Introduction
p. 7-11
Texte intégral
1Les aménagements récents qui ont amené plus d’urbanité dans un quartier de Paris particulièrement chargé d’histoire, le square Alban Satragne, au cœur du « quartier des deux gares », celles de l’Est et du Nord, sur un site jadis occupé par la congrégation des prêtres de la Mission devenue sous la Révolution la prison Saint-Lazare nous ont conduit à la réalisation de cet ouvrage. Bien que les imposantes constructions élevées par Vincent de Paul et ses successeurs aient été démolies vers 1940, l’église et l’infirmerie construites par Louis-Pierre Baltard entre 1834 et 1836 ont été miraculeusement conservées. Dernièrement, l’infirmerie a fait l’objet de travaux de réhabilitation pour accueillir la médiathèque Françoise Sagan. Ces aménagements ont été l’occasion pour le Comité d’histoire de la Ville de Paris, au vu de l’importance du site dans l’histoire de l’urbanisation de la capitale, d’organiser en 2013 une exposition dont le présent ouvrage constitue une prolongation et un approfondissement. Celle-ci a surtout été nourrie d’études issues d’un programme de recherche mené à la fin des années 1990 sur l’histoire des sites d’implantation des gares du Nord et de l’Est. Depuis, pour la préparation du présent ouvrage, le Comité d’histoire et plus particulièrement Frédéric Jiméno, auteur d’une des études présentées ici et responsable éditorial du volume, ont mené un important travail d’actualisation, réunissant des contributions plus récentes, pour certaines issues de thèses soutenues depuis peu ou sur le point de l’être.
2Le résultat est d’une grande richesse. Les textes présentés permettent de suivre la création et l’évolution, les extensions et les adaptations des édifices construits pour la Congrégation de la Mission et pour les Filles de la Charité, dont les maisons générales se faisaient face. Ces études mettent aussi en lumière l’importance pour l’histoire de la ville des vastes terrains non bâtis du clos qui curieusement ne furent construits que vers le milieu du xixe siècle. Pendant la Restauration et la monarchie de Juillet, ces terrains furent l’objet d’une intense activité d’investissement et de spéculation : des projets de lotissement comme la société anonyme du Nouveau Quartier Poissonnière qui marquèrent non seulement la morphologie de la ville mais aussi l’histoire économique du pays. Ce n’est qu’avec l’implantation des grands équipements, l’hôpital Louis-Philippe (puis Lariboisière) et les deux grandes gares de l’Est et du Nord que le cœur de l’ancien clos fut vraiment urbanisé, avec les constructions aux abords de la gare du Nord voulues par le banquier James de Rothschild, à la tête de la Compagnie du chemin de fer du Nord.
3 On découvre ainsi l’évolution sur le temps long d’un lieu dans la ville par l’histoire de la propriété foncière. Celle-ci mobilise des sources archivistiques particulièrement riches, parfois peu connues, dont le croisement permet des éclairages inédits et des pistes de recherche nouvelles. On trouve ainsi des lettres de la main de « M. Vincent » qui insiste sur la sobriété à donner aux bâtiments ; parallèlement, les archives des congrégations religieuses apparaissent comme de véritables mines d’information sur l’histoire du Paris des xviie et xviiie siècles. La documentation concernant la construction, l’entretien et la gestion des édifices conventuels semble regorger d’indices précieux sur l’histoire de la construction, l’histoire sociale, les conditions de vie des religieux et des religieuses, l’activité parfois dynamique de sœurs « batisseures ».
4Pour la période contemporaine, les archives des domaines de la SNCF constituent une autre source peu connue. Les documents relatifs aux expropriations nécessaires à l’implantation des gares parisiennes éclairent la nature de ces terrains encore « vides » devenus l’objet de projets immobiliers et industriels pouvant être ambitieux, novateurs et plus ou moins solides. Les auteurs des études regroupées ici portent ainsi à connaissance des sources particulièrement variées et prometteuses pour de futurs travaux : on trouve utilisés les papiers de l’historienne de Paris Jeanne Pronteau, les notes de son cours à l’École pratique des hautes études. à la fin des années 1960 sur les grands lotissements ecclésiastiques à Paris. Pour la période plus récente, au-delà des fonds du conseil municipal, du conseil général de la Seine ou de l’Assistance publique, les documents issus de l’administration municipale, jusqu’ici moins connue comme les archives de la Commission du Vieux Paris, des Services Paysagers ou encore de la Section de stationnement de la Ville de Paris sont des mines pour l’histoire urbaine.
