Chapitre III. Le phénomène urbain
p. 121-196
Texte intégral
1« Y a-t-il une ville protohistorique » ? Telle est la question que se posait en 1980 Chr. Goudineau dans l’Histoire de la France urbaine et à laquelle, après quelques hésitations rhétoriques, il finissait par répondre de manière très réservée, pour la France du Nord au moins, avant de passer aux vraies villes, celles de la paix romaine1.
2Le temps a passé et la recherche a fait d’énormes progrès en trente ans, notamment sur l’urbanisation de la fin de l’âge du Fer. Il n’y a pas un seul protohistorien qui nierait aujourd’hui l’existence de villes antérieures à la conquête en Gaule du Nord et dans le monde celtique en général. Mais ces découvertes, souvent très récentes, déplacent le problème en nous obligeant à nous interroger sur « le phénomène urbain », une appellation plus neutre et plus large que celle de « ville ». Celle-ci est en effet toujours très marquée par des définitions a priori, que ce soit celles du monde classique, fondées sur des concepts politiques et culturels bien spécifiques, ou même celles des géographes actuels, qui, à l’inverse, ne répondent pas nécessairement aux réalités antiques. Mieux vaut, dans ces conditions, ne pas essayer de définir d’emblée des notions abstraites pour décrire une réalité que l’archéologie nous montre complexe, diverse et mouvante, en perpétuelle évolution2. C’est d’abord celle-ci qu’il nous faut appréhender3.
Les premières agglomérations ouvertes
3Pendant très longtemps, les seules formes « urbaines » qu’on connaissait en Gaule du Nord ont été les oppida, au sens où les protohistoriens entendent ce terme, c’est-à-dire des sites fortifiés, le plus souvent situés sur une hauteur (mais avec des exceptions), disposant d’une superficie significative (qui varie d’un auteur à l’autre), et jouant le rôle de site central d’une communauté politique4. César, il est vrai, emploie à de nombreuses reprises, dans le Bellum Gallicum, le mot vicus qui, sous sa plume, désigne hiérarchiquement des formes d’habitat aggloméré inférieures aux oppida, et non remparées. Ces deux termes s’opposent traditionnellement, on le sait, dans le vocabulaire triomphal romain : seuls les oppida et les urbes apparaissent en effet dans les « Éloges » officiels des magistrats qui ont obtenu les honneurs du triomphe, mais jamais les vici5.
4L’existence matérielle d’agglomérations ouvertes de plaine n’a été reconnue qu’à la suite d’une série d’étapes très récentes de la recherche ; elle s’est trouvée dans un premier temps limitée à quatre cas : celui de Manching, en Bavière, qu’on classe le plus souvent comme oppidum parce que le site a reçu un rempart dans la dernière phase de son existence, vers 140-120 av. J.-C., alors qu’il s’agissait initialement d’une agglomération ouverte ; celui d’Aulnat-Gandaillat/La grande Borne, près de Clermont-Ferrand, qui a connu une urbanisation continue entre le début du iiie siècle et la fin du iie, avant d’être abandonné brutalement, probablement au profit de l’oppidum de Corent (dont le rempart n’est toutefois pas identifié) ; celui de Bâle-Usine à gaz, daté de La Tène D1, déplacé sur la colline de la cathédrale où a été mis en évidence un murus gallicus de La Tène D2a qui englobe une superficie très restreinte ; celui de Levroux, dans le Berry, où l’habitat ouvert des Arènes, créé dans le courant du iie siècle av. J.-C. a été abandonné dans le dernier quart de ce siècle puis transféré sur l’oppidum tout proche du « Château6 ». Ces premières agglomérations non fortifiées, parfois même qualifiées de « villages » comme à Levroux, dont la superficie s’étend pourtant sur une quinzaine d’hectares, ont généralement été considérées comme un phénomène antérieur à l’apparition des oppida, qu’on situe dans le dernier quart du iie siècle av. n. è., et liées au développement de l’artisanat, notamment celui des métaux. La mise en défense de l’habitat, accompagnée, sauf à Manching, d’un épisode de déplacement vers un site perché tout proche, a parfois donné lieu à un modèle d’évolution chronologique générale, qui aurait signé la fin des agglomérations ouvertes du second âge du Fer bien avant la conquête césarienne. Les enquêtes les plus récentes, menées désormais à l’échelle de toute la Gaule du Nord, montrent toutefois une situation beaucoup plus complexe7.
5La première remarque qu’on peut faire tient à l’ubiquité du phénomène des agglomérations ouvertes, au moins dans toutes les régions qui ont fait l’objet de recherches publiées. Cela exclut il est vrai la Belgique actuelle, le Nord et la Picardie, la Normandie, mais englobe tout l’Est et le Centre-Est, l’Île-de-France, la Bretagne, le Centre-Ouest, l’Auvergne, l’Aquitaine, voire la région de Toulouse. Il y a donc fort à parier que ce phénomène, bien attesté aussi dans tout le domaine celtique central et les régions danubiennes, a pu toucher assez largement l’ensemble de la Gaule, même si l’état de nos connaissances y est encore très inégal8.
6La seconde remarque est qu’il est difficile d’apprécier l’organisation spatiale de ces agglomérations, à supposer qu’elle réponde à des règles communes, ce qui n’est pas certain. Les superficies fouillées restent généralement faibles, livrant le plus souvent des vestiges fossoyés qui révèlent des activités économiques diverses dont l’extension et l’organisation ne peuvent encore être clairement identifiées ; en outre, les conditions de conservation de ces sites sont souvent médiocres car fortement perturbées par les niveaux gallo-romains ultérieurs voire modernes. C’est en effet l’une des révélations de ces enquêtes en cours que d’observer la longévité historique de nombre des agglomérations d’origine gauloise. On se penchera ici sur quelques cas moins mal connus que d’autres.
7Considérons la fig. 70, qui montre une densité considérable de sites aujourd’hui bien attestés. Dans cette région du Centre-Est, on estime que la phase décisive se situe durant le deuxième tiers du iie siècle av. J.-C., marquée par le développement d’habitats plus anciens, comme Verdun-sur-le-Doubs, et un pic de créations nouvelles9. Le mouvement se poursuit à la charnière entre le iie et le ier siècle, mais il subit une réorganisation, constatée aussi en Gaule centrale : celle-ci se traduit par des abandons mais aussi par de nouvelles créations parallèles à l’occupation des oppida. Une partie des sites d’habitat groupé perdure assez souvent jusqu’au changement d’ère, donnant ainsi naissance à une partie des « agglomérations secondaires » de l’époque impériale. Nous y reviendrons.
Fig. 70. – Les agglomérations ouvertes dans le Centre-Est de la Gaule, aux iiie-ier siècle av. J.-C.

D’après Barral, 2019, fig. 1, p. 270, simplifiée.
8En Île-de-France (fig. 71), la dynamique générale pourrait être quelque peu différente, avec des sites plus anciens commençant dès le dernier quart du iiie siècle (Bobigny, Meulan/Les Mureaux). On observe un arrêt vers 100 pour le premier site, et une continuité jusqu’en pleine époque romaine pour le second10. Un deuxième ensemble (Coulommiers, Jouars/Pontchartrain, Arnouville-lès-Mantes démarre pendant La Tène C2 et se poursuit là encore jusqu’en pleine époque romaine ; un troisième semble débuter un peu plus tard, à La Tène D1, mais s’arrête autour de la guerre des Gaules ou peu après (Poincy, Varennes, Nanterre), tandis qu’on connaît d’autres agglomérations qui s’installent vers ce moment-là et continuent sous l’Empire (Chelles, Paris, Meaux). On constate que, dans le cas de l’Île-de-France, ce phénomène d’urbanisation fonctionne en l’absence de sites fortifiés de hauteur ; il se produit pour l’essentiel en milieu de plaine alluviale.
Fig. 71. – Chronologie des principales agglomérations ouvertes d’Île-de-France au second âge du Fer.

Viand et Séguier, 2019, fig. 5.
9Chez les Volques Tectosages et les Aquitains, les enquêtes en cours montrent l’émergence d’un processus similaire entre le milieu et la fin du second siècle av. n. è., et certaines agglomérations se maintiennent jusqu’à l’époque romaine. Auch deviendra ainsi une capitale de cité. Cette existence semble ici parallèle à celle des sites fortifiés. Dans de nombreux cas, la proximité avec un cours d’eau a été recherchée et ces implantations correspondent à des nœuds routiers. La structuration interne, pour autant qu’on la connaisse, ne semble pas respecter partout le même principe : une densité faible à Toulouse Saint-Roch, très forte au contraire dans le centre d’Auch, avec, semble-t-il, une trame viaire qui sera partiellement reprise dans la ville romaine. Les activités artisanales y sont présentes partout, notamment celles qui sont liées à la poterie11.
10Dans plusieurs régions, notamment le Centre-Est, on a pu étudier le processus d’évolution de certains pôles de développement et l’importance des sanctuaires dans ce mouvement (Barral et Nouvel, 2012 ; Nouvel et al., 2019). On citera deux cas : celui d’Avrolles, connu par son petit oppidum du premier âge du Fer, abandonné au moment où s’installe, à La Tène C2/D, un lieu de culte dans la plaine alluviale proche, ce qui favorise le développement d’une agglomération ouverte importante sous le village actuel. À La Tène D2b, dans les années 50-40, l’ancien oppidum est entouré d’un murus gallicus, qui accueille à son tour une zone de forte activité artisanale ; les deux sites cohabitent pendant environ une génération, avant que le site de hauteur ne soit définitivement abandonné vers 20 av. J.-C., tandis que l’agglomération laténienne de plaine poursuit sa vie sous l’Empire et au-delà.
11Le cas du pôle lingon constitué par l’oppidum de Langres et l’agglomération de plaine de Champigny, située à 5 km vers le nord, constitue un cas fort intéressant et désormais assez bien documenté12. Le premier noyau d’habitat apparaît vers la fin de La Tène C sur le site de Champigny et s’intensifie à La Tène D1, atteignant une superficie d’environ 90 ha. L’élément majeur de cette agglomération ouverte est constitué par un grand complexe religieux, le sanctuaire des Granges. L’oppidum apparaît pour sa part à la charnière des iie-ier siècle mais son apparition n’entraîne pas la disparition du site de plaine. Celui-ci s’étiole ensuite progressivement, à l’exception du pôle cultuel qui se perpétue et connaît un développement monumental sous l’Empire. La population, pour sa part, occupe l’oppidum dès la période antérieure à la conquête.
12Le progrès des enquêtes archéologiques récentes oblige donc à réviser les modèles d’occupation du sol existants. Non seulement les oppida ne constituent plus les seules formes d’habitat groupé avant la guerre des Gaules, mais on perçoit le legs que le réseau romain doit à l’époque antérieure et l’existence, dès La Tène moyenne, d’un réseau dense de sites que nous avons de la peine à qualifier avec notre vocabulaire moderne mais qui sont assurément des agglomérations. C’est probablement ce que César transposait pour ses lecteurs sous le terme de vici, un mot qu’ils comprenaient aisément même s’il ne correspond pas aux concepts latins stricts. Nous reviendrons ultérieurement sur cet héritage.
13Les modèles de structuration élaborés jusqu’à maintenant, et qui voyaient, à partir des exemples de Levroux, d’Aulnat, de Bâle, le passage d’un site de plaine à un oppidum, doivent être aujourd’hui fortement nuancés, car on constate l’existence d’un grand nombre de situations très variées et très différentes, non seulement dans la chronologie et la trajectoire des différents sites, mais aussi dans leur fonction économique. Les deux exemples de Varennes-sur-Allier et Varennes-sur-le-Doubs permettent de mettre en évidence la spécialisation artisanale de ces agglomérations mais aussi l’importance de leur position comme carrefours routiers et fluviaux. On peut donc légitimement penser à l’existence de marchés régionaux et de foires et il serait sans doute nécessaire de se poser la question de leur insertion au sein des terroirs ruraux et du réseau routier protohistorique13. On citera à ce propos, l’exemple remarquable de l’agglomération de Kergolvez, près de Quimper, où les fouilles préventives ont révélé l’existence, dès la fin du iiie siècle-début du iie siècle av. J.-C., d’une place publique au centre d’un noyau d’habitat traversé par une chaussée empierrée. Le site étant situé dans un méandre de rivière, on traversait alors le cours d’eau à gué. Mais, dans le courant du iie siècle, l’occupation s’étendit sur l’autre rive et on construisit alors un pont de bois. La nouvelle voie présentait une chaussée pavée de 5,5 m de large ; elle était encadrée par des blocs latéraux qui assuraient la cohésion de l’ensemble et le cheminement en pente était scandé par une succession de paliers, comme on en connaîtra plus tard à l’époque romaine. L’habitat montre en outre une gestion maîtrisée de l’espace, selon des principes d’orthogonalité bien clairs. Centre artisanal bien attesté, notamment pour le travail du fer, et lieu d’échange, l’agglomération de Kergolvez a fonctionné jusque dans les années 30-25 av. J.-C. Elle est d’autant plus remarquable que sa position géographique excentrée, dans l’Ouest de la Gaule, prouve que le phénomène d’urbanisation n’était pas limité à la partie orientale du pays14.
14Une question se pose ici : ne doit-on pas intégrer le site exceptionnel (et pour l’instant unique) d’Acy-Romance dans cette catégorie des agglomérations ouvertes, alors qu’on l’a très longtemps considéré comme un « village » à vocation agricole (fig. 72) ? Fouillé de manière exhaustive, il occupe une superficie d’une quinzaine d’hectares, entre 180 et 80 av. J.-C. environ15. L’ensemble paraît avoir été structuré autour d’un tertre beaucoup plus ancien de l’âge du Bronze.
Fig. 72. – Plan d’Acy-Romance.

B. Lambot, dans Reddé, 2018a, p. 477.
15On y observe une place publique de 3 500 m2, limitée par une palissade en forme de D, bordée d’édifices cultuels vers l’ouest. L’habitat et les constructions dépendantes seraient installés autour de trois vastes espaces vides de 1 ha chacun. L’analyse spatiale du matériel mis au jour invite à reconnaître des quartiers aux activités différenciées, avec les forgerons et des dinandiers au sud-est, les agriculteurs à l’est et les éleveurs au nord-ouest. On observe la présence d’un grand nombre d’animaux abattus (chevaux et bœufs) le long de la palissade de la place en forme de D. Les nécropoles sont implantées à la périphérie, mais l’habitat proprement dit a révélé plusieurs puits contenant des inhumés assis, une pratique « rituelle » qui apparaît de plus en plus fréquemment à cette époque. Nous y reviendrons.
16On a toutefois proposé une interprétation quelque peu différente de cet ensemble exceptionnel16. Les animaux abattus près ou sur la place en D pourraient en effet avoir été consommés autour du tertre où les dépotoirs semblent refléter la tenue de banquets publics. La présence d’un homme sacrifié d’un coup de hache, enterré les mains liées dans le dos, ainsi que de dix-neuf jeunes adultes inhumés en position assise devant le plus grand des temples ferait ainsi de ce secteur l’espace cultuel, juridique et public d’Acy-Romance. Les trois autres espaces vides seraient en revanche des places commerciales, avec, non pas une sectorisation socio-professionnelle de la population, mais un marché des produits agricoles au nord-est, de la viande au nord-ouest, des produits artisanaux au sud-est. On serait donc en présence d’une implantation de type urbain, au plan soigneusement structuré. Les habitants ne seraient pas des producteurs mais des marchands et des artisans implantés au sein d’un terroir agricole et indispensables à son bon fonctionnement économique.
17Ces connaissances nouvelles ne doivent pas pour autant masquer leur caractère encore embryonnaire. Nous sommes en effet, dans la plupart des cas, incapables de statuer sur l’organisation spatiale de ces agglomérations, sur leurs limites, sur l’existence éventuelle de bâtiments collectifs. On voit à différentes reprises l’importance des sanctuaires dans leur émergence et leur structuration, mais il est bien trop tôt pour généraliser cette observation. De même est-il sans doute prématuré d’y voir le résultat de décisions politiques à l’échelle des cités gauloises ou l’influence directe de l’aristocratie. L’important est toutefois aujourd’hui d’observer que le phénomène d’urbanisation, dans la Gaule de l’indépendance, n’a pas été limité aux oppida et que le réseau des agglomérations romaines fut, pour une part, un legs de l’époque précédente.
Les oppida
18On a déjà dit combien le terme d’oppidum était ambigu, dans l’usage qu’en font les textes latins, au point qu’il peut même désigner des colonies romaines17. En lui-même, le mot n’implique pas la présence d’une fortification. Dans l’usage césarien, il désigne normalement les « villes gauloises » et cela suffisait au lecteur. Il peut être incidemment qualifié d’urbs, de « ville », si son urbanisme ou la vanité du proconsul recommandent l’usage de ce vocable laudatif, car il est quelquefois muni d’un forum et de places publiques, comme dans le cas de Bourges (César, BG VII, 28). S’agissant le plus souvent d’agglomérations importantes, celles-ci, dans le texte césarien, sont le plus souvent fortifiées et protégées par un rempart. Le proconsul décrit, à ce propos, celui d’Avaricum, généralisant à l’ensemble des murailles gauloises (« muri gallici ») une architecture que l’archéologie nous montre en réalité beaucoup plus diverse que ce passage célèbre.
19La définition du mot reste tout aussi variable chez les protohistoriens : la surface de l’oppidum constitue en effet un critère déterminant pour la plupart d’entre eux, même si le seuil minimal oscille d’un auteur à l’autre, de 10 à 50 ha18. St. Fichtl retient, « pour des raisons de commodité », une superficie de 15 ha, ce qui exclut de fait les petits oppida comme celui de Bâle-Cathédrale19. Les archéologues s’entendent toutefois pour reconnaître d’autres critères, notamment la présence d’activités économiques et politiques, éventuellement religieuses, mais aussi pour souligner la fonction urbaine d’habitat. Ainsi a-t-on proposé de leur substituer un nouveau modèle nettement plus complexe qui prend en compte la continuité et la résilience du lieu, son degré d’interaction sociale, l’importance de la surface bâtie, la diversité fonctionnelle et structurelle des constructions, la concentration et la diversité des produits et des services, selon chaque phase chronologique identifiée20. Si ce modèle peut assurément s’appliquer à Manching, un site largement et depuis longtemps fouillé, il n’est pas sûr qu’il puisse être commodément utilisé pour tous les oppida de Gaule pour lesquels on manque souvent des informations nécessaires. Le débat entre spécialistes n’est donc pas clos ; mieux vaut sans doute, dans ces conditions, éviter de partir de définitions ou de critères a priori, analyser la diversité des situations archéologiquement connues, et reconnaître l’existence de « places centrales » de types différents, adaptées aux communautés qui les ont constituées et occupées21. Il nous faut donc revenir sur les différentes fonctions des oppida, à partir d’exemples concrets, ce qui ne laisse pas de poser de grandes difficultés. Ces « villes celtiques22 » sont en effet beaucoup moins bien connues qu’on ne le pense ; elles le sont surtout de manière très inégale d’un site à l’autre, notamment quand il s’agit de leur organisation interne, de sorte que l’historien doit en permanence se demander si ce qu’il observe ici peut être valable ailleurs.
Les fonctions défensives
20Pour analyser les fonctions défensives d’un oppidum on doit, comme pour n’importe quelle place forte, considérer sa position topographique, ses dimensions, la puissance de ses murailles, tous éléments matériels qu’on maîtrise à peu près. Mais d’autres critères non moins essentiels nous échappent le plus souvent : le nombre de ses défenseurs, la présence de bouches supplémentaires à nourrir, c’est-à-dire celle de la population civile, les stocks de ravitaillement disponibles. Le récit de la guerre des Gaules montre ainsi des cas très différents : un site comme Vellaudunum est investi en deux jours et se rend le troisième23 ; Gergovie est considérée comme imprenable de vive force, ce qui impose un siège, voué à l’échec (César, BG VII, 26, 1). Il en va de même à Alésia (César, BG VII, 68, 3 et 69). Mais la défense de cette ville est obérée par la présence d’une population civile inutile à nourrir, et même de troupes trop nombreuses. Il faudra renvoyer la cavalerie et sacrifier les femmes, les enfants et les vieillards (César, BG VII, 78), une monstruosité à nos yeux, mais conforme à la pratique antique de la guerre et dont on connaît d’autres exemples (Thucydide II, 6, 4). C’est d’ailleurs la faim des assiégés et la solidité des ouvrages romains qui auront raison de la résistance gauloise, malgré le péril encouru par l’armée romaine, prise entre deux feux.
21Mais, à Avaricum, César perçoit d’emblée le point faible de la défense et entreprend la construction d’une rampe pour prendre la ville d’assaut, comme on le fera plus tard à Masada (César, BG VII, 17-18). L’affaire fut toutefois très chaude et le proconsul près d’échouer. Celui-ci souligne d’ailleurs, à cette occasion, la force technique du murus gallicus face au bélier et la compétence gauloise en matière de poliorcétique.
22Trois sièges majeurs, trois issues différentes, parce que la capacité défensive des oppida concernés mais aussi les conditions militaires n’étaient pas identiques.
23La position topographique joue un rôle majeur. Mais à cela s’ajoute aussi la morphologie du relief et la longueur du périmètre défensif : il est ainsi plus facile de défendre une butte isolée aux flancs abrupts couronnés de falaises à pic, comme Alésia, d’une superficie de 98 ha, qu’une vaste montagne aux pentes plus molles comme celle de Bibracte, qui occupe une surface considérable de 200 ha (enceinte externe) ou même 130 ha (enceinte interne).
24On a beaucoup contesté, depuis quelques années, le rôle militaire des remparts gaulois, considérant que cette fonction était passée au second plan à la fin de l’âge du Fer : la longueur de certaines courtines (7 km au Fossé des Pandours, 6 kilomètres au Beuvray), en faisait certes de piètres murailles, et leur rôle doit donc être conçu avant tout comme un signe ostentatoire de la puissance et de la richesse du peuple qui les a construits, un symbole d’une limite urbaine, religieuse et juridique24. Si cet aspect est indéniable, ce qui rapproche conceptuellement le rempart de ces grands oppida de celui des villes augustéennes (on songe à Autun, pour ne pas parler des enceintes du Midi), une forme de réaction se fait toutefois jour. Il convient de rappeler que ces remparts n’étaient pas tous médiocres ni inutiles, comme le montre fort bien le cas de Gergovie. Ils doivent naturellement être considérés dans leur contexte, et pas seulement pour eux-mêmes25.
Les remparts
25L’architecture des remparts repose sur deux principes distincts : soit on mettait en œuvre un poutrage interne de bois permettant de charpenter la masse de pierres sèches qui en constituait le cœur, soit on érigeait un talus massif de terre26. Mieux que de longues descriptions, un schéma simple montre les différentes variantes du premier type, dont le murus gallicus constitue, en Gaule, le cas le plus connu et le plus fréquent (fig. 73-74). Quant aux enceintes formées d’une levée de terre massive, dites aussi de « type Fécamp » et principalement localisées en Picardie, en Normandie ou dans le Centre-Ouest de la France, une photographie aérienne de R. Agache en illustre parfaitement le principe dans le cas de l’éperon barré de La Chaussée-Tirancourt (fig. 75). Dans tous les cas, un fossé large précédait la muraille. Mais le cas bien connu du Titelberg, où l’on a reconnu cinq états successifs d’architectures différentes, montre combien, dans le détail, la question pouvait être complexe (fig. 76).
Fig. 73. – Les différents types de remparts gaulois boisés.

Fichtl, 2000, p. 41.
Fig. 74. – Le murus gallicus de Bibracte, à la porte du Rebout.

Photo M. Reddé.
Fig. 75. – Le rempart massif de la Chaussée-Tirancourt.

Photo R. Agache.
Fig. 76. – Les différents remparts du Titelberg.

Metzler, 1995, p. 59.
Portes et tours
26Dans toute architecture défensive, les portes constituent un point faible que l’on a toujours cherché à renforcer par des systèmes architecturaux permettant de piéger au mieux les assaillants. Ceci explique que, dans nombre de cas, le passage soit disposé en retrait par rapport au tracé du rempart, afin de ménager un goulet où les mouvements de l’assaillant, enfoncé au fond d’une cour, sont d’autant plus malaisés qu’il est attaqué de tous côtés. Le modèle général de reconstitution s’inspire globalement de celui de Manching (fig. 77), bien qu’il existe de nombreuses variantes architecturales de cette architecture que les protohistoriens qualifient ordinairement de Zangentor (« en tenaille »). On ne sait d’ailleurs pas toujours bien le détail du passage, des tours et de la porterie : ainsi, à Bibracte, n’en reste-t-il aucune trace à la porte du Rebout.
Fig. 77. – Reconstitution de la porte de l’oppidum de Manching.

Germania, 1965.
27Un autre type de défense s’appuie sur le principe de la chicane, comme dans le cas de Fécamp, où la porte occidentale était placée à un angle obtus de la muraille, avec un passage parallèle à l’un des tronçons du rempart, obligeant l’assaillant à se présenter de flanc, le côté droit non protégé par le bouclier. Il est le plus souvent malaisé d’identifier archéologiquement des tours, car leurs poteaux n’étaient généralement pas ancrés dans le sol mais dans la masse du rempart. César mentionne toutefois leur présence à Avaricum (César, BG VII, 22).
Des enceintes refuges ?
28Savoir si certaines de ces enceintes étaient destinées à accueillir, en cas de menace militaire, une partie de la population rurale proche constitue une question difficile, encore mal résolue, notamment parce que notre connaissance de la densité d’occupation permanente des oppida reste mal connue. Dans le cas d’une grande ville comme Bratuspantium (Gouvieux ?), chez les Bellovaques, les non combattants se réfugièrent au sein des remparts, emportant leurs biens avec eux (César, BG II, 132). Le plan de Bibracte semble d’ailleurs montrer que toute la superficie enclose n’était pas bâtie, non plus que celui du Titelberg. À l’inverse, un petit oppidum comme celui du Mont Vully, chez les Helvètes, était bien défendu mais apparemment dépourvu d’habitat permanent. Il n’est donc pas absurde de supposer ici l’existence d’une enceinte refuge (un « castellum », dans le vocabulaire latin). En l’occurrence, la taille et le rempart ne font pas à eux seuls la fonction urbaine, comme on le voit ici.
Les fonctions religieuses et politiques : l’urbanisme public
29Au-delà du rempart, élément majeur et commun à tous les oppida, la question de l’urbanisme des villes gauloises n’est connue que par bribes et ne semble pas, en l’état actuel des données, répondre à une organisation standardisée, comme c’est le cas à l’époque romaine où la mise en place d’un réseau viaire orthonormé et la présence de bâtiments publics indispensables à la vie civique ordonnent l’espace selon des principes universels. On n’est donc pas, à l’heure actuelle, en mesure de proposer un modèle global et il faut, une fois de plus, raisonner à partir de quelques exemples locaux, faute de fouilles suffisamment nombreuses et étendues. En l’occurrence, les grands sites de Manching et de Bibracte ont joué jusqu’à maintenant un rôle probablement excessif dans notre perception du phénomène urbain à la fin de l’âge du Fer. Des découvertes archéologiques récentes permettent heureusement de compléter le panorama qu’on pouvait décrire il y a moins de dix ans27.
30On peut être assuré de l’existence d’une voirie, qui constitue en soi une nécessité vitale pour les communications internes, et de places publiques, ce que le cas de Bourges, dans le passage de César mentionné ci-dessus, atteste sans discussion. Le site fouillé de la manière la plus extensive en Gaule intérieure, celui de Bibracte, ne révèle pas un réseau viaire ordonné selon un plan régulier, ce qui est sans doute une conséquence de la topographie très montueuse des lieux (fig. 78). Au Titelberg (Luxembourg), l’organisation de l’oppidum montre au contraire, comme à Alésia, une rue principale de crête joignant les deux accès28. Le plateau a manifestement été partitionné, avec un espace public séparé du reste de l’habitat par un fossé interne, vers le tournant des iie-ier siècles av. J.-C. (fig. 79). Les recherches y ont révélé un complexe religieux et une place ; en revanche, les quelques parcelles d’habitat connues sont installées à l’extérieur de cet espace réservé. Le levé géophysique permet d’observer leur extension tout le long de la rue centrale, sans doute selon un plan en lanières, avec des cours et des jardins sur l’arrière des maisons, comme on en rencontrera plus tard dans les « agglomérations secondaires » d’époque romaine, et des ruelles perpendiculaires à l’axe central (fig. 80). Sur l’oppidum d’Alésia, nos connaissances actuelles permettent de restituer une place publique dès La Tène D1b sous le futur forum romain et la présence probable d’un temple à l’ouest29.
Fig. 78. – Plan général de Bibracte.

Labaune et Meylan, 2011, p. 108.
Fig. 79. – Plan général du Titelberg, avec les « marqueurs » urbains de l’oppidum.

Metzler et al., 2016, p. 407.
Fig. 80. – Plan des prospections géophysiques sur le Titelberg.

Metzler et al., 2016, p. 36.
31À Corent (fig. 81), les fouilles ont mis en évidence un sanctuaire et une place de marché proche, ce qui n’exclut pas la présence d’une seconde esplanade devant le temple30. On rencontre encore un semblable complexe à Wallendorf, au Martberg et à Otzenhausen, trois oppida Trévires. Dans ces deux derniers cas, ainsi qu’au Donnersberg, ces places sont encloses par un fossé, délimité avant l’installation de l’habitat proprement dit. Sur ces différents sites, l’existence d’un sanctuaire proche de la place est prouvée. La présence de nombreux ossements animaux au Titelberg accrédite l’hypothèse de foires31.
Fig. 81. – Le centre public de l’oppidum de Corent.


Poux, 2011, p. 37.
32On doit encore mentionner le cas de l’oppidum de Moulay, dans la Mayenne, où une place légèrement trapézoïdale de 50 × 20 m ouvre sur une rue (fig. 82). Au centre, on observe la présence d’un ensemble carré de 8,35 × 7,10 m, porté par dix-sept poteaux, qui ressemble à la halle (« temple ») du Titelberg32.
Fig. 82. – Le secteur central de l’oppidum de Moulay.

DAO H. Hostein, Inrap, simpliffiée, d’après Le Goff, 2015, p. 193.
33Revenons pour finir à Bibracte où des fouilles récentes ont mis en évidence un complexe monumental centré sur une cour interne de 26 m de côté (lieu-dit PC 15), dont on connaît quatre états principaux entre 70 av. J.-C. et l’abandon du site, qui se situe vers le tournant de l’ère (fig. 83). Les auteurs comparent ce monument avec d’autres complexes similaires sans pour autant en proposer une fonction précise, mais qui relève assurément de la sphère publique33.
Fig. 83. – Plans comparés des bâtiments publics centrés sur cour.

Barral et al., 2018, p. 504.
34Restent d’autres structures énigmatiques, découvertes au Titelberg : il s’agit de couloirs palissadés reliant la voie centrale de l’oppidum au temple mis au jour dans le centre public et qui auraient fonctionné dans la première moitié du ier siècle av. J.-C. Deux interprétations très différentes en ont été proposées par les fouilleurs : selon P. Méniel, il s’agirait d’enclos destinés à trier le bétail, conformément à un processus bien connu lors des foires modernes (fig. 84) ; de fait, les restes de boucherie sont extrêmement abondants dans ce secteur. Pour J. Metzler, il pourrait au contraire s’agir d’ovilia semblables à ceux de Rome et destinés aux assemblées civiques34. Cette proposition, quoique formulée de manière prudente, a été critiquée35. Elle semble confortée par un dossier comparatif, détaillé dans la publication finale du centre public du Titelberg, sans que la démonstration s’avère vraiment décisive ; son point fort est surtout de s’appuyer sur un ensemble de témoignages césariens qui rappellent l’existence d’assemblées du peuple dans chaque cité, aussi bien pour les grandes décisions politiques que pour les procès. Qu’on se souvienne, par exemple, de l’assemblée armée des Trévires ou des Éduens en 54, de celle des Helvètes réunie pour juger les ambitions d’Orgetorix, juste avant le déclenchement du conflit (César, BG V, 56 ; V, 54 ; I, 2). Une telle hypothèse avait déjà été avancée à propos des fossés perpendiculaires couverts mis au jour sur l’oppidum de Villeneuve-Saint-Germain (fig. 85)36. Elle nous laisse au total assez dubitatif. Il est évident en effet qu’il s’agit là d’une comparaison historique audacieuse, que seules des découvertes similaires sur d’autres oppida gaulois pourraient conforter. Les fouilleurs du Titelberg se gardent d’ailleurs bien de trancher entre les deux hypothèses qu’ils proposent. Quoi qu’il en soit, il importe néanmoins de se souvenir qu’il s’agirait, dans les deux cas, d’événements publics survenus dans un espace privilégié marqué par la divinité proche : des foires, avec probablement des sacrifices massifs, d’un côté ; des opérations de vote, d’autre part. Ceci implique, évidemment, un espace public et une vie collective qui s’exprime au cœur de ce lieu central de la cité gauloise qu’est l’oppidum. On notera, dans ce contexte, que le complexe « temple + place publique » apparaît à plusieurs reprises dans ce dossier qu’il conviendrait d’étoffer.
Fig. 84. – Les couloirs palissadés du Titelberg (à g.) et différents exemples similaires, à d.

Metzler et al., 2016, p. 312.
Fig. 85. – Les fossés couverts de Villeneuve-Saint-Germain.

