L’aménagement du littoral, l’exemple de l’ostréiculture en Bretagne Sud (1850-1986)

Jeanine Le Bihan

p. 319-326


Texte intégral

1Jusqu’à la fin du xixe siècle, la cueillette des huîtres s’effectue de trois façons : elles peuvent être récoltées à la main ou à l’aide de petits instruments sur l’estran à marée basse, être pêchées au râteau ou à la drague. La drague est un grand filet garni de fer qui racle le fond de la mer souvent muni d’un sac ouvert sur l’extérieur. Accrochée au bateau, elle permet de ramasser une plus ou moins grande quantité d’huîtres. Par extension, la drague est aussi le nom donné à la pêche des huîtres, relatée par Roger Vercel en 1948 dans son livre La Caravane de Pâques : la caravane faisant référence à l’ensemble des bateaux qui s’élancent pour la pêche, Pâques désignant cette période de pêche (en mars-avril, en général, même si pendant longtemps, elle fut autorisée jusqu’en septembre)1. La pêche des huîtres n’a été réglementée que vers le milieu du xviiie siècle comme le rappelle Olivier Levasseur dans son ouvrage sur L’histoire de l’huître en Bretagne : « le xviiie siècle marque un tournant dans la gestion des ressources marines : on s’inquiète des baisses de capture et on met peu à peu en place les prémices d’une politique des pêches raisonnées2 ». Jusqu’à cette date, les contemporains sont persuadés de la richesse des bancs naturels : c’est pourquoi, dans l’ordonnance de la Marine de 1681, il n’est mentionné aucune restriction. Ce n’est qu’en 1755 que le Parlement de Bretagne rend un arrêt portant défense de draguer des huîtres sur le banc de Tréguier hors du temps du Carême, décision prise à la suite d’une demande du maire Parthenay-Duplessis3. En Bretagne Sud, il existe peu d’archives sur l’état des huîtrières excepté en 1836, un règlement de la pêche promulgué dans le havre de Pénerf (Damgan). Son étude montre que ce sont d’abord des initiatives locales qui sont à l’origine de ces réglementations4. Mais ces dispositifs qui encadrent la pêche, la taille des huîtres, les jours de pêche autorisés, ne sont pas respectés. Les captures diminuent alors qu’avec le développement du chemin de fer, la demande d’huîtres augmente. Ce problème inquiète le ministère de la Marine car cette activité est, en théorie, réservée aux seuls inscrits maritimes.

2 L’émergence de l’ostréiculture est difficile à dater car elle est l’aboutissement d’expériences privées et d’incitations publiques ; elle est aussi le résultat d’une longue réflexion sur les moyens de « cultiver la mer ». L’ostréiculture est « née » à partir du moment où la capture des larves d’huîtres sur des supports a été maîtrisée, soit à la fin du xixe siècle. Les demandes de concessions affluent alors au ministère de la Marine, seul habilité à délivrer les autorisations. Le littoral devient un lieu de travail pour les ostréiculteurs. Cette contribution se propose de travailler sur l’aménagement de l’estran par les ostréiculteurs. Dans un premier temps, nous verrons comment ils ont conquis des espaces vierges qu’ils ont aménagés souvent au prix de longs et coûteux efforts. Puis, comment, au fur et à mesure du développement de leur activité, ils ont construit des infrastructures dites ostréicoles : maisons de garde, cales d’accès et terre-pleins.

La création des parcs à huîtres

Sur des espaces vierges

3Peu de sources existent sur l’aménagement du littoral par les ostréiculteurs. Les arrêtés ministériels autorisant l’installation des parcs à huîtres ne mentionnent que deux choses : l’emplacement (qui n’est pas toujours bien indiqué) et la surface demandée. Cependant, en 1875, à l’occasion de l’organisation du concours régional d’agriculture de Vannes, une section spéciale est ouverte pour l’ostréiculture. À cette époque, l’activité connaît de graves difficultés : la mise en pratique des théories sur la fécondation artificielle de Victor Coste, naturaliste et chargé par Napoléon III d’une mission pour le repeuplement des mers, est difficile. Les concessionnaires se heurtent en effet à des problèmes de choix du terrain et de choix du support pour la capture des larves. Dans le cadre de ce concours régional d’agriculture de Vannes, les pionniers sont invités à rédiger un mémoire sur leurs débuts dans l’ostréiculture : c’est ainsi que seize manuscrits sont conservés aux archives départementales du Morbihan5.

