Chapitre3. Les États-Unis : entre large présence et sélection des espaces
p. 45-61
Texte intégral
1La diffusion géographique des gated communities aux États-Unis présente deux principales caractéristiques. La première concerne leur inégale présence. Si aujourd’hui pratiquement aucune agglomération d’importance ignore des pratiques d’enfermement résidentiel – prenant des aspects matériels d’ailleurs très divers – il ne faut jamais perdre de vue que les régions où le phénomène apparaît relativement ubiquiste et banal sont essentiellement celles d’une large bande méridionale courant de la Virginie à la Californie centrale et méridionale. Ailleurs, l’apparition des ensembles résidentiels fermés est souvent plus tardive (seconde moitié des années quatre-vingt-dix) et géographiquement dispersée. La seconde caractéristique réside dans le fait que l’enfermement résidentiel ne constitue pas seulement un phénomène urbain. Si les vastes secteurs suburbains témoignent principalement de tels développements, il est très fréquent de les rencontrer également dans le cœur des villes, comme de les découvrir dans des campagnes lointaines. L’enfermement résidentiel obéit en effet à des demandes de plus en plus variées, autant pour des résidences permanentes que pour des résidences saisonnières ou temporaires.
UNE LARGE PRÉSENCE MAIS DE GRANDES INÉGALITÉS GÉOGRAPHIQUES À L’ÉCHELLE DES ÉTATS-UNIS
2Les travaux empiriques qui furent conduits tout au long des années quatre-vingt-dix montrent que les gated communities tendent à prendre une place croissante dans la production des nouveaux espaces résidentiels tout en s’insérant, également, dans des espaces résidentiels anciens soit à l’occasion d’opérations ponctuelles, soit par l’installation de dispositifs matériels assurant la clôture et/ou la fermeture d’ensembles existants. Les observateurs ayant la vision la plus large du phénomène estimaient au milieu de la dernière décennie du xxe siècle qu’environ 20 000 gated communities rassemblaient plus de trois millions de ménages, soit quelque huit millions de personnes à travers les États-Unis (Blakely et Snyder, 1997). Ces observateurs insistaient déjà sur l’inégale présence de tels ensembles résidentiels, soulignant des concentrations importantes ou modérées dans quelques grandes agglomérations toutes situées, à l’exception de Chicago et New York, dans les États du Sud-Est (Floride, Texas) et du Sud-Ouest (Nouveau Mexique et surtout Arizona et Californie méridionale). Ailleurs, la discontinuité, la discrétion ou l’absence constituaient selon eux la règle. Faute de questions pertinentes dans les dispositifs nationaux d’enquête ou de recensement, il fallut attendre en effet l’American Housing Survey (AHS) de 2001 pour que des informations plus fiables et homogènes deviennent disponibles. Parmi les nouvelles questions, l’enquête (traitant un échantillon de 62 000 ménages représentant les 119 millions de ménages étatsuniens) permet d’identifier et de distinguer les unités résidentielles cernées de murs ou clôtures ainsi que celles disposant d’un quelconque moyen d’en contrôler l’accès. Ces questions obligent ainsi à mieux préciser la nature des ensembles fermés qui peuvent être clos mais à accès libre, clos à accès contrôlé, à accès contrôlé mais non clos. Au total (Sanchez et Lang, 2002), l’AHS révèle que moins de 6 % des ménages étatsuniens vivent dans des ensembles clôturés et moins de 3,5 % dans des unités d’accès contrôlés, 60 % des ensembles clos disposant également d’un contrôle d’accès. Ce qui en valeur relative concerne moins de 10 % des ménages étatsuniens représente tout de même un total supérieur à onze millions. Mais ces ménages apparaissent très inégalement distribués. Trois concentrations s’imposent avec force par le poids relatif des ménages regroupés dans des ensembles résidentiels protégés : les régions métropolitaines de Houston et Dallas ainsi que celle de Los Angeles. Au-delà de ces dernières, les gated communities deviennent de plus en plus répandues entre les Carolines et la Floride, dans l’aire métropolitaine de La Nouvelle Orléans mais également dans certaines banlieues de la capitale fédérale, de New York (Long Island) ou à Chicago. Pour aussi importante que puisse être cette enquête conduite à l’échelle nationale, permettant pour la première fois de disposer d’un état des lieux établi selon des procédures homogènes, ses résultats géographiques semblent d’une portée réduite. La première remarque concerne sa fiabilité géographique. Il est par exemple étonnant de ne pas voir apparaître parmi les grandes concentrations relatives une agglomération comme celle de Phoenix alors que les études de terrain conduites par K. Frantz (2000) nous montrent la grande place prise par l’enfermement dans la construction de l’espace résidentiel. Le même étonnement peut être formulé à l’égard de Houston : selon l’enquête, la vie dans des ensembles clos concernerait plus d’un ménage sur cinq dans cette région métropolitaine, soit près de dix points de plus que dans les régions métropolitaines suivantes (Los Angeles et Dallas), alors que ceci ne semble nullement aussi manifeste à l’observateur attentif du paysage urbain de cette grande agglomération texane. La seconde remarque porte sur l’absence de standardisation des ensembles résidentiels clos et/ou protégés. En effet, l’enquête ne nous dit rien de la taille de ces ensembles dans lesquels vivent les ménages interrogés, ni des formes de dispersion ou d’agrégation dans l’espace, ni de la nature des clôtures et des systèmes de contrôle. Or les enquêtes localisées, les études empiriques montrent combien la présence et la concentration sont associées moins au nombre de ménages concernés qu’aux dimensions spatiales de ces ensembles résidentiels et aux formes spectaculaires ou non que prennent leurs enveloppes et leurs portes.
