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Le corps des souverains dans les mondes hellénistique et romain

 | 
Anne Gangloff
, 
Gilles Gorre

Deuxième partie. Le « sur-corps » des rois

Le corps d’Imperator Caesar dans l’iconographie monétaire

Entre sphères militaire, héroïque et civique

Pierre Assenmaker

Texte intégral

Nous remercions les professeurs Marco Cavalieri (UCLouvain) et Matteo Cadario (Università degli Studi di Udine) qui nous ont apporté une aide précieuse pour la description et l’interprétation de plusieurs types monétaires (en particulier les figures d’imperator sur RIC 251 et 253, et la représentation équestre sur RIC 262). Il va sans dire que nous sommes seul responsable des erreurs qui s’y glisseraient.

  • 1 Meister Jan B., Der Körper des Princeps. Zur Problematik eines monarchischen Körpers ohne Monarchie(...)
  • 2 Paru en 1957, traduit en français en 1989, l’ouvrage est aujourd’hui réédité dans la collection « P (...)
  • 3 À l’exception du chapitre ii.4, consacré aux images du corps du Prince, mais qui n’analyse aucun do (...)
  • 4 Un desideratum déjà exprimé dans la recension de l’ouvrage par Benoist Stéphane, Sehepunkte, no 13, (...)

1Pour appréhender la question du corps des souverains dans le monde romain, l’ouvrage de Jan B. Meister sur Der Körper des Princeps constitue désormais un point de départ privilégié1. Dès les premières lignes de l’introduction, l’auteur y affronte le monument historiographique des Deux Corps du roi d’Ernst H. Kantorowicz2, qui détermine l’objectif de son travail : analyser la signification particulière du « Herrscherkörper » sous le Haut-Empire romain en mettant en lumière ses spécificités par contraste avec la théorie du double corps du souverain (« corps naturel » et « corps politique ») à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne – un modèle qui ne s’avère globalement pas applicable au Principat, conclut Jan B. Meister. Son analyse, qui s’inscrit dans une perspective sociologique, porte presque exclusivement sur la documentation littéraire3, en dépit du très grand nombre de représentations des empereurs dans les arts figurés et de la riche bibliographie qu’elles ont suscitée. Elle appelle donc nécessairement des enquêtes complémentaires portant sur les sources iconographiques4.

  • 5 Squire Michael, « Corpus imperii: Verbal and Visual Figurations of the Roman “body politic” », Word (...)
  • 6 Ibid., p. 316 (cf. p. 310 et 321).

2Dans le sillage de l’ouvrage de Jan B. Meister, l’historien de l’art Michael Squire a entrepris de mettre en dialogue textes et images dans l’étude des représentations du « body politic » à Rome entre la fin de la République et le Principat5. Son étude a confirmé, par l’analyse d’une série d’œuvres emblématiques de l’art augustéen (tels la Gemma Augustea et l’Auguste de Prima Porta), que le corps d’Auguste, dans ses représentations variées, apparaît comme un « lieu clef pour négocier visuellement » les ambiguïtés, voire les contradictions intrinsèques du régime politique progressivement mis en place par le Prince6.

  • 7 Toutes les dates s’entendent avant J.-C., sauf mention contraire.
  • 8 RIC 250-274. La datation des émissions est discutée : voir Assenmaker Pierre, « CAESAR DIVI F et IM (...)
  • 9 RIC 251, 253, 256, 262, 263, 264, 267, 270, 271, 272.

3À la suite de ces travaux, il nous a semblé pertinent de consacrer cette contribution à un ensemble de représentations datant des années qui précèdent et suivent directement la victoire finale du futur Auguste dans les guerres civiles, une période charnière, donc, dans l’évolution politique et institutionnelle qui mena à l’instauration du Principat, mais aussi dans le développement de ce que l’on désigne aujourd’hui comme l’imagerie « augustéenne ». Entre 36 et 297, celui qui portait alors le nom d’Imperator Caesar diui filius fit frapper des émissions monétaires qui constituent un ensemble d’une conception remarquablement homogène, dans lequel on peut distinguer deux séries sur la base des légendes de revers : CAESAR DIVI F et IMP CAESAR8. Ce monnayage compte vingt-deux associations différentes de types de droit et de revers ; dix types de revers donnent à voir une représentation « complète » d’Octavien (c’est-à-dire une image qui ne se limite pas à sa tête), laquelle occupe généralement seule le champ monétaire9. Cette proportion d’« images du corps » est particulièrement élevée compte tenu de la tradition iconographique du monnayage romain : depuis la diversification des types du denier un siècle plus tôt (dans les années 130), seule une trentaine d’émissions environ avait adopté de telles représentations.

  • 10 Voir entre autres Meister Jan B., Der Körper des Princeps, op. cit., p. 41-51 et 109-118.
  • 11 Nous résumons ici les points essentiels de la synthèse de Cadario Matteo, « Il linguaggio dei corpi (...)

4L’interprétation de ces images monétaires du corps suit la méthode élaborée pour l’analyse des statues-portraits. À Rome, on le sait, le corps n’était signifiant, socialement et politiquement, que pas sa tenue, son habitus : c’était le vêtement qui indiquait le statut d’un individu10. Il en allait de même dans les représentations figurées : si la physionomie du visage devait permettre l’identification du personnage et révéler ses qualités et traits de caractère, le corps devait communiquer des informations sur son rôle public et les hauts faits de sa carrière. Pour ce faire, les sculpteurs – ou graveurs, dans le cas des monnaies – recouraient à un répertoire conventionnel de types iconographiques. Les éléments constitutifs de ce « langage des corps » étaient le format (statue en char, équestre, assise ou debout), le costume (l’habitus) et les éventuels attributs (insignia). C’est sur la base de l’habitus qu’on distingue les types statuaires canoniques : en toge, en cuirasse et nu – symboles respectivement de la condition civile, militaire et « héroïque11 ». Ces trois habitus sont représentés dans les émissions CAESAR DIVI F et IMP CAESAR, qui donnent ainsi à voir, dans la représentation d’Imperator Caesar, la « gamme » complète des images du corps.

Les premières images du corps dans le monnayage de l’héritier de César : un jeune héros à cheval

5Avant d’aborder ce monnayage, il vaut la peine de consacrer notre attention aux premiers types monétaires figurant le corps du jeune César, qui sont révélateurs de la place importante donnée à la représentation du corps dès le début de la communication politique de l’héritier du dictateur. En outre, ces représentations permettent de poser de la façon la plus claire le problème de la spécificité et de « l’autonomie » de l’iconographie monétaire par rapport à la statuaire – une question qu’il conviendra de garder à l’esprit pour l’analyse des séries monétaires postérieures.

  • 12 Sur les émissions RRC 490/1 et 3, voir Woytek Bernhard, Arma et nummi. Forschungen zur römischen Fi (...)
  • 13 Le geste du cavalier rappelle la représentation de la statue équestre de Sylla – également placée a (...)

6La première émission frappée au nom du jeune César, en 43 (RRC 490/1 à la légende C. CAESAR IMP ; fig. 1), représente la statue équestre dorée à son effigie qui avait été érigée aux rostres en janvier de cette année, une marque d’honneur exceptionnelle dont plusieurs sources littéraires nous donnent connaissance12. Au revers de ces premiers deniers et d’une autre émission frappée à la fin de l’année (RRC 490/3, à la légende C. CAESAR III VIR R P C ; fig. 2), on voit une statue équestre (la nature de l’objet est mise en évidence par la ligne de sol, qui symbolise le socle) où le cheval est représenté à l’arrêt et le cavalier avec le bras droit tendu13. À l’exergue, la légende S C rappelle que l’érection de la statue avait été décrétée par le Sénat.

Fig. 1 – Denier RRC 490/1.

Fig. 1 – Denier RRC 490/1.

© Münzen & Medaillen GmbH (DE). Vente 9, 573.

Fig. 2. – Denier RRC 490/3.

Fig. 2. – Denier RRC 490/3.

© The Trustees of the Bristih Museum.

  • 14 Sur cette émission, voir Woytek Bernhard, Arma et nummi, op. cit., p. 494-496.
  • 15 Si le cavalier est effectivement nu, il s’agit d’une représentation exceptionnelle, sans parallèle (...)
  • 16 Voir dans ce sens Koortbojian Michael, Crossing the Pomerium, op. cit., p. 76-77 ; cf. Cadario Matt (...)
  • 17 C’est l’interprétation la plus courante : voir notamment Zanker Paul, Augustus, op. cit., p. 46 ; P (...)
  • 18 Pour un inventaire complet des représentations associant Auguste et le lituus dans le monnayage et (...)

7L’année suivante, en 42, la statue est à nouveau représentée au revers d’une série d’aurei (RRC 497/1 ; fig. 3)14. Ce type monétaire renvoie bien à la même statue – le rostrum et le sigle S C à l’exergue confirment qu’il s’agit de celle érigée in rostris en vertu d’un sénatus-consulte –, mais le type monétaire en donne un reflet très différent : le cavalier ne porte plus un vêtement couvrant tout le haut du corps, mais est représenté dans la nudité « héroïque », tenant un manteau sur l’avant-bras gauche replié15. Une autre différence est plus significative encore : le personnage est représenté tenant dans la main droite un lituus, que l’on peut certes interpréter comme une référence à l’entrée récente d’Octavien dans le collège des augures16, mais qui doit se lire principalement comme un symbole renvoyant aux auspices détenus par le triumvir, et donc à l’un des principaux fondements religieux de son pouvoir17. En faveur de cette lecture symbolique plutôt qu’exclusivement « prosopographique » du lituus dans ce type monétaire, nous nous contenterons de rappeler que la crosse des augures apparaîtra aussi, quelques décennies plus tard, dans la main d’Auguste sur la Gemma Augustea et dans celle de Tibère sur le Grand Camée de France : dans ces deux représentations éminemment allégoriques, comme sur notre monnaie, le personnage tenant le lituus est représenté dans un schéma héroïsant (voire divinisant) et non dans l’exercice des fonctions augurales. Le lituus apparaît donc bien comme un symbole du pouvoir dans l’iconographie romaine de cette époque18.

Fig. 3. – Aureus RRC 497/1.

Fig. 3. – Aureus RRC 497/1.

© Numismatica Ars Classica NAC AG. Vente 64, no 980.

  • 19 C’est une hypothèse envisagée (mais pas privilégiée) par Bergemann Johannes, Römische Reiterstatuen(...)
  • 20 Sur la datation discutée de cette statue, voir dernièrement (avec bibliographie) Polito Eugenio, «  (...)
  • 21 Voir déjà dans ce sens Polito Eugenio, « Una statua equestre », art. cité, p. 30. L’auteur va plus (...)

8Faut-il, sur la base du témoignage de l’aureus de 42, imaginer que la statue érigée en l’honneur d’Octavien le représentait à cheval, brandissant un lituus19 ? Nous ne le pensons pas. Si l’on prend en compte les conventions spécifiques de la Bildsprache monétaire, où des attributs particulièrement signifiants sont parfois surdimensionnés pour être bien visibles dans le type, il est possible de faire le lien entre la représentation de notre aureus et la statue équestre en bronze d’Octavien découverte dans la Mer Égée et conservée au musée archéologique national d’Athènes, qui porte à l’annulaire de la main gauche un anneau où est représenté un lituus20. Il est permis de supposer que le lituus tenu en main par le cavalier de la statue représentée sur l’aureus serait la « traduction » dans l’image monétaire d’un élément tel que ce sceau gravé d’un lituus, dont le concepteur du type aurait jugé important de souligner la présence pour enrichir la signification du discours monétaire21.

  • 22 Selon Pollini John, « Man or God », art. cité, p. 343, n. 38, le type des aurei de 42 (avec le litu (...)

9Si la présence du lituus dans le type monétaire de 42 peut donc s’expliquer par le souci de conférer une visibilité accrue à un élément de la statue représentée sur les deniers de 43, on ne peut justifier de la même façon le choix de la (semi-)nudité sur les aurei de 42, alors que le cavalier était habillé dans la représentation précédente. Cette différence irréductible dans l’habitus des deux statues amène à poser la question de la fidélité « littérale » des représentations de statues dans les types monétaires22.

  • 23 Le torse est peut-être nu, mais sans certitude : cf. Pollini John, ibid., p. 342 et 344, n. 41.
  • 24 Mannsperger Dietrich, « Annos undeviginti natus. Das Münzsymbol für Octavians Eintritt in die Polit (...)
  • 25 L’hypothèse d’une autre statue en l’honneur d’Octavien (érigée « sur ordre du peuple ») s’appuie pr (...)

10Cette question se pose de façon plus insistante encore à propos d’une troisième représentation monétaire de statue équestre, sur des deniers de 41 (RRC 518/2 ; fig. 4), où le monument est à nouveau figuré de façon différente : le cavalier (dont on ne peut déterminer la tenue avec exactitude23) a le bras droit tendu, comme sur les monnaies de 43 (RRC 490/1), mais le cheval est cette fois représenté en cabré fléchi. La légende présente une divergence majeure par rapport aux précédentes émissions : elle attribue la décision de l’érection de la statue non plus au Sénat, mais au peuple (populi iussu). Peut-il dès lors encore s’agir d’une représentation de la statue érigée en 43 aux rostres ? Certains l’ont admis, arguant que les différents types monétaires refléteraient les différentes phases de la conception de la statue, depuis le décret sénatorial jusqu’à sa réalisation effective24. La plupart des études ont cependant refusé cette interprétation et proposé de voir dans ce type soit une autre statue érigée en l’honneur d’Octavien, soit une statue du diuus Iulius25.

Fig. 4. – Denier RRC 518/2.

Fig. 4. – Denier RRC 518/2.

© Numismatica Ars Classica NAC AG. Vente 94, no 30.

  • 26 Voir déjà les excellentes remarques de Bergemann Johannes, Römische Reiterstatuen, op. cit., p. 162 (...)

11Nous sommes donc confrontés à deux types monétaires au moins – trois, si l’on compte aussi RRC 518/2 – qui « évoquent » la statue de 43 mais ne peuvent être chacun considérés comme des représentations fidèles du monument érigé aux rostres. S’il est permis de tenter d’expliquer les divergences dans l’iconographie monétaire en supposant que telle émission serait antérieure à l’érection de la statue ou refléterait les vicissitudes (non attestées…) de son histoire, il nous paraît impératif de considérer aussi que les types monétaires constituaient des monumenta à part entière, qui non seulement étaient élaborés suivant des usages et modes d’expression spécifiques, mais en outre véhiculaient un message propre, dans un contexte et à l’attention d’un public qui n’étaient pas ceux des statues érigées dans l’Vrbs26. Étant donné que le monnayage de cette période était émis avant tout à destination des armées (pour le payement de la solde ou les donatiua), la mise en évidence du lituus dans le type des aurei RRC 497/1 se comprend sans peine puisque cet attribut symbolisait la légitimité de l’imperator et sa capacité à consulter la volonté des dieux, comme on l’a rappelé. Quant à la représentation du cheval dans une allure vive plutôt qu’à l’arrêt sur les deniers RRC 518/2, faut-il l’imputer à un changement de modèle statuaire ou au souci d’accroître le dynamisme de l’image monétaire ?

  • 27 Sur le « charisme du chef de guerre » conféré par les statues équestres, voir Cadario Matteo, « L’i (...)
  • 28 Pour le lien suggestif avec la première phrase des Res gestae, voir Mannsperger Dietrich, « Annos u (...)

12Un point est assuré, malgré toutes ces questions ouvertes : concernant l’image du corps mobilisée dans ce premier développement de la communication politique du jeune César (tant par la statue équestre que par ses « échos » monétaires), le recours au format équestre avait pour effet de le présenter comme une figure énergique et charismatique, dans le sillage des souverains et commandants hellénistiques27. Nous savons par Velleius Paterculus (2.61.3) que l’inscription qui accompagnait la statue indiquait l’âge d’Octavien28. Statue, inscription et monnaies proclamaient ainsi l’entrée d’un jeune héros sur la scène politique romaine.