5L’ouvrage se présente en trois parties. La première regroupe trois études topographiques sur le clos Saint-Lazare et ses abords. La première d’Isabelle Derens emploie entre autres les archives de Jeanne Pronteau mentionnées plus haut et nous rappelle la croissance rapide et l’importance en nombre de la congrégation de la Mission qui « passe pour la plus riche du royaume » et dont l’opulence attira les foudres de la foule en 1789. Si le Clos resta relativement peu touché par les transformations urbaines de la période – avec 60 hectares au milieu du xviiie siècle, il en comptait encore 52 en 1789 –, à partir des années 1760, le lotissement d’une partie de ses franges donna bien lieu – comme ailleurs dans Paris à cette époque – à la réalisation de grands hôtels particuliers et d’équipements monumentaux : comme la Caserne pour les Gardes françaises, œuvre de l’architecte, entrepreneur et spéculateur Claude Martin Goupy, détruite en 1926. L’étude de Matthieu Brejon de Lavergnée concerne quant à elle l’histoire de la maison mère des « sœurs grises », un établissement plus modeste mais non moins riche en enseignements que ceux de la congrégation masculine dont, malgré les réticences de Vincent de Paul, elle était voisine. Retraçant sur un siècle et demi les actions d’extension des terrains, de construction et de réfection des bâtiments des sœurs, l’étude contribue à nos connaissances de l’insertion économique des ordres religieux de femmes en France au xviie siècle et renseigne aussi sur les qualités et activités de leurs interlocuteurs propriétaires et entrepreneurs. Les « conflits de voisinage » avec la paroisse Saint-Laurent sont particulièrement intéressants sur l’évolution des conditions de vie quotidienne des Parisiens aux xviie et xviiie siècles, notamment les inquiétudes provoquées par un environnement qui se densifie, par les nuisances liées à la fonte de cloches ou encore à la proximité d’un cimetière. L’étude de Karen Bowie sur la Société civile du clos Saint-Charles qui termine la première partie de l’ouvrage, traite quant à elle d’une période ultérieure, après la Révolution. Elle concerne une entreprise dont l’existence a été découverte dans les archives relatives aux expropriations en vue de l’implantation de la gare du Nord. Portée par certains des mêmes investisseurs que la société anonyme du Nouveau Quartier Poissonnière dont elle constituait une sorte de prolongation, elle témoigne de l’intensité de l’activité spéculative au cours des années 1820 et 1830 sur ces terrains toujours non bâtis.
6La deuxième et plus importante partie de l’ouvrage traite de la maison générale de la congrégation de la Mission, de sa genèse jusqu’à sa démolition autour de l’année 1940. Il regroupe quatre études : celle de Léonore Losserand sur La maison générale des prêtres de la congrégation de la Mission (1632-1792), celle de Frédéric Jiméno sur son embellissement, celle de Pauline Rossi sur sa reconversion après la Révolution et enfin celle de Jean-François Cabestan sur sa transformation en médiathèque. Léonore Losserand présente un méticuleux travail d’archéologie documentaire sur l’évolution du site repris par Vincent de Paul en 1632, autour des vieux bâtiments médiévaux. Des documents relatifs aux marchés, notamment de charpente, engagés par les supérieurs généraux successeurs de Vincent de Paul, René Alméras (1661-1672) et Edme Jolly (1672-1693), permettent de « recomposer le puzzle des phases de construction » des bâtiments édifiés sur le site au cours du xviie siècle et qui y ont subsisté jusqu’à leur démolition presque complète au milieu du xxe. Outre des documents particulièrement intéressants pour comprendre l’histoire des techniques de construction, sont exploitées des séries permettant de préciser la double vocation de Saint-Lazare puisque la maison abrite aussi une maison de force – elle signale d’ailleurs la distinction fondamentale faite par Vincent de Paul entre « correctionnaires » et « aliénés ». Les documents éclairent ainsi le statut social des internés, l’obligation de régler une pension réservant la prison aux couches aisées de la population. L’étude de Frédéric Jiméno sur l’embellissement de la maison essaye de mieux comprendre le rôle social et culturel de la dévotion populaire sous l’Ancien Régime, notamment la commande de tableaux puis leur reproduction sous forme de gravures. À partir de la Révolution, la gestion du mobilier de la maison Saint-Lazare conduit à s’interroger sur la constitution d’une nouvelle hiérarchie artistique établie par les autorités publiques à la suite de l’ouverture du musée du Louvre ; Alexandre Lenoir dont l’importance des critères d’attribution pour la conservation de tel ou tel tableau est ici clairement mise en évidence.
