Chapitre IX. Une tradition militaire au xixe siècle
p. 213-232
Texte intégral
1Plus que d’autres milieux sociaux, les communautés militaires sont dépendantes de leur culture1. Les signes et les rites dont elles sont prodigues forment un véritable « système symbolique » permettant de la véhiculer et de l’inculquer, un mode de transmission et de communication inhérent au fonctionnement de l’institution2. Le parrainage par les anciens et le culte du héros régimentaire en sont une pièce maîtresse. Les rapports d’ascendance inscrivent en effet le groupe dans une lignée, et par l’identité ainsi produite contribuent à la fabrication de l’esprit de corps3. Les communautés militaires sont donc par définition des communautés d’admiration.
2Dans une société civile qui durant la Révolution et l’Empire vibra à la gloire et qui, après la défaite de 1814-1815, en cultiva le souvenir, qui après avoir manifesté de la défiance envers la figure du militaire4 conféra à celle-ci une importance symbolique et effective fondamentale dans la vie et dans l’identité du pays5, qui enfin fit de la guerre un mythe, ce symbolisme fascinait. Sous la IIIe République, en particulier, quand le service militaire s’universalisa et devint synonyme d’accession au statut d’homme6, que les casernes essaimèrent sur tout le territoire et modelèrent la ville7, le régiment manœuvrant, défilant, jouant de la musique devint spectacle. Une véritable fascination s’exerça pour les uniformes, les militaria, les reconstitutions historiques et les figurines, dont témoigne, par exemple, le succès de la peinture militaire8.
3Ce chapitre s’intéresse au culte militaire de La Tour d’Auvergne qui naquit en 1800, aussitôt après la mort du héros, et qui est sans doute l’une des plus anciennes traditions militaires des armées tricolores. Ce culte héroïque répondit aux besoins du groupe social qui le produisit mais aussi à ceux de la société englobante qu’il captiva. Outre son économie et ses évolutions, il s’agira ici de comprendre cet intérêt du monde civil et comment par cette circulation entre le militaire et le civil se fabriqua l’admiration pour le premier grenadier dans sa communauté comme dans le pays.
4Michel Pastoureau déplorant l’abandon des drapeaux aux seuls amateurs de militaria ou aux collectionneurs d’insignes a appelé les sciences sociales à se saisir de la vexillologie pour en faire une discipline scientifique9. La symbolique militaire n’échappe pas au travers dénoncé par le médiéviste. Ces dernières années, les chercheurs se sont cependant attachés à travailler cet objet avec les outils de l’anthropologie. C’est bien évidemment dans cet esprit que le culte militaire de La Tour d’Auvergne sera étudié. Tradition militaire, avons-nous dit pour le qualifier. Le mot est abondamment utilisé par les militaires et les amateurs, qui y englobent les rites, la symbolique, l’uniformologie, etc. Dans ce vaste stock de traditions militaires ainsi entendu, nous qualifierons de tradition au sens sociologique du mot celles qui créent une continuité entre le passé et le présent et inscrivent le groupe qui s’en réclame dans une lignée10. Le culte militaire de La Tour d’Auvergne répond à cette définition11.
Les débuts de la tradition militaire
5L’Armée du Rhin réserva donc à La Tour d’Auvergne des funérailles de héros. L’héroïsation prit immédiatement car la cérémonie fut complétée par trois mesures instituant respectivement un lieu de pèlerinage, un rite et une relique. Moreau décida en effet qu’un monument funéraire coifferait la dépouille du premier grenadier ; il fut inauguré le 3 fructidor an VIII (21 août 1800). Via son chef d’état-major Dessoles, il décida également que le nom du défunt serait conservé à la tête du contrôle de sa compagnie et qu’il serait cité à chaque appel. Par ailleurs, le cœur fut prélevé pour être embaumé. L’on a vu qu’aussitôt la nouvelle du décès relayée par la presse, éloges et images fleurirent à Paris et en province.
6Moins d’un an après la disparition de La Tour d’Auvergne, son culte semblait déjà une tradition régimentaire. Ainsi, au printemps 1801, le correspondant du Moniteur écrivit depuis Stuttgart :
« La semaine passée, il a défilé, dans nos environs, trois ou quatre demi-brigades du centre de l’armée du Rhin. La 46e, surnommée la Terrible, porte suspendu à son drapeau le cœur du premier grenadier de la république, Latour-d’Auvergne, enfermé dans une boîte d’or. Aux appels lorsqu’on nomme ce brave guerrier, le sergent major des grenadiers répond : il est mort aux champs d’honneur12. »
7En réalité, la relique n’était pas attachée au drapeau mais était portée par un grenadier, également chargé de répondre à l’appel du héros, et le reliquaire n’était pas en or mais en plomb. L’emblématisation de la Terrible par le héros et les rites cultuels associés frappèrent les habitants de Dunkerque où cette unité vint tenir garnison quelques semaines plus tard. Le premier jour anniversaire de la mort du Breton, face à un catafalque et avec monstration de la relique, la 46e commémora la mort de son désormais modèle. Le culte régimentaire fut donc à cette occasion enrichi d’une fête commémorative répétée les années suivantes13. Le système cultuel fut parachevé en 1803 par la commande d’un reliquaire en argent. Celui-ci fut paré d’une image, un cœur en or traversé par une lance, et d’inscriptions, dont celle-ci : « La Tour d’Auvergne est mort / Mais c’est au Champ d’Honneur / Envions son trépas / Et conservons son cœur. » Lorsque la demi-brigade devint régiment, la tradition était bien établie. À l’occasion des cérémonies, par exemple la remise des aigles14, comme lors des parades et des marches, le grenadier Darduze présent en tête de colonne, près du drapeau, portait le reliquaire appuyé sur sa poitrine. Sur le champ de bataille, il en allait de même. Au combat de Lomitten, en 1807, le cœur disparut. L’engagement achevé, les survivants partirent à sa recherche. Soulagés, ils le retrouvèrent près du corps sans vie de son porteur.
8Le monument d’Oberhausen, situé dans une Bavière vassalisée, au cœur d’un espace parcouru par les armées tricolores, devint un lieu de pèlerinage militaire. À l’automne 1800, le général Moreau se rendant à Ratisbonne se détourna ainsi de sa route pour rendre hommage à son ami15. À la même époque, Ney, Macdonald et Dumas firent de même16. En 1805, après la bataille d’Ulm et en marche pour Austerlitz, le lieutenant Fantin des Odoards rata la visite et s’en désola17. Barrès, jeune recrue, eut plus de chance : il s’y vit conduire par son lieutenant18. Faute de chemin pour y accéder, les admirateurs piétinaient les champs, suscitant la colère des paysans19. En 1809, le jeune Henri Beyle, alors adjoint aux commissaires des guerres, de passage à Neubourg, se vit apostropher par l’un de ses collègues : « Quoi ! Vous venez de passer à deux cents pas du tombeau de la Tour d’Auvergne et vous ne l’avez pas vu20 ! » En route vers l’Autriche, l’Empereur et la Grande Armée vinrent en effet s’incliner sur la tombe du premier grenadier. Dans ses souvenirs21 et à l’occasion de sa relation de la fête de 1841 à Carhaix, à laquelle il assista, Elzéar Blaze, alors jeune sous-lieutenant dans la Garde impériale, raconta l’effervescence que produisit le pèlerinage parmi les soldats :
« Il y a quelque trente ans, je suivais avec mon régiment la route qui mène à Neubourg, en Bavière ; nous marchions fort tranquillement sur deux files, à droite et à gauche du chemin, lorsque tout à coup on nous fit ployer en colonne, le drapeau sortit de son fourreau de cuir, les tambours battirent aux champs, et, d’une marche à volonté, nous passâmes à la marche cadencée. “L’Empereur est arrivé, disait-on, il est là sur son cheval blanc. Nous allons défiler devant lui.” Car on ne pouvait pas supposer un autre motif aux dispositions que l’on faisait. Et cependant il ne s’agissait point de rendre des honneurs militaires à un souverain vivant, mais à un soldat mort. Tout près de la route, à cent pas de nous, on voyait un tombeau modeste, que les Allemands nommaient le Tombeau du Brave ; c’était celui de La Tour-d’Auvergne.
Le régiment défila au port d’armes. Les officiers saluèrent de leur épée, l’aigle de bronze s’inclina respectueusement, et puis on fit une halte, pour que chacun pût aller voir le tombeau de plus près. […] Là chacun parla du brave des braves ; les vieux soldats qui l’avaient connu, attiraient l’attention des autres ; on faisait cercle autour d’eux. – Je l’ai vu incendier la frégate anglaise au siège de Mahon. – J’étais de la colonne infernale qu’il commandait à l’armée des Pyrénées-Orientales [sic]. – J’ai pris le fort Maya avec lui. – Je l’ai vu tomber ici même dans une charge de cavalerie. On l’avait d’abord placé la-dedans faisant face à la France ; mais un vieux trois-chevrons le retourna, en disant : “La Tour d’Auvergne, quoique mort, doit toujours faire face à l’ennemi.”
