins Catalans alimentaient essentiellement l’Ouest de la Gaule, par la voie Narbonne-Garonne, tandis que leur présence est restée anecdotique dans le Nord, l’Est et le Centre du pays100. On voit aussi arriver très tôt, dans le Nord de la Gaule, des vins marseillais dans des amphores à fond plat (Gauloises 2), déjà bien documentées sur l’axe Rhône-Rhin. Elles sont présentes en effet sur plusieurs sites précoces, notamment dès 30-15 av. J.-C. à Actiparc, près d’Arras101.

    74Un peu partout, ce sont les amphores vinaires qui continuent de dominer statistiquement par rapport aux amphores à huile, à defrutum ou à conserves de poisson102, sauf sur les sites militaires de Germanie. Une enquête récente consacrée au camp d’Anreppen, daté de l’horizon de Haltern, illustre très bien ce phénomène constaté depuis longtemps103. On observe sur le tableau 11 la prépondérance des conteneurs à huile de Bétique, la faiblesse des importations de vins catalans et italiens, mais l’importance des vins prisés et chers de l’Égée, l’émergence du vignoble de Narbonnaise (10 % du total), avec, en l’espèce, une augmentation significative par rapport aux sites militaires de Germanie datés du début de la conquête (Dangstetten, Oberaden ou Rödgen). Comme il est assez peu probable que les soldats de ce temps buvaient moins que leurs Anciens, on doit probablement restituer un trafic de vin courant sous forme d’autres conteneurs, ce qui est désormais bien démontré pour les périodes suivantes. S’agissant de l’époque augustéenne, on en ignore encore le circuit économique précis. La présence d’une dizaine de tonneaux à Oberaden, dans un contexte bien daté de la conquête de Drusus, conforte l’hypothèse de livraisons méditerranéennes venues du Midi et reconditionnées à Lyon104. Mais ce vin venait-il déjà de Narbonnaise ? Ou provenait-il de Catalogne, puisqu’on a retrouvé des épaves chargées de dolia originaires de cette région ?

    Tableau 11. – Les amphores trouvées à Anreppen.

    Origine

    NMI 284

    %

    Formes

    Hispanie

    198

    69,70

    Bétique

    190

    66,90

    Val. Guadalquivir

    129

    45,40

    Haltern 71

    105

    Haltern 70

    24

    B. Cadix

    61

    21,50

    Dr. 7-11

    54

    Dr. 8

    4

    Dr. 9

    3

    Tarracon.

    8

    2,80

    Laetania

    2

    0,70

    Pasc. 1/Dr. 2-4

    2

    A. Tarr-Èbre

    6

    2,10

    Oberaden 74

    6

    Égée

    46

    16,20

    Cos-Cilicie

    22

    7,80

    Cos

    22

    Rhodes

    22

    7,80

    Rhodes

    22

    Cnide

    1

    0,30

    Cnide

    1

    Chios

    1

    0,30

    Chios

    1

    Gaule

    27

    9,50

    Marseille

    3

    1

    Fond plat ind.

    2

    Dr. 7-11

    1

    Val. Rhône

    20

    7

    Lyon 3A

    15

    Dr. 2-4

    5

    Narbonnaise

    4

    1,40

    Ind.

    1

    Dr. 2-4

    1

    G. 8/Ob. 74

    2

    Italie

    11

    3,90

    Étrurie

    7

    2,50

    Dr. 1B

    7

    Campanie

    3

    1,10

    Dr. 2-4

    3

    Adriatique

    1

    0,30

    Dr 6A

    1

    Afrique proc.

    2

    0,60

    Maña C2/T7

    2

    González-Cesteros et Tremmel, 2015.

    75Une autre enquête sur les amphores du Nord-Ouest montre l’arrivée d’huile de Bétique dès les années 20-15 av. J.-C., aussi bien en milieu rural qu’urbain. Ceci dénote, en Gaule du Nord, une vraie mutation culturelle, quoique limitée d’un point de vue quantitatif. On doit y ajouter, dès le changement d’ère, la présence encore modeste d’amphores à olives et/ou à defrutum originaires du Sud de l’Espagne, essentiellement en milieu urbain, ou de conserves de poissons qu’on rencontrait dès le milieu du ier siècle av. J.-C. dans la tombe de Clemency, ou peu après dans les premiers niveaux de Lyon. Elles apparaissent dès les années 30 av. J.-C. dans différents types de contextes105.

    76Essayons, pour compléter ce tableau assez général, d’analyser quelques cas particuliers ou régionaux dont les niveaux augustéens, bien documentés, ont fait l’objet d’études récentes ; nous commencerons par un cas bien spécifique, celui de la colonie romaine de Lyon, qui peut servir d’étalon pour nos comparaisons.

    77Les données issues du « sanctuaire de Cybèle » sont désormais bien connues106. On en extrait ici deux diagrammes significatifs, l’un sur la sigillée, l’autre sur la provenance des amphores (fig. 160). À l’horizon 1A, immédiatement postérieur à la fondation de 43 av. J.-C., la sigillée italique représente (en NMI)107 2,60 % du total général de vases retrouvés (= 231), une proportion qui passe à 8,17 % dans la décennie suivante (horizon IB, avant 30) sur un total de 551 vases. À l’horizon 2 (avant 15 av. J.-C.), cette proportion redescend à 4,88 en NMI mais dans un contexte très fort d’augmentation globale des trouvailles (= 2132). Durant l’horizon 3A (15 av.-10 apr.), le pourcentage des sigillées passe à 8,27 %, sur un total de 3168 vases (toujours comptés en NMI). En 3B (5-10 apr. J.-C.), les trouvailles se montent à 4997 vases, avec une proportion de 18,71 % de sigillée italique. Celle-ci, d’abord discrète durant l’horizon 1, augmente donc graduellement, jusqu’à doubler en proportion à la fin de la période augustéenne. Le second diagramme, qui illustre l’origine des amphores, montre, durant le même laps de temps, la progressive disparition des produits italiens, l’augmentation des produits hispaniques, l’émergence des vins du Midi, la disproportion des vins grecs, forts chers, ce qui traduit l’existence d’une clientèle aisée. Toutefois, la question est ici de savoir si l’impossibilité de prendre en compte dans les comptages la vente éventuelle de vins ordinaires en vrac ne conduit pas à surévaluer par contrecoup la proportion des vins fins.

    Fig. 160. – Les contextes précoces des fouilles du « sanctuaire de Cybèle ».

    Image

    En haut : répartition de la sigillée par horizon. En bas : répartition des amphores par horizon. Desbat, 2012.

    78Cette statistique de la sigillée italique provenant du sanctuaire de Cybèle, sommairement résumée ici, est corroborée, avec quelques nuances, par les deux premiers horizons de la rue des Farges toute proche (Farges 1 = 20-1 av. J.-C ; Farges 2 = 1-20 apr. J.-C.), dans lesquels on retrouve une proportion importante de ce matériel108. Il est très intéressant de constater que, dans la capitale des Santons, les niveaux précoces d’occupation révèlent aussi la richesse du matériel céramique italien109. Il y a donc des capitales de cité qui, sans pouvoir rivaliser avec la colonie de Lyon, révèlent un facies précocement romanisé.

