Chapitre I. La sculpture comme dispositif sculptural
p. 17-30
Texte intégral
1Pour définir ce qu’est la sculpture, nous commencerons par la description que fait Gibson de notre environnement physique, à la fois pour situer le fait sculptural dans cet environnement et dans l’espoir d’en tirer un vocabulaire adapté à la description de la sculpture du point de vue de sa perception.
L’environnement
2Le monde considéré sous l’angle de la perception doit, selon Gibson, être décrit en tant qu’environnement spécifique d’une espèce et à l’échelle de cette espèce. L’environnement terrestre tel que nous le percevons en tant qu’êtres humains est fait de surfaces qui séparent des substances solides et liquides d’un milieu non substantiel, l’air, dans lequel nous respirons et nous nous déplaçons. La lumière baigne le milieu et éclaire les surfaces, qui la reflètent. Le sol est notre surface de référence. Il doit être solide pour assurer notre déplacement. Notre rapport à l’environnement est marqué par la pesanteur et la verticalité.
3Une des principales propriétés des surfaces est pour nous leur disposition, définie comme « l’arrangement persistant des surfaces les unes par rapport aux autres et par rapport au sol1 ». Les surfaces relèvent selon ce critère de deux grandes catégories.
4Elles peuvent délimiter un objet, c’est-à-dire « une substance persistante dotée d’une surface fermée ou presque fermée, susceptible d’être soit détachée soit attachée2 ». Un objet détaché est entièrement entouré par le milieu, un objet attaché en partie seulement. Une pierre, un animal, un livre sont des objets détachés ; un arbre, une montagne, une convexité sont des objets attachés. Un objet attaché peut être visuellement inclus dans un objet plus grand : un bras est un objet attaché au corps humain, qui est un objet détaché et animé.
5Les surfaces peuvent au contraire délimiter une enceinte, c’est-à-dire « un ensemble de surfaces dont la disposition entoure le milieu à un certain degré3 ». Une grotte, l’intérieur d’une maison, une convexité sont des enceintes. Les objets creux sont des objets qui possèdent deux surfaces, l’une extérieure, l’autre intérieure formant une enceinte. Une bouteille, une coquille d’escargot, une maison sont des objets creux. La disposition des surfaces d’un objet ou d’une enceinte constitue sa forme.
6Un lieu est un emplacement dans l’environnement, plus ou moins étendu, qui compose et structure notre habitat. On peut le nommer mais il n’est pas forcément délimité avec précision. Le lit, la chambre, la maison, le bureau, la place, le quartier, la ville, sont des lieux imbriqués l’un dans l’autre. Un lieu peut être formé d’une enceinte partielle offrant des échappées permettant de passer d’un lieu à l’autre et être meublé d’objets attachés ou détachés.
7Selon leur disposition, leur taille et leur composition substantielle, les surfaces de l’environnement sont perçues par l’être humain comme autant de possibilités d’action que Gibson nomme affordances, parfois traduit en français par « invites ». Une enceinte ou un objet creux permet de s’abriter de la pluie, d’un prédateur, de cacher ou de ranger un objet, de transporter un liquide, etc. Toute surface résistante plus ou moins horizontale et d’une certaine dimension peut servir de sol et donc être utilisée pour marcher, s’asseoir, poser un objet. Une surface verticale est, selon sa hauteur et la taille de l’individu qui l’aborde, enjambable, escaladable ou contournable. Selon sa taille, sa rigidité et sa forme, un objet peut ou non être saisi et servir d’outil pour telle ou telle action.
Le dispositif de présentation sculptural
8Qu’est-ce donc qu’une sculpture, dans l’environnement ainsi décrit ? C’est d’abord une surface, ou un ensemble de surfaces, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit toujours vue en tant que surface, nous le verrons, mais qu’elle est toujours vue par sa surface.