Des images qui « imposent » un corps d’imperator

13Quelques années plus tard, à l’époque de la frappe des émissions CAESAR DIVI F et IMP CAESAR, la volonté de présenter le jeune César sous les traits d’un chef énergique et charismatique est encore bien présente. Celui qui se nomme désormais « Commandant César » (Imperator Caesar) ne doit-il pas, plus que quiconque, incarner les uirtutes imperatoriae ?

  • 29 La description la plus minutieuse que nous connaissions de ces deux types monétaires est celle de M (...)
  • 30 Sur un unique exemplaire, conservé à Paris (Catalogue BnF, no 5), le personnage de ce type monétair (...)

14La construction d’une image guerrière de l’héritier de César est manifeste dans deux types de la série CAESAR DIVI F29. Le premier est le type de revers des deniers RIC 251 (fig. 5) : on y voit un homme debout, tourné vers la gauche, revêtu d’une cuirasse anatomique munie de deux rangées de ptéryges ; il porte, massé sur l’épaule gauche (Schulterbausch) et enroulé autour de son bras, un manteau qui flotte au vent derrière son dos ; ses pieds sont nus. Il tient dans la main gauche une hasta, appuyée sur son bras fléchi ; son bras droit tendu vers l’avant et sa jambe droite fléchie confèrent un certain dynamisme à la représentation30.

Fig. 5. – Denier RIC 251.

Fig. 5. – Denier RIC 251.

© Numismatik Lanz München. Vente 123, no 405.

Fig. 6. – Denier RIC 250.

Fig. 6. – Denier RIC 250.

© Nomos. Vente 6, no 130.

  • 31 Mannsperger Dietrich, « Ikonographische Interpretation », art. cité, p. 233 et 234 (qui pense à un (...)
  • 32 Laube Ingrid, ibid., p. 117, n. 1039.
  • 33 Ibid. : « Es wäre möglich, daß Octavian über dem Untergewand aus Stoff, wie der Tunica, zusätzlich (...)
  • 34 Nous devons cette judicieuse observation à Marco Cavalieri et Matteo Cadario.
  • 35 Il est délicat, en tout cas, de décrire sans autre forme de procès le personnage comme « Gepanzerte (...)
  • 36 Sur les mullei, voir Nardon Anna Maria et Rodinò Martina, « In planta pedis. Le calzature del mondo (...)

15Le second type, au revers des deniers RIC 253 (fig. 7), présente un homme debout, tourné vers la droite, également en habit militaire. Sur le torse (vu de profil), on distingue des plis verticaux qui suggèrent un tissu souple, ce qui a fait conclure à Dietrich Mannsperger que le personnage ne porte pas la cuirasse, mais seulement un « Untergewand31 ». À hauteur de la partie supérieure des cuisses, on observe un motif bouffant délimité par un bord net, qui doit correspondre au pterygion couvrant la tunique, comme l’a bien relevé Ingrid Laube32. Pour expliquer la présence de ptéryges sans cuirasse, cette dernière a supposé qu’il pourrait s’agir de la représentation de lambrequins découpés dans une sorte de cotte en cuir portée par-dessus la tunique33. Cependant, les plis nettement visibles sur le vêtement couvrant le torse ne concordent pas davantage avec un subarmalis en cuir (rigide) qu’avec le corset d’une cuirasse34. Il faut donc s’en tenir à un non liquet pour l’interprétation exacte de cette tenue35. Les autres éléments sont mieux identifiables : le personnage porte sur l’épaule gauche un manteau dont un large pan lui tombe dans le dos ; ses pieds sont chaussés de hautes sandales, qui pourraient être des mullei, une chaussure de parade associée au domaine militaire, caractéristique des statues cuirassées36. La composition de la figure est plus statique que dans le type précédent : le personnage se tient en appui sur la jambe gauche (ce qui peut suggérer la marche comme la station debout), il lève la main droite et, de la gauche, tient une hasta appuyée sur son épaule.

  • 37 La structure typologique de ce groupe d’émissions a été mise en lumière par Kraft Konrad, Zur Münzp (...)
  • 38 Voir notamment Sutherland Carol H. V., The Roman Imperial Coinage, op. cit., p. 59 ; Trillmich Walt (...)
  • 39 Voir respectivement Zanker Paul, Augustus, op. cit., p. 61 (« führt Octavian sein Heer mit pathetis (...)
  • 40 Voir Flaig Egon, Den Kaiser herausfordern. Die Usurpation im römischen Reich, Francfort/New York, C (...)
  • 41 Sur les contiones militaires et les adlocutiones qui y étaient prononcées, voir Pina Polo Francisco (...)

16Les deux deniers dont nous venons de décrire les revers font partie d’un groupe de six émissions (RIC 250-256) présentant des correspondances entre types de droit et de revers qui ne laissent aucun doute sur le fait que le personnage représenté est le jeune César en personne37. Ces deux types donnent donc à voir le diui filius dans l’exercice du commandement militaire, en tant qu’imperator. Dans le second type décrit ci-dessus (RIC 253, fig. 7), le bras droit levé est unanimement interprété comme le geste de l’adlocutio38. Le premier type (RIC 251, fig. 5) a fait l’objet de lectures divergentes : on a vu dans le geste du loricatus le signal de l’attaque, ou au contraire une invitation à l’apaisement, ou encore une main tendue en vue d’une dextrarum iunctio39. Il nous semble qu’un attribut tel que la cuirasse et le dynamisme du schéma corporel confèrent à la représentation un caractère énergique qui s’accorde mieux avec la première interprétation. Nos types monétaires illustrent donc deux rituels essentiels de l’ars imperatoria, qui construisent la « proximité affective40 » que les soldats réclament de leur chef à cette époque : d’une part l’adlocutio, avec son évocation des mérites passés, ses éloges et ses promesses de victoire (et de butin)41, d’autre part la présence du général sur le champ de bataille, à la tête de ses troupes.

  • 42 Si l’on met en doute l’identification à Pax proprement dite, on y verra au moins une personnificati (...)
  • 43 Mannsperger Dietrich, « Ikonographische Interpretation », art. cité, p. 235-236 (qui s’appuie sur A (...)
  • 44 Dion Cassius, 49.15.3. Cf. Appien, Guerres civiles, 5.130.538-540, qui date le discours (au Sénat e (...)

17Pour approfondir l’interprétation de ces images, il convient de les analyser en lien avec les autres types auxquels elles sont associées. Le revers représentant Octavien dans l’attitude de l’adlocutio est associé à la tête de Pax au droit, identifiable à la corne d’abondance et au rameau d’olivier qui accompagnent son effigie42. Ce denier RIC 253 forme un binôme typologique avec l’émission RIC 252, dont le droit est orné du portrait d’Octavien et le revers de la représentation en pied de Pax, dotée des mêmes attributs (fig. 8). Comme l’a montré Dietrich Mannsperger l’association du jeune César et de la déesse de la paix s’inscrit parfaitement dans le contexte de « l’après-Nauloque », quand le vainqueur de Sextus Pompée proclamait à Rome la fin des guerres civiles43. Considérant que l’imperator était représenté sans cuirasse sur cette émission, le numismate allemand a proposé de voir dans cette image précisément le moment où le général vainqueur, après avoir enlevé la cuirasse pour franchir le pomerium, annonce aux sénateurs et aux citoyens de l’Vrbs le retour de la paix. Nous avons vu que l’interprétation précise de la tenue du personnage est discutée ; or, il est inconcevable qu’une représentation cuirassée puisse s’interpréter comme une scène intra pomerium. Cependant, les doutes quant à la présence ou non d’une cuirasse n’invalident pas complètement la lecture – séduisante – de Dietrich Mannsperger. De fait, Dion Cassius, dans son récit du retour d’Octavien, mentionne expressément que le général vainqueur avait rassemblé les « gens de la Ville » (οἱ ἐν τῷ ἄστει, en l’occurrence au moins les sénateurs) en dehors du pomerium (ἔξω τοῦ πωμηρίου), suivant l’usage traditionnel (κατὰ τὰ πάτρια), pour leur présenter le compte rendu de la campagne et une série de mesures, notamment des remises de dettes44. Il serait surprenant que ce discours extra pomerium n’ait pas été l’occasion d’une (première) proclamation du rétablissement de la paix.

Fig. 7. – Denier RIC 253.

Fig. 7. – Denier RIC 253.

© Roma Numismatics Limited. E-Sale 36, no 529.

Fig. 8. – Denier RIC 252.

Fig. 8. – Denier RIC 252.

© Nomos. Vente 16, no 159.

  • 45 Sur cette ambivalence, cf. Koortbojian Michael, Crossing the Pomerium, op. cit., p. 73 à propos des (...)
  • 46 Il convient de ne pas sous-évaluer la place réservée à la thématique militaire et victorieuse dans (...)
  • 47 Comme y avait invité Zanker Paul, Augustus, op. cit., p. 62, on peut aussi faire le lien entre les (...)

18Il est donc permis d’interpréter le type de revers des deniers RIC 253 comme une adlocutio qui soit s’inscrirait dans le contexte d’une contio militaire, soit s’adresserait aux sénateurs et citoyens à l’issue de la campagne victorieuse45. Il faut en tout cas souligner que c’est bien un corps d’imperator que la monnaie donne à voir. L’association avec Pax peut certes le situer « à la frontière » entre les sphères militaire et civile, mais elle ne peut occulter la référence à la militia46. Elle proclame que la finalité de l’action guerrière est le rétablissement de la paix. Les types de ce denier sont l’équivalent visuel de la future formule Parta uictoriis pax des Res gestae (13)47.

  • 48 Sur l’Aphrodite-Vénus syllanienne, voir notre monographie De la victoire au pouvoir. Développement (...)
  • 49 Nous avons exposé plus en détail cette interprétation dans « Monnayage et idéologie », art. cité, p (...)

19L’association de l’imperator à la déesse de Vénus dans l’émission RIC 251 est également très cohérente : depuis la dévotion de Sylla envers une Aphrodite-Vénus porteuse de victoire et l’instauration du culte de la Venus Victrix par Pompée, la déesse était à Rome un des numina susceptibles de patronner les chefs de guerre48. La prise en compte de l’ensemble des « types doubles complémentaires » (associant RIC 250 et 251) enrichit encore le message. Au revers du denier RIC 250, Vénus tient un casque en main, tandis qu’un bouclier est posé à ses pieds (fig. 6) : déesse du charme contraignant, elle séduit Mars, le désarme et met fin aux combats meurtriers. Autre façon – théologique et poétique (cf. Lucrèce, 1.29-40) – de suggérer que l’action militaire de l’imperator descendant de la déesse permettra le retour de la paix49.

  • 50 Voir Zanker Paul, Augustus, op. cit., p. 55 ; Ramage Nancy et Ramage Andrew, L’art romain de Romulu (...)

20La proximité entre le diui filius et Vénus – favorisée par le lien « généalogique » avec une divinité qui est aussi la Genetrix césarienne – est soulignée dans la composition de ces deux types de revers : au sceptre tenu par la déesse répond symétriquement la haste de l’imperator. La représentation pieds nus contribue aussi au rapprochement avec la sphère « supra-humaine », héroïque ou divine : c’est ainsi, en effet, qu’on interprète cette caractéristique dans le cas d’un autre loricatus aux pieds nus, l’Auguste de Prima Porta, que semble préfigurer notre type monétaire50.

  • 51 Voir Assenmaker Pierre, « Les grands individus dans les guerres civiles : une nouvelle architecture (...)
  • 52 Une partie des émissions CAESAR DIVI F et IMP CAESAR a vraisemblablement dû financer cette guerre, (...)
  • 53 Suétone, Auguste, 20.2 : « Delmatico etiam uulnera excepit, una acie dextrum genu lapide ictus, alt (...)
  • 54 Sur le capital symbolique que constituait un corps couvert de cicatrices sous la République, voir M (...)

21Présentant le jeune César comme un imperator idéal, les deux types monétaires que nous venons d’analyser participent de la construction de « l’image impératoriale » du triumvir : être un véritable dux au cœur de la mêlée était désormais une des conditions – à côté des généreux donatiua… – de l’acceptation et de la reconnaissance du chef par l’armée51. Le tempérament peu guerrier du futur Auguste était notoire : nous savons qu’il fit pâle figure lors de plusieurs batailles importantes – la première bataille de Modène, Philippe, Nauloque… –, ce que les propagandes de ses adversaires ne manquèrent pas d’exploiter. Mais la tradition littéraire nous a aussi conservé le souvenir de ses efforts pour se conformer à la norme de l’imperator meneur d’hommes : nous lisons chez Suétone que, lors de la guerre d’Illyrie (menée dans les années 35-33, donc grosso modo contemporaine de nos monnaies52), « il reçut même des blessures » (etiam uulnera excepit)53. Ainsi le corps d’Imperator Caesar serait-il à son tour un insigne corpus honestis cicatricibus (Tite-Live, 45.39.13), un corps marqué de ces cicatrices honorables qui, dans la tradition républicaine, signalaient le dévouement du citoyen-soldat envers la Res publica54. Il vaut la peine de citer le résumé que Florus donne de cette même guerre contre les Illyriens :

  • 55 Florus, 2.23 : « In hos expeditionem ipse sumpsit fierique pontes imperauit. Hic et aquis et hoste (...)

22Il se chargea lui-même de l’expédition dirigée contre eux et fit construire des ponts. Là, comme les eaux et l’ennemi mettaient de la confusion dans ses rangs, il arracha un bouclier des mains d’un soldat qui hésitait à monter, et avança le premier. Sa troupe le suivit alors et le pont, s’affaissant sous le poids du nombre, s’écroula ; blessé aux mains et aux jambes, rendu plus impressionnant par le sang dont il était couvert et plus auguste par le danger même qu’il avait couru, il tailla en pièces l’ennemi qui s’enfuyait55.

  • 56 César, Guerre des Gaules, 2.25.2 : scuto ab nouissimis uni militi detracto, quod ipse eo sine scuto (...)

23Dans son résumé extrêmement succinct de la guerre, Florus ne mentionne que ce seul épisode, mais avec force détails. La narration dynamique et l’envolée rhétorique – avec le jeu remarquable sur le comparatif augustior – peuvent donner une idée de la façon dont les actes de bravoure d’Octavien en Illyrie furent exploités dans sa communication politique en cette période où s’exacerbait la rivalité avec Marc Antoine, dont la uirtus militaire n’était plus à démontrer. Le texte de Florus rappelle immanquablement à l’esprit un passage du Bellum Gallicum qui jouissait d’une belle notoriété dans les écoles de rhétorique – il est également exploité par Valère Maxime comme exemplum de la uera uirtus –, où Jules César, pour contenir la déroute de ses troupes face aux Nerviens, arracha un bouclier des mains d’un soldat (scuto […] uni militi detracto) et s’avança au premier rang (in primam aciem processit)56. « Tel père, tel fils » : voilà ce dont le diui filius devait tenter de convaincre son armée et Rome tout entière.

  • 57 Sur ce binôme uirtus-felicitas, voir Combès Robert, Imperator. Recherches sur l’emploi et la signif (...)

24Les deux types de revers qui mettent en scène le « nouveau » César dans les moments clefs de la relation avec les soldats poursuivent le même objectif de persuasion. Ces monnaies destinées à payer la troupe devaient, contre toutes les rumeurs malveillantes, imposer l’image d’un parfait imperator : un commandant valeureux, payant de sa personne, et favorisé par les dieux, doté à la fois de la uirtus et de la felicitas57.

Le corps « éternisé » dans le moment du triomphe

25Conséquence « naturelle » de l’excellence d’Imperator Caesar dans l’art du commandement, la victoire militaire est le thème dominant dans les séries CAESAR DIVI F et IMP CAESAR. Dans plusieurs types monétaires, l’exaltation du vainqueur passe également par des représentations du corps selon différents formats, dans des tenues et avec des attributs variés.