    79Mais ce n’est pas le cas partout. À Roanne, par exemple, les fosses de l’horizon 6, dans la deuxième décennie av. n. è., ne comprennent encore qu’un nombre restreint de vases italiques, très loin des proportions lyonnaises110. Pour les Rèmes, les Tricasses et les Lingons, on observe une diffusion très lente de cette sigillée111. La proportion de ce type de céramique au sein de la vaisselle fine ne croit très lentement que dans le courant du ier siècle apr. J.-C., mais on retiendra surtout l’absence quasi complète des produits originaires d’Italie, sauf dans les contextes rémois où leur présence reste numériquement modeste112. L’enquête menée sur les amphores précoces de Durocortorum montre, comme ailleurs, un déclin assez rapide des importations de vin italien entre l’horizon I (80-70 à 30-25 av. J.-C.) et l’horizon III (5/1 av. J.-C.-15/20 apr. J.-C.), avec l’arrivée croissante des produits espagnols, à partir des années 30-25 av. J.-C. Mais, au sein de ce dernier ensemble, la part des vins catalans est réduite, celle des vins lusitaniens anecdotique113. Dans l’Ouest de la Gaule Belgique, l’apparition de la sigillée italique ne semble guère antérieure à la deuxième décennie av. n. è., soit la phase de la conquête de la Germanie, à l’exception notable d’Amiens114. Là aussi ce sont surtout les chefs-lieux de cité qui sont touchés, dans des proportions modestes, ou les agglomérations secondaires.

    80Cette enquête sommaire et très « impressionniste », effectuée au fil de quelques-unes des études disponibles, mériterait assurément d’être développée dans le cadre d’une analyse beaucoup plus large utilisant des protocoles de comptage identiques à ceux qui ont été mis en place à Lyon. Il est en effet difficile de comparer entre eux des contextes archéologiques éloignés les uns des autres sans disposer de critères chiffrés, communs à tous, et il est clair que quelques tessons de vaisselle italique ou d’amphores espagnoles découverts sur tel ou tel site du Nord de la Gaule ne suffisent pas à mesurer la réalité des nouveaux courants commerciaux de l’époque augustéenne. On a besoin d’évaluer des flux. La présence de sigillée ne suffit pas non plus à caractériser un niveau élevé de « romanisation », contrairement à ce que l’on a très longtemps affirmé.

    81Quelques tendances générales semblent néanmoins se dégager. À l’instar de ce que montre l’enquête sur les monnaies, notre appréciation globale du développement économique de cette époque est souvent biaisée par le poids de la zone militaire rhénane, à laquelle on doit ajouter celui des colonies de Lyon et, dans une moindre mesure, d’Augst. C’est ce marché militaire qui réoriente les grands courants commerciaux à l’échelle non seulement de toute la Gaule mais aussi du bassin méditerranéen occidental. Dans l’intérieur du pays, la situation apparaît beaucoup plus hétérogène et diversifiée d’une région à l’autre, d’un type de site à l’autre. Ce sont principalement les nouvelles capitales qui révèlent les importations italiennes ou espagnoles mais dans des proportions infiniment moindres que les camps de Germanie ou la colonie romaine de Lyon. Elles jouent, de ce point de vue, le même rôle que les oppida de la fin de l’âge du Fer auxquels elles succèdent ; parfois même elles prolongent des circuits commerciaux établis depuis longtemps, surtout quand il y a continuité d’occupation. Les campagnes sont infiniment moins touchées. L’Île-de-France, par exemple, s’ouvre tôt au commerce méditerranéen, mais les céramiques importées ou d’imitation n’apparaissent que sur un petit nombre de sites habités par une population privilégiée et l’apparition, ici ou là, de ces produits ne doit pas conduire à sous-estimer les différences locales et régionales115.

    82Pouvons-nous, dans ces conditions, avec les outils très imparfaits dont nous disposons, conclure à un développement économique significatif par rapport à la fin de l’âge du Fer ? Considéré sur le long terme et à partir du témoignage des amphores, le flux d’importations vinaires en Gaule du Nord apparaît nettement moindre à l’époque augustéenne qu’à la fin du iie siècle av. J.-C. Encore convient-il d’observer que, pendant la phase LTD1, la présence de ces conteneurs était attestée sur environ un site rural sur deux en Picardie, ce qui est loin d’être le cas au tournant de l’ère. Doit-on, à l’inverse, considérer qu’il y a eu régression ? Ce serait négliger l’importation possible de vins en vrac, au moins dans les villes. Notre plus grande difficulté est donc de quantifier ces flux.