9Surface ajoutée par l’action humaine à l’environnement naturel, elle entre dans la catégorie des artefacts, et à l’intérieur de celle-ci dans la classe de ce que Gibson nomme displays, traduit en français par « dispositifs de présentation », classe comprenant aussi les images plates et les écritures. Ces dispositifs servent à communiquer et ont pour but spécifique « d’être regardés4 ».
10Les dispositifs de présentation résultent de la modification par l’homme d’une surface préexistante, modification dont ils constituent l’enregistrement durable et qu’ils exposent, font voir (display), la rendant accessible à toute personne qui en devient le regardeur. Percevoir un dispositif revient alors à prendre conscience, à travers les propriétés physiques d’une surface, d’une information (au sens perceptif) qu’un humain, par exemple un artiste ou un écrivain, y a consignée. Figuratif, le dispositif de présentation est une surface « configurée ou traitée de manière à présenter une information irréductible à celle de la seule surface5 ». Il invite à la perception indirecte d’un objet virtuellement présent, engendrant une « division de l’attention6 » qui se porte de façon concomitante sur la surface en tant que telle et sur l’« information irréductible » enregistrée. Non figuratif, il propose une expérience perceptive nouvelle à découvrir dans les informations présentées par la surface. Gibson parle des dispositifs abstraits comme d’« exercices de perception7 ».
Disposition et milieu
11Gibson définit le dispositif sculptural comme une modification dans la disposition d’une surface préexistante : « Les reliefs et les sculptures sont des modifications dans la disposition d’une surface. Les peintures sont des modifications dans la réflectance d’une surface8. » Cette définition très générale, plus générale que les définitions par le volume9 mais moins abstraite que la définition par la tridimensionnalité, permet de rendre compte de la grande variété des dispositifs que l’art contemporain classe désormais dans la catégorie du sculptural10 tout en restant dans la perspective d’une étude de leur perception. Les définitions par le volume, en effet, non seulement correspondent à un état sans doute historique de la sculpture, celle de la sculpture comme forme « pleinement tridimensionnelle », mais relèvent d’un mode particulier d’attention aux surfaces. Elles contiennent enfin le germe d’un jugement de valeur implicite selon lequel ne seraient sculpturales, dignes de la sculpture, que les œuvres s’affirmant comme « beau » volume, qualitativement et quantitativement11.
12Selon la position relative des surfaces et du milieu, on peut, à partir de la classification de Gibson, proposer une répartition des dispositifs en deux grandes catégories.
Les dispositifs-objets
13Les dispositifs sculpturaux existants sont dans leur immense majorité des objets, c’est-à-dire des surfaces plus ou moins fermées entourées par le milieu. Les dispositifs indépendants, telles que les statues, sont des objets détachés dont la surface enserre entièrement un volume et est entièrement entourée par le milieu, et les reliefs sont des objets attachés dont la surface est en continuité avec celle d’un fond et seulement partiellement fermée et entourée par le milieu.
14Au début du xxe siècle, les sculptures-objets se creusent de plus en plus et ont tendance à perdre leur volumétrie au profit d’un assemblage de feuilles, de fils, etc. Certaines offrent à la perception non seulement une surface extérieure mais aussi une surface intérieure travaillée sculpturalement et formant enceinte : ce sont des objets creux comme ceux d’Archipenko, de Gabo, d’Hepworth (fig. 1) ou de Moore mais aussi de Judd.
15La plupart de ces dispositifs visent à reproduire la disposition de la surface d’un objet existant – Gibson parle de « solid image12 », expression qu’on pourrait traduire par « solide figuratif » ou « représentation par un solide » –, c’est-à-dire à représenter. Contrairement à l’image plate et indépendamment des considérations d’échelle, l’objet sculpté possède alors intrinsèquement les propriétés de disposition que l’artiste reconnaît au représenté. Les sculptures non figuratives créent un nouvel objet en proposant au regard une disposition de surfaces inédite. La spécificité de l’ensemble de ces dispositifs est de présenter à l’observateur une surface qui fonctionne et communique (invite à être regardée) comme structure dispositionnelle.
Fig. 1. – Hepworth B., Pélagos, 1946, bois avec peinture et fils, 43 × 46 × 38,5 cm, Tate Gallery, Londres.

16Les moyens utilisés pour créer cette disposition sont d’une extrême variété et ont longtemps dépendu des conditions de production (matériau, outillage). Les techniques traditionnelles sont la taille, le modelage, l’abrasion, le moulage (dans les techniques de fonte), qui consiste à fluidifier temporairement une substance afin que sa surface consigne la forme sur laquelle elle est appliquée. L’assemblage est une technique d’atelier ancienne (beaucoup de statues par exemple sont faites d’un assemblage de blocs) théorisée et assumée par les avant-gardes du début du xxe siècle et déclinée ensuite sous des formes très diverses. D’autres gestes comme la compression ou l’accumulation, voire, dans une optique plus conceptuelle, le simple fait de disposer sur le sol ou sur un substitut une surface prélevée ou préalablement travaillée, sont considérés aujourd’hui comme générant un dispositif sculptural. On peut citer les ready-made de Duchamp (Roue de bicyclette, 1913, fig. 2), ou plus récemment des œuvres comme le Tas de charbon (1963) ou les Effondrements de barres d’acier Corten de Bernar Venet (2009, 2012). Dans tous les cas, la préférence donnée au terme gibsonien « dispositif » aura pour but d’éviter les attendus du mot « sculpture », trop marqué en français par son étymologie, le « sculpteur » étant celui qui taille un matériau dur, sur le modèle vincien13.
Les dispositifs-enceintes
17Les dispositifs contemporains de type installation sont souvent des enceintes meublées d’objets et d’objets creux, attachés ou détachés, ou des dispositifs in situ incluant les surfaces environnantes, souvent celles de la « boîte blanche » de la muséographie contemporaine14. Les dispositifs-enceintes pénétrables sont conçus comme des lieux. L’essentiel (ou une grande partie) des surfaces signifiantes n’est plus disposé devant le spectateur qui tourne autour, mais autour de lui qui se déplace. Le terme « sculpture » convient particulièrement mal à ces dispositifs auxquels s’applique en revanche parfaitement le vocabulaire gibsonien (dispositif, disposition, arrangement de surfaces). Beaucoup de ces dispositifs pénétrables sont aussi et d’abord perçus comme des objets, car extérieurement repérables dans le musée ou la galerie comme « boîte » renfermant une installation. Maman, l’araignée géante de Louise Bourgeois (1999) est un exemple d’objet creux figuratif pénétrable. Les dispositifs-environnements comme ceux du land art peuvent être considérés comme des lieux ouverts, de grande étendue et meublés d’objets (rochers…) ou d’enceintes (tranchées…) généralement naturels et à grande échelle, et intégrant souvent expressément le sol comme élément de disposition (Michael Heizer, Diplaced, Replaced Mass, 1969, fig. 3).
Fig. 2. – Duchamp M., Roue de bicyclette, 1913-1964, Centre Georges-Pompidou, Paris.

Fig. 3. – Heizer M., Displaced, Replaced Mass (Masse déplacée et remise en place), 1969, Silver Springs, Nevada.

Substance et milieu
18Les surfaces d’un dispositif sculptural sont des choses physiques vues dans un milieu. Elles sont des « interfaces », écrit Gibson de manière générale, qui « séparent les substances du milieu15 ». Quand nous percevons un dispositif, nous ne percevons donc pas seulement sa forme mais aussi, grâce aux informations transmises par le milieu, la composition chimique et structurelle des substances qui le constituent. L’histoire de la sculpture est pour beaucoup l’histoire de son rapport à la substantialité de ses surfaces.
Propriétés optiques
19En réfléchissant ou en absorbant de manière spécifique la lumière ambiante qui circule dans le milieu, la substance donne d’abord à la surface ses propriétés optiques, c’est-à-dire une texture (dispositionnelle et pigmentaire), une réflectance et une couleur, propriétés assez bien rendues par la photographie et que la sculpture partage avec la peinture. L’utilisation qui est faite de ces propriétés, et le rôle qu’on leur donne dans la définition du sculptural, varie fortement selon les contextes de production.