Un roulement de tambour fit reprendre les armes, et le régiment continua sa route en écoutant encore la biographie de l’illustre guerrier. La kyrielle de ses exploits était un peu longue ; elle put suffire à défrayer les causeries de toute la journée. Les jeunes soldats admiraient, en s’écriant : “C’était un fameux lapin, tout de même”22. »
9À cette occasion, dit-on, les soldats aiguisèrent leur sabre sur la pierre tombale. Historiette, ou du moins exagération, comme la légende de La Tour d’Auvergne en comporte beaucoup ? Certainement, tout comme le récit de la relique disparue puis miraculeusement retrouvée. Mais lorsqu’il est question de héros et de tradition militaire, le mythe est inévitable. L’historien de l’admiration y voit son meilleur matériau car il atteste l’héroïcité et, comme ici, la tradition conjointe.
L’économie du culte de La Tour d’Auvergne
10C’est la relique qui fournissait au culte sa cohérence. Depuis la médecine antique jusqu’à l’iconographie de la Contre-Réforme23, en passant par la littérature théologique et profane médiévale24, le cœur, organe principal de la vie, est devenu le symbole de l’âme et de l’intériorité, ainsi que le siège des vertus. Attribut de nombreux saints, objet d’une dévotion christique – celle du sacré-cœur, qui l’associe à la France25 –, il est chargé d’un contenu à la fois axiologique et sacral. Sous la Révolution se répandit la pratique de l’embaumement du cœur des héros et grands hommes, portée ensuite par la vogue de l’égyptomanie26.
11La transformation du cœur en relique, objet sacral et réceptacle de la virtus du saint dans la théologie catholique27, fut achevée lors du transfert de l’organe momifié de la boîte de plomb au reliquaire. L’opération devant témoins permit d’abord de constater l’imputrescibilité de l’organe, comme chez les saints. Les matériaux utilisés et le travail de l’orfèvre dirent le statut du héros. Mais surtout, le reliquaire permit la monstration et l’attouchement, c’est-à-dire le culte. Or, en dernier lieu, comme à Carhaix plus tard, c’est bien le culte, entendu comme la relation entre les admirateurs et leur modèle, qui fit d’un reste une relique28. Cette relation s’établissait lors de deux rites. Tout d’abord, l’appel à La Tour d’Auvergne qui entraînait la réponse suivante : « Mort au champ d’honneur ! ». Ensuite, l’ostention périodique de la relique. L’appel était rappel quotidien du disparu et de son sacrifice, preuve également de son immortalité. Quant à la monstration, qui était aussi attouchement par délégation à son porteur, statique ou mobile, avec ou sans appel, elle faisait rayonner la virtus du héros parmi les grenadiers de la 46e et leur procurait un talisman en prévision du combat : « Regardez tous ce cœur ! ordonna le chef de corps à sa demi-brigade. Il palpite de patriotisme et de gloire : tu en sens les mouvements tous les jours brave Darduze qui est chargé de ce dépôt précieux. Tu le conserveras et nous le conserverons à la vie et à la mort29 ! »
12Ce dispositif régimentaire offrait un modèle aux grenadiers de la 46e, alors que le tombeau d’Oberhausen l’étendait aux autres soldats. Si une communauté militaire, dont le fonctionnement s’articule par la discipline, a organiquement besoin de chefs dotés de pouvoir, elle a aussi besoin de modèles identifiés par la seule valeur et dotés d’une autorité30. Ces modèles, dont le chant militaire nous apprend qu’ils sont des ancêtres, parmi lesquels des héros, ont pour mission la transmission : « Symboliquement vivant, l’ancêtre est actif et possède un pouvoir sur ses héritiers. Il transmet son excellence et agit sur le monde des cadets31. » Le lien de séniorité était ici doublé par le rôle assigné au plus ancien grenadier chargé de porter la relique et de répondre à l’appel du héros. On comprend la visite quasi initiatique au tombeau d’Oberhausen du jeune Barrès parrainé par son lieutenant, ou bien encore ces paroles d’un poème dans lequel l’auteur, qui combattit sous les ordres de Moreau, désignait La Tour d’Auvergne comme modèle à un conscrit breton entrant dans la carrière : « Le grand latour-d’Auvergne, animé d’un beau zèle / Fut ton compatriote et sera ton modèle32. » Ces modèles militaires doivent susciter l’admiration. Dans le cas de La Tour d’Auvergne, avec probablement les aînés comme transmetteurs, ainsi que l’illustre le récit d’Elzéar Blaze, elle se nourrissait de l’oralité au bivouac, du chant, des éloges lors de la fête régimentaire, etc., qui racontaient les exploits et le sacrifice du héros. Elle s’exprimait par le recueillement devant le tombeau, générateur de lien communautaire entre les admirateurs33 : celui d’Oberhausen tout comme le reliquaire cardiaque, également lieu de sépulture suite à une Dilaceration corporis dans la tradition capétienne34.
13L’élection d’un modèle et l’exercice de l’admiration conduisent in fine à l’imitation. Pour produire celle-ci, contrairement au héros mythologique le héros militaire ne doit pas être un surhomme : il doit être accessible à tous35. C’était le cas de La Tour d’Auvergne, « brave des braves », selon l’expression consacrée, que sa légende a construit comme « le plus supérieur parmi les plus proches36 ». L’imitation du modèle en milieu militaire doit aller jusqu’au sacrifice que l’appel du premier grenadier avait justement pour fonction de rappeler et que l’inscription du reliquaire proposait en idéal : « Envions son trépas ». Par sa mort, et surtout par le culte qui lui était rendu, La Tour d’Auvergne faisait exister la collectivité qui s’en réclamait – la 46e demi-brigade – et faisait de la transcendance pour laquelle il avait donné sa vie un absolu aux yeux des membres de ladite collectivité37. Dans la dynamique de l’admiration en milieu militaire, l’on retrouve donc le cycle du don et de la dette38. Sauf que l’acquittement de cette dernière, qui dans le cas d’un génie comme Van Gogh ne peut passer que par la seule célébration – la singularité du génie est absolue, donc par définition inimitable –, passe ici aussi par le devoir d’imitation. L’appel rituel, écho de la vieille pratique médiévale du serment sur les reliques, conférait à ce dernier un caractère quasi sacré.
14La lecture de la tradition militaire emprunte à nouveau beaucoup au religieux. Y incite la forte homologie entre les supports et les rites de la tradition militaire d’une part, et ceux de l’univers religieux de l’autre, mais aussi la fabrication quasi instantanée et de type hagiographique de La Tour d’Auvergne en « saint Corret » pratiquant l’imitatio Christi jusqu’au martyre, thématique apte plus que toute autre à activer les schèmes anthropologiques du religieux pour les faire migrer vers d’autres sphères39. Pour la plupart des admirateurs qui n’avaient pas connaissance des lois de l’économie du culte auquel ils se vouaient, l’admiration et l’imitation du modèle, et à travers son exemple l’inculcation de la culture militaire et la mobilisation en vue du combat, purent donc se faire par une tradition à la fois nouvelle et ancienne40. La tradition est particulièrement adaptée à l’exercice de l’admiration en milieu militaire car elle
« se communique automatiquement, vitalement. Elle consiste à recevoir certaine mentalité, certaines manières de vouloir et de juger les choses, par mode de contagion et par une imitation machinale des manifestations de la vie du milieu. Bref, dans la tradition – et c’est là la note essentielle – je ne sais pas que je reçois quelque chose, je prends la volonté d’un autre pour ma volonté propre ; je ne porte pas un jugement de valeur avant de recevoir, je ne choisis pas41 ».
15Céline Bryon-Portet, qui élève-officier vécut les rites de l’armée de l’air avant de chercher à les décrypter en tant que chercheuse, écrit que celui qui les pratique « les comprend de manière intuitive et un peu confuse42 ». La tradition ne faisait cependant pas des militaires auxquels elle inculquait des êtres mécaniquement mimétiques selon l’acception durkheimienne de l’imitation43. L’acceptation du sacrifice auquel elle conduisait était sublimée par une transcendance et un code de l’honneur interdisant d’assimiler l’oblation de soi au suicide44.
16Au sein de la Terrible, le culte du héros faisait plus que fortifier l’esprit de corps : la relique, source de prestige, qui sacralise et donne du pouvoir tout à la fois à celui qui la possède45, ainsi que la mise en avant spectaculairement ritualisée du modèle, ne pouvaient qu’amplifier la tendance narcissique inhérente à toute communauté militaire46. Outre les raisons politiques évoquées dans le chapitre iv, ceci explique certainement les réticences de Napoléon envers le culte de La Tour d’Auvergne. Examinons cette proposition.
17À l’instar de bien des traditions militaires, le culte de La Tour d’Auvergne résulta d’un cycle de production où des créations symboliques spontanées, parfois dissidentes47, émanant d’un pouvoir coutumier et répondant à une demande sociale interne, se heurtent au pouvoir de l’autorité chargée de veiller au bon équilibre entre la différence qui mobilise les divers membres constituant l’armée et l’unité indispensable à l’efficacité du grand corps. Celle-ci intervient alors pour soit chercher à capter la tradition et la figer en vue de mieux la contrôler, soit y mettre fin comme le décida l’Empereur en 1809.