3Il n’en demeure pas moins que de vastes zones, voire des agglomérations importantes restent encore à l’écart du processus. Les États comptant les plus faibles parts de population vivant dans des aires métropolitaines sont encore largement épargnés. Les grandes agglomérations du Nord-Ouest (Oregon, Washington) également. D’importantes agglomérations du Centre-Nord découvrent seulement aujourd’hui les premiers ensembles fermés. Ainsi celle de Cincinnati, comptant quelque 2 millions d’habitants, a vu apparaître sa première gated community notoire seulement en mars 2002. C’est alors, en effet, que les quelque 300 ménages de Wetherington dans le township septentrional de Westchester, ensemble résidentiel constitué tout au long de la dernière décennie du xxe siècle, décidèrent en effet de fermer les accès routiers de leur domaine afin de se protéger des milliers de conducteurs utilisant quotidiennement leur voirie comme raccourci1. Dans le Nord-Est, la présence des ensembles résidentiels fermés se manifeste de manière très discontinue. Ainsi, dans les grandes régions métropolitaines de Boston ou Philadelphie les accès contrôlés concernent moins de 1 % des ménages et la présence d’enclos se fait particulièrement discrète. Même les concentrations relatives des régions métropolitaines de Chicago ou New York, par leurs proportions respectives de ménages vivant dans des ensembles fermés (légèrement au-dessus de 5 %), n’ont rien de vraiment comparables avec celles que représentent les grandes agglomérations du Texas, de Floride, de Californie méridionale. De plus en plus ubiquiste, le processus d’enfermement résidentiel présente cependant encore des dimensions régionales, et plus encore localisées, indéniables, dimensions associées autant à la variété de formes qu’à la diversité des localisations que prennent les gated communities.
LES GATED COMMUNITIES HORS DES ZONES MÉTROPOLITAINES
4Si la plus grande part des ensembles fermés se situe au sein d’espaces métropolitains, il ne faut pas pour autant ignorer ou négliger les localisations non métropolitaines. En effet, dans ces territoires à l’écart des grandes agglomérations, dans lesquels l’urbanisation prend un caractère discontinu, moins dense, les complexes fermés sont bien présents soit en des lieux particulièrement retirés, soit par la formation d’ensembles remarquables constitutifs, dans certains cas, de véritables villes. La proximité vis-à-vis de la nature et le sentiment d’un isolement (qui reste toujours relatif) représentent en effet une demande manifeste que des entreprises de l’immobilier savent développer et promouvoir pour des catégories d’occupants s’installant ici de manière temporaire, saisonnière ou permanente.
Loin des villes, au cœur de la nature
5Hot Springs Village (comté de Garland, Arkansas) : une retraite… mais aussi une petite ville
Devant son nom à sa relative proximité de la petite ville de Hot Springs, l’ensemble résidentiel se situe à environ une heure de route à l’ouest de Little Rock, aux portes des montagnes Ouachita qui occupent le centre-ouest de l’État. Il s’agit là sans aucun doute d’une des plus vastes gated communities étatsuniennes. Couvrant plus de 10 000 hectares, disposant de sept lacs de récréation représentant près de 800 hectares, huit golfs de dix-huit trous, elle abrite 13 000 résidants sans compter les milliers de personnes qui peuvent séjourner ici dans les ensembles variés d’appartements ou de maisons destinés à la location temporaire. Qu’il soit résidant saisonnier ou permanent, plutôt âgé, ou résidant temporaire, dans des catégories d’âges plus diversifiées, chacun peut trouver là des lieux divers d’activités physiques et sportives, d’importantes activités sociales (deux centaines de clubs et organisations fonctionnent) ou pratiquer sa foi dans l’une des 26 églises. Il s’agit donc d’une véritable petite ville privée, développée progressivement depuis une trentaine d’années, l’association des propriétaires gérant l’ensemble des services en s’appuyant sur un budget considérable et l’emploi de plus de 400 personnes. Dans une localisation très différente et destinée à une population moins diversifiée, ce type d’ensemble résidentiel à accès contrôlé et gardé, par son ampleur et son peuplement, n’est évidemment pas sans évoquer Leisure World (Laguna Hills) situé aux portes méridionales de la région métropolitaine de Los Angeles dans le comté d’Orange.
J. Chevalier d’après documents divers.
6The Yellowstone Club (comté de Gallatin, Montana) : la nature pour théâtre et terrain de jeu
Comme son nom l’indique, cet ensemble se situe non loin du coin nord-ouest du grand parc national de Yellowstone, aux confins du Montana, du Wyoming et de l’Idaho. Pour son promoteur (par ailleurs grand propriétaire et baron de l’industrie forestière), il s’agit là de développer la première gated community dédiée à la nature sauvage, à la pratique du ski, du golf, du ranching et accessoirement de la pêche le long des 25 kilomètres de rivières disponibles tributaires de la Gallatin River. Pour ce faire, plus de 5 000 hectares de montagnes et de lacs ont été réservés pour l’accomplissement de trois opérations immobilières qui devraient accueillir au total moins de 900 habitations. Avec des droits d’adhésion considérables (250 000 dollars pour entrer dans le club et des droits annuels de 16 000 dollars), des coûts d’acquisition foncière qui s’étagent de 650 000 à deux millions de dollars, et la moindre maison à cinq millions de dollars, ce domaine est évidemment destiné à n’accueillir que des ménages fortunés, les premiers occupants venant plutôt des milieux du monde des affaires, du sport professionnel, des médias, de la politique.