20La sculpture classique estime que seule la disposition est vouée à signifier sculpturalement, puisqu’elle seule distingue la sculpture de la peinture, et par voie de conséquence qu’elle seule peut être modifiée. Elle privilégie les matériaux continus ne présentant pas ou presque pas de texture propre et de couleur, et une réflectance douce (le marbre blanc, voire le plâtre du modèle). Il s’agit, en neutralisant autant que possible l’effet de substance, de concentrer le regard sur la recherche de la forme et de se tenir à distance de la peinture. Cette vision formelle, achromatique, du dispositif sculptural est restée le modèle dominant dans le monde occidental depuis la Renaissance jusqu’au début du xxe siècle.
21Hors de ce contexte historiquement déterminé, la surface configurée peut être laissée nue et exhiber franchement sa substance (Brancusi, Tatline, etc. : à partir du xxe siècle), ou être en totalité ou en partie cirée, patinée, dorée ou peinte, voire offerte à la dépiction, parfois naturaliste ; elle peut aussi être composée, ou recouverte partiellement, de matériaux diversement colorés et texturés (polychromie « naturelle » fondée sur les mariages de substances, incrustations colorées ou réfléchissantes, accessoires, vêtements, peau naturalisée). La surface perçue est alors celle de la patine, de la peinture, du vêtement, etc., dont les propriétés s’entremêlent à des degrés divers à celles du substrat dispositionnel (fig. 4). On utilise couramment aujourd’hui des surfaces techniques issues de notre environnement quotidien, lampes et moniteurs qui reçoivent leurs propriétés optiques non plus de la lumière naturelle mais de leur propre activité substantielle (Takis, Signaux, 1990, La Défense), objectifs de caméras qui enregistrent la structure optique de la lumière à tel point d’observation et la restituent sur une surface visible depuis tel autre point d’observation.
Fig. 4. – Hanson D., Man on Mower (Homme sur une tondeuse), détail, 1995, bronze, peinture à l’huile, technique mixte, accessoires, Institut für Kulturaustausch, Tübingen.

Propriétés mécaniques
22La plupart des dispositifs sculpturaux sont fixes et rigides mais les dispositifs cinétiques modernes, et certains dispositifs traditionnels comme les fontaines, exploitent la propriété qu’ont les substances peu résistantes de se déformer sous l’action d’une force (pesanteur, vent, etc.) et donc de se déplacer dans le milieu. Flexibilité et viscosité sont alors recherchées pour les variations spécifiques qu’elles introduisent dans la disposition et le rendu optique des surfaces (balancement, affaissement, oscillation lumineuse…). Ce type de déformation souple peut s’ajouter aux déformations rigides d’un mobile présentant des parties articulées, déformations qui ne dépendent pas directement de propriétés de substance, mais de disposition (Niky de Saint Phalle et Tinguely, Fontaine Stravinsky, 1983). Les dispositifs cinétiques n’en restent pas moins des structures dispositionnelles persistantes : les substances fluides ou périssables sont renouvelées (G. Anselmo, Struttura che mangia l’insalata, 1968, granit, salade, fil de cuivre et sciure) et les surfaces rigides ou flexibles ont une mobilité restreinte (propriétés mécaniques invariables, immobilisation au sol ou sur un substitut, fig. 5).