7Avec l’étude de Pauline Rossi nous revenons à la période contemporaine : il s’agit de retracer un siècle et demi d’histoire des bâtiments de la prison Saint-Lazare créée à la Révolution et « les métamorphoses successives du paysage urbain né de sa disparition ». La création de l’infirmerie spéciale confiée à l’architecte Louis-Pierre Baltard est replacée dans le contexte de réforme carcérale de la monarchie de Juillet, la création des prisons de la Petite et de la Grande Roquette puis de Mazas. Par la suite, sous le Second Empire et la Troisième République, l’agrandissement de Paris permet d’envisager de libérer les emprises des prisons des anciens faubourgs parisiens en déplaçant plus loin les détenus, à Fresnes notamment, créée à la fin du siècle. La première demande de démolition du vaste ensemble de Saint-Lazare remonte à 1888, même si « le sort de la prison » ne fut réellement fixé qu’après la Première Guerre mondiale, avec notamment la construction de la sous-station électrique Magenta en 1927. Les archives de la Commission du Vieux Paris témoignent d’une visite sur les lieux en 1930 suivi d’un vœu en faveur de la conservation des parties de la prison antérieures au xixe siècle, vœu auquel la Commission des Monuments historiques s’opposa. À partir de 1930 intervient l’architecte des services techniques de la Ville Gaston Lefol. L’ensemble des élévations est alors soumis à un style pseudo Louis XIII brique et pierre, qui s’empare également de la façade de la chapelle de Baltard, alors parée d’un briquetage, c’est-à-dire de fausses briques. Mais les grandes démolitions, « menées avec une célérité quelque peu déconcertante » n’auront lieu que dans les années 1940. C’est alors Pierre Lefol, « fils, collaborateur et successeur de Gaston », qui reprend le site, désormais concerné par des plans à l’échelle de la région. Avant qu’on ne songe au site de La Défense, le 10e arrondissement n’avait-il pas vocation à devenir un centre d’affaires, « secteur clé » pour le développement de la ville et de la région ? Les chantiers sont actifs : le square Alban Satragne est inauguré en 1956, les travaux du centre postal du 10e sont lancés en 1962, suivi du grand parking Magenta sur six niveaux, achevé en 1970. La fin du siècle voit la fermeture définitive de l’hôpital Saint-Lazare et les débuts des réflexions sur l’insertion d’équipements municipaux, qui aboutiront dans les années 2000 et 2010 à la création d’un gymnase et de la médiathèque Françoise Sagan, inaugurée en mai 2015. Jean-François Cabestan dans un essai sur les coulisses d’une opération de reconversion fait partager la perspective du conseiller expert historien de l’équipe d’architectes responsables. On découvre toute la complexité de telles interventions vouées à adapter à des fonctions contemporaines, des bâtiments conçus pour tout autre chose, à une toute autre époque. De lourdes interventions structurelles, imposées par les charges statiques de la médiathèque s’imposent : non seulement la mise en place d’une « structure auxiliaire » en acier à l’intérieur de l’enveloppe en pierre mais la reprise en sous-œuvre des fondations de l’édifice. On apprend aussi avec quelle attention les services du patrimoine ont étudié le traitement dlecturees menuiseries.
8Enfin la troisième et dernière partie de l’ouvrage aborde le clos Saint-Lazare à l’échelle du quartier, avec deux études, l’une de Karen Bowie sur L’implantation de la gare du Nord dans le clos Saint-Lazare, l’autre de Pauline Prevost Marcilhacy sur Les lotissements autour de la gare du Nord : le rôle de James de Rothschild. L’étude de Karen Bowie évoque les divers sites envisagés dès les années 1830 pour l’implantation d’un équipement dont on avait encore tout à découvrir du rôle qu’il pourrait jouer dans la ville. Les terrains encore libres du clos Saint-Lazare alimentent non seulement des projets de spéculation immobilière mais aussi des projets industriels. Pauline Prevost-Marcilhacy aborde une période légèrement postérieure pour révéler l’activité jusqu’ici ignorée de James de Rothschild en tant que lotisseur. Si l’activité dans ce domaine de ses rivaux, les frères Pereire, est connue de longue date, le rôle de James de Rothschild dans l’urbanisation du quartier autour de la gare du Nord est mis en lumière grâce à une étude croisant archives privées et publiques, notamment des inventaires après décès de la famille Rothschild et des calepins des propriétés bâties de la Ville de Paris.
9Il s’agissait pour le Comité d’histoire de la Ville de Paris de permettre la publication d’un manuscrit particulièrement intéressant sur l’urbanisation du 10e arrondissement tant la construction des gares parisiennes et l’aménagement de leur environnement immédiat modifièrent considérablement la structure urbaine du vieux faubourg Saint-Laurent. Sans-doute était-il aussi nécessaire d’élargir ce premier manuscrit à d’autres disciplines, permettant ainsi la confrontation de méthodes, de sources, de lectures, très différentes les unes des autres. Cette association de chercheurs travaillant sur la topographie, l’urbanisme, l’histoire sociale, l’histoire de l’architecture et celle de la peinture, permet ainsi d’enrichir considérablement nos connaissances sur un quartier qui avait déjà fait l’objet de plusieurs publications. Nous avons volontairement négligé certaines questions aujourd’hui mieux connues, comme la prison Saint-Lazare et ses célèbres occupants ou la prostitution et la propagation des maladies vénériennes, pour n’en citer que deux. Ce projet éditorial permet aussi la participation de jeunes doctorants pouvant ainsi se confronter à leurs premières publications. D’autres éditions du même type devraient être proposées dans les années à venir, ce que le dynamisme de la recherche permettrait, facilitant ainsi un enrichissement de nos connaissances sur notre patrimoine, notre mémoire.
Auteurs
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Karen Bowie
Professeur en histoire et cultures architecturales, à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris – La Villette
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Florence Bourillon
Professeur en histoire contemporaine à l’université Paris-Est Créteil Val-de-Marne (UPEC)
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