J. Chevalier d’après documents divers.
Fig. 6 : Hilton Head Island (comté de Beaufort, Caroline du Sud)

7De tels espaces, par l’étendue qu’ils représentent et les conditions de la topographie, ne peuvent évidemment pas être entièrement clos. La fermeture n’est donc pas associée à l’existence de limites tangibles, continues et identifiables. Elle se construit plutôt par l’intermédiaire des portes qu’il faut être autorisé à franchir, ainsi que par le gardiennage et le contrôle de l’espace. Par ailleurs, ces opérations sont généralement isolées. Il arrive cependant, en certaines régions, que la pression devienne telle que s’y déploient de véritables urbanisations. Le comté de Beaufort, dans l’extrême sud-est de la Caroline du Sud, illustre particulièrement bien ce modèle concourant à l’épanouissement d’une urbanisation à la fois dispersée et polycentrique.
Nature et urbanisation
8Le comté de Beaufort (Caroline du Sud) : les « plantations résidentielles » au cœur de l’urbanisation contemporaine
Situé entre les deux aires métropolitaines de Savannah (Géorgie) et Charleston (Caroline du Sud), ce comté connaît une croissance démographique spectaculaire : entre 1980 et 2000, sa population s’est en effet trouvée multipliée par près de deux, dépassant aujourd’hui les 120 000 habitants. Cette augmentation repose en grande partie sur la création de nouveaux espaces résidentiels désignés par le terme « plantation ». L’emploi de ce terme dans cette région du Vieux Sud exprime l’idée d’une structure à la fois foncière (un domaine souvent étendu) et sociale (une communauté d’intérêts). Ces « plantations résidentielles » sont d’abord apparues sur l’île de Hilton Head afin, initialement, de satisfaire des besoins résidentiels temporaires avant de se répandre largement mais cependant par grappes, en particulier le long de l’axe (Route 278) reliant la grande autoroute bordant la façade atlantique (I 95) à Hilton Head Island, dans une offre de plus en plus diversifiée associant souvent résidences saisonnières et permanentes.
Hilton Head Island (fig. 6) illustre de manière remarquable, car pratiquement abouti, le rôle de ces ensembles résidentiels. Aujourd’hui, une douzaine de « plantations » d’inégales superficies occupent une part essentielle du territoire de l’île. Elles sont closes et leur accès s’effectue par des portes peu nombreuses toujours gardées. Toutes dotées de riches équipements (le golf étant le premier d’entre eux), elles accueillent à la fois de nombreux touristes (en moyenne plus de deux millions chaque année, surtout dans les « plantations » riveraines de l’océan disposant de parcs de logements diversifiés et de resorts dont la clientèle est principalement établie sur la base de la propriété partagée (timeshare) et une population permanente progressant sans cesse (aujourd’hui plus de 34 000 habitants contre moins de 7 000 en 1975).
Chevalier J., « L’urbanisation dispersée polycentrique hors des zones métropolitaines aux États-Unis : le comté de Beaufort, Caroline du Sud », Cahiers Nantais, 2002, n° 58, p. 223-234.
LES GATED COMMUNITIES DANS LES TERRITOIRES SUBURBAINS
9Dans les territoires métropolitains, la variété des gated communities et des localisations est le plus souvent de rigueur. Les localisations périphériques ont prévalu pendant longtemps. Les ensembles résidentiels clos et fermés apparaissent bien souvent, en effet, comme des modalités particulières du processus général de suburbanisation soit en localisations dispersées, soit au contraire par la constitution de véritables grappes pouvant concerner jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de personnes.
Entre nature et suburbs
10Bluegrass Estates, Apopka (Nord-Ouest du comté d’Orange, Floride)
Dans un paysage pastoral, sur près de 100 hectares s’étend le domaine de Bluegrass où quinze familles ont actuellement élu domicile, chacune disposant d’un lot d’une surface comprise entre 1,6 et 2,4 hectares. À terme, 51 ménages devraient trouver place ici, tous à la recherche d’un même style de vie, à la fois non loin de l’agglomération d’Orlando et des grands centres commerciaux périphériques et si près de la nature. Chaque ménage dispose ici d’un ensemble immobilier désigné par le terme ranchette avec écurie, grange, pâtures clôturées de barrières blanches et du bénéfice de vastes étendues consacrées aux pâturages, aux parcours et d’espaces naturels réservés à la préservation de la faune sauvage. Ce havre de quiétude, dédié aux amoureux du cheval, cultivant l’esprit de la ruralité quelque peu à la manière dont les tenants du new urbanism promeuvent, eux, l’esprit de la petite ville d’antan, se trouve cependant non loin d’un autre ensemble en cours de réalisation, Rock Springs Ridge Country Club, couvrant lui 450 hectares et prévu pour accueillir plus de 1 300 ménages. L’enfermement suburbain le plus périphérique peut donc procéder, actuellement, de la juxtaposition d’opérations d’ampleurs fort différentes répondant à des demandes diversifiées.