18« J’ai toléré… », écrivit ce dernier au général Clarke. L’on a vu que le culte militaire du premier grenadier fut voulu par Moreau. Mais les pratiques qui le complétèrent et constituèrent la tradition s’imposèrent spontanément et de façon presque démocratique au sein de la 46e demi-brigade : « Nous avons fait embaumer son cœur que nous conserverons comme un monument précieux qui nous retracera toujours les vertus qui ont illustré la vie de ce militaire distingué », écrivit le chef de corps48. Claude Le Coz précisa : « Par une délibération générale, [la 46e] arrêta que cette boîte serait portée dans toutes les marches et parades, par le premier grenadier de cette demi-brigade, toujours escorté de quatre grenadiers, et qu’elle serait déposée près des drapeaux, dont elle ne serait jamais séparée49. » Après la disparition de La Tour d’Auvergne, les grenadiers décidèrent d’attribuer le titre de premier grenadier au capitaine (et futur général) Cambronne qui refusa en alléguant que le premier récipiendaire était unique. Il est probable que l’appel rituel du héros, attesté au printemps 1801, fut également une construction régimentaire, tout comme le reliquaire de 1803 financé par les grenadiers. Quant à la dévotion d’Oberhausen, même si les généraux donnèrent l’exemple, elle fut aussi de toute évidence une création spontanée50. C’est donc une tradition militaire à certains égards sauvage que le colonel de la 46e fit officialiser par le Premier Consul le 26 messidor an XI.
19Cette tradition, imposée par une communauté militaire au pouvoir politique, ne fut en réalité jamais admise par ce dernier. « Un usage qui distingue ce régiment sans raison », une « singularité », écrivit ainsi l’Empereur à propos de la relique. C’est qu’en effet, le culte héroïque pratiqué par le 46e régiment contrevenait par trop aux nouvelles règles « patronymiques » et emblématiques des demi-brigades devenues régiments, et qui avaient pour but de faire jouer la « dialectique de l’unité et de la différence51 » dans la Grande Armée : un numéro en guise de nom qui individualisait tout en plaçant dans une série ; la même aigle avec un numéro qui inscrivait dans une filiation et une tradition, certes, mais subsumées par le nom du donateur (« L’Empereur des Français »), la devise et les trois couleurs52. Avec son héros tutélaire qui en faisait « le régiment de La Tour d’Auvergne » et sa relique doublant le drapeau, l’ancienne Terrible manifestait un narcissisme au-delà des normes permises. Faisant appel aux affects d’une communauté militaire devenue communauté d’admiration envers un modèle pourvu de qualités charismatiques, elle fut peut-être perçue comme perturbatrice de l’ordre rationnel-légal d’une armée désormais bureaucratisée53. Création d’un pouvoir social exercé par les pairs plus que d’un pouvoir normatif pur exercé verticalement54, le culte du héros était en effet un héritage encombrant : celui des armées républicaines.
20Malgré la perte de la relique, remisée à la grande chancellerie de la Légion d’honneur, la tradition militaire survécut. L’on a même constaté qu’en 1809, année où le 46e de ligne se vit priver du cœur, elle suscita un pèlerinage de la Grande Armée en campagne sur la tombe du héros. Elle trouva également des admirateurs en milieu civil. Cette fascination des civils pour le culte reliquaire et pour l’appel rituel du premier grenadier ne fut pas pour rien dans l’admiration pour le héros. Et pour commencer, elle permit la survie de la tradition.
La tradition gyrovague
21La Restauration faillit être fatale au culte militaire de La Tour d’Auvergne. Les conditions d’un renouement avec la tradition furent cependant permises en 1820, quand fut prise la décision de faire renaître les régiments. La 35e légion d’Indre-et-Loire devint ainsi le 46e régiment d’infanterie de ligne. Par cette opération de « tradition historiée55 », on créa artificiellement une filiation, et avec elle la possibilité d’un transfert du matériel symbolique d’une unité prestigieuse disparue vers une collectivité militaire sans passé. Pourtant, lors de la remise de son nouveau drapeau – blanc – au 46e de ligne, à Metz, où il était cantonné, le comte de Montmarie s’adressant aux soldats parla de « la discipline et l’excellent esprit qui vous ont distingués jusqu’à ce jour56 », mais ne fit aucune allusion explicite aux guerres récentes, et encore moins au modèle qui inspira alors la conduite des grenadiers.
22De 1815 à 1830, à défaut de rites, et alors que l’armée potentiellement conspirative aux yeux des autorités était sous surveillance, les militaires du 46e pratiquèrent-ils cependant une forme de culte du héros ? Comme les autres unités, la 35e légion puis le 46e conservèrent dans leurs rangs des vétérans de la vieille armée initiés à la tradition, dont le nombre augmenta lorsque les demi-soldes commencèrent à être réintégrés à partir de 1818. C’était le cas de Mylius, son colonel de 1822 à 1832, qui en 1863 fit une donation de 500 francs pour encourager l’instruction des sous-officiers et soldats de son ancien régiment, somme sur laquelle devaient être prélevés 50 francs pour être versés au grenadier le plus ancien « afin de conserver le souvenir de La Tour d’Auvergne, mort au champ d’honneur étant grenadier au 46e régiment et honoré du titre de premier grenadier de France par Napoléon Ier pour sa modestie57 ». Mais le zèle mémoriel dont le vieillard fit preuve sous le Second Empire n’est pas forcément indicatif de celui qu’il manifesta en tant que chef de corps plus de 30 ans auparavant. La consultation des tables de souscripteurs des Victoires et conquêtes nous apprend que cinq officiers, dont le colonel prédécesseur de Mylius, ainsi que le capitaine chargé de la bibliothèque régimentaire, souscrivirent58. On est loin du chiffre atteint dans d’autres unités. Faute d’indices suffisants, il est difficile d’en dire plus. On peut cependant supposer que la substitution progressive d’un groupe de soldats, dès le départ réduit, initiés à la tradition au temps des guerres napoléoniennes, par un autre vierge de tout souvenir, fit que la mémoire collective du 46e s’anémia59.
23Oubliée ou du moins négligée par son ancienne communauté d’admiration, la tradition militaire trouva refuge chez les civils qui en firent une légende. En témoignent ces deux vaudevilles de 1810 où la vertu de La Tour d’Auvergne, via sa relique, a par l’effet magique de la tradition irradié le grenadier Sans-Quartier, et promet d’agir de même sur Félix, l’enfant mascotte du 46e régiment qui, à la fin de la pièce, jure d’entrer à son tour dans la carrière, assurant ainsi le renouvellement des générations dans la lignée du grand ancêtre60. Elle se transmit oralement par le truchement des vétérans, tel l’Agenais Jean Billou chanté par le poète Jasmin61. Sous la Restauration, les monuments de papier la popularisèrent.
24Elle s’exporta, en particulier en Allemagne où, bien avant la France, les vétérans des armées impériales obtinrent le droit de s’associer pour s’entraider, se retrouver en vue de cultiver le souvenir de leurs morts et de leur jeunesse glorieuse62. Le culte de La Tour d’Auvergne pouvait à cette occasion se faire par la chanson, comme chez les vétérans de Krefeld, en Rhénanie63. Cette admiration n’était pas confinée au milieu des anciens de la Grande Armée. Bien que vétéran de la guerre patriotique de 1813, le père de l’écrivain Theodor Fontane était un gallomane passionné par le moment napoléonien. Il était incollable sur les braves qui y avaient conquis la gloire, parmi lesquels son préféré était le premier grenadier. Dans les années 1820, il soumettait régulièrement son fils à la même maïeutique :
« “Tu connais Latour d’Auvergne ?” Ainsi commençait-il en général.
“Bien sûr. C’était le premier grenadier de France.
— Bon. Et sais-tu comment on continua à l’honorer après sa mort ?
— Bien sûr.
— Alors, dis-le moi.
— Bon, mais il faut que tu te lèves, papa, et que tu joues le rôle du chef de file, sans quoi ça n’ira pas.”
Il quittait donc pour de bon sa place sur le canapé et, l’air martial, se postait devant moi en position de chef de file de la Vieille garde, tandis que moi-même, haut comme trois pommes, entrais dans le rôle de l’officier faisant l’appel. Je commençais :
“Latour d’Auvergne !
— Il n’est pas ici, répondait mon père de sa basse la plus profonde.
— Où est-il donc ?
— Il est mort sur le champ d’honneur”64. »
25Nous supposons même que la tradition s’exporta jusqu’en Russie. Durant la guerre du Caucase, en 1840, le soldat Ossipov se sacrifia. Son geste fut magnifié et il fut décidé que son nom resterait inscrit sur les contrôles de son régiment, dans sa compagnie de grenadiers. Chaque matin, l’on procédait à son appel et le sous-officier de jour répondait : « Tombé pour la gloire des armes russes au fort Michel ». La tradition exista jusqu’à la révolution d’Octobre65. Les similitudes avec la tradition du 46e, dont la légende fut réactivée durant les années 1830, sont si fortes qu’il est logique d’imaginer qu’elle fut la source de son homologue russe.
