1Rondeau ne se cantonne pas aux « nouvelles ecclésiastiques » françaises. À la croisée des universalismes chrétien et révolutionnaire, qu’il semble conjuguer, son intérêt s’étend à toute l’Europe et finalement, embrasse le monde dans son observation du fait religieux. Des relations entre l’Église et les États à la politique concordataire menée par le Saint-Siège, de l’engagement de la papauté contre les principes de 1789 au déploiement de la Compagnie restaurée, du développement des sectes aux modes de dévotion et aux persécutions des chrétiens dans le monde, Rondeau construit au fil des pages, au gré des informations qu’il recueille et sélectionne, un tableau kaléidoscopique d’un monde où le religieux exprime et participe intimement aux mutations en cours.

2Les grandes questions qui préoccupent Rondeau sont européennes. Le régime de conquête imposé par Napoléon dans pratiquement toute l’Europe a bouleversé les frontières mais aussi les structures ecclésiastiques. La sécularisation des biens ecclésiastiques et la suppression arbitraire des congrégations régulières, parfois déjà initiées par les souverains régaliens avant la Révolution, ont été appliquées dans tout le grand Empire. Et bien peu d’États reviendront entièrement sur des mesures qui servent leurs intérêts. Les circonscriptions diocésaines ne correspondent plus aux nouvelles frontières fixées par le congrès de Vienne et beaucoup de sièges sont vacants, notamment dans l’ancien Saint-Empire destructuré. De plus, la mise en application des Articles organiques dans le grand Empire a contribué à la diffusion dans toute l’Europe du principe de la liberté des cultes, qui va d’autant plus bouleverser l’organisation confessionnelle des États en vigueur depuis la Réforme que les changements de frontières ont modifié les équilibres confessionnels des populations dans plusieurs d’entre eux. C’est particulièrement le cas de la Confédération germanique et de la Confédération helvétique qui font l’objet d’articles sur la question dans le traité de Vienne. En affirmant la stricte égalité des droits civils et politiques entre les citoyens des différentes confessions chrétiennes, les signataires entérinent la sortie du Cujus regio, ejus religio et reconnaissent le principe de la liberté des cultes1. Un principe rejeté par Rome et qui va constituer l’un des obstacles lors des négociations concordataires menées par la papauté à l’échelle européenne.

3La réorganisation des Églises accompagne et croise celle des États et comprend nécessairement une redéfinition des relations entre les deux pouvoirs. De la Querelle des investitures à l’affaire de la Régale ou aux réformes de Joseph II, l’exercice a toujours été complexe. Mais aux héritages régalien, gallican, fébronianiste, joséphiste ou calviniste défendant le contrôle de l’Église par l’État – et qui convergent avec les aspirations nationalistes –, s’est ajoutée la fracture idéologique qui traverse l’Europe depuis la Révolution française. La condamnation par Rome des principes de 1789, et notamment ceux de la liberté des cultes et de la presse, l’engage résolument dans le camp des monarchies absolutistes et soulève de nouvelles difficultés avec les États qui se sont pourvus d’une Constitution reconnaissant ces principes. Des Pays-Bas à Naples, de la Bavière à l’Espagne, du Portugal à la Suisse, le choix politique influe sur les rapports entre Église et État, mais également sur l’engagement politique du clergé.

4Conscient des enjeux politiques et ecclésiologiques, c’est ce que Rondeau observe attentivement à l’échelle de l’Europe. Lui qui a condamné si sévèrement le concordat de 1801 comme attentatoire aux droits de l’Église gallicane, suit avec réprobation la politique concordataire inédite menée par le Saint-Siège en Europe, qui participe au recentrage de la chrétienté autour de Rome entrepris par la papauté2. Il approuve les souverains qui défendent leurs droits de contrôle sur le clergé et semble se réjouir lorsque les négociations avec Rome sont bloquées, notamment par la question du serment des ecclésiastiques à l’autorité civile. Question qui ne peut laisser insensible un ancien assermenté. Il soutient également sans ambiguïté les quelques ecclésiastiques qui militent, dans la Confédération germanique ou en Espagne pendant l’épisode libéral de 1820, pour une Église nationale et plus indépendante de Rome. L’écho de la Constitution civile du clergé résonne encore dans une Europe marquée par le spectre de la Révolution et Rome entend éviter que l’expérience n’en inspire d’autres.

5Comme la plupart de ses contemporains, ses convictions religieuses sont intimement liées à ses opinions politiques. Antiromain et libéral, c’est à cette double aune qu’il observe et juge l’affrontement idéologique entre l’Europe des rois, celle de la Sainte-Alliance construite au congrès de Vienne sur le refus de l’idéologie révolutionnaire, et l’Europe libérale, celle des défenseurs des principes de 1789, qui opposent aux tenants de l’absolutisme la souveraineté de la nation, la nécessité d’une constitution et d’un système représentatif appuyé sur un exercice du droit de vote plus ou moins large. Rondeau suit la diffusion de ces principes, notamment par le biais de la Constitution de Cadix de 1812, inspirée de la Constitution de 1791 – qui reste sa référence –, au cours des épisodes libéraux de 1820 à Naples, en Espagne et au Portugal, mais aussi dans les colonies d’Amérique du Sud en phase d’émancipation.

6Entre absolutisme et révolution libérale, l’Espagne apparaît à la fois comme le terrain d’affrontement des deux idéologies qui traversent le continent et comme le symbole de la répression générale menée par la Sainte-Alliance contre les libéraux en Europe. L’engagement militaire de la France contre le régime libéral espagnol, en faveur d’un monarque absolutiste, la réintègre certes dans le concert des nations, ou plus exactement des monarchies réactionnaires3. Mais il exprime aussi une volonté politique nettement contre-révolutionnaire en France, qui augure mal de l’avenir de la Charte alors que se profile l’avènement du chef des ultras, le futur Charles X. En outre, l’opposition déterminée du clergé espagnol au régime libéral, parfois les armes à la main, incarne pour les libéraux l’union politique du Trône et de l’Autel dans le rejet, initié et soutenu par Rome, de l’héritage révolutionnaire.

7Enfin, dans ce combat à l’échelle européenne, la Compagnie de Jésus ressuscitée, émanation et symbole d’une papauté engagée contre tout ce qu’il défend, ne saurait être inactive. Et Rondeau ne manque pas de suivre les « manœuvres » de ses ennemis héréditaires hors de France. Il semble considérer la façon dont ils sont accueillis ou rejetés dans un pays comme un indicateur politique et manifeste son approbation aux gouvernements qui ne leur sont pas favorables. Il suit particulièrement le cas de la Suisse, où la question du contrôle de l’enseignement est aussi brûlante qu’en France, et centrée principalement sur les jésuites.