J. Debord, Les fouilles du site gaulois tardif de Villeneuve-Saint-Germain (Aisne), Mémoires de la fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie de l’Aisne, 1990, p. 148.
L’habitat
35L’habitat dans les villes gauloises de la fin de l’âge du Fer constitue assurément un sujet majeur de recherche pour l’avenir, tant il est, à l’heure actuelle, mal connu. Là encore, il faut se contenter de bribes. On a déjà dit, toutefois, que l’espace englobé par le rempart ne semble pas avoir été complétement occupé, au moins dans les oppida sur lesquels on arrive à porter une appréciation globale.
Artisans et commerçants
36On commencera ici par l’habitat que l’on pourrait qualifier de « modeste », en mêlant habitations proprement dites et structures économiques, car celles-ci semblent à peu près indissociables au vu de nos connaissances actuelles. Deux sites, en l’espèce, apportent des renseignements substantiels, Bibracte et Variscourt, auxquels on adjoindra quelques plans issus de fouilles partielles conduites ailleurs.
37À Bibracte, les activités artisanales sont principalement concentrées le long de la voie antique qui monte depuis la porte du Rebout jusqu’à la Pâture du Couvent, où se trouve le grand bassin de pierre en forme d’amande (fig. 78). Fouillées par J.-G. Bulliot entre 1867 et 1870, leur étude a été reprise d’abord entre 1984 et 1992 à l’extérieur du rempart, puis dans les années 2000-2010. Il est un peu difficile d’en présenter les caractéristiques générales, en raison d’une documentation très morcelée. Les recherches récentes du Champlain et de la Côme Chaudron ont révélé des îlots bordés de ruelles, installés sur des pentes fortes, ce qui implique l’existence de terrasses. Des venelles transversales permettent de passer d’une voie à l’autre. Les bâtiments sont en bois, mais on utilise la pierre pour les soutènements. Deux modules ont été reconnus : un étage d’environ 100 m2 ou deux étages de 50 m2 chacun. Les ateliers présentent une organisation rigoureuse avec deux pièces, l’une au sol sableux clair, ouverte sur la rue, l’autre sombre et sans lumière, du côté intérieur, toutes deux destinées aux différentes phases de l’activité artisanale, l’habitat proprement dit se trouvant probablement à l’étage, si l’on en croit la présence de départs d’escaliers. De nombreuses caves complètent cet ensemble. Dans les autres secteurs de la ville, les ateliers sont localisés eux-aussi en bordure des voies, sans lien avec l’intérieur de l’îlot37.
38À Variscourt, au confluent de l’Aisne et de la Suippe, cet oppidum de 170 ha, situé à 20 km au nord de Reims, a été fouillé sur 2 ha (fig. 86). Son occupation fut courte, entre 120-110 et 90-80 av. J.-C. Là aussi, la fonction du quartier fouillé est liée aux activités artisanales. On y reconnaît dans un premier état une petite place d’environ 50 × 40 m, sur laquelle débouchent deux rues, dont l’orientation est cohérente avec celle du rempart, ce qui implique peut-être l’existence d’un plan directeur dès la naissance de l’oppidum. De part et d’autre de ces voies, l’habitat est organisé en îlots d’environ 2 500 m2, délimités par des restes de clôtures, qui renferment des bâtiments, des silos et des puits38.
Fig. 86. – Les fouilles de l’oppidum de Variscourt/Condé sur Aisne.

Pion et al., 1994.
39On mentionnera encore deux autres oppida sur lesquels des recherches malheureusement trop limitées ont livré des éléments d’habitat. C’est le cas à Besançon, où les fouilles du parking de la mairie ont révélé, pour la phase 1 (120-40 av. J.-C.) une dizaine de constructions installées non loin d’un fossé résiduel (fig. 87). Il s’agit de maisons qui présentent un plan rectangulaire simple, avec une surface d’environ 30 m2. Toutes possèdent une cave d’environ 2 × 2,5 m parementée en bois, accessible dans un angle, et un foyer central. Il s’agit bien sûr de maisons en pans de bois sur sablières basses. Seule l’une d’entre elles présente une cave accessible depuis l’extérieur. L’organisation générale ne montre apparemment aucune régularité dans l’implantation de cet habitat mais la surface excavée, très limitée, n’autorise pas un jugement bien assuré39.
Fig. 87. – L’habitat laténien de Besançon.

Guilhot et Goy, 1992, p. 62.
40Au Titelberg, les fouilles d’habitat n’ont touché, là encore, qu’une superficie restreinte (fig. 88). Elles révèlent toutefois un agencement de maisons mitoyennes de forme rectangulaire allongées avec pignon sur rue, comme dans les vici gallo-romains. Là vivaient essentiellement des artisans métallurgistes40. À Alésia, forgerons et bronziers ont été localisés sur tout le front sud de la place qui deviendra ultérieurement le forum romain41. À Corent, enfin, ont été dégagées, de part et d’autre de la place de marché, différentes unités d’habitation : à l’ouest apparaît un vaste complexe muni d’une cour dans laquelle on distingue un séchoir et un grenier (fig. 89). L’habitat proprement dit s’ouvre à l’est, au fond d’une ruelle qui permet d’accéder au marché. Il affecte une forme de L et est pourvu d’une cave. L’abondance des vestiges animaux découpés sur place permettent aux fouilleurs de proposer l’hypothèse d’une boucherie liée à la proximité du sanctuaire et du marché. De l’autre côté de ce dernier, deux unités d’habitation se font face de part et d’autre d’une ruelle. Elles ont là aussi servi d’atelier métallurgique42.
Fig. 88. – L’habitat laténien du Titelberg.

Metzler, 1995, p. 101.
Fig. 89. – Un exemple de maison à Corent, le bâtiment B.

Poux, 2011, p. 67.
L’habitat aristocratique
41L’habitat aristocratique sur les oppida n’est connu pour l’heure qu’à Bibracte, mais à partir de la période de la conquête, contrairement à ce que l’on pensait à la suite des fouilles de J.-G. Bulliot. Il s’agit donc d’un cas bien particulier qu’on ne saurait généraliser, en l’état actuel de nos connaissances, mais sur lequel nous reviendrons ultérieurement. Pour l’essentiel, les aristocrates devaient résider dans leurs domaines ruraux, ce qu’on peut déduire des fouilles du Titelberg qui ont révélé plusieurs nécropoles aristocratiques dans un environnement assez proche de l’oppidum, mais à quelque distance de celui-ci.
Un processus de création différencié
42La création des oppida gaulois de La Tène finale s’échelonne, semble-t-il, entre les années 150-120 av. J.-C. et la période de la conquête, voire au-delà. L’opinion, sur ce point, a beaucoup varié, car elle était liée à la chronologie du matériel de cette époque, pas toujours assurée ni acceptée par tous les chercheurs. Le point actuel a été fait en 2006 par G. Kaenel et les conclusions présentées alors restent globalement solides43. On dispose malheureusement de peu de datations absolues précises, hormis pour Metz où le rempart a été construit en 114-112, avant de subir une réfection en 55 (dates dendrochronologiques). Une première vague semble attribuable à la fin du second siècle apr. J.-C. Des agglomérations préexistantes comme Besançon ou Yverdon ne seront au contraire entourées d’un rempart que vers 80. On observe en effet, à la charnière de La Tène D1/D2, une seconde vague de créations, ce qui conduit à distinguer trois cas distincts :
Une agglomération ouverte se dote d’un rempart dans le courant de son existence. L’habitat précède donc le rempart et peut-être l’espace public. Ainsi, à Besançon, la construction du murus gallicus, datée autour de 80 av. J.-C., englobe-t-elle le mur de berge précédemment installé le long du Doubs44.
Un site de hauteur est investi et installé dans son intégralité, ex nihilo, comme c’est le cas au Titelberg. Dans certains cas, comme à Levroux, il s’agit d’un transfert depuis une agglomération ouverte de plaine. L’équipement public précède ici clairement l’habitat qui s’agrège autour du sanctuaire et du marché. Il s’agit probablement, en ce cas, d’une décision politique prise par la cité, sans doute sous l’influence des aristocrates45. On doit aussi souligner la place prépondérante des sanctuaires dans ce processus d’agglomération46.
43Dans ces deux cas, on peut sans aucun doute parler d’oppida-villes, disposant d’une grande partie des fonctions urbaines classiques. Il s’agit en effet de sites centraux d’une communauté politique importante qui s’y réunissait pour des assemblées religieuses autour du sanctuaire, politiques, commerciales (foires), sur une ou plusieurs places dédiées, et où les marchandises issues de la production artisanale tenaient un rôle central47. On mesure encore mal, en revanche, la part d’activités liées au monde rural qui pouvait y être intégrée, notamment le stockage des productions. Même si on appréhende de manière très insuffisante la densité et l’organisation de l’habitat modeste, il est évident que celui-ci était présent partout.
Le troisième cas concerne des sites de hauteur naturellement protégés, mais qui ont reçu un rempart et pouvaient servir à des assemblées, peut-être pour la population d’un pagus, ou remplissaient une fonction de refuge, comme c’est le cas du Mont Vully ou de Kirchzarten/Tarodunum.
44Tous les oppida n’étaient donc pas des « villes » et il est intéressant, sur ce point, de se demander s’il existait une hiérarchie entre eux. Un bon exemple peut être fourni par la situation du Berry, où l’on dispose heureusement d’une bonne cartographie de la situation chez les Bituriges Cubes (fig. 90)48. On observe en effet un maillage territorial dans la répartition des oppida, ce qui implique sans doute une volonté de contrôler l’ensemble du territoire. La technique du murus gallicus n’était pas réservée aux sites urbains majeurs ; elle a aussi été utilisée pour construire de petites enceintes d’environ un hectare, considérées comme des résidences aristocratiques (Luant ; Meunet-Planches). En revanche, à l’approche de la guerre des Gaules, ou durant celle-ci, nombre de murailles urbaines de ce type ont été recouvertes par un rempart massif en terre, plus efficace contre les engins de siège et l’art romain de la poliorcétique.
Fig. 90. – Le réseau des oppida des Bituriges Cubes.

Krausz et Augier, 2012, p. 178.
45Le modèle proposé dans le cas des Bituriges est donc bien celui d’un territoire civique organisé et hiérarchisé, structuré par un réseau « urbain », mais il se heurte pour une part à l’absence de fouilles étendues sur les sites secondaires et réclame encore une validation archéologique. En outre, est-il transposable ailleurs ? Il est intéressant, de ce point de vue, de le confronter avec ce qu’on observe chez les Trévires. On rencontre là six oppida répartis sur l’ensemble du territoire, en fonction des caractéristiques géographiques du pays (fig. 91) :
Le Titelberg, à l’ouest, actuellement le mieux documenté car le plus extensivement fouillé.
Kastel, en Sarre, beaucoup moins bien connu.
Wallendorf, doté d’un murus gallicus et organisé autour d’un sanctuaire qui remonte probablement à La Tène finale et d’une place publique.
Le Martberg, doté d’un rempart et d’un grand espace entouré d’une palissade, avec un petit ensemble fossoyé (K1) et de nombreux dépôts d’armes qui invitent à l’interpréter comme trophée et/ou sanctuaire. L’espace fut restructuré pendant La Tène D2a et remplacé par une vaste esplanade de 107 × 103 m, probable lieu de réunion, mais le sanctuaire a continué d’être fréquenté. L’habitat n’y est connu que de manière sporadique.
Otzenhausen, doté d’un rempart monumental et d’une grande place délimitée par un fossé.
Le Donnersberg, à l’est, défendu par un rempart à poteaux frontaux et doté d’une enceinte d’un demi hectare au centre.
Fig. 91. – Le réseau des oppida trévires.

Metzler et al., 2016, p. 420.
46Tout ceci conduit à constater des points communs importants, notamment l’existence de centres publics sans doute antérieurs à l’habitat (dont on sait peu de choses), le rôle des sanctuaires et des lieux de rassemblement dans la structuration de ces lieux centraux, qui comprenaient aussi des ateliers monétaires, si l’on en croit les découvertes effectuées. La tenue de foires n’est attestée archéologiquement qu’au Titelberg, dont le sol conserve les ossements animaux, mais on peut étendre l’hypothèse aux autres cas considérés. Il paraît donc possible de restituer ici « des » territoires trévires contrôlés chacun par un oppidum, le plus important politiquement finissant par être le Titelberg, avant l’installation de la capitale romaine à Trèves. Plusieurs de ces sites (Wallendorf, Otzenhausen et le Donnersberg) périclitèrent d’ailleurs dès La Tène D2a49.
Tableau 3. – Tableau montrant la diversité des situations observées dans les agglomérations gauloises à La Tène finale.
Site | Superficie (ha) | Topographie | Fortification | Équipement public |
Acy-Romance | 10 | plaine | ||
Roanne | 40 | plaine | centre communautaire | |
Levroux « Arènes » | 24 | plaine | ||
Aulnat | 200 | plaine | espace cultuel (Le Brezet) | |
Sources de l’Yonne | 120 | plaine | sanctuaire ? | |
Bâle-Usine à Gaz | 20 | plaine | ||
Châteaumeillant | 18 | hauteur | continue | |
Villeneuve-St-Germain | 30 | méandre | éperon barré | système de galeries pour vote ? |
Variscourt | 170 | méandre | discontinue | rues, place |
Mont Vully | 50 | hauteur | éperon barré | Pas de traces d’occupation |
Levroux « Colline » | 20 | hauteur | discontinue | |
Corent | 60 | hauteur | ? | sanctuaire, lieu d’assemblée, place |
Gondole | 60 | méandre | éperon barré | rues, place |
Gergovie | 70 | hauteur | continue | rues |
Boviolles | 60 | hauteur | continue | rues, sanctuaire extra urbain |
Titelberg | 43 | hauteur | continue | rues, sanctuaire, marché, comptoir italique |
Martberg | 70 | hauteur | discontinue | rues, sanctuaire |
Alésia | 90 | hauteur | discontinue | rues, sanctuaire, place |
Bibracte | 200 | hauteur | continue | rues, place, bassin, sanctuaire ou bâtiment public (?) |
Berne-Engelhalbinsel | 140 | méandre | discontinue | |
Besançon | 120 | méandre | éperon barré | quais, sanctuaire |
Bâle-cathédrale | 4 | hauteur | éperon barré |
47Ces deux exemples peuvent accréditer l’hypothèse d’une organisation hiérarchique de l’occupation des territoires à la fin de l’âge du Fer, mais cette idée doit encore passer au crible de la recherche archéologique avant d’être définitivement validée ou au contraire nuancée, selon les cités. Pour l’heure, notre méconnaissance de l’habitat et de la densité de la population permanente interdit probablement de considérer indifféremment tous ces lieux centraux comme des « villes », au sens traditionnel du terme. S’il est vrai, comme l’affirme M. Fernández-Götz, que l’importance numérique de la population ne constituait pas un critère fondamental et que ces places centrales étaient essentiellement le produit d’une construction politique identitaire, cette notion, à elle seule, ne suffit peut-être pas à rendre compte de la complexité des différents processus d’urbanisation à la fin de l’âge du Fer50. On peut tenter de réunir au sein d’un tableau un certain nombre d’exemples montrant la diversité des situations rencontrées en Gaule même51. On peut y observer la grande variété des superficies occupées par une petite série d’agglomérations ouvertes et d’oppida et en conclure que la hiérarchie de ces établissements protohistoriques s’avère plus complexe qu’il n’y paraît puisque la taille de l’agglomération ouverte d’Aulnat, par exemple, l’emporte nettement sur celle de l’oppidum de Gondole. Dans ce contexte, on ne peut pas ne pas se demander si la fonction à la fois ostentatoire et défensive d’un rempart constitue bien un critère discriminant du fait urbain. D’une manière générale, admettons que la notion même d’oppidum apparaît aujourd’hui comme très hétéroclite52.
48Il est non moins évident que tous ces sites n’ont pas connu la même résilience. Certains ont survécu, traversant même l’époque romaine, d’autres ont rapidement disparu, en fonction de leur insertion dans le territoire, à un moment donné du temps. Ces mouvements correspondent aussi à des cycles historiques d’urbanisation et de déprise, perceptibles depuis l’âge du Bronze53. Cette instabilité n’est sans doute pas, en elle-même, une incapacité des Celtes à concevoir la ville, comme on le voit bien à travers l’exemple célèbre du grand oppidum de Manching. Elle est la conséquence d’évolutions politiques, sociales, culturelles complexes, semblables à celles que les sociétés grecques et italiennes avaient connues dans une phase ancienne de leur développement, entraînant alors des transformations de tout le réseau de peuplement. C’est un processus similaire qu’il nous faut maintenant examiner, en étudiant quelle part de l’héritage urbain de La Tène est échue aux nouveaux maîtres de la Gaule, aux lendemains de la conquête, et comment s’est recomposé alors le réseau des villes.
Les villes romaines
49Fuyant Troie en flammes pour aller refonder ailleurs une ville nouvelle qui l’abriterait, lui et ses compagnons, Énée fut tout d’abord victime de la vengeance de Junon qui anéantit ses vaisseaux. Alors l’intervention de Vénus, sa mère divine, auprès de Jupiter, permit d’entrevoir le destin du héros : après bien des vicissitudes, celui-ci fonderait Lavinium en Italie, avant que son fils, Ascagne, ne transfère le siège de sa royauté dans une autre ville nouvelle, Albe La Longue. Trois siècles plus tard, Romulus perpétuerait la race d’Énée en traçant à son tour, du soc de sa charrue, le sillon primordial (sulcus primigenius) qui marquerait la limite sacrée (pomerium) de l’Urbs.
50Bien qu’il soit en apparence fort éloigné de notre propos, ce début de l’Énéide (I, 254-283) est essentiel. Virgile chante là, en pleine époque augustéenne, le mythe national romain qui passe par la fondation de villes successives et s’inscrit dans la conception philosophique d’un idéal urbain déjà énoncé, une génération plus tôt, par Cicéron. Débattant de la naissance de l’éloquence, l’orateur la fait naître au terme d’un mouvement civilisateur qui conduisit les hommes à passer progressivement de la nature sauvage à l’Urbanitas. Cette évolution s’est ainsi traduite par l’adoption d’un mode de vie sociale et politique propre au milieu urbain : « Ces gens, disséminés dans les campagnes, retirés dans des cabanes au milieu des forêts, en usant d’un talent particulier, <le sage fondateur> les conduisit et les groupa dans un même endroit ; il les poussa à toutes les occupations utiles et honorables ; au début, ils protestèrent devant ces nouveautés, puis, en raison de sa sagesse et de son éloquence, ils l’écoutèrent avec davantage d’intérêt, et, de farouches et de sauvages qu’ils étaient, il les rendit doux et tranquilles » (Cicéron, De Inventione I, 2).
51Ce processus civilisateur est au cœur de la conception romaine du monde. Il s’exprime parfaitement encore par la bouche de Tacite, décrivant l’action de son beau-père, Agricola, dans la Bretagne récemment conquise, à un moment où la fidélité de la province était compromise par la mauvaise conduite et la cupidité des gouverneurs précédents : « L’hiver suivant (78-79) fut employé aux mesures les plus salutaires : pour habituer par les jouissances à la paix et à la tranquillité des hommes disséminés, sauvages et par là même disposés à guerroyer, il exhortait les particuliers, il aidait les collectivités à édifier temples, fora, maisons, louant les gens empressés, gourmandant les nonchalants : ainsi l’émulation dans la recherche de la considération remplaçait la contrainte… On en vint même à priser notre costume et souvent à porter la toge ; peu à peu, on se laissa séduire par nos vices, par le goût des portiques, des bains et des festins raffinés ; dans leur inexpérience ils appelaient civilisation ce qui contribuait à leur asservissement » (Tacite, Vie d’Agricola, XXI). Manifestement, Tacite avait lu Cicéron… Un peu plus d’un siècle plus tard, c’est l’historien grec Dion Cassius qui exprimait les mêmes notions, à propos de la conquête augustéenne de la Germanie d’outre Rhin. « Les Romains y possédaient quelques régions, non pas réunies, mais éparses selon le hasard de la conquête… Des soldats y avaient leurs quartiers d’hiver et y fondaient des villes ; les barbares s’adaptaient à leur mode de vie, ils avaient des marchés réguliers et formaient des assemblées pacifiques » (Dion Cassius, LVI, 18, 1-3).
52Cette idéologie de l’urbanisme, pour reprendre une expression de Louise Revell, se retrouve parfaitement exprimée dans l’Éloge de Rome, ce discours d’apparat prononcé par Aelius Aristide en 144 de n. è.54. Le rhéteur grec y développe la vision d’un monde antique constitué d’un ensemble de cités sous l’autorité supérieure de la capitale de l’Empire. Dans cet univers « idéal », les seuls conflits consistent à rivaliser dans la construction de palestres, de basiliques, d’agoras, de bains et l’érection de statues honorifiques, toutes plus belles les unes que les autres. Cette idéologie optimiste a traversé les siècles jusqu’à nous, en raison de la notoriété d’auteurs lus et relus depuis la Renaissance et qui ont constitué le socle de notre culture européenne. Elle explique aussi la conception que les historiens classiques, héritiers directs de cette lecture, ont du monde romain par rapport à ses antécédents protohistoriques.
53Mais qu’en est-il dans la réalité ? On peut confronter ces textes avec un exemple concret intéressant, celui de la découverte de la ville neuve de Waldgirmes, dans la vallée de la Lahn, au cœur de cette Germanie augustéenne, toute juste conquise, qu’évoquait Dion Cassius dans un des passages qui viennent d’être cités. Un cas d’espèce, génétiquement pur, puisqu’il s’agit de la construction, sur un site vierge, d’une ville éphémère – elle a duré moins d’une vingtaine d’années –, au sein d’un espace provincial en cours d’organisation. Fondée au plus tard en 4-3 av. J.-C. si l’on en croit la datation dendrochronologique des puits qui y ont été mis au jour, cette toute petite « ville » de 7,7 ha (un trapèze de 250 × 240 m) entourée d’une enceinte n’était pas encore complétement bâtie au moment de son abandon, qu’on situe aujourd’hui en 16 apr. J.-C., puisqu’elle comprenait encore des espaces vides au nord du forum55. Il s’agit d’un espace doté, comme un camp militaire, de deux voies perpendiculaires qui se croisent vers le centre du complexe et sont bordées de portiques (fig. 92). On y reconnaît diverses unités d’habitation implantées sur un modèle issu de l’architecture domestique italienne ainsi qu’une grande quantité de greniers de types divers. Il est intéressant de constater qu’à un premier forum, situé partiellement sur le tracé de la voie est-ouest (phase verte), a succédé plus tard un second, décalé vers le nord-est et situé derrière le croisement des deux axes viaires, au nord de celui-ci (phase rouge). Ce complexe de 2 000 m2 est marqué par la présence, au nord, de trois vastes exèdres (une carrée au centre, flanquée de deux exèdres en « U »). Celles-ci s’ouvrent sur une halle basilicale à deux nefs qui donne elle-même, au sud, sur une vaste cour intérieure à portique périphérique. Dans celle-ci sont apparues les fondations de cinq bases de statues (sans doute Auguste et les princes de la famille impériale), dont au moins une statue équestre en bronze doré. Il s’agit là d’un véritable forum et non de principia de camps militaires qui, à cette époque, ne répondaient pas à ce type d’architecture56. Peu d’armes ou d’équipement militaire figurent dans le matériel retrouvé, alors que la céramique locale est relativement abondante. Les fouilleurs considèrent ce site comme celui d’une petite implantation civile, créée par l’armée à l’intention des populations locales et faisant sans doute office de lieu de réunion et d’échanges avec des fonctions économiques (marché), politiques et religieuses. Si ce modèle – en soi convaincant mais nécessairement interprétatif – se confirme, il peut offrir une clef de compréhension pour la formation des villes neuves par des militaires et c’est à lui qu’on se réfère pour reconstituer les débuts de l’oppidum Ubiorum, la future Cologne57.
Fig. 92. – La ville neuve augustéenne de Waldgirmes.