26La fascination des thuriféraires du premier grenadier naissait de la vie d’un homme résumée par un syntagme tout simple : « le premier grenadier », et d’une tradition militaire. Elle montre que l’appel sans la relique pouvait désormais se suffire. En quelques mots solennels prononcés lors d’une mise en scène simple et interactive, l’interlocution rappelait tout à la fois l’excellence du modèle, son sacrifice et la transcendance au nom de laquelle il fut accompli ; elle résumait en quelques secondes le Mori pro patria respecté par tous les Européens66 et en train de devenir le ciment des « communautés imaginées67 » alors en cours de solidification.
27Alors que la France de Juillet commémorait surtout l’Empereur et ses généraux, les vétérans des pays rhénans initièrent un spectaculaire mouvement de construction de monuments aux morts de la Grande Armée dont l’inauguration attirait les foules68. En 1837, Louis Ier de Bavière ordonna la restauration du mausolée d’Oberhausen transformé en symbole du sacrifice pour la patrie : « Celui qui meurt dans une lutte sacrée trouve pour le repos une patrie, même sur la terre étrangère », y fit-il graver. Admiré par une certaine Allemagne francophile, La Tour d’Auvergne était donc aussi respecté par un souverain pourtant commanditaire du très anti-français Walhalla69. À cette occasion, des restes du premier grenadier furent prélevés puis expédiés outre-Rhin par un admirateur bavarois : les futures reliques carhaisiennes. Cette décision d’un monarque étranger fut, on l’a vu, le déclencheur de la statufication du premier grenadier dans sa ville natale.
28C’est donc à Carhaix que la tradition militaire sembla quitter le double exil intérieur et extérieur où l’hostilité de Napoléon, doublée de celle des Bourbons, l’avait forcée à trouver refuge. Le 46e de ligne figura bien évidemment parmi les invités du préfet à la fête inaugurale. Comme les autres unités, il avait été convié par le régime de Juillet à cultiver ses traditions. Par une circulaire de 1839, la filiation par le numéro entre les régiments d’alors et leurs devanciers fut en effet théorisée pour devenir la règle. Ils furent donc incités à retrouver leurs souvenirs et à leur donner forme en rédigeant des historiques70. Avec le retour en Bretagne du cœur et de l’épée du premier grenadier, la fête était l’occasion de célébrer officiellement le renouement de la tradition avec le régiment redevenu celui de La Tour d’Auvergne.
29Le colonel du 46e de ligne répondit avec zèle aux deux injonctions presque concomitantes du préfet du Finistère et du ministre de la Guerre. Officiers et hommes du rang furent exhortés à participer à la souscription qui rassembla 1 109 francs. Une délégation se rendit à Carhaix, avec la mission de rapporter le cœur dans sa communauté :
« La députation qui doit représenter le 46e à l’inauguration de la statue de Latour-d’Auvergne, sera chargée d’exprimer au nom du régiment son vif désir de posséder de nouveau le cœur de ce héros qui jusqu’en 1814 [sic] a été confié à sa garde. Si vous pensez M. le Préfet que notre démarche ne soit pas importune, nous vous prierons de vouloir bien engager la commission dont vous êtes le président à nous appuyer près de la famille de Latour-d’Auvergne, pour la déterminer à nous remettre ce dépôt précieux qui ne devrait plus quitter le régiment qui a eu l’honneur de posséder dans ses rangs cet illustre guerrier. Ce serait un beau jour pour l’armée, M. le Préfet que celui où on ferait revivre dans les rangs ce héros qui a donné l’exemple de toutes les vertus : le 46e serait fier de posséder un pareil dépôt et le nom de Latour-d’Auvergne, prononcé à tous les appels électriserait nos jeunes soldats au jour du danger71. »
30On l’a vu, la fête chercha à rejouer la tradition. L’inauguration de la statue se fit le jour anniversaire de la mort du héros. Elle se fit en présence de soldats issus de toutes les garnisons bretonnes et de « vieux débris », rappels de la gloire des temps passés. La liturgie déployée fut toute martiale et pour partie centrée sur les reliques du premier grenadier. Mais, en dépit du désir de son régiment exprimé par le préfet Boullé, la famille du Pontavice refusa de se dessaisir du cœur qu’elle avait eu tant de mal à récupérer. Les soldats du 46e revinrent donc bredouilles, et le culte du héros qui semblait presque oublié à en croire la lettre de son chef de corps au préfet du Finistère, et que l’on imaginait indissociable du cœur, ne fut donc probablement pas relancé. C’est du moins ce que suggère un examen du catalogue de la bibliothèque régimentaire qui, sur 841 ouvrages, ne comportait qu’un seul titre consacré au héros supposé tutélaire72. Mais cette fête provoqua une fixation de la tradition dans une nouvelle communauté d’admiration qui inventa des reliques de substitution et, chaque 27 juin, répondait en chœur à l’appel rituel.
La tradition (ré)inventée
31Lorsqu’elle est confrontée à une mutation difficile, l’institution militaire se livre à une « quête de passé73 ». Ce fut vrai lorsqu’elle dut se repenser suite à la fin de la guerre froide. Ce fut encore plus vrai dans le dernier tiers du xixe siècle74. Après la défaite de 1871, elle dut en effet se réformer profondément dans son recrutement et son organisation. Elle dut parallèlement se mobiliser moralement tout en se républicanisant. « Arche sainte » de la nation, du moins jusqu’aux années 1890, elle fut aussi, conjointement avec l’école, chargée d’une mission de régénération du pays75. Les régiments furent non plus constitués de conscrits tirés au sort, et devenus à la longue des professionnels unis par une culture commune, mais des soldats-citoyens revêtant l’uniforme pour une durée plus courte. Le turnover du personnel qui en résulta, défavorable à l’esprit de corps76, trouva une réponse dans la tradition qui lie et relie. Dans le même temps, les armées révolutionnaires émanées du peuple et victorieuses, furent offertes en modèle par le personnel républicain, et plus encore par les radicaux, mais aussi durant les années précédant la guerre par de nombreux penseurs militaires sublimant l’offensive à la baïonnette et le sacrifice77. À une époque où l’éthique héroïque atteignit son apogée et où la mort pour la patrie devint la valeur suprême, les héros militaires de la Révolution furent particulièrement mis en avant78. Confronté aux défis posés par « l’armée nouvelle79 » ainsi qu’aux demandes de la République et de la doctrine militaire, le 46e régiment d’infanterie réactiva logiquement une ressource qu’il avait depuis longtemps délaissée : son héros.
32Le 46e, qui vécut le désastre de Sedan, et dont les survivants passèrent le reste de la guerre en captivité, entendit la recommandation du général de Cissey, ministre de la Guerre, d’entretenir le culte des traditions et d’offrir leurs aînés en modèle aux conscrits80. Alors que le régiment était en pleine réorganisation, le colonel Aubry fit entreprendre un travail de mémoire débouchant sur la rédaction d’un premier historique régimentaire81. En 1873, il remit également à l’honneur la tradition de l’appel du premier grenadier. Douze ans après, le sous-lieutenant Pineau arrivant au 46e fut surpris de constater qu’elle était à nouveau tombée en désuétude82. La répétition quotidienne de cette cérémonie en avait certainement amené le discrédit83.
33Le véritable restaurateur de la tradition militaire fut le colonel Alessandri. En 1887, il rétablit l’appel rituel selon la fréquence et les modalités suivantes :
« Toutes les fois que le régiment prend les armes et que le drapeau sort, après que le commandant du régiment a salué le drapeau, le capitaine commandant la compagnie du drapeau se porte devant la compagnie et, lui faisant face, appelle à haute voix le nom de La Tour d’Auvergne ; le plus ancien sergent de la compagnie s’avance de deux pas et répond également à haute voix : Mort au champ d’honneur. Le porte-drapeau prend ensuite sa place et le régiment porte les armes84. »
34Le drapeau était alors l’objet d’une véritable religion85. Ce drapeau ainsi sacralisé, plus que celui de la République et de la nation, avec lequel on pavoisait, était d’abord celui de la patrie. Celui que le porte-étendard du régiment promenait escorté de sa garde – ou encore celui du défilé des conscrits – et qui, selon l’iconographie de l’époque, depuis l’image de manuel scolaire jusqu’au tableau de peinture militaire, suscitait une émotion que l’on se devait de traduire par une gestuaire codifée. C’est à ce pavillon que le contemporain Durkheim pensait lorsqu’il compara l’étoffe nationale au totem des sociétés primitives86. Dans les régiments, l’emblème associant le tout (la patrie) et le particulier (l’esprit de corps) fut sacralisé jusqu’à en être anthropomorphisé87. Il devint le signe autour duquel s’organisa le système symbolique de l’armée et donna naissance à des rituels « quasi liturgiques88 ». Durant ces mises en scène vexillaires, l’esprit de corps s’exprimait89. Drapeau et héros, auquel la même fonction était assignée, furent donc logiquement associés90.