    83Si l’on considère maintenant le développement des campagnes, il ne paraît pas avoir connu de changement majeur par rapport à la situation qui prévalait à la fin de l’âge du Fer, on l’a montré. Nous n’observons pas en effet de mutation significative et rapide de la forme, de la taille, de la nature des établissements agricoles à cette époque, alors que les villae sont toujours absentes du paysage rural. À bien des égards, la période augustéenne, moment incontestable de la réorganisation administrative de la Gaule et de la transformation des modes de vie, au moins en milieu urbain, reste difficile à caractériser de manière claire sur le plan du développement économique.

    Notes de bas de page

    1 Dion Cassius, LIII, 22, 5 (traduction personnelle).

    2 Tite-Live, Periocha CXXXIV : Cum ille… conventum Narbone egit, census a tribus Gallis, quas Caesar pater vicerat, actus.

    3 Fabia, 1929, l.75-81.

    4 Dion Cassius, LIV, 32 (traduction personnelle).

    5 Dion Cassius, LIV, 25 (traduction personnelle).

    6 Voir infra.

    7 Bost et al., 2005.

    8 Le Teuff, 2012, p. 438-439 ; France, 2017, p. 493-494 ; p. 504-510.

    9 Fabia, 1929, l. 71.

    10 Thomasson, 1970-1990.

    11 Ritterling, 1932.

    12 L’organisation fiscale était distincte de l’organisation administrativo-politique proprement dite puisque les sources mentionnent deux grandes circonscriptions confiées à des procurateurs chevaliers, l’un en charge de la Lyonnaise et de l’Aquitaine, l’autre de la Belgique et des deux Germanies, alors que les Trois Gaules relevaient de légats d’Auguste issus de l’ordre sénatorial. La date et les modalités de la mise en place de l’organisation fiscale ont été récemment réexaminées en détail par Eck, 2020.

    13 Goudineau, 1990.

    14 Supra p. 48-49.

    15 Strabon, IV, 3, 1. On suivra ici la traduction qu’en a proposée P. Thollard, tout en l’amendant très légèrement (Thollard, 2009, p. 41 ; 2003). Cf. Wightman, 1977.

    16 Comme l’a fait avant nous Raepsaet-Charlier, 1998, p. 154 ; contra Thollard, 2003.

    17 Hypothèse formulée par Hiernard, 2003.

    18 Pline, HN IV, 105 : Aremorica antea dicta.

    19 Eck, 2008.

    20 Dion Cassius LVI,18 (traduction personnelle).

    21 Supra, p. 154-155.

    22 Infra, p. 305.

    23 Rothenhöfer, 2005 ; Eck, 2020.

    24 Christol, 1994.

    25 Pflaum, 1960-1961, no 45 ; 1056.

    26 Le point des connaissances a été fait avec beaucoup d’acribie par Raepsaet et Raepsaet-Charlier, 2013 et Raepsaet-Charlier, 1996, qui ont de surcroît produit une nouvelle carte très à jour des différentes entités administratives (cf. notre fig. 147). Il n’existe malheureusement pas d’équivalent pour les autres provinces de Gaule.

    27 Duval, 1989b.

    28 Mais il se peut que le nom ait été en usage avant cette date.

    29 Strabon IV, 2, 2.

    30 C’est en effet au début du règne de Tibère qu’écrit Strabon.

    31 Chastagnol, 1995, p. 182.

    32 Nous aurons l’occasion de revenir sur cette épineuse question dans le chapitre suivant.

    33 Vipard, 2009.

    34 On en trouvera une étude solide et détaillée dans Maurin, 1978, p. 199-181.

    35 On supposera ici le lecteur bien informé des principes généraux qui régissent l’administration de l’Empire pour laquelle il pourra, au demeurant, se référer à Jacques et Scheid, 1990. Pour ce qui concerne spécifiquement les provinces des Gaules et des Germanies, le chapitre de Raepsaet-Charlier, 1998, dans le tome II de cette même collection reste une référence indispensable. S’agissant de l’organisation municipale proprement dite, on renverra à la somme très détaillée que Dondin-Payre et Raepsaet-Charlier, 1999, ont consacrée à ce sujet. Nous n’aborderons donc ici brièvement ces questions que par souci de complétude du propos général de ce livre, en insistant sur les points qui nous paraissent essentiels.