D’après Becker, 2008-2009.
54Cet exemple peut toutefois être considéré sous des angles différents : en première analyse, il offre une illustration parfaite des textes que nous avons cités et qui traduisent le processus d’urbanisation tel que le concevaient les Romains dans le cadre de leur prise de possession de l’espace provincial et de son nécessaire aménagement. On le constate ici à travers le plan, l’organisation du nouveau cadre urbain répond à une conception radicalement différente de celle qui prévalait à l’époque protohistorique. Or on est là, rappelons-le, à quelques kilomètres au sud de l’oppidum du Dünsberg, sans doute dans le territoire primitif des Ubiens avant leur transfert sur la rive gauche du Rhin. Ce qui frappe d’emblée, c’est l’organisation orthogonale (ou quasi orthogonale) de l’espace, avec deux voies se coupant à angle droit, à côté d’un premier forum (phase verte), lieu central de la ville nouvelle, implanté dès la fondation en 4-3 av. J.-C.
55On peut aussi, à l’inverse, remarquer la modicité de ce premier forum, en réalité un simple espace palissadé, mais probablement destiné à être orné de statues sur des bases en pierre, dont seule celle de l’est connut un début d’exécution. On peut aussi observer qu’il s’agit d’une ville de bois, assez peu différente, dans sa technique architecturale, des camps militaires de ce temps. On notera aussi l’inachèvement de cette phase initiale, malgré la construction d’un second forum, beaucoup plus monumental (phase rouge), sans aucun doute avant 9 de n. è. (la date du désastre de Varus), et la mise en place des premières structures d’habitat, pour certaines conformes aux canons architecturaux d’Italie. Bien entendu, l’absence d’édifices thermaux est frappante, mais normale au milieu de constructions en bois – les camps militaires de ce temps n’en étaient pas davantage pourvus. Assurément, le chantier de construction que devait représenter cette ville nouvelle au milieu de la Germanie profonde, devait être privé de l’amoenitas (l’agrément) qu’on attend de la vie urbaine à la romaine… (fig. 93).
Fig. 93. – Restitution de la ville romaine de Waldgirmes.

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56Un autre très intéressant exemple, malheureusement moins bien connu dans le détail, nous est fourni par le cas de la ville neuve de Tongres (Belgique), capitale des Tungri, une nouvelle civitas artificiellement forgée par Rome sur l’ancien territoire des Éburons qui avaient été massacrés par César. Avec leurs restes, ceux des Atuatuques, eux aussi exterminés, et quelques petits peuples d’origine germanique, le pouvoir romain, sous Auguste, créa de toutes pièces un nouvel ensemble ethnique et politique auquel il fallait conférer une identité et un centre civique. Les fouilles menées dans la Kielenstraat ont ainsi permis d’observer la mise en place, sur un sol vierge, d’un réseau de voirie orthonormé, manifestement sous la direction de militaires, mais les premiers habitats qui s’y installèrent, à la suite des soldats, étaient clairement des maisons-étables de type germanique (« Wohnstallhäuser ») ! Cette première phase précoce est marquée par du matériel de l’horizon d’Oberaden (Vanderhoeven, 2001)58. Mais c’est seulement vers le milieu du ier siècle apr. J.-C. que les rues furent recouvertes de gravier et que s’installèrent de nouveaux types d’habitat « romanisés » (fig. 94). On perçoit ici toute l’ambiguïté du processus de la création urbaine dans une province, la Belgique, officiellement conquise depuis plus d’une génération.
Fig. 94. – Reconstitution des phases 2 (en haut) et 3 (en bas) de la Kielenstraat à Tongres.


D’après Vanderhoeven, 2001, fig. 8 et 9.
Fondations neuves et phénomènes de continuité
57Le cas bien connu de l’oppidum gaulois de Bibracte, abandonné au profit de la nouvelle ville gallo-romaine d’Autun, à l’époque augustéenne, a longtemps fourni aux historiens un modèle d’urbanisation conforme à la lecture des textes que nous avons cités. Le processus de « déperchement » de la capitale protohistorique fortifiée au profit d’une agglomération de plaine ouverte (ce qui n’est pas, en l’espèce, le cas d’Autun, qui reçut une enceinte) a constitué en effet le paradigme longtemps enseigné à des générations d’étudiants. Dans les faits, la question paraît infiniment plus complexe.
58Le plus beau contre-modèle que peut offrir aujourd’hui l’archéologie à cette théorie générale de la création urbaine, dans les nouvelles provinces romaines d’Occident, vient de la capitale des Gaules elle-même. Sous la fondation coloniale de Plancus (43 av. J.-C.), les fouilles préventives viennent en effet de révéler, juste au pied de l’enceinte augustéenne, l’existence d’un murus gallicus enfermant les nombreux vestiges protohistoriques progressivement mis au jour depuis une trentaine d’années59 ! La colonie romaine de Lyon ne fut donc pas une création urbaine ex nihilo, mais le réaménagement, il est vrai total, d’une agglomération protohistorique antérieure, dans un nouveau cadre juridique60. Le cas n’est toutefois pas isolé et l’on doit prendre en compte aujourd’hui plusieurs types de processus parallèles61 :
la continuité d’occupation in situ ;
les fondations de villes neuves à proximité d’oppida antérieurs ;
les déplacements.
59Environ un tiers des chefs-lieux de La Tène finale semblent ainsi avoir conservé leur rang à l’époque gallo-romaine. Mais il faut aussi compter sur nombre d’incertitudes, car on ne sait pas toujours bien localiser l’oppidum central des peuples de l’Indépendance62 ; en outre, différentes agglomérations ouvertes de l’époque gauloise ont donné naissance à des villes gallo-romaines, comme on va le voir. Ajoutons, pour finir, que l’état des recherches a sensiblement évolué et continue de s’enrichir à très grande vitesse. Les exemples qu’on va donner ici ne prétendent donc pas constituer des listes exhaustives mais un florilège de cas à peu près assurés par des fouilles récentes63.
60Dans la première catégorie (« continuité d’occupation ») on rangera quelques-unes des plus grandes villes de la Gaule romaine : Lyon, on l’a dit, Avaricum, Reims, Langres, Besançon, Bordeaux, Angers, Troyes, probablement Poitiers et Chartres. On y ajoutera des cas où l’occupation protohistorique est assurée sans qu’on ait nécessairement affaire à un oppidum central, comme à Saintes ou à Metz. Les très récentes découvertes d’Avenches prouvent aujourd’hui l’existence d’une occupation dense de La Tène finale sur les pentes de la ville médiévale et moderne, à l’ouest et au sud de celle-ci, assurant la continuité avec la capitale romaine, au prix d’un déplacement de quelques centaines de mètres seulement64. On notera encore le cas de Feurs (Forum Segusiavorum), une autre capitale de cité qui succède à une agglomération ouverte de La Tène finale. On voit avec ces deux derniers cas, ce que le nouveau réseau urbain doit à celui la Gaule indépendante65.
61Dans la seconde catégorie (« fondations de villes neuves à proximité d’oppida antérieurs »), on citera des villes comme Auch, Agen, Clermont-Ferrand, Soissons, Naix, situé au pied même de l’oppidum de Boviolles, au point qu’on pourrait faire entrer ce dernier exemple dans la catégorie précédente. Les déplacements réels, à l’image de celui de Bibracte vers Autun (19 km) ne constituent donc pas le modèle le plus fréquent. Amiens, à environ 11 km de La Chaussée-Tirancourt, Tours, à 25 kilomètres d’Amboise, Limoges, à 25 km de Villejoubert, Cahors, à 14 km de Murcens, Trèves, à plus de 60 km du Titelberg constituent probablement des cas particuliers plutôt que la norme, à supposer qu’un site protohistorique plus proche de la ville gallo-romaine n’ait pas jusqu’ici échappé à l’attention.
62Dans ce contexte, on doit aussi noter que le processus de création urbaine doit être suivi sur le temps long, ce qu’illustre parfaitement l’exemple de Langres, où le développement initial s’est effectué à partir d’un centre religieux de La Tène moyenne, nous l’avons rappelé ci-dessus66. Le cas de la ville romaine de Sens s’inscrit probablement dans le cadre d’un processus similaire qui voit le développement d’un grand sanctuaire (La Motte-du-Ciars), suivi de celui d’un oppidum tardif à une dizaine de kilomètres vers le sud (Le Château), avant un déplacement tout proche vers le nord jusqu’au site romain qui se définit ainsi comme une « ville neuve », mais héritière d’un pôle de peuplement ancien67.
63Ces quelques exemples montrent de manière éclatante que, en Gaule du Nord tout du moins, le nouveau réseau urbain mis en place après la conquête n’a jamais fait table rase du passé mais a respecté, quand c’était possible, la géographie humaine de l’époque précédente, et pas seulement, comme on le croit très souvent, à l’échelle des structures civiques. Sans doute une telle conclusion ne serait-elle pas identique pour la Bretagne romaine qui ne disposait pas d’un réseau d’oppida aussi fourni avant la provincialisation, sauf dans le Sud-Est du pays. En Gaule même, les différences régionales sont sensibles : dans tout le Nord du pays et sur ses marches rhénanes, les villes romaines sont toutes des créations ex nihilo. Il en va de même à l’ouest d’une ligne Bordeaux-Poitiers-Chartres-Paris-Reims où aucun oppidum ni agglomération de plaine ne s’est transformé en capitale de cité68. En cela, la réorganisation augustéenne a accentué des disparités régionales et des formes de développement politiques, économiques et sociales déjà nettes à la fin de l’âge du Fer, se contentant de réaménager à la marge les réseaux urbains protohistoriques quand ceux-ci ne correspondaient plus à ses besoins. Dans ce processus, les nouveaux axes stratégiques imposés par le poids et les besoins logistiques de l’armée de Germanie et que dessine le réseau routier d’Agrippa ont probablement joué le rôle essentiel. Il n’est certes pas toujours facile de le montrer dans le détail, mais on peut suivre, au moins pour le Centre-Est de la Gaule, les réflexions développées dans plusieurs enquêtes récentes69.
64Une carte dessinant la répartition des agglomérations laténiennes et romaines et celle des grands axes routiers au nord de Chalon peut servir à illustrer les mutations survenues dans cette région (fig. 95). Elle montre en effet que le réseau impérial relie les nouvelles capitales de cité mais laisse volontairement à part un certain nombre d’agglomérations prospères à la fin de l’âge du Fer : c’est le cas, en particulier de Senan, d’Alésia, de Tonnerre, d’Avrolles, ou, en plaine de Saône, de Verdun, de Seurre, de Losne. D’autres au contraire continuent d’être traversées ou tangentées par la voie romaine, comme Mirebeau, Avallon ou Auxerre. Mais le cas d’abandon le plus spectaculaire est celui de Bibracte. La nouvelle voie de l’Océan s’en détourne en effet, provoquant à la fois l’abandon de l’agglomération ouverte des sources de l’Yonne, où ne subsistera plus qu’un sanctuaire, et celle de l’ancienne capitale elle-même, alors que se créent deux nouvelles agglomérations sur le nouveau tracé, les Arbonnes et les Bardiaux. On comprend bien, s’agissant des Éduens, que la décision du déplacement n’était pas liée à des motifs purement politiques ; c’est la conséquence d’une position géographique qui ne concordait plus avec les priorités stratégiques de l’Empire, ou, plus simplement, avec les nouvelles réalités économiques. Perchée sur le Mont Beuvray, à l’écart des nouveaux axes routiers, l’ancienne capitale était condamnée, ce qui n’a rien à voir avec une défiance sécuritaire des autorités romaines ou à une décision d’effacer la mémoire du passé gaulois.
Fig. 95. – Le tracé des voies du réseau d’Agrippa et le réseau urbain préexistant dans le Centre-Est de la Gaule.

