Le théâtre en marge de Mai 1968
p. 161-176
Texte intégral
1En mai 1968, au cœur de la révolte, le monde théâtral n’est pas en reste et certains événements vont même marquer durablement les mémoires, comme l’occupation du théâtre parisien de l’Odéon – alors dirigé par Jean-Louis Barrault – par le Comité d’action révolutionnaire, devenant ainsi un lieu de rencontre et de débats entre étudiants, artistes et ouvriers. Le Festival d’Avignon est lui aussi fortement perturbé par les grèves des comédiens et des techniciens, entraînant l’annulation de près de la moitié des spectacles programmés. Pourtant, si le milieu artistique se mobilise fortement pendant cette période, Mai 1968 n’a pas produit beaucoup de théâtre et, comme le relève Olivier Neveux, « les traces d’un théâtre militant comme activité théâtrale organiquement issue de l’événement se révèlent toutefois bien maigres1 ». La raison en est qu’en 1968,
le théâtre institué, populaire ou non, se lézarde sous l’effet d’un bref tremblement de terre. Plus que l’occupation de l’Odéon, le phénomène majeur est sans doute la désertion et la fermeture des salles. C’est que la vraie vie est ailleurs, dans la rue, dans les entreprises, dans les universités occupées, partout où s’amorce la réappropriation collective des lieux de vie et de travail2.
2C’est en marge du théâtre que tout se joue. Comme l’écrit Bernard Dort : « En fait, pendant deux ou trois semaines, le théâtre s’est senti profondément déplacé et inutile : c’était dans la rue que le véritable spectacle se jouait3. » Toute activité théâtrale n’est pas pour autant suspendue. Des artistes quittent les théâtres pour se rendre notamment dans les usines. Mais, pour une grande partie d’entre eux, l’heure n’est tout simplement pas au théâtre. Comme le dit André Benedetto, « Pendant mai, pas question de jouer […] on n’en avait pas envie, on en ressentait l’inutilité profonde ; quand l’essentiel se passe dans la rue, la représentation devient dérisoire4. »
3Ce préambule témoignant de l’état de suspension dans lequel se trouve le théâtre en Mai 1968, cet article est voué à s’intéresser à un théâtre en marge. En marge de Mai 1968, c’est-à-dire en marge de la temporalité propre à cet événement, l’ayant pressenti ou directement succédé, porté par l’élan de révolte et contenant une part de ses espoirs, de son effervescence et de ses contradictions. Mais aussi en marge des institutions artistiques, puisque les deux dramaturges et metteurs en scène dont il sera question exercent à l’écart des principaux lieux de la culture français. Il s’agit, d’une part, d’André Benedetto et de sa pièce Zone rouge, feux interdits, écrite quelque temps avant Mai et jouée dès juillet 1968, pièce qui se présente comme « un théâtre-arme, révolutionnaire, de subversion : un théâtre de guérilla5 ». Et, d’autre part, Interdit aux plus de trente ans, une pièce d’Armand Gatti écrite et jouée en 1969. L’enjeu de cet article est de déceler, au travers de ces deux écritures dramatiques singulières, des indices éclairant les relations qu’entretient ce théâtre des marges avec Mai 1968, et plus largement avec la période historique et ses enjeux politiques, auxquels les dramaturges tentent d’apporter des réponses d’ordre esthétique, afin que le théâtre soit à la hauteur de la radicalité, des convictions et des espoirs de son époque.
Un théâtre en marge des événements
4Le 11 mai 1968, les représentations des Treize soleils de la rue Saint-Blaise – une pièce d’Armand Gatti écrite à partir des témoignages des habitants du 20e arrondissement de Paris sur les transformations survenues dans leur quartier –, qui se jouaient au Théâtre de l’Est parisien, dans une mise en scène de Guy Rétoré, sont suspendues. Gatti, qui souhaitait voir le théâtre s’ouvrir pour laisser place à des débats, participe aux manifestations. Mai 1968 arrive, pour lui, comme une nécessité. « Si, mai n’était pas venu, je crois que je me serais tu6 », dit-il à Denis Bablet en 1971 dans un entretien paru dans la revue Travail théâtral. Mai 1968 est venu et a « radicalisé les choses7 ». En 1969, il écrit Petit manuel de guérilla urbaine, composé de quatre courtes pièces d’intervention : La Machine excavatrice pour entrer dans le plan de défrichement de la colonne d’invasion Che Guevara ; Les Hauts Plateaux ou Cinq leçons à la recherche du Vietnam pour une lycéenne de mai ; La Journée d’une infirmière ou Pourquoi les animaux domestiques ? Et enfin, Ne pas perdre de temps sur un titre. Que mettre à la place ? Une rose blanche. Les pièces seront jouées à de multiples reprises en Allemagne en 1970. Des pièces qui, à l’exception de La journée d’une infirmière – publiée dans la revue Partisans – ne sont pas éditées en France, car Gatti, depuis La passion du Général Franco, retirée de l’affiche fin 1968 sur demande du gouvernement espagnol, est devenu en France persona non grata. L’une des particularités de son œuvre est, comme l’écrit Olivier Neveux, que
L’ensemble des textes admet comme principe constitutif la légitimité des luttes, des revendications exprimées, et postule la nécessité de les soutenir. C’est prendre à contre-emploi toute une partie des théâtralités militantes que de postuler la justesse d’une lutte et de ne presque pas l’aborder sous l’angle pédagogique et informatif8.
5Dans la lignée de ces pièces, Armand Gatti écrit, toujours en 1969, Interdit aux plus de trente ans, dont le sujet est Mai 1968, ses espoirs, ses contradictions, les différentes versions d’une mémoire déjà en train de se former, de se cristalliser, ainsi que son inscription dans une histoire des luttes. Au cœur de Mai, un événement : la mort d’un lycéen, Gilles Tautin, membre de l’UJC-ml9, noyé dans la Seine au cours d’une charge des gendarmes en marge de l’usine Renault de Flins où il était venu soutenir les ouvriers en grève, le 10 juin 1968. Le jeune militant maoïste de dix-sept ans devient héros et martyr de Mai 1968. Dès la fin de l’année 1968, Daniel Bensaïd et Henri Weber – tous deux membres du Bureau national de la Jeunesse communiste révolutionnaire, dissoute par décret ministériel le 12 juin 1968 – publient aux éditions Maspero le livre Mai 1968 : une répétition générale, qu’ils dédient à Gilles Tautin.
6Comment écrire sur Mai 1968 ? Pour Armand Gatti, la forme dramatique qui s’impose est celle du « selmaire », un nom qu’il donne à une forme d’écriture collective de l’histoire qu’il développe et qui deviendra caractéristique de son œuvre :
Le « selmaire » est un récit historique dans lequel un personnage, au nom de sa propre histoire, prend en charge tout un pan de fiction et fait rentrer les autres personnages dans sa vérité à lui. Ce n’est pas une version parmi d’autres, c’est une lecture10.
7Dans une pièce, il n’y a donc pas un mais plusieurs « selmaires », qui se déploient à travers les récits des différents personnages. Dans Interdit aux plus de trente ans, chaque personnage prend successivement la parole. Ces derniers sont désignés par des numéros et leur identité est davantage sociale et collective que personnelle et subjective :
11. – Mère de famille
22. – Étudiante
33. – Professeur
44. – Métallurgiste
55. – Sept métiers différents déjà (travailleur émigré)
66. – Militant syndical (délégué avant la dernière guerre)
77. – Journaliste (ancien résistant)11
8Pris ensemble, ces différents « selmaires » viennent former une cartographie de Mai 68 en l’inscrivant dans une histoire plus vaste des luttes politiques et des mouvements de résistance.
9Pour parler de Zone rouge, Feux interdits, il faut légèrement remonter le temps, avant Mai. En 1968, André Benedetto a déjà choisi son camp dans le champ théâtral. Deux ans auparavant, il publie avec la Nouvelle Compagnie d’Avignon un manifeste « radical et potache12 » proclamant non sans provocation : « Les classiques au poteau » et « La culture aux égouts » (entre autres). Il monte, avec sa compagnie, la pièce Statues, à partir de laquelle se crée le « Off » du Festival d’Avignon13. En 1967, Ernesto Che Guevara meurt assassiné. L’onde de choc que provoque cet événement dramatique se ressent jusque dans le théâtre : André Benedetto écrit Zone rouge, feux interdits en réaction. Il s’agit d’une pièce sur un groupe de blousons noirs et sur le « barbudo » – un pantin habillé en guérillero, qui représente le cadavre de Guevara. « Guevara, pour nous, c’était un être très proche, c’était un vivant qui voulait transformer le monde, enfin, bref, on a été très choqués, vraiment très choqués, par cet assassinat, car c’est un assassinat14. » La pièce se jouera « partout en 68, bien sûr15 ». D’ailleurs, chez André Benedetto, « [c]es “années 68” seront rouges, éclairées par les guérillas et les combats internationalistes16 », écrit Olivier Neveux. Benedetto écrit en effet Napalm, essence solidifiée à l’aide de palmitate de sodium, pièce qui porte sur la guerre du Vietnam. Gatti a, quant à lui, écrit V comme Vietnam en 1967. Les préoccupations politiques des dramaturges rencontrent ainsi les revendications des étudiants du Mouvement du 22 mars – précurseur des événements de Mai 1968 – pour lesquels la lutte contre l’impérialisme et le soutien au peuple vietnamien étaient considérés comme « la condition de base » de toute participation au mouvement17.
10Après Mai 1968 cependant, la pièce de Benedetto, ou plutôt la manière de la représenter, s’en trouve bousculée, car « ce qu’elle évoquait, au fond, tous les spectateurs l’avaient vécu, par eux-mêmes, à travers 6818 ». Ainsi, écrite quelque temps plus tôt (à peine six mois), Zone rouge, feux interdits est devenue, en quelque sorte, une pièce de Mai – bien qu’elle ne s’en soit pas donné l’ambition – non par « l’intuition du futur » à laquelle Benedetto se refuse, mais par la « perception aiguë de la réalité », du « malaise », du « besoin intense de révolution qui hante la jeunesse19 », bref, de cet orage qui gronde. Sans doute est-ce aussi le public qui a fait de cette pièce une œuvre de Mai, en la (re)lisant, en la recevant à travers le prisme des événements en cours ou si récents. L’acteur Philippe Caubère, qui découvre André Benedetto à travers la lecture de Zone rouge, feux interdits « quelques mois avant 68 », qualifie lui-même le texte de « prophétique20 ». Aussi, écrire sur les blousons noirs21, pour Benedetto, c’est parler du « désir de vivre à la mesure de ce siècle où tout devrait être possible, mais où rien n’est permis sinon d’exploiter son semblable22 ».
Le théâtre, la lutte et la mort
11Pour entrer dans l’écriture de ces deux pièces en marge de Mai 1968, on pourrait se demander ce que cela signifie de chercher à écrire un théâtre qui soit à la hauteur des exigences, des espoirs, et à même de porter les contradictions d’un mouvement contestataire qui peut, quant à lui, être révolutionnaire. Mais aussi, ce que cela signifie d’inscrire son écriture dans un temps historique donné. Pour Armand Gatti, cela suppose « de faire de chaque création le lieu d’une réappropriation de l’histoire et de ses possibles23 ».