    36 Il s’agit, en l’occurrence, de sénateurs représentant l’empereur en tant que légats (legatus Augusti pro praetore) ; voir Barrandon et Hurlet, 2009 ; Bérenger, 2014.

    37 France, 2017, p. 510.

    38 Dondin-Payre, 1999, p. 139-141.

    39 Wolff, 1976 ; 1977.

    40 Sans remonter très loin dans une bibliographie ancienne et foisonnante, on signalera les trois études récentes de Dondin-Payre, 1999 ; Lamoine, 2009 et Arbabe, 2017, dont les approches respectives sont différentes et les nuances importantes, d’un ouvrage à l’autre.

    41 Dondin-Payre, 1999, p. 150 ; Lamoine, 2009, p. 107.

    42 Chastagnol, 1995, p. 186-188.

    43 CIL XIII, 5093 ; 5094 ; 11478 ; AE 1967, 326 ; Frei-Stolba et al., 1999, notamment p. 76-77.

    44 Arbabe, 2017, p. 324.

    45 Van Andringa, 1999, p. 425-426 ; 2017, p. 228-229.

    46 Van Andringa, 1999, p. 442-446 ; p. 429.

    47 Van Andringa, 2017, p. 229.

    48 Chastagnol, 1995, p. 187-188.

    49 Voir en particulier le tableau synthétique de la p. 166-167.

    50 Mauger, 2016.

    51 Van Andringa, 2017, p. 47-50.

    52 Gros, 1991.

    53 Vanderhoeven, 2001.

    54 Raepsaet-Charlier, 1994 ; Raepsaet et Raepsaet-Charlier, 2013.

    55 Strabon IV, 6, 11 ; trad. personnelle.

    56 Grâce à l’étude numismatique de Kemmers, 2006.

    57 Kasprzyk et Nouvel, 2011.

    58 Ibidem.

    59 Jacques, 1977.

    60 Un impôt fixe (Cicéron, Verr. 3, 12) ; France, 2017, p. 381-391.

    61 L’expression est de Nicolet, 1988.

    62 Tableau supra, p. 287-289.

    63 France, 2017, p. 414.

    64 Frontin, De la qualité des terres 1, 1-3 (trad. Chouquer et Favory, 2001, p. 104).

    65 France, 2017, p. 415 ; p. 495-496.

    66 France, 2017, p. 420-423.

    67 Favory et Fruchart, 2018.

    68 Hygin, éd. Lachmann 205, 10-15 = éd. Thulin 168 = éd. CUF 20.4.

    69 Fishwick, 2002, p. 14-15.

    70 Turcan, 1982.

    71 Van Andringa, 2017, p. 39.

    72 Maurin, 1978, p. 200.

    73 Kemmers, 2006.

    74 Ut arcerent, non ut custodirentur (Tacite, Germania 28, 5). Cf. Eck, 2004, p. 46-54.

    75 Roymans, 2001 ; 2004, p. 55.

    76 Van Enckevort et Heirbaut, 2015.

    77 Roymans, 2004, p. 212.

    78 Reddé et al., 2006.

    79 Reddé, 2015.

    80 C’est-à-dire qu’ils s’étaient rendus sans conditions.

    81 Heinrichs, 2001.

    82 Schäffer, 2015.

    83 Alföldy, 1968 ; Wolters, 1990.

    84 Speidel, 1984.

    85 Reddé, 2014b.

    86 Santrot et al., 2008.

    87 CSIR Deutschland II, 10, no 47.

    88 Ils sont signalés par un astérisque dans notre tableau des civitates issu de la liste plinienne (supra, p. 287).

    89 Wolters, 1990. On doit remarquer toutefois une situation différente dans le Midi, chez les Voconces, qui ont fourni au contraire de nombreuses unités, preuve que c’est bien le fœdus particulier de chaque peuple qui fixait ces obligations (Goudineau, 1979).

