Conclusion. Du bilan aux perspectives
Pour une histoire partagée de l’aménagement portuaire et littoral
p. 389-400
Texte intégral
1Au cœur de la réflexion menée dans cet ouvrage se trouve l’histoire des aménagements des ports et des espaces littoraux. Elle est abordée grâce à des études locale, régionale, nationale (Bretagne, Provence, Languedoc, Aunis, Saintonge, France, etc.) et à des échelles fonctionnelles et temporelles différentes (havres, pêcheries, aménagements ostréicoles, balnéaires, petits et grands ports, etc.). Cette histoire démontre, s’il en est besoin, la prégnance de la dimension humaine en matière d’aménagement et de reconversion des espaces portuaires et littoraux. Ainsi sont posés des jalons pour l’étude d’un immense sujet de recherche qu’il est difficile d’épuiser. Le rôle des experts, des ingénieurs, des administrateurs, des édiles, élus et notables, des négociants, des usagers et des professionnels, est donc observé avec attention, notamment en France où l’aménagement du territoire se coule dans l’histoire du développement de l’État, avec ses cohérences, ses insuffisances et parfois ses égarements1.
2L’empreinte de l’homme sur le littoral qui témoigne des usages et des rapports à la mer définit-elle l’aménagement ? Il s’agit là d’une représentation très contemporaine qui renvoie à l’artificialisation alors que dans le passé les usagers se sont souvent contentés de l’architecture naturelle du littoral. Cependant, ce que l’on qualifie d’espace naturel aujourd’hui a pu être façonné par l’homme pour un usage qui n’existe plus. De nos jours, l’aménagement est bien visible, voire fréquent, tout au long des 17 000 km de côtes du littoral français, du port à la conche, de la plage à la jetée, et dans les flots tumultueux des pointes et des caps sauvages d’où émergent les phares. Comme Gérard Le Bouëdec aime à le rappeler2, pour éviter le catalogue, le parti pris de l’historien doit être celui du positionnement des centres d’impulsion des usages qui ont façonné le littoral : les sociétés riveraines (xve-xixe siècle) ; le négoce et la ville-port (xviie-xviiie siècles) ; l’État dans sa mission militaire (xviie-xxe siècle) ; les acteurs de la nouvelle économie industrielle qui fait du port un outil du commerce extérieur (xixe siècle) ; la société globale qui revendique son besoin de mer (xixe-xxe siècle). C’est donc une histoire complexe, qui prend parfois le contrepied du déterminisme géographique, qui renvoie à la question récurrente du financement des projets, à celle de la pertinence des efforts budgétaires et de la vision politique de l’aménagement en réponse à des contextes techniques, économiques et socio-culturels en mutation, ceux par exemple de la mondialisation, de l’entrée dans l’âge industriel ou dans l’ère des « congés payés » ou encore le choix politique de l’individualisme malgré l’interdépendance des activités à l’interface terre-mer.
3Dans la première partie sur l’innovation, la technicité et l’expertise, plusieurs approches ont donné la mesure de ce qui se joue dans la création de l’aménagement fonctionnel portuaire. Cette histoire du fonctionnalisme observée à différents niveaux permet de comprendre les processus de conception, de la mise en projet à la réalisation, sans en escamoter les échecs.
4Nous avons repris la question de l’entretien des ports pour l’époque moderne en tentant de démontrer que les insuffisances techniques habituellement soulignées sont à nuancer. Les ports ont et auront toujours besoin de profondeur, sans dragage régulier l’activité maritime locale est fragilisée. Citons le cas de la rade de Lorient qui a toujours connu un processus naturel d’envasement et où, actuellement, le niveau de sédimentation peut aller de 10 cm à 1 m par an selon l’emplacement, l’origine des sédiments et les courants, soit un volume estimé à 140 000 m3 de sédiments à draguer par an. De nos jours, les opérations de dragage, réglementées par le code de l’environnement et très contrôlées, nécessitent des techniques particulières adaptées à chaque situation. Au xviiie siècle, l’enlèvement des sédiments dans les ports donne lieu à des réflexions et des processus très modernes, qu’il s’agisse d’études préalables et d’expertises combinant analyses scientifiques et techniques, de plans de gestion d’entretien régulier afin d’éviter les grosses opérations toujours plus couteuses ou encore de recherches pour améliorer les procédés de dragage par l’invention et en augmentant le rendement des machines existantes. Celles-ci sont des pontons flottants avec des pelles et des sabots, appartenant à la famille des dragues mécaniques qui n’attendent que le changement de mode de propulsion, les faisant passer du moteur humain à la machine à vapeur. De fait, nous n’avons pas encore repéré dans les archives de projets proches de l’actuelle technique hydraulique par aspiration des sédiments avec de l’eau, le navire équipé d’une élinde aspirant les sédiments en se déplaçant. À la question de l’entretien, il conviendrait d’associer celle de la réparation pour croiser les diagnostics de l’usure du temps et de la viabilité d’un aménagement avec les solutions préconisées et les moyens techniques et financiers qui y sont consacrés. Il nous manque l’apport d’une archéologie des infrastructures portuaires à l’époque moderne pour mieux apprécier les techniques d’aménagement en usage, pour comparer au vrai les savoirs et la pratique des chantiers.