  • 58 Cf. Assenmaker Pierre, De la victoire au pouvoir, op. cit., p. 142-143.
  • 59 Voir Bastien Jean-Luc, Le triomphe romain et son utilisation politique à Rome aux trois derniers si (...)
  • 60 Suétone, Tibère, 6, 5 ; cf. Bastien Jean-Luc, ibid., p. 263. Si l’on cherche à identifier préciséme (...)
  • 61 Cf. aussi les deux enfants représentés avec Octavien sur le currus triumphalis dans la frise du mon (...)
  • 62 En témoignent à suffisance les incertitudes dans l’interprétation de la procession, en dépit d’une (...)
  • 63 Dans une sorte de mise en abîme, on retrouve le quadrige triomphal placé au sommet d’un arc représe (...)

26La représentation la plus « littérale » du jeune César en tant que vainqueur adopte le format du triomphateur sur son quadrige (RIC 263 et 264, fig. 9) ; ce type est le seul à être associé à l’une et l’autre légendes et constitue pour ainsi dire le trait d’union entre les deux séries. Si l’on considère que l’iconographie des émissions CAESAR DIVI F et IMP CAESAR a fait l’objet d’une composition globale, on pourra y voir un indice de la place « centrale » du thème du triomphe dans le message d’ensemble véhiculé par les types. L’image du général triomphant n’avait été auparavant exploitée qu’à trois reprises dans le monnayage romain, pour exalter les triomphes de Marius, Sylla et Pompée (RRC 326/1 ; 367 ; 402/1). Dans les monnaies représentant Sylla et Pompée en triomphateurs, la composition était dotée d’un caractère allégorique plus ou moins appuyé : une Victoire volait à la rencontre de l’imperator pour le couronner et, dans le cas des monnaies de Sylla, ce dernier tenait en outre un caducée, symbole de felicitas et de pax58. Le type de revers conçu pour Octavien ne présente aucun ajout symbolique comparable : il est une représentation fidèle d’un triomphateur, tenant dans sa main l’attribut « réel » de la branche de laurier destinée à être déposée in gremio Iouis à la fin de la cérémonie59. Pour autant, il ne peut être considéré comme une représentation strictement réaliste. Nous savons, en effet, qu’au triomphe actien de 29, Tibère et Marcellus montaient les chevaux de volée du quadrige60 : aucun personnage n’est représenté sur une monture de l’attelage, bien qu’une telle représentation eût été possible (elle est adoptée pour le triomphe de Marius au revers de RRC 326/1)61. On arrive ainsi à un constat similaire à celui qui a pu être établi, par exemple, à propos des reliefs de la procession de l’Ara Pacis : si le monument a certes été réalisé à une occasion particulière, rien dans les images qui l’ornent ne fait référence à un événement précis, situé exactement dans le temps et dans l’espace62. Nos monnaies annoncent ce caractère idéalisant et intemporel de l’art augustéen. Dans un champ monétaire vide de tout élément contingent, elles ne représentent pas tant Imperator Caesar dans l’une des trois pompae triumphales des 13-15 août 29 qu’elles ne donnent à contempler son corps « éternisé » dans l’attitude et la tenue du triomphe63.

Fig. 9. – Denier RIC 264.

Fig. 9. – Denier RIC 264.

© Classical Numismatic Group, Inc. Vente Triton XII, no 533.

Fig. 10. – Aureus RIC 262.

Fig. 10. – Aureus RIC 262.

© Auktionshaus H. D. Rauch GmbH. Vente été 2012, no 738.

  • 64 Voir notre étude « CAESAR DIVI F et IMP CAESAR », art. cité, p. 175-176. Nous y soulignions qu’à la (...)
  • 65 On considère généralement que le cavalier est torse nu : voir notamment Zanker Paul, Augustus, op.  (...)
  • 66 Geste de salutation : voir not. Liegle Josef, « Die Münzprägung Octavians », art. cité, p. 105 ; La (...)
  • 67 Sur la toga praetexta portée par le général ouans, voir Denys d’Halicarnasse, 5.47.3 (cf. l’excursu (...)
  • 68 Liegle Josef, « Die Münzprägung Octavians », art. cité, p. 105-106, avait déjà eu l’intuition de ce (...)

27Il est possible que la représentation équestre au revers des aurei RIC 262 (fig. 10) « immortalise » également le jeune César dans le moment d’une autre cérémonie célébrant une victoire. Dans une précédente étude, nous avons en effet proposé d’y voir – plutôt qu’une statue équestre (cf. supra) – une représentation de l’ouatio du 13 novembre 36, lors de l’entrée à Rome du vainqueur de la guerre de Sicile64. Le cavalier du type monétaire porte distinctement un manteau enroulé autour des hanches et du bras gauche (Hüftmantel), ce qui indique que nous sommes face à une représentation héroïsée. Le torse semble nu, mais l’absence de parallèle dans la statuaire pour un cavalier en Hüftmantel et torse nu a incité plusieurs historiens de l’art à déceler des indices de représentation d’une cuirasse65. Le bras droit levé a été interprété le plus souvent comme un geste de salutation, mais on a pu y voir aussi un geste de commandement ou une manifestation de souveraineté66. Une telle représentation héroïque (ou héroïco-militaire, si le cavalier est cuirassé) invalide-t-elle l’hypothèse d’une référence à l’ouatio ? Certes, sur le type monétaire, Imperator Caesar n’apparaît pas en toga praetexta et couronné de myrte, la tenue normalement revêtue pour l’ouatio67. Cependant, l’élément déterminant qui permettait d’évoquer l’ouatio de 36 est la représentation équestre, comme l’atteste l’expression employée par Dion Cassius (49.15.1) lorsqu’il mentionne l’ouatio parmi les honneurs décernés au vainqueur de Nauloque : « ils lui accordèrent […] de faire son entrée à cheval » (τὸ ἐφ’ ἵππου ἐσελάσαι […] ἔδωκαν). Nous sommes donc d’avis que l’habitus « héroïsant » du cavalier sur les aurei n’empêchait pas de faire le lien avec l’ouatio célébrée après la guerre de Sicile (pas plus que l’attribut symbolique du caducée dans la main de Sylla au revers de RRC 367 n’empêchait d’y voir la représentation d’un triumphus). Exploitant librement les différents registres de la Bildsprache, le ou les concepteurs du type ont conféré à l’image de l’ouatio une dimension supplémentaire, en la faisant « déborder » dans la sphère héroïque68.

L’image monétaire : le champ libre au corps héroïque

28La volonté d’inscrire le jeune César dans la sphère héroïque est encore plus manifeste dans deux autres types des séries CAESAR DIVI F et IMP CAESAR, maintes fois commentés par les historiens de l’art romain, où c’est à nouveau par la représentation particulière du corps qu’est réalisée l’héroïsation de la figure.

  • 69 Pline, Histoire naturelle, 34.18 : « Placuere et nudae (sc. effigies) tenentes hastam ab epheborum (...)
  • 70 Cadario Matteo, « Quando l’habitus faceva il romano », art. cité, p. 121-122 ; id., « Il linguaggio (...)

29Le type de revers des deniers RIC 271 (fig. 11) donne à voir une colonne rostrale surmontée d’une statue que l’on peut décrire, en adoptant la terminologie employée par Pline l’Ancien, comme une effigies Achillea : la figure est nue (elle ne porte qu’un manteau sur l’épaule gauche, qui tombe dans son dos) et tient une lance ainsi qu’une épée au fourreau69. Matteo Cadario a bien montré que la vogue dont jouirent les statues en « nudité armée » au dernier siècle de la République s’explique par la séduction irrésistible, pour des chefs de guerre en quête de légitimation et d’exaltation de leur pouvoir, de ce mode de représentation charismatique emprunté à l’art hellénistique70.

Fig. 11. – Denier RIC 271.

Fig. 11. – Denier RIC 271.

© Roma Numismatics Limited. E-Sale 41, no 675.

  • 71 Outre notre étude déjà citée (« CAESAR DIVI F et IMP CAESAR », p. 174-175), voir dans ce sens notam (...)
  • 72 Zanker Paul, Augustus, op. cit., p. 50 ; Sehlmeyer Markus, Stadtrömische Ehrenstatuen, op. cit., p. (...)
  • 73 Remarque pertinente de Schipporeit Sven T., « Sieger zur See », art. cité, p. 146, n. 35. Cf. Cadar (...)
  • 74 Cf. Jordan-Ruwe Martina, Das Säulenmonument. Zur Geschichte der erhöhten Aufstellung antiker Porträ (...)
  • 75 Il suffit de rapprocher la statue de notre type monétaire d’autres représentations héroïques d’Octa (...)

30Nous savons qu’au retour de la guerre de Sicile, le jeune César avait reçu, par un décret du Sénat, l’honneur d’une colonne rostrale surmontée d’une statue dorée le représentant « dans la tenue (l’attitude ?) qu’il avait lors de son entrée en ville » (μετὰ σχήματος οὗπερ ἔχων εἰσῆλθε), ainsi que le spécifie Appien (Guerres civiles 5.130). Il est vraisemblable que le type monétaire de la série IMP CAESAR se fasse l’écho de ce monument71. Se pose donc la question de savoir avec quel degré d’exactitude la statue iconique représentée sur les deniers correspond à celle réellement placée sur la colonne du forum, dont Appien évoque le σχῆμα particulier (un terme qui – comme habitus en latin – peut désigner soit la tenue, soit plus généralement l’attitude, le maintien d’un corps). Sur la base du type monétaire, il a été supposé que le vainqueur de Nauloque aurait fait son entrée en ville vêtu à la grecque, en chlamyde plutôt qu’en toge prétexte (vêtement normalement porté lors d’une ouatio)72. Même si l’on admet cette interprétation, force est de reconnaître qu’Octavien n’avait certes pas défilé à moitié nu – on sait d’ailleurs qu’il était à cheval et à pas à pied – et que les témoignages d’Appien et du type monétaire ne se recoupent donc pas parfaitement73. On peut certes invoquer une erreur d’Appien ou, comme dans le dossier de la statue équestre présenté plus haut, imaginer que la statue avait été remplacée ou qu’un changement était intervenu entre la conception originelle du projet et sa réalisation74. Cependant, il est peut-être préférable de considérer que le ou les concepteurs du type monétaire ont, de façon autonome, adopté un type de représentation courant, celui de la « nudité armée », qui évoquait peut-être le σχῆμα particulier d’Imperator Caesar le jour de son ouatio (s’il s’était vêtu « à la grecque »), mais qui servait en tout cas à exalter sur le mode héroïque la uirtus guerrière du vainqueur75. Il nous paraît important de prendre en considération la possibilité d’une « variation libre » de la part des concepteurs et graveurs d’un type monétaire lorsqu’ils représentent un monument existant. De telles images, qui recourent à des conventions propres à l’iconographie monétaire et s’inscrivent dans un contexte différent du monument représenté (en l’occurrence le message global des séries CAESAR DIVI et IMP CAESAR), doivent être appréhendées davantage comme un « écho » que comme la reproduction fidèle de telle statue ou monument.

  • 76 Voir l’interprétation du sceptre donnée par Justin, 43.3.3 ; dans la série CAESAR DIVI F, un sceptr (...)
  • 77 Voir Hallett Christopher H., The Roman Nude, op. cit., p. 115-120 ; Cadario Matteo, « L’immagine mi (...)
  • 78 Hallett Christopher H., The Roman Nude, op. cit., p. 120.
  • 79 Sur le rapport entre l’émission d’Octavien et celle de Sextus Pompée, voir dernièrement (avec bibli (...)

31Un second type monétaire, appartenant à la série CAESAR DIVI F, dote le jeune César d’un corps héroïque, voire divin (RIC 256, fig. 12). Comme sur la monnaie que nous venons d’analyser, celui-ci est représenté nu, avec un manteau agrafé sur l’épaule ; il porte un baudrier avec une épée au fourreau et relève donc aussi de la catégorie de la « nudité armée ». Mais les autres attributs de la figure enrichissent de façon significative la symbolique de la représentation : dans la main droite, le personnage tient un aplustre, qui renvoie à la sphère maritime ; de la main gauche, il s’appuie non plus sur une lance, mais sur un sceptre – à interpréter en l’occurrence comme un attribut divin plutôt que royal76. Le corps est penché vers l’avant et le pied droit est appuyé sur un support : cette position correspond à un type de statue iconique en vogue à l’époque triumvirale pour la représentation héroïsée de commandants militaires77. Comme l’a bien montré Christopher Hallett, ce type statuaire exprime avant tout la domination – une domination acquise par les armes et qui s’exerce sur un domaine symbolisé par l’objet sur lequel est appuyé le pied78. Dans le cas de notre image monétaire, une victoire navale (explicitée par l’aplustre) permet au héros d’exercer sa souveraineté sur l’orbis terrarum tout entier : Imperator Caesar prend appui non pas sur un « simple » rostre, comme dans la monnaie de Sextus Pompée (RRC 511/2) à laquelle répond cette émission, mais sur un globe – une image éminemment « césarienne » puisqu’une statue en bronze de Jules César sur le Capitole présentait déjà le dictateur comme un « demi-dieu » dominant l’oikoumène79.

Fig. 12. – Denier RIC 256.

Fig. 12. – Denier RIC 256.

© Numismatik Lanz München. Vente 162, no 204.

  • 80 Voir notamment Pollini John, « Man or God », art. cité, p. 347-348 et dernièrement Maschek Dominik, (...)

32Il a été relevé de longue date que l’attribut de l’aplustre et la position du corps rapprochent le type monétaire de la célèbre statue de Poséidon sculptée par Lysippe, qui servit de modèle à plusieurs représentations (notamment monétaires) du dieu marin dans le monde hellénistique – un type iconographique traditionnellement désigné comme le « Neptune du Latran80 ». Le type du denier CAESAR DIVI F a ainsi pour fonction de rapprocher Imperator Caesar de Neptune non pas en l’assimilant directement au dieu, mais en le figurant dans une pose et avec des attributs qui le qualifient comme « héros neptunien ».

  • 81 Entre autres Zanker Paul, Augustus, op. cit., p. 48-50 ; Sehlmeyer Markus, Stadtrömische Ehrenstatu (...)
  • 82 Cf. Mannsperger Dietrich, « Annos undeviginti natus », art. cité, p. 332 : « Offensichtlich beabsic (...)
  • 83 Sur les représentations (très variées et souvent héroïsées) d’Octavien-Auguste dans la glyptique, l (...)
  • 84 Sur l’iconographie monétaire « als eigene Gattung », capable de développements autonomes, il faut r (...)

33Les affinités indéniables de cette image monétaire avec les statues iconiques doivent-elles nous amener à considérer qu’elle représenterait une statue décrétée en l’honneur d’Octavien à la suite d’une victoire ? C’est ce qu’ont supposé la plupart des historiens de l’art, en s’autorisant des autres représentations de statues dans le monnayage du jeune César (les statues équestres et celle de la colonne rostrale)81. Cette interprétation n’est certes pas exclue, mais nous avons vu plus haut les problèmes que pose l’interprétation des types monétaires comme reproductions « littérales » de statues dont l’existence est attestée par les sources littéraires. Puisque la grande majorité des statues érigées à Rome pour le futur Auguste ont disparu sans laisser la moindre trace dans notre documentation, il serait possible, à la rigueur, de proposer un modèle statuaire pour toutes les représentations d’Octavien dans le monnayage de l’époque triumvirale82. Une telle approche de la typologie monétaire nous paraît problématique dans la mesure où elle semble postuler que l’expérimentation iconographique et la création de représentations (héroïques ou autres) du corps ne peuvent advenir que dans le domaine de la statuaire. Or, tout indique que les graveurs de coins – à l’instar des graveurs d’intailles ou de camées83 – possédaient eux aussi leurs « cartons » et pouvaient puiser librement dans le répertoire commun de la Bildsprache (tenues, attributs…) pour élaborer des images exprimant au mieux le message que l’autorité émettrice de la monnaie entendait véhiculer84.