    90 Les Lingons ont été volontairement omis dans ce tableau car leur recrutement massif dans les troupes auxiliaires semble essentiellement postérieur aux événements de 68-70.

    91 Feugère, 1996.

    92 Beck et Chew, 1991.

    93 On pourra s’en faire une bonne idée à travers la discussion engagée par W. Scheidel et A. Wilson dans la livraison 2009 du Journal of Roman Archaeology (Scheidel, 2009 ; Wilson, 2009 ; 2014) ou grâce aux attendus du projet OXREP développé à Oxford (Bowman et Wilson, 2009).

    94 La question a été traitée par St. Martin, auquel nous emprunterons une fois encore ses données. Celles-ci ne concernent que le Nord-Est de la Gaule mais on peut probablement étendre leurs principales conclusions à l’ensemble de la Comata (Martin, 2015). On doit tout d’abord noter que, si les données monétaires recueillies pour l’époque augustéenne sont très abondantes, elles sont aussi très inégalement réparties dans l’espace, en nombre de pièces par contexte, car le centre de gravité de la Gaule se déplace vers le Rhin, c’est-à-dire vers la zone militarisée, à partir de 12 av. J.-C., alors que, dans l’intérieur du pays, les trouvailles sont beaucoup plus rares et nettement moins bien stratifiées.

    95 Martin, 2015, p. 190, fig. 59.

    96 Martin, 2015, p. 253, fig. 81.

    97 Oxé et al., 2000.

    98 Poblome et al., 2004.

    99 Tchernia, 1986, p. 126-135.

    100 Laubenheimer, 2015.

    101 Laubenheimer et Marlière, 2010, p. 39.

    102 Martin-Kilcher, 1994, p. 556-557.

    103 Gonzalez Cesteros et Tremmel, 2015.

    104 Desbat et Martin-Kilcher, 1989, p. 354.

    105 Lemaître et al., 1998 ; Laubenheimer et Marlière, 2010, p. 50-68.

    106 Desbat, 2012.

    107 NMI = nombre minimum d’individus.

    108 Tripier, 2011.

    109 Vernou et Hillairet, 2016.

    110 Lavendhomme et Guichard, 1997, p. 130.

    111 Ahü Delor et Mouton-Venault, 2011, p. 853.

    112 Balmelle et Neiss, 2003, p. 55 ; Rollet et al., 2011 ; Deru, 2014, p. 173.

    113 Lemaître, 2014 ; 2018.

    114 Chaidron et Dubois, 2013.

    115 Séguier, 2013, p. 300.

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    1 Dion Cassius, LIII, 22, 5 (traduction personnelle).

    2 Tite-Live, Periocha CXXXIV : Cum ille… conventum Narbone egit, census a tribus Gallis, quas Caesar pater vicerat, actus.

    3 Fabia, 1929, l.75-81.

    4 Dion Cassius, LIV, 32 (traduction personnelle).

    5 Dion Cassius, LIV, 25 (traduction personnelle).

    6 Voir infra.

    7 Bost et al., 2005.

    8 Le Teuff, 2012, p. 438-439 ; France, 2017, p. 493-494 ; p. 504-510.

    9 Fabia, 1929, l. 71.

    10 Thomasson, 1970-1990.

    11 Ritterling, 1932.

    12 L’organisation fiscale était distincte de l’organisation administrativo-politique proprement dite puisque les sources mentionnent deux grandes circonscriptions confiées à des procurateurs chevaliers, l’un en charge de la Lyonnaise et de l’Aquitaine, l’autre de la Belgique et des deux Germanies, alors que les Trois Gaules relevaient de légats d’Auguste issus de l’ordre sénatorial. La date et les modalités de la mise en place de l’organisation fiscale ont été récemment réexaminées en détail par Eck, 2020.

    13 Goudineau, 1990.

    14 Supra p. 48-49.

    15 Strabon, IV, 3, 1. On suivra ici la traduction qu’en a proposée P. Thollard, tout en l’amendant très légèrement (Thollard, 2009, p. 41 ; 2003). Cf. Wightman, 1977.