35Raréfiée et associée au tricolore en lieu et place du cœur, la tradition fut resacralisée. Elle redevint alors rite, c’est-à-dire acte d’anamnèse durant lequel la communauté prend conscience qu’elle est une lignée91. La filiation et l’emblématisation par le héros furent dans la foulée renforcées par la création de tout un matériau symbolique connexe. Le 46e se dota en effet d’une salle d’honneur mettant particulièrement en avant son patron : des reliques transmises par don privé, un buste, un tableau du peintre Paul Leroy – qui servit dans le régiment – représentant la mort du héros, enfin, avant la guerre, un fac-similé du reliquaire. Les nouvelles recrues visitaient cette salle d’honneur. Face aux reliques92, « l’officier de peloton résum[ait] la vie de La Tour d’Auvergne, cit[ait] les exemples de courage qu’il [avait] donnés, et engage[ait] les jeunes soldats à imiter, le cas échéant, les leçons de cet homme […]93 ». Ces leçons d’admiration aux novices pouvaient, suite à cette première cérémonie d’initiation94, se répéter dans la chambrée sous la houlette du capitaine promu instituteur de ses hommes95. Les officiers de contact du 46e bénéficièrent pour ce faire d’un historique et d’une biographie écrits par deux d’entre eux96. Le commandant du Fresnel, pédagogue chevronné qui écrivit pour chaque régiment où il servit un petit historique anecdotique, fit de même pour les appelés du 46e : « cette mince brochure [est] destinée à être lue dans la chambrée et à être emportée par le soldat dans ses foyers, comme un témoin de son esprit de discipline et de son amour du drapeau97. » En 1897, le régiment adopta un chant de marche à la gloire de La Tour d’Auvergne écrit par le même commandant du Fresnel. Le refrain faisait du héros le modèle à imiter et désignait l’altérité contre laquelle se mobiliser :
« Salut La Tour d’Auvergne ! À ta gloire fidèle,
Ton dernier régiment qui t’a pris comme modèle
A mis en toi toute sa foi.
Quand il faudra, demain, courir à la frontière
Nous irons aiguiser nos armes sur ta pierre,
Pour être braves comme toi (bis)98. »
36Les différents couplets, à partir d’exempla tirés de la légende, mettaient en exergue l’identité militaire et le civisme associés au modèle : le courage, l’invincibilité, les faits d’armes, le patriotisme, l’abnégation, et, pour finir, le sacrifice ; le dernier couplet évoquait la tradition militaire en usage dans le régiment. Enfin, à l’initiative du colonel Alessandri, comme au temps de la Terrible après la mort du héros, et comme à Carhaix depuis 1841, le régiment se mit à commémorer son emblème chaque 27 juin à partir de 1890. Appelée « saint-La-Tour-d’Auvergne » par les troupiers99, la première édition ne fut en réalité qu’une fête régimentaire avec kermesse, libations et bal, durant laquelle les portes de la caserne furent ouvertes au public100. Les éditions suivantes, alors que le régiment était cantonné à Fontainebleau et à Paris, furent davantage commémoratives, avec en particulier un service religieux auquel assistaient officiers et sous-officiers et qui voyait le célébrant faire le panégyrique du célébré101.
37Instituée en 1800, réinventée sous la IIIe République, la tradition du « régiment de La Tour d’Auvergne » – car c’est désormais ainsi qu’il était appelé102 – était la pièce maîtresse d’un « folkore » propre aux communautés militaires visant l’inculcation en chacun des valeurs et des idéaux du groupe en vue de fabriquer l’esprit de corps103, « ce corps social incorporé dans un corps biologique104 ». Mais alors que la tradition originelle, quasi coutumière, transmettait de façon obscure et mystérieuse les richesses intimes du modèle105, la tradition (ré) « inventée106 » huit décennies plus tard s’adressait à des soldats-citoyens éduqués et visait « la foi en…107 ». Elle s’inspirait d’ailleurs de l’esprit et des méthodes du temps : celui de la pédagogie. Elle donnait aux cadres « le monopole social de la régulation de la tradition108 » (le chef de corps), et celui de son explication (les officiers subalternes). En insistant sur le héros resté officier plus que sur l’engagé devenu simple grenadier, elle visait d’ailleurs à légitimer le pouvoir coercitif et normatif dans la caserne, quand la tradition originelle soulignait l’égalité des pairs109. Elle était donc compatible avec la discipline rationnelle d’une armée encasernée et bureaucratisée ayant cependant besoin d’enthousiasme à des fins mobilisatrices en s’abandonnant non pas à un homme mais, à travers le héros, à une cause110. Le culte tertio-républicain de La Tour d’Auvergne avait d’ailleurs beaucoup à voir avec celui du drapeau. Il participait en effet à toute une nouvelle symbolique imposée par les opportunistes à l’institution militaire en vue de l’acculturer à la République et à la laïcité111. Le succès de la tradition, qui de « traditionnée » devint « traditionnante112 », n’en fut que plus grand auprès de l’armée en général.
38Devenu héros éponyme des casernes de Quimper, Guingamp et La Flèche, le premier grenadier put étendre son patronage à d’autres régiments. Parmi ceux-ci, il y avait le 118e d’infanterie qui, depuis 1886, fournissait la compagnie chargée d’animer militairement les cérémonies de Carhaix. Ce patronage fut renforcé en 1908 quand la ville de Quimper inaugura un monument « Aux morts pour la Patrie et à La Tour d’Auvergne ».
39La popularité du héros dans les années précédant la guerre coïncida avec l’émergence d’une nouvelle conception du commandement et de l’autorité dans l’armée. La littérature militaire promut alors les officiers de contact chargés à la fois de l’instruction et de l’éducation morale des soldats-citoyens, mais aussi de leur conduite au feu lors d’une guerre qui, pensait-on, par la puissance de feu déployée éparpillerait immanquablement les troupes, confiées de ce fait à l’initiative des lieutenants et capitaines, chefs capables d’élever et d’entraîner leurs hommes de par leur autorité personnelle plus que par le pouvoir qui leur était conféré113. Ce n’est pas un hasard si, au moment où se repensaient la nature et la hiérarchie du commandement dans l’armée, plusieurs écrivains militaires écrivirent une biographie du « capitaine » La Tour d’Auvergne et s’attelèrent à lutter contre la légende de l’officier redevenu simple soldat pour rappeler que même premier grenadier, il avait conservé son épaulette114. Lors du ministériat du général André, dans une République radicale qui célébrait les soldats de l’an II, La Tour d’Auvergne devint le modèle de l’officier républicain qu’il s’agissait désormais de promouvoir. Le général André, venu à Carhaix pour récupérer le cœur du héros, et qui se heurta au refus de la famille, finit par obtenir gain de cause. Le 30 mars 1904, la relique fut translatée aux Invalides115. Mélange de furta sacra116 (la relique fut plus ou moins extorquée à la famille du Pontavice par un ministre venu, selon ses propres mots, en « pèlerinage » à Carhaix pour admirer le « saint du soldat ») et de funérailles officielles117, la cérémonie emprunta sa structure à la fois à la translatio médiévale et à la fête funèbre tertio-républicaine. Après l’appel rituel du premier grenadier, le passage d’une communauté (la famille) à l’autre (la nation) se fit en présence de tous les régiments parisiens représentés par une compagnie et leur drapeau, avec bien évidemment le 46e au centre du dispositif. Alors que la panthéonisation de 1889 avait été collective, la translation de 1904 concerna le seul Breton. « Exception faite du soldat inconnu […], écrivit plus tard un témoin alors élève-officier, jamais héros simple comme La Tour d’Auvergne n’avait reçu pareils honneurs118. » La relique fut ainsi réactivée119.
40Le premier grenadier était devenu un modèle officiel proposé à l’armée entière. La promotion 1903-1905 de Saint-Cyr le comprit : lors de son Triomphe, elle choisit le héros comme patron et constitua dès lors une nouvelle communauté d’admiration120. Dans l’armée de la République radicale devenue une école investie par la Société nationale des conférences populaires, chargée de veiller à l’éducation civique des soldats, combien de régiments se virent alors proposer une conférence avec projection lumineuse sur La Tour d’Auvergne121 ? Les grandes fêtes sacrificielles, toujours en usage dans l’infanterie – nous songeons à Sidi Brahim pour les chasseurs, Camerone pour la légion étrangère et Bazeilles pour les troupes de marine122 – et dans l’armée de l’air – la commémoration de la mort de Guynemer123 – ne s’inspirèrent-elles pas de la tradition militaire née dans la 46e demi-brigade, admirée tout au long du xixe siècle et réactivée après la défaite de 1870 ?
41Comme depuis le départ, outre dans l’armée la fascination pour la tradition du 46e s’exerçait sur les civils et participait à l’admiration pour le héros militaire. Pour le comprendre, la convocation du charisme wébérien peut s’avérer utile.