J. Chevalier d’après enquête novembre 2002 et documents divers.
Des suburbs où l’enclosure domine tout en prenant des traits différents
11Une ville suburbaine presque entièrement close : Weston (comté de Broward, Floride)
La ville fait partie de ces nouveaux territoires suburbains occidentaux de l’aire métropolitaine de Fort Lauderdale, développés durant les deux dernières décennies du xxe siècle. C’est en effet en 1977 que la compagnie Arvida (aujourd’hui division du groupe St Joe Company de Jacksonville, conglomérat dédié à l’industrie de l’immobilier) fait approuver le plan général d’une vaste opération couvrant quelque 4 000 hectares, opération destinée à devenir un pôle de peuplement de l’ordre de 50 000 résidants. Située au contact des Everglades, cette opération associe aujourd’hui un ensemble de domaines résidentiels clos, des services scolaires, des lieux de culte, un complexe médical, une vaste zone d’activités de bureaux, plusieurs zones commerciales ainsi qu’un véritable centre dédié aux espaces publics, aux commerces et services aux particuliers.
Il s’agit bien d’une véritable ville, d’ailleurs incorporée avec le statut de city en 1996 alors que l’opération regroupait déjà 25 000 résidants. Mais une ville où seuls les axes de circulation structurants ainsi que les espaces consacrés aux activités sont réellement accessibles à tout un chacun (fig. 7). La majorité des grands îlots définis par le recoupement des six axes structurants déterminent en effet autant de domaines résidentiels privés présentant, cependant, quelques distinctions, par leur étendue, leur mode de fermeture et de gardiennage, leurs aménités, leur densité, le coût des lots et des maisons disponibles. Seuls les îlots intégrant le Bonaventure Country Club, au nord-est de la ville, échappent à cette organisation : ces derniers ont été en effet créés par d’autres promoteurs selon des principes d’ouverture et de libre circulation.
Débuté en 1985, le peuplement va rester embryonnaire jusqu’au début de la décennie 1990. C’est donc principalement en dix ans que s’est remplie la quasi-totalité des espaces résidentiels clos rassemblant aujourd’hui quelque 45 000 résidants. Des résidants qui, en 2000, apparaissaient plutôt jeunes (âge médian 34 ans, 50 % des ménages comptant des enfants, seulement 2 000 personnes ayant 65ans et plus) parmi lesquels la minorité hispanique était bien représentée avec près du tiers de la population. Par les coûts d’accès au logement, presque exclusivement en propriété, cette population présente un profil économique plutôt homogène : celui des classes moyennes et moyennes supérieures.
J. Chevalier d’après enquêtes février 2002 et documents divers.
12Des opérations de l’ampleur de Weston apparaissent plutôt exceptionnelles. Plus répandues sont les ensembles réalisés par des développeurs différents finissant par créer des effets de grappes. Les gated communities présentent alors des caractéristiques hétérogènes. Celles-ci le sont par leur ancienneté, leur taille, le statut économique et culturel de leurs résidants, la part respective des locataires et des propriétaires, les modes de fermeture, le nombre et la qualité des équipements mis à la disposition des occupants. Parfois ces ensembles s’emboîtent à la manière de poupées russes pour mieux séparer des opérations destinées à des populations différentes (Frantz, 2000). Bien souvent ces grappes se sont construites progressivement le long d’un axe de circulation important, érigé en corridor de développement suburbain. D’autres fois, elles s’inscrivent dans un environnement valorisant : les sites de lacs naturels ou plus fréquemment artificiels, les espaces boisés sont particulièrement propices à l’agglomération de tels ensembles immobiliers. Enfin, ces grappes peuvent provenir de la segmentation d’un vaste domaine entre plusieurs opérateurs, chacun donnant sa personnalité, son identité aux ensembles dont il assure l’aménagement et la commercialisation.
13La grappe de résidences fermées des corridors Apopka Vineland et Wintergarden Vineland Roads (comté d’Orange, sud-ouest d’Orlando, Floride)
Dans la partie occidentale du comté d’Orange, entre Walt Disney World-Lake Buena Vista et Windermere, se déroule un paysage associant à la fois les extensions les plus occidentales d’Orlando, au-delà d’International Drive, dans des quartiers tels que Vineland, Dr Phillips, Bay Hill, de larges pans d’anciens vergers d’agrumes aujourd’hui délaissés, quelques boisements épars, de nombreux lacs et la petite ville résidentielle de Windermere. Le tout est traversé par deux routes (Apopka Vineland Rd et Wintergarden Vineland Rd) de direction nord-sud. Voici un secteur suburbain formant un vaste triangle qui, de sa pointe au sud à sa base au nord, s’étale sur une douzaine de kilomètres. Ici, les différents développements résidentiels sont fréquemment clôturés. D’ailleurs, le long des deux grands axes desservant ce périmètre, ces clôtures aux matérialités variées masquent le plus souvent les ensembles de maisons plus ou moins denses déjà réalisés ou en cours de construction. Cependant, des portes fermées ne sont pas systématiquement associées à ces clôtures.