    16 Comme l’a fait avant nous Raepsaet-Charlier, 1998, p. 154 ; contra Thollard, 2003.

    17 Hypothèse formulée par Hiernard, 2003.

    18 Pline, HN IV, 105 : Aremorica antea dicta.

    19 Eck, 2008.

    20 Dion Cassius LVI,18 (traduction personnelle).

    21 Supra, p. 154-155.

    22 Infra, p. 305.

    23 Rothenhöfer, 2005 ; Eck, 2020.

    24 Christol, 1994.

    25 Pflaum, 1960-1961, no 45 ; 1056.

    26 Le point des connaissances a été fait avec beaucoup d’acribie par Raepsaet et Raepsaet-Charlier, 2013 et Raepsaet-Charlier, 1996, qui ont de surcroît produit une nouvelle carte très à jour des différentes entités administratives (cf. notre fig. 147). Il n’existe malheureusement pas d’équivalent pour les autres provinces de Gaule.

    27 Duval, 1989b.

    28 Mais il se peut que le nom ait été en usage avant cette date.

    29 Strabon IV, 2, 2.

    30 C’est en effet au début du règne de Tibère qu’écrit Strabon.

    31 Chastagnol, 1995, p. 182.

    32 Nous aurons l’occasion de revenir sur cette épineuse question dans le chapitre suivant.

    33 Vipard, 2009.

    34 On en trouvera une étude solide et détaillée dans Maurin, 1978, p. 199-181.

    35 On supposera ici le lecteur bien informé des principes généraux qui régissent l’administration de l’Empire pour laquelle il pourra, au demeurant, se référer à Jacques et Scheid, 1990. Pour ce qui concerne spécifiquement les provinces des Gaules et des Germanies, le chapitre de Raepsaet-Charlier, 1998, dans le tome II de cette même collection reste une référence indispensable. S’agissant de l’organisation municipale proprement dite, on renverra à la somme très détaillée que Dondin-Payre et Raepsaet-Charlier, 1999, ont consacrée à ce sujet. Nous n’aborderons donc ici brièvement ces questions que par souci de complétude du propos général de ce livre, en insistant sur les points qui nous paraissent essentiels.

    36 Il s’agit, en l’occurrence, de sénateurs représentant l’empereur en tant que légats (legatus Augusti pro praetore) ; voir Barrandon et Hurlet, 2009 ; Bérenger, 2014.

    37 France, 2017, p. 510.

    38 Dondin-Payre, 1999, p. 139-141.

    39 Wolff, 1976 ; 1977.

    40 Sans remonter très loin dans une bibliographie ancienne et foisonnante, on signalera les trois études récentes de Dondin-Payre, 1999 ; Lamoine, 2009 et Arbabe, 2017, dont les approches respectives sont différentes et les nuances importantes, d’un ouvrage à l’autre.