D’après Kasprzyk et Nouvel, 2011, p. 37.
Capitales de cité et urbanisation
La carte ci-jointe (fig. 96), traditionnelle dans tout ouvrage consacré à la Gaule, permet de visualiser le réseau des capitales de cité, au début de l’Empire, mais elle nécessite un certain nombre de commentaires car elle illustre parfaitement les ambiguïtés qu’un tel document peut comporter, en même temps qu’elle permet d’apprécier l’état réel de nos connaissances et les difficultés de la recherche. Pour bien comprendre le propos, il convient de la comparer avec une carte partielle comme celle de la fig. 95 ou la carte régionale de la Belgique et de la Germanie supérieure (fig. 147).
On doit remarquer, en premier lieu, que la localisation même de toutes les capitales de cité n’est pas connue avec certitude. C’est le cas, par exemple, des Unelles, dans la Manche, où plusieurs sites de type urbain sont candidats (Carentan, Coutances, Valognes). On voit ainsi surgir un autre problème : quand telle ou telle ville est-elle devenue capitale ? La question se pose notamment pour le couple Naix/Toul, chez les Leuques. Apparemment, Naix, qui succède directement à l’oppidum de Boviolles, fut sans doute le siège initial de l’administration, mais on suppose que Toul lui a succédé, sans que l’on sache bien à quelle date précise se fit le transfert. Sur la acarte présentée ici figurent donc les deux sites, sans qu’on soit en mesure de trancher pour l’époque julio-claudienne. En Germanie, la question est compliquée, car certaines cités – donc leur capitales – ont été créées tardivement : c’est le cas de Voorburg, chez les Canninéfates, ou de Xanten, colonie romaine de Trajan, qui n’est donc pas représentée ici. Une autre agglomération importante, celle de Mayence, siège du gouverneur de Germanie supérieure, appartenait à un autre registre et n’a pas eu d’administration autonome puisqu’il n’y avait pas de cité qui s’y rattachât, au moins jusqu’à la fin du iiie siècle. On ne sait pas précisément quand des agglomérations militaires comme Worms et Speyer, nées au pied des camps, ont vu leur statut évoluer. On pourrait multiplier les exemples des difficultés que l’on rencontre, lorsqu’on veut dresser une carte fidèle de la réalité à un moment précis.
Une autre inconséquence serait de considérer ce document comme le reflet du réseau urbain réel de la Gaule. Or il ne ne comprend pas les « agglomérations secondaires », à la différence de la carte de la Belgique et des Germanies (fig. 147), qui représente l’état actuel de nos connaissances et associe les capitales de cités et les autres agglomérations. Mais elle se fonde sur une enquête régionale précise et minutieuse, dont il n’existe pas d’équivalent pour les autres provinces, en l’état actuel de la recherche. La densité du maillage urbain était donc beaucoup plus importante que ne laisse supposer notre document global. En outre, on l’a dit, la situation a beaucoup évolué car les « agglomérations secondaires », tout comme les capitales de cité, ont chacune leur histoire propre. Elles ne sont pas toutes apparues en même temps, certaines étant le fruit d’un héritage protohistorique, d’autres ayant émergé progressivement sous l’Empire. Au total, on doit retenir l’idée que l’urbanisation de la Gaule fut un processus lent et progressif dans lequel le poids du passé laténien a joué un rôle fondamental. La densité du réseau urbain effectif, à l’époque romaine, ne saurait donc être représentée par les seules agglomérations auxquelles les historiens accordent traditionnellement le qualificatif de « villes ».
Fig. 96. – Carte montrant la localisation des capitales de cité dans les Trois Gaules et les Germanies à l’époque julio-claudienne.

65Il reste que les grandes rocades nouvelles ne représentent pas tout le réseau : subsistent en effet des voies plus anciennes, comme celle de Langres à Naix/Boviolles qui permit à la capitale des Leuques de connaître dans un premier temps une réelle prospérité ; elle se trouve à l’écart du grand axe direct Langres-Metz-Trèves-Cologne, avant que la polarisation exercée par la voie ne conduise ultérieurement à transférer le chef-lieu de la civitas à Toul. Mais on comprend aussi, au vu de cette carte, pourquoi certaines villes d’origine protohistorique comme Chalon, Besançon, Langres ont vu leur rôle maintenu, voire accru, tandis que d’autres, comme Bibracte, l’ont perdu au profit d’agglomérations nouvelles destinées à les remplacer
Les rythmes du nouveau développement urbain
66Les oppida protohistoriques n’ont pas disparu du jour au lendemain avec la conquête césarienne. On a pu classer leur développement historique en cinq phases successives dont seules les deux dernières nous intéressent ici : la phase 4 se situe dans la seconde moitié du ier siècle av. J.-C., la phase 5 correspond à la période augusto-tibérienne70. Il est intéressant d’observer, sur les fig. 97 a et b, la persistance des formes de l’occupation protohistorique de la Gaule du Nord jusqu’à l’époque tibérienne, soit pendant environ trois à quatre générations après la conquête césarienne. Ce phénomène n’est évidemment pas un détail historique et il n’est pas limité à une région particulière. Il montre que la création des villes neuves augustéennes ne répondait pas à un besoin de déplacer autoritairement des populations depuis leur ancien centre de pouvoir et que les nouvelles fondations urbaines ont pu s’accommoder très longtemps de la persistance des formes d’occupation ancestrales, dont certaines étaient d’ailleurs en pleine mutation.
Fig. 97. – Carte des agglomérations ouvertes et fermées de facies laténien.


a = phases 3 et 4, du début du ier siècle av. J.-C. aux années 20 ; b = phase 5, de +/– 15 av. J.-C. à milieu du ier siècle apr. J.-C. Triangles = sites ouverts ; points = sites fortifiés (en noir = certains, en blanc = possibles). Colin, 1998, fig. 40 et 41, avec la liste détaillée.
67L’exemple le plus connu et le mieux étudié est sans doute celui des domus de Bibracte (fig. 98)71. Leur caractère typiquement romain avait déjà été souligné au xixe siècle par J.-G. Bulliot, leur découvreur, moyennant une méprise chronologique qui faisait considérer ces demeures comme antérieures à la conquête et conclure ainsi à une romanisation très précoce des Éduens. La reprise des fouilles à partir des années 1980 a permis d’observer, sous la maison PC1, la présence d’une domus dite à l’opus spicatum – une technique italienne caractéristique – construite autour de 30 av. J.-C., abandonnée vers le tournant de l’ère et remplacée par une terrasse. S’installe ensuite, dans la première décennie apr. J.-C. ou au plus tard au début de la suivante, une très grande maison à atrium et péristyle (PC1) qui ne déparerait pas à Pompéi. Son abandon se situe vers 30 apr. J.-C., soit bien après la fondation d’Autun72. La multiplicité de ces demeures aristocratiques sur l’ancien oppidum des Éduens montre bien qu’il ne s’agit pas, dans le cas de la PC1, d’un phénomène exceptionnel et isolé. On en retrouve d’ailleurs un exemple similaire à l’autre bout de la Gaule chevelue : sur l’oppidum de Roquelaure-La Sioutat, qui précèda la ville d’Auch, chez les Ausques, la construction d’une domus à cour centrale de type italien, aux alentours de 20 av. J.-C., illustre le dynamisme des anciennes capitales de la fin de l’âge du Fer en pleine époque augustéenne. Les lieux seront occupés jusque sous Tibère et on peut observer un phénomène similaire sur l’oppidum de Vieille-Toulouse, en Narbonnaise cette fois73.
Fig. 98. – Plans comparés des grandes domus de Bibracte.

Labaune et Meylan, 2011, p. 110.
68La question des aménagements publics est en revanche plus complexe. Le cas le plus souvent cité est celui de la « basilique » de Bibracte, un édifice à colonnes daté de la décennie 40-3074. Le plan (fig. 99) peut certes s’accommoder en apparence d’une telle interprétation, malgré la taille trop modeste de l’édifice. Mais son abandon, vers 20 av. J.-C., et son remplacement par une domus privée, l’absence de forum proche, dans l’état actuel de nos connaissances archéologiques, ne plaident guère en faveur de cette hypothèse qui a été fort débattue et à juste titre contestée75.
Fig. 99. – Plan schématique restitué de la « basilique » de Bibracte.