À bien des égards, cet ensemble ne présente guère d’unité mise à part celle des deux corridors routiers et la valorisation de milieux lacustres étendus. En effet, entre le corridor d’activités denses d’International Drive et Apopka Vineland Road le système des Big et Little Sand Lakes plus quelques étendues modestes ainsi qu’entre Apopka et Wintergarden celui de la chaîne des Lacs Butler et Tibet ont attiré nombre de développeurs ayant réalisé là des opérations d’ampleurs très différentes. Autour du système des lacs Sand, les premiers ensembles ont vu le jour au cours de la décennie 1970. Avec les bordures des lacs Butler et Tibet, le processus, débuté de manière plus éparse à la même époque, est toujours en cours. Certaines opérations sont plutôt de taille modeste par leur superficie et le nombre de ménages ; d’autres au contraire représentent de grands lotissements pouvant compter plusieurs centaines d’hectares. Quant aux prix pratiqués, ils s’inscrivent plutôt dans les fourchettes moyennes et hautes mais selon des gradients très différents, parfois plutôt étendus (200 à plus d’un million de dollars), tantôt très resserrés (300 à plus de 500 000 dollars), sans oublier quelques ensembles d’exception, à l’image d’Isleworth (Windermere). Cet ensemble de plus de 300 hectares, comptant plus de dix kilomètres de fronts de lacs et l’un des plus beaux golfs étatsuniens, (qui est aussi le lieu de résidence du champion Tiger Wood) se distingue nettement de son environnement par des prix d’accès fonciers et immobiliers se comptant par multiples de millions de dollars.
J. Chevalier d’après enquêtes novembre 2002 et documents divers.
14Les grappes du corridor de la GA 400 au nord d’Atlanta (nord du comté de Fulton, sud du comté de Forsyth, Géorgie)
L’expansion territoriale de l’agglomération d’Atlanta dans le quadrant nord-est est remarquable. Plusieurs grands corridors de circulation y structurent l’étalement suburbain. Parmi ces derniers, en direction du nord, la GA 400, élargie et aménagée en voie autoroutière, permet désormais de suburbaniser jusque dans la partie méridionale du comté de Forsyth. Dans le domaine résidentiel, cette suburbanisation prend un caractère de plus en plus fermé. Ceci constitue un processus nouveau dans une agglomération qui, jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix, était peu concernée par le processus d’enclosure collective. C’est en effet au milieu de cette décennie que la première gated community notable (Sugarloaf Country Club) fut développée dans le comté suburbain nord-oriental de Gwinnett. Le succès rencontré par cette opération, conduite par une entreprise de Charlotte (Caroline du Nord), a ainsi ouvert la porte à bien d’autres opérations, cependant souvent plus modestes par leur taille.
De part et d’autre de la GA 400 sont développées plusieurs grappes. Une première peut être distinguée à l’ouest de cet axe. Il s’agit d’un groupe d’ensembles résidentiels qui s’inscrit dans la proximité d’un vaste domaine ouvert subdivisé en cinq unités (le Polo Golf and Country Club). À l’est, trois groupes distincts s’individualisent. Deux d’entre eux se situent à proximité du recoupement de deux voies de circulation (les Highways 20 et 141) avec la vallée de la Chattahoochee River. Le troisième apparaît plus au nord au voisinage des rivages du Lac Lanier.
La formation de ces grappes d’ensembles résidentiels (majoritairement fermés pour ceux qui ont été développés peu avant la fin du xxe siècle) obéit à des principes relativement simples. Outre l’accès à un axe devenant majeur (GA 400), permettant d’accéder aux pôles d’activité et de consommation proches et plus largement aux différentes parties de l’agglomération, les développeurs tendent à valoriser soit le voisinage d’une institution réputée (country club), soit le cadre paysager (les collines et la vallée de la Chattahoochee, l’imposant Lac Lanier et ses importantes possibilités de loisirs nautiques). Il s’agit là de principes éprouvés de longue date. La fermeture est seulement venue se surimposer.
J. Chevalier d’après enquête avril 2001 et documents divers.
15Monarch Lakes (Miramar, comté de Broward, Floride)
Situé entre South Flamingo Road et les abords de l’autoroute I 75, au centre de la municipalité de Miramar, cet ensemble, orienté est-ouest sur environ trois kilomètres, se distingue non par la présence de lacs (malgré le nom attribué) mais par l’organisation d’une grappe autour d’un large axe principal (Monarch Lakes Boulevard) s’ouvrant par des encadrements monumentaux côté South Flamingo. Ainsi, d’est en ouest, le long du boulevard se succèdent près d’une quinzaine d’opérations distinctes à la fois par les promoteurs et constructeurs impliqués, l’offre de logements et les équipements proposés. Certaines de ces opérations clôturées ne sont pas fermées (Melrose Cove, Landing, Portofino North et South, etc.). Les plus nombreuses, au contraire, se distinguent par une fermeture absolue, mais sur un mode plutôt peu ostentatoire (Mariposa, Biltmore Estates, Adrian Homes, Adrian Executive Homes, Catalina Bay, The Vineyard, etc.).
J. Chevalier d’après enquête février 2002.
16Quelles que soient les dimensions territoriales de ces grappes, l’éclectisme apparaît souvent la règle. Les développeurs et promoteurs immobiliers, en effet, cherchent à valoriser, dans les différents quadrants géographiques des périphéries des agglomérations, différentes demandes qui peuvent s’exprimer par une fermeture totale, des clôtures mais des accès sans contrôle, l’absence de clôtures et de portes. Aussi peut-on voir se succéder des ensembles immobiliers très différents les uns des autres, dans leurs limites (et les différentes matérialités qu’elles peuvent emprunter) comme dans leurs structures ou leurs contenus immobiliers ou naturels. La clôture et la fermeture constituent seulement des modalités particulières, parmi d’autres possibles, de la suburbanisation résidentielle.