5Réparer, refaire à neuf, réaménager avec l’existant, aménager par la table rase ou en terrain vierge sont autant de possibilités pour des sites portuaires malléables où les technologies se recouvrent, se détruisent et s’effacent. Gilles Bienvenu aborde un sujet fondamental sur l’exécution des travaux « par voie d’économie » à Nantes au xviiie siècle. Il pose le problème de la malfaçon dans les ouvrages qui connaissent des sinistres et pour lesquels le défaut de conception n’est pas retenu. Dans sa recherche du contrôle technique et de la maîtrise des coûts, la ville crée un service technique d’exécution des travaux public dont l’architecte voyer devient un acteur essentiel. La mise en concurrence des entrepreneurs est considérée comme la garantie d’avoir de bons résultats, mais à la condition d’en maîtriser entièrement le processus avec un personnel compétent et bien rémunéré. Ce qui fait écho à la pratique des Ponts et Chaussées décrite plus loin sur le contrôle des entrepreneurs des travaux maritimes. Le port de Vannes, situé au bout de la rivière de Conleau dans le golfe du Morbihan, est confronté au problème récurrent de l’envasement comme tous les ports de fond de ria bretons. Erwan Le Franc présente la succession des projets avortés et des travaux inachevés au cours du xviiie siècle pour rendre le port accessible. La ville a voulu se doter d’infrastructures portuaires utiles au commerce maritime et sans l’engagement financier des États de Bretagne, elle n’y serait pas parvenue. Plusieurs types de professionnels sont intervenus dans les projets, la plupart portent le titre d’ingénieur et assurent l’expertise technique des travaux. Cependant, les édiles vannetais ont tendance à préférer l’architecte local malgré les préséances qui peuvent se faire entendre par-delà le contexte local.
6En France, à l’époque moderne, les estuaires sont des zones critiques où l’on enregistre bien des accidents si ce n’est des naufrages. La Seine, la Loire, la Gironde et le Rhône offrent une large palette de difficultés et de dangers pour la navigation. Le cas des portes maritimes de Bordeaux, décrit et analysé par Jacques Perret, permet de prendre la mesure de l’articulation des moyens déployés entre signalisation, pilotage et cartographie. Ici, avec le phare de Cordouan, la relation entre la forme et la fonction, telle que Jacques Guillerme l’avait formulée3, prend tout son sens dans une évolution où la modernisation technique est confrontée à la monumentalité et à son esthétique. Il fallait donc changer la forme d’un chef-d’œuvre, et plus encore, passer du feu traditionnel au feu tournant, d’où l’idée « d’un choc culturel » où la prévention contre la nouveauté est forte. Le système global d’aide à la navigation qui se met en place au cours du xviiie siècle à l’entrée de la rivière de Bordeaux témoigne d’une politique cohérente de l’aménagement de l’estuaire. Dans ce cadre, les utilisateurs sont les payeurs, et la démarche scientifique et appliquée articule les avis d’experts depuis la base jusqu’au sommet, des bureaux du ministère de la Marine jusqu’aux pilotes côtiers. La question de la monumentalité est encore présente avec le cas des engins de levage à Nantes où Jean-Louis Kerouanton présente une réflexion stimulante sur l’histoire et la place de l’outillage dans l’aménagement portuaire de la Loire au xxe siècle. Les grues, à l’interface des échanges entre les berges, le fleuve et la mer, sont un élément de référence de la lecture des identités portuaires, autant dans leur dimension technique que formelle ou symbolique. La grue Titan 01 au bout de l’île de Nantes, conçue au milieu des années 1960 et active jusqu’en 2002, en est le parfait exemple, elle est aujourd’hui classée monument historique. Commandée par la Chambre de commerce de Nantes, la Titan est une grue marteau sur portique roulant qui peut lever jusqu’à 60 tonnes à 24,30 mètres. Elle est l’image de marque du port et sa condition de développement, notamment par rapport aux installations dont dispose en aval Saint-Nazaire. Le grand port au xxe siècle est donc celui qui peut soulever de très grosses charges, la manutention est ainsi un élément décisif de la performance portuaire, offrant des clés de lecture de l’évolution des techniques et de leur déclassement autant par usure que par sous-équipement.
7La formation de ceux qui ont en charge la résolution technique de la demande d’aménagement a aussi son histoire. Si les Ponts et Chaussées dominent le sujet depuis leur arrivée sur les côtes normandes dans la seconde moitié du xviiie siècle, il faut se souvenir que ces ingénieurs ne furent pas les premiers dans ce domaine, d’autres corps s’y sont attelés durant l’époque moderne. En France, l’enseignement des travaux maritimes destiné aux élèves des Ponts et Chaussées s’est concrétisé dans les années 1830. Vincent Guigueno explique comment remonte du littoral vers la capitale des savoirs et des hommes de terrain qui assurent la formation des ingénieurs et dont l’enseignement est resté structurellement stable jusqu’à la création des laboratoires d’hydraulique maritime à partir des années 1930. Cet enseignement n’est pas vu comme la substitution des arts de l’ingénieur par la Science, mais d’abord comme la confrontation entre des modèles mathématiques et l’expérience collective des ingénieurs « d’eau de mer ». La recherche en laboratoire, devenu centre de calcul, change la pratique et constitue l’étape d’une véritable science des ports où l’on peut désormais, en étant éloigné du littoral, tester en miniature la qualité d’un aménagement.