Szabó et al., 2007.
69Il n’est pas a priori exclu, pour autant, que des centres publics aient été construits dans les anciens oppida destinés à devenir les capitales des cités gallo-romaines mais la question de leur datation se pose. D’une manière plus générale, la chronologie de cette transformation et de l’émergence des villes nouvelles constitue une question historique fondamentale, qu’un récent numéro de Gallia contribue aujourd’hui à éclairer de manière plus précise76. Faisant le bilan des connaissances actuelles sur dix-huit capitales de cités, suffisamment bien documentées archéologiquement pour que la chronologie de leurs débuts puisse être appréhendée de manière raisonnable, ce dossier montre que les nouvelles formes urbanistiques, caractérisées par un réseau viaire orthonormé et la présence d’un centre public destiné à la vie municipale selon la pratique romaine, n’apparaissent guère avant les dernières années qui précèdent le changement d’ère, soit après le second séjour d’Auguste en Gaule, parfois même beaucoup plus tardivement, comme dans le cas du Mans. Ajoutons-y celui d’Avenches, qui a fait l’objet d’une synthèse récente77, ainsi que ceux de Paris78 et de Limoges79. Le tableau suivant rassemble les principaux arguments en faveur de cette démonstration :
Tableau 4. – Indices chronologiques de la mise en place de différentes capitales de cités en Gaule.
Ville | Origine protohistorique | Enceinte romaine | Datation de la voirie | Datation des premiers monuments publics connus |
Amiens | – 1 : voie d’Agrippa – 2 : schéma directeur augustéen ? – 3 : 1er réseau viaire connu archéologiquement vers le milieu du ier siècle apr. J.-C. | |||
Angers | x | années 20-30 apr. J.-C. | Décor architectural, vers 15 av. J.-C/ tournant de l’ère | |
Auch | x | 1e moitié du ier siècle apr. J.-C. | vers 30 apr. J.-C | |
Autun | x | – 1es traces vers le tournant de l’ère – carroyage définitif augusto-tibérien | ? | |
Avenches | x | Première datation assurée des îlots vers 6-7 apr. J.-C. | Phase augustéenne non perçue. Datation tibérienne assurée | |
Bordeaux | x | – 1er système viaire vers 30-25 av. J.-C. – 2e système viaire dans la première décennie apr. J.-C. | julio-claudien ? | |
Chartres | x | x | « augustéen » | ier siècle apr. J.-C. |
Cologne | x | dernières années du ier siècle av. J.-C. (horizon ancien de Haltern) | Ara Ubiorum vers 8/7 av. J.-C. ? Monument des Ubiens = 4 apr. J.-C. | |
Langres | x | ? (portes tardo-augustéennes) | ? | |
Le Mans | entre 30 apr. J.-C. et les années 60-70 | Années 30 apr. J.-C. | ||
Limoges | x | entre 15 av. J.-C. et tournant de l’ère | Forum flavien connu | |
Metz | x | ? | ? | |
Nimègue | fossé | début 2e décennie av. J.-C ? | Autel à Tibère vers 17-19 ? | |
Paris | – TAQ du cardo en 4 apr. J.-C. | Premiers monuments publics vers fin du 2e tiers du ier siècle | ||
Reims | x | x | – 1er système viaire – 2e système viaire un peu avant15/10 av. J.-C. | monument (autel ?) aux princes de la Jeunesse |
Rennes | extrême fin ier siècle av. J.-C. | bâtiment en bois antérieur aux chaussées, postérieur à 19-16 av. | ||
Saintes | TAQ : fin Auguste/début Tibère | Décor architectural tardo-augustéen | ||
Sens | x (agglomération ouverte et sanctuaire) | avant Tibère | un monument (autel ?) aux princes de la Jeunesse | |
Toulouse | x | Horizon tardo-augustéen/tibérien | début ier siècle apr. J.-C. | |
Trèves | – pont daté en 18-17 av. J.-C. – Horizon de Haltern | monument (autel ?) aux princes de la Jeunesse | ||
Troyes | x (agglomération ouverte) | – organisation parcellaire dans le dernier quart du ier siècle av. J.-C. – voirie entre – 5 et 20 | ? |
70On s’est longtemps étonné de constater un hiatus chronologique significatif (une génération) entre ce qui semblait être l’abandon de Bibracte, d’abord située vers 15 av. J.-C. et les débuts d’Autun, qui ne sont guère attestés avant les années qui encadrent la mort d’Auguste et l’avènement de Tibère. Ce hiatus s’est peu à peu réduit et on accepte aujourd’hui l’idée d’une déprise graduelle de l’oppidum et d’une transition par étapes successives80. Mais le cas n’est plus isolé et on constate que, bien souvent, la mise en place du nouveau système carroyé s’avère plus tardive qu’on ne l’a cru généralement, parfois même au-delà du règne d’Auguste. Le cas le plus disputé est sans doute celui de Trèves, longtemps considéré comme une création précoce liée à la construction du pont, en 18-17, alors que la mise en place effective du réseau viaire n’est pas datée avant l’horizon céramique de Haltern, à partir de 6-5 av. J.-C.81. Même si on veut absolument envisager l’hypothèse d’une fondation ancienne distincte des débuts effectifs de la ville, c’est la réalité de l’occupation humaine qui nous importe ici et le cas trévire est encadré dans ce dossier de Gallia par toute une série d’autres exemples similaires qui se renforcent les uns les autres. S’agissant de Besançon, dont la phase de transition reste mal connue, la dernière synthèse disponible avait montré un passage graduel de la ville gauloise à la ville romaine, le facies architectural restant très indigène jusque sous le règne de Tibère au moins82. On perçoit toutefois, à travers le cas de Reims, mieux documenté, ce qu’a pu être cette phase de transition qui échappe le plus souvent à l’observation archéologique. On y rencontre en effet un premier maillage, apparemment orthogonal, dans les limites de l’enceinte protohistorique, mais décalé par rapport au réseau viaire ultérieur de la ville gallo-romaine. Différentes caves, qui succèdent à un état de LTD2a, ont ainsi été rebouchées dans la première partie du règne d’Auguste, avant d’être elles-mêmes recouvertes d’un remblai en craie qui porte les chaussées du carroyage augustéen, installé apparemment vers 15-10, une date très précoce par rapport à bien d’autres exemples. Différents agencements montrent ainsi une expansion urbaine rapide, peut-être accompagnée d’un afflux de population83. L’exemple rémois, comparé à d’autres villes de Gaule, comme Autun ou a fortiori Le Mans, prouve ainsi que le rythme de l’essor urbanistique n’a pas été partout identique (il y a au moins une génération entre ces différents cas) même s’il répond à un mouvement d’ensemble qui consiste désormais à structurer les villes de Gaule conformément à un schéma commun.
71L’extension effective de l’assiette urbaine, au tout début de l’Empire, n’est pas toujours aisée à déterminer et peu de chercheurs se sont attachés à cette question, faute de données concrètes fiables et bien datées. Le plus souvent, en effet, on se contente de projeter sur cette époque précoce les informations, beaucoup plus nombreuses, dont on dispose pour les agglomérations du iie siècle ou de la première moitié du iiie siècle. Mais, ce faisant, on fausse évidemment l’appréciation qu’on peut porter sur cet urbanisme primitif des capitales de la Gaule du Nord.
72Un excellent exemple de ce phénomène nous est fourni par le cas d’Amiens. Dans une étude qui a fait date, D. Bayard et J.-L. Massy avaient, en 1983, émis l’hypothèse de deux carroyages successifs, l’un fondé sur le pes drusianus, d’une extension d’environ 30 à 40 ha à l’époque augustéenne, l’autre, créé vers la fin du ier siècle (?) à partir d’un module plus grand, donnant alors à la ville une superficie de 210 ha84. On estime en revanche aujourd’hui que ce premier carroyage n’est pas attesté archéologiquement, ce qui nous empêche de mesurer l’assiette urbaine réelle des débuts d’Amiens85. L’avenir résoudra probablement cette question, mais on voit, dans ce cas précis, combien notre appréciation de la réalité urbaine peut être sujette à variations. Nous risquerons toutefois un tableau des superficies attestées (à ce jour) dans quelques capitales. Le tableau présenté ci-contre n’a pas vocation à être exhaustif mais à offrir quelques exemples utiles à commenter86.
73Ces quelques chiffres, dont on doit rappeler qu’ils résultent le plus souvent d’estimations, notamment pour la phase précoce, permettent d’observer différents phénomènes. On constate tout d’abord que les surfaces occupées ont le plus souvent progressé dans le temps, ce qui est normal et constitue un signe tangible de croissance, mais le phénomène est souvent difficile à cerner de manière précise. Il doit être relativisé dans les cas où les agglomérations se sont installées dans des enceintes conçues d’emblée comme trop vastes, comme à Autun, à Reims ou à Chartres, trois cités fédérées qui ont peut-être voulu faire ainsi la preuve de leur prestige. À Autun, notamment, existaient de nombreux espaces vides, peut-être encore ruraux, dans le périmètre de la muraille augustéenne.
Tableau 5. – Superficie estimée de quelques capitales de cité au début de l’Empire.
Ville | Superficie initiale (ha) | Superficie max. (ha) | Base de l’estimation |
Auch | 20 | 30/35 | Réseau viaire/Surface bâtie |
Toulouse | 90 | 90 | Enceinte tibérienne |
Bordeaux | 10 | 60 | Réseau viaire/Surface bâtie |
Saintes | 50 ha (milieu ier siècle) | ? | Réseau viaire/Surface bâtie |
Rennes | 80/90 ? | 80/90 | Réseau viaire/Surface bâtie |
Angers | 70 | 90 | Réseau viaire/Surface bâtie |
Le Mans | 30 | 80 | Réseau viaire/Surface bâtie |
Chartres | 60/85 | 300 (grand fossé) | Réseau viaire/Surface bâtie |
Amiens | 30/40 ? | 160 | Réseau viaire/Surface bâtie |
Reims | 500 | 500 | Grand fossé |
Metz | ? | 120 | Réseau viaire/Surface bâtie |
Autun | 200 | 200 | Enceinte |
Langres | 50 | 80/90 | Réseau viaire/Surface bâtie |
Sens | ? | 110 | Réseau viaire/Surface bâtie |
Troyes | ? | 95 | Réseau viaire/Surface bâtie |
Trèves | 72-80 ? | 290 | 290 = superficie maximale dans l’enceinte |
Cologne | 96 | 96 + faubourgs | Enceinte |
Nimègue | 22 | ? | Fossé/enceinte |
Avenches | 50/60 | 230 (enceinte) | 1 : Réseau viaire/Surface bâtie ; 2 : enceinte |
N. B. : Toulouse est juridiquement en Narbonnaise. Elle figure dans ce tableau à titre de comparaison.
74On observera aussi que le privilège colonial ne se traduit pas par des villes plus vastes : Nyon, colonie romaine, ne dépasse guère 16 ha, si l’on en croit sa superficie carroyée ; Augst, dans son premier état, se contente d’environ 37 ha. Fondée d’emblée sur une assiette de 96 ha, Cologne, au moment de sa promotion coloniale, sous Claude, reste enfermée dans ses remparts augustéens mais commence rapidement à les déborder, signe visible de sa vitalité démographique et économique.
L’urbanisme public, signe visible d’un changement des pratiques politiques
75Il nous manque bien souvent, pour apprécier la réalité et la chronologie des changements urbanistiques, mais aussi de leurs implications politiques et sociales, de connaître la date de création du centre public. L’exemple de Waldgirmes constitue en effet, dans l’état actuel de nos connaissances, le paradigme du processus de création des villes neuves, et on voit bien, dans ce cas précis, que c’est le forum, même dans sa forme la plus simple d’un espace seulement délimité, qui constitue l’élément primordial de la cité, une fois l’enceinte tracée. Il est lié, en effet, à l’expression d’une pratique politico-religieuse typique de la société romaine, même si le droit municipal de la nouvelle entité n’est certainement pas celui d’une colonie ou même d’une communauté latine.
76Cet exemple vient aussi opportunément nous rappeler qu’il existait initialement des fora de bois dans ces villes nouvelles. Ce n’est d’ailleurs pas le seul exemple connu dans le monde romain : dans la colonia Dacica Sarmizegetusa, fondée sous Trajan, le forum primitif avait en effet été construit en bois87. On soupçonne le même phénomène à Augst88 et on peut supposer sans trop de risque que le cas a dû se produire assez souvent, sans que nous en ayons conservé beaucoup de traces archéologiques, faute de fouilles récentes sur les niveaux anciens des centres publics. On doit rappeler à ce propos que, même dans l’Italie républicaine, les premières formes de la municipalisation ne se laissent pas aisément appréhender de manière visible par la mise en place immédiate d’un complexe public monumental. Ainsi, la Cisalpine, autrefois province romaine, avait reçu le droit latin en 89, avant d’être intégrée dans l’Italie et la cité romaine en 49 av. J.-C. par une lex Roscia qui avait alors seulement déclenché de facto le vrai processus de municipalisation. Pourtant la phase de création effective des centres publics monumentaux ne semble guère antérieure au règne d’Auguste, du moins dans l’état actuel de nos connaissances archéologiques89. On a un peu de peine à croire, évidemment, que les décurions de ces villes nouvelles ne se réunissaient pas avant cette époque, faute de lieu adéquat ; peut-être faut-il penser qu’ils se contentaient tout simplement des cellae des temples. Rappelons en effet qu’à Rome même, le Sénat, sous la République, ne s’assemblait pas nécessairement dans la Curia Hostilia mais dans différents endroits inaugurés, par exemple au temple de Jupiter Stator (Cicéron, Cat. I, 1), dans celui des Castores (Cicéron, Verr. I, 129) ou celui de la Concorde (Cicéron, Cat. III, 21), celui de Fides (Appien, BC I, 16) voire au théâtre de Pompée (Appien, BC II, 115). La liste est loin d’être exhaustive.
77Il n’est donc pas toujours aisé de trancher quand nous constatons un retard significatif dans la mise en place des nouveaux centres urbains : s’agit-il d’une simple lacune de nos connaissances archéologiques ou d’un processus politique différé, correspondant à une forme de « romanisation » plus lente en Gaule du Nord qu’on ne l’a cru pendant longtemps ? Il est malaisé de répondre à cette question, faute de cas bien documentés. Mais on doit observer qu’à Amiens, la fouille du forum, sous le Palais des Sports, a montré que le premier état qu’on saisit archéologiquement ne remonte guère avant le milieu du ier siècle de n. è., et il est en effet construit en matériaux périssables90. À Bavay, en revanche, on édifiait vers la même époque le premier forum en pierre91. À Auch, capitale d’une cité latine, la construction du forum est située vers 30, après arasement d’un quartier d’habitat92. Chaque communauté a donc répondu de manière distincte à ces nouveaux besoins urbanistiques, ce qui implique, d’une cité à l’autre, des niveaux différents de richesse économique, de structuration sociale et d’intégration politique. Même si, à nos yeux de Modernes, la mise en place du nouvel urbanisme romain constitue un mouvement d’ensemble, sa réalisation effective n’a sans doute pas été homogène et elle a pu s’étaler dans le temps, jusqu’à un siècle après la conquête césarienne, soit quatre générations. Dans le monde de la Gaule du Nord, l’existence d’un centre public monumental n’a probablement pas été d’emblée strictement nécessaire à l’exercice d’une vie publique encore très marquée par les traditions locales, ce qui suppose une adoption très progressive des formes romaines de gouvernement local.
78Le cas de Limoges soulève en revanche d’importantes questions. La capitale romaine des Lémovices, installée sur la rive droite de la Vienne, semble en effet avoir été créée ex nihilo, dans la dernière décennie av. n. è., près d’un carrefour entre la voie Lyon-Saintes et une rocade menant à Poitiers. Les dernières fouilles montrent l’existence d’un fossé bordé d’un rempart interne qui pourrait englober une superficie de 114,5 ha. Certes la chronologie de ce fossé reste quelque peu incertaine, faute de matériel datant, mais l’hypothèse d’une mise en place en même temps que la voirie, dont il respecte l’orientation, paraît raisonnable. La présence d’une enceinte périphérique n’est pas isolée : on la retrouvera dans différentes capitales comme Autun, Reims, Chartres, le cas de Langres étant incertain. Dans ces différents cas, il s’agit de villes fédérées et ce statut privilégié d’allié de Rome peut justifier à lui seul la présence d’un rempart. Dans le cas de Limoges, cité pérégrine, on est surpris de constater la présence de cette limite considérée par les fouilleurs comme celle d’un pomerium, sans fonction défensive ; l’explication est toutefois peu convaincante car il ne saurait y avoir de pomerium dans une agglomération qui, par définition, n’était pas romaine ni soumise aux rites religieux en vigueur dans l’Urbs93. Ceci cadre d’ailleurs assez mal avec la présence, au centre de l’espace urbain, d’un temple indigène de facture très ancienne, même si sa datation paraît archéologiquement cohérente. Celui-ci est en effet entouré sur trois côtés seulement d’un fossé accompagné d’un talus externe qui, cette fois, ne semble pas avoir été doté d’un système défensif. La plate-forme du sanctuaire est caractérisée par une fosse centrale, protégée peut-être par un appentis de bois, selon le modèle de Gournay. Ce complexe cultuel de tradition indigène, installé pratiquement au centre géométrique de la nouvelle capitale des Lémovices, près du futur forum de la ville, daté de l’époque flavienne, étonne grandement, mais sa fonction religieuse est indubitable. Elle est d’ailleurs attestée par différentes fosses contenant des offrandes, des résidus de sacrifices et probablement de banquets collectifs, par des inscriptions en latin et en gaulois.
79Il est possible, bien entendu, qu’un premier forum en bois ait jusqu’à présent échappé aux recherches archéologiques et qu’on puisse restituer un jour un scenario de développement urbain plus conforme à ce que nous pensons devoir être celui d’une capitale de cité romaine. On doit constater, pour l’heure, que cette situation a duré jusqu’à la fin de l’époque tibérienne, date à laquelle système défensif périphérique et sanctuaire indigène furent supprimés94.
Le nouveau cadre de vie
80Il n’est pas superflu de se demander, à ce stade de la réflexion, à quel rythme s’est imposé en Gaule du Nord le cadre de vie considéré comme typique de la Romanité, les thermes, les théâtres et les amphithéâtres, les formes de l’habitat… Assez curieusement, cette question n’a, semble-t-il, jamais fait l’objet de synthèses érudites, de sorte qu’on en est réduit à s’appuyer sur quelques exemples récemment fouillés pour se contenter de dégager des tendances.
Les thermes
81On parle ici des édifices publics, destinés à toute la population urbaine, non des bains privés, qui relèvent du confort au sein de l’habitat de haut statut social. Il est caractéristique que l’enquête menée sur les dix-sept capitales de cité du dossier de Gallia livre très peu d’indices. Le cas le plus ancien semble être celui du balnéaire des 10-12 rue Delaâge à Angers, daté entre 20 et 30 de n. è. Il est cohérent avec le développement de la voirie dans ce secteur95. On trouve d’autres exemples précoces à Avenches, l’un dans l’insula 19, au sud-ouest, l’autre dans l’insula 23, près du forum96. Dans cette dernière, la fouille a mis en évidence un ensemble thermal dont les fondations reposent sur des pieux coupés en 29 de n. è. Mais, dans le premier cas, la destination publique du complexe tibérien ne semble pas totalement assurée. À Bordeaux, les thermes de la rue des frères Bonie sont pour leur part attribués au milieu du ier siècle97. Il en va de même du plus ancien état des Frauenthermen, au sud du théâtre d’Augst98.
82Ces rares datations à peu près assurées sont, on le voit, relativement tardives. Cette constatation n’est guère étonnante puisque la construction des bâtiments publics semble toujours suivre la mise en place de la voirie, qui n’est pas elle-même nécessairement très précoce. C’est pourquoi on se permettra ici de suspecter les chronologies très hautes des complexes thermaux de Bourges, rue de Sérancourt, attribués à l’époque augustéenne ou du forum de Saint-Bertrand-de-Comminges, dont la chronologie remonterait à la fin du ier siècle av. n. è.99. Ces datations sont certes possibles mais demanderaient à être vérifiées précisément au vu du contexte fourni par le matériel archéologique. Rappelons à ce propos que les camps légionnaires, pourtant peuplés d’Italiens, ne comprenaient pas avant Claude d’ensembles thermaux intérieurs à l’enceinte, pour limiter les risques d’incendie au milieu de ces vastes ensembles construits en bois.
Les édifices de spectacle
83Les premiers théâtres en Gaule – un signe certain du changement culturel – apparaissent dans le Midi, en Arles ou à Orange, ou, pour la Gaule du Nord, à Lyon100. C’est au pied même de cette colonie qu’apparaît aussi le premier amphithéâtre, offert par un notable santon au sanctuaire de Rome et d’Auguste en 19 de n. è. (ILTG 217). Des gladiateurs sont mentionnés à Autun en 21 (Tacite, Annales III, 43) alors même que le bâtiment pour les accueillir n’était pas encore construit, ce qui implique que les jeux pouvaient avoir lieu dans le forum, comme ce fut longtemps le cas à Rome qui n’eut pas d’amphithéâtre en pierre avant le Colisée, sous Vespasien, ou dans un édifice de bois. Cette pratique d’édifices de spectacle en bois est d’ailleurs bien attestée en Gaule pour le théâtre de Feurs (CIL XIII, 1642). La construction en dur apparaît toutefois dès les années 30 à Périgueux (CIL XIII, 11045 a et b) et à Saintes (CIL XIII, 1038), et la mode des théâtres, qui sont aussi des lieux de rassemblement, s’étend ensuite aux sanctuaires et aux agglomérations « secondaires ». On doit toutefois se demander si toutes les capitales de cité ont été dotées précocement d’un théâtre. À Augst, par exemple, le premier état du monument n’est pas antérieur à l’époque flavienne mais il se peut naturellement qu’un édifice de bois, situé ailleurs, ait échappé jusqu’à maintenant à l’attention101.
L’habitat
84Les transformations de l’habitat constituent un critère fondamental quand on veut mesurer la rapidité de l’acculturation romaine car elles touchent à la sphère privée et ne sont pas directement contrôlées par les autorités municipales ou le pouvoir romain, à la différence des monuments publics. On peut s’attendre, naturellement, à ce que l’habitat populaire reste marqué par les traditions indigènes, comme c’est le cas à Saintes102 ou à Autun103, mais l’apparition de demeures aristocratiques répondant à des canons italiens constitue un bon marqueur de l’évolution culturelle dans les villes de la Gaule romaine.
85On a déjà vu le cas de Tongres, ville nouvelle où la mise en place du carroyage augustéen fut suivie par la construction de maisons-étables de tradition germanique ! Les premières demeures romanisées n’apparurent pas avant un bon demi-siècle dans cette ville nouvelle. On observe un phénomène voisin à Amiens, où la fouille du Palais des Sports a montré, à l’intérieur d’un lotissement que l’on peut situer autour du changement d’ère, un premier état fait de constructions en bois de la première moitié du ier siècle qui ne sont guère autre chose qu’un habitat de type indigène (fig. 100)104. Les fouilleurs y reconnaissent des caractères ruraux au sein de la ville nouvelle, une interprétation qu’il faut peut-être nuancer au vu du mobilier archéologique mis au jour, mais intéressante105. Vers le milieu du siècle l’ensemble fut nivelé et les premières maisons en dur, ou partiellement en dur, de type romain à cour interne, n’apparurent que vers 60-70. C’est à un schéma de développement voisin qu’il faut aussi conclure pour Arras106. À Paris, le premier habitat, assez modeste, semble dater de la fin du règne d’Auguste ou du début du règne de Tibère ; une restructuration est là aussi perceptible à partir du milieu du ier siècle, avec des constructions à pans de bois107.
Fig. 100. – Plan de la phase I du chantier du Palais des Sports (a) et restitution (b).