    41 Dondin-Payre, 1999, p. 150 ; Lamoine, 2009, p. 107.

    42 Chastagnol, 1995, p. 186-188.

    43 CIL XIII, 5093 ; 5094 ; 11478 ; AE 1967, 326 ; Frei-Stolba et al., 1999, notamment p. 76-77.

    44 Arbabe, 2017, p. 324.

    45 Van Andringa, 1999, p. 425-426 ; 2017, p. 228-229.

    46 Van Andringa, 1999, p. 442-446 ; p. 429.

    47 Van Andringa, 2017, p. 229.

    48 Chastagnol, 1995, p. 187-188.

    49 Voir en particulier le tableau synthétique de la p. 166-167.

    50 Mauger, 2016.

    51 Van Andringa, 2017, p. 47-50.

    52 Gros, 1991.

    53 Vanderhoeven, 2001.

    54 Raepsaet-Charlier, 1994 ; Raepsaet et Raepsaet-Charlier, 2013.

    55 Strabon IV, 6, 11 ; trad. personnelle.

    56 Grâce à l’étude numismatique de Kemmers, 2006.

    57 Kasprzyk et Nouvel, 2011.

    58 Ibidem.

    59 Jacques, 1977.

    60 Un impôt fixe (Cicéron, Verr. 3, 12) ; France, 2017, p. 381-391.

    61 L’expression est de Nicolet, 1988.

    62 Tableau supra, p. 287-289.

    63 France, 2017, p. 414.

    64 Frontin, De la qualité des terres 1, 1-3 (trad. Chouquer et Favory, 2001, p. 104).

    65 France, 2017, p. 415 ; p. 495-496.

    66 France, 2017, p. 420-423.

    67 Favory et Fruchart, 2018.

    68 Hygin, éd. Lachmann 205, 10-15 = éd. Thulin 168 = éd. CUF 20.4.

    69 Fishwick, 2002, p. 14-15.

    70 Turcan, 1982.

    71 Van Andringa, 2017, p. 39.

    72 Maurin, 1978, p. 200.

    73 Kemmers, 2006.

    74 Ut arcerent, non ut custodirentur (Tacite, Germania 28, 5). Cf. Eck, 2004, p. 46-54.

    75 Roymans, 2001 ; 2004, p. 55.

    76 Van Enckevort et Heirbaut, 2015.

    77 Roymans, 2004, p. 212.

    78 Reddé et al., 2006.

    79 Reddé, 2015.

    80 C’est-à-dire qu’ils s’étaient rendus sans conditions.

    81 Heinrichs, 2001.

    82 Schäffer, 2015.

    83 Alföldy, 1968 ; Wolters, 1990.

    84 Speidel, 1984.

    85 Reddé, 2014b.

    86 Santrot et al., 2008.

    87 CSIR Deutschland II, 10, no 47.

    88 Ils sont signalés par un astérisque dans notre tableau des civitates issu de la liste plinienne (supra, p. 287).

    89 Wolters, 1990. On doit remarquer toutefois une situation différente dans le Midi, chez les Voconces, qui ont fourni au contraire de nombreuses unités, preuve que c’est bien le fœdus particulier de chaque peuple qui fixait ces obligations (Goudineau, 1979).

    90 Les Lingons ont été volontairement omis dans ce tableau car leur recrutement massif dans les troupes auxiliaires semble essentiellement postérieur aux événements de 68-70.

    91 Feugère, 1996.

    92 Beck et Chew, 1991.

    93 On pourra s’en faire une bonne idée à travers la discussion engagée par W. Scheidel et A. Wilson dans la livraison 2009 du Journal of Roman Archaeology (Scheidel, 2009 ; Wilson, 2009 ; 2014) ou grâce aux attendus du projet OXREP développé à Oxford (Bowman et Wilson, 2009).

    94 La question a été traitée par St. Martin, auquel nous emprunterons une fois encore ses données. Celles-ci ne concernent que le Nord-Est de la Gaule mais on peut probablement étendre leurs principales conclusions à l’ensemble de la Comata (Martin, 2015). On doit tout d’abord noter que, si les données monétaires recueillies pour l’époque augustéenne sont très abondantes, elles sont aussi très inégalement réparties dans l’espace, en nombre de pièces par contexte, car le centre de gravité de la Gaule se déplace vers le Rhin, c’est-à-dire vers la zone militarisée, à partir de 12 av. J.-C., alors que, dans l’intérieur du pays, les trouvailles sont beaucoup plus rares et nettement moins bien stratifiées.

    95 Martin, 2015, p. 190, fig. 59.

    96 Martin, 2015, p. 253, fig. 81.

    97 Oxé et al., 2000.

    98 Poblome et al., 2004.

    99 Tchernia, 1986, p. 126-135.

    100 Laubenheimer, 2015.

    101 Laubenheimer et Marlière, 2010, p. 39.

    102 Martin-Kilcher, 1994, p. 556-557.

    103 Gonzalez Cesteros et Tremmel, 2015.

    104 Desbat et Martin-Kilcher, 1989, p. 354.

    105 Lemaître et al., 1998 ; Laubenheimer et Marlière, 2010, p. 50-68.

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