La Revue de la Femme vient de lancer un concours de publicité littéraire doté de 35 000 francs de prix.
L’annonce de ce prix a provoqué dans les milieux de lettres de nombreuses polémiques.
« Un écrivain ne déchoit-il pas en signant un texte de publicité ? »
Les avis sont très partagés.
Nous avons cru bon de demander à deux écrivains, parmi les plus justement appréciés dans la jeune littérature, de défendre chacun son point de vue.

Littérature de publicité

1Mais non, je ne les méprise pas, ces pauvres filles. Je sais bien qu’elles n’en peuvent mais. Les hommes… Et puis, n’est-ce pas, la vocation…

2Et puis encore, je suis bien sûr qu’elles ne prétendent pas vendre de l’amour. Elles savent mieux que personne que l’amour ne se vend pas. Elles louent leur chair à qui veut la salir, voilà tout. Elles peuvent montrer quelque cynisme. Mais aucune ne ressent de fierté.

3Les mépriser ? Non. Espérer pour elles quelque porte de sortie ? Oui, timidement…

4Je ne leur demande qu’une chose, c’est de ne pas essayer de se faire passer pour des prêtresses ou des saintes de l’amour.

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5Je ne sais pas s’il y a des sots métiers, mais il y a tout à gagner à nommer clairement chaque métier.

6Fille ? Soit. Mais ne dites pas : « fille d’amour » ; ne dites pas : « prêtresses de la volupté » ; ne dites pas : « écrivain de publicité ».

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7La publicité est un métier fort honorable. Et qui demande des aptitudes. Si je les avais eues, j’aurais certainement trouvé normal de les utiliser. Elles me manquent. Ce n’est pas une raison pour vouloir en dégoûter les autres.

8Si j’étais agent de publicité, j’aimerais trouver de magnifiques idées de lancement : la Tour Eiffel lumineuse, c’en est une ; bravo pour celui qui l’a créée. J’aimerais les nuages au Guerlain, les pluies de pilules Pink, les champs desséchés par la Gyraldose, les tremblements de terre avec éruption de crottes de la marquise de Sévigné.

9Mais je n’aurais pas la pauvre idée de demander à Paul Claudel un poème à la gloire des lithinés.

10Parce qu’il me semble que j’aurais respect de Paul Claudel

11Et j’espère bien au moins que Claudel se respecterait assez pour ne pas entendre, même, mes « propositions ».

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12On employait toujours, il y a quelques années, l’expression « gens de lettres ». Aujourd’hui, on dit plutôt « écrivains ». Je crois, pour ma petite part avoir travaillé de mon mieux à ce petit changement de mode.

13Mais écrivain, c’est une dignité, un titre ; ce n’est pas seulement, comme « gens de lettres » ou « garçon de café », un nom de métier.

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14Il y a des lois nobiliaires. On ne demande pas aux passants de les observer. Mais, pour le moindre petit hobereau, elles jouent.

15Elles ne prévoient qu’une peine, bien logique : la déchéance.

16Ça n’arrête personne.

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17Ce que demande aux écrivains un « concours de publicité littéraire », n’est pas d’avoir des idées de simple publicité. Ce n’est pas un apport d’ingéniosité. Cela, nous l’admettrions bien volontiers. C’est de monnayer, au prix d’un savon, leur nom littéraire, leur talent littéraire.

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18L’opinion que l’on peut avoir sur la littérature de publicité ne dépend que d’une chose : l’opinion qu’on a de l’art.

19Si on le considère comme un commerce analogue aux autres, une industrie à peine coupable, alors il n’y a aucune raison particulière de ne pas se servir de l’artiste pour la réclame, comme on se sert de l’or pour la statue du Veau.

20Si on considère l’Art comme une chose noble, comme un des plus hauts moyens de traduction et d’affirmation de l’Âme humaine, alors l’évidence éclate : l’Art ne doit pas s’abaisser. Il s’abaisse s’il devient un boniment.

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21Mais tous les artistes ne sont pas des Vinci (le Sourire du Kalodont !) des Beethoven (la Symphonie du Coricide Y…), des Michel-Ange (le Tombeau des concurrents de Gibbs). Il y a aussi, dites-vous, de pauvres bougres qui…

22Oui, mais dites-moi d’abord que ces pauvres bougres ne sont pas des Artistes.

23Alors qu’ils vendent ce qu’ils veulent, ça n’a aucune importance. Mais qu’ils ne le vendent pas au nom de l’Art.

24Mais les pilules ont besoin de prophètes ?

25Je n’y contredis pas.

26Seulement l’Art, et l’Homme, et l’Âme, et la Douleur, et la Joie, et Dieu aussi ont besoin de prophètes.

27J’aime autant que ce ne soient pas les mêmes que les prophètes pour pilules, voilà tout.

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28Et j’ai peur que s’il plaisait à des Artistes de prôner les pilules, ils n’aient plus en leur chant la foi qu’il faut pour chanter Dieu.

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29Somme toute, il n’y a qu’à laisser chaque chose à sa place. Et à ne pas mêler les serviettes avec les nappes d’autel.

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30À part ça, vraiment, aucun dédain pour aucun métier.

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31Voilà tout.

32Fernand Divoire

Publicité = poésie

33La publicité est la fleur de la vie contemporaine ; elle est une affirmation d’optimisme et de gaieté ; elle distrait l’œil et l’esprit.

34C’est la plus chaleureuse manifestation de la vitalité des hommes d’aujourd’hui, de leur puissance, de leur puérilité, de leur don d’invention et d’imagination, et la plus belle réussite de leur volonté de moderniser le monde dans tous ses aspects et dans tous les domaines.

35Avez-vous déjà pensé à la tristesse que représenteraient les rues, les places, les gares, le métro, les palaces, les dancings, les cinémas, le wagon-restaurant, les voyages, les routes pour automobiles, la nature, sans les innombrables affiches, sans les vitrines (ces beaux joujoux tout neufs pour familles soucieuses), sans les enseignes lumineuses, sans les boniments des haut-parleurs, et concevez-vous la tristesse et la monotonie des repas et des vins sans les menus polychromés et sans les belles étiquettes ?

36Oui, vraiment, la publicité est la plus belle expression de notre époque, la plus grande nouveauté du jour, un Art.

37Un art qui fait appel à l’internationalisme, au polyglottisme, à la psychologie des foules et qui bouleverse toutes les techniques statiques ou dynamiques connues, en faisant une utilisation intensive, sans cesse renouvelée et efficace, de matières nouvelles et de procédés inédits.

38Ce qui caractérise l’ensemble de la publicité mondiale est son lyrisme.

39Et ici la publicité touche à la poésie. C’est pourquoi M. Henri Lemeunier, directeur de l’Agence littéraire de publicité l’« Encartage », a eu raison de créer le « Grand Prix Beaumarchais » de 35 000 francs, à attribuer à l’écrivain qui réalisera la meilleure publicité ; et je félicite la Revue de la Femme de patronner et de bien vouloir annoncer ce nouveau prix au public des lettres (1)

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40Poètes d’aujourd’hui, attention.

41Je gage que c’est un poète qui obtiendra ce prix, un poète moderne.

42Pourquoi ?

43Parce que…

44Parce que le lyrisme est une façon d’être et de sentir, et que la langue est le reflet de la conscience humaine, et que la poésie fait connaître (tout comme la publicité un produit), l’image de l’esprit qui la conçoit.

45Or, dans l’ensemble de la vie contemporaine, seul, le poète d’aujourd’hui a pris conscience de son époque, est la conscience de cette époque.

46C’est pourquoi je fais ici appel à tous les poètes : Amis, la publicité est votre domaine.

47Elle parle votre langue.

48Elle réalise votre poétique.

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49Le langage est né de la vie ; et la vie, après l’avoir créé, l’alimente.

50Il y a dans le langage parlé la spontanéité qui enveloppe et colore l’expression de la pensée et rend la grammaire instable.

51La phrase est antérieure au mot de la grammaire, le mot est antérieur à la syllabe. Et le langage reste subordonné à la vie dans son infini développement.

52Il y a autant de langages différents que d’individus, et tous les organes des sens peuvent servir à créer un langage.

53Il y a le langage olfactif et le langage tactile, le langage visuel et le langage auditif.

54Un parfum répandu sur une robe, un mouchoir rouge ou vert dépassant la poche du veston, un serrement de main plus ou moins prolongé constituent les éléments d’un langage.

55On peut toujours s’entendre.

56Le geste scande la parole.

57Les attitudes du visage traduisent, en même temps que la voix, les émotions et les pensées.

58Il y a le code des signaux maritimes. Les signaux optiques colorés.

59La T. S. F.

60Le cinéma.

61L’écriture et l’imprimerie.

62Les disques, les phonos et la téléphonie sans fil.

63Les poètes d’aujourd’hui se sont servi de tout cela, et c’est ce que la critique ne veut pas admettre, la critique des catégories et des genres littéraires.

64POÉSIE = PUBLICITE

65Le grand public, lui, ne s’y trompe pas, le grand public qui lit les journaux et dont l’éducation de « l’œil » typographique se fait tous les jours dans la page des annonces, le commerçant qui dispose dans sa vitrine les chiffres et les prix avec une extrême sensibilité, l’industriel qui pour lancer un produit inonde la ville, le pays, l’Europe, le monde, d’affiches multicolores et de lettres gigantesque, et qui étaie les architectures hybrides avec le « Bébé Cadum », le financier international qui pour développer une ville d’eaux, les sports d’hiver ou un pays à tourisme, allume toutes les nuits de nouvelles constellations électriques qui s’appellent Vichy, Vittel, Chamonix, Côte d’Azur, Côte d’Argent, Font-Romeu, la Baule.

66J’admire le grand poète russe Maïakowsky de rédiger tous les soirs le journal lumineux installé sur la place Rouge de Moscou, et d’employer souvent, afin de se faire comprendre par l’énorme foule des illettrés, des images et des signes nouveaux, et jusqu’à des proverbe animés, démotiques, cinématographiques.

67Le grand public qui a vu l’autre année dans le ciel transparent de Paris, un aviateur tracer des lettres de fumée de cent mètres de hauteur, pour annoncer une nouvelle marque d’automobiles « Citroën », a dû comprendre l’héroïsme, la science, l’audace, la précision, la virtuosité, la candeur, l’universalité de la poésie et du poète modernes.

68Industriels, faites faire votre publicité par les poètes d’aujourd’hui.

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69On m’a souvent demandé quelles étaient les sept merveilles du monde moderne ?

70Les sept merveilles du monde moderne sont :

711^e Le moteur à explosion ;

722^e Le roulement à billes S.K.F. ;

733^e La coupe d’un grand tailleur ;

744^e La musique de Satie qu’on peut enfin écouter sans se prendre la tête dans les mains ;

755^e L’argent ;

766^e La nuque dénudée d’une femme qui vient de se faire couper les cheveux ;

777^e La publicité ;

78J’en connais encore 700 ou 800 autres qui meurent et qui naissent tous les jours.

79Blaise Cendrars

80(1) Le règlement du « Grand Prix Beaumarchais » est publié dans le numéro du 15 février de La Revue de la femme.

81Chantecler Revue, 26 février 1927, p. 1.