Le corps en toge, incarnation de la vie civique refondée

  • 85 Voir Hölscher Tonio, « Die Geschichtsauffassung », art. cité, p. 282 (qui ne relève pas la présence (...)
  • 86 Cf. par exemple, dans le monnayage augustéen, les deniers RIC 162-165 et 200-202.
  • 87 Cf. Hölscher Tonio, Krieg und Kunst, op. cit., p. 279 sur les représentations de l’empereur comme « (...)

34À côté des corps militaires et héroïques, la série IMP CAESAR donne à voir un « troisième corps » d’Imperator Caesar : le corps civique, signalé comme tel par le vêtement symbole par excellence de la ciuitas Romana, la toge. Un premier togatus se rencontre au revers des deniers RIC 270 (fig. 13) : on y voit le jeune César – dont l’identification est à nouveau assurée par le principe des « types doubles complémentaires » (cf. supra) – assis sur une sella curulis et tenant dans la main droite une statuette de la Victoire tendant une couronne. Cette image peut être rapprochée d’une scène qui orne le skyphos d’Auguste du trésor de Boscoreale, où le Prince, pareillement représenté en toge et assis sur une sella curulis, est également associé à une Victoire tenue en main. Mais sur la coupe d’argent, cette Victoire n’est pas dans la main du togatus : elle est tenue par Vénus qui, à la tête d’un groupe de divinités, s’approche pour poser la Victoriola sur le globe qu’Auguste tient dans la main droite. Le sens de cette scène allégorique est obvie : les dieux offrent, par la victoire, la souveraineté universelle au Prince (ancré dans la sphère civile par la toge et le uolumen qu’il tient dans la main gauche)85. Sur le denier IMP CAESAR, en revanche, le togatus assis est représenté seul (alors que le type monétaire aurait pu accueillir aussi la représentation d’une divinité apportant la Victoriola86) et il tient lui-même en main la Victoire. La signification allégorique est donc différente : il ne s’agit pas de représenter, comme dans la coupe de Boscoreale, le moment où la victoire universelle est conférée au Prince, mais un Prince déjà (et à jamais) en possession de la victoire87.

Fig. 13. – Denier RIC 270.

Fig. 13. – Denier RIC 270.

© Roma Numismatics Limited. Vente 13, no 726.

  • 88 Rich John W. et Williams J. H. C., « Leges et Ivra P. R. Restitvit: A New Aureus of Octavian and th (...)

35Dans le type monétaire comme dans la coupe de Boscoreale, la Victoriola tient une couronne dans sa main tendue, un type iconographique déjà répandu dans le monde grec. Si l’on admet qu’il ne s’agit pas ici d’une formule figée par l’usage et que le geste de la Victoire est signifiant, il convient de se demander qui la déesse ailée s’apprête à couronner. Comme l’ont très justement souligné John Rich et J. H. C. Williams, sur le denier, la Victoriola tourne le dos au togatus et tend sa couronne en direction d’un « unseen recipient », en lequel ces auteurs proposent de voir le peuple romain88.

  • 89 Comme la plupart des représentations d’Octavien dans nos séries monétaires, le type du togatus assi (...)
  • 90 La représentation d’un togatus assis au revers des deniers RRC 426/1 renvoie à un autre contexte : (...)

36Dans l’analyse de cette image, il convient de prendre en compte aussi les antécédents, dans le domaine de l’iconographie monétaire romaine, du type du togatus assis89. Celui-ci avait déjà été exploité à deux reprises dans le monnayage tardo-républicain pour représenter des magistrats dans l’exercice de leurs fonctions. Sur une émission généralement datée de 100 (RRC 330), les questeurs Piso et Caepio étaient figurés assis sur un subsellium ; la légende ad fru(mentum) emu(ndum) ex S. C. ainsi que les épis de blé encadrant le type explicitaient le contexte frumentaire (probablement la lex frumentaria de Saturninus) qui avait donné lieu à cette représentation et à la frappe même de cette émission spéciale. À l’époque du régime cinnanien, deux édiles de la plèbe, M. Fannius et L. Critonius, s’étaient fait représenter de façon similaire – également assis sur un subsellium – au revers d’une autre émission spéciale (RRC 351). L’effigie de Cérès au droit et l’épi de blé accompagnant la scène du revers mettaient à nouveau cette frappe en lien avec l’approvisionnement de Rome. On constate donc que, dans la tradition monétaire, l’image – assez rare – des deux magistrats en toge et assis avait été choisie pour illustrer, sur des émissions spéciales (non produites par les tresuiri monetales), des bienfaits envers l’Vrbs et le peuple romain90.

  • 91 Une objection a été avancée à l’encontre de cette interprétation par Zehnacker Hubert, « Quelques r (...)

37Il nous paraît intéressant de garder à l’esprit la possible connotation « populaire » de cette iconographie pour interpréter le type des deniers IMP CAESAR dans la perspective de la Bildsprache monétaire. Si l’on admet qu’un magistrat figuré de la sorte sur une monnaie peut être perçu comme un « bienfaiteur du peuple romain », dans le cas des deniers RIC 270, la nature du bienfait n’est plus en lien avec le ravitaillement frumentaire de Rome, mais est explicitée par la Victoriola tenue en main par le togatus, un attribut qui convoque dans ce type la thématique militaire et triomphale qui se déploie dans la plupart des émissions CAESAR DIVI F et IMP CAESAR. Le détour par les deux types monétaires républicains nous mène ainsi à la même lecture que John Rich et J. H. C. Williams. Nous sommes d’avis aussi que l’orientation et le geste de la Victoire sont significatifs et que le type ne représente pas Imperator Caesar couronné par la Victoire, mais offrant la victoire (et tout ce qui en découle) au peuple romain91. Cette image est l’expression du fondement militaire de la restauration de la vie civique (symbolisée par le magistrat en toge sur la sella curulis), qui n’a été rendue possible que par le succès des armes et dont la pérennité est garantie par le lien permanent qui unit Imperator Caesar à la Victoire.

  • 92 Depuis sa publication en 1999 (Rich John W. et Williams J. H. C., « Leges et Ivra P. R. Restitvit » (...)
  • 93 À la suite de Rich John W. et Williams J. H. C., « Leges et Ivra P. R. Restitvit », art. cité, p. 1 (...)
  • 94 Voir Rich John, « Making the Emergency Permanent », art. cité, p. 95, qui envisage différentes inte (...)
  • 95 Sur la stratégie de revalorisation du consulat à partir de 31, voir Dalla Rosa Alberto, « L’aureus (...)

38Une représentation similaire du jeune César en toge, assis sur la sella curulis, se trouve au revers d’une émission qui n’appartient pas aux séries CAESAR DIVI F et IMP CAESAR, mais qui leur est immédiatement postérieure et ouvre une « nouvelle période » dans le monnayage d’Octavien-Auguste : les fameux aurei de l’année 28 – dont le premier des deux exemplaires connus est apparu sur le marché en 1992 – à l’exceptionnelle légende de revers LEGES ET IVRA P.R. RESTITVIT (fig. 14)92. Nous ne nous y intéresserons ici que pour relever deux points. D’une part, le type iconographique du togatus assis est à nouveau employé pour commémorer un bienfait en rapport avec le peuple, sinon adressé au peuple93 – lequel est « présent » à travers l’abréviation P. R. de la légende. D’autre part, il y a une différence sémantique profonde entre cette représentation et le type du denier IMP CAESAR, induite par le changement de l’attribut. Sur l’aureus de 28, le magistrat tient en main un uolumen (comme sur la coupe de Boscoreale), qui – complété par le scrinium posé à ses pieds – achève de situer l’action du togatus dans le monde civique, plus spécifiquement juridique, puisque l’image est la représentation symbolique de la restitutio des leges et iura (c’est-à-dire du droit objectif) proclamée par la légende (quel que soit le sens exact à donner au verbe restituere)94. Plus rien, dans ce type, n’évoque l’imperator victorieux, qui a désormais fait entièrement place au consul – le titre fait sa réapparition dans la légende du droit, qui contraste avec celles des émissions des années précédentes, exclusivement focalisées sur le nom du jeune César95.

Fig. 14. – Aureus, British Museum, CM 1995.4-1.1.

Fig. 14. – Aureus, British Museum, CM 1995.4-1.1.

© The Trustees of the British Museum.

  • 96 L’ambivalence du corps d’Auguste – à la fois corps physique et personnification allégorique de l’em (...)
  • 97 Sur l’aureus de 28, qui célèbre la restitutio des lois du peuple romain, le rouleau tenu par Impera (...)

39Dans les deux représentations que nous venons d’analyser (comme dans la scène de la coupe de Boscoreale), le corps en toge, assis sur le siège réservé aux magistrats supérieurs, nous paraît être tout à la fois une représentation d’Imperator Caesar et un symbole du fonctionnement harmonieux de la vie civique. À la différence des images analysées précédemment, il nous semble donc que, sur ces monnaies, le corps d’Imperator Caesar peut être considéré aussi comme l’incarnation du « corps politique96 ». Supposer la présence implicite du populus Romanus comme « unseen recipient » dans les types de l’aureus de 28 et du denier IMP CAESAR n’invalide pas cette analyse. Certes, si l’on reconstituait l’entièreté de la scène, nous aurions face à face le Prince et le peuple, ce qui interdirait de facto que le premier incarne le second. Mais, précisément, ces deux types monétaires ne représentent pas le peuple (dont la présence ne peut être postulée, selon nous, qu’en raison du geste de la Victoriola ou des lettres P R de la légende). C’est le corps en toge qui, du point de vue iconographique, situe l’action dans la sphère civile et permet de comprendre que le destinataire (éventuel) du geste est le « peuple de la toge » (et non, par exemple, l’armée, comme dans le type de l’imperator en cuirasse, cf. supra). Dans ces images d’une densité complexe, le corps en toge fonctionne donc bien aussi comme un symbole renvoyant à la communauté civique dans son ensemble97.

  • 98 Suétone, Auguste, 7.4 : « quibusdam censentibus Romulum appellari oportere quasi et ipsum conditore (...)
  • 99 Voir notre étude « Monnayage et idéologie », art. cité, p. 68-69 (avec la bibliographie).

40La seconde représentation d’un togatus dans la série IMP CAESAR se trouve au revers des deniers RIC 272 : on y voit un homme en toge, capite uelato, qui conduit une charrue tirée par deux bœufs (fig. 15). Le fait que le personnage soit voilé indique qu’il effectue un acte religieux. Le rite représenté est à l’évidence celui de la fondation. Une fois encore, on relève l’absence de référence à un événement particulier : comme dans les représentations d’Imperator Caesar en triomphateur et en magistrat, il nous semble que les diverses tentatives de rattacher le type à une fondation en particulier (par exemple celle de Nicopolis) occultent la signification essentiellement abstraite et symbolique de cette image. Conçue à une époque où l’on songeait à accorder au futur Auguste le surnom de Romulus « dans l’idée qu’il était lui aussi un fondateur de Rome98 », cette image exprime le concept d’une nouvelle fondation de l’Vrbs99. Si l’on ne peut douter qu’il faille reconnaître Octavien dans le personnage représenté, comme dans toutes les autres figures humaines ou héroïques des séries CAESAR DIVI F et IMP CAESAR, ce togatus capite uelato est sans doute l’image qui peut le moins être définie comme une « représentation » du jeune César. Le « corps physique » est ici singulièrement évanescent : de taille plus réduite dans le champ monétaire, d’une physionomie inidentifiable, il s’efface derrière l’allégorie. Néanmoins, le corps reste visible et connoté : c’est ce corps civique et religieux, dans le geste du conditor, qui incarne la (re)fondation de Rome, le rétablissement de la vie civique au sortir des guerres civiles.

Fig. 15. – Denier RIC 272.

Fig. 15. – Denier RIC 272.

© Kölner Münzkabinett Tyll Kroha Nachfolger UG. Vente 109, no 409.

Conclusion : un corps « abstrait » dans tous ses états

  • 100 Voir la synthèse de Cadario Matteo, « Les formes de célébration du prince », art. cité, et id., « L (...)
  • 101 Sur le « renoncement » d’Auguste à l’image loricata, voir Cadario Matteo, La corazza di Alessandro. (...)
  • 102 Sauron Gilles, Quis deum ? L’expression plastique des idéologies politiques et religieuses à Rome à (...)

41Les études des représentations figurées d’Octavien-Auguste permettent d’écrire une histoire des choix des types iconographiques accomplis, sur toute la durée de son principat, pour célébrer ses succès et exalter sa position au sein de la Res publica100. Durant la période triumvirale et pendant les années qui suivent directement la fin des guerres civiles, la plupart des images du jeune César adoptèrent les types à connotation militaire et héroïque, inspirés de l’art hellénistique, que l’aristocratie romaine s’était appropriée dans le courant du ier siècle. Cette image guerrière du souverain s’estompa progressivement au fil du règne. Le recours à la toge se généralisa pour les portraits d’Auguste, et les représentations cuirassées ne furent plus utilisées pour le Prince, mais pour ses duces, les généraux qui menaient campagne sous ses auspices101. Un moment crucial dans l’évolution de l’autoreprésentation augustéenne – dont l’importance fut confirmée a posteriori dans les Res gestae (24.2) – fut la fonte d’environ quatre-vingts statues en argent (pedestres et equestres et in quadrigeis) qui avaient été érigées en son honneur à Rome. Le Prince les fit lui-même (ipse) enlever et, de leur produit, déposa des offrandes en or au temple d’Apollon. Gilles Sauron a livré un commentaire suggestif de la signification symbolique de ce geste : « Auguste a voulu renoncer d’une façon spectaculaire à l’imagerie héritée du monde hellénistique qui identifiait le chef charismatique à un héros, mais à un héros égaré en plein “âge de fer” au sens hésiodique (et virgilien !) du terme102. »

  • 103 Voir notre étude « Monnayage et idéologie », art. cité, p. 79-84.

42Se situant dans la période charnière entre ces deux phases de l’(auto)représentation augustéenne, le programme iconographique des séries CAESAR DIVI F et IMP CAESAR puise dans tous les types de représentation disponibles et donne à voir le corps d’Imperator Caesar « dans tous ses états ». Loin d’être séparés ou opposés, les différents registres – militaire, héroïque, civique – sont combinés pour construire un corps « polyphonique ». Ainsi l’imperator en cuirasse (RIC 251), représenté sans chaussures, met-il pour ainsi dire le pied dans la sphère héroïque, de même que les représentations du cavalier semi-nu (RRC 497/1 et RIC 262) renvoient à l’habitus des statues iconiques « achilléennes ». Même le type civique par excellence du togatus assis (RIC 270) est enrichi d’une note triomphale par l’attribut de la Victoriola. Il faut noter en outre que le type de droit auquel il est associé élargit encore le champ sémantique de cette émission, tout en prolongeant l’interaction entre les thèmes civiques et victorieux : on y voit le buste d’une borne hermaïque présentant les traits du jeune César couronné de laurier et, derrière, un foudre. Le corps disparaît ici au service de l’allégorie : Imperator Caesar apparaît en dieu Terminus – le protecteur des limites, garant de la fides et de la concorde – et est doté de l’insigne jovien103.

  • 104 Il offre un exemple de synthèse des deux orientations de l’art augustéen – « Hellenistische Panegyr (...)