42Nous avons déjà pu constater que le charisme en tant que fabrication de la grandeur et de l’admiration par le social, à partir de qualités charismatiques possédées par l’objet admiré, et en tant qu’émotion, peut aider à comprendre les cultes héroïques et les phénomènes de célébration, à condition, bien sûr, d’en brosser le contexte, d’en identifier les acteurs et les modalités. Jean-Claude Monod, dans sa typologie des charismes susceptibles d’agir en démocratie, propose celui qu’il nomme « de fondation ». Il s’applique à des personnages souvent mythologisés, fondateurs du groupe, de la nation ou de sa constitution politique, tels Solon, Lycurgue, Washington, etc., et agit non pas en faveur d’un chef mais envers un modèle, s’exprime par l’admiration et l’inspiration, non plus par la soumission124. L’admiration pour La Tour d’Auvergne, à la fois héros national incarnant la valeur suprême qu’était devenue la mort pour la patrie et ancêtre/modèle du 46e régiment d’infanterie, entre parfaitement dans cette catégorie du charisme de fondation, opératoire pour les héros et les grands hommes. Durant les années d’éthique héroïque de la IIIe République, celui de La Tour d’Auvergne fut particulièrement rechargé. Nous avons eu l’occasion dans le chapitre présent et dans les deux qui l’ont précédé d’en expliquer les raisons et d’en étudier différentes manifestations. L’on peut ajouter à cela l’essor parallèle de l’alphabétisation et de l’édition de masse qui augmentèrent la puissance charismatique du premier grenadier et en élargirent l’audience125. En offrant aux lecteurs un « espace de repères sociaux », la culture de masse favorisa en effet l’incorporation d’habitus nationaux, parmi lesquels l’admiration pour les héros et les conduites à tenir dans des situations comparables à celles où l’image et/ou l’écrit faisaient se mouvoir les modèles126 – nous y reviendrons lorsqu’il s’agira d’étudier la biographisation et la fictionnalisation du héros par ladite culture. L’image, particulièrement valorisée par la culture de masse, et toujours plus reproductible au fil des progrès de l’imprimerie, augmenta le « capital de visibilité » de La Tour d’Auvergne comme des autres grands singuliers, et ainsi la dissymétrie entre les sujets admirants, toujours plus nombreux, et l’objet de leur admiration, toujours plus unique127. Les différents médias conférèrent en même temps au premier grenadier la qualité de « héros contre » – sans laquelle il n’y a pas de héros national – en le faisant désigner l’ennemi héréditaire128. Après l’Autrichien sous le Consulat et l’Empire, l’Anglais lors des grands moments d’anglophobie, comme en 1840, sa tombe à Oberhausen et l’image des uhlans venus de l’est le chargeant désignèrent l’Allemand, le lièrent aux vaincus de 1870 et suggérèrent la revanche à venir des enfants et petits-enfants de ces derniers (pl. V, no 8).
Pl. V, no 8. – Mort de La Tour d’Auvergne, premier grenadier de France.

Carrey, Le Petit Parisien, 15 avril 1904.
43À l’instar du Rêve (1888), le tableau d’Édouard Detaille montrant les soldats d’une armée réformée, équipée et entraînée, se mobilisant en rêvant à la gloire des soldats des temps passés, ceux de la Révolution et de l’Empire en tête, les images associant le vieux grenadier à ses héritiers sont nombreuses. Celle de Job, dans le livre pour enfants que son compère Montorgueil consacra au premier grenadier, est particulièrement parlante129. L’on y voit le 46e régiment d’infanterie portant les armes lors de la présentation du drapeau, juste au moment où retentit l’appel rituel du héros. À ce moment, son ombre surgit ; elle sort du cadre et fait vibrer le drapeau (pl. V, no 9). Avant, un personnage que l’on suppose être le colonel explique aux soldats le sens de l’éponymie et de la tradition :
« Oui, soldats, mort au champ d’honneur, percé au cœur dans l’héroïque mêlée dont il était l’âme. Après quarante ans de privations, de fatigues, de misères souffertes sans murmures pour la gloire de son pays ; après cent vingt combats où il donna avec l’ardeur d’un patriotisme dont l’enthousiasme ne fut dépassé dans aucun temps ni chez aucun peuple. Il dort au panthéon son dernier sommeil, à présent que nous a rendu ses cendres la terre ennemie où il tomba et qui se faisait une loi de les vénérer. Il n’est plus, votre camarade ; il n’est plus le vaillant grenadier, le premier grenadier de France ! Et pourtant, chaque fois que le 46e – son régiment, le vôtre – sort son étendard, on le nomme à l’appel, comme alors qu’il comptait au bataillon et comme si, à cet appel, il devait répondre.
C’est qu’il y répond, soldats !
Il y répond. Il ne vous a pas quittés. Il est là, dans vos rangs, à la place qu’il s’était choisie, près de vous, ses compagnons, dont, simple capitaine, il était le conseiller, l’ami et le père. Familier, la pipe à la bouche ; studieux, le livre à la main ; héroïque, le sabre au poing : celui qui plaçait si haut le culte de la Patrie est là… Il est là, fidèle au poste périlleux, sous les plis du drapeau de ce 46e qui lui doit les plus beaux lauriers dont ses couleurs s’ombragent.
Il est là. Il parle. Ne vous dit-il pas où est le devoir dans l’abnégation, le patriotisme dans le désintéressement, la grandeur dans le sacrifice ? Ne le voyez-vous pas ? À vos yeux, ne demeure-t-il pas l’incarnation des vertus militaires les plus nobles et les plus pures ?
Il n’est de morts que les oubliés, et ceux-là demeurent, au contraire, dont la mémoire des hommes est bercée. Mourir au champ d’honneur, comme La Tour d’Auvergne, ce n’est point mourir : c’est se survivre dans la postérité par la beauté nécessaire de l’exemple130. »
Pl. V, no 9. – L’appel du héros dans la cour du 46e RI.

Dessin de Job, dans Georges Montorgueil, La Tour d’Auvergne.
44Le narrateur succède au colonel pour, appuyé par l’image de Job, faire s’accomplir le rite et en donner le sens :
« Aux soldats qui devinent confusément une grande ombre parmi eux, il semble qu’une seconde fois le capitaine appelle : La Tour d’Auvergne ! Écho de tous les cœurs, gonflant d’espérance et d’orgueil la joyeuse étoffe du drapeau, une voix répond, la voix de l’ombre :
– Présent131 ! »
45« Avec ce qui n’était jusqu’à présent que de l’anecdote, j’ai estimé qu’on pouvait faire de l’histoire », écrivit Marc Bloch132. À partir des rites de guérison pratiqués par les rois de France et d’Angleterre, il entreprit en effet de faire ressortir le caractère « mystique » de la vieille royauté. Il montra ainsi, même s’il n’utilisa pas l’expression, que le pouvoir royal était, selon la typologie wébérienne, un charisme de fonction. Il montra également que tout charisme est une relation entre son porteur et les dominés et qu’il cesse dès lors que la croyance quitte ces derniers. La tradition militaire en usage dans les deux communautés d’admiration de Carhaix et du 46e régiment d’infanterie, et qui fascina ailleurs dans l’armée ainsi que dans le monde civil, est également révélatrice du charisme dont la société française chargea La Tour d’Auvergne sous la IIIe République, jusqu’à en faire un symbole du réarmement moral de la nation133. La tradition avec son rite, puis à nouveau son support reliquaire (1904), avait pour mission de l’objectiver, d’assurer la survie et l’efficacité de son porteur.
Notes de bas de page
1 Schweisguth Étienne, « L’institution militaire et son système de valeurs », Revue française de sociologie, 1978, 19-3, p. 373-390, ici p. 385-390.
2 Thiéblemont André, « Le fait culturel militaire : premiers repérages », dans Thiéblemont André (dir.), Cultures et logiques militaires, Paris, PUF, 1999, p. 3.
3 Teboul Jeanne, Corps combattant. La production du soldat, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2017, en particulier p. 177-189.
4 Girardet Raoul, La société…, op. cit., p. 13-42.
5 Kalifa Dominique, « Introduction », Romantisme, 2013/3, no 161, p. 3-6, ici p. 4.
6 Roynette Odile, op. cit.
7 Chanet Jean-François, Vers l’armée…, op. cit., p. 203-223 ; Pedroncini Guy (dir.), Histoire militaire de la France. 3. De 1871 à 1940, Paris, PUF, 1992, p. 40-42.
8 Charlet. Aux origines de la légende napoléonienne, 1792-1845, Boulogne Billancourt/La Roche-sur-Yon, Bernard Giovanangelli, 2008 ; Humbert Jean, Édouard Detaille, l’héroïsme d’un siècle, Paris, Copernic, 1979 ; Robichon François, L’armée française vue par le peintres, 1870-1914, Paris, Herscher, 1998.
9 Pastoureau Michel, « Genèse du drapeau. États, couleurs et acculturation emblématique autour de la Méditerranée », dans Genèses de l’État moderne en Méditerranée. Approches historique et anthropologique des pratiques et des représentations, Rome, Publications de l’École française de Rome, 1993, p. 97-108, ici p. 99-101.
10 Hervieu-Léger Danièle, La religion pour mémoire, Paris, Le Cerf, 1993, p. 121-146.
11 Ce chapitre reprend en l’approfondissant une partie de l’article suivant : Le Bloas Alain, « Une tradition militaire au xixe siècle : le culte de La Tour d’Auvergne (1800-1915) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 125, 2018, p. 145-169.
12 Le Moniteur, 16 floréal an ix (6 mai 1801).
13 Lecluse E., art. cité ; Nougaret Pierre-Jean-Baptiste, Anecdotes militaires, anciennes et modernes, des Français, Paris, F. Louis, 1808, p. 290.