a : plan d’après Binet, 2007 ; b : Maquette d’Amiens, site du Palais des sports/le Coliseum, État I, 1re moitié du ier siècle apr. J.-C., échelle 1/87, construite par Jean-René Châtillon, collection du musée de Picardie, Amiens.
Photo Irwin Leullier/musée de Picardie.
86À l’inverse, la romanisation des formes architecturales et du décor semble précoce à Bordeaux où les fouilles menées rue du Hâ ont révélé l’existence d’une domus caractérisée par un décor de 3e style pompéien (sur des parois en torchis) et des sols en opus tessellatum et opus signinum, avec un oecus à décor géométrique108. Troyes, pourtant une ville modeste, a livré les restes d’une maison décorée elle aussi avec des peintures de 3e style109. À Avenches, l’habitat reste marqué par des constructions en terre et en bois jusque vers le milieu du ier siècle de n. è., mais l’existence de maisons à péristyle est attestée à la même période110. À Reims, enfin, capitale provinciale, la « maison de Muranus » a livré les vestiges d’une peinture attribuable à la fin du règne d’Auguste111. Les restitutions de l’évolution du quartier de la rue de Venise révèlent en revanche l’existence d’un habitat plus modeste qui emprunte encore beaucoup aux techniques traditionnelles en bois avant que n’apparaissent les carreaux de terre dans le deuxième quart du ier siècle112.
87Cette rapide enquête, nécessairement incomplète, montre que l’évolution du cadre de la vie privée, comme celui de la vie publique, offre une image plus nuancée qu’on ne le pensait et que ces nouvelles villes « romaines » semblent être restées longtemps « gauloises » dans la réalité, mais à côté de riches demeures dont le décor peint selon un style italien révèle une acculturation de leurs propriétaires.
88Comment conclure d’une manière tranchée ? Il est évident que nos connaissances archéologiques, très lacunaires sur ces périodes hautes, notamment en milieu urbain, pèsent sur nos interprétations historiques. On pourrait opposer, par exemple, la richesse et la romanisation des demeures de Bibracte, jusqu’en pleine époque tibérienne, et l’absence d’un habitat de même nature à Autun. Mais les lacunes de notre documentation ne sont-elles pas ici en cause ? Pour autant, on ne peut pas occulter certains faits qu’on observe un peu partout en Gaule du Nord : une mise en place des nouveaux centres urbains un peu plus tardive qu’on ne l’a cru très longtemps, suivie d’une densification plus lente qu’on ne l’imaginait, avec un retard évident dans l’équipement public (thermes et édifices de spectacle), hormis le forum. Il y a certes des exceptions. Mais, d’une manière générale, on doit admettre aujourd’hui – toutes les enquêtes archéologiques récentes vont dans cette direction – une « romanisation » très progressive de ces villes nouvelles dont la croissance réelle démarre véritablement dans la seconde moitié du ier siècle de n. è., soit un bon siècle après la conquête. Encore faut-il sans doute compter avec des différences sensibles d’une ville à l’autre : on opposera volontiers ici le cas de Reims, ancien oppidum gaulois devenu capitale de la province de Belgique et qui connaît des mutations multiples, rapides et précoces, à celui d’Amiens, une ville neuve dont le développement paraît beaucoup plus lent, au vu de nos connaissances actuelles. Il est bien clair que, dans le premier cas, le dynamisme du début de l’époque romaine ne repose pas seulement sur la décision politique d’installer à cet endroit le gouvernement de la province, mais sur l’existence d’une agglomération antérieure et d’une aristocratie locale puissante. Le nouveau pouvoir s’est manifestement appuyé sur les forces déjà existantes, comme c’était normal. Il faut sans doute compter aussi avec le degré d’acculturation des élites de la fin de l’âge du Fer, dont nous avons vu qu’il pouvait être assez différent d’une cité à l’autre et dont l’intégration dans les nouveaux cadres romains a probablement été inégal.
Ces agglomérations qu’on appelle « secondaires »
89Le terme d’agglomérations « secondaires » n’est apparu dans la littérature archéologique que dans les années 1980. Il s’agissait alors de désigner toute une série d’habitats groupés, dont on découvrait progressivement l’importance, situés hiérarchiquement à un niveau inférieur à celui des capitales de cités. Les fouilles de Bliesbruck, en Moselle, les travaux de l’équipe qui travaillait alors en Franche-Comté autour de Michel Mangin ainsi que deux colloques fondateurs ont marqué les débuts de cette recherche toujours en plein développement aujourd’hui113. L’adjectif « secondaires », qui n’était pas péjoratif à l’origine, a, depuis lors, donné lieu à une querelle sémantique parfois vive dont il n’est pas indispensable de rappeler ici les détails114. Mieux vaudrait sans doute l’abandonner aujourd’hui, tout autant que le vocable latin de vicus. Ce dernier, apparemment plus précis car plus technique, est d’usage courant dans la littérature scientifique de langue allemande pour désigner, souvent de manière erronée, une réalité archéologique trop diverse pour s’accommoder d’un seul et même concept administratif antique, même si l’usage qu’en faisaient les Romains eux-mêmes devait être plus lâche qu’on ne veut bien le dire. Telle est « la dure condition des agglomérations secondaires115 » que d’être ainsi l’objet de querelles picrocholines qu’un voyageur débarquant de Perse pourrait sans doute considérer – mais à tort assurément – comme typiques de la nation gauloise…
90Le vocabulaire géographique moderne est sans aucun doute mieux adapté pour désigner ces petites villes et ces bourgs, villages et hameaux de la Gaule romaine, des mots qui impliquent une hiérarchie et une diversité de fonctions ; on doit pourtant admettre qu’ils ne correspondent pas toujours mieux aux réalités antiques que les termes passe-partout employés par les archéologues. Dans quelle catégorie de la géographie humaine actuelle classer, par exemple, les grands sanctuaires, qui ont parfois donné naissance à des agglomérations au moins aussi importantes que la capitale de cité elle-même (le cas du Vieil-Évreux/Évreux est à cet égard exemplaire) ? Et peut-on fondre dans le fait urbain toutes ces entités très différentes les unes des autres, qui vont de la vraie ville, comme l’Alésia gallo-romaine, au hameau rural ou au relais routier ? La difficulté d’analyse est donc réelle et explique peut-être que ces agglomérations « secondaires » aient définitivement disparu, semble-t-il, de la dernière programmation du Conseil national de la recherche archéologique, comme de la précédente, une manière comme une autre d’évacuer la spécificité des problèmes qui se posent à leur propos116.
91Ces considérations n’empêchent heureusement pas l’enquête archéologique d’avancer, de manière inégale selon les régions, de sorte qu’on ne dispose pas d’une documentation homogène qui permettrait d’avoir une vision globale du phénomène, avec ses variations régionales ou locales. En outre les recherches récentes ont plus été l’objet, ces dernières années, de prospections-inventaires, assurément indispensables à ce stade de nos connaissances, que de fouilles, sauf dans le cas d’opérations préventives, souvent trop partielles pour qu’on dispose de plans d’ensemble assurés. La réflexion a toutefois très sensiblement progressé depuis les travaux des années 1980-1990, en partie grâce aux enquêtes les plus récentes sur les agglomérations ouvertes de l’âge du Fer. C’est en effet par la question des origines qu’il nous faut commencer.
De l’âge du Fer à l’époque gallo-romaine
92On a vu plus haut l’émergence des agglomérations ouvertes de l’âge du Fer dans la panoplie de nos connaissances archéologiques. Dans les régions les plus dynamiques, il ressort par contrecoup de cette recherche nouvelle qu’on peut aujourd’hui produire les premières cartes et les premiers diagrammes qui montrent que les agglomérations dites « secondaires » de la période romaine ne sont pas toujours, loin de là, une création ex nihilo, même s’il est encore difficile d’analyser de manière assurée l’évolution des réseaux à l’échelle régionale. La prise de conscience que le phénomène urbain de l’époque impériale peut avoir, en Gaule intérieure, des antécédents protohistoriques constitue, en soi, une petite révolution culturelle dont les archéologues et les historiens n’ont pas encore mesuré toutes les conséquences car les enquêtes de terrain actuelles sont loin d’être suffisantes. Comment savoir par exemple, sans fouilles et sur la foi de simples prospections pédestres, si des niveaux de l’âge du Fer ne se cachent pas sous une agglomération gallo-romaine anciennement fouillée ? Et comment analyser la question des fondations neuves quand on ignore tout de leur environnement protohistorique proche, au risque de négliger la possibilité d’un déplacement de quelques kilomètres, voire de quelques centaines de mètres ? On est donc bien en peine de mesurer avec précision, aujourd’hui, la part qui relève de l’héritage celtique et celle qui traduit l’empreinte du nouveau pouvoir romain sur le réseau urbain.
93Observons, par exemple, la fig. 101, issue d’une enquête toute récente sur les agglomérations du Centre-Est de la France : elle montre l’importance, jusqu’ici insoupçonnée, des cas où la présence de niveaux laténiens semble désormais assurée sous les couches d’occupation de l’époque suivante. Sans doute nombre de sites sont-ils nouveaux, notamment le long du réseau d’Agrippa. Mais seule l’évolution de la recherche permettra de préciser la proportion de sites de la fin de l’âge du Fer abandonnés ou déplacés, ceux dont l’existence s’est poursuivie, les vraies créations impériales. Pour l’heure, le diagramme de la fig. 102 – qu’il faut prendre avec prudence, car il ne traduit qu’une étape de la recherche, fondée, pour une grande part, sur du matériel de prospection – montre la très réelle importance de l’héritage gaulois dans le réseau urbain de cette vaste région. Ce type d’enquête, encore très rare, mérite évidemment d’être développé. Ses résultats prouvent, en tout état de cause, que le développement urbain de la Gaule intérieure s’inscrit dans un mouvement continu qui remonte à l’âge du Fer. Bien entendu, cette conclusion n’est pas valable pour les régions frontalières ou celles du Nord de la Belgique, peu ou pas urbanisées à l’époque protohistorique, où l’empreinte romaine s’est exercée de manière très différente par le biais de l’armée.
Fig. 101. – Les agglomérations laténiennes et romaines du Centre-Est de la France.

D’après Nouvel et al., 2019, p. 257.
Fig. 102. – Créations (en haut) et occupations (en bas) d’agglomérations dans le Centre-Est de la France entre le iiie siècle av. J.-C. et le iie siècle apr. J.-C.

D’après Nouvel et al., 2019, p. 260.
Morphologie et hiérarchie des agglomérations
94On l’a déjà dit, le terme « agglomérations secondaires » comprend, depuis l’origine, un ensemble hétéroclite de formes d’habitat groupé qui supposent d’être analysées et classées si on veut en comprendre les fonctions, la hiérarchie et la place dans l’ensemble du réseau. Différentes typologies ont été proposées au fil du temps : la plus ancienne est due à M. Mangin et à ses collaborateurs ; elle repose fondamentalement sur des critères qui font la part belle à l’analyse des activités dominantes, politiques, sociales, cultuelles, économiques, mais aussi à l’assiette et à l’organisation du site117. On doit citer aussi celle de Chr. Cribellier, présentée au terme d’une longue recherche consacrée à la région Centre de la France actuelle118. Elle s’appuie davantage sur des critères purement morphologiques, analysés d’après les plans connus, mais elle offre le désavantage d’être moins globale et de négliger des formes extérieures à sa zone de recherche. Nous proposerons donc ici notre propre classement, qui va des formes les plus complexes aux plus simples.
Agglomérations complexes de type urbain
95On rangera dans cette catégorie des agglomérations caractérisées par un réseau viaire étendu et diversifié – qui n’est jamais orthonormé de manière rigoureuse –, des bâtiments à usage communautaire (temples, thermes, parfois théâtres) dans lesquels on rencontre éventuellement un centre public monumental ordonné autour d’un forum, voire d’une basilique, une question difficile sur laquelle il nous faudra revenir. Ces agglomérations, souvent situées à un nœud routier, abritent un habitat organisé en quartiers et développent tous des activités économiques multiples, artisanales et souvent agricoles. Quelques exemples vaudront mieux qu’une longue description : on citera dans cette catégorie Alésia (fig. 103), Jouars-Pontchartrain (fig. 104), Vertault (fig. 144, infra), Bliesbruck, Famars, Argentomagus, Mandeure (fig. 105). La liste pourrait être beaucoup plus longue.
Fig. 103. – Plan général d’Alésia gallo-romaine.

J. Vidal, Gallia 69-2, 2012, p. 143.
Fig. 104. – Plan de Jouars-Pontchartrain.

B. Eusège et Ph. Lenhardt, AFAN ; O. Blin et J.-M. Morin.
DAO J.-M. Morin, AFAN, 1999.
Fig. 105. – Plan schématique de Mandeure.

Gallia, 72-2, 2012, p. 14.
96Les ateliers liés à la fabrication d’objets métalliques (bronze ou fer) ou en os se retrouvent plus ou moins dans toutes ces agglomérations ; les activités céramiques y étaient aussi fréquentes. On a en revanche moins analysé la fonction proprement rurale de ces centres souvent pourvus de nombreux jardins et d’une couronne agricole proche qui implique probablement un rôle dans l’alimentation locale, qu’on suspecte par exemple à Oedenburg à travers les carporestes conservés119. Ce rôle s’étend évidemment au stockage, au traitement (notamment la boucherie), au marché et à la redistribution des produits agricoles et du bétail issus des campagnes voisines120.
97Ces agglomérations étaient donc de véritables bourgs ruraux jouissant de toutes les fonctions urbaines à l’exception des responsabilités politiques proprement dites car elles ne disposaient pas d’une curie ni de magistrats autonomes121. Elles restaient en effet soumisses aux décisions de l’ordo de la civitas, qui siègeait dans la ville capitale et elles ne doivent en rien être considérées comme les chefs-lieux d’une subdivision administrative de la cité qui serait un pagus. Cela n’empêche évidemment pas que les grands notables régionaux pouvaient exercer leur influence au sein de ces agglomérations et les doter d’un apparat monumental particulier, tel ce Ti. Claudius Professus Niger qui, après une carrière bien remplie aussi bien chez les Héduens que chez les Lingons, dédia un portique au dieu Moritasgus d’Alésia (CIL XIII, 2873).
Agglomérations cultuelles, organisées autour d’un sanctuaire
98La Gaule connaît un nombre important de grands sanctuaires longtemps qualifiés de ruraux parce qu’ils semblaient isolés dans la campagne, notamment dans les grandes cités de l’Ouest (Bituriges ou Pictons). On les a longtemps appelés conciliabula, un terme administratif propre à l’Italie tardo-républicaine et qu’on ne retrouve pas dans l’épigraphie de la Gaule ; mieux vaut donc l’éviter.
99Ces grands sanctuaires polarisent autour d’eux, avec le temps, toute une série d’activités économiques liées à la présence d’une foule de pèlerins venus visiter et révérer la divinité locale. Cette dualité impliquait donc la présence de bâtiments directement liés à l’hébergement du dieu et aux fonctions cultuelles, mais aussi de constructions indispensables aux liturgies, aux réunions publiques, à l’hébergement et l’entretien des visiteurs : théâtre, thermes, auberges, édifices de marché, mais aussi basilique(s) et place(s) publique(s). Ces agglomérations cultuelles ne ressortissent donc pas au même type d’organisation spatiale ni aux mêmes fonctions que la catégorie précédente, même si on peut y retrouver des monuments de même nature et des activités économiques identiques, par exemple des boucheries et un marché de la viande, à l’instar de ce qu’on connaît bien dans le voisinage immédiat des temples urbains122. Si leur dispositif architectural est propre à chaque sanctuaire, cela n’interdit pas qu’on puisse les regrouper au sein d’une même catégorie fonctionnelle. On citera à titre d’exemple les cas de Eu, du Vieil-Évreux, de Grand, de Ribemont, de Vandeuvre-du-Poitou (fig. 106).
Fig. 106. – Le sanctuaire des Tours-Mirandes à Vandeuvre-du-Poitou.

Gallia, 68-2, 2011, p. 254.
100Ces agglomérations dépendaient elles aussi directement de l’ordo de la civitas et non de magistrats locaux autonomes. On souligne à juste titre, aujourd’hui, leur importance dans la célébration des fêtes religieuses, qui impliquaient un parcours processionnel, et dans les manifestations du culte impérial, sous l’autorité des magistrats de la cité. À cet égard, les théâtres associés à ces sanctuaires servaient évidemment non seulement de lieux de spectacles mais aussi d’espaces de rassemblement collectif dans le cadre des cérémonies123 ; celles-ci n’étaient pourtant pas substantiellement différentes de celles qui pouvaient avoir lieu dans les sanctuaires suburbains et on retrouve les mêmes types de complexes religieux, par exemple à Mirebeau ou à Mandeure, que dans les capitales. Nombre de ces lieux de culte avaient des antécédents protohistoriques.
Les agglomérations militaires
101Ces agglomérations, propres aux zones du limes, se sont développées à la périphérie des camps et elles ne se rencontrent donc pas en Gaule intérieure, si ce n’est à Mirebeau, base légionnaire de la VIIIe légion construite au début du règne de Vespasien et occupée jusque vers 90. D’une manière générale, ces agglomérations comprenaient pour l’essentiel des structures d’habitat, destinées aux familles des soldats, des échoppes et des ateliers appartenant aux marchands et aux artisans qui s’installaient au pied des camps, des thermes, quelquefois des places de marché formées par l’élargissement d’une rue, des temples. On n’y connaît jamais de bâtiments de spectacle, sauf quand il s’agit de camps légionnaires, comme à Mirebeau, à Mayence ou à Vindonissa, où l’on rencontre au contraire presque toujours un amphithéâtre.
102On peut distinguer morphologiquement plusieurs types124. On observe en effet fréquemment les structures d’habitat le long des voies qui sortent du camp (fig. 107a) ; mais on voit aussi des implantations à quelque distance du poste militaire (fig. 107b) ou le long d’une voie périphérique proche de celui-ci (fig. 107c).
Fig. 107. – Trois types d’agglomérations militaires.

a : Zugmantel (type « à rue ») ; b : Sulz (type tangentiel ; c : Niederbieber (type annulaire).
103Ces agglomérations dépendaient directement de l’officier qui commandait la garnison, mais certaines ont évolué jusqu’au statut municipal, comme Nida (Heddernheim), près de Francfort, une fois la troupe partie au iiie siècle. Elles ont joué un rôle important dans la transmission de la culture romaine et dans l’urbanisation des zones frontières : on ne compte pas, en Allemagne, le nombre de villes actuelles qui en sont issues.
104Ces trois premiers types d’agglomération, sans être juridiquement des villes, ressortissent donc au fait urbain ; il en va tout autrement des deux suivants.
Les groupements de bord de voie
105Il s’agit d’habitats groupés le long des voies ou aux carrefours routiers. On en connaît des cas très simples, comme celui de Dampierre-Fontenelle en Côte-d’Or (fig. 108)125. Le numéro de Gallia, 2016-1, consacré aux stations routières, en propose une belle série d’exemples126.
Fig. 108. – L’agglomération de Dampierre-Fontenelle.

D’après Bénard et al., 1994, p. 141.
Villages et hameaux ruraux à fonction artisanale ou agricole
106L’existence de villages ruraux n’est à peu près jamais citée par les historiens pour l’époque romaine. Elle a d’ailleurs été niée encore récemment127. Pourtant, différentes enquêtes permettent de nuancer cette assertion, bien que les exemples connus soient encore très peu nombreux et fassent figure d’exceptions, en l’état actuel des recherches128.
107On citera, pour commencer, le village agricole de Longueil-Sainte-Marie, dans l’Oise. Il s’agit d’une création ex nihilo vers 70 apr. J.-C. organisée autour d’une voie principale sud-est/nord-ouest bordée de deux fossés latéraux et d’une voie quasi perpendiculaire. On peut observer sur le plan (fig. 109-4) la division parcellaire. Le site voit d’abord la construction de cinq maisons sur poteaux avant des reconstructions sur sablières basses, au début du second siècle, qui portent le hameau à huit unités d’habitat. L’abandon du site se fait progressivement dans la première moitié du iiie siècle. Les fouilleurs, sur la foi des études spécialisées, notamment carpologiques, envisagent l’idée d’exploitations horticoles129. Cet exemple est pour l’instant unique sous cette forme mais l’extension de plus en plus grande des surfaces décapées en archéologie préventive laisse penser que l’avenir en révélera d’autres.
Fig. 109. – Divers types de villages et hameaux agricoles.

1 : Vatry ; 2 : Geispolsheim ; 3 : Liershout ; 4 : Longueil-Sainte-Marie ; 5 : Saint-Quirin « Belle-Roche ». D’après Nüsslein, 2018, p. 229.
108Différents groupements d’habitats à vocation agro-pastorale ont en outre été identifiés dans les Vosges130. Il s’agit de hameaux à la trame assez lâche et étendue (fig. 109-5). Ces petites agglomérations agricoles sont accompagnées de leurs nécropoles et bien datées de l’époque romaine, notamment par les inscriptions latines qui leurs sont associées. On citera enfin en Côte-d’Or l’existence de hameaux à vocation artisanale, notamment pour le travail du fer (fig. 110)131.
Fig. 110. – Le village de forgerons de Blessey-Salmaise, en Côte-d’Or.