43Le type du togatus « nikèphore » constitue pour ainsi dire l’interface entre les imageries héroïco-militaire et civique104. À cet égard, malgré les similitudes entre les deux représentations, le togatus du revers de l’aureus de 28 est révélateur de l’inflexion que connaît alors, dans la sphère publique, l’image de celui qui sera bientôt Auguste : dans ce type conçu pour célébrer un moment crucial du retour au fonctionnement régulier de la Res publica, toute référence au charisme victorieux est effacée, seul reste le corps civique. Au moment où le vainqueur a acquis le pouvoir de fait, son corps est ainsi dépouillé des attributs qui devaient, dans le contexte des guerres civiles, construire son image de chef charismatique et le hisser au-dessus des mortels.

  • 105 « Hier wurde die Ästhetik bewusst in den Dienst der Politik gestellt », comme l’écrit Zanker Paul, (...)
  • 106 Cf. par exemple RIC I2, Gaius, 32, 40, 48 (ADLOCVT. COH.). Si l’on suit la distinction entre adlocu (...)
  • 107 À l’appui de cette interprétation spécifique au denier RIC 270 et à l’aureus de 28, on notera que t (...)

44La représentation du corps est apparue comme un instrument privilégié de la construction du message idéologique véhiculé par les émissions CAESAR DIVI F et IMP CAESAR. La focalisation sur le corps d’Imperator Caesar est l’un des traits caractéristiques de cette iconographie monétaire d’une qualité esthétique exceptionnelle105. Dans certains types, elle passe par une « abstraction » du corps hors d’une scène où il serait censé interagir avec d’autres figures. L’exemple le plus évident en est le type de l’adlocutio (RIC 253). Il suffit de comparer cette représentation avec les scènes de contio du monnayage julio-claudien, où les soldats auxquels s’adresse l’empereur sont présents dans le champ, pour prendre la mesure de l’isolation du corps du protagoniste dans notre monnayage106. Ce procédé de composition confère, on l’a vu, un caractère abstrait à la représentation et accroît la valeur allégorique du corps représenté. C’est ainsi que le corps en toge d’Imperator Caesar (dans le denier RIC 270 et dans l’aureus de 28) non seulement contient la référence à la sphère civique, mais peut même représenter le fonctionnement régulier des institutions de la Res publica. De toutes les images du corps analysées ici, ce sont les deux seules auxquelles il nous paraît que la notion de « corps politique » puisse être appliquée – même si ce n’est pas la seule lecture possible –, dans la mesure où l’image ne représente pas seulement Imperator Caesar (sur un mode plus ou moins « réaliste »), mais renvoie à une instance autre107.

  • 108 La date de 28 est assurée concernant l’aureus ; pour l’émission RIC 270, voir notre étude « Monnaya (...)
  • 109 Meister Jan B., Der Körper des Princeps, op. cit., p. 158-169 et p. 273-274. Cf. la conclusion simi (...)
  • 110 Cf. Squire Michael, « Corpus imperii », art. cité.
  • 111 Panégyrique, 72.1 (cité par Meister Jan B., Der Körper des Princeps, op. cit., p. 163, et Le Doze P (...)

45Ainsi, dans ces deux types conçus peu après la fin des guerres civiles108, il nous semble permis de considérer que le corps du (bientôt) Prince incarne la Res publica. De l’analyse de la documentation littéraire, Jan B. Meister, rejoint par Philippe Le Doze dans le présent volume, concluait – non sans nuances – à la non-incarnation, aux yeux de l’aristocratie sénatoriale, de la res publica dans le corps du Prince sous le Haut-Empire, en raison de la préexistence d’un corpus Rei publicae autonome sous la République et de la survivance de cette conception à l’époque impériale109. Les œuvres figurées amènent à un constat encore moins univoque : dans certaines images – pas seulement celles examinées ici110 – le corps d’Auguste fonctionne bien comme symbole de Rome en tant que communauté politique (qu’on y voie la Res publica ou la ciuitas Romana). Élaboré en fonction d’une tradition et d’une finalité différentes, le langage iconographique a pu expérimenter d’autres voies que celles tracées par la philosophie et l’historiographie sénatoriale ; à cet égard, il n’est pas fortuit que le panégyrique ait trouvé des accents similaires aux allégories des arts figurés, ainsi quand Pline le Jeune déclarait à Trajan : uni tibi, in quo et res publica et nos sumus111.

  • 112 Sur les rares occurrences (épigraphiques et iconographique) de la Res publica dans le monnayage aug (...)

46Nous ne soutenons cependant pas que de telles représentations, ponctuelles, devinrent la norme – on peut y voir des expérimentations plus ou moins hardies –, et moins encore qu’elles menèrent à une théorie systématisée des « deux corps de l’empereur ». Concernant le monnayage, on notera ainsi que, dans la suite du principat, la Res publica sera mentionnée à quelques reprises dans les légendes du monnayage augustéen ; elle sera même représentée par une figure allégorique dans une autre rarissime émission d’aurei (RIC 413, connue par un seul exemplaire). Sur cette monnaie, probablement frappée en 12, Auguste debout en toge relève une figure féminine agenouillée devant lui, identifiée par la légende RES PVB112. Une telle représentation, où le corps du Prince et celui de la Res publica interagissent, implique nécessairement que l’un et l’autre ne se confondent pas.

  • 113 L’importance de la distinction entre représentations officielles et non officielles a été soulignée (...)

47Ceci étant, la comparaison avec cette image met à nouveau en lumière, par contraste, la place prépondérante – presque exclusive – accordée au corps d’Imperator Caesar dans les émissions CAESAR DIVI F et IMP CAESAR. À considérer l’ensemble des monnayages émis au(x) nom(s) d’Octavien-Auguste entre 43 et 14 apr. J.-C., ces deux séries se signalent véritablement comme le lieu d’une mise en scène du corps. La documentation numismatique permet ainsi de reconnaître dans les années 36-29 le moment d’une exploitation particulièrement intense du « langage du corps », voire d’une expérimentation de ses possibilités, et ce à travers un objet – la monnaie – éminemment public (à la différence des « panégyriques visuels » de l’Auguste de Prima Porta ou des coupes de Boscoreale, qui relèvent de la sphère privée)113. Peut-être l’expérimentation la plus audacieuse de toutes était-elle, en définitive, la représentation d’un César porteur à la fois de la toge et de la Victoire : dans sa projection sur le corps « républicain » d’un halo victorieux « hellénistique », cette image pourrait résumer à elle seule l’ambiguïté du régime qui était en train de naître.

Annexes

Abréviations utilisées pour les références des émissions monétaires

L’abréviation est suivie du no de catalogue.

Catalogue BnFGiard Jean-Baptiste, Monnaies de l’Empire romain, t. I : Auguste. Catalogue, Paris, Bibliothèque nationale de France/Poinsignon Numismatique, 20013.

RICSutherland Carol H. V., The Roman Imperial Coinage, vol. 1 : Revised Edition. From 31 BC to AD 69, Londres, Spink, 1984 (no de catalogue des émissions augustéennes).

RPC I = Burnett Andrew, Amandry Michel et Ripollès Pere Pau, Roman Provincial Coinage, vol. 1 : From the Death of Caesar to the Death of Vitellius (44 BC-AD 69), Londres/Paris, British Museum Press/Bibliothèque nationale, 19921, 19982, 20063.

RRCCrawford Michael H., Roman Republican Coinage, Cambridge, Cambridge University Press, 1974.

Notes

1 Meister Jan B., Der Körper des Princeps. Zur Problematik eines monarchischen Körpers ohne Monarchie, Stuttgart, Steiner, 2012. Cf. id., « Corps et politique : l’exemple du corps du prince. Bilan historiographique », DHA, supplément no 14, 2015, L’histoire du corps dans l’Antiquité : bilan historiographique. Journée de printemps de la SOPHAU du 25 mai 2013, Florence Gherchanoc (dir.), p. 109-125.

2 Paru en 1957, traduit en français en 1989, l’ouvrage est aujourd’hui réédité dans la collection « Princeton Classics » : Kantorowicz Ernst H., The King’s Two Bodies. A Study in Medieval Political Theology. With a New Introduction by Conrad Leyser, Princeton/Oxford, Princeton University Press, 2016.

3 À l’exception du chapitre ii.4, consacré aux images du corps du Prince, mais qui n’analyse aucun document iconographique (Meister Jan B., Der Körper des Princeps, op. cit., p. 192-221).

4 Un desideratum déjà exprimé dans la recension de l’ouvrage par Benoist Stéphane, Sehepunkte, no 13, 2013, [http://www.sehepunkte.de/2013/04/21573.html], consulté le 28 novembre 2020.

5 Squire Michael, « Corpus imperii: Verbal and Visual Figurations of the Roman “body politic” », Word and Image, no 31, 2015, p. 305-330.

6 Ibid., p. 316 (cf. p. 310 et 321).

7 Toutes les dates s’entendent avant J.-C., sauf mention contraire.

8 RIC 250-274. La datation des émissions est discutée : voir Assenmaker Pierre, « CAESAR DIVI F et IMP CAESAR. De la difficulté de dater des émissions monétaires », in Ghislaine Moucharte et al. (dir.), Liber Amicorum Tony Hackens, Louvain-la-Neuve, Association de numismatique professeur Marcel Hoc, 2007, p. 159-177. La fourchette chronologique de 36 à début 27 que nous avions proposée dans cette étude est ramenée à 36-29, avec un argument concernant le changement de composition des légendes en 28 qui emporte notre adhésion, par Suspène Arnaud, « Un aperçu de la politique de l’or d’Octavien-Auguste : l’émission triumvirale RIC I2 Augustus 273 », RN, no 174, 2017, p. 7-36, part. p. 9, n. 11 ; cf. id., « Tanta copia nummariae rei. Trésor lagide et monnaies romaines entre la chute d’Alexandrie (août 30 av. J.-C.) et les trois triomphes d’Octavien (août 29 av. J.-C.) », in Thomas Faucher (dir.), Money Rules! The Monetary Economy of Egypt, from Persians until the Beginning of Islam, Le Caire, Institut français d’archéologie orientale, 2020, p. 287-307, part. p. 298-299. Sur les messages véhiculés par ces émissions, voir Assenmaker Pierre, « Monnayage et idéologie dans les années de Nauloque et d’Actium », RBN, no 154, 2008, p. 55-85. L’étude la plus récente consacrée à l’ensemble de ce monnayage est à notre connaissance celle de Marqués González Néstor F., « Monedas de guerra y de triunfo de Octaviano. Las series CAESAR DIVI F e IMP CAESAR (RIC I2 250-274) », Saguntum, no 47, 2015, p. 89-104 ; cf. aussi Amela Valverde Luis, « Augusto antes de Augusto: la amonedación de C. Julio Octaviano en su imaginario », Omni, no 8, 2014, p. 68-90.

9 RIC 251, 253, 256, 262, 263, 264, 267, 270, 271, 272.

10 Voir entre autres Meister Jan B., Der Körper des Princeps, op. cit., p. 41-51 et 109-118.

11 Nous résumons ici les points essentiels de la synthèse de Cadario Matteo, « Il linguaggio dei corpi nel ritratto romano », in Eugenio La Rocca et Claudio Parisi Presicce, avec Annalisa Lo Monaco (dir.), Ritratti. Le tante facce del potere, Rome, MondoMostre, 2011, p. 209-221 (qui se fonde notamment sur Pline, Histoire naturelle, 34.18-20). Cf. id., « Quando l’habitus faceva il romano (o il greco). Identità e costume nelle statue iconiche tra II e I secolo a.C. », in Eugenio La Rocca et Claudio Parisi Presicce, avec Annalisa Lo Monaco (dir.), I giorni di Roma. L’età della conquista, Milan, Skira, 2010, p. 115-124. Voir aussi Sauron Gilles, L’art romain des conquêtes aux guerres civiles, Paris, Picard, 2013, p. 103-142. Sur les statues iconiques (dans la nudité « héroïque »), voir Hallett Christopher H., The Roman Nude. Heroic Portrait Statuary 200 BC-AD 300, Oxford, Oxford University Press, 2005.

12 Sur les émissions RRC 490/1 et 3, voir Woytek Bernhard, Arma et nummi. Forschungen zur römischen Finanzgeschichte und Münzprägung der Jahre 49 bis 42 v. Chr., Vienne, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 2003, p. 469-470 et 472-473. Sur la statue équestre, voir Bergemann Johannes, Römische Reiterstatuen. Ehrendenkmäler im öffentlichen Bereich, Mayence, von Zabern, 1990, p. 161-163 ; Sehlmeyer Markus, Stadtrömische Ehrenstatuen der republikanischen Zeit. Historizität und Kontext von Symbolen nobilitären Standesbewusstseins, Stuttgart, Steiner, 1999, p. 249-251. Cf. dernièrement Koortbojian Michael, Crossing the Pomerium. The Boundaries of Political, Religious, and Military Institutions from Caesar to Constantine, Princeton/Oxford, Princeton University Press, 2020, p. 71-75.

13 Le geste du cavalier rappelle la représentation de la statue équestre de Sylla – également placée aux rostres et mentionnée par Velleius Paterculus (2.61.3) – au revers des aurei frappés par le questeur A. Manlius, sans doute en 80 (RRC 381/1). L’habit qu’il porte (difficile à identifier) pourrait aussi être comparé à celui de la statue de Sylla, dans lequel Crawford Michael H., Roman Republican Coinage, op. cit., p. 397, voit un sagum (qui renverrait donc à la sphère militaire) ; mais cf. Pollini John, « Man or God: Divine Assimilation and Imitation in the Late Republic and Early Principate », in Kurt A. Raaflaub et Mark Toher (dir.), Between Republic and Empire. Interpretations of Augustus and His Principate, Berkeley/Los Angeles/Londres, University of California Press, 1990, p. 334-363, part. p. 343, n. 39, qui l’interprète comme une trabea (voir l’état de la question chez Letzner Wolfram, Lucius Cornelius Sulla. Versuch einer Biographie, Munster, Lit, 2000, p. 266, n. 87). Selon Koortbojian Michael, Crossing the Pomerium, op. cit., p. 74-75, Octavien serait représenté loricatus.

14 Sur cette émission, voir Woytek Bernhard, Arma et nummi, op. cit., p. 494-496.

15 Si le cavalier est effectivement nu, il s’agit d’une représentation exceptionnelle, sans parallèle dans la statuaire : voir infra, n. 65 p. 176.

16 Voir dans ce sens Koortbojian Michael, Crossing the Pomerium, op. cit., p. 76-77 ; cf. Cadario Matteo, « Reception and Transformation of the Greek Repertory in Roman Late-Republican Portraits: The Role of the Fringed Cloak in the Military Image », in Ralf von den Hoff, François Queyrel et Éric Perrin-Saminadayar (dir.), Eikones. Portraits en contexte. Recherches nouvelles sur les portraits grecs du ve au ier s. av. J.-C., Venose, Osanna, 2016, p. 295-315, part. p. 303-304, qui interprète le lituus comme faisant référence à la fois à l’augurat et aux auspices (ou à l’imperium). L’entrée d’Octavien dans le collège des augures est datée de 43 (sur la base de la légende de RRC 490/2) par Rüpke Jörg, Fasti sacerdotum. Die Mitglieder der Priesterschaften und das sakrale Funktionspersonal römischer, griechischer, orientalischer und jüdisch-christlicher Kulte in der Stadt Rom von 300 v. Chr. bis 499 n. Chr. Teil 2: Biographien, Stuttgart, Steiner, 2005, p. 839.

17 C’est l’interprétation la plus courante : voir notamment Zanker Paul, Augustus, op. cit., p. 46 ; Polito Eugenio, « Una statua equestre e gli esordi di Ottaviano. A proposito del ritratto bronzeo dal Mare Egeo », Archäologischer Anzeiger, no 2, 2015, p. 19-44, part. p. 29. Se pose la question de savoir si l’attribut du lituus pourrait être placé dans la main d’un personnage qui ne serait pas augure.