14 Barrès Jean-Baptiste-Auguste, Souvenirs d’un officier de la Grande Armée, Paris, Plon, 1923, p. 14.
15 Le Moniteur, 15 brumaire an ix (6 novembre 1800).
16 Dumas Mathieu, op. cit., vol. 3, p. 187.
17 Fantin des Odoards Louis Florimond, Étapes d’un officier de la Grande Armée, 1800-1830, Paris, Plon, 1895, p. 52.
18 Barrès Jean-Baptiste-Auguste, op. cit., p. 87.
19 Lommel Georg, « Das grab des Latour-d’Auvergne », dans Geschichtsblätter, Neuburg, Berlag von Johann Brechter, 1838, p. 61-62.
20 Stendhal, Œuvres intimes, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1981, vol. 1, p. 523.
21 Blaze Elzéar, La vie militaire sous l’Empire, ou mœurs de la garnison, du bivouac et de la caserne, Paris, Imprimerie de Bourgogne et Martinet, 1837, vol. 1, p. 103-105.
22 Le Constitutionnel, 1er juillet 1841. Cet hommage des grenadiers de la Grande Armée est relaté ailleurs, ainsi Nollet Jules, Charles Oudinot, Maréchal d’Empire et duc de Reggio, Bar-de-Duc/Paris/Nancy, Rolin/Dumaine/Grimblot et Raybois/Gonet, 1850, p. 107-108.
23 Sauvy Anne, Le miroir du cœur. Quatre siècles d’images savantes et populaires, Paris, Le Cerf, 1989, p. 45-53.
24 Bande Alexandre, Le cœur du roi : les Capétiens et les sépultures multiples, xiiie-xve siècles, Paris, Tallandier, 2009, p. 106-119.
25 Cinquis Michel, « Paray-le-Monial », dans Boutry Philippe et Cinquis Michel, op. cit., p. 173 sq.
26 De Baecque Antoine, Le corps de l’histoire…, op. cit., p. 349-353.
27 Vauchez André, « Reliques », dans Vauchez André (dir.), Dictionnaire des temps, des lieux et des figures du christianisme, Paris, Seuil, 2010, p. 490-492.
28 Gagneux Yves, op. cit., p. 27.
29 Lecluze E., art. cité, cité p. 407.
30 Pour la différence entre le modèle (vorbilder), doté de charisme personnel et défini par la valeur, que l’on admire, et le chef (führer) qui s’impose par le pouvoir, légitimé ici par un charisme de fonction, auquel on obéit, voir Scheller Max, op. cit.
31 Paveau Marie-Anne, « Images de la militarité dans les chants de l’Armée de terre française », dans Thiéblemont André (dir.), op. cit., p. 259.
32 La Bellonide, poème en dix chants. Dédié à Monseigneur le Maréchal d’Empire Dasvoust, par un jeune militaire du 33e régiment de ligne, Lille/Paris, Blocquel/Bertin, an xiv, p. 7.
33 Heinich Nathalie, La gloire…, op. cit., p. 195-196 ; Agulhon Maurice, De Gaulle…, op. cit., p. 93-94.
34 Bande Alexandre, op. cit.
35 Sourbier-Pinter Line, Au-delà des armes. Le sens des traditions militaires, Paris, Imprimerie nationale, 2001, p. 75 ; Albert Jean-Pierre, « Mort héroïque… », dans Benoit Christian et al. (dir.), op. cit., p. 17.
36 Tarde Gabriel, Les lois de l’imitation (1890), Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2001, p. 281, souligné dans le texte.
37 Albert Jean-Pierre, « Sens… », dans Centlivres Pierre (dir.), op. cit., p. 19.
38 Albert Jean-Pierre, « Mort héroïque… », dans Benoit Christian et al. (dir.), op. cit., p. 16.
39 Albert Jean-Pierre, « Sens… », dans Centlivres Pierre (dir.), op. cit., loc. cit.
40 Raoul Girardet parle de « nœuds » et de « carrefours », repérables par l’historien, où traditions anciennes et traditions nouvelles se rencontrent et se greffent pour former des « syncrétismes traditionnels », dans Girardet Raoul, « Autour de la notion de tradition politique. Essai de problématique », Pouvoirs, no 42, 1987, p. 5-14, ici p. 13. Les traditions militaires trouvent leur substrat anthropologique dans le Moyen Âge, voir Le Goff Jacques, « Préface », dans Sourbier-Pinter Line, op. cit., p. 9 sq.
41 Scheler Max, op. cit., p. 65-66.
42 Bryon-Portet Céline, « Les pratiques rituelles de l’École de l’Air. Les dispositifs symboliques et leurs enjeux en termes de transmission et de communication durant la période de formation militaire », Communication, 40/2011, p. 141-161, ici p. 152.
43 Durkheim Émile, Le suicide…, op. cit., p. 115.
44 Halbwachs Maurice, op. cit., p. 339-360.
45 Dupront Alphonse, op. cit., p. 384-385 ; Bœsch Gajano Sofia, « Reliques et pouvoirs », dans Bozóky Edina et Helvétius Anne-Marie (dir.), op. cit., p. 255-269.
46 Paveau Anne-Marie, « Images… », dans Thiéblemont André (dir.), op. cit.
47 Caractéristique de bien des héros choisis par des groupes combattants, voir Drévillon Hervé, « Préface », dans Abzac-Épezy Claude d’et Martinant de Préneuf Jean (dir.), op. cit.
48 Le Moniteur, 3 thermidor an Viii (22 juillet 1800), souligné par nous.
49 Le Coz Claude, op. cit., p. 35-36, souligné par nous.
50 Lagrée Michel et Roche Jehane, Tombes de mémoire. La dévotion populaire aux victimes de la Révolution dans l’Ouest, Rennes, Apogée, 1993.
51 Thiéblemont André, « Le fait culturel militaire : premiers repérages », dans Thiéblemont André (dir.), op. cit., p. 1-48, ici p. 7.
52 Benoît Christian, « La symbolique de l’armée de terre : de l’usage à la réglementation de l’usage », dans ibid., p. 51-83, ici p. 74-78.
53 Bardiès Laure, « Du concept de spécificité militaire », L’année sociologique, 2011/2, vol. 61, p. 273-295, ici p. 284.
54 Caplow Théodore et Vennesson Pascal, Sociologie militaire, Paris, Armand Colin, 2000, p. 21.
55 Benoît Christian, « La symbolique… », dans Thiéblemont André (dir.), op. cit., p. 76.
56 Service historique de la Défense, 4 M 49 : 46e régiment d’infanterie de ligne. Journal des opérations et actions honorables du corps et des individus, du 26 janvier 1821 au 10 mai 1853, le 26 janvier 1821.
57 Fresnel Henri Victor du (commandant), Petit historique anecdotique du 46e régiment d’infanterie, Paris, Charles Lavauzelle, 1900, cité p. 121.
58 Victoires, conquêtes…, op. cit., vol. 26, en annexe (69 pages).
59 L’exemple du parti communiste, « parti passoire » au temps de sa splendeur, où les adhérents et les cadres intermédiaires étaient constamment renouvelés, avec pour conséquence une déperdition des expériences, et partant un oubli collectif et une sélectivité de la mémoire, valide ce scénario, voir Lavabre Marie-Claire, op. cit., p. 243.
60 L’auberge allemande…, op cit. ; L’enfant et le grenadier…, op. cit.
61 Archives départementales du Finistère, 100 J 1183 : « Latour-d’Aoubergné ».
62 Petiteau Nathalie, Lendemains…, op. cit., p. 304-305.
63 Bernard Gildas, « Un chant allemand sur la Tour d’Auvergne », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. xcvi, 1970, p. 117-122.
64 Fontane Theodor, Mes années d’enfance. Roman autobiographique (1894), Paris, Aubier, 1993, p. 139-140. La partie en italique est en français dans le texte.
65 Gorokhoff Gérard, « Le culte du sacrifice en Russie », dans Benoît Christian (dir.), op. cit., p. 109-113, ici p. 109-110.
66 Kantorowicz Ernst H., op. cit., p. 127-167.
67 Anderson Benedict, op. cit.
68 Petiteau Nathalie, Lendemains…, op. cit., p. 124-126.
69 Gaehtgens Thomas et Wedekind Gregor, « Le culte des grands hommes – du Panthéon au Walhalla », dans id. (dir.), Le Culte des grands hommes, 1750-1850, Paris, Éditions de la maison des sciences de l’homme, 2010, p. 1-12. À noter cependant qu’en 1833 un mémorial fut bâti à Munich en vue d’honorer les soldats bavarois de la Grande Armée morts durant la campagne de Russie ; il fut baptisé « Monument national bavarois », dans Mosse George L., De la Grande Guerre…, op. cit., p. 58.
70 Benoît Christian, « La symbolique… », dans Thiéblemont André (dir.), op. cit.
71 Service historique de la Défense, 4 M 49 : Correspondance du 46e RI du 25 juin 1839 au 1er juin 1842. Lettre du colonel Paillot au préfet Boullé, le 7 avril 1841.
72 Catalogue de la Bibliothèque de MM. les officiers du 46e régiment d’infanterie de ligne, Bourbon-Vendée, C. L. Ivonnet, 1847.