Propriétés sonores
23Une autre propriété des surfaces explorée par le cinétisme contemporain ou traditionnel est leur capacité à transmettre au milieu les vibrations provoquées dans la substance par un événement mécanique, c’est-à-dire à produire des sons. Cette propriété est largement exploitée dans les cultures à masques : agitées, les surfaces souples incluses dans le dispositif produisent des sons dont les propriétés de rythme, de timbre, d’intensité, etc. font partie intégrante de la sortie du masque et jouent généralement un rôle figuratif et expressif. Les murmures de l’eau d’une fontaine du Bernin, les grincements d’un mobile de Tinguely, les sons amortis d’un corridor de Bruce Nauman sont également en rapport étroit à la fois avec la représentation (Fleuve, machine, rêve…) et avec la disposition des surfaces substantielles du dispositif, qui détermine leurs propriétés de timbre, de rythme, d’intensité, etc. Une sculpture de Takis fait, de la même manière, sonner les substances qui la constituent comme sculpture et le son entendu participe de la dimension technique de l’objet. L’œuvre processuelle de Robert Morris Box with the Sound of its Own Making (1961), un cube formé de six plaques de noyer enfermant un haut-parleur, diffuse en boucle l’enregistrement des trois heures et demie de sciage, clouage, etc. nécessaires à sa fabrication. On regarde les surfaces sonner, on « écoute par les yeux16 ».
Fig. 5. – Gabo N., Standing Wave, 1920, tige de métal animée par un moteur, h. 58,5 cm, Tate Gallery, Londres.

24Certains dispositifs explorent de manière beaucoup plus approfondie la dimension musicale du son et posent le problème des limites entre le sculptural et le musical. On peut en effet « écouter par les yeux » un concert, mais le spectacle n’est pas sculptural dans le sens que nous avons donné à ce mot, on ne fait que prêter attention aux surfaces d’un concert. De même répartir dans une pièce les enceintes d’un dispositif électroacoustique ne « sculpte » vraisemblablement l’environnement que de façon métaphorique, comme un tableau de Monet n’est une « symphonie de couleurs » que par métaphore. Donner une « matérialité » au son, créer un environnement sonore « spatialisé », c’est toujours jouer des propriétés de diffusion du son dans le milieu et s’adresser prioritairement au système auditif, dédié autant que le système visuel à l’orientation. Si l’on s’en tient à l’idée que le dispositif sculptural est fait pour être regardé, même s’il peut être doté de propriétés sonores, une liste de critères peut permettre d’évaluer ce qui relève du sculptural dans ces « sculptures sonores » contemporaines et éviter le discours métaphorique. Serait par exemple sculptural un dispositif réalisant en nombre suffisant les traits suivants :
- être identifié comme tel par son titre, l’identité et les propos de son créateur, l’institution ;
- être fait pour « être regardé » et présenter « une information irréductible » à celle de sa seule surface (par exemple ne pas être seulement un violon ou seulement un chanteur, ou seulement une enceinte électro-acoustique) ;
- ne pas présenter les caractéristiques d’une exécution musicale : présence d’exécutants, durée d’écoute pertinente, avec un début et un fin, partition ;
- être enregistrable plutôt comme photographie que comme document sonore ;
- produire un son en lien direct avec : i) une substance visible du dispositif ; ii) la disposition des surfaces du dispositif ; iii) ce que représente le dispositif.
25Selon ces critères, Pendulum Music de Steve Reich (1968), qui fait entendre le balancement de six micros lâchés au-dessus d’enceintes acoustiques par autant d’exécutants et son progressif ralentissement, est plutôt un dispositif musical, même si le son est produit par la substance et la disposition des surfaces du dispositif. La même année, Get Out of My Mind, Get Out of This Room de Bruce Nauman, composé d’un espace vide dans lequel des haut-parleurs dissimulés diffusent de manière agressive et répétitive « Sors de mon esprit, sors de cette pièce », est en revanche plutôt un dispositif sculptural. L’enceinte de la pièce représente l’esprit de l’artiste et la voix sortant des haut-parleurs dissimulés réfère à la pièce et à sa propriété d’être occupée au présent par le visiteur.
26La même réflexion peut avoir lieu pour les installations vidéo, avec cette fois l’idée de distinguer le sculptural du filmique. Les œuvres de Bill Viola par exemple ne sont pas sculpturales dans le sens que nous avons défini. Les murs ne forment pas une enceinte substantielle enserrant un milieu mais ouvrent la pièce sur un espace filmique. On s’assoit ou on s’immobilise le temps de son déroulement. Dans Anthro/Socio de Bruce Nauman (1991), au contraire, les visages projetés sur les murs et diffusés dans les six moniteurs structurant l’espace réel ramènent à l’expérience perceptive d’être dans la pièce, confronté à des surfaces opaques, recouvertes de textures pigmentaires cinétiques, entre lesquelles le spectateur est appelé à circuler et à ressentir.