18 Pour un inventaire complet des représentations associant Auguste et le lituus dans le monnayage et l’art augustéens, voir Györi Victoria, « The lituus and Augustan Provincial Coinage », Acta Ant. Hung., no 55, 2015, p. 45-60 (nous ne partageons cependant pas l’hypothèse selon laquelle le lituus, dans l’iconographie augustéenne, refléterait principalement le rôle d’Auguste comme « fondateur »).

19 C’est une hypothèse envisagée (mais pas privilégiée) par Bergemann Johannes, Römische Reiterstatuen, op. cit., p. 162 et Polito Eugenio, « Una statua equestre », art. cité, p. 34.

20 Sur la datation discutée de cette statue, voir dernièrement (avec bibliographie) Polito Eugenio, « Una statua equestre », art. cité, qui soutient (part. p. 32) que la conception d’une telle image d’Octavien ne peut être postérieure à 43. L’anneau de la statue équestre d’Octavien n’est pas exceptionnel : on retrouve le lituus sur le chaton d’anneaux représentés sur plusieurs statues iconiques en bronze : voir Rocco Giulia, « Anelli con il lituus su statue bronzee romane », in Cecilia Braidotti, Emanuele Dettori et Eugenio Lanzillotta (dir.), Οὐ πᾶν ἐφήμερον. Scritti in ricordo di Roberto Pretagostini. Offerti da Colleghi, Dottori e Dottorandi di ricerca della Facoltà di Lettere e Filosofia, Rome, Università degli Studi di Roma « Tor Vergata », 2009, p. 735-747, part. p. 736-738.

21 Voir déjà dans ce sens Polito Eugenio, « Una statua equestre », art. cité, p. 30. L’auteur va plus loin et considère comme plausible (ibid., p. 33-39) que la statue de la Mer Égée dérive directement du type statuaire créé en 43 (qu’il s’agisse d’une copie à proprement parler ou d’une version modifiée).

22 Selon Pollini John, « Man or God », art. cité, p. 343, n. 38, le type des aurei de 42 (avec le lituus) représenterait la statue réellement érigée, tandis que les deniers de 43 auraient été émis avant sa réalisation effective.

23 Le torse est peut-être nu, mais sans certitude : cf. Pollini John, ibid., p. 342 et 344, n. 41.

24 Mannsperger Dietrich, « Annos undeviginti natus. Das Münzsymbol für Octavians Eintritt in die Politik », in Bettina von Freytag gen. Löringhoff, Dietrich Mannsperger et Friedhelm Prayon (dir.), Praestant interna. Festschrift für Ulrich Hausmann, Tubingue, Wasmuth, 1982, p. 331-337, part. p. 334 ; Zanker Paul, Augustus, op. cit., p. 46-47. Voir les arguments à l’encontre de cette interprétation chez Polito Eugenio, « Una statua equestre », art. cité, p. 30. On a supposé aussi que la statue connue par la monnaie de 41 aurait remplacé celle de 43, qui aurait été abattue en 41 : Bergemann Johannes, Römische Reiterstatuen, op. cit., p. 162-163 ; Polito Eugenio, ibid., p. 37.

25 L’hypothèse d’une autre statue en l’honneur d’Octavien (érigée « sur ordre du peuple ») s’appuie principalement sur la grande similitude entre la statue de la monnaie de 41 (RRC 518/2) et le cavalier représenté sur les aurei RIC 262 à la légende CAESAR DIVI F (selon nous, ce type ne représente pas une statue, cf. infra). Voir dans ce sens Sear David R., The History and Coinage of the Roman Imperators 49-27 BC, Londres, Spink, 1998, p. 184 et 242 ; Sehlmeyer Markus, Stadtrömische Ehrenstatuen, op. cit., p. 251. En faveur de l’interprétation comme statue du diuus Iulius, voir notamment Pollini John, « Man or God », art. cité, p. 343-344. Cf. l’état de la question chez Polito Eugenio, « Una statua equestre », art. cité, p. 26.

26 Voir déjà les excellentes remarques de Bergemann Johannes, Römische Reiterstatuen, op. cit., p. 162 (suivi par Polito Eugenio, « Una statua equestre », art. cité, p. 26).

27 Sur le « charisme du chef de guerre » conféré par les statues équestres, voir Cadario Matteo, « L’immagine militare a Capua e in Campania tra gli anni delle guerre civili e l’inizio dell’età augustea », in Cristina Chiaramonte Treré, Giovanna Bagnasco Gianni et Federica Chiesa (dir.), Interpretando l’antico. Scritti di archeologia offerti a Maria Bonghi Jovino, Milan, Cisalpino Istituto Editoriale Universitario, 2012, p. 849-868, part. p. 857-858. À propos de la monnaie analysée ici, cf. Polito Eugenio, « Una statua equestre », art. cité, p. 30 et 37.

28 Pour le lien suggestif avec la première phrase des Res gestae, voir Mannsperger Dietrich, « Annos undeviginti natus », art. cité, p. 336.

29 La description la plus minutieuse que nous connaissions de ces deux types monétaires est celle de Mannsperger Dietrich, « Ikonographische Interpretation von Münzbildern: Zwei Denare Octavians aus der Zeit nach Naulochos (36 v. Chr.) », LNV, no 4, 1992, p. 231-239, part. p. 232-233.

30 Sur un unique exemplaire, conservé à Paris (Catalogue BnF, no 5), le personnage de ce type monétaire tient un globe dans sa main droite tendue. Cette singularité pourrait s’expliquer comme un ajout effectué par un graveur qui n’avait pas un bon modèle sous les yeux, comme l’a proposé Mannsperger Dietrich, « Ikonographische Interpretation », art. cité, p. 233-234, n. 6). Vu que le globe n’est présent que sur un exemplaire, on ne peut en tout cas pas considérer que le type de revers de l’émission RIC 251 avait été conçu pour exprimer une notion de souveraineté universelle (pace Hölscher Tonio, Krieg und Kunst im antiken Griechenland und Rom. Vier Triebkräfte kriegerischer Gewalt: Heldentum, Identität, Herrschaft, Ideologie, Berlin/Boston, De Gruyter, 2019, p. 253).

31 Mannsperger Dietrich, « Ikonographische Interpretation », art. cité, p. 233 et 234 (qui pense à un tissu matelassé : « gesteppter Waffenrock »). Son interprétation (que nous avions adoptée dans notre étude « CAESAR DIVI F et IMP CAESAR », art. cité, p. 160) a convaincu Laube Ingrid, Thorakophoroi. Gestalt und Semantik des Brustpanzers in der Darstellung des 4. bis 1. Jhs. v. Chr., Rahden/Westph., Leidorf GmbH, 2006, p. 117-118, qui propose comme parallèle la représentation de Drusus dans la procession de l’Ara Pacis.

32 Laube Ingrid, ibid., p. 117, n. 1039.

33 Ibid. : « Es wäre möglich, daß Octavian über dem Untergewand aus Stoff, wie der Tunica, zusätzlich eine Art „Panzerfutter“ aus Leder trug, dessen unterer Rand in Streifen geschnitten wurde und so das Pterygion bildete. » C’est aussi à un vêtement de cuir que pensait Mannsperger Dietrich, « Die Münzprägung des Augustus », in Gerhard Binder (dir.), Saeculum Augustum III. Kunst und Bildersprache, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1991 (1984), p. 348-399, part. p. 365 (« mit ledernen Untergewand »).

34 Nous devons cette judicieuse observation à Marco Cavalieri et Matteo Cadario.

35 Il est délicat, en tout cas, de décrire sans autre forme de procès le personnage comme « Gepanzerter » : ainsi Trillmich Walter, « Münzpropaganda », in M. Hofter et alii (dir.), Kaiser Augustus und die verlorene Republik. Eine Ausstellung im Martin-Gropius-Bau, Berlin. 7. Juni-14. August 1988, Mayence, von Zabern, 1988, p. 474-528, part. 509. Mieux vaut donc s’en tenir à la description « in military dress » donnée dans le RIC (Sutherland Carol H. V., The Roman Imperial Coinage, op. cit., p. 59) ; cf. Sear David R., The History and Coinage, op. cit., p. 242-243.

36 Sur les mullei, voir Nardon Anna Maria et Rodinò Martina, « In planta pedis. Le calzature del mondo classico proposte per categorie », in Lorenza Camin, Caterina Chiarelli et Fabrizio Paolucci (dir.), Ai piedi degli dei. Le calzature antiche e la loro fortuna nella cultura del Novecento, Florence, Firenze Musei, p. 91-109, part. p. 100-101.

37 La structure typologique de ce groupe d’émissions a été mise en lumière par Kraft Konrad, Zur Münzprägung des Augustus, Wiesbaden, Steiner, 1969, p. 6-19 ; cf. notre étude « CAESAR DIVI F et IMP CAESAR », art. cité, p. 161, n. 5. Le principe des « types doubles complémentaires » avait été exposé (à propos d’émissions républicaines) par Alföldi Andreas, « Komplementäre Doppeltypen in der Denarprägung der römischen Republik », Schweizer Münzblätter, no 2, 1951/5, p. 1-7.

38 Voir notamment Sutherland Carol H. V., The Roman Imperial Coinage, op. cit., p. 59 ; Trillmich Walter, « Münzpropaganda », art. cité, p. 509.

39 Voir respectivement Zanker Paul, Augustus, op. cit., p. 61 (« führt Octavian sein Heer mit pathetischer Gebärde in den Kampf ») ; Liegle Josef, « Die Münzprägung Octavians nach dem Siege von Actium und die augusteische Kunst », JDAI, no 56, 1941, p. 91-119, part. p. 104 (« die Gebärde dessen, der herbeieilt, um Hilfe zu bringen und Unruhe zu beschwichtigen ») ; Mannsperger Dietrich, « Ikonographische Interpretation », art. cité, p. 233, n. 6, et p. 236 (la main droite tendue comme symbole de fides et de concordia) ; cf. id., « Die Münzprägung des Augustus », art. cité, p. 366.

40 Voir Flaig Egon, Den Kaiser herausfordern. Die Usurpation im römischen Reich, Francfort/New York, Campus, 20192 p. 180-182.

41 Sur les contiones militaires et les adlocutiones qui y étaient prononcées, voir Pina Polo Francisco, Las contiones civiles y militares en Roma, Saragosse, Departamento de ciencias de la Antigüedad. Universidad de Zaragoza, 1989, p. 199-243 ; David Jean-Michel, « Les contiones militaires des colonnes trajane et aurélienne : les nécessités de l’adhésion », in John Scheid et Valérie Huet (dir.), Autour de la colonne aurélienne. Geste et image sur la colonne de Marc Aurèle à Rome, Turnhout, Brepols, 2000, p. 213-226.

42 Si l’on met en doute l’identification à Pax proprement dite, on y verra au moins une personnification de la concorde et de la prospérité : ainsi Havener Wolfgang, Imperator Augustus. Die diskursive Konstituierung der militärischen persona des ersten römischen princeps, Stuttgart, Steiner, 2016, p. 131-132.

43 Mannsperger Dietrich, « Ikonographische Interpretation », art. cité, p. 235-236 (qui s’appuie sur Appien, Guerres civiles, 5.130.540-542). Cf. Gurval Robert A., Actium and Augustus. The Politics and Emotions of Civil War, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1995, p. 62-63.

44 Dion Cassius, 49.15.3. Cf. Appien, Guerres civiles, 5.130.538-540, qui date le discours (au Sénat et au peuple) contenant la proclamation de la fin des guerres civiles et les mesures fiscales du lendemain de l’arrivée d’Octavien à Rome ; le récit d’Appien implique également une situation extra pomerium puisque qu’il ne mentionne qu’ensuite (§ 541) qu’Octavien accepte l’ouatio qui avait été décrétée en son honneur.

45 Sur cette ambivalence, cf. Koortbojian Michael, Crossing the Pomerium, op. cit., p. 73 à propos des statues équestres de Sylla et d’Octavien érigées aux rostres : le cavalier, avec le bras tendu dans le geste de l’adlocutio, semble s’adresser à la fois à ses troupes assemblées et – vu l’emplacement des statues – aux concitoyens dans l’Vrbs.

46 Il convient de ne pas sous-évaluer la place réservée à la thématique militaire et victorieuse dans les célébrations de 36, comme l’a rappelé récemment Havener Wolfgang, Imperator Augustus, op. cit., p. 76-83 (cf. p. 193-252 pour l’analyse dans cette perspective de la formule parta uictoriis pax).

47 Comme y avait invité Zanker Paul, Augustus, op. cit., p. 62, on peut aussi faire le lien entre les types de Pax et de l’adlocutio et la harangue que Dion Cassius fait prononcer à Octavien avant la bataille d’Actium : dans la péroraison du discours, l’imperator exhorte ses soldats à « mettre fin à toute la guerre » (Dion Cassius, 50.30.1). On se gardera évidemment de voir dans ce rapprochement un indice pour la datation de notre émission : il s’agit d’un topos de l’éloquence militaire librement exploité par l’historien de l’époque sévérienne.

48 Sur l’Aphrodite-Vénus syllanienne, voir notre monographie De la victoire au pouvoir. Développement et manifestations de l’idéologie impératoriale à l’époque de Marius et Sylla, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2014, p. 253-290 ; sur Vénus patronne des imperatores à la fin de la République, voir Schilling Robert, La religion romaine de Vénus depuis les origines jusqu’au temps d’Auguste, Rome, École française de Rome, 1954, p. 272-346 ; cf. la récente synthèse de Hoët-Van Cauwenberghe, « Vénus et les imperatores, des généraux républicains aux empereurs romains », in Caroline Husquin et Cyrielle Landrea (dir.), Religions et pouvoir dans le monde romain de 218 av. J.-C. à 250 ap. J.-C., Paris, Ellipses, 2020, p. 369-383.

49 Nous avons exposé plus en détail cette interprétation dans « Monnayage et idéologie », art. cité, p. 70-71. Sur Vénus comme déesse du charme magique, contraignant, voir Schilling Robert, La religion romaine de Vénus, op. cit., passim et part. p. 54-56.

50 Voir Zanker Paul, Augustus, op. cit., p. 55 ; Ramage Nancy et Ramage Andrew, L’art romain de Romulus à Constantin, Cologne, Könemann, 1999 (2e éd. anglaise 1995), p. 95 ; cf. Simon Erika, Augustus. Kunst und Leben in Rom um die Zeitenwende, Munich, Hirmer, 1986, p. 55. Cette interprétation est refusée par Mannsperger Dietrich, « Ikonographische Interpretation », art. cité, p. 237-238, qui établit un lien avec les représentations de serments dans le monnayage des iiie et iie siècles et voit dans l’imperator de notre type monétaire un général prêtant un serment d’alliance (et donc une figure de concordia). Ce rapprochement ne nous paraît guère convaincant ; de plus, la récurrence des images « héroïques » dans les séries monétaires qui nous occupent (cf. infra) invite à interpréter dans ce sens aussi les pieds nus de l’imperator de RIC 251.

51 Voir Assenmaker Pierre, « Les grands individus dans les guerres civiles : une nouvelle architecture normative ? », in Tanja Itgenshorst et Philippe Le Doze (dir.), La norme sous la République et le Haut-Empire romains. Élaboration, diffusion et contournements, Bordeaux, Ausonius, 2017, p. 463-481, part. p. 473-474.

52 Une partie des émissions CAESAR DIVI F et IMP CAESAR a vraisemblablement dû financer cette guerre, et il pourrait s’agir précisément des deniers analysés ici, puisqu’ils sont à ranger parmi les premières frappes en raison du grènetis bordant les types de RIC 252-253 : cf. Assenmaker Pierre, « CAESAR DIVI F et IMP CAESAR », art. cité, p. 165 et 171. Pour une réévaluation (nécessaire) de l’importance de la guerre d’Illyrie dans la construction de « l’image impératoriale » du jeune César, voir Šašel Kos Marjeta, « Octavian’s Illyrian War: Ambition and Strategy », in Marina Milićević Bradač et Dino Demicheli (dir.), The Century of the Brave. Roman Conquest and Indigenous Resistance in Illyricum during the Time of Augustus and His Heirs, Zagreb, University of Zagreb, 2018, p. 41-57.