12Au cœur de ces dramaturgies, dissemblables sur tant de points, on retrouve cependant une matrice commune : la mort violente d’un homme engagé dans une lutte, contribuant à un mouvement plus grand que sa propre vie, devenant à travers sa mort le visage du combat politique, de la révolution à venir, qu’aucun sacrifice ne saurait arrêter. Dans Interdit aux plus de trente ans, Gilles Tautin devient Pierre Lutrin, devenu martyr de Mai, et dont la mort initie la quête des personnages, motive leur parole et constitue le point de départ dramaturgique de la pièce. Contrairement au « barbudo », qui rappelle par sa présence matérielle, physique, la mort du « Che », Pierre Lutrin n’est pas figuré sur scène. Celle-ci est au contraire hantée par son absence. La pièce est loin d’être une œuvre commémorative : les personnages dont les trajectoires ont, de façons différentes, traversé Mai, viennent moins pleurer leur mort qu’ils n’interrogent la figure même du martyr et, à travers lui, du personnage de théâtre. Le poids de l’héritage qu’a laissé la mort de Pierre Lutrin à ses camarades de lutte est remis en question par un lycéen, selon lequel « Les blessés et les morts n’ont pas dans la lutte un poids déterminant. Ils sont exemplaires, mais marginaux. Ce qui faisait Mai, c’est que nous étions tous Mai. » Aussi la mort de Gilles Tautin serait-elle venue l’isoler de Mai, le transformer en « un personnage en dehors de Mai24 », en personnage de théâtre, en Pierre Lutrin.
13Gatti laisse ainsi la possibilité à ses personnages de venir contester de l’intérieur le théâtre – qui transforme les militants et leurs morts en personnages – et sa responsabilité vis-à-vis du mouvement. Il s’agit alors de porter un regard critique sur les usages faits de cette mort tant que la lutte n’a pas abouti :
Nous entrons dans le jeu de ceux qui faisaient du lycéen un mort. Et à partir de là tout devient impossible parce que le langage de ceux qui, au lieu de fabriquer des combattants, fabriquent des martyrs est stérile. Cultiver la mythologie du malheur c’est toujours un état d’impuissance. Transformer Tautin en Lutrin c’était confirmer sa mort, en faire un personnage autre, un personnage de littérature25.
14C’est pourquoi, dans Interdit aux plus de trente ans, la mort n’est pas un point final, mais le point de départ26. Ce point de départ est aussi celui de la fiction, élaborée à partir d’un livre retrouvé sur la rive et portant les initiales de Pierre Lutrin (ce livre, c’est Don Quichotte de Cervantès), dans lequel le jeune homme aurait inscrit : « Qu’est-ce que c’est pour vous ? » Autour de cette question et de Don Quichotte se déploie la théâtralité gatienne, cette théâtralité si complexe, faite de fiction et d’histoire, du passé et du possible, de mise en abyme. Comme l’écrit Bernard Dort, le « fécond paradoxe » de Gatti est que « c’est par sa théâtralité même que l’œuvre dramatique de Gatti rejoint la réalité, nous oblige à nous interroger sur elle27 ». Mais c’est également le point de départ d’une réflexion qui traversera la pièce, celle de l’héritage des luttes. L’héritage, qui permet de jeter un pont entre les luttes passées, celles du présent (Mai 1968), et celles à venir.
15Au cœur de Zone rouge, feux interdits de Benedetto se trouve la mort (encore) qui arrive prématurément. Une mort qui vient nécessairement créer des résonances avec celle de Guevara. Là encore celle-ci, parce qu’annoncée dans l’« Argument » qui précède la première scène, constitue un point de départ préalable à l’action dramatique, même si elle n’a pas encore eu lieu lorsque commence la pièce :
Nous allons vous raconter l’histoire
d’un rebelle de bas quartier
d’un blouson noir tué avec sa bande
à l’orée de la ville une nuit de juillet
ou un matin d’octobre28
tout ça se passe dans une cervelle éclatée
dans ce qu’il reste de mémoire
dans un mélange d’os de goudron et de sang
rouge qui coagule
et de cheveux mouillés
il y a dans tout blouson noir
de la graine de Guevara une structure
c’est une tentative de captation psychique
des cendres d’un rebelle
pour cerner la question29
16La mort apparaît comme un moment tragique, qui est constitutif de la lutte. Ces deux pièces nous rappellent à cette (triste et lucide) réalité qui veut que tant que nous n’aurons pas été victorieux, il nous appartiendra de compter nos morts, de construire, à partir de nos pertes et de nos échecs, les récits de nos luttes. Plus récemment, en 2002, Benedetto écrivait Le Jeune Homme exposé. Gênes 2001, en référence à Carlo Giuliani, assassiné par la police à Gênes au cours d’une mobilisation en marge du G8. L’auteur écrivait alors :
Il y a toujours un mort qui est encore vivant. Eh oui vivant, d’une manière ou d’une autre. Il y a toujours un mort qui permet de faire le point, qui éclaire l’histoire en train de se faire, qui jette des lumières et des ombres, qui montre des fils d’Ariane, des itinéraires perdus, des cheveux d’ange, des grosses ficelles, des nouvelles voies à suivre, des êtres à voir, à regarder à écouter et surtout des exigences à brandir, des idées à secouer30.
17La mort n’est pas seulement un motif dramatique, elle imprègne la structure narrative. Les personnages de Zone rouge, feux interdits – désignés par un surnom, voire une lettre (a ou Alph ; b ou Elle, la hurleuse ; c ou un garçon dit Castro ; d ou Drainette-Grenouille ; e ou Eluah le noir) – racontent leur propre mort, la projettent au passé, au futur, et invoquent l’esprit des disparus. Mais c’est la figure d’Ernesto Guevara qui reste centrale, qui hante littéralement la pièce à travers le « barbudo » et dont les personnages veulent invoquer l’âme. La pièce, qui s’ouvre et qui se ferme sur des paroles d’hommage au militant révolutionnaire assassiné, mêlant français et espagnol, s’inscrit visiblement dans une séquence historique singulière.
