1Au terme de ce tableau descriptif consacré aux ports de la France atlantique, ce sont quelque 623 sites que nous avons pu, d’une manière ou d’une autre, identifier. Ce chiffre, important en lui-même, est d’autant plus significatif qu’il est probable que d’autres endroits, certes modestes, ont échappé à notre regard, en raison du silence des sources comme de leur existence parfois temporaire ou interlope. Il constitue probablement le niveau culminant des ramifications portuaires qui ont existé le long de ces littoraux. Par la suite, au cours de la période moderne, en dépit de quelques nouveautés de grande envergure (Le Havre, Brouage, Lorient), beaucoup de sites disparurent, obstrués ou abandonnés.

2Ces données permettent de mesurer la dispersion des activités navales, mais aussi la profondeur de la vie et des enjeux maritimes à cette époque. Les disparités régionales étaient sensibles, selon les contextes géographiques et économiques considérés. Les secteurs présentant les densités portuaires les plus importantes s’observent le long des rives des grands estuaires et sur les chenaux des aires de production saunière. Les indentations du littoral breton furent également propices à la formation de havres de toutes dimensions. Tandis que les ports se font plus rares le long des côtes linéaires, qu’elles soient rocheuses ou dunaires.

3La chronologie qui a vu la mise en place de cette armature portuaire retient l’attention. Pour l’essentiel, les espaces dédiés au stationnement naval et au chargement des marchandises furent fixés entre les xi^e et xiii^e siècles, soit à partir d’installations préexistantes affaiblies par les invasions vikings puis restaurées, soit à partir de sites neufs. Sans surprise, cette genèse s’inscrit dans le même rythme que le grand mouvement de croissance économique qui a dynamisé l’Europe occidentale. Elle est aussi concomitante avec la structuration des agglomérations rurales et urbaines que nous connaissons pour le reste du royaume de France. Quelques extensions de quais ont bien eu lieu à la fin du Moyen Âge pour certains complexes de fond d’estuaire. Toutefois, les créations survenues durant les xiv^e et xv^e siècles sont restées, quant à elles, extrêmement rares, et n’ont pu être lancées qu’au moyen de lourds travaux et à grands frais.

4Une autre constatation : ces ports n’étaient pas – en tout cas pas systématiquement – les prolongements organiques de villes ou de villages adjacents. Cela est particulièrement vrai en contexte saunier. Mais cela vaut aussi pour beaucoup d’autres cas, les populations usagères de ces territoires ayant souvent pris le soin de se tenir à distance, en raison des dangers que de telles portes ouvertes sur la mer laissaient craindre. Les havres intérieurs étaient exceptionnels. Et même les villes dites portuaires se protégeaient de leurs aires navales au moyen de remparts et de forteresses.

5 On aura par ailleurs remarqué le caractère hétéroclite des aménagements, et pas uniquement du fait de l’importance variable du trafic qui animait ces espaces. Si la présence de quais, d’estacades et de jetées, dont la construction et l’entretien nécessitaient des moyens financiers importants, est le signe évident d’une certaine puissance des ports qui en étaient dotés, beaucoup d’endroits en restèrent dénués, ce qui ne les a manifestement pas empêchés de participer activement aux échanges maritimes régionaux voire internationaux. C’est que la qualité intrinsèque du site naturel comptait pour beaucoup dans le succès du territoire portuaire qui y avait été établi ; c’est-à-dire, son adéquation aux contraintes nautiques imposées par les navires employés à cette époque. Un port devenu inadapté aux vaisseaux qu’il était censé accueillir pouvait être déplacé ou, purement et simplement, abandonné.

6Ce que nous retenons enfin, ce sont les efforts, parfois considérables, qui ont été consentis par les populations et les instances publiques pour faire face aux évolutions significatives de l’environnement littoral. En dehors des franges crénelées et rocheuses de Gascogne, de Bretagne et du Cotentin, partout l’océan n’a cessé de remodeler la topographie des côtes, parfois à coups de rabot, le plus souvent par colmatage. On observe alors, chez les sociétés concernées, deux attitudes pour y obvier. Soit elles ajustaient la position de leur port en le déplaçant au gré des retraits de la mer. Soit elles engageaient des travaux pour lutter contre les phénomènes rencontrés : endiguements, construction d’écluses pour chasser les dépôts de vase, fondation d’épis ou de jetées pour contenir les déplacements des bancs de galets et de sable. Les territoires portuaires ont cela d’exceptionnel qu’ils ont suscité, auprès de populations traditionnellement enclines à accepter les phénomènes naturels, des réactions collectives de grande ampleur destinées à y résister.

7Nous l’avons expliqué dans notre propos liminaire : s’il constitue une base nécessaire pour conduire des réflexions portant sur les réalités et les dynamiques portuaires à cette époque, ce tableau géohistorique ne s’y substitue pas. Les observations générales que nous venons de dresser sont autant de sujets qui mériteront d’être spécialement approfondis dans des études ultérieures. Et puis, notre travail d’accumulation de connaissances n’a évidemment rien de définitif. Souvent impressionniste, notre panorama a besoin, par endroits, d’être précisé. Il mérite d’être augmenté, port par port, chaque fois que cela est possible. Il ne faut pas désespérer de découvrir de nouveaux documents bien sûr, en particulier parmi les archives modernes. Et puis, collaborant avec des spécialistes des paléo-environnements, il est possible de reconstituer plus précisément les contextes naturels dans lesquels évoluaient les territoires portuaires. Il faudrait surtout pouvoir accroître les prospections et les fouilles archéologiques, afin non seulement de compléter notre inventaire, mais pour rendre compte très concrètement des réalités matérielles caractéristiques de ces ports. Nous espérons donc que cet ouvrage invitera les curieux comme les chercheurs à poursuivre patiemment le travail.