53 Suétone, Auguste, 20.2 : « Delmatico etiam uulnera excepit, una acie dextrum genu lapide ictus, altera et crus et utrumque brachium ruina pontis consauciatus. »

54 Sur le capital symbolique que constituait un corps couvert de cicatrices sous la République, voir Meister Jan B., Der Körper des Princeps, op. cit., p. 95-104.

55 Florus, 2.23 : « In hos expeditionem ipse sumpsit fierique pontes imperauit. Hic et aquis et hoste turbantibus, cunctanti ad ascensum militi scutum de manu rapuit et uiam primus ingressus est. Tum agmine secuto cum subrutus multitudine pons succidisset, saucius manibus et cruribus, speciosior sanguine et ipso periculo augustior terga hostium percecidit », trad. modifiée de Paul Jal, CUF.

56 César, Guerre des Gaules, 2.25.2 : scuto ab nouissimis uni militi detracto, quod ipse eo sine scuto uenerat, in primam aciem processit. Cf. Valère Maxime, 3.2.19. L’épisode de la bataille contre les Nerviens est également relaté par Florus, dans des termes similaires au passage césarien et à son propre résumé de la guerre d’Illyrie (1.45.4 : nutante in fugam exercitu, rapto fugientis e manu scuto in primam uolitans aciem manu proelium restituit). Sur le rapprochement de ces différents textes, voir Schmit-Neuenburg Tilman, « Eine Caesar-Reminiszenz bei Valerius Flaccus? », WJA, no 24, 2000, p. 179-183, part. 180-182 (mais l’auteur rattache erronément Florus 2.23 à la campagne illyrienne de Drusus).

57 Sur ce binôme uirtus-felicitas, voir Combès Robert, Imperator. Recherches sur l’emploi et la signification du titre d’imperator dans la Rome républicaine, Paris, Presses universitaires de France, 1966, p. 214-222.

58 Cf. Assenmaker Pierre, De la victoire au pouvoir, op. cit., p. 142-143.

59 Voir Bastien Jean-Luc, Le triomphe romain et son utilisation politique à Rome aux trois derniers siècles de la République, Rome, École française de Rome, 2007, p. 262.

60 Suétone, Tibère, 6, 5 ; cf. Bastien Jean-Luc, ibid., p. 263. Si l’on cherche à identifier précisément le triomphe représenté sur les revers de RIC 263-264, il s’agit le plus vraisemblablement de celui commémorant Actium (14 août 29) puisque les droits figurent une Victoire juchée sur une proue et tendant une couronne. À nouveau, la combinaison du droit et du revers permet de complexifier le message : si l’image du revers renonce à la composition symbolique des types de Sylla et Pompée, cette dimension est « récupérée » au droit.

61 Cf. aussi les deux enfants représentés avec Octavien sur le currus triumphalis dans la frise du monument de Nicopolis : voir Pollini John, From Republic to Empire. Rhetoric, Religion, and Power in the Visual Culture of Ancient Rome, Norman, University of Oklahoma Press, 2012, p. 194-196.

62 En témoignent à suffisance les incertitudes dans l’interprétation de la procession, en dépit d’une bibliographie pléthorique ; voir par ex. Rossini Orietta, Ara Pacis, Rome, Electa, 2006, p. 48-54. Le constat peut être étendu à de nombreux reliefs historiques romains, dont les scènes ne permettent pas d’identifier précisément l’événement qui a donné lieu à la représentation : voir Hölscher Tonio, « Die Geschichtsauffassung in der römischen Repräsentationskunst », JDAI, no 95, 1980, p. 265-321, part. p. 282-286.

63 Dans une sorte de mise en abîme, on retrouve le quadrige triomphal placé au sommet d’un arc représenté au revers d’une émission IMP CAESAR (RIC 267) ; il doit s’agir d’un des deux arcs érigés sur le Forum après Nauloque et Actium (Dion Cassius, 49.15.1 et 51.19.1), mais ici aussi, l’essentiel n’est pas de permettre l’identification d’un monument en particulier, mais de rappeler qu’un tel honneur avait été rendu à Imperator Caesar vainqueur (cf. Mannsperger Dietrich, « Annos undeviginti natus », art. cité, p. 332).

64 Voir notre étude « CAESAR DIVI F et IMP CAESAR », art. cité, p. 175-176. Nous y soulignions qu’à la différence des types représentant explicitement des statues (RRC 490/1 et 3 ; 497/1 ; 518/2), le type RIC 252 ne comporte pas de légende relative à l’instance qui avait fait ériger la statue ; ajoutons aussi l’absence de ligne de sol symbolisant le socle de la statue. Notre hypothèse a été jugée vraisemblable par Marqués González Néstor F., « Monedas de guerra y de triunfo », art. cité, p. 98 (qui admet une « dualité symbolique » de l’image monétaire). Sur l’exploitation de l’ouatio de 36 dans la communication politique d’Octavien, voir Suspène Arnaud, « Un aperçu de la politique de l’or », art. cité, p. 30-31.

65 On considère généralement que le cavalier est torse nu : voir notamment Zanker Paul, Augustus, op. cit., p. 47 ; Bergemann Johannes, Römische Reiterstatuen, op. cit., p. 162 ; Pollini John, « Man or God », art. cité, p. 342 ; Sehlmeyer Markus, Stadtrömische Ehrenstatuen, op. cit., p. 251. Selon Laube Ingrid, Thorakophoroi, op. cit., p. 144-145, un cavalier avec le haut du corps nu et un ftmantel n’aurait pas de sens ; elle avance plusieurs éléments en faveur d’une cuirasse (« die plastische Hervorhebung der Brustmuskulatur sowie die deutlichen [!] Absätze an den Oberarmen, die auf Armpteryges hindeuten »). Matteo Cadario (communication par mail) distingue lui aussi sur certains exemplaires le trait après l’épaule ; il incline (mais sans certitude) à considérer que le torse est cuirassé en raison de l’absence de statues équestres combinant Hüftmantel et torse nu. Il faut aussi verser au dossier le cavalier de la statue équestre au revers des aurei RRC 497/1, qui apparaît bien nu et avec un pan de manteau sur le bras (cf. supra).

66 Geste de salutation : voir not. Liegle Josef, « Die Münzprägung Octavians », art. cité, p. 105 ; Laube Ingrid, Thorakophoroi, op. cit., p. 144. Pour les autres interprétations, voir l’état de la question chez Mannsperger Dietrich, « Annos undeviginti natus », art. cité, p. 331. Cet auteur voit dans le bras levé du cavalier « eine Geste des Imperators » (ibid., p. 336). Zanker Paul, Augustus, op. cit., p. 47 va plus loin : « eine allgemeinere Aussage im Sinne umfassender Herrschaft ».

67 Sur la toga praetexta portée par le général ouans, voir Denys d’Halicarnasse, 5.47.3 (cf. l’excursus accordé à l’ouatio par Plutarque, Vie de Marcellus, 22.2-8) ; cf. Bastien Jean-Luc, Le triomphe romain, op. cit., p. 268-271. Si Octavien était couronné de myrte pour l’ouatio du 13 novembre 36, cette couronne pouvait prendre dans son cas une signification particulière, puisque le myrte était consacré à Aphrodite-Vénus (comme le souligne Plutarque, loc. cit.) : posé sur la tête d’Imperator Caesar, le myrte rappelait le lien personnel, « généalogique », qui l’unissait à la déesse. Virgile avait-il à l’esprit l’ouatio de 36 lorsque, dans l’invocation au début des Géorgiques, il décrivait le jeune César « ceignant ses tempes du myrte maternel » (1.28 : cingens materna tempora myrto) ?

68 Liegle Josef, « Die Münzprägung Octavians », art. cité, p. 105-106, avait déjà eu l’intuition de ces deux « niveaux » de lecture, mais les opposait au lieu de les combiner : « Das Rückseitenbild […] scheint auf den ersten Blick den reitenden Imperator darzustellen, der seine Soldaten begrüßt. Jedoch die Tracht des Reiters stimmt damit nicht überein » (citation p. 105). Il excluait donc la référence à la sphère militaire pour n’y voir qu’une représentation héroïque. Le caractère « intemporel » et héroïsant de la représentation a été remarquablement décrit par Mannsperger Dietrich, « Annos undeviginti natus », art. cité, p. 336 : « Sowohl Statue wie Münzbild erstreben eine zeitlosere Symbolik, die auch göttliche Züge mit aufnehmen kann, ohne ganz der Vergottung anheimzufallen. » À la différence de cet auteur, nous n’y voyons pas un obstacle à la référence à l’ouatio.

69 Pline, Histoire naturelle, 34.18 : « Placuere et nudae (sc. effigies) tenentes hastam ab epheborum e gymnasiis exemplaribus, quas Achilleas uocant. »

70 Cadario Matteo, « Quando l’habitus faceva il romano », art. cité, p. 121-122 ; id., « Il linguaggio dei corpi », art. cité, p. 214-215 ; id., « L’immagine militare a Capua e in Campania », art. cité, p. 858-862.

71 Outre notre étude déjà citée (« CAESAR DIVI F et IMP CAESAR », p. 174-175), voir dans ce sens notamment Zanker Paul, Augustus, op. cit., p. 50 ; Gurval Robert A., Actium and Augustus, op. cit., p. 58 ; Sehlmeyer Markus, Stadtrömische Ehrenstatuen, op. cit., p. 256-257 ; Hallett Christopher H., The Roman Nude, op. cit., p. 97 ; Cadario Matteo, « Quando l’habitus faceva il romano », art. cité, p. 122 ; Marqués González Néstor F., « Monedas de guerra y de triunfo », art. cité, p. 97. Voir un état de la question détaillé chez Schmuhl Yvonne, Römische Siegesmonumente republikanischer Zeit. Untersuchungen zu Ursprüngen, Erscheinungsformen und Denkmalpolitik, Hambourg, Dr. Kovač, 2008, p. 143-145 et 149-150. On sait par une glose de Servius aux Géorgiques, 3.29, que quatre colonnes rostrales furent aussi érigées à la suite de la victoire sur l’Égypte in honore Augusti et Agrippae ; il n’est pas spécifié qu’elles aient été surmontées de statues. Il est donc plus vraisemblable que la colonne représentée sur notre monnaie soit la colonne unique, avec une statue, décrétée en l’honneur du seul Octavien après Nauloque. Contra Pollini John, From Republic to Empire, op. cit., p. 74 (qui considère que la statue représente Octavien « like a young Ares/Mars ») ; Schipporeit Sven T., « Sieger zur See in luftiger Höhe. Innovative Ehrungen für Duilius und Augustus », in Manuel Flecker et al. (dir.), Augustus ist tot – Lang lebe der Kaiser! Internationales Kolloquium anlässlich des 2000. Todesjahres des römischen Kaisers vom 20.-22. November 2014 in Tübingen, Rahden/Westph., Leidorf GmbH, 2017, p. 141-155, part. p. 149-150. Par ailleurs, on a aussi émis l’hypothèse que la statue mentionnée par Appien correspondrait au type de l’imperator faisant le geste de l’adlocutio (RIC 253, cf. supra) : Mannsperger Dietrich, « Die Münzprägung des Augustus », art. cité, p. 365.

72 Zanker Paul, Augustus, op. cit., p. 50 ; Sehlmeyer Markus, Stadtrömische Ehrenstatuen, op. cit., p. 257 ; nous avions suivi cette interprétation dans notre étude citée (« CAESAR DIVI F et IMP CAESAR », p. 175 et n. 75).

73 Remarque pertinente de Schipporeit Sven T., « Sieger zur See », art. cité, p. 146, n. 35. Cf. Cadario Matteo, « L’immagine militare a Capua e in Campania », art. cité, p. 862, n. 55, qui se contente de relever la divergence entre le type monétaire et le passage d’Appien (dont il conclut qu’Octavien devrait être représenté en habit militaire sur la colonne, alors que c’était la toga praetexta que le général vainqueur portait lors de l’ouatio, cf. supra, n. 67 p. 177) ; id., « Reception and Transformation », art. cité, p. 298 (qui se demande si le σχῆμα est le costume de l’ouatio). Par ailleurs, vu qu’Octavien était entré dans Rome à cheval (Dion Cassius, 49.15.1), faut-il dès lors imaginer une statue équestre au sommet de la colonne rostrale ? Cf. id., « Les formes de célébration du prince », in Auguste. Rome, Scuderie del Quirinale, 18 octobre 2013-9 février 2014. Paris, Grand Palais, Galeries nationales, 19 mars-13 juillet 2014, Paris, RMN/Grand Palais, 2014 p. 108-111, part. p. 108 et 110.

74 Cf. Jordan-Ruwe Martina, Das Säulenmonument. Zur Geschichte der erhöhten Aufstellung antiker Porträtstatuen, Bonn, Habelt, 1995, p. 64-66 ; Cadario Matteo, « Les formes de célébration du prince », art. cité, p. 110 (qui suppose que le type de RIC 271 représente une seconde statue qui aurait été érigée sur la colonne rostrale après Actium).

75 Il suffit de rapprocher la statue de notre type monétaire d’autres représentations héroïques d’Octavien (des intailles et peut-être une statue) pour se convaincre de la diffusion de ce genre d’images : voir Hallett Christopher H., The Roman Nude, op. cit., p. 98-99.

76 Voir l’interprétation du sceptre donnée par Justin, 43.3.3 ; dans la série CAESAR DIVI F, un sceptre identique se retrouve comme attribut de Vénus au revers de RIC 250.

77 Voir Hallett Christopher H., The Roman Nude, op. cit., p. 115-120 ; Cadario Matteo, « L’immagine militare a Capua e in Campania », art. cité, p. 859-862 ; Sauron Gilles, L’art romain, op. cit., p. 116-119 ; Maschek Dominik, « Waves of Fortune, Waves of Fate. Sextus Pompeius and the Importance of Marine Symbolism in Rome’s Civil Wars », in Laura Kersten et Christian Wendt (dir.), Rector maris. Sextus Pompeius und das Meer, Bonn, Habelt, 2020, p. 91-117, part. 104-109 (ce dernier n’y voit cependant qu’un symbolisme marin).

78 Hallett Christopher H., The Roman Nude, op. cit., p. 120.

79 Sur le rapport entre l’émission d’Octavien et celle de Sextus Pompée, voir dernièrement (avec bibliographie) notre étude « Neptune dans le panthéon d’Imperator Caesar : de l’art de récupérer un dieu hostile », in Yann Berthelet et Françoise Van Haeperen (dir.), Dieux de Rome et du monde romain en réseaux, Bordeaux, Ausonius, 2021, p. 181-209, part. p. 194. La statue de Jules César sur le Capitole, érigée en avril 46, est connue par Dion Cassius, 43.14.6 et 21.2. Elle était accompagnée d’une inscription où le dictateur était qualifié de ἡμίθεος selon Dion Cassius (ce qui pourrait correspondre à heros, hemitheus, diuus ou semideus) ; le second passage indique que l’image de l’oikoumène était ὑπὸ τοῖς ποσίν. La statue adoptait vraisemblablement le schéma du pied appuyé sur un support, qui devait être en l’occurrence un globe (plutôt qu’une personnification féminine) : voir Cadario Matteo, « Le statue di Cesare a Roma tra il 46 e il 44 a.C. La celebrazione della vittoria e il confronto con Alessandro e Romolo », Acme, no 59, 2006, p. 25-70, part. p. 27-30. Sur le lien entre le type de RIC 256 et la statue de Jules César, voir aussi Zanker Paul, Augustus, op. cit., p. 49-50.

80 Voir notamment Pollini John, « Man or God », art. cité, p. 347-348 et dernièrement Maschek Dominik, « Waves of Fortune », art. cité, p. 104-105.

81 Entre autres Zanker Paul, Augustus, op. cit., p. 48-50 ; Sehlmeyer Markus, Stadtrömische Ehrenstatuen, op. cit., p. 259 (« der erste definitive Beleg für eine nackte Ehrenstatue in Rom » !) ; Hallett Christopher H., The Roman Nude, op. cit., p. 119 ; Cadario Matteo, « Le statue di Cesare », art. cité, p. 30 ; voir dernièrement encore Maschek Dominik, « Waves of Fortune », p. 92-93. Contra Pollini John, « Man or God », art. cité, p. 346.

82 Cf. Mannsperger Dietrich, « Annos undeviginti natus », art. cité, p. 332 : « Offensichtlich beabsichtigt ist dabei auch die Verwischung der Grenzen zwischen Natur und Kunst, so daß man etwa im Zweifel sein kann, ob die Octaviansfigur der Pax-Gruppe [RIC 253] ein Wesen von Fleisch und Blut oder eine Statue abbilden soll. »

83 Sur les représentations (très variées et souvent héroïsées) d’Octavien-Auguste dans la glyptique, l’étude fondamentale reste celle de Maderna-Lauter Caterina, « Glyptik », in M. Hofter et al. (dir.), Kaiser Augustus und die verlorene Republik, op. cit., p. 441-473.

84 Sur l’iconographie monétaire « als eigene Gattung », capable de développements autonomes, il faut relire Hölscher Tonio, « Die Bedeutung der Münzen für das Verständnis der politischen Repräsentationskunst der späten römischen Republik », in Tony Hackens et Raymond Weiller (dir.), Actes du 9e Congrès international de numismatique, Berne, septembre 1979, Louvain-la-Neuve, Association internationale des numismates professionnels, 1982, p. 269-282 (citation p. 270). En lien avec le type que nous commentons ici, on peut illustrer ce point par l’exemple d’une émission de Pella, en Macédoine (RPC I 1548), qui représente au droit (avec la légende IMP DIVI F – ACTIO) le vainqueur d’Actium debout, en cuirasse, tenant un manteau dans la main gauche et appuyé sur une lance, le pied droit posé sur une proue : il s’agit d’une combinaison libre des types du loricatus et du « Neptune du Latran ». Nul besoin d’imaginer un modèle statuaire pour rendre compte de ce type (Zanker Paul, Augustus, op. cit., p. 296-297 n’en suppose pas) ; on relèvera plutôt la similitude avec le droit de l’émission RRC 533/1 de Marc Antoine.

85 Voir Hölscher Tonio, « Die Geschichtsauffassung », art. cité, p. 282 (qui ne relève pas la présence du uolumen) ; id., Krieg und Kunst, op. cit., p. 280-284 ; cf. Kuttner Ann L., Dynasty and Empire in the Age of Augustus. The Case of the Boscoreale Cups, Berkeley/Los Angeles/Oxford, University of California Press, 1995, p. 35-68 sur la coupe d’Auguste et part. p. 53-56 pour la comparaison avec RIC 270.

86 Cf. par exemple, dans le monnayage augustéen, les deniers RIC 162-165 et 200-202.

87 Cf. Hölscher Tonio, Krieg und Kunst, op. cit., p. 279 sur les représentations de l’empereur comme « Verkörperung der absoluten Siegesmacht », avec cette remarque éclairante : « Der Sieg ist keine Aktion, keine Anstrengung und Leistung, sondern ein Zustand. »

88 Rich John W. et Williams J. H. C., « Leges et Ivra P. R. Restitvit: A New Aureus of Octavian and the Settlement of 28-27 BC », NC, no 159, 1999, p. 169-213, part. p. 179-180. Ces auteurs mettent en lumière l’ambivalence du type monétaire (« no doubt deliberate ») : d’une part celui-ci célèbre le don par Octavien de la statue de la Victoire de Tarente, installée dans la curie, d’autre part il exalte la souveraineté personnelle du vainqueur. Cf. Rich John, « Making the Emergency Permanent: Auctoritas, Potestas and the Evolution of the Principate of Augustus », in Yann Rivière (dir.), Des réformes augustéennes, Rome, École française de Rome, 2012, p. 37-121, part. p. 95-99, qui souligne aussi que c’est dans l’émission d’Octavien que, pour la première fois, le type d’un personnage « niképhore » est utilisé pour représenter un homme et non une divinité. S’il n’en a cette fois pas le corps, Imperator Caesar prend donc ici littéralement la place d’un dieu.

89 Comme la plupart des représentations d’Octavien dans nos séries monétaires, le type du togatus assis a été interprété comme la reproduction de statues : voir Kuttner Ann L., Dynasty and Empire, op. cit., p. 53 (à propos de RIC 270), qui considère l’hypothèse « quite possible (though unprovable) » ; Rich John W. et Williams J. H. C., « Leges et Ivra P. R. Restitvit », art. cité, p. 187-188 (qui envisagent une paire de statues en toge assises) ; cf. Rich John, « Making the Emergency Permanent », art. cité, p. 95.

90 La représentation d’un togatus assis au revers des deniers RRC 426/1 renvoie à un autre contexte : elle fait partie de l’évocation du groupe statuaire du Capitole représentant la remise de Jugurtha à Sylla (le togatus).

91 Une objection a été avancée à l’encontre de cette interprétation par Zehnacker Hubert, « Quelques remarques sur le revers du nouvel aureus d’Octavien (28 av. J.-C.) », BSFN, no 58, 2003, p. 1-3, part. p. 1-2, qui la juge contraire à la tradition iconographique du monnayage romain, qui veut que « lorsqu’un personnage A donne quelque chose à un personnage B, ce dernier est toujours représenté ». Cette objection ne nous paraît pas dirimante dans la mesure où les types des séries CAESAR DIVI F et IMP CAESAR se signalent par une focalisation sur Octavien, y compris dans des scènes collectives par nature (cf. supra à propos du type de RIC 253 représentant une adlocutio).

92 Depuis sa publication en 1999 (Rich John W. et Williams J. H. C., « Leges et Ivra P. R. Restitvit », art. cité), l’interprétation de l’aureus de 28 a suscité un débat qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. On trouvera un état de la question chez Dalla Rosa Alberto, « L’aureus del 28 a.C. e i poteri triumvirali di Ottaviano », in Tomaso Maria Lucchelli et Francesca Rohr Vio (dir.), Viri militares. Rappresentazione e propaganda tra Repubblica e Principato, Trieste, Università di Trieste, 2015, p. 171-200, part. p. 176-182. Cf. dernièrement Cowan Eleanor, « Hopes and Aspirations. Res publica, Leges et Iura, and Alternatives at Rome », in Kit Morrell, Josiah Osgood et Kathryn Welch (dir.), The Alternative Augustan Age, Oxford, Oxford University Press, 2019, p. 27-45, part. p. 29-36.

93 À la suite de Rich John W. et Williams J. H. C., « Leges et Ivra P. R. Restitvit », art. cité, p. 183 et Rich John, « Making the Emergency Permanent », art. cité, p. 99-100, nous serions enclin à considérer que le togatus sur l’aureus de 28 offre – en tout cas présente – le uolumen à un destinataire non représenté (même si la signification du geste nous semble moins évidente que sur le denier IMP CAESAR, où le bras tendu de la Victoriola invite plus clairement à sortir du champ). Comme le souligne Rich John, loc. cit., cette interprétation de l’iconographie concorderait plutôt avec la résolution de P. R. en populo Romano, mais nous pensons aussi qu’un tel argument « cannot be conclusive » : l’image ne véhicule pas forcément exactement le même sens que la légende (une complémentarité est envisageable).

94 Voir Rich John, « Making the Emergency Permanent », art. cité, p. 95, qui envisage différentes interprétations possibles pour le uolumen et le scrinium. Pour l’interprétation de l’expression leges et iura, voir Mantovani Dario, « Leges et iura p(opuli) R(omani) restituit. Principe e diritto in un aureo di Ottaviano », Athenaeum, no 96, 2008, p. 5-54, part. p. 13-22 (dont les conclusions sont acceptées, sur ce point, par Rich John, ibid., p. 91).

95 Sur la stratégie de revalorisation du consulat à partir de 31, voir Dalla Rosa Alberto, « L’aureus del 28 a.C. », art. cité, p. 192-193, et Suspène Arnaud, « Tanta copia nummariae rei », art. cité, p. 298.

96 L’ambivalence du corps d’Auguste – à la fois corps physique et personnification allégorique de l’empire ou de la Rome augustéenne – a été analysée dans plusieurs documents (dont la coupe de Boscoreale) par Squire Michael, « Corpus imperii », art. cité, p. 310-321. Soulignons que, dans les images que nous étudions ici, le corps en toge incarne selon nous la vie civique romaine (et non l’Imperium Romanum).

97 Sur l’aureus de 28, qui célèbre la restitutio des lois du peuple romain, le rouleau tenu par Imperator Caesar pourrait être interprété comme une représentation symbolique des leges et iura restaurés (voir Rich John, « Making the Emergency Permanent », art. cité, p. 95). Le togatus tenant les lois en main pouvait d’autant plus aisément incarner la Res publica aux yeux des Romains que les leges apparaissaient comme le principe suprême de la ciuitas, comme le formule Cicéron (Pour Cluentius, 146) : Mens et animus et consilium et sententia ciuitatis posita est in legibus (cité par Meister Jan B., Der Körper des Princeps, op. cit., p. 159).

98 Suétone, Auguste, 7.4 : « quibusdam censentibus Romulum appellari oportere quasi et ipsum conditorem urbis ». Pour les autres textes attestant l’attirance d’Octavien pour le cognomen de Romulus, voir Wardle David, Suetonius. Life of Augustus. Vita divi Augusti. Translated with Introduction and Historical Commentary by D. W., Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 106.

99 Voir notre étude « Monnayage et idéologie », art. cité, p. 68-69 (avec la bibliographie).

100 Voir la synthèse de Cadario Matteo, « Les formes de célébration du prince », art. cité, et id., « Le immagini cangianti di Augusto », in Philippe Le Doze (dir.), Le costume de prince. Regards sur une figure politique de la Rome antique d’Auguste à Constantin, Rome, École française de Rome, à paraître ; cf. Pollini John, From Republic to Empire, op. cit. (part. les chapitres ii et iv).

101 Sur le « renoncement » d’Auguste à l’image loricata, voir Cadario Matteo, La corazza di Alessandro. Loricati di tipo ellenistico dal IV secolo a.C. al II d.C., Milan, LED, 2004, p. 155-162. Cf. notre étude « Les grands individus dans les guerres civiles », art. cité, p. 474-479.

102 Sauron Gilles, Quis deum ? L’expression plastique des idéologies politiques et religieuses à Rome à la fin de la République et au début du Principat, Rome, École française de Rome, 1994, p. 510.

103 Voir notre étude « Monnayage et idéologie », art. cité, p. 79-84.

104 Il offre un exemple de synthèse des deux orientations de l’art augustéen – « Hellenistische Panegyrik, republikanische Leitbilder » – décrites par Hölscher Tonio, Krieg und Kunst, op. cit., p. 266-287. L’auteur montre bien que les traditions hellénistiques et étrusco-italiques confluent pour former des « einander ergänzende semantische Formen der Visualisierung der „globalen“ Herrschaft des römischen Kaisers » (p. 267).

105 « Hier wurde die Ästhetik bewusst in den Dienst der Politik gestellt », comme l’écrit Zanker Paul, Augustus, op. cit., p. 62. Cf. Suspène Arnaud, « Tanta copia nummariae rei », art. cité, p. 305, qui montre que la distribution de ces nouvelles monnaies, d’un aspect particulièrement brillant, contribua à « l’effet richesse » en 29.

106 Cf. par exemple RIC I2, Gaius, 32, 40, 48 (ADLOCVT. COH.). Si l’on suit la distinction entre adlocutio et contio opérée par David Jean-Michel, « Les contiones militaires », art. cité, p. 213-214, c’est donc bien le terme d’adlocutio qu’il convient d’employer à propos du revers de RIC 253 puisque le type « concentr[e] […] l’analyse sur la seule personne de l’orateur » (citation p. 214).

107 À l’appui de cette interprétation spécifique au denier RIC 270 et à l’aureus de 28, on notera que type du togatus assis est une rareté dans l’iconographie augustéenne (et même impériale) : voir Kuttner Ann L., Dynasty and Empire, op. cit., p. 37-56 ; Rich John W. et Williams J. H. C., « Leges et Ivra P. R. Restitvit », art. cité, p. 176-178. Il n’est donc pas surprenant qu’il ait été investi d’une signification exceptionnelle.

108 La date de 28 est assurée concernant l’aureus ; pour l’émission RIC 270, voir notre étude « Monnayage et idéologie », art. cité, p. 83-84.

109 Meister Jan B., Der Körper des Princeps, op. cit., p. 158-169 et p. 273-274. Cf. la conclusion similaire, également fondée sur les sources textuelles, de Le Doze Philippe, « Le corps “républicain” du prince romain » (dans ce volume), qui admet cependant (n. 113 p. 386) que le prince a incarné la ciuitas (la réalité institutionnelle du pouvoir), distinguée de la Res publica (qui correspond à la vision théorique de la souveraineté du peuple).

110 Cf. Squire Michael, « Corpus imperii », art. cité.

111 Panégyrique, 72.1 (cité par Meister Jan B., Der Körper des Princeps, op. cit., p. 163, et Le Doze Philippe, « Le corps “républicain” du prince romain », art. cité, n. 127 p. 388). Quant au Res est publica Caesar d’Ovide (Tristes, 4.4.15, également cité par ces deux auteurs), le sens strictement politique de l’expression ne nous paraît pas assuré (auquel cas le passage serait à verser au dossier de la « subversion ovidienne »).

112 Sur les rares occurrences (épigraphiques et iconographique) de la Res publica dans le monnayage augustéen, voir Suspène Arnaud, « Aspects numismatiques de la Res publica restituta augustéenne », in Frédéric Hurlet et Bernard Mineo (dir.), Le Principat d’Auguste. Réalités et représentations du pouvoir. Autour de la Res publica restituta, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 145-167, part. p. 147-156. À propos de l’aureus de 28, l’auteur arrive à une conclusion opposée à la nôtre : il n’y voit « pas la moindre allusion à la Res publica en tant que telle » (ibid., p. 147).

113 L’importance de la distinction entre représentations officielles et non officielles a été soulignée dernièrement par Pollini John, From Republic to Empire, op. cit., p. 69-115.

Table des illustrations

Titre Fig. 1 – Denier RRC 490/1.
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Titre Fig. 2. – Denier RRC 490/3.
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Titre Fig. 3. – Aureus RRC 497/1.
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Titre Fig. 4. – Denier RRC 518/2.
Crédits © Numismatica Ars Classica NAC AG. Vente 94, no 30.
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Titre Fig. 5. – Denier RIC 251.
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Titre Fig. 6. – Denier RIC 250.
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Titre Fig. 7. – Denier RIC 253.
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Titre Fig. 8. – Denier RIC 252.
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Titre Fig. 9. – Denier RIC 264.
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Titre Fig. 10. – Aureus RIC 262.
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Titre Fig. 11. – Denier RIC 271.
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Titre Fig. 12. – Denier RIC 256.
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Titre Fig. 13. – Denier RIC 270.
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Titre Fig. 14. – Aureus, British Museum, CM 1995.4-1.1.
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Titre Fig. 15. – Denier RIC 272.
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Auteur

Pierre Assenmaker est professeur de langue et littérature latines à l’université de Namur, membre du centre Fontes Antiquitatis (Institut Patrimoines, Transmission, Héritages – PaTHs). Ses recherches en histoire antique, basées sur l’étude des sources littéraires et numismatiques, concernent les fondements idéologiques et religieux du pouvoir politique à Rome à la fin de la République et sous le Haut-Empire.

© Presses universitaires de Rennes, 2022

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