Fig. 7 : Weston (comté de Broward, Floride) : libre circulation, circulation réservée

LES GATED COMMUNITIES DANS LE CŒUR DES AGGLOMÉRATIONS
17La fermeture ne constitue pas seulement une des modalités des regroupements d’habitats individuels. Elle est devenue très présente également par ces ensembles résidentiels collectifs destinés à accueillir copropriétaires et locataires, désignés par le terme générique de condominium2. D’ailleurs, sans forcer le trait, nous pouvons affirmer qu’aujourd’hui la fermeture est devenue plus systématique pour ces copropriétés que pour les ensembles résidentiels formés de maisons individuelles.
18Les propriétés résidentielles destinées à la location dans le comté de Broward (Floride): entre municipalités suburbaines et villes-centres
En février 2002, en dehors de ceux destinés à accueillir les clientèles saisonnières, quelque 157 ensembles résidentiels proposaient des logements en location sous des appellations diverses (condos, villas, townhouses) dans l’aire métropolitaine de Fort Lauderdale. La majorité d’entre eux était située dans les municipalités secondaires dont le développement démographique a été spectaculaire au cours des décennies 1980 et 1990. Les deux villes centres du comté (Fort Lauderdale et Hollywood), malgré leurs peuplements, ne comptent pas encore un nombre important de tels ensembles résidentiels.
Ces complexes résidentiels sont en grand nombre protégés des intrusions extérieures, même si seulement une petite moitié des annonces fait un argument des diverses mesures mises en œuvre pour assurer cette protection. Il est vrai que certains vastes domaines, occupés par des ensembles immobiliers collectifs, n’obéissent à aucun principe de fermeture : il suffit alors d’un nombre de points d’accès limité et d’une voirie au dessin indéchiffrable pour dissuader la majeure partie des intrusions indésirables.
Les gestionnaires préfèrent insister sur les avantages et équipements proposés dans ces ensembles résidentiels. Les deux tiers de ces derniers, en effet, mettent à disposition entre trois et cinq équipements, les plus répandus étant piscine(s), centre de fitness et courts de tennis, auxquels s’ajoutent souvent d’autres aires ou lieux de récréation d’autant mieux fournis que l’espace disponible à côté des constructions est vaste. Ainsi les parcs paysagers agrémentés de lacs peuvent-ils mettre à disposition aires de jeux, parcours de marche ou de jogging, lieux destinés aux piqueniques et barbecues. Il est évident que le nombre et la qualité des aménités dépendent de la localisation. En ville centre, au cœur des quartiers centraux et péricentraux, il est difficile effectivement de mettre à disposition ce que les situations plus périphériques autorisent. Toutefois, quels que soient le lieu et le nombre d’aménités présentes, la fermeture, ou tout autre mode de protection, permet de réserver l’exclusivité de l’accès aux prestations aux seuls résidants, et sous certaines conditions à leurs hôtes.
Dans leur grande majorité, ces ensembles résidentiels, par les tailles des appartements et l’éventail des prix proposés, apparaissent destinés à accueillir des clientèles variées, avec cependant, une préférence pour les petits ménages (avec ou sans enfant) des classes moyennes.
J. Chevalier d’après exploitation de : Apartments for rent, South Florida, UAP Inc., February 2002 et enquêtes février 2002 et 2004.
19Deux raisons, souvent associées, concourent à justifier cette fermeture. En premier lieu, les clientèles des condominiums, largement formées de jeunes célibataires, de ménages avec très jeunes enfants ou de personnes âgées voire très âgées attendent souvent un habitat protégé. La seconde raison réside dans le nombre et la qualité des équipements collectifs mis à disposition des résidants : la fermeture constitue un moyen de réserver l’accès à ces derniers aux seuls résidants.
20Une troisième raison à la fermeture de ces ensembles réside dans le fait qu’ils représentent souvent des instruments du développement ou de la reconquête de fonctions résidentielles en des lieux qui en étaient dépourvues ou là où elles s’étaient dégradées. Ceci apparaît vrai surtout pour des quartiers centraux ou péricentraux de villes-centres, donc dans les espaces les plus anciennement et densément occupés. Toutefois, deux situations fort différentes peuvent apparaître.
21La première se distingue par un faible décalage, voire son absence totale, entre la logique sociale de la (re)conquête et l’environnement sociorésidentiel dans lequel celle-ci s’inscrit. Dans ce cas, la fermeture n’est pas considérée a priori comme indispensable ; elle peut cependant être apportée comme prestation, soit parce que le développeur estime que c’est nécessaire pour valoriser son opération, soit en raison d’une diffusion de l’enclosure dans l’environnement de celle-ci, soit encore pour souligner aux yeux des futurs occupants le caractère exceptionnel et exclusif des aménités offertes dans les nouveaux ensembles résidentiels.
