Introduction à la deuxième partie
p. 87-88
Texte intégral
1À partir de quand un impétrant obtient-il son ticket d’entrée au Panthéon ? La sainteté catholique et le culte afférent sont officiellement reconnus lors de la canonisation, procès contradictoire durant lequel les vertus du saint ont été une bonne fois pour toutes évaluées. Au contraire, le personnage historique « est toujours en “procès”1 ». C’est cette instruction permanente qui fait entrer certains dans la mémoire quand d’autres en sont « chassés », qui désigne les héros… puis les éteint… avant éventuellement de les réactiver. Cette élection, les sciences sociales la nomment « héroïsation ». Pour montrer combien elle est une construction sociale, les chercheurs évoquent l’« atelier », la « fabrique », ou encore la « fabrication » des héros. La métaphore qui suggère l’activité avec ses temps de fort rendement et ses pauses ainsi que l’importance de la conjoncture (le contexte historique) qui la commande, le façonnement des pièces (le texte, les images, les monuments, les rites) et leur assemblage (les cérémonies par exemple), la nécessaire division du travail (les acteurs et institutions qui interagissent), le bruit (celui de l’enthousiasme comme celui de la contestation), etc., donne en effet une idée de la complexité des processus à l’œuvre. Dans une fabrication héroïque réussie, quelle est la part des multiples registres mobilisés : rhétoriques, textuels, iconographiques, monumentaux… ? Quelle est l’importance respective des différentes valeurs qu’ils ont permis d’associer au héros ? En quoi sa légende fonctionne-t-elle ? Quelle est le rôle de la (des) cérémonie(s) dans la validation du personnage ainsi construit ? Si l’on retrouve des schèmes anthropologiques récurrents dans toute héroïsation et des traits communs à tous les héros, chacun possède une identité morale (ses vertus) et une légende ; il est en effet le résultat d’une héroïsation qui lui est propre et qui le définit comme tel. Aussi éviterons-nous de donner une définition englobante de l’héroïsation pour nous limiter au seul cas de La Tour d’Auvergne.
2Si, de son vivant, en suscitant l’admiration, ce dernier se singularisa ; si par ses engagements militaires et pour finir sa mort, il acquit l’héroïcité ; si, enfin, il bénéficia de funérailles héroïsantes, si tout cela valida son exemplarité et le plaça en bonne position pour gagner l’immortalité, sauf aux yeux de ses amis et de son régiment cela ne suffisait pas à le transmuer durablement. Pour que l’héroïsation puisse s’opérer, il fallait que ses admirateurs travaillent encore à sa cause. Ce n’est qu’en 1841 que leur investissement trouva un aboutissement sous la forme d’une statue. Nous définirons donc l’héroïsation de La Tour d’Auvergne comme un processus qui s’est mis en œuvre à partir d’un déjà-là solide et structurant et qui, longtemps après son inauguration, déboucha une première fois lors d’une cérémonie publique durant laquelle s’exprima la parole politique donnant sens au processus au lieu de la parole politique et qui permit de donner sens au processus2.
3En dépit de l’hostilité de Bonaparte, qui chercha même à éteindre le culte naissant, l’admiration née du vivant du premier grenadier et appuyée sur une première héroïsation sur le champ de bataille se maintint (chap. iv). La Restauration, a priori peu favorable à la cause du héros fut en réalité un temps de consolidation. Mais c’est sous la monarchie de Juillet que La Tour d’Auvergne accéda au rang de héros national (chap. v).
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