Introduction à la deuxième partie

1« Graver, c’est se situer volontairement dans l’entre-deux, dans l’intervalle de la matière et du signe, entre incision et écriture, entre le minéral et le vivant, dans l’espoir d’unité1. » Explorant les couleurs de l’eau-forte, Rembrandt développe l’une des potentialités de la gravure qui est l’art du passage ou du « transfert ». Pratique qui se situe « dans l’entre-deux », elle réconcilie la densité du sensible et la légèreté de l’esprit, l’obscurité de la matière et la clarté du signe, la viscosité de l’encre2 et la vie des émotions.

2À la clarté de l’écriture au burin, Rembrandt préfère l’irrégularité de « l’incision » ainsi que la densité du réseau des tailles. Ces tailles sont autant de creux qui enfouissent l’image sous l’obscurité, ce qui réactive la puissance de l’acte originel de la gravure3. De fait le geste du graveur n’est pas exactement le même que celui du peintre. Celui-ci a un rapport plus distancié et réflexif à sa tâche. La toile résiste et présente une force d’opposition dynamique, qui lui renvoie son geste. Le graveur reste plus proche du sculpteur par la relation tactile qu’il exerce. Il lui faut s’immerger dans la matière.

3Le changement artistique accompli par Rembrandt peut revêtir un enjeu religieux. Sa pratique est pensable selon le modèle de l’Incarnation. Comme l’esprit divin se fait chair quitte à souffrir, le dessin se fait matériau quitte à perdre sa précision et sa beauté. Il existe ainsi une parfaite adaptation du médium à son iconographie christique.

4Même si Rembrandt sacrifie la netteté de l’image, son geste doit maîtriser la matière qu’il élabore. Comment penser son travail : comme un corps à corps visant à imposer une forme à cette matière ou comme une immersion pour y découvrir l’idée ? Est-ce une lutte prométhéenne visant la victoire et la possession ou bien un dessaisissement rendant possible l’accès à la charité ?