22Les tours résidentielles du downtown de Fort Lauderdale (comté de Broward, Floride)
Comme tous les centres anciens, celui de Fort Lauderdale a connu une période de désinvestissement à partir de la décennie 1930, aggravé durant celles suivant la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ceci conduisit la municipalité à décider, en 1965, de former une Downtown Development Authority (DDA) avec l’objectif de réhabiliter, de redévelopper ou de revitaliser le cœur de la cité. Depuis maintenant près de quarante ans, la DDA, dont les missions et les limites territoriales d’intervention ont été progressivement élargies, représente un acteur important de la mobilisation des investissements publics et privés dans des opérations de portée économique et, désormais, résidentielle.
Entre 2002 et 2004, le visiteur de Fort Lauderdale a bien du mal à reconnaître la silhouette du centre-ville. En effet, aux immeubles récents formant le centre administratif, celui des affaires, le lieu de formation universitaire et les grands équipements culturels, distribués de part et d’autre de la New River, sont venues s’ajouter de monumentales tours résidentielles actuellement en voie d’achèvement. Si certaines sont plus massives qu’élevées, d’autres s’inscrivent au contraire dans une verticalité impressionnante, la plus haute comptant plus de 40 étages fig. 8).
Il s’agit là de la manifestation la plus spectaculaire d’un changement de registre dans le développement du downtown, à même de valoriser ce qui a été antérieurement accompli. En effet, désormais, la fonction résidentielle peut se déployer puisqu’il existe dans l’environnement immédiat plusieurs atouts. Le premier est constitué par la New River et ses prolongements orientaux vers l’Intracoastal Waterway et l’Océan. Le second procède du redévelopement des fonctions commerciales, récréatives et culturelles, illustré notamment par le succès du Las Olas Riverfront Marketplace et du Las Olas Boulevard, la présence des musées et des salles de spectacle.
Ces tours s’inscrivent également dans un environnement sociorésidentiel favorable. De part et d’autre de Las Olas Boulevard, jusqu’à l’Intracoastal Waterway et à l’Océan, la résidence se décline traditionnellement au profit de populations des classes moyennes plutôt aisées, voire de populations très fortunées. C’est en particulier le cas le long des « canaux résidentiels » ayant fait la réputation de la « Venise américaine ». Dans le choix opéré pour remplir ces tours (New River Village, Las Olas River House, Water Gardens, etc.) visiblement nulle hésitation s’est manifestée dans l’esprit des investisseurs : la plus grande part des unités se vend entre plusieurs centaines de milliers et plusieurs millions de dollars. Peupler le centre-ville renvoie donc à organiser une continuité sociorésidentielle.
J. Chevalier d’après enquêtes février 2002 et 2004 et documents divers.
23La seconde situation tient à un décalage manifeste entre la logique sociale dans laquelle la (re)conquête résidentielle s’inscrit et l’environnement où elle prend place. Dans ce cas, l’environnement, par ses caractéristiques sociales, est considéré comme sinon hostile du moins peu sûr. La fermeture s’impose alors avec pour principal objectif de rassurer les candidats à l’installation. Cette situation apparaît assez fréquente dans nombre de villes-centres étatsuniennes soit dans des quartiers centraux-péricentraux ayant connu une trajectoire plus ou moins longue de dévalorisation résidentielle, soit dans d’anciennes suburbs désormais vieillies et dégradées, alors que ces espaces présentent des qualités de situation, patrimoniales ou environnementales indéniables encourageant justement la (re)conquête résidentielle.
24Fermeture et reconquête résidentielle des classes moyennes blanches à Detroit (Michigan)
Le parc immobilier résidentiel de Detroit date pour l’essentiel de deux périodes de croissance importante : la première couvrant les années 1915-1930, la seconde la période 1945-1955. Avec le milieu des années cinquante s’intensifie, ici comme ailleurs, la production de nouveaux espaces résidentiels suburbains, le processus s’aggravant à partir de la fin des années soixante, en réaction aux émeutes raciales ayant embrasé la ville en 1967. C’est ainsi que, la population blanche s’installant prioritairement dans les banlieues, Detroit devint une des grandes villes noires du Nord des États-Unis. Avec la décennie 1970, l’agglomération entre dans une phase de restructuration économique qui a pour effet de déliter le tissu des établissements de production automobile et d’autres branches de production manufacturière, cette restructuration faisant particulièrement ressentir ses effets dans la ville-centre. Celle-ci continue non seulement de perdre des résidants, surtout Blancs, et une part croissante des Afro-Américains s’appauvrit. Évidemment tout ceci ne concourt pas à relancer la production immobilière.
Avec les deux dernières décennies du xxe siècle, le partenariat entre grandes entreprises majeures de la ville et collectivités publiques (au travers notamment de Detroit Renaissance et du Detroit Investment Fund qui occupent pour l’essentiel le terrain du financement des aides apportées aux investisseurs locaux ou extérieurs pouvant concourir au développement de la ville) affirme une politique de « renaissance » qui va prendre différents traits. L’emblématique Renaissance Center, de nouveaux grands équipements collectifs, le développement d’une économie de services dans des activités (l’informatique, la santé, l’éducation, les productions culturelles, en attendant l’économie des casinos) jusqu’alors écrasées par le poids de l’industrie automobile, et plus récemment d’importantes opérations de réhabilitation d’un parc de logements – dont la grande majorité reste toutefois vieilli et dégradé – illustrent particulièrement cette politique. C’est dans ce contexte que se sont inscrites différentes opérations immobilières résidentielles plus spécialement destinées à des ménages des classes moyennes blanches. Cette volonté n’est cependant pas exclusive d’une autre démarche conduite parallèlement : celle de produire du logement pour les seniors et de réhabiliter des logements destinés aux ménages à revenus faibles et modérés, toutes opérations propres à satisfaire une partie des besoins des ménages appartenant aux minorités.