8La seconde partie est consacrée au thème des travaux, des marchés et des entrepreneurs. Ces derniers sont souvent éclipsés par la figure majeure de l’ingénieur, de l’administrateur ou encore de l’élu. Ici, les enjeux financiers passent au premier plan, en observant les modalités d’attribution des marchés, les procédures de contrôle et la conduite des travaux, en essayant de mieux connaître ces hommes de terrain, leurs stratégies, leur relation avec le commanditaire et le payeur et la manière dont ils ont préempté des marchés et remporté des adjudications.
9Anne Conchon et Éric Szulman ont présenté pour le département des Ponts et Chaussées, les entrepreneurs des ouvrages maritimes dans la seconde moitié du xviiie siècle. Une quinzaine de ports de commerce, voire mixtes, passent du giron de la Marine sous la tutelle administrative du Contrôle général via le département des Ponts et Chaussées principalement durant la guerre de Sept Ans en 1762, puis en 1775 et en 1786 (Dunkerque, Saint-Valery-sur-Somme, Le Tréport, Dieppe, Saint-Valery-en-Caux, Fécamp, Le Havre, Rouen, Honfleur, la rivière de l’Orne à Caen, Cherbourg, Granville, La Rochelle, Les Sables d’Olonne et Saint-Jean-de-Luz). À partir des archives centrales des Ponts et Chaussées et de la Trésorerie (AN, F14, Z et E), il s’avère possible de saisir les logiques complexes qui structurent les rapports établis de 1762 à 1790 entre les entrepreneurs d’ouvrages côtiers et une administration centralisée aux pratiques de plus en plus formalisées. Comme le soulignent d’emblée les auteurs c’est bien sûr la vision d’en haut qui est délivrée, mais elle a l’immense avantage de pallier le défaut d’archives des adjudicataires. Les entrepreneurs préposés aux travaux sont pour la plupart des hommes nouveaux, les anciens marchés ayant tous été résiliés pour éviter aux Ponts et Chaussées d’assumer les dettes contractées par la Marine pour défaut de paiement. Quant aux formes de contractualisation, elles sont déjà bien rodées pour d’autres types d’infrastructures. L’administration des Ponts et Chaussées surveille étroitement l’organisation des chantiers et la progression des travaux, elle veut pouvoir disposer d’un vivier d’entrepreneurs de confiance en leur assurant une main-d’œuvre suffisante et en ne cherchant pas à hypothéquer leur solvabilité. Les profits des entrepreneurs n’en demeurent pas moins aléatoires, particulièrement dès lors qu’il s’agit de gros chantiers nécessitant des capitaux importants. La maîtrise gestionnaire n’est pas garantie, d’autant plus que celle-ci s’inscrit dans les logiques complexes de recours au crédit. Le montage financier des travaux reste ainsi une question essentielle nécessitant le croisement des sources avec plusieurs fonds d’archives locales.
10Avec le cas des entrepreneurs des fortifications du littoral, Benjamin Égasse étudie les stratégies et les trajectoires d’un microcosme lorientais et port-louisien du xviie siècle à la fin du Premier Empire. Ces hommes ne sont pas ou peu connus, ils sont issus de l’artisanat, un monde professionnel dont l’apport dans l’évolution des techniques ou dans l’innovation commerciale et gestionnaire, est aujourd’hui revisité, dépoussiéré, si ce n’est réhabilité tant le milieu des métiers fut longtemps perçu comme routinier sous l’Ancien Régime en France. En tant qu’acteur économique, l’activité des entrepreneurs a donc un impact sur le tissu local en générant des revenus pour les exploitants de carrières, les maçons, menuisiers, charpentiers et couvreurs, ou encore pour les voituriers par eau et par terre. Ces entrepreneurs des fortifications, une quarantaine recensés, sont d’abord des logisticiens et des coordinateurs de différents ateliers. Ils sont également de gros acheteurs de biens fonciers et immobiliers qu’ils revendent ou échangent, se constituant ainsi un capital qui leur permet d’augmenter leur capacité de crédit lors de la réponse aux adjudications. Leur pratique des marchés publics et la gestion de la concurrence à l’échelle locale est bien rodée et assez efficace puisqu’ils sont peu nombreux à se présenter aux adjudications et qu’ils sont tous domiciliés à Port-Louis ou à Lorient bien que l’appel soit diffusé largement à l’échelle de la Bretagne. La question d’une réelle concurrence entre les entrepreneurs est posée, de fait, à de rares exceptions, elle paraît inexistante. Au final, ces hommes qui connaissent les affres du retard des paiements par l’État, semblent bien s’enrichir et sont à la recherche d’une reconnaissance sociale. Enfin, ils sont aussi très actifs à faire reconnaître leur savoir-faire et leurs projets d’innovations, dialoguant d’égal à égal avec les ingénieurs.
11Olivier Levasseur nous interpelle avec une histoire sociale de la main-d’œuvre souvent occultée. Derrière les devis, les plans et le mémoire de l’ingénieur, il faut imaginer la réalité du chantier, plus perceptible au quotidien dans les ports-arsenaux avec les travaux de force confiés aux bagnards, et moins évidente dans les ports de commerce. L’exemple des ateliers de charité dans les ports bretons au xviiie siècle permet de confronter pauvreté et travaux portuaires. Après 1766, une main-d’œuvre abondante et non qualifiée est employée à des travaux de curage et de terrassement dans un contexte économique et social difficile où les mauvaises récoltes et l’inflation paupérisent les campagnes. Plusieurs exemples sont cités, tel Morlaix dont le port est encombré par les débris de l’inondation, ou encore Lorient où se mettent en place des ateliers de charité en 1770 tant la misère s’est développée. L’économie sur les salaires est réelle et l’on discute des avantages de payer ces travailleurs pauvres, parmi lesquels se trouvent des femmes et des enfants, à la tâche plutôt qu’à la journée pour une meilleure rentabilité. Même si les effectifs mobilisés sont faibles, les travaux sont effectués dans les temps impartis. Les ateliers de charité ont donc permis la réalisation de travaux portuaires à moindre coût pour les communautés de ville mais le travail proposé est mal rémunéré, ingrat et soumis au rythme des marées.
12 L’histoire des marchés et des entrepreneurs suppose que l’on tienne compte des lieux et de la typologie des travaux à effectuer et même de la division de ceux-ci entre fourniture, transport et construction proprement dite. Pierre Caillosse présente le cas de la pointe extrême du Médoc où il veut étudier l’adjudication des petits travaux maritimes (église de Soulac, du Verdon et épis de protection) entre le milieu du xviiie siècle et le milieu du xixe siècle en observant à partir d’un corpus constitué de 102 noms, les entrepreneurs et leurs stratégies d’obtention des marchés. À l’échelle d’un territoire isolé, telle qu’est la pointe de Grave, le xixe siècle se caractérise par un éclatement des marchés des petits travaux publics avec des lots adjugés plus petits. Il faut préciser que les travaux de la pointe du Médoc ne requièrent pas nécessairement l’intervention d’entrepreneurs spécialisés du secteur maritime. En raison de la construction en régie, de la séparation des opérations de transport et de fournitures des matériaux en lots de faibles valeurs, on ne voit pas apparaître de gros entrepreneurs. Néanmoins, ces travaux représentent une opportunité pour des entrepreneurs qui cherchent sur le littoral une activité qui leur fait défaut dans leur commune d’origine.
13Jean-Christophe Fichou apporte sa précieuse connaissance de l’histoire des phares construits au xixe siècle pour livrer une étude sur le Service des phares et les entrepreneurs de travaux publics. Le chantier des phares, dans sa phase la plus active de 1825 à 1865, est réalisé par des entreprises locales de taille réduite, qui n’ont pas d’envergure nationale. Si l’on ne décèle pas à première vue de stratégies pour capter les marchés, les questions de concurrence et de cautionnement sont tout de même présentes et les difficultés de certaines entreprises observables comme pour la construction du phare de Belle Ile. Cependant, dans un tiers des cas, les chantiers s’achèvent sans complication ; pour un autre tiers, les devis sont dépassés et l’accord se fait à l’amiable entre l’entrepreneur et l’ingénieur ; enfin, le dernier tiers est celui des réclamations d’indemnités plus élevées. Un point essentiel émerge de cette étude, les entrepreneurs de la construction des phares ne le sont qu’une seule fois, venant sans doute chercher la notoriété, ils ne réitèrent pas l’entreprise.
14Enfin, pour parachever ces portraits d’entrepreneurs du xixe siècle, Catherine Soubeiroux présente ceux qui, travaillant pour l’État, construisent les ouvrages de défense contre la mer du littoral morbihannais. 70 adjudications et leurs dossiers d’exécution lui permettent de reconstruire une histoire de ces petits entrepreneurs, qui n’ont pratiquement laissé aucune archive. Ces bâtisseurs apparaissent dans les dossiers des ingénieurs à l’occasion des réparations d’ouvrages maritimes endommagés par des tempêtes et dans les projets de construction de ports-refuge pour abriter les chaloupes des pêcheurs. Les entrepreneurs sont confrontés à plusieurs types de difficultés : environnementales, conjoncturelles, administratives, et notamment, pour ces dernières, avec les Ponts et Chaussées. Ils sont ainsi au cœur des relations entre État, pouvoirs locaux et population. La construction d’une « poussière d’aménagements » représente un coût pour l’État et pour les petites communes du littoral soutenues par le département. En raison du défaut de moyens, de conflit avec les agents de l’État sur le mode d’exécution des travaux ou encore de désaccords sur le décompte des travaux exécutés, un chantier peut s’avérer complexe. L’analyse des réclamations qui sont toutes d’ordre économique apporte des éléments de compréhension des contraintes imposées aux entrepreneurs. Ainsi, les travaux dans les îles (Groix, Houat ou Hoëdic), se déroulant de fait loin du continent, comportent des contraintes fortes avec, par exemple, le risque d’une main-d’œuvre inactive le temps des marées que l’entrepreneur ne veut pas payer. En outre, des dossiers de réclamations émergent l’imprévision des ingénieurs, les projets mal préparés, et les mutations d’ingénieurs qui sont rarement favorables aux entrepreneurs en cas de contestations.
15La troisième partie dédiée aux enjeux politiques et économiques donne à voir comment les différents pouvoirs agissent dans les ports et sur le littoral et parviennent, ou pas, à une certaine cohérence de l’aménagement.
16Sur le littoral méditerranéen, deux modèles peuvent être mis en regard et sont riches d’enseignements. Gilbert Buti présente le cas des aménagements portuaires et littoraux si diversifiés en Provence du xviie siècle au milieu du xixe siècle. Les enjeux économiques sous-jacents provoquent de nombreux débats, mettent en œuvre de multiples procédures et révèlent d’âpres conflits d’autorité. Les pouvoirs locaux – marchands, négociants, chambre de commerce, prud’homies, corps de ville, etc. – cherchent à infléchir le pouvoir central – Amirauté, Intendance, Parlement – pour réduire les oppositions et surtout définir le financement des travaux. Au final, qu’il s’agisse du grand port ou d’un mouillage modeste, les modifications des aménagements, dont on ne mesure pas clairement les conséquences économiques, sont les miroirs de jeux de pouvoirs.
17L’histoire de l’aménagement portuaire du Languedoc entre Agde et Sète (fin xviie-fin xviiie siècle) étudiée par Stéphane Durand présente le grand intérêt de traiter le sujet de manière systémique avec la nécessité de réévaluer la place des petits ports. Leur aménagement par les acteurs locaux fut un défi considérable à relever face aux jeux de pouvoirs, aux aléas de la conjoncture et à la concurrence des grands ports en plein essor. Le pouvoir royal, les États de Languedoc et les communautés n’œuvrent pas dans la même direction. Sète et Agde bénéficient du soutien de l’État royal tout au long du xviiie siècle, mais ni le roi ni les États ne se préoccupent des autres ports des environs appartenant au même système portuaire intégré.
18Isabelle Aristide analyse le cas de l’aménagement de la baie de Somme à la fin de l’Ancien Régime (1775-1789) à travers les acteurs et le processus de décision d’un projet local porté au niveau national impliquant la Marine, le Contrôle général et les Ponts et Chaussées. Ici nous entrons dans l’apanage du frère de Louis XVI, le comte d’Artois, où la mise en valeur du territoire passe par de grands travaux d’aménagements pouvant rendre Le Crotoy ou Saint-Valery accessibles et où le surintendant des Finances du comte, Radix de Saint-Foy, affairiste et ancien trésorier général de la Marine, s’évertue à valoriser l’espace pour en tirer de nouvelles sources de revenus notamment par la canalisation et l’assèchement du Marquenterre.
19Jean-Christophe Fichou et Olivier Levasseur nous transportent sur le littoral de la Bretagne-Nord à la recherche du meilleur site pour y établir un grand port entre Lannion et Brest. Contrairement à une idée largement répandue, les rivages bretons ne sont pas dotés de ports naturellement favorables et ils nécessitent généralement de très lourds investissements financiers. De tous les projets d’aménagements portuaires de la côte septentrionale du Finistère, depuis l’Aber-Ildut à Morlaix entre le xviie et le xxe siècle, celui de l’Aber-Wrac’h retient l’attention. Port de relâche et de refuge pour la Marine, son activité commerciale et économique reste limitée au xixe siècle. Malgré d’indéniables qualités physiques, le port de l’Aber-Wrac’h n’a donc pas connu de grands travaux, ni de développement commercial, il reste une rade de relâche et à l’orée du xxe siècle, c’est Morlaix plus ancien et mal commode qui concentre tous les investissements.
20Saïgon, port colonial français rêvé comme un nouveau « Singapour », apparaît comme un poste d’observation privilégié de la collaboration entre deux acteurs souvent associés dans les ports de l’ère industrielle, l’administration publique et l’entreprise de navigation privée. Marie-Françoise Berneron-Couvehnes, restitue les étapes de sa création, de son aménagement et de son extension de 1862 aux années 1920 à travers la problématique de la concession de service public. En raison de l’utilité de son service d’intérêt général (la poste), la Compagnie des Messageries impériales obtient des pouvoirs publics, administration coloniale et ministère de la Marine, des facilités d’installation et la possibilité de bénéficier d’infrastructures portuaires indépendantes. En 1930, les installations portuaires de la Compagnie ne constituent plus qu’une simple portion du port colonial, mais elles ont bien rempli leur rôle d’exemple précurseur pour son développement.
21La réflexion géographique sur les espaces portuaires met en lumière la temporalité au sein de modèles d’analyse de l’évolution des ports : maturité, déclassement, abandon, renaissance, reconquête. Autant de voies et d’interrogations sur l’adaptation et le jeu des acteurs sociaux telles que Jean-René Couliou le formule dans sa réflexion sur l’avenir, celui lié aux aménagements et mutations spatiales des ports de pêche de la Bretagne méridionale. Le comportement des populations ou des usagers des ports reste encore déconcertant à ses yeux. Comme au xixe siècle, les économies portuaires sont confrontées à des mutations et de nouvelles aspirations émanent des groupes sociaux nouvellement établis. L’insertion de nouvelles fonctions dans les ports conduit à la récupération et à la reconversion d’espaces portuaires dont les fonctions de pêche sont en recul ou à l’abandon. Toutefois, il convient de nuancer les tensions dans la réhabilitation et la reconversion des espaces portuaires ; le cas des conserveries, passé le temps des conflits sociaux et de la fermeture, ne donne pas lieu à d’aussi vives polémiques que les espaces nautiques, quais et bassins destinés à l’accueil de la plaisance.
22Dans la quatrième partie, nous passons aux aménagements du littoral dans toute leur diversité de l’estran nourricier à la plage récréative.
23Thierry Sauzeau montre comment l’histoire des aménagements de l’estran en Saintonge maritime (1680-1880) est une confrontation permanente d’économies concurrentes depuis la fin du xvie siècle où l’État royal tente de jouer un rôle de régulateur. La période révolutionnaire en dispersant les pouvoirs favorise le développement anarchique des installations. À partir de 1853, la Marine ayant le contrôle de la pêche côtière, l’espace se réorganise à nouveau. L’élevage huîtrier se développe à côté des activités que Thierry Sauzeau catégorise en deux groupes concurrents, ceux de la prédation et ceux de la production. Le temps des prédateurs est celui de l’Ancien Régime, avec ses pêcheries aménagées, héritage d’une exploitation seigneuriale de l’estran dont l’Amirauté doit assurer la surveillance en veillant à faire respecter l’ordonnance de Marine de 1681. Cela consiste notamment à vérifier la hauteur des murs des pêcheries. La déprise des salines et l’absence de travaux coûteux par les propriétaires au cours du xviiie siècle favorisent la reconversion en douceur de la mer des Pertuis dans l’affinage des huîtres. L’estran est un espace faiblement contraint compte tenu des usages communautaires et de son profil davantage tourné vers la subsistance que vers le commerce. En revanche, le rapport à la côte se modifie après la Révolution jusqu’au décret de 1853. Une nouvelle ère de producteurs de l’estran s’ouvre, le commerce l’emporte, le pêcheur supplante le paysan. Il est donc question d’une prise de possession anarchique de l’estran vaseux de la Seudre, sur un fond de libéralisme économique qui favorise ensuite la concentration de la filière huîtrière. Même effets du côté des pêcheries, dont le nombre à plus que doublé en 1853. La conversion définitive à l’ostréiculture intervient entre 1863 et 1873. La privatisation des usages du domaine public maritime est mal vécue par les riverains qui sont ainsi marginalisés en deux siècles de compétitions croisées autour de la richesse halieutique de l’estran saintongeais.
24Pierre Martin présente une étude aboutie des aménagements estuariens « légers » ou « mineurs » en Bretagne sous l’Ancien Régime. Ces derniers sont les témoins essentiels de cultures techniques partagées par un microcosme social regroupant mariniers, pêcheurs, passeurs, maîtres de barques, riverains. Ce sont donc ces petits aménagements estuariens des havres, des passages et des pêcheries qu’il décrit dans leurs formes et leurs mises en œuvre. Il aborde ensuite leurs temporalités, à travers les possibles étapes de l’abandon, de l’entretien ou de la modernisation. Les formes révèlent la richesse des usages et la profonde connaissance des conditions environnementales et des espèces recherchées. Les tensions et les conflits d’usage montrent à quel point ces aménagements furent un véritable enjeu. Ainsi, les fermiers des pêcheries sont assujettis à de lourdes obligations et ceux des passages sont eux aussi contraints d’obéir aux ordres de leurs bailleurs. Le bateau est le bien du bailleur, sa location fait partie de la ferme, le fermier doit donc l’entretenir du mieux qu’il peut. Comme le souligne Pierre Martin, ces espaces estuariens bretons des rias sont en fait très aménagés, on y décèle une complémentarité des savoir-faire évidente assurant la durabilité des usages traditionnels de la pêcherie et du passage par les petits exploitants du rivage à l’époque moderne.
25Jeannine Le Bihan aborde la question du développement ostréicole en Bretagne Sud aux xixe et xxe siècles. L’émergence de cette activité, après l’époque de la cueillette, ou de la pêche des huîtres à la main, au râteau ou à la drague, peu réglementée jusqu’au milieu du xviiie siècle, est difficile à dater car elle est le résultat d’initiatives privées et d’incitations publiques. Les ostréiculteurs ont conquis des espaces vierges et construit des infrastructures spécifiques aux prix de longs efforts. Cet aménagement du littoral par les ostréiculteurs se fait sans expérience du terrain, les pionniers ont choisi les terrains « un peu au hasard », sans grande connaissance, ce qui nécessite des travaux pour lutter contre l’envasement ou des actions d’arasement pour aplanir les sols. Dès les années 1880, baigneurs et propriétaires de villas se plaignent des exhalaisons des vases à La Trinité-sur-Mer. Le manque d’espace est tel que les marais salants abandonnés sont reconvertis permettant la pratique de l’affinage. On retiendra le cas de Ludré, formidable exemple de reconversion et d’adaptation associant, meunerie, affinage des huîtres, maraichage, sel et volailles, et faisant travailler différents corps de métiers autant pour l’entretien des digues que des parcs. L’aménagement se complète avec l’installation sur le domaine public maritime d’équipements tels des cales ou des magasins. Là se matérialise le régime de la concession, les autorisations sont révocables et soumises au paiement d’une taxe. La surveillance des parcs est aussi un problème qui nécessite des aménagements, avec les maisons de garde. Pour finir, la profession a demandé, dans les années 1970, la création de zones spécifiques dès lors qu’elle était confrontée à des conflits d’usage de l’estran.
26On comprend ainsi que l’arrivée de nouveaux usagers renouvelle les conflits et les convoitises sur l’estran. Avec Johan Vincent, nous passons à l’aménagement du littoral pour installer et développer une station balnéaire en Bretagne Sud et en Vendée entre 1800 et 1945. Ici, il sera question du végétal, et non de la pierre, dans l’aménagement du rivage. La nature est un enjeu collectif essentiel à l’organisation et au développement de la ville balnéaire. On y retrouve trois types de paysages aménagés : la forêt de pin, les jardins des villas, et les promenades. En 1810, c’est donc pour fixer les sables du littoral qu’un décret oblige tous les propriétaires à les planter d’arbres ; en l’absence de plantation, celui qui s’en charge devient souvent le propriétaire des terrains. On comprend mieux comment le foncier dunaire a pu devenir spéculatif d’autant que la forêt protège des vents. Une fois l’espace colonisé par les villas, la végétalisation connaît un second développement pour des usages privés donnant à la station son identité. Enfin, pour équilibrer l’urbanisation intensive, les jardins publics, les promenades et les parcs sont aménagés. Le pin maritime fait ainsi une percée remarquable sur les littoraux au point de s’accoler aux noms des communes balnéaires, tels Saint-Brevin ou La Baule. Dans la seconde moitié du xxe siècle, une autre problématique se profile dès lors que le modèle de la villa avec jardin disparaît au profit de l’appartement. Ce dernier induit une trop forte urbanisation pouvant détruire la végétation et les paysages qui ont fait la réputation des villes balnéaires.
27La cinquième et dernière partie concerne les aménagements des voies fluviomaritimes et leurs ports. Nous entrons dans les terres pour atteindre ces ports éloignés du littoral. Les aspects conjoncturels, les types de trafic, les volumes d’échanges de cette circulation aux marches des hinterlands conditionnent le développement des aménagements.
28Depuis Angers jusqu’à Nantes, Florent Godelaine dresse un état des lieux des ports ligériens du xvie au xviiie siècle, de leurs débouchés économiques et de leurs infrastructures. Des domaines viticoles, des mines de charbons, des carrières d’ardoises et des fours à chaux utilisent le fleuve comme débouché commercial. Les ports, rapidement engorgés, sont inadaptés à la réception de l’ensemble du fret de leur arrière-pays. Il en est de même pour le port de Nantes qui doit faire face à l’affluence régulière et massive du fret angevin, chalonnais, montjeannais, ancenien, mêlé au fret global ligérien. Un système de réseaux, dont les marchands et voituriers par eau sont les acteurs, structure le fret sur la Loire et ses affluents. En restituer l’épaisseur historique permet une lecture du potentiel patrimonial de ces ports.
29L’existence de projets et les réalisations de la « rivière de Nantes » évoqués par Bernard Michon, rappellent combien le port était saturé et encombré au xviiie siècle autant par le fret des caboteurs que celui de la batellerie assurant les liaisons en amont. En aval, les nombreux sites de chargement et de déchargement des navires le long de l’estuaire s’imposent en fonction de leur capacité d’accueil en termes de tonnage. Les conditions de navigation le long de la Loire et d’accès au site de fond d’estuaire sont une préoccupation majeure pour les négociants nantais qui rêvent encore d’un port maritime de haute mer alors que les navires hauturiers restent en aval. De fait, les travaux réalisés, qui restent insuffisants, représentent aussi un enjeu pour ces négociants qui entendent contrôler étroitement l’estuaire pour pérenniser leur activité portuaire et empêcher tout développement concurrentiel en aval.