Histoire ettemporalités des luttes danslafictionthéâtrale
18Il s’agit cependant moins d’héroïser ces morts, de les individualiser, que de les inscrire dans une histoire mondiale des luttes, qui en compte tant d’autres, restées le plus souvent anonymes. Il n’y a pas que les « Che Guevara » qui tombent sous les balles de la répression. Cela prend la forme, dans Interdit aux plus de trente ans, dans des messages qui arrivent du Japon, d’Allemagne, d’Italie pour rappeler les noms et l’âge des victimes (si jeunes), refuser que ne sombre dans l’anonymat et le fait divers l’identité de ceux qui ont été « tués par la police », une police « de tous les pays » défendant face à « l’Internationale des luttes » les intérêts d’États et de patrons soumis à « la peur d’un Mai rouge européen31 ». À travers ces morts, les luttes menées simultanément dans le monde, mais aussi menées par le passé, se lient, n’en forment plus qu’une. En creux se dessine un front commun des luttes, au sein duquel ceux qui sont tombés au combat continuent d’accompagner et de soutenir leurs camarades toujours debout. Ce faisant, la désindividualisation des morts permet a contrario aux auteurs de mettre en avant les luttes dans lesquelles ils s’inscrivent. Ainsi, à travers Pierre Lutrin, don Quichotte, Alph ou le barbudo, ce sont les mouvements des lycéens et des étudiants, de la jeunesse et des travailleurs, les guérillas et la résistance qui font irruption dans le théâtre.
19Aussi ces œuvres de Mai puisent-elles tout autant leur inspiration dans les guérillas d’Amérique latine, dans le Front national de libération du Vietnam, que dans la guerre civile espagnole ou encore la résistance au nazisme. Ces dramaturgies jouent d’un éclatement spatio-temporel pour dessiner un continuum du combat politique. C’est dans ce cadre que l’irruption du personnage de don Quichotte prend toute son importance. Celui-ci est convoqué chez Gatti comme une figure littéraire et théâtrale (il est présent sur scène) ; il est ce que les différents personnages ont en partage, dont ils portent collectivement la partition. Ici, l’auteur mêle d’ailleurs à la fiction des éléments biographiques, car don Quichotte, c’est aussi le nom de résistant qu’il se choisit lorsqu’il rejoignit le maquis en Corrèze en 1942. Aussi la présence sur scène du chevalier espagnol est-elle simultanément présence en filigrane de l’auteur lui-même32. L’un des « selmaires » est ainsi consacré à la résistance, le « Selmaire de celui qui dans la résistance combattit avec don Quichotte », mêlant à l’histoire les dimensions biographiques et littéraires. L’imbrication des niveaux d’histoire et de fiction aboutit au « Selmaire du combattant de la guerre civile 55 », dans lequel don Quichotte et Sancho Pança reprennent leur quête dans une Espagne déchirée par la guerre, aux côtés de l’armée populaire, donnant l’assaut aux moulins à vent à coups de mortiers et de mitrailleuses. La guerre civile espagnole se présente comme une autre façon d’entrer dans Mai, de faire effraction dans le présent. Don Quichotte devient ainsi la clef du continuum de la lutte des peuples opprimés à travers l’histoire :
On est tous don Quichotte une fois dans sa vie. Dans la Résistance j’ai même eu un camarade très proche qui portait comme nom de guerre Don Quichotte. (Maintenant c’est à moi à le devenir pour répondre à la question qu’un lycéen pose aux personnages de ses livres33.)
20Dans un entrelacement des temporalités – fréquent dans l’œuvre de Gatti –, les résistances se percutent, l’engagement dans le maquis rejoint l’érection des barricades, et les guérillas, la lutte contre le fascisme. Il s’agit donc en quelque sorte de « faire éclater le temps, c’est-à-dire retrouver ce présent, passé, futur, conditionnel ou tout autre subjonctif à l’intérieur d’une même situation34 ».
21Dans ses notes Sur le concept d’histoire, Walter Benjamin écrit que « [l]es classes révolutionnaires, au moment de l’action, ont conscience de faire éclater le continuum de l’histoire35 ». On pourrait alors considérer l’écriture de Gatti, à la croisée des temps, comme une formalisation dramaturgique de cet éclatement du continuum de l’histoire, auquel il oppose un continuum des luttes, qui forment conjointement une nouvelle temporalité, sous-tendant un tout autre récit de l’histoire, appartenant à la « tradition des opprimés36 ». Au moment où éclate l’événement révolutionnaire, le passé (comme héritage), le présent de l’événement et le futur (comme utopie) se télescopent. Les militants de Mai apparaissent alors comme les héritiers de la Résistance et de la guerre civile espagnole. Lue et jouée aujourd’hui, il ne fait aucun doute qu’une telle pièce serait vouée à résonner avec l’ensemble des luttes qui ont façonné l’histoire depuis 1968 et à convoquer dans la fiction théâtrale, aux côtés de Gilles Tautin, Rémi Fraisse, Carlo Giuliani et malheureusement tant d’autres37. Aussi peut-on dire avec Gérard Gozlan et Jean-Louis Pays :
Si l’on tire toutes les conséquences de la révolution théâtrale entreprise par Gatti, on doit admettre que la seule manière efficace et positive de traiter politiquement un sujet historique, de fonder politiquement un théâtre historique, est d’envisager l’espace théâtral comme monde et le temps théâtral comme Histoire38.