Faire aboutir des projets résidentiels destinés aux classes moyennes blanches dans le contexte de Detroit supposait une stricte sélection des espaces et des types de logements. La sélection des espaces s’est effectuée en privilégiant l’axe de la Detroit River dans le Eastside, face aux parcs de Belle Isle, en direction de la banlieue résidentielle aisée de Grosse Pointe et des rivages du Lac St Clair, avec l’idée de promouvoir là une véritable Rivertown dans ce qui était devenu un ensemble de quartiers dégradés et de friches industrielles. C’est ici qu’ont pris place les opérations les plus emblématiques de cette reconquête résidentielle : The Lofts, River Place, Harbortown, Shorepointe Village, Victoria Park. Il s’agit là d’une offre immobilière qui loin de constituer une Rivertown représente plutôt un ensemble d’îles, chaque île étant soigneusement close, fermée et protégée, disposant d’importants équipements de loisirs et récréation. C’est également de manière plus éparse dans Downtown que ces nouveaux espaces résidentiels fermés sont apparus. Pour une part essentielle, ces opérations ont consisté à réinvestir des ensembles patrimoniaux de qualité (usines, grands magasins, entrepôts désaffectés datant pour l’essentiel des premières décennies du xxe siècle) et à réaliser là des appartements et lofts aptes à satisfaire les besoins de jeunes célibataires ou ménages souvent venus d’autres grandes villes et recherchant un cadre de vie très urbain. Certains ensembles fermés cependant comportent des appartements occupant des maisons de villes, voire (comme à Victoria Park) des maisons individuelles ciblant une clientèle plus familiale.
Au total, ces opérations ont bien eu les effets escomptés. Durant la décennie 1990-2000 la ville a continué de perdre sa population blanche, sauf dans 10 % des secteurs de recensement où celle-ci augmentait, cette géographie des augmentations recoupant bien, dans Rivertown et Downtown, les lieux où se sont inscrites les principales opérations construites souvent en plusieurs phases. Mais ces effets restent modestes, à l’échelle du nombre de logements proposés et des ménages – surtout de petite taille – installés. Ainsi, dans le secteur de recensement où se trouve Harbortown, la population blanche a triplé, mais atteint seulement 500 personnes ! Avec un tel processus de reconquête, le risque est évidemment grand de voir se développer des polarisations sociospatiales difficiles à gérer. En même temps, le réinvestissement, même modeste, de la ville centre par des populations blanches passe nécessairement par la captation de ménages sensibles à la proximité vis-à-vis de leur lieu de travail et des grands équipements destinés aux événements et spectacles sportifs, récréatifs et culturels (Cobo Hall, Joe Louis Arena, Fox Theatre, Orchestra Hall, Detroit Opera House, Detroit Institute of Arts, etc.). Cela peut être principalement le fait de ménages plutôt jeunes ou âgés, appartenant aux classes moyennes plutôt supérieures, exigeantes en matière d’aménités et d’exclusivité, donc de fermeture.
J. Chevalier (2000) et documents divers.
25Aujourd’hui, aux États-Unis, les ensembles résidentiels clos apparaissent encore distribués avec une inégale intensité selon les régions, au point que l’on puisse encore parler de déterminations régionales dans l’essor de ce type de produit immobilier. Toutefois, les variations d’intensité ont souvent peu d’effet sur leur présence dans les différentes catégories d’espaces. Ils sont repérables autant dans des espaces quasi naturels, dans des processus d’urbanisation au sein d’espaces métropolitains et, dans les espaces métropolitains, des suburbs au cœur des villes centres notamment des plus importantes. Ces ensembles résidentiels peuvent donc prendre des formes d’une très grande diversité, depuis les lotissements de maisons individuelles associés à des espaces naturels plus ou moins étendus jusqu’aux complexes d’habitats collectifs. Par ailleurs, ces ensembles peuvent répondre à des besoins résidentiels fort différents, entre séjours temporaire, saisonnier ou permanent. Tout ceci témoigne d’un marché déjà parvenu à maturité. L’offre immobilière combinant, selon des modalités démultipliées, clôture et fermeture n’a cessé, en effet, d’être perfectionnée durant les vingt dernières années afin de satisfaire des demandes de plus en plus finement segmentées. Il est aujourd’hui possible, dans la construction des différents cheminements des ménages entre résidence permanente, et résidences saisonnières ou temporaires, de faire le choix de l’autoenfermement résidentiel.
Fig. 8 : Nouvelles tours résidentielles du downtown de Fort Lauderdale, entre Las Los Boulevard et Riverwalk sur la New River (cliché : J. Chevalier, février 2004)

Notes de bas de page
1 The Cincinnati Enquirer, 4-06-2002.
2 Le terme désigne n’importe quelle copropriété. Il ne caractérise pas la population résidante. Les condominiums sont en effet occupés par des propriétaires et des locataires selon des proportions très variables. Le terme ne détermine pas davantage l’aspect matériel que va prendre la copropriété. Certaines se présentent sous la forme d’immeubles, d’autres sont constituées d’alignements de townhouses (maisons à étage(s) en bandes), d’autres enfin associent immeubles de tailles variables et maisons jointives dans des parcs paysagers.
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