30Les aménagements et la navigabilité de la Vilaine fluviomaritime au début de l’époque moderne ont été étudiés par Katherine Dana. La volonté de développer cette voie navigable apparaît dès le xvie siècle. Les ports de l’estuaire de la Vilaine sont intégrés aux routes de cabotages locales, bénéficiant de la proximité de l’estuaire de la Loire et du commerce atlantique. Rennes, éloigné du littoral, cherche à domestiquer « son » fleuve et à réaliser la jonction avec l’aval. La façon de mener des travaux de canalisation, sans connaissances théoriques, ni techniques, avérées en hydrologie, permet de comprendre comment l’on peut s’affranchir des contraintes naturelles et quelles furent l’efficacité et la pérennité de ces aménagements. Dès 1542, la jonction entre Messac et le port de Rennes est réalisée à l’aide de neuf pertuis, ou écluses simples, installés au sein même des retenues d’eau médiévales. La navigation s’impose au détriment d’usages anciens, remplissant l’objectif principal de la canalisation pour faire de la Vilaine une des voies d’approvisionnement du marché rennais. Le réseau d’écluses simples n’est pas performant, c’est l’usage qui démontre la nécessité d’améliorer la conception des écluses. La ville de Rennes a recours alors à des entrepreneurs pour construire un réseau d’écluses depuis Messac.
31Autre exemple de système portuaire fluviomaritime, celui la Charente, présenté par Thierry Sauzeau. Du xviie au xixe siècle, Tonnay fait office de port de rupture de charge au trafic redynamisé par le marché de l’eau-de-vie. Le développement du port de Rochefort, à partir de la seconde moitié du xviie siècle, n’affecte pas son activité. Tonnay-Charente par sa position de fond d’estuaire, par l’aménagement du site au xixe siècle et le dynamisme de sa bourgeoisie a su poursuivre son activité et s’adapter sur le temps long. Tonnay-Charente offre ainsi un bel exemple de trajectoire portuaire dont Thierry Sauzeau restitue les étapes en mesurant l’activité, en expliquant la capacité d’accueil de navires de plus en plus gros et en analysant les recompositions sociales. En effet, le négoce tonnacquois est inféodé aux intérêts des maisons de Cognac ; en 1815, l’oligopole des spiritueux a survécu à la crise, mais le port s’ouvre grâce à la greffe d’opérateurs extérieurs, voire étrangers, à la diversification commerciale par une reconversion passant d’un point de rupture de charge de l’eau-de-vie à une fonction d’entrepôt de houille.
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32La richesse des contributions présentées ici, témoigne, nous l’espérons, d’une recherche sur l’histoire des aménagements portuaires et littoraux très dynamique et renouvelée dans ses approches. Il manque certainement des pièces au puzzle, telle l’histoire des ports de plaisance qui peuvent désormais faire l’objet d’une analyse sur près d’un demi-siècle ou celle des moyens de capture des énergies marines. Les questionnements et la matière informative rassemblés ouvrent des perspectives dans cinq grandes directions : la fonctionnalité, le financement, l’expertise, les trajectoires, les usages. Les ports et leurs activités économiques contribuent à la richesse des territoires, mais leur aménagement qui reflète des jeux de pouvoirs n’en est pas toujours la condition première. La question essentielle, qu’il faudra continuer de creuser, reste à l’évidence celle des paramètres techniques et financiers. L’aménagement est devenu un processus complexe qui échappe progressivement aux usagers, le pouvoir des ingénieurs s’impose, la réalisation devient l’affaire d’entrepreneurs que l’on commence désormais à mieux connaître. Toutefois, à rebours de cette évolution, l’on peut arguer que le xxe siècle finissant, en France, fut le temps du retour des usagers dans le débat public, et notamment depuis la création de la loi instituant les études d’impact en 1976. À tel point que l’on a pu parler de « re-socialisation » et de « re-politisation » de l’aménagement en France4. La nature des projets, le jeu des acteurs, tels étaient les thèmes retenus pour travailler le champ de l’aménagement aux temporalités variées. Les défis à venir portent sur les enjeux socio-environnementaux, qui ne sont d’ailleurs pas nouveaux, et plus encore, d’adapter les territoires littoraux au changement climatique annoncé.
Notes de bas de page
1 Desportes M. et Picon A., De l’espace au territoire : l’aménagement en France (xvie-xxe siècles), Paris, Presses de l’École nationale des ponts et chaussées, 1997.
2 Le Bouëdec G., « Économie atlantique et profil des villes-ports en Europe (xviie-xixe siècles) », dans G. Saupin (dir.), Villes atlantiques dans l’Europe occidentale du Moyen Âge au xxe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 45-56 ; Les ports du Ponant : l’Atlantique de Brest à Bayonne (avec Couliou J.-R.), Quimper, Palantines, 2004, 478 p. L’ouvrage a reçu le prix du Cercle de la mer en 2005.
3 Guillerme J., L’art du projet. Histoire, technique et architecture, éd. V. Nègre et H. Vérin, Wavre, Éditions Mardaga, 2008, 382 p.
4 Lavaud-Letilleul V., « L’aménagement portuaire en débat. Points de vue d’acteurs sur les grands projets d’équipement portuaire du littoral français », Norois, n° 225, 2012, p. 11-28.
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