Écrire le collectif
22Écrire en Mai, écrire Mai, c’est écrire le collectif, la pluralité, la multitude, ses désirs et ses contradictions. Et bien que nous nous concentrions ici sur deux auteurs dramatiques qui rédigent et signent les textes de leur nom, nous ne pouvons omettre de préciser que ces années sont aussi celles de la (ré) invention de formes collectives au sein du théâtre et notamment du théâtre militant39. Or, ces deux pièces s’emploient à écrire le collectif et, plus encore, à le théâtraliser. Dès l’ouverture d’Interdit aux plus de trente ans, les comédiens présentent le personnage dont ils portent le texte40 pour immédiatement former deux chœurs qui se répondent : le groupe don Quichotte et le groupe Sancho Pança, interprétant dans cette première « ponctuation musicale » – la pièce en comporte d’autres – des extraits de l’œuvre de Cervantès. La forme du « selmaire » adoptée par Gatti constitue à plus forte raison une structure dramatique entièrement collective, au sein de laquelle les partitions individuelles, comme un instrument dans un orchestre, prennent toute leur importance en tant que participant d’une œuvre commune. Lorsque chaque personnage vient apporter sa version de l’événement que constitue la mort de Pierre Lutrin, en adoptant un mode d’adresse spécifique correspondant aux caractéristiques du personnage41, chaque parcelle mise bout à bout permet de reconstruire un tableau de l’événement à partir des différents lieux, de l’université au poste de police, qui ont été ébranlés par Mai, mais aussi traversés par l’onde de choc provoquée par la mort de ce lycéen. Le tableau reste fragmentaire. Et dans ce puzzle apparaissent des pièces d’une autre époque, d’autres luttes.
23Écrire le collectif, c’est aussi ne pas épargner ses tensions, ne pas en lisser les aspérités. Gatti s’immisce dans ce qui tiraille Mai, laisse apparaître les désaccords, entre étudiants et syndicats notamment. Mais tous ses personnages gardent quelque chose en partage qui permet, au-delà des divisions, mais aussi des différents espaces-temps dans lesquels leur trajectoire s’inscrit, de créer du collectif. Ce qu’ils ont en partage, c’est Mai, c’est aussi don Quichotte, figure permettant de traverser l’histoire, de créer un continuum des luttes, de chercher dans le passé les enseignements nécessaires pour comprendre Mai, l’inscrire dans une histoire et en penser le prolongement. Car le théâtre de Gatti se définit avant tout comme un théâtre des possibles. Comme l’écrit Bernard Dort, « [l]e théâtre n’est plus seulement un assemblage de possibles. Il est interrogation sur le possible, sur lui-même. Interrogation aussi sur la place qu’y tient le spectateur42 ». Quant aux personnages, ils
surgissent dans des conditions données, nous proposant une image de l’homme possible, celle d’un autre nous-mêmes plus subversif, plus révolutionnaire, meilleur – « Il y a au fond de chacun une nostalgie de l’homme plus grand que l’homme, un besoin de dépasser l’homme tel qu’il est, ce qui ramène à l’idée d’homme en lutte pour acquérir une plus grande dimension43 ».
24Écrire le collectif, enfin, pour Gatti, consiste à accepter en tant qu’auteur dramatique que le groupe qui porte la pièce au plateau ait prise sur le texte, se l’approprie et vienne en bouleverser l’écriture. La dimension collective touche dès lors l’ensemble du processus de travail théâtral :
Les comédiens de notre groupe, le Groupe V, ont étudié la pièce, ils en ont donné des lectures devant des tas de publics différents, pour débattre de la pièce avec eux. Toutes les discussions étaient enregistrées. Il y avait des réunions presque tous les soirs et cela a duré un an. Et j’ai eu connaissance de toutes les remarques, de toutes les prises de position. C’était une démarche très nouvelle : j’avais d’abord écrit la pièce comme je la voyais, elle fut ensuite soumise à des publics et je l’ai réécrite en fonction de ces publics. C’est ainsi que Interdit aux plus de trente ans est devenu Le chat sauvage. Les structures de base restaient les mêmes, mais en fait tout était changé44.
25Dans Zone rouge, feux interdits, la dimension collective prend une tout autre forme. Les identités sont plurielles, fluctuantes. Les principaux personnages, présentés par un surnom (parfois plusieurs), sont aussi désignés par une simple lettre. Mais ces derniers restent en partie insaisissables, changent d’identité, amenant les cinq acteurs à endosser de multiples rôles, du Hippie bleu au Garde rouge. Le personnage est toujours en construction, à l’instar de « Eluah le noir » ou « e » : interprété par Jean-Marie Lamblard (un acteur blanc) à la création de la pièce, il est peint en noir par les autres et prend alors l’identité, mais aussi les revendications anticolonialistes de son personnage. Là encore, pas d’identification possible entre l’acteur et son (ou ses) personnage(s). Le processus de transformation a lieu sur scène et est également patent dans l’écriture. Benedetto désigne en effet le personnage tout d’abord comme « celui qui fait l’étranger », puis, alors que les autres le peignent, comme le « devenant noir » et, enfin, « le noir ». Cependant, c’est sans doute moins la peinture noire que les exhortations de « La Fille », répétant « Tu es nègre ! Tu es nègre ! Tu es nègre ! », qui font d’Eluah « Le Noir ». C’est à la condition de cette interpellation, de la construction identitaire progressive du personnage, que ce dernier pourra porter le discours revendicatif des peuples noirs asservis par l’Occident : « Nous avions la peau noire/ vous nous avez exploités/ vous nous avez opprimés/ vous nous avez piétinés/ vous avez fait de nous des nègres45 ! » Il y a là comme un écho à Frantz Fanon, qui déclarait dans Peau noire masques blancs : « C’est le raciste qui crée l’infériorisé46. » Là encore, le personnage est maintenu à distance de l’acteur, la psychologie et le pathos aussi, jusqu’aux cris de douleurs, diffusés par un magnétophone.
26On peut repérer certains procédés du théâtre épique, comme le recours à la narration. Ainsi, dans la scène « 5 », « Alph et les garçons disent et jouent la mort47. » Alph, accompagné du chœur des « Autres », raconte la moto qui roule « à cent à l’heure/ à mille à l’heure », l’accident, le feu, puis pour finir la rafale de mitraillette. Ils racontent une histoire dont ils sont les personnages et la commentent, se querellant sur le moment où celle-ci s’achève, en annoncent eux-mêmes la fin aux spectateurs. Le fil dramatique, lui, est sans cesse interrompu par des chants :
COMPLAINTE pour chanter le temps présent avec des chaînes
La bande est en cercle, immobile. ALPH chante seul le couplet :
Ils se traînent ils en ont marre
ils ne savent plus ce qu’ils disent
Ils ne savent plus ce qu’ils font
On les a trop pris pour des cons
Ils ont à peine une chemise
Et ils n’ont même pas d’histoire !
TOUS, au refrain en secouant les chaînes :
Les rebelles et les gitans
Les blousons noirs et les titans
Les guérilleros et les nègres
Ceux qui ont faim ceux qui sont maigres
Ceux qui tirent la langue au roi
Ceux qui mangent avec les doigts
Des haricots ou des chenilles
Ceux dont la tête est en guenilles
Ceux qui se terrent dans les villes
Ceux qui se terrent dans les bois
CAMARADES48 !
27C’est principalement à travers la choralité que se construit la dimension collective de cette dramaturgie. Outre les chants, la parole est partagée, chacun poursuivant la phrase amorcée par le personnage précédent. Chaque réplique apparaît comme le maillon d’une chaîne, inséparable des autres, à tel point que les répliques ne sont pas systématiquement attribuées nommément ; bien souvent, un bloc est attribué à « Toute la bande », aux « Filles », aux « Autres », et seuls des points noirs décalés sur la page indiquent le changement d’énonciateur49. La parole appartient au groupe bien plus qu’aux individus qui le composent.
Tout est encore possible
28« Mai nous a montré nos rêves un instant en chair et en os et nous a tout repris. Mai nous a enseigné un peu d’humilité dans le théâtre. Mais nous n’avons découvert que nos désirs multipliés50 », écrit André Benedetto. Si Mai 68 réclamait (au nom du réalisme) l’impossible, le théâtre lui offre – et c’est déjà précieux – des possibles en même temps qu’il l’inscrit dans une histoire, dans une durée. La fiction confère à l’événement une certaine postérité – à rebours de la mémoire officielle. Comme l’écrit Ernst Bloch dans Le Principe Espérance, « [i]l n’est pas difficile de voir que bien des pages peuvent encore être tournées. Un non-encore vit partout, tant de choses en l’homme ne sont pas encore devenues51 ». Le théâtre ne peut-il pas contribuer (même modestement) à mettre au jour ce non-encore advenu ? Ces écritures dramatiques peuvent en effet fonctionner comme des « laboratoires de construction de mondes à venir, et comme des moyens performatifs – effectifs parce que et en en tant qu’imaginaires – de tracer progressivement des chemins dirigeant le monde actuel avec certains de ses devenirs possibles52 ».
29En même temps, ces textes sont profondément conjoncturels, ce qui explique en partie – mais pas entièrement – le fait qu’ils ne connaissent une postérité qu’aux marges, tout comme l’œuvre globale de leurs auteurs, eux-mêmes en marge des institutions théâtrales, restée méconnue et insuffisamment considérée au regard de ce qu’elle a apporté à l’écriture comme à la pratique du théâtre. Zone rouge, feux interdits est programmée au Festival de Nancy en 1969, mais quelle est réellement la postérité d’une telle pièce ? En 1970, Gérard Gozlan et Jean-Louis Pays écrivaient à propos d’Armand Gatti :
Celui que nous considérons comme le plus contemporain de nos auteurs dramatiques ne crée pas pour l’éternité. Ses pièces ne sont pas des objets de luxe destinés à la délectation des spécialistes de l’avenir. Elles existent pour nous, en rapport avec les luttes menées par les hommes de notre temps53.
30Si la pièce de Gatti se construit comme une tentative de réponse à la question laissée en héritage par Pierre Lutrin, Benedetto pose, au cœur de la sienne, la « seule question » qui vaille alors d’être posée : « Comment être un révolutionnaire dans la France de notre temps54 ? » Quelques mois plus tard, Mai esquissera une réponse. Son théâtre, qui s’affirme « théâtre-arme, révolutionnaire, de subversion : un théâtre de guérilla55 », en offre une autre. Si l’histoire avance par bonds et est jalonnée de ruptures, le théâtre ne saurait se contenter d’attendre sans chercher à les provoquer ou, tout au moins, à les accompagner.
31Mais que peut le théâtre quand l’événement survient ? Comme l’écrit André Benedetto,
Quand l’imagination prend le pouvoir, les pouvoirs traditionnels de l’imagination s’étiolent. […] Il n’existe pas de pièce, de spectacle qui puisse répondre au désir des hommes neufs qui sont en train de naître, de renaître et de se retrouver. Car enfin quel jeu, quel drame, pourrait produire sur un public l’exaltation qu’il ressent à écouter ne serait-ce que les communiqués qui lui apprennent d’heure en heure les progrès et l’ampleur du mouvement populaire actuel ? Quelle épopée peut-elle mieux que celle qu’il vit en ce moment le secouer de fond en comble ? Et quel affrontement fictif égalera jamais celui dans lequel il est impliqué totalement depuis quelques jours ? Et si l’on voulait ne s’en tenir qu’à un théâtre d’analyse, qu’à un théâtre politique très rationnel et très logique, quel dramaturge en ce moment serait capable d’expliquer mieux et plus clairement que l’action et la lutte elles-mêmes le sens de cette action et de cette lutte. Quelle œuvre enfin tiendrait debout et serait reçue en tant qu’œuvre par un public sensibilisé à l’extrême, sans être trahie à chaque instant et détournée de ses voies quand la moindre réplique, la plus banale, peut soudain éclater dans une salle avec des résonances imprévues ?
Aujourd’hui c’est la vie, minute par minute, qui est une création, qui est de l’art. C’est la vie qui se charge de divertir, de donner toutes les émotions. C’est la vie qui sort les gens de leur maison pour communiquer. C’est la vie qui enseigne mieux que n’importe qui. Et qui donne envie de vivre et de se battre56.
32Est-ce à dire que le théâtre est tout à fait impuissant face aux événements, aux processus en cours ? Que sa contribution consisterait, paradoxalement, à s’éclipser ? Armand Gatti suggère quant à lui que, modestement, le théâtre a un rôle à jouer :
Et, mai a fait éclater les contradictions. Nous nous sommes aperçus qu’au fond nous cherchions beaucoup plus à justifier notre rôle, à nous trouver une utilité dans cette société, dans ce système, qu’à avoir une action réelle. En disant cela, je ne prétends pas que le théâtre puisse faire la révolution, mais il devrait offrir matière à réflexion, à discussion, et développer les contradictions57.
33« Les événements de 1968 ne durent réellement qu’un printemps », rappelle Olivier Neveux, mais quelques artistes, minoritaires, trouvent « cependant, dans Mai 1968 une nouvelle énergie et tente[nt] de faire perdurer son esprit vaille que vaille58 ». Avec des dramaturges et metteurs en scène comme Armand Gatti et André Benedetto, Mai – c’est-à-dire son esprit, ses revendications, ses désirs et sa radicalité – est voué à survivre à l’événement, à perdurer, à le prolonger dans d’autres Mai possibles. Car il restera toujours des luttes à mener et avec lesquelles se solidariser, ici et ailleurs. Comme l’exprime Alph : « Je voudrais partir là où les gens se battent pour leur libération ! Heureux les peuples en lutte pour leur libération ! Heureux les pays qui ont encore des héros59 ! »
Notes de bas de page
1 O. Neveux, Théâtres en lutte. Le théâtre militant en France des années 1960 à aujourd’hui, La Découverte, 2007, p. 69. Il consacre cependant quelques pages au théâtre qui « participe aux événements », montrant que le théâtre ne se contente pas pour autant de se maintenir en retrait.
2 P. Ivernel, Le Théâtre d’intervention après 1968, t. I, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1983, p. 22.
3 B. Dort, Théâtre réel : 1967-1970, Le Seuil, 1971, p. 245-246.
4 A. Benedetto et G. Sandier, « Entretien avec Benedetto », dans G. Sandier, Théâtre en crise (Des années 70 à 82), Grenoble, La Pensée sauvage, 1982, p. 323.
5 A. Benedetto, Zone rouge, feux interdits, Honfleur, Éd. Pierre Jean Oswald, 1969, 1re de couverture.
6 A. Gatti et D. Bablet, « Entretien avec Armand Gatti », dans Travail théâtral n° 3, printemps 1971, p. 4.
7 Ibid. p. 5.
8 O. Neveux, Théâtres en lutte. Le théâtre militant en France des années 1960 à aujourd’hui, op. cit., p. 174.
9 Union des Jeunesses Communistes-marxistes-léninistes.
10 J.-P. Fargier, « Une expérience de vidéo : entretien avec Hélène Chatelain (Le lion, sa cage et ses ailes) », dans Cahiers du cinéma, n° 287, avril 1978, p. 43.
11 A. Gatti, « Interdit aux plus de trente ans », dans Œuvres théâtrales, t. II, Verdier, 1991, p. 411.
12 O. Neveux, « André Benedetto. Pour l’auteur avec un acteur dans le corps », dans Europe, « Marx et la culture », août-sept. 2011, p. 204.
13 La création d’un festival « Off », qui s’est depuis lui aussi institutionnalisé, n’était cependant pas l’ambition initiale de Benedetto.
14 A. Benedetto, « Dialectique de l’enchaînement des pièces », dans Europe, op. cit., p. 211.
15 Id.
16 O. Neveux, « André Benedetto. Pour l’auteur avec un acteur dans le corps », art. cité, p. 204.
17 Voir Mouvement du 22 mars, Ce n’est qu’un début continuons le combat, Maspero, 1968.
18 A. Benedetto, « Dialectique de l’enchaînement des pièces », art. cité, p. 211.
19 A. Benedetto, Zone rouge, feux interdits, op. cit., p. 118.
20 P. Caubère, « Le poète occitan de la Beat Generation. Entretien avec Philippe Caubère », dans Europe, op. cit., p. 265.
21 De même qu’É. Copfermann leur avait consacré en 1962 le livre La Génération des blousons noirs : Problèmes de la jeunesse française, remanié et publié de nouveau en 1967 sous le seul titre Problèmes de la jeunesse, aux éd. Maspero.
22 A. Benedetto, Zone rouge, feux interdits, op. cit., p. 118.
23 C. Brun, « Le chant de la lutte : du théâtre politique selon Armand Gatti », dans Cahiers Armand Gatti, n° 1, 2010, p. 80.
24 A. Gatti, Interdit aux plus de trente ans, op. cit., p. 473.
25 Ibid., p. 474.
26 Gatti pousse d’ailleurs le défi des codes d’écriture dramatique jusqu’à demander au public s’il pense que la mort d’un lycéen est un argument suffisant pour déterminer la quête des personnages, ce qui revient à mettre en balance l’ensemble de la pièce. Ainsi, dans le « Selmaire possible du public », une didascalie précise : « Si le lycéen est contesté, passer au vote. Si les contestataires l’emportent, leur céder la scène, et aller s’asseoir dans la salle jusqu’à la fin. Si tout est accepté, reprovoquer une fois encore le spectateur en lui proposant un modèle sur lequel il pourra brancher sa propre vision des choses », A. Gatti, Interdit aux plus de trente ans, op. cit., p. 437.
27 B. Dort, « Le théâtre d’Armand Gatti », dans La Quinzaine littéraire, n° 25, 1-15 avril 1967.
28 Il s’agit ici d’une évocation directe du 9 oct. 1967, jour de l’assassinat d’Ernesto Che Guevara.
29 A. Benedetto, Zone rouge, feux interdits, op. cit., p. 9.
30 A. Benedetto, Le Jeune Homme exposé. Gênes 2001, Remoulins-sur-Gardon, Éd. Jacques Brémond, 2002, p. 70.
31 A. Gatti, Interdit aux plus de trente ans, op. cit., p. 431.
32 L’intégration de la figure de l’auteur à la dramaturgie est pleinement exploitée par Gatti en 1969 dans une autre pièce, La Naissance (deuxième version), dans laquelle il met en scène le personnage de l’auteur (Sophie), jouant ainsi d’une théâtralité à plusieurs niveaux et de mises en abyme permettant d’aborder dialectiquement ce que cela peut signifier que d’écrire une pièce de théâtre sur une lutte collective – dans le cas présent la guérilla au Guatemala. Finalement, dans La Naissance, « [la] pièce devient mise en accusation (puis liquidation) de l’auteur par les personnages ». A. Gatti, La Naissance. Deuxième version, dans Œuvres théâtrales, t. II, Verdier, 1991, p. 485.
33 A. Gatti, Interdit aux plus de trente ans, op. cit., p. 423-424.
34 G. Gozlan et J.-L. Pays, Gatti aujourd’hui, Le Seuil, 1970, p. 172. Accentuation des auteurs.
35 W. Benjamin, Sur le concept d’histoire [1940], Œuvres, t. III, Gallimard, 2000, p. 440.
36 Ibid., p. 433.
37 Sans oublier Joachim Gatti, le petit fils d’Armand Gatti, à qui une balle de flashball a crevé un œil en 2009 à Montreuil, lors d’un rassemblement de soutien à des personnes que la police était venue expulser. Quarante ans après l’écriture de cette pièce, l’histoire des luttes et de leur répression par la police a rattrapé l’auteur. La fiction n’est que trop réelle.
38 G. Gozlan et J.-L. Pays, Gatti aujourd’hui, op. cit., p. 197.
39 Voir O. Neveux, Théâtres en lutte. Le théâtre militant en France des années 1960 à aujourd’hui, op. cit.
40 Le fait de désigner les personnages par des numéros et non par une identité contribue à faire éclater leur individualité et à gommer toute trace de psychologie. L’acteur, chez Gatti, n’incarne pas un personnage, pas plus qu’il ne s’identifie avec lui. Il en porte la parole.
41 Par exemple, le Professeur « s’exprime comme s’il donnait à la Sorbonne des informations sur ce qui se passe à l’usine des Moulins », le Travailleur émigré « s’exprime comme s’il interpellait un orateur à un meeting », et ainsi de suite. A. Gatti, Interdit aux plus de trente ans, op. cit., p. 414.
42 B. Dort, « Gatti : le théâtre des possibles, l’impossible théâtre », dans Libération, 20-21 juillet 1991.
43 A. Gatti, émission « Théâtre d’aujourd’hui : soirée Armand Gatti », réalisation M. Friedland, diffusée le 16 juin 1967 par l’ORTF, cité dans G. Gozlan et J.-L. Pays, Gatti aujourd’hui, op. cit., p. 27.
44 A. Gatti et D. Bablet, « Entretien avec Armand Gatti », art. cité, p. 12.
45 A. Benedetto, Zone rouge, feux interdits, op. cit., p. 16.
46 F. Fanon, Peau noire masques blancs, Le Seuil, 1952, p. 75. Accentuation de l’auteur.
47 A. Benedetto, Zone rouge, feux interdits, op. cit., p. 104.
48 Ibid., p. 76.
49 La mise en page décalée de ces points peut suggérer, en fonction de leur placement, le retour à un même énonciateur, mais aucune indication didascalique ne permet d’attribuer avec certitude une parole à un personnage ou à un acteur en particulier.
50 Ibid., p. 124.
51 E. Bloch, Le Principe espérance, t. I (1954), trad. F. Wuilmart, Gallimard, 1976, p. 291.
52 Y. Citton, Lire, interpréter, actualiser, Pourquoi les études littéraires ?, éd. Amsterdam, 2007, p. 189.
53 G. Gozlan et J.-L. Pays, Gatti aujourd’hui, op. cit., p. 10-11.
54 A. Benedetto, Zone rouge, feux interdits, op. cit., p. 86.
55 Ibid., couverture.
56 A. Benedetto, « Bulletin de la nouvelle compagnie d’Avignon », 20 mai 1968, cité dans O. Neveux, Théâtres en lutte. Le théâtre militant en France des années 1960 à aujourd’hui, op. cit., p. 73.
57 A. Gatti et D. Bablet, « Entretien avec Armand Gatti », art. cité, p. 12., p. 5.
58 O. Neveux, Théâtres en lutte. Le théâtre militant en France des années 1960 à aujourd’hui, op. cit., p. 80.
59 A. Benedetto, Zone rouge, feux interdits, op. cit., p. 85.
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