Autel
p. 200-202
Texte intégral
1Planche B
2NAL 2636, f° 26 v° (Jean Langloys)
3 Haec ara tuertur omnes 9
Henricus caietanus
Nunc ara iesu hic est
Quo raperis malè sana cohors? quicunque nefanda
Caede madens sequeris castra inimica Deo.
Nulla ffdes datur haeretico, fuge miles, honestum est;
Ferrum in Christiadas stringere, turpe puta.
Nunc ara hic Iesu est, haec ara tuebitur omnes.
Coelo sacra, bonis tuta, inimica malis
4Cet autel nous protégera tous
Henri Cajetan
Il est maintenant l’autel de Jésus
Où te laisses-tu entraîner, troupe insensée ? Ensanglantée par un carnage
Impie, tu suis l’armée ennemie de Dieu.
On ne donne pas sa foi à l’hérétique. Fuis, soldat, ce n’est pas déshonorant. Crois bien
qu’il est honteux de s’armer contre les Chrétiens.
Voici maintenant l’autel de Jésus, cet autel nous protégera tous.
Il est consacré au ciel, favorable aux bons, hostile aux méchants.
5 La même anagramme du nom latin du légat a déjà été utilisée au f° 4 r° du même recueil. Cajetan est donc ici… un autel, dédié au Sauveur (Sôteri). L’oiseau semble bien reprendre une vignette des Hieroglyphica de Valeriano consacrée à la grue, qui dans cette position désigne la protection (custodia10). « Or en diray-je premierement cecy, qu’ils signifioyent par la Grue le chef d’une armee qui se tenoit sur ses gardes contre les embusches de son ennemy. Car ils proposoyent une Grue qui veille, c’est à dire tenant une pierre en son pied. Et de faict elles font la garde toute la nuict à leur tour, & se chargent de cailloux à fin que leur eschappants si le sommeil les accable, elles soyent convaincues de negligence & mauvaise garde. » Mais on se demande si l’intention n’était pas plutôt de peindre un pélican, symbole du Christ, mieux venu sur un autel, à moins qu’on ne cherche ici à jouer sur une confusion entre les deux11. On a analysé plus haut la construction de l’image. Notons qu’elle aboutit à une composition qui peut sembler presque idolâtre !
6L’énigme vise la noblesse catholique ralliée à Henri IV qu’on appelle à la désertion pour rejoindre le camp des vrais fidèles de l’Église : « On ne donne pas sa foi à l’hérétique. Fuis, soldat, ce n’est pas déshonorant ». Dans ce vers, ffdes ne peut guère se traduire par « salut » comme le propose Rémi Mathieu12. L’idée n’est pas le salut mais le problème, soulevé par les nobles pour justifier leur engagement auprès d’Henri de Navarre, de la foi donnée qui ne peut se reprendre sans déshonneur. Le jeune Langlois réplique ici que c’est à une autre fidélité, à un serment plus impératif que les nobles sont appelés.
7La planche évoque l’importance du serment dans la vie politique au temps des guerres de Religion, dans une société qui est encore « une société de fidélités13 ». À Paris, durant la Ligue, le serment collectif, et sa réitération, tiennent une grande place. Il est au fondement de la Ligue elle-même. C’est sur un serment de fidélité à l’Église romaine que repose l’Union : il engage à suivre « nostre capitaine Jesus Christ ». Comme l’a souligné Denis Crouzet, le modèle est celui de la croisade : la Ligue est une « prise de croix collective14 ». Robert Descimon parle du serment ligueur comme d’une « formalité initiatique15 ». Quinze jours après l’exposition, le 11 mars 1590, a lieu à Paris un nouveau serment spectaculaire, devant le légat, durant une messe à l’église des Augustins. Au moment de l’Évangile, « le prévôt des marchands, les échevins et tous les officiers présents jurèrent devant Cajetan de rester fidèles à la religion catholique, de ne jamais se soumettre au roi de Navarre et de reconnaître pour roi le cardinal de Bourbon16 ».
Notes de bas de page
9 Énéide, II, 523. La référence a été suggérée par Rémi Mathieu à qui j’emprunte l’essentiel de la traduction de cette épigramme (ms. cité, f° 31 r°).
10 Valeriano Pierio, op. cit., l. XVII, chap. xxvii, f° 128 v° : « De grue », trad. 1615, f° 219 r°.
11 Voir, sur le pélican, Portier Lucienne, Le pélican. Histoire d’un symbole, Paris, Cerf, 1984.
12 Ms. cité, f° 31 r°, Rémi Mathieu traduit : « Aucun salut n’est accordé à l’hérétique. »
13 Viguerie Jean de, « Contribution à l’histoire de la fidélité. Note sur le serment en France à l’époque des guerres de Religion », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 82 (1975), n° 2, p. 291-295 : pour lui, seule la foi jurée peut d’ailleurs expliquer l’extraordinaire acharnement des Ligueurs et leur fanatisme. Il cite Jean-Baptiste Denisart (1771) pour qui le serment « est une affirmation faite avec imprécation, c’est-à-dire qu’en prenant Dieu pour témoin et pour juge de ce que l’on dit, on s’assujettit à sa vengeance, si on le prend à témoin d’une fausseté » ou encore Choppin (1617) : « l’obligation contractée par serment réellement presté doit estre tenüe pour chose tres saincte ; et de la vient que par excellence est appelé sacramentum et pour ceste cause tant Nobles que roturiers sont tenus de le garder et accomplir religieusement ».
14 Crouzet Denis, « La violence au temps des troubles v. 1525-v. 1625 », HES, 8 (1989), n° 4, p. 507-525.
15 Descimon Robert, « La Ligue à Paris (1585-1594) : une révision », Annales, 1982, vol. 37, n° 1, p. 72-111.
16 Fouqueray Henri, op. cit., p. 228.
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