Mangin, 2000, fig. 7.
La difficile question du centre public
109On a rappelé plus haut que toutes ces agglomérations dépendaient de l’ordo de la civitas à laquelle elles appartenaient et qu’elles étaient donc subordonnées à l’autorité des magistrats élus dans ce cadre civique. La difficulté vient pourtant de ce qu’on connaît à certaines d’entre elles des centres publics et des bâtiments qui peuvent prêter à discussion et entraînent une certaine confusion. On se penchera donc ici sur quelques cas emblématiques, en commençant par les plus simples.
110La présence de basiliques est mentionnée par plusieurs inscriptions. C’est le cas, en particulier, à Vandœuvres-en-Brenne, où les habitants du vicus (vicani) ont offert au numen d’Auguste et à la déesse du lieu une basilique avec ses ornements, des basiliques, des diribitoria, des portiques qui sans doute partaient du forum, explicitement mentionné sous ce terme (CIL XIII, 11151). On doit souligner qu’ils l’ont fait sur décret des décurions de la cité. Cette inscription a depuis longtemps été rapprochée d’une série de textes provenant de Néris, dans lesquels sont mentionnés des bâtiments identiques (CIL XIII, 1376-1380). Le terme de basilica n’implique pas nécessairement l’existence d’un bâtiment dans lequel on rendait la justice132. Il désigne initialement des portiques, et c’est en ce sens qu’on le retrouve dans le sanctuaire d’Eu-Bois l’Abbé (AE 2007, 980 = AE 2009, 904). Le terme apparaît aussi dans un contexte similaire aux Tours-Mirandes, à Vandeuvre du Poitou133. Les diribitoria, pour leur part, doivent désigner un dispositif de distribution des eaux. Quant au mot « forum », il peut indiquer tout type de place, sans pour autant qu’il s’agisse nécessairement d’un centre civique.
111La question n’est toutefois pas définitivement vidée car on connaît archéologiquement de véritables centres publics dans des agglomérations dites « secondaires », comme Alésia ou Verdes. Dans ce dernier cas, le plan, dressé à partir des couvertures aériennes, est absolument probant : il s’agit, sans aucun doute, d’un ensemble basilique-forum-thermes (fig. 111)134. On doit observer à ce propos que cet ensemble n’est guère cohérent avec l’urbanisme global de l’agglomération et qu’il pourrait bien s’agir d’une adjonction tardive des iie-iiie siècle (Cribellier, 2016, p. 60). La remarque est pertinente mais devrait être vérifiée par des fouilles ; elle peut toutefois s’appuyer sur l’exemple d’Alésia.
Fig. 111. – Verdes (Loir-et-Cher), Centre monumental de l’agglomération et quartier sud de « La Méraudière ». Plan schématique restitué des vestiges d’après les photographies aériennes et interprétations de D. Jalmain.

Dessin C. Cribellier, d’après Cribellier et Roux, 2011.
112Dans ce cas particulier de l’ancienne capitale des Mandubiens, la place centrale, qui allait devenir le forum, existait dès La Tène finale et était probablement accompagnée d’un sanctuaire à l’ouest. La constitution du complexe public gallo-romain semble avoir connu plusieurs étapes, malheureusement mal établies chronologiquement à la suite de fouilles nombreuses mais partielles, souvent anciennes et pas toujours bien assurées. On peut en effet suggérer un processus s’étalant jusqu’au début du iiie siècle135. Une fouille postérieure de la façade de la basilique a certes apporté quelques éléments nouveaux mais n’a pas touché les absides, de sorte que la datation actuellement proposée pour la construction reste le début du iie siècle, essentiellement par référence au modèle architectural de la basilica Ulpia à Rome, un critère somme toute trop flou pour établir une datation certaine136. On gagne au moins à cette hypothèse l’idée d’une édification tardive qui pourrait sans doute être plus solidement documentée, voire encore abaissée, car il est possible que la constitution antoninienne de Caracalla (212 apr. J.-C.) ait changé considérablement les pratiques de la vie civique dans ces petites communautés qui n’avaient pas obtenu auparavant l’autonomie municipale.
113Un dernier cas retiendra ici notre attention, celui de Bliesbruck, où les fouilles récentes ont mis au jour un « centre public » dans lequel on reconnaît un nymphée monumental au milieu d’une place, elle-même bordée au nord par un bâtiment à trois nefs. Il s’agit là d’une construction attribuable à la fin du iie ou au début du iiie siècle137.
114Il convient naturellement d’être prudent face à ces différents cas encore relativement rares, mais le raisonnement général sur la présence de basiliques au sein de certaines « villes secondaires » gagnerait certainement à mieux prendre en compte l’évolution de leur urbanisme au cours du temps et peut-être celle de leur statut civique, notamment à partir de la Constitution de Caracalla. Reste le cas, pour l’heure inexpliqué, de la première basilique du vicus de Lousonna-Vidy, datée de Tibère-Claude138. Sans doute s’agit-il là d’une simple halle à deux nefs sans fonction judiciaire, notamment à cette date précoce, mais cet exemple, pour l’heure exceptionnel, doit nous inviter à ne pas traduire de manière automatique la présence (ou l’absence) d’un bâtiment de ce type par l’obtention d’un statut civique précis.
Les formes de l’habitat
115Les architectures les plus communes sont constituées de maisons en lanières organisées perpendiculairement à la voirie, et précédées d’un auvent supporté par des colonnes, dont la succession formait de facto un portique en bordure de rue (fig. 112). On prendra pour exemple le plan de Vitudurum, une agglomération de Suisse particulièrement riche en vestiges boisés et très bien fouillée139. Il autorise plusieurs observations (fig. 113) :
l’existence d’un parcellaire en lanières dont l’assiette ne variera pratiquement pas sur plus d’un siècle et demi d’existence : les limites du bâti y semblent en effet immuables, malgré les nombreuses reconstructions. Ce phénomène remarquable implique probablement l’existence d’un document cadastral fixant les limites de propriété ;
une structuration générale commune : au pied du portique, du côté de la voie, un caniveau draine les eaux usées ; les demeures offrent des proportions variables, qui oscillent entre 6 et 8 m de large pour une profondeur de 12 à 15 m ;
un espace intérieur souvent divisé par des cloisons de bois, notamment du côté de la rue, où l’on peut observer fréquemment une boutique ou un atelier. On rencontre un foyer vers le centre de l’espace, plus rarement deux, avec des plaques foyères dans l’atelier, quand il y en a un ;
une cour et/ou un jardin sur l’arrière de l’implantation ;
des caves peuvent être creusées, généralement derrière la demeure, pour servir de réserve. Un étage abrite le plus souvent la partie privée. La cave peut toutefois être installée près de la chaussée, dans le cas d’un atelier.
Fig. 112. – Restitution graphique de l’agglomération de Vitudurum.

Pauli-Gabi et al., 2002.
Avec l’aimable autorisation du service archéologique cantonal de Zürich.
Fig. 113. – Plan (partiel) de l’habitat de Vitudurum vers 7-9 apr. J.-C.

Pauli-Gabi et al., 2002.
116On notera la régularité des foyers (en rouge), qui scandent les unités d’habitation.
117Ces caractéristiques, issues de l’architecture vernaculaire, varient peu à travers le temps, malgré les reconstructions successives. Elles sont à peu près communes à toutes ces petites agglomérations de type urbain.
118Les formes de l’habitat sont toutefois beaucoup plus diversifiées dans les agglomérations qui sont des quasi-villes, mais nous manquons assurément de bonnes études de sites en Gaule intérieure. L’examen détaillé d’un plan comme celui du vicus de Vertault, en Côte-d’Or, montre une organisation de l’espace en îlots de forme sub-rectangulaire, séparés par des rues, avec un centre monumental140. À l’intérieur de ces quartiers apparaissent donc des blocs d’habitat qui ne sont pas organisés comme les villages-rues qu’on connaît d’ordinaire. Ils révèlent, semble-t-il, des formes variées d’habitat, avec des demeures complexes dont certaines sont centrées sur une, voire plusieurs cours (fig. 114-115). L’examen des plans d’Alésia ou de Mandeure semble révéler des phénomènes identiques, mais l’absence de fouilles modernes sur ces types d’habitat interdit malheureusement de les dater et d’étudier leur évolution dans le temps, ce qui serait un desideratum de la recherche. Même si on peut discuter tel ou tel détail de l’interprétation, cet exemple de Vertault vient nous rappeler que le réseau urbain « secondaire » comprend une population de notables locaux dont il serait important de mieux mesurer la richesse réelle et la place dans la hiérarchie sociale des Tres Galliae.
Fig. 114. – Plan restitué de Vertault.

Bénard et Méniel, 2016, p. 12.
Fig. 115. – Plan schématique des types de maisons complexes à Vertault.

Bénard et Méniel, 2016, p. 117.
Notes de bas de page
1 Chr. Goudineau, dans Duby, 1980, p. 230-231.
2 Garmy, 2012, p. 18-21.
3 Leveau, 2013 ; Fernández-Götz et al., 2014.
4 Fichtl, 2000, p. 12-16.
5 Tarpin, 2002a, p. 25.
6 Buchsenschutz et al., 2000.
7 Fichtl, 2013 ; Fernández-Götz et al., 2014 ; Fichtl et al., 2019.
8 On ne peut en revanche avoir de certitude pour les régions proches de la mer du Nord.
9 Barral, 2019.
10 Viand et al., 2019.
11 Gardes et al., 2019.
12 Barral et al., 2014.
13 Barral et Lallement, 2014.
14 Le Goff, 2019.
15 Lambot, 2005.
16 Metzler et al., 2016, p. 412-415.
17 On le voit, entre autres, dans la loi d’Urso, CIL I2, 594.73.2.
18 Colin, 1998, p. 17.
19 Fichtl, 2000, p. 16.
20 Wendling, 2013.
21 Gerritsen et Roymans, 2006 ; Haselgrove, 2016, p. 286-287.
22 L’expression vient de Collis, 1984.
23 César, BG VII, 11, 2. La localisation est incertaine.
24 Fichtl, 2000, p. 68-69.
25 Moret, 2017 ; 2018.
26 Fichtl, 2000.
27 On n’abordera pas ici la difficile question d’un « théâtre gaulois » que M. Poux propose d’identifier dans les structures découvertes à côté du théâtre romain de Corent. L’auteur le considère comme un lieu de réunion de la population. Le dossier archéologique est encore trop insuffisamment publié pour qu’on puisse se prononcer au seul vu du plan, schématique, des vestiges conservés (Poux, 2016, fig. 7). L’identification comme « théâtre » reste à notre sens problématique, ce qui n’interdit pas d’y voir un lieu de rassemblement à usage public.
28 Metzler et al., 2016.
29 Bénard, 1997.
30 Poux, 2011.
31 Metzler et al., 2016, p. 428.
32 Le Goff, 2018.
33 Barral et al., 2018.
34 Metzler et al., 2016, p. 308-315.
35 Marc, 2011.
36 Peyre, 2000.
37 Guillaumet et Labaune, 2011 ; Labaune et Meylan, 2011.
38 Pion et al., 1994.
39 Guilhot et Goy, 1992.
40 Metzler, 1995.
41 Bénard, 1997.
42 Poux, 2011, p. 63-77.
43 Kaenel, 2006.
44 Fichtl, 2007 ; Barral et al., 2011.
45 Buchsenschutz et Ralston, 2012.
46 Fichtl et al., 2000 ; Fernández-Götz, 2014.
47 Fichtl, 2012.
48 Krausz et Augier, 2012.
49 Metzler et al., 2016 ; Hornung, 2016.
50 Fernández-Götz, 2014, p. 171.
51 Ce tableau est extrait de Poux, 2014, p. 158.
52 Voir les remarques déjà formulées par Woolf, 1993.
53 Salač, 2012 ; 2014.
54 Revell, 2009.
55 Becker et Rasbach, 2015.
56 Schnurbein, 2010.
57 Eck, 2004.
58 L’horizon céramique d’Oberaden est celui qui caractérise la phase initiale de la conquête romaine en Germanie (12-8 av. J.-C.). Son facies est antérieur à celui de Haltern (vers 5 av. J.-C.-9 apr. J.-C.).
59 Monin et Dessaint, 2015 ; Lenoble, 2018, p. 433.
60 On verra toutefois les réserves de Desbat et Poux, 2018 sur les problèmes posés par la datation de ce rempart. Il reste qu’on n’imagine pas un murus gallicus subsistant comme enceinte d’une colonie de droit romain ; la comparaison avec les remparts gaulois tardifs d’Alésia et de Vertault ne s’impose donc pas.
61 Bedon, 1999, p. 119-133. L’ordre de présentation de R. Bedon est ici volontairement modifié.
62 Le cas de Bratuspantium, « capitale » des Bellovaques, est de ce point de vue exemplaire.
63 On verra sur ce point, et pour le détail de la démonstration archéologique, le dossier récemment réuni dans Gallia (Reddé et van Andringa, 2015).
64 Blanc et al., 2016, p. 207-282 ; Amoroso et Schenk, 2017.
65 Paris n’entre pas dans cette catégorie, car on n’y a jamais découvert, à ce jour, d’occupation de La Tène finale.
66 Barral et Nouvel, 2012.
67 Nouvel et al., 2015.
68 Colin, 1998, p. 121, repris par Coquelet, 2011, p. 39.
69 Kasprzyk et Nouvel, 2011 ; Nouvel et al., 2016.
70 Colin, 1998, p. 94-95.
71 Labaune et Meylan, 2011.
72 Paunier et Luginbühl, 2004.
73 Gardes, 2015.
74 Szabó et al., 2007.
75 Marc, 2011. On doit souligner aussi que la taille très réduite des deux cours voisines de la « basilique » ne saurait en faire des espaces appropriés à la fonction d’un forum, comme on l’a avancé.
76 Reddé et van Andringa, 2015.
77 De Pury-Gysel, 2011.
78 Busson, 2007.
79 Maniquet et Loustaud, 2016.
80 Labaune et Kasprzyk, 2015.
81 Morscheiser, 2015.
82 Barral et al., 2011.
83 Neiss et al., 2015, p. 168-169.
84 Bayard et Massy, 1983.
85 Bayard, 2015.
86 Le tableau est inspiré de Coquelet, 2011, p. 203 qui a tenté l’exercice pour la Gaule Belgique, et complété.
87 Étienne, 2006. L’identification de cet ensemble comme forum est toutefois controversée, certains tenant pour un bâtiment de principia militaires, mais, d’un strict point de vue formel, la différence architecturale est souvent difficile à mettre en évidence.
88 Hänggi, 1988, p. 17.
89 Villicich, 2007.
90 Binet et al., 2010.
91 Loridant et Nouvion, 2007.
92 Gardes, 2015, p. 49.
93 Scheid, 2007.
94 Maniquet et Loustaud, 2016.
95 Chevet et al., 2015, p. 105.
96 De Pury-Gysel, 2011, p. 28-29.
97 Maurin et al., 2015.
98 Berger, 1998, p. 116.
99 Bouet, 2003, p. 554 et 569.
100 Dumasy, 2007. À propos de l’édifice de Corent, considéré comme un théâtre, voir supra, n. 6.
101 Hufschmid, 2007.
102 Maurin et al., 2015, p. 75.
103 Labaune et Kasprzyk, 2015, p. 208-209.
104 Binet, 2007 ; Binet et al., 2010.
105 Bayard, 2015, p. 158.
106 Jacques, 2007.
107 Robin et Marquis, 2007.
108 Maurin et al., 2015, p. 76.
109 Kasprzyk et al., 2015, p. 255.
110 De Pury-Gysel, 2011, p. 34 et fig. 16-1.
111 Balmelle et Neiss, 2003.
112 Rollet, 2001.
113 Mangin et al., 1986 ; Villes et agglomérations, 1992 ; Petit et al., 1994.
114 Leveau, 2012 ; 2013.
115 Pour reprendre un mot de Favory, 2012.
116 Cette attitude a été vigoureusement, mais à juste titre, dénoncée par Garmy, 2012.
117 Mangin et al., 1986, p. 219 et 226-228 ; Bénard et al., 1994, p. 261-265 ; Villes et agglomérations, 1992, p. 463-464.
118 Cribellier, 2016.
119 Reddé, 2018a, p. 559-567.
120 Reddé, 2018a, chap. 11.
121 Dondin-Payre, 1999, p. 218-219 ; 2012.
122 Van Andringa, 2009.
123 Hufschmid, 2016.
124 Sommer, 2006.
125 Bénard et al., 1994, p. 141.
126 Colleoni, 2016.
127 Monteil, 2014.
128 Nüsslein, 2018.
129 Malrain et al., 2017, p. 319-320.
130 Nüsslein et al., 2017, p. 606-611.
131 Mangin et al., 2000.
132 Dondin-Payre, 2012.
133 Goffeaux et Hiernard, 2011.
134 Bouet, 2005 a toutefois émis des réserves sur cette interprétation.
135 Reddé, 2003a.
136 Creuzenet et Olivier, 2007.
137 Petit et Santoro, 2016.
138 Paunier, 1994.
139 Pauli-Gabi et al., 2002.
140 Bénard et Méniel, 2016. Les habitants de Vertault se disent vikani Vertillenses (CIL XIII, 5661).
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