73 Benoît Christian, « La symbolique… », dans Thiéblemont André (dir.), op. cit., p. 81.
74 Sourbier-Pinter Line, op. cit., p. 39.
75 Girardet Raoul, La société…, op. cit., p. 19.
76 Caplow Théodore et Vennesson Pascal, op. cit., p. 19.
77 Goya Michel, Le char et l’acier. L’invention de la guerre moderne (1914-1918), Paris, Taillandier, 2004, chap. i.
78 Gerbod Paul, « L’éthique… », art. cité.
79 Chanet Jean-François, Vers l’armée…, op. cit.
80 Roynette Odile, op. cit., p. 116-117.
81 Service historique de la Défense, 4 M 49 : Historique du 46e de ligne (ouvrage manuscrit).
82 Pineau Paul (capitaine), Histoire de La Tour d’Auvergne, Paris/Limoges, Charles-Lavauzelle, 1891, p. 131.
83 Simond Émile (capitaine), Le capitaine La Tour d’Auvergne, Premier Grenadier de la République, Paris, Librairie Perrin, 1985, p. 279.
84 Chaperon Henri (capitaine), Historique du 46e régiment d’infanterie, Paris/Limoges, Charles-Lavauzelle, 1894, cité p. 187, souligné dans le texte.
85 Girardet Raoul, « Les trois couleurs. Ni blanc, ni rouge », dans Nora Pierre (dir.), op. cit., La République, p. 5-35, ici p. 26.
86 Durkheim Émile, Les formes…, op. cit., p. 330-331.
87 Richard Bernard, Petite histoire du drapeau français, Paris, CNRS Éditions, p. 14-15.
88 Ibid., p. 13. Voir aussi Thiéblemont André, « Les paraîtres symboliques et rituels des militaires en public », dans Thiéblemont André (dir.), op. cit., p. 163-210, ici p. 185-186.
89 Teboul Jeanne, op. cit., p. 150 ; Le Bloas Alain, « Qu’est-ce qu’un drapeau régimentaire », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest (à paraître).
90 Voir le tableau de Victor Prouvé, En avant ! le 26e !! où le régiment qui défile est associé à son drapeau brandi par une victoire et à l’un de ses héros, le sergent Blandan, dans Robichon François, L’armée française…, op. cit., p. 84. Voir aussi Moreau Émile et Depré Ernest, Le Drapeau. Drame en cinq actes et neuf tableaux, Paris, Paul Ollendorf, 1892. Dans cette pièce, dont l’action se déroule dans la 46e demi-brigade en 1799-1800, lors des deux dernières campagnes de La Tour d’Auvergne, le héros et le drapeau sont associés, dramaturgie et dialogues y servent la même pédagogie vexillaire.
91 Hervieu-Léger Danièle, op. cit., p. 121-146.
92 Une pièce de monnaie trouvée dans sa poche, une pincée de tabac, la dragonne de son sabre, un autographe, une plume de son panache, Le Vétéran, 3 avril 1904.
93 Loc. cit.
94 Van Gennep Arnold, op. cit.
95 Roynette Odile, op. cit., p. 409-417.
96 Pineau Paul, op. cit. ; Chaperon Henri, op. cit.
97 Fresnel Henri Victor du, Petit historique…, op. cit.
98 Fresnel Henri Victor du, En marche. Chansons de route, Paris, Henri Charles-Lavauzelle, 1897, p. 19.
99 Pineau Paul, op. cit.
100 La Fête du 46e. Souvenir auxerrois du 27 juin 1890, Auxerre, A. Gallot, 1890.
101 L’Abeille de Fontainebleau, 30 juin 1892, 28 juin 1900, 28 juin 1901, 4 juillet 1902.
102 Évoquant sa Grande Guerre comme officier au 46e régiment d’infanterie, l’historien médiéviste Gustave Cohen ajouta mécaniquement : « celui de La Tour d’Auvergne », dans Cohen Gustave, Ceux que j’ai connus, Montréal, L’Arbre, 1946, p. 84.
103 Teboul Jeanne, op. cit., p. 149-188.
104 Bourdieu Pierre, La noblesse d’État…, op. cit., p. 258.
105 Scheler Max, op. cit., p. 63.
106 Hobsbawm Eric et Ranger Terence (dir.), op. cit.
107 L’expression doit être ainsi entendue : « foi qu’il ne faut pas entendre dans un sens religieux mais qui est fondée sur une connaissance et un amour judicieux et clairement définis d’un modèle et de sa valeur, qu’on a pris comme exemple », dans Scheler Max, op. cit., p. 55.
108 Hervieu-Léger Danièle, op. cit., p. 127.
109 Caplow Théodore et Vennesson Pascal, op. cit., p. 22.
110 Weber Max, La domination, op. cit., p. 322.
111 Boniface Xavier, op. cit., p. 62-70.
112 Quand la tradition fixée une fois pour toutes se relit pour s’adapter à la société englobante, voir Hervieu-Léger Danièle, op. cit., p. 128.
113 Cohen Yves, Le siècle des chefs. Une histoire transnationale du commandement et de l’autorité (1890-1940), Paris, Éditions Amsterdam, 2013, p. 168-177 ; Saint-Fuscien Emmanuel, À vos ordres ? La relation d’autorité dans l’armée française de la Grande Guerre, Paris, Éditions EHESS, 2011, p. 25-50.
114 Simond Émile, op. cit. ; Paimblant du Rouil Adrien (capitaine), Le capitaine La Tour d’Auvergne-Corret, premier grenadier des armées de la République, Paris, Imprimerie de Chaix, 1897 ; ou encore Pineau Paul, op. cit.
115 Nous reviendrons plus loin sur les enjeux de cette nationalisation/translation pour la République radicale et les débats que cette décision provoqua.
116 Geary Patrick J., Le vol des reliques au Moyen Âge : furta sacra, Paris, Aubier, 1993.
117 Ben Amos Avner, op. cit.
118 Service historique de la Défense : Teisseire Gustave (général), Le cœur de La Tour d’Auvergne, s. l., s. d., p. 10 (dactyl.).
119 « En réactivant la relique par une redécouverte, un transfert, une construction, ou un vol, on rejoue et on renforce sa valeur de marchandise sacrée » selon Schlanger Judith, La Mémoire des œuvres, Lagrasse, Verdier, 2008, p. 148-149, citée par Nathalie Heinich, Des valeurs…, op. cit., note p. 152. Pour une approche d’anthropologie historique, cf. Geary Patrick J., op. cit.
120 « Les années ont passé ; les deux grandes guerres du siècle et l’usure des ans ont éclairci leurs rangs. Mais les survivants tiennent à garder vivaces les sentiments d’honneur et de fidélité au devoir dont leur héros et patron leur a donné tant d’exemples. Aussi, lors de leurs cérémonies anniversaires aux Invalides en l’honneur de leurs morts, se font-ils un devoir de l’y associer et de rendre à ses restes un hommage fervent », dans Teisseire Gustave, op. cit., p. 12.
121 Gourmel (capitaine), Conférence faite sur la Tour d’Auvergne, Paris, Société nationale des conférences populaires, 1909.
122 Aubagnac Gilles, « Fêtes et défaites sublimées dans l’armée française », dans Benoît Christian et al. (dir.), op. cit., p. 33-45 ; Messager Jean-Luc, « Camerone : du sacrifice au mythe », ibid., p. 46-51 ; Bachelet Jean-René, « La bravoure, vertu du passé ? », dans Lecointre François (dir.), Le soldat, xxe-xxie siècles, Paris, Gallimard, coll. « Folio histoire », 2018, p. 37-51 ; Marchand Thierry, « La dimension utilitaire de la commémoration militaire : l’exemple de Camerone », ibid., p. 52-61.
123 Binot Jean-Marc, Georges Guynemer, Paris, Fayard, 2017.
124 Monod Jean-Claude, op. cit., p. 271-272.
125 Berenson Edward, « Le charisme… », art. cité ; Les héros…, op. cit.
126 Charle Christophe, La crise…, op. cit., p. 200-206.
127 Heinich Nathalie, De la visibilité…, op. cit.
128 Albert Jean-Pierre, « Du martyr… », dans Centlivres Pierre et al. (dir.), op. cit., p. 16.
129 Robichon François, Job ou l’Histoire illustrée (1984), Paris, Herscher, 1994, p. 59-60.
130 Montorgueil Georges et Job, La Tour d’Auvergne, premier grenadier de France (1901), Paris, Ancienne Librairie Furne/Combet et Cie Éditeurs, 1902, p. ii-iv.
131 Ibid., p. iv.
132 Bloch Marc, Les rois thaumaturges. Étude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance royale particulièrement en France et en Angleterre (1924), Paris, Armand Colin, 1961, p. 18.
133 En 1901, l’Almanach du Drapeau organisa un concours visant à détacher les plus grands héros militaires. Les participants devaient proposer les « dix plus admirables hommes de guerre que le soldat doit connaître et aimer ». Il y eut 1 386 réponses. La Tour d’Auvergne figurait au treizième rang du classement final, dans Gerbod Paul, « L’éthique… », art. cité, p. 423.
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