4Comment choisissent-ils un terrain ? Aujourd’hui, ce choix résulte d’une grande expérience, d’un savoir-faire et d’une connaissance du terrain « idéal » pour l’élevage des huîtres. Mais à la fin du xixe siècle, ce n’est pas le cas. La plupart du temps, ils choisissent un terrain un peu au hasard : l’étude des archives montre que tous les points du littoral sud breton (et sans doute français) ont été prospectés, aménagés et parfois abandonnés, faute d’une connaissance précise de l’état des terrains. Cette méconnaissance coûte cher. Alphonse Liazard, propriétaire d’un château au Plessis-Kaër en Crac’h et concessionnaire de parcs dans la même rivière, en témoigne dans son manuscrit déposé lors du concours régional d’agriculture : « il en survint un envasement contre lequel j’essayai vainement de lutter et qui finit par me forcer à détruire les premiers travaux qui, cependant, m’avaient coûté un prix très élevé ». De plus, le terrain concédé est souvent impropre à une utilisation immédiate. Alphonse Martin de Kergurioné en Crac’h rappelle que « le terrain de ma concession était tellement à pic et hérissé de rochers qu’il a fallu se servir de la mine pour aplanir le sol. Dans d’autres endroits, j’ai enlevé un mètre de vase et égalisé le terrain au moyen de petits galets que je faisais venir de Quiberon par bateau qui me portait à chaque voyage une trentaine de tonneaux ». Ces travaux d’appropriation sont donc une première modification de l’estran par les ostréiculteurs notamment avec la technique du macadamisage, procédé qui consiste à durcir le sol en superposant une couche de sable et une couche de vase. Dès la fin du xixe siècle et alors que la prise de sable par les ostréiculteurs est réglementée, des conflits d’usage éclatent à propos de la dégradation des « paysages » du littoral. En 1884, par exemple, les ostréiculteurs de la commune de La Trinité-sur-Mer sont confrontés à des plaintes de baigneurs et de propriétaires des villas voisines incommodés par les odeurs de la vase en décomposition6.

5Les ostréiculteurs rencontrent bien vite un autre problème : le manque d’espace. En effet, l’élevage des huîtres sur le sol, commencé vers 1870-1875 suite à la surproduction du naissain, exige de grandes vasières : seul le golfe du Morbihan et une partie de la rivière d’Étel répondent à ce critère. Une solution est bientôt trouvée : empiler des huîtres dans des caisses en bois de sapin. Appelées aussi « ambulances » ou « caisses ostréophiles », elles sont d’abord utilisées pour protéger le naissain fraîchement détroqué. En effet, à l’âge de neuf mois environ, le naissain ou bébé huître est enlevé du support sur lequel il a grandi à l’aide d’un couteau spécial. Les spécimens blessés lors de cette opération sont placés dans ces boîtes recouvertes d’un grillage très serré, empêchant ainsi les prédateurs, crevettes et autres amateurs, de les dévorer. Les caisses ostréophiles sont donc modifiées pour permettre de placer plus d’huîtres et sont déposées sur le sol, si celui-ci est suffisamment dur, sur des piquets s’il est trop vaseux. Pierre Dalido lui-même descendant d’une famille de pionniers en donne une description dans son ouvrage, L’huître du Morbihan : « le modèle des caisses varie d’une exploitation à l’autre. Certaines ont quatre, d’autres cinq compartiments. Les unes ont des couvercles pleins, d’autres des couvercles en toile métallique ou bien des couvercles d’une seule pièce ou en deux parties s’ouvrant au moyen de deux charnières7 ». Elles sont toutes coaltarées c’est-à-dire enduites de goudron pour empêcher les attaques de tarets. À la fin du xxe siècle, le bois est remplacé par le plastique, plus résistant et surtout plus maniable. D’autres espaces du littoral vont rapidement être reconvertis en parcs à huîtres : les marais salants.

La reconversion des marais salants

6À la fin du xixe siècle, suite à la concurrence des salines du Midi et de l’Est dont les droits d’importation ont considérablement diminué, la saliculture décline. Cette activité est présente sur certains points du littoral du sud de la Bretagne comme Carnac, La Trinité-sur-Mer, Baden, Arz, Le Tour-du-Parc, Séné, Saint-Armel ou encore Le Croisic8. Une poignée d’ostréiculteurs deviennent propriétaires ou locataires des marais salants abandonnés et les reconvertissent en parcs à huîtres : c’est le cas de Jardin, négociant à Auray et locataire d’une partie de l’île d’Arz en 18869. La reconversion de ces espaces permet aussi la pratique de l’affinage, aussi appelée engraissement, opération consistant à faire grossir le foie de l’huître et plutôt pratiquée en Charente maritime.

7C’est cette technique de l’affinage qui va être utilisée dans les marais salants de Ludré en Saint-Armel. Si le nom de Pozzy est lié à Ludré, l’établissement est d’abord une minoterie appartenant à la famille Dalido. Le 12 avril 1856, Julien Dalido achète le moulin de Ludré aux héritiers du baron de Faverot pour la somme de dix-sept mille francs. En 1859, par le biais de son fils Julien, Guillaume s’associe avec Martial Pozzy, ancien notaire de Sérent. Ils forment une société en nom collectif ayant pour objet le commerce de la meunerie. Cette société prend le nom de J. Dalido et Cie. À la mort de Guillaume en 1868, la société est dissoute : Martial Pozzy reste le seul propriétaire et Julien Dalido, le directeur d’exploitation. De 1861 à 1874 Martial Pozzy entreprend de transformer le moulin en minoterie. À la fin du xixe siècle, Ludré est le centre d’activité le plus important de la presqu’île de Rhuys avec deux étangs communicants de 125 hectares10. En 1874 toujours, Martial Pozzy a l’idée d’utiliser ces grandes réserves d’eau pour l’élevage et l’affinage des huîtres. Quatre ans plus tard, l’établissement obtient la médaille d’or à l’Exposition universelle de 1878. L’établissement de Ludré est ainsi décrit :

« 60 hectares de terrains maritimes, fortement endigués dont 32 hectares formant un réservoir alimenté à chaque marée par de l’eau de la mer, qui n’a servi jusqu’ici qu’à faire tourner les onze paires de meules de la minoterie […] des 28 hectares restants, les 8 hectares au Nord ont été convertis en trois parcs à huîtres […] et les 20 hectares au Midi sont en voie d’appropriation pour la même destination. »

8Cette exploitation est « protégée par des digues de première puissance et aussi heureusement aménagée par des vannes d’alimentation et de dessèchement ». Enfin, en plus des activités de minoterie et d’ostréiculture, Ludré est aussi un centre d’exploitation agricole avec la culture de légumes (d’asperges notamment), un dépôt de sel et des poulaillers et « occupe à lui tout seul un grand nombre d’ouvriers maçons, charpentiers, menuisiers, couvreurs et journaliers pour la construction et l’entretien de ses digues, de ses magasins, de ses maisons de garde, de ses vannes, de ses caisses pour l’appropriation du sol de ses parcs et enfin pour les soins de tous les jours à donner aux huîtres ». Ludré est un bel exemple de reconversion de marais salants et aussi de la maîtrise presque complète de la filière ostréicole. C’est aussi et surtout une initiative privée comme il en existe tant d’autres en ostréiculture. D’autres personnes ont imité ou précédé Martial Pozzy : c’est le cas par exemple du baron de Wolboch dont les marais salants de la Trinité-sur-Mer ont été reconvertis en parcs à huîtres pour l’élevage.

9Le ministère de la Marine a tenté d’implanter l’élevage des huîtres plates dans le quartier du Croisic. En 1877, le vicomte de Saint-Pern loue à la Marine une saline dite de la Réale, dans la commune de Batz. Le ministère de la Marine soucieux de reconvertir les paludiers à l’ostréiculture ; elle embauche même un ancien paludier comme gardien de la Réale, achète des caisses ostréophiles, des huîtres du Morbihan… Mais peine perdue : en 1882, la Réale est rendue à son légitime propriétaire sans que l’on sache pourquoi. En effet, les sources manquent entre 1877 et 188211.

Les infrastructures ostréicoles

Caractéristiques

10Très vite, les ostréiculteurs vont demander l’autorisation de construire divers bâtiments sur le domaine public maritime afin de faciliter leur travail. En 1861 par exemple, Alphonse Martin de Kergurioné établit une maison de garde, un atelier, un magasin ainsi que six petits bassins encore appelés réservoirs12. Les ostréiculteurs vont ensuite bâtir des terre-pleins, des cales de débarquement, des bassins d’expédition ou encore, plus récemment, des tables et des poches.

11L’ostréiculteur doit faire une demande de concession auprès du ministère de la Marine. La procédure est la même que pour les parcs à huîtres. Le pétitionnaire envoie un courrier au ministère de la Marine (bien souvent par le biais du commissaire de l’inscription maritime) dans lequel il demande l’autorisation de construire un aménagement (cale, terre-plein, magasin ou encore maison de garde) en précisant la commune et la superficie souhaitées. La requête est ensuite soumise à l’approbation de l’ingénieur des Ponts et Chaussées qui en mesure l’impact sur la navigation et la libre exploitation des côtes. Si la demande est acceptée, l’ostréiculteur reçoit un arrêté d’autorisation. Cette permission est accordée pour un temps limité si elle est située sur le domaine public maritime. Elle est précaire et révocable et est soumise à une taxe, la redevance, calculée selon la surface accordée. Dès la fin du xixe siècle, les ostréiculteurs demandent la fin du régime précaire et révocable de leurs concessions.

12Dans un premier temps, certains ostréiculteurs n’ont pas réalisé d’aménagements. Une famille rencontrée dans le cadre de nos recherches en rivière d’Étel nous a avoué que le détroquage13 des huîtres se passait en général sur la grève ou dans la cuisine les jours de pluie14. De plus, il n’est pas possible de dire qu’un terre-plein ou une cale de débarquement appartient à un seul ostréiculteur. Nous savons que plusieurs personnes pouvaient les utiliser : c’est encore le cas en rivière de Pénerf en 1973. En effet, afin de venir en aide aux ostréiculteurs touchés par deux parasitoses sur les huîtres portugaises, l’État lance la procédure des calamités agricoles. L’indemnisation est possible si les ostréiculteurs remplissent plusieurs conditions dont le paiement d’une assurance sur les bâtiments d’exploitation (ou chantier). Or, ce n’est pas le cas de tout le monde. Lors de la réunion d’information du 25 avril 1973 concernant les causes de rejet de certaines demandes d’indemnisation, le maire du Tour-du-Parc, estime qu’il y a discrimination envers les ostréiculteurs de sa commune car, en effet, la plupart d’entre eux sont des éleveurs : ils ne possèdent que peu de matériel et de bâtiments d’exploitation. Ils travaillent sur des terre-pleins de faible valeur et qui ne sont donc pas assurés, sur les chantiers de leurs familles voire de leur patron s’ils sont aussi ouvriers ostréicoles15.

Typologie des infrastructures ostréicoles

13La construction d’infrastructures n’est pas l’apanage des ostréiculteurs. Afin de protéger les bancs naturels d’huîtres, le ministère de la Marine a construit des maisons de garde en pierre et assez hautes16. Elles abritent des gardiens chargés de surveiller les huîtrières. En 1864 par exemple, le ministère de la Marine décide la construction de « cinq maisonnettes pour les gardiens d’huîtrières dans les quartiers de Lorient, Auray et de Vannes17 ». En 1919, la direction des travaux maritimes de Lorient en charge de la construction de ces édifices publie une liste de ceux qui sont transférés au département du commerce : la maison de garde maritime du Bélon en la commune du même nom, de Bascatique en Baden, de Saint-Philibert en rivière d’Auray, de Fort Espagnol en Crac’h, de la Pierre Jaune en rivière d’Auray. Il n’existe plus aucune maison de ce type dans l’entre-deux-guerres18.

14Les ostréiculteurs sont aussi confrontés au vol de leurs huîtres dans leurs établissements. Dans un premier temps, ils demandent au ministère de la Marine d’assurer la surveillance de leurs parcs à huîtres, bien souvent situés à proximité des bancs naturels. Mais le ministère refuse. Les ostréiculteurs construisent alors des maisons de garde destinées à surveiller leurs parcs mais aussi leur personnel. Louis Hédan banquier d’Auray et concessionnaire de parcs à Baden est déclaré en faillite le 27 août 1885 par le tribunal de commerce de Lorient. Le juge de paix du canton ouest est chargé d’apposer les scellés sur les biens du banquier. Il rencontre alors Louis Barran, régisseur de l’exploitation de Pen Toul en Baden qui « vit dans une petite maison au rez-de-chaussée, avec premier étage, grenier et appentis ». Le garde du parc, quant à lui, vit dans une maison située à cinquante mètres de là, et où « dans la chambre à droite en entrant, nous avons constaté un trémail, une senne, dix pelles ferrées, deux roues en fer à engrenage et quelques autres objets de matériel de parcs de peu de valeur. » La maison sert donc à la fois de logement pour le garde, mais aussi d’entrepôt de matériel. Chez Hédan, elle ne semble pas construite sur un terre-plein, à la différence de ce qui s’observe chez les autres ostréiculteurs19.

15Le terre-plein est un ensemble de trois murs en pierre sèche, accroché à la terre ou à la falaise. Il est comblé par divers matériaux dont la pierre, la terre ou le sable et peut être de diverses formes : rectangulaire, trapézoïdale ou triangulaire. Ses fonctions sont diverses. Il peut abriter un atelier de détroquage comme c’est le cas chez la veuve Unillaud-Duthé à Arradon qui, obtient en novembre 1888, l’autorisation de « prolonger son terre-plein de dix mètres vers le rocher d’Arradon sur une largeur de huit mètres et à établir sur ce prolongement un petit atelier de détroquage de six mètres de longueur sur cinq mètres de largeur ». L’ingénieur des Ponts et Chaussées note qu’il existe déjà une maisonnette sur ce terre-plein20. Nous avons peu de renseignements sur ces maisonnettes. Seul le baron de Wolboch, ostréiculteur à La Trinité-sur-Mer, indique dans sa demande en 1911 qu’il construit deux cabanes en planches pour les besoins de son industrie ostréicole21. Madame Noblanc est plus explicite quant à l’utilisation de cette cabane : « pour ramasser les ustensiles servant à notre besogne pour le dit parc tels que caisses, fourches et paniers22 ». Il semble que ce terme « cabane » soit un synonyme de « magasin ». Selon Hinard et Lambert, le terme « magasin » ou « cabane » s’applique aux bâtiments destinés au triage et à l’emballage des huîtres23. C’est le cas de Pierre Lavigne qui, en 1908, est autorisé à élever sur son terre-plein un magasin de trente mètres sur dix « indispensable pour diverses manipulations des huîtres » dans l’anse de Port-Fétan en rivière d’Auray24. Enfin, le terre-plein peut servir de plate-forme pour le chaulage des tuiles comme chez Jules Caillot, propriétaire et ostréiculteur en rivière de Crac’h, qui demande en 1888 l’autorisation de conserver trois terre-pleins (pour une superficie totale de 608,90 m2) « servant au détroquage des huîtres et au chaulage des tuiles25 ».

16Les ostréiculteurs demandent aussi l’autorisation de construire des cales de débarquement afin de charger ou de décharger leurs bateaux. En 1897, le sieur Juteau ostréiculteur à Vannes, obtient l’autorisation d’établir une cale de débarquement « qui aurait 16 mètres par 2,30 et dont le couronnement serait formé de deux rampes et d’un palier raccordés par des escaliers. La cale serait située au droit de sa maison sur la rive gauche du goulet de Conleau en Séné et serait amarrée au quai26 ». Ces structures doivent être laissées à la disposition du public et sont donc moyennement taxées :

« monsieur le directeur général des Domaines conformément aux instructions de monsieur le directeur des Finances a prescrit de n’imposer que des redevances purement nominales pour les occupations temporaires du domaine public maritime nécessaires à l’établissement des quais, des cales, des chaussées, chemins et autres installations accessoires des parqueurs et n’ayant d’autre objet que l’exploitation des établissements ostréicoles à la condition que ces divers ouvrages soient laissés à la disposition du public27 ».

17Les ostréiculteurs créent les aménagements nécessaires à la poursuite de leurs activités mais doivent en laisser l’accès libre au public. Dès la fin du xixe siècle, ils construisent de petits bassins où ils déposent leurs collecteurs, l’hiver, ou les huîtres en attente d’expédition28. Suite à la crise de la typhoïde en 1903, ces bassins deviennent des lieux d’épuration de l’huître qui se débarrasse de ses impuretés (sable, vase, petits cailloux) et apprend aussi à garder son eau : c’est la technique du trompage29. Il existe deux types de bassins. Certains sont submersibles et se présentent sous deux formes : un simple dépôt établi sur le rivage et délimité par des murets de pierres sèches, soit un dépôt creusé dans le sol. Dans le premier cas, le dépôt est baigné par la mer deux fois par jour ; dans le deuxième cas, le bassin est clôturé. Le sol est en argile naturelle, gravier ou en maçonnerie. Mais ces bassins ne sont pas à l’abri de la pollution car sont souvent construits près des agglomérations, des ports ou des usines. C’est pourquoi, il existe aussi des bassins insubmersibles. Ces derniers sont souvent en maçonnerie, alimentés en eau par un chenal et vidés par le biais d’un canal. Une ou plusieurs réserves d’eau sont annexées à ces bassins : elles permettent, entre autres, de nettoyer les huîtres avant l’expédition. À Marennes-Oléron ou à Arcachon, les huîtres sont préparées dans des lavoirs. Ceux-ci sont construits comme les bassins mais en plus étroit pour permettre à l’ouvrier de poser ses pieds sur les bords et de travailler au-dessus de ce lavoir. Il n’en existe pas en Bretagne. Si le bassin est établi au bord de la rivière, les huîtres sont lavées dans celle-ci (mais il faut absolument que cette eau soit saine sinon, il y a un risque de contamination des mollusques). Dans les autres cas, les huