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Ville fermée, ville surveillée

 | 
Gérald Billard
, 
Jacques Chevalier
, 
François Madoré

Partie 2. Les logiques de l’enfermement résidentiel

Chapitre 5. La socialisation et la recherche de l’entre-soi

Texte intégral

1L’enfermement résidentiel s’appuie fréquemment sur le sentiment de pouvoir vivre entre personnes de même qualité, partageant un ensemble de goûts communs, disposant des mêmes droits et soumis aux mêmes devoirs. Si la référence au club est si présente à l’esprit de nombre d’habitants de développements résidentiels fermés, c’est sans doute que le mot lui-même implique un sentiment d’appartenance à un lieu et à un groupe de partenaires, une vision partagée de la vie ensemble, des limites claires à une intimité choisie, limites permettant de construire et préserver l’entre-soi. Il s’agit d’abord de se définir pour soi, dans un territoire et un espace social donné, mais également de se définir vis-à-vis des autres, d’être identifiés par ces derniers, de construire une distinction intérieur/extérieur d’autant mieux lue qu’elle sera traduite par des signes manifestes de fermeture, même si ces signes n’apparaissent pas indispensables.

2Le besoin d’enfermement au sein d’un collectif constitue plutôt une nouveauté. Jusqu’aux décennies 1970-1980, en effet, la recherche de l’entre-soi passait principalement par des processus d’agrégation lâches, la formation de réseaux d’interconnaissance, certes constitutifs d’écarts, voire d’isolats, souvent aisément identifiables dans le paysage de la ville, sans que de véritables barrières, discrètes ou monumentales, viennent se dresser. Il suffisait, comme le rappellent M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot (2003), que fonctionne la violence symbolique pour que s’établisse une frontière difficilement franchissable et que l’intrus ait le sentiment d’être autre. La manière dont l’autoenfermement résidentiel s’est rapidement déployé au cours des deux dernières décennies du xxe siècle, en particulier à travers le continent américain, dans des grandes métropoles mais également dans des villes moyennes, n’est pas s’en questionner. Faut-il y voir à l’œuvre la rupture avec des modèles d’intégration à la ville, quoiqu’hétérogène et polarisée, qui n’avaient cessé de fonctionner durant la phase d’accélération de l’urbanisation des décennies précédant ou succédant à la Seconde Guerre mondiale ? Avec quels processus sociaux et culturels contemporains, quelle production de nouvelles représentations des sociétés urbaines, pouvons-nous mettre en relation à la fois le besoin d’enfermement et celui, socialement élargi, de fabriquer de l’entre-soi ? Enfin, si les réalités matérielles (ou textuelles) peuvent apparaître souvent très semblables d’un pays à un autre, sommes-nous pour autant en droit de conclure que ces mises en scène de l’entre-soi correspondent à de nouvelles pratiques de la ville qui ne connaîtraient pas de frontière ? En particulier, est-il vraiment possible de mettre face-à-face ce qui existe en France et ce qui est observable en Amérique du Nord ?

ENFERMEMENT RÉSIDENTIEL, SPHÈRES ET LIEUX DE L’INTIMITÉ

  • 1 Le country club estate désigne la réunion en un même site du country club (matérialisé dans les der (...)
  • 2 Pour reprendre le titre de la traduction française de l’ouvrage du sociologue R. Sennett (1997). Ce (...)

3Jusqu’à ces dernières décennies, construire et cultiver l’entre-soi par l’établissement de barrières tangibles et de sas contrôlés ou gardés n’apparaissait guère nécessaire. Les travaux portant sur la grande bourgeoisie parisienne témoignent qu’il suffisait le plus souvent de seulement s’agréger dans l’espace de la résidence (permanente ou secondaire) pour construire un entre-soi satisfaisant trouvant, en certains lieux et quelques occasions ritualisées, des opportunités de s’accomplir avec plus d’intensité (Pinçon et Pinçon-Charlot, 1989, 1992, 2003). Des remarques comparables pouvaient être faites à propos de la upper class étatsunienne (Higley, 1995). Cependant, quelques exemples, apparus dès la seconde moitié du xixe siècle (notamment les zones privées et protégées de St. Louis (Missouri) et de sa voisine University City) ou à la même époque et surtout durant les premières décennies du xxe siècle (cas des premiers country club estates1 proches de New York City ou Kansas City en particulier (Mayo, 1998), témoignent de situations très proches des gated communities contemporaines. Quelles que soient les modalités matérielles et symboliques de la fermeture, celle-ci représente donc d’abord un moyen de se convaincre et de convaincre les autres de différences respectives, différences qui peuvent même être considérées comme irréductibles. En quelque sorte, la fermeture ajoute à l’agrégation, la rend plus manifeste, tend désormais à faire considérer à ceux de l’extérieur qu’une limite sociétale infranchissable existe en même temps qu’elle oblige ceux de l’intérieur à se sentir nécessairement plus solidaires. La fermeture consiste donc à créer un univers intime, par une double familiarité : avec les lieux et avec ceux que l’on peut se donner l’occasion de côtoyer et de fréquenter par des relations choisies. À l’intimité construite sur l’habitation et son environnement immédiat (la sphère domestique privée) s’emboîte en effet, dans un espace contigu et commun mais d’accès réservé et contrôlé, une autre intimité conçue le plus souvent autour de lieux dont les promoteurs comme les occupants attendent qu’ils tiennent le rôle de club social. Les gated communities étatsuniennes, quelles que soient leur étendue et leur matérialité, illustrent particulièrement tout le soin apporté à ces lieux constituant l’« offre de sociabilité », lieux dans lesquels vont pouvoir être assurées les relations personnelles, personnalisées, survalorisant la proximité sociale qui pour mieux s’accomplir devient promiscuité. Au risque pour les résidants, en déclinant (ou pour le moins en limitant) l’exposition aux relations publiques, de devenir les victimes des « tyrannies de l’intimité2 ».

Fig.10 : Windmill Harbour (Hilton Head Island, comté de Beaufort, Caroline du Sud) : le clubhouse (cliché : Windmill Harbour Club)

Fig.10 : Windmill Harbour (Hilton Head Island, comté de Beaufort, Caroline du Sud) : le clubhouse (cliché : Windmill Harbour Club)

4Dans ce dispositif de lieux, le clubhouse occupe une place à la fois centrale dans l’espace et dans la vie des résidants. Souvent construit dans le registre du monumental et du luxueux, conçu pour abriter des lieux divers (salles de lecture, de jeux, bar et souvent espace de restauration, salles destinées aux membres des clubs constitués sur des activités diverses, etc.), il est censé représenter le lieu nodal de la vie sociale. Au-delà des relations de voisinage, c’est en ce lieu principalement que peuvent se construire les rencontres moins fortuites, des relations plus affinitaires. Le clubhouse permet aussi de mettre à l’écart sa sphère privée, en organisant ses rencontres hors de chez soi. Il est également le lieu des quelques manifestations les plus collectives, répétées d’année en année, auxquelles chacun se doit de participer afin de témoigner de son adhésion au groupe.

5À ce lieu emblématique s’en ajoutent fréquemment d’autres, toujours associés à des activités. Généralement, les ensembles résidentiels fermés proposent en effet un minimum d’équipements communs de loisir dont bénéficient les résidants, et sous certaines conditions leurs hôtes. Ces équipements qui sont le plus souvent des lieux d’activité physique ou sportive (centre de fitness, piscine(s), courts de tennis, parcours de santé… sans oublier les golfs ou centres équestres fréquemment constitutifs de gated communities suburbaines) apparaissent aussi conçus comme des lieux de possibles rencontres et de sociabilité autour d’une activité partagée. Il en est de même d’aires de pique-nique agrémentant nombre de résidences fermées, aires autant destinées à l’organisation de fêtes entre adultes ou entre enfants qu’à servir de cadre à des rencontres familiales hors de la sphère privée.

6Ce dispositif tend à constituer une spatialisation tranchée de l’entre-soi. Deux niveaux se juxtaposent : d’un côté celui du domicile qui est le lieu de l’entre-soi de l’intimité la plus protégée, d’un autre celui de lieux et espaces communs dans lesquels une autre intimité se construit selon un mode relationnel régulier ou épisodique sur la base d’affinités définies ou présupposées. Ces lieux et espaces communs jouent évidemment un rôle essentiel. Ils contribuent, d’un côté, à réguler le fonctionnement global de l’ensemble résidentiel, sinon pourquoi s’agglomérer pour réaliser cet entre-soi ? D’un autre, ils justifient l’enfermement : chacun peut s’y exposer pour construire des relations sans risque mais aussi souvent sans surprise, puisque l’accès contrôlé protège a priori de toute intrusion perturbante ou indésirable.

7Toutefois, cette recherche de l’entre-soi peut se décliner selon des temporalités différentes. Nombre de domaines fermés sont occupés par des résidants permanents, mais cela ne constitue pas une règle absolue. Aux États-Unis, dans certaines régions, beaucoup d’ensembles résidentiels fermés, en effet, sont explicitement destinés à des résidants occupant leur bien de façon saisonnière, voire occasionnelle, lorsque la proximité le permet, pour des séjours de fins de semaines. Il est évident alors que l’entre-soi se construit selon des modalités très différentes selon les durées de présence. L’interconnaissance et l’épanouissement du sentiment d’appartenance à un ensemble social cohérent dépendent évidemment de l’homogénéité des implications résidentielles.

8Cependant cet entre-soi qu’invitent à construire les conditions de fermeture et clôture d’ensembles résidentiels apparaît difficilement réductible à une illustration particulière. L’observation montre que chaque ensemble génère un entre-soi singulier, résultat d’alchimies difficilement transposables ou reproductibles. Seule la double structuration de l’intimité entre sphères privée et de sociabilité restreinte et choisie est donnée. Pour le reste, tout dépend de la manière dont le peuplement de chaque ensemble s’effectue et se renouvelle mais aussi des réactions des développeurs et promoteurs et de leurs effets dans la conception de produits immobiliers. Ceci explique que l’entre-soi puisse se décliner en différentes formules, chacune représentant la convergence entre sous-groupes affinitaires et sous-ensembles de l’offre immobilière.

PROTAGONISTES, OFFRES IMMOBILIÈRES ET ESSAI DE TYPOLOGIE DE L’ENTRE-SOI

9Les médias, plus que les scientifiques d’ailleurs, ont abondamment évoqué durant la dernière décennie, le plus souvent pour les stigmatiser, certaines figures d’entre-soi, notamment les « enclaves de retraités », les « ghettos dorés », les « forteresses des riches ». Sans doute est-il facile d’identifier de telles combinaisons, au risque de produire des caricatures et de laisser dans l’ombre les mécanismes concourant à la déclinaison d’entre-soi différenciés. En effet, préciser les caractéristiques des protagonistes est souvent complexe et la construction de l’offre immobilière apparaît trop hétérogène pour pouvoir afficher des certitudes. Il faut donc prendre ce qui suit comme un essai de clarification.

10Soulignons d’abord que la construction de l’entre-soi s’est socialement élargie. Dans nombre de pays, même lorsque ceux-ci sont encore en développement, ceci ne concerne plus seulement les couches restreintes des bourgeoisies urbaines. Y participent aujourd’hui des pans plus ou moins larges des classes moyennes. M. Svampa (2001), tout en reconnaissant la difficulté qu’elle éprouve à corréler sa typologie de protagonistes avec la catégorisation des résidences fermées utilisée en Argentine, constate que la plus grande part des acteurs cumulent à la fois un bon niveau culturel, un réel pouvoir d’organisation dans les activités productives et des revenus élevés. Ceci peut être dit d’autres métropoles latino-américaines. Et peut être étendu, évidemment, à l’Amérique du Nord où notamment les nouvelles classes moyennes supérieures, actrices et grandes bénéficiaires de la métropolisation et de la globalisation contemporaines (Reich, 1991 ; Castells, 1996), mais également des couches plus traditionnelles, comme les entrepreneurs, les ménages ayant bénéficié d’emplois stables plutôt bien protégés par les restructurations des décennies 1980-1990, les bénéficiaires des placements immobiliers et mobiliers, concourent à la multiplication de ces nouveaux espaces résidentiels protégés. Ici, sans doute plus qu’ailleurs, les protagonistes renvoient à des populations variées : certaines détiennent davantage de capital culturel qu’économique, d’autres au contraire disposent d’un capital économique surpassant les autres avantages. Peuvent donc se lire différentes combinaisons ; et de fines segmentations apparaissent ainsi dans la construction des entre-soi selon des polarisations fonctionnant soit plutôt par le pouvoir économique (position et revenu élevé), soit plutôt par le positionnement culturel (référentiel de valeurs).

11Cependant, ces segmentations, et la manière dont elles s’agrègent ou non en différentes combinaisons, donnent des entre-soi qui tendent tous vers l’accomplissement individuel et collectif de bien-être. Il s’agit de participer à la création d’un « monde heureux », loin (au moins par la fermeture, pas nécessairement par la distance) du monde extérieur hétérogène, dans un abri à la fois matériel et social. L’accomplissement de ce but suppose le respect de règles librement consenties, l’engagement de financer les services collectifs. En retour, chacun est assuré de trouver des moyens variés de récréation rendant la vie agréable et favorisant les opportunités d’interactions sociales choisies. Les acteurs de la production immobilière ont rapidement compris qu’ils pouvaient difficilement répondre à ces objectifs de manière standardisée. Selon les priorités des ménages, les moyens financiers dont ils disposent, selon aussi les représentations qu’ils ont d’eux-mêmes et des autres, l’offre immobilière s’est progressivement diversifiée afin que chacun puisse participer à la conformation de l’entre-soi le plus approprié. Ainsi est-il possible de tenter de définir des catégories d’entre-soi.

L’effet générationnel : l’entre-soi des personnes âgées

12L’une des figures les plus souvent présentées de l’entre-soi constitué en ensembles fermés est celui des retirement communities dont la multiplication est évidente aux États-Unis, depuis maintenant une quarantaine d’années dans les États méridionaux devenus particulièrement attractifs pour les retraités, plus récemment dans des États du Nord-Est. Il s’agit là d’un processus très étatsunien, difficile à observer ailleurs. Par ce processus, des fractions aisées et d’origine anglo-saxonne des personnes âgées ont pu aisément participer/contribuer à une distanciation vis-à-vis de la cité justifiant l’entre-soi clôturé par la recherche d’une grande tranquillité permettant d’épanouir des valeurs partagées et de valoriser le loisir comme mode de vie et fin en soi (Laws, 1993). Des modèles se sont même imposés, tel celui des Sun Cities développé par la société Del Webb. Au point de caricaturer la réalité. Bien des développeurs et promoteurs, en effet, ont investi ce marché de la résidence permanente ou saisonnière destinée aux personnes âgées, constituant des ensembles très souvent clos ou du moins protégés (mais pas systématiquement), selon des configurations très diverses (entre collectifs, cités-jardins et grands lotissements de maisons individuelles) et dans des localisations de plus en plus variées. Et ces développeurs et promoteurs n’ont pas été non plus sans ignorer l’évolution que connaît (connaîtra) ce groupe d’âge, qui manifeste à la fois une augmentation constante de ses effectifs et une réelle diversification du fait de l’arrivée à l’orée de la retraite des premiers baby boomers, qui n’ont pas forcément grand chose en commun avec ceux qui les ont précédés. Aujourd’hui, l’entre-soi des personnes âgées présente donc différentes facettes selon des lignes de partage de plus en plus claires.

13La ligne de partage la plus explicite est celle qui marque le droit d’entrer dans une retirement community. Ainsi, Del Webb, comme la plupart des intervenants sur ce marché immobilier, impose-t-elle pour accéder à l’acquisition dans une Sun City (ou ses autres réalisations comparables ne portant pas ce nom générique) l’âge de 55 ans, ce qui aux États-Unis représente très rarement l’âge auquel est abandonnée son activité professionnelle pour se consacrer à ses loisirs préférés. Encore cette limite d’âge n’est-elle désormais requise seulement que pour l’un des membres du ménage acquéreur. Nous comprenons ainsi aisément pourquoi Del Webb insiste particulièrement sur ces deux caractéristiques, cherchant à toucher ceux que l’on désigne couramment par l’expression active adults, regroupant les adultes sans enfants à charge, cinquantenaires ou soixantenaires (ou en deçà pour l’un des conjoints), prenant soin de leur santé par la pratique d’activités physiques variées, recherchant des clubs où ils pourront cultiver des formes diversifiées de loisirs et de sociabilité. Sans doute est-ce là un moyen de rajeunir certaines opérations déjà anciennes et principalement de compléter les opérations ouvertes durant la dernière décennie ou celles dont le développement est en cours. Tout en tenant compte de l’arrivée massive des générations nées à la fin des années quarante dans l’âge précédant l’inactivité.

  • 3 Un processus similaire s’inscrit désormais avec visibilité dans certaines régions de Colombie-Brita (...)

14Il n’est donc pas étonnant de voir des développeurs investir plus particulièrement ce marché des active adults communities, profitant en quelque sorte d’un « effet d’aubaine ». Nombreuses sont les opérations qui aujourd’hui, en particulier dans le Sud-Est (des Carolines à la Floride notamment) ou dans le Sud-Ouest des États-Unis3, visent explicitement ces encore jeunes adultes mûrs en proposant tout à la fois un cadre de vie agréable et une riche palette d’aménités sportives ou récréatives, le tout étant évidemment protégé des intrusions indésirables. En s’affichant en tant qu’active adults communities et non comme retirement communities, les développeurs introduisent plus qu’une segmentation dans un marché. Il s’agit toujours de répondre à des besoins s’exprimant principalement sur les mêmes registres d’activités (sportives, récréatives, sociales) mais auprès d’une génération qui n’éprouvent pas encore le besoin de disposer de services demandés désormais par les personnes plus âgées qui, elles, sollicitent davantage d’animations sociales et récréatives que sportives et souvent des services paramédicaux. Avec le début du xxie siècle, on assiste donc à une distinction de plus en plus affirmées entre les résidences fermées conçues selon le principe de l’entre-soi par l’âge. Ainsi, par exemple, sur le marché floridien peuvent être individualisées actuellement sept catégories de résidences destinées aux seniors, le plus souvent closes ou sécurisées, permettant de satisfaire les différents besoins d’un groupe d’âge de plus en plus étendu depuis ceux des plus jeunes et dynamiques à ceux des plus dépendants.

15Les sept catégories sociorésidentielles pour seniors recensées en Floride

Cette catégorisation est fondée à la fois sur le type d’habitat, l’environnement social, les activités et l’accompagnement

  • active adult communities : ressemble à n’importe quel autre ensemble résidentiel sauf qu’elle est dédiée à des ménages ayant plus de 55 ans (au moins pour un des membres). Elles peuvent prendre des apparences extrêmement différentes mais proposent toutes des activités physiques, culturelles ou sociales considérées comme stimulantes pour les seniors souhaitant maintenir un bon niveau d’activité.

  • manufactured homes community : comparable par bien des caractéristiques à la précédente catégorie. L’expression désigne un habitat plutôt bon marché à l’acquisition comme en frais de maintenance.

  • senior apartment rentals : idéal pour les seniors déjà âgés ne souhaitant plus avoir de problème dans la gestion de leur logement. Ces ensembles proposent toujours un « club social ».

  • assisted living : ces habitats collectifs ou semi-collectifs proposent des aides non médicales quotidiennes pour des seniors ayant quelques problèmes de dépendance.

  • retirement communities (ou homes) : prennent des formes très différentes et peuvent être accessibles soit en location soit par acquisition. Le plus souvent ces ensembles résidentiels offrent des lieux de restauration d’application de programmes alimentaires et des activités sociales.

  • nursing homes : ces ensembles sont souvent associés à d’autres structures. Ils accueillent des personnes ayant besoin d’une assistance médical temporaire ou permanente.

  • continuing care retirement communities : cette formule permet de vivre une vie indépendante et de disposer d’un logement privé tout en disposant d’un environnement médical et non médical capable, si besoin, de satisfaire à tous besoins en matière de bien-être ou de soins.

J. Chevalier d’après Orlando Sentinel communications, New Homes, Senior life-styles, septembre-octobre 2002.

Le « ghetto doré » : entre mythes et réalités

16La métaphore du « ghetto doré » est destinée à illustrer des ensembles ou espaces résidentiels exclusivement occupés par des ménages fortunés. Toutefois, une évidence s’impose : la grande majorité des opérations immobilières fermées sont avant tout destinées aux plus ou moins larges classes moyennes et moyennes supérieures et concernent rarement les plus fortunés.

17Ces derniers préfèrent, en effet, davantage l’agrégation lâche plutôt que les regroupements collectifs clos. Par exemple, pas un seul des biens dont le prix variait de 5 à 30 millions de dollars proposés en 2002 dans la Gold Coast floridienne (régions de Miami, Fort Lauderdale, West Palm Beach) se situait dans un ensemble résidentiel collectif. Il s’agissait toujours de résidences particulières, évidemment soigneusement protégées. À l’évidence, pour les plus fortunés, l’entre-soi n’exclut pas les murs, les portes, les dispositifs de surveillance ni les processus d’agglomération mais se construit exceptionnellement sur le modèle du club. Existent toutefois des agglomérats spécifiques dans lesquels les occupants très fortunés recherchent toutefois moins les possibles interactions qu’un système de protection collective de leur intimité dans des domaines pouvant être qualifiés d’exception.

18Quelques domaines d’exception dans l’agglomération de Los Angeles

Beverly Park Estate (Beverly Hills, comté de Los Angeles)
L’enclave, soigneusement gardée, est organisée autour d’un parc et d’un golf. Il s’agit d’un domaine conçu pour répondre à des besoins spécifiques au marché immobilier de Los Angeles, notamment à la demande venant d’artistes (parmi les occupants actuels peuvent être nommés : E. Murphy, D. Washington, S. Stallone, etc.) ou de managers du monde du spectacle. Les ventes apparaissent plutôt exceptionnelles mais les dernières années ont vu quelques domaines proposés généralement autour ou au-dessus de dix millions de dollars. La commercialisation de ces biens est évidemment assurée par des spécialistes immobiliers comme Hilton & Hyland, seule entreprise de l’immobilier de la région de Los Angeles affiliée à Christie’s Great Estates, spécialiste des biens d’exception. Ainsi, en novembre 2003, cette firme proposait dans Beverly Park un ensemble résidentiel de 2 000 m2 dans le style « villa italienne » appelé Great 78, comportant un grand vestibule avec escalier monumental, vastes salons et salles, dix chambres, leurs salles de bain, ensemble disposé dans un parc de plus d’un hectare avec pelouses, palmiers, piscine et vaste parking de réception, le tout étant soigneusement clos d’un mur et fermé d’un portail.
J. Chevalier d’après Forbes.com (forbesbest.com) et Hilton & Hyland (hyltonhy-land.com).
Brentwood Country Estates (Los Angeles)
Dans l’extrême Westside de Los Angeles, sur les contreforts des Santa Monica Mountains, au nord de Sunset Boulevard et de Brentwood Heights, cet ensemble clos et fermé d’une centaine d’hectares est destiné à accueillir seulement quatorze résidences, évidemment d’exception par la surface des lots, les mètres carrés disponibles pour la résidence, les équipements (vaste garage pouvant abriter plusieurs voitures, tennis, piscine, voire écurie pour chevaux). Quelques domaines sont en construction. Pour les rares lots restants encore proposés avec des ensembles résidentiels conçus dans des styles différenciés, il faut pouvoir investir entre dix et douze millions de dollars.
J. Chevalier d’après R. Iglesias, (rodrigoiglesias.com/countryestates, novembre 2003) et Hilton & Hyland (hyltonhyland.com).

19Ces domaines d’exception (par les prix pratiqués) ne peuvent se rencontrer n’importe où. Leur présence procède soit de conditions localisées particulières de marché quand il s’agit de résidences permanentes, soit d’avantages exclusifs de jouissance de sites exceptionnels pour une demande qui cette fois sera principalement saisonnière ou occasionnelle. Certains développeurs n’hésitent pas à concevoir et à proposer de tels ensembles : à l’évidence le marché existe. Ainsi peuvent s’expliquer certains regroupements de style country club, autant aux États-Unis (à l’image du Yellowstone Club) que, par exemple, dans le monde caraïbe comme le montre la réalisation de la Mustique Company (archipel de Saint-Vincent et les Grenadines) dont les copropriétaires, originaires de 20 pays, ont développé un ensemble doté d’un petit aéroport et d’un mouillage privés destiné à accueillir des hôtes capables de débourser entre 4 000 et plus de 20 000 dollars par semaine pour bénéficier du cadre paradisiaque et exclusif de l’Île Mustique.

20Plus généralement donc, ce que les médias désignent par l’expression « ghettos dorés » regroupe plutôt des luxury ou distinctive homes qui, aux États-Unis, visent une clientèle susceptible d’investir jusqu’à plus de un million de dollars, voire quelques multiples du million de dollars, dans son habitation, luxury homes qui ne sont pas toutes, loin s’en faut d’ailleurs, localisées dans des ensembles collectifs clos et fermés. L’examen de ces propositions révèle combien l’offre est hétérogène, à la fois par l’éventail des prix, la nature des biens immobiliers, les équipements et services proposés. Se déclinent en effet des opérations plutôt homogènes dans lesquelles le registre des prix se mesure en multiples du million de dollars, des opérations associant des maisons individuelles, maisons de ville ou appartements dans des gammes allant parfois de moins de deux centaines de milliers à plus d’un million de dollars, d’autres proposant des segmentations géographiques sous la forme d’enclaves dédiées à des gammes de prix différenciées.

  • 4 Ces exemples sont repris d’un travail de terrain et d’enquêtes auprès de spécialistes immobiliers c (...)

21Des domaines fermés et protégés pour clientèles aisées existent ainsi dans les îles résidentielles de la Gold Coast (comté de Dade, Floride)4. Face à Miami, Biscayne Bay compte de nombreuses îles, naturelles ou artificielles, dont certaines ont fait l’objet d’une mise en valeur résidentielle au cours des premières décennies du xxe siècle, période durant laquelle était développée la municipalité de Miami Beach occupant l’une des îles les plus importantes. Pour d’autres, le développement remonte seulement aux toutes dernières décennies. Accessibles à partir des causeways qui traversent la baie, parfois par une voie routière exclusive partant de la terre ferme, plus rarement uniquement à partir d’un petit ferry ou de passeurs, ces îles résidentielles présentent des profils immobiliers et sociaux relativement hétérogènes même si les résidants aisés, voire très aisés, dominent.

22Fisher Island (Sud de Miami Beach)

L’exclusivité de l’accès est déterminée par l’absence de lien fixe entre l’île et son environnement. Là, sur les 86 hectares ayant appartenu dans la décennie 1920 à un membre de la famille Vanderbilt, a été développé à partir de 1991 un ensemble associant différentes catégories d’habitats (immeubles d’appartements, townhouses et maisons individuelles). La commercialisation s’est effectuée à des prix variant de moins de 700 000 dollars à plusieurs millions de dollars mais, aujourd’hui, celle-ci porte uniquement sur des appartements en condominiums entre deux et six millions de dollars et des villas individuelles à partir de trois millions de dollars. Pour ces prix, les propriétaires jouissent sur place d’une riche palette d’équipements de grande qualité (golf, plage et son beach club, marinas, complexe de courts de tennis, luxueux clubhouse, centre de remise en forme, hôtellerie et restaurants, etc.) accessibles sans restriction quand on devient membre du Fisher Island Club, cette adhésion permettant aussi de bénéficier des services de prestigieux clubs en Ecosse, Paris, Madrid, Monaco, Californie, Colombie.
À bien des égards, et en particulier par l’extrême variété des équipements de loisirs, Fisher Island s’apparente au moins autant à un resort destiné à accueillir des ménages pour des séjours temporaires ou saisonniers qu’à un ensemble résidentiel destiné à l’hébergement d’une population permanente. D’ailleurs, pour nombre des quelques 600 ménages propriétaires (originaires de diverses parties des États-Unis, d’Europe, d’Amérique latine et même du Japon), l’île représente une seconde, troisième, voire quatrième résidence. Il existe pourtant une population permanente. En 2000 (source : Bureau of the Census, Fisher Island CDP, tables DP1 to DP4) sur 530 logements recensés moins de 220 étaient occupés. Près de 60 % des ménages présents disposaient de revenus supérieurs à 200 000 dollars annuels. La grande majorité des personnes tirait ces revenus d’activités principalement dans deux registres : finance, assurance, immobilier d’une part, management des services d’autre part.
J. Chevalier d’après enquête 2002 et documents divers.

23Gables Estates (Coral Gables)

Au sud de Miami, le long des rivages de Coral Gables ouvrant sur la baie se profilent plusieurs îles dont le développement résidentiel s’inscrit dans les dernières décennies du xxe siècle. Réservées à 192 propriétaires, les petites îles formant Gables Estates apparaissent surtout comme la quintescence de la construction d’un entre-soi. Pourtant, ni golf, ni piscine, ni marina, ni monumental clubhouse, ni courts de tennis ne sont là pour que les résidants puissent partager ou se donner l’impression qu’ils partagent des activités communes. En fait, l’espace acquis par chacun est bien distinct de celui occupé par ses voisins et chaque ménage bénéficie d’une façade sur la baie permettant donc de disposer de son bateau au bout de son jardin-parc.
Ici, ce qui fait l’entre-soi réside dans l’appartenance au Gables Estates Club. L’adhésion à cette association des propriétaires, gouvernant le domaine, ne représente pas en effet une simple formalité contre remise des 18 000 dollars exigés. Il faut d’abord devenir membre avant d’acquérir un bien, au prix de la fourniture d’informations très personnelles concernant son parcours de formation, ses employeurs, ses banques, ses éventuels avatars judiciaires, ses appartenances et affiliations, etc., de la recommandation de deux membres du club, d’au moins deux institutions financières et de son employeur ou d’un garant dans le monde des affaires. C’est seulement après acceptation que le contrat de vente peut être validé. Il restera au membre-propriétaire à acquitter, chaque année, les 6 000 dollars de charges requis par lot.
Bien que le club propose peu de rendez-vous collectifs, il apparaît fondateur d’une forte identité et d’un sentiment d’appartenance incontestable, avec un souci très marqué de bien se distinguer du monde extérieur par la fermeture (et des systèmes perfectionnés de surveillance) et la vigilance (la part dominante des dépenses du club est destinée à financer l’emploi des seize personnes chargées de la sécurité des biens et des personnes). Résider dans ce havre a évidemment un coût : les derniers biens mis sur le marché se sont négociés entre quatre et douze millions de dollars.
J. Chevalier d’après enquête et documents divers.

24La lecture du poids du capital économique dans la construction de l’entre-soi en ensembles résidentiels fermés n’apparaît pas toujours très aisée. Ce poids se traduit dans des registres et selon des modalités très divers rendant difficiles les comparaisons. Sortir des caricatures médiatisées ou des représentations produites par les promoteurs, négociants de l’immobilier et résidants suppose une approche empirique fine. Le prix du logement, lors de la commercialisation initiale ou à la revente, ne permet guère d’apporter de réelles informations sur la manière dont les résidants se perçoivent et perçoivent ceux qu’ils souhaitent côtoyer ou qu’ils extériorisent. Avec quelques millions de dollars pour acquérir une résidence, il est possible de faire des choix radicalement différents de « vivre ensemble » : Fisher Island n’est pas et ne sera jamais Gables Estates.

Fig. 11 : Gables Estates, Coral Gables, comté de Dade, Floride (vue oblique vers l’est) (cliché : Gables Estates Club)

Fig. 11 : Gables Estates, Coral Gables, comté de Dade, Floride (vue oblique vers l’est) (cliché : Gables Estates Club)

L’entre-soi par le style de vie

  • 5 Une quarantaine d’ensembles de cette nature peuvent être dénombrés actuellement aux États-Unis (sou (...)

25Aux États-Unis, même si désormais il existe une importante production standardisée, une large partie des communautés fermées fait référence à un style de vie. Celui-ci est le plus souvent attaché à la pratique d’une ou plusieurs activités récréatives dominantes. Il en est ainsi des yatch, golf, equestrian ou encore des plus banales swim and tennis communities. Peuvent même être citées celles dédiées aux amateurs d’aviation légère : les air park residential communities5. Relevant toutes des lifestyle communities définies par E. J. Blakely et M. G. Snyder (1997), l’équipement majeur (ou la combinaison d’équipements) est censé fédérer les résidants. Ainsi, selon son loisir préféré, on peut se retrouver entre connaisseurs, apprécier de rencontrer des partenaires dans une pratique qui peut être quotidienne, trouver des services et des « encadrants » permettant de se perfectionner, disposer également des lieux de sociabilité d’avant ou d’après pratique. Si l’accent apparaît de plus en plus mis sur une activité sportive ou récréative particulière dans la segmentation des marchés des communautés fermées étatsuniennes, cela signifie à la fois une réelle diversification selon les goûts et la définition de sous marchés pour lesquels les prix d’entrée sont loin d’être identiques. Les entre-soi s’établiront ainsi sur des bases différenciées.

26Les résidences centrées sur les loisirs nautiques apparaissent d’une grande variété, autant par leur localisation (bord de mer, de lac, de fleuve), leur taille que par la nature des loisirs nautiques possibles.

27Windmill Harbour : Yatch club et résidence

28(Hilton Head Island, comté de Beaufort, Caroline du Sud)

Sur l’île de Hilton Head, ce petit domaine (70 hectares) n’a pas l’exclusivité de l’accueil de bateaux de plaisance. D’autres zones résidentielles fermées (Sea Pines, Wexford) ou non (Shelter Cove Harbour) disposent de marinas plus ou moins vastes et procurent souvent bien d’autres équipements et activités à leurs résidants. L’originalité de Windmill réside dans le fait que cet ensemble résidentiel est le siège d’un yatch club (celui de Caroline du Sud – SCYC) et que l’essentiel de sa justification repose sur l’importante marina (six hectares, 260 anneaux) et le clubhouse qui y est adossé.
Actuellement, quelque 435 ménages résident dans Windmill (sur les 500 au maximum que le domaine comptera à terme), soit dans de petits immeubles d’appartements entourant classiquement la marina ou dispersés, soit dans des maisons individuelles disposant de leur propre appontement. L’ensemble immobilier est conçu dans un style architectural caractéristique des vieilles demeures de Charleston ou du Low Country carolinien. Ici le décor est donc de toute première importance et la vie largement rythmée par les allers et venues des plaisanciers. Cependant, il n’est pas nécessaire de disposer d’un bateau pour habiter Windmill Harbour, ni même d’aimer naviguer dans les chenaux de l’Intracoastal Waterway ou vers l’Océan Atlantique. Le SCYC met en effet à destination de ses membres piscine, jacuzzis, etc. et diverses salles pour les rencontres entre membres. Avec des prix immobiliers allant de moins de 500 000 dollars (pour un appartement ou une townhouse)à quelque deux millions de dollars (pour une belle villa disposant d’un appontement pour stationner un navire pouvant dépasser 20 mètres), la formule de la yatch club community fait partie de la catégorie des domaines exigeant un bon capital économique, surtout pour ceux qui additionnent résidence et navire de plaisance.
J. Chevalier d’après enquête avril 2001 et documents divers.

29Ces résidences associées au fonctionnement d’un yatch club, proposant aussi d’autres activités, apparaissent plutôt rares. Beaucoup plus fréquentes sont celles désignées par l’expression waterfront communities. Leur position en bordure d’eaux fluviales, lacustres ou maritimes désigne bien une des activités majeures à laquelle les résidants sont censés consacrer une part de leurs loisirs, sans que cette activité justifie l’existence d’un club qui lui soit dédié ou de lourds investissements de type marina. Souvent, et plus modestement, les développeurs se contentent ainsi de valoriser un paysage, l’ouverture sur des horizons parfois sans limites.

30Les golf communities apparaissent aussi comme des ensembles résidentiels aux coûts d’entrée élevés, en raison à la fois du coût initial et d’entretien de l’équipement et de la valorisation immobilière auquel donne lieu la localisation du plus grand nombre de résidences aux abords immédiats des différents segments du ou des parcours constitué(s) en véritables parcs soigneusement paysagés et entretenus. À cela doit être ajouté le coût d’usage, variable selon l’accès plus ou moins exclusif : bénéficier d’un parcours réservé à quelques centaines de joueurs entraîne évidemment des charges annuelles substantielles. D’autant que les golf communities sont loin de proposer ce seul loisir. Si les golfeurs apprécient de disposer d’un ou plusieurs parcours, eux-mêmes, les membres de leurs familles ou leurs hôtes n’en dédaignent pas pour autant la baignade en piscine ou la pratique du tennis, voire d’autres activités. En même temps, il faut bien constater que ces ensembles résidentiels conçus autour du golf présentent des caractéristiques hétérogènes. L’hétérogénéité vient à la fois du nombre de parcours, de l’intensité de la valorisation immobilière et du caractère plus ou moins exclusif que prend le club.

31Les golf communities : du golf comme élément de distinction et d’exclusivité au golf ouvert

Callawassie Island (comté de Beaufort, Caroline du Sud)
Avec ses 350 hectares destinés à accueillir seulement 724 familles, ce domaine ouvrant sur la Colleton River est une retraite largement dédiée au golf avec un parcours de 27 trous autour desquels sont en grande partie répartis les lots destinés aux résidences déjà construites ou à venir. Ici, le golf est une affaire de club restreint : en effet celui-ci ne peut accepter plus de 600 membres, la part sociale étant fixée à 31 000 dollars non comprises les charges annuellement dues. Pour cette contribution, toutefois, le club met aussi à disposition courts de tennis, piscines, clubhouse avec restaurant, un appontement en eau profonde ainsi que l’accès à toutes les activités sociales du club (bridge, travaux manuels artistiques, jardinage, etc.). Sans le golf, la part sociale ouvrant l’accès aux divers équipements et activités du club coûte seulement 10 000 dollars.
Sea Pines Plantation (comté de Beaufort, Caroline du Sud)
Le plus vaste des ensembles résidentiels fermés de Hilton Head Island compte quatre golfs. L’un est réservé uniquement à ses membres et leurs invités (Sea Pines Country Club), les trois autres (Ocean Course, Harbour Town Golf Links, Sea Marsh Course) sont ouverts à tout golfeur acquittant les charges pour jouer. Ce nombre de golfs ainsi que cette distinction entre équipements fermé et ouverts tient au fait que cet ensemble associe des résidants permanents, saisonniers ou temporaires propriétaires et des vacanciers locataires en séjours souvent hebdomadaires. Cette grande variété de résidants justifie l’existence d’équipements ouverts qui ne soient pas seulement dédiés aux seuls membres d’un club mais bien accessibles à ceux qui ont une pratique irrégulière ou aiment s’exercer sur des parcours très différents. À Sea Pines Plantation, en effet, l’ouverture ne se fait pas seulement à l’égard des résidants quel que soit leur statut. Les trois golfs ouverts le sont aussi à des personnes extérieures qui souhaitent pratiquer leur loisir préféré, à condition qu’elles se fassent enregistrer pour bénéficier du droit d’entrer.
J. Chevalier d’après enquêtes avril 2001 et documents divers.

32Cette pratique d’ouverture à des non résidants n’apparaît pas exceptionnelle. Certes, cette ouverture n’est pas sans conséquences (risque d’intrusions indésirables, pression plus grande sur l’usage de l’équipement), mais cette pratique permet aussi d’abaisser les coûts d’adhésion ou/et d’usage pour les résidants. Ainsi certaines golf communities peuvent-elles être alors occupées par des ménages aux investissements immobiliers de valeurs moyennes.

33Beaucoup plus rares et dispersées apparaissent les ensembles fermés réservés à l’entretien et la pratique du cheval. Les equestrian communities sont en effet plutôt inégalement distribuées et souvent, au moins par le nombre de ménages, de taille modeste, voire très modeste : quelques dizaines, jamais plus d’une centaine. Leur conception elle-même varie beaucoup. Tantôt, il s’agit d’un assemblage de résidences, chacune disposant de son écurie, les parties communes étant réservées aux pâtures et aux parcours ; tantôt, les résidants confient leurs chevaux à un centre équestre commun qui, d’ailleurs dans certains cas, peut être ouvert à des non résidants. L’enclave dispose donc alors de simples parcours s’insinuant entre les unités résidentielles. Sous une appellation identique, le cadre de vie, la manière de concevoir la relation aux chevaux ainsi qu’aux autres résidants peut donc être totalement différente.

34Les résidences proposant seulement piscine et courts de tennis apparaissent à la fois les plus courantes et les plus abordables. Encore que tout dépend de ce qui est entendu par piscine et courts de tennis. Le nombre de lieux de baignade, leur qualité (le simple bassin rectangulaire de petite dimension peut être aussi une vaste piscine aux formes complexes avec cascade, nage à contre-courant, toboggans, etc., voire un ensemble de piscines dédiées à des usages différents), les services d’accompagnement (solarium, sauna, etc.) ainsi que le nombre de courts, leur éclairage, déterminent des variations de coûts qui évidemment seront importants. Sans aucun doute, une part de ces ensembles résidentiels s’apparente à de véritables complexes de vacances. Le nombre d’équipements proposés, leur qualité se calquent en effet de plus en plus sur ce qui constitue les resorts, ces lieux de villégiature où les vacanciers savent qu’ils vont trouver tout ce qui convient à la pratique d’activités récréatives satisfaisant tous les âges.

Fig. 12 : Une equestrian community : Rose Dhu Creek (comté de Beaufort, Caroline du Sud) (source : Legacy Construction Inc, Hilton Head Island (S.C.)

Fig. 12 : Une equestrian community : Rose Dhu Creek (comté de Beaufort, Caroline du Sud) (source : Legacy Construction Inc, Hilton Head Island (S.C.)

35Il est évident que c’est dans cette dernière figure générique que la variété des entre-soi est la plus grande. Cependant, les développeurs et promoteurs savent habilement communiquer afin que les clients potentiels puissent comprendre quel entre-soi ils peuvent espérer intégrer. Le nombre et la qualité des équipements, les superficies réservées aux espaces communs, la taille des parcelles et les modèles immobiliers proposés apparaissent, en effet, comme autant de signes aisés à décrypter pour ne pas trop se tromper de destination. Certains recherchent plutôt une clientèle cultivant les valeurs familiales, accordant ainsi aux enfants toute la place et les attentions que leurs parents attendent. D’autres au contraire privilégient des entre-soi plutôt centrés sur les adultes pour lesquels certains lieux de rencontre et certaines activités à la fois récréatives et sociales apparaissent déterminants.

QUELS ENTRE-SOI DANS LES ENSEMBLES CLOS FRANÇAIS ?

36Une assez bonne lisibilité de la construction des entre-soi dans les ensembles résidentiels fermés étatsuniens est aujourd’hui possible. Les travaux pionniers de E. J. Blakely et M. G. Snyder (1997) ont ouvert la voie à bien d’autres approches empiriques permettant de cerner, sinon les structures intimes des regroupements, au moins les déterminations (à la fois sociales, économiques et culturelles) à partir desquelles ces derniers se constituaient. Sans pouvoir prétendre à l’exhaustivité, cependant. Des approches similaires ont été effectuées à propos d’autres pays. Ainsi par exemple, M. Svampa (2001) peut-elle décrire la manière dont se sont construits et différenciés, au cours de la dernière décennie du xxe siècle, les ensembles clos et protégés du Grand Buenos Aires. Ceci permet aujourd’hui de tracer des vues comparatives à travers l’ensemble du continent américain (Chevalier et Carballo, 2004). Pouvons-nous envisager la même chose entre les deux rives de l’Atlantique ? Rien n’est moins sûr. En effet, deux principales raisons gênent cette approche.

  • 6 En examinant des réalisations immobilières closes/protégées réalisées par des entreprises spécialis (...)

37La première raison réside dans le nombre limité de recherches conduites en France à propos de l’enclosure résidentielle. Ces recherches récentes, d’ailleurs, ont surtout consisté à inventorier les acteurs de la production, leurs motivations, la distribution géographique et la place relative de cette production parmi l’ensemble des espaces résidentiels faisant désormais l’objet d’une protection quel que soit le moyen utilisé. Finalement, ces recherches ont encore peu porté sur la connaissance des groupes occupants ces espaces résidentiels. Et seules quelques approches journalistiques, souvent construites sur l’exploitation de stéréotypes, sont venues nourrir la question de la relation entre fermeture et entre-soi, avec une prédilection pour les « ghettos dorés » ou les « forteresses des riches », figures les plus fréquemment exploitées, comme si elles devaient être davantage stigmatisées que les autres. La seconde raison tient à une relative absence de variété dans ces nouvelles opérations immobilières. Comme le montre F. Madoré (Chevalier et Madoré, 2002 ; Madoré et Glasze, 2003), le vocabulaire de la fermeture résidentielle se construit, dans la plupart des cas, selon des registres plutôt standardisés et assez peu différents d’une entreprise à une autre, d’un ensemble résidentiel à un autre. Les promoteurs, en effet, semblent préférer activer un registre : celui de la sécurisation, conçue comme une prestation donnant de la qualité à leurs réalisations. Ce qui, a priori, n’est guère constitutif d’entre-soi particuliers. Ce besoin de sécurisation peut en effet s’exprimer dans différents groupes d’âges et pour différentes catégories de ménages. À cela, il faut ajouter que les ensembles résidentiels protégés, du moins ceux qui sont destinés à la résidence permanente6, font l’objet d’investissements encore modestes dans des équipements collectifs qui pourraient jouer un rôle fédérateur. Beaucoup de petits ensembles clos ne disposent même pas de tels équipements. Et lorsque de tels équipements existent, ils se limitent souvent à la piscine standard de petite dimension, voire à l’aire de jeux pour enfants. Il est donc difficile que se forment, faute d’offre, des lifestyle communities à l’image de celles qui se sont développées et diversifiées outre-atlantique. Plus encore, le club est étranger au fonctionnement des ensembles résidentiels clos/protégés. La socialisation conduisant à la formation d’entre-soi étroitement localisés et circonscrits peut donc difficilement fonctionner.

38Au total, il apparaît difficile de définir et qualifier des catégories d’entre-soi, d’autant que la diffusion actuelle concerne plutôt des segments différenciés des classes moyennes, loin de la thèse de la « ghettoïsation des riches » si souvent évoquée pour dénoncer toute tentative (tentation ?) de rupture du pacte républicain tout comme, à l’opposé, est évoquée la « ghettoïsation des quartiers sensibles » et le « repli communautaire », voire « communautariste » (lui sans clôtures et portes autrement que symboliques). Dans une telle production (confusion ?) idéologique, comment relever le défi d’une production de connaissances pertinente ?

Notes

1 Le country club estate désigne la réunion en un même site du country club (matérialisé dans les dernières décennies du xixe siècle par un clubhouse confortable disposant d’un restaurant, dont les membres se consacrent à des activités telles que golf, tennis, jeu de quilles, croquet) et d’un ensemble résidentiel de standing élevé (Mayo, 1998, p. 116-133).

2 Pour reprendre le titre de la traduction française de l’ouvrage du sociologue R. Sennett (1997). Celui-ci insiste sur la projection croissante que nous opérons dans notre vie publique de catégories de la vie privée, surévaluant ainsi le rôle des relations personnalisées, concourant à la réalisation d’entre-soi, aux dépens des relations plus lâches, distantes. Ce modèle de relations sociales est celui sur lequel se construit le communautaire, combinant affectivité et identité, dont l’accomplissement ultime passe par la fusion entre les différents registres de l’intimité et l’exclusion de ceux qui n’appartiennent pas (ne peuvent appartenir) à la communauté.

3 Un processus similaire s’inscrit désormais avec visibilité dans certaines régions de Colombie-Britannique (Canada), notamment dans l’Île Vancouver ainsi que sur le pourtour du Lac Okanagan (Grant, 2003).

4 Ces exemples sont repris d’un travail de terrain et d’enquêtes auprès de spécialistes immobiliers conduit en février et octobre 2002. En outre, de larges informations complémentaires, peuvent être trouvées sur les sites de Fisher Island (fisherisland-florida.com) et de Gables Estates Club, Inc. (gablesestatesclub.com).

5 Une quarantaine d’ensembles de cette nature peuvent être dénombrés actuellement aux États-Unis (source : landings.com), principalement dans des États méridionaux (de la Floride à la Californie en passant par le Texas, l’Arkansas, l’Arizona). Ces domaines apparaissent plutôt variés par leur localisation, tantôt proches de très grandes villes, voire intégrés en périphérie de grandes agglomérations, tantôt situés dans des espaces de faible densité. Il s’agit évidemment d’infrastructures coûteuses : outre la piste, ce type de domaine propose toujours des hangars destinés à abriter les avions.

6 En examinant des réalisations immobilières closes/protégées réalisées par des entreprises spécialisées dans la résidence de type resort (par exemple Maisons de Biarritz, Alma France, etc.), le commentaire ne serait évidemment pas le même.

Table des illustrations

Titre Fig.10 : Windmill Harbour (Hilton Head Island, comté de Beaufort, Caroline du Sud) : le clubhouse (cliché : Windmill Harbour Club)
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/1800/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 50k
Titre Fig. 11 : Gables Estates, Coral Gables, comté de Dade, Floride (vue oblique vers l’est) (cliché : Gables Estates Club)
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/1800/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 98k
Titre Fig. 12 : Une equestrian community : Rose Dhu Creek (comté de Beaufort, Caroline du Sud) (source : Legacy Construction Inc, Hilton Head Island (S.C.)
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/1800/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 527k

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