Notes de bas de page
1 Gibson J. J., Approche écologique de la perception visuelle (1979), trad. Paris, Éd. du Dehors, 2014, p. 458.
2 Ibid., p. 93.
3 Ibid., p. 86.
4 Gibson J. J., The Senses Considered as Perceptual Systems, Boston, Houghton Mifflin, 1966, p. 27, 224. Si cette proposition peut être discutée, Herbert Read affirmant par exemple que la sculpture est, contrairement à la peinture, un art du toucher, nous suivrons Gibson : dans son usage le plus courant, la sculpture est faite pour être vue ou contemplée par les yeux, et non touchée.
5 Gibson J. J., Approche écologique de la perception visuelle, op. cit., p. 98, p. 434.
6 Gibson J. J., The Senses Considered as Perceptual Systems, op. cit., p. 238.
7 Ibid., p. 225.
8 Ibid., p. 224.
9 « Art consistant à produire des œuvres volumétriques au moyen de techniques comme la taille, le modelage, la fonte ou le moulage, voire par montage, soudage ou compression » (Vouilloux B., « Sculpture », in Morizot J. et Pouivet R., Dictionnaire d’esthétique et de philosophie de l’art, Paris, A. Colin, 2007, p. 395).
10 Voir par exemple Rinuy P.-L., La Sculpture contemporaine, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2016.
11 Par exemple Rhys Carpenter, Greek Sculpture, Chicago, 1960, p. 57 (cité par Rogers L. R., op. cit., p. 138) : « Car la sculpture, dans ce qu’elle a de plus légitime, est l’art visuel de la forme pleine, et c’est précisément là que pèche la représentation archaïque. Elle procède en gros par projection planimétrique du champ visuel ; or le champ visuel, c’est le domaine du peintre. Il se pourrait bien que ce soit cette ressemblance avec l’image qui rende l’archaïsme si facilement intelligible – et l’on pourrait par conséquent risquer l’idée qu’une préférence marquée pour les productions sculptées archaïques, plutôt que pour des productions montrant plus de maturité, n’est pas la meilleure garantie de la présence d’une sensibilité à la sculpture chez le spectateur. »
12 Gibson J. J., The Senses Considered as Perceptual Systems, op. cit., p. 28.
13 « Le sculpteur doit, en produisant son ouvrage, faire un effort manuel, frappant pour enlever le superflu du marbre, ou de la pierre quelle qu’elle soit, qui dépasse la figure enfermée en son sein ; ce qui exige un exercice tout mécanique, s’accompagnant souvent de beaucoup de sueur qui se mêle à la poussière et devient une croûte de boue ; il a le visage tout enduit et enfariné de poudre de marbre, semblable à un boulanger, et il est couvert de petites écailles comme s’il avait neigé sur lui » (Vinci L. de, Traité de la peinture. Textes traduits et commentés par André Chastel, Paris, Calmann-Lévy, 2003, p. 64. 1re éd. Berger-Levrault, 1987).
14 Voir sur ce point Potts A., The Sculptural Imagination : Figurative, Modernist, Minimalist, Londres/New Haven, Yale University Press, 2000, ainsi que « Installation and Sculpture », Oxford Art Journal, vol. 24, n° 2, 2001, p. 7-23, article dans lequel il conclut que le passage de la sculpture à l’installation est plus une évolution à l’intérieur d’un même médium qu’une véritable rupture.
15 Gibson J. J., Approche écologique de la perception visuelle, op. cit., p. 457.
16 Titre d’une exposition à Paris 1980 : « Écouter par les yeux. objets et environnements sonores », musée de l’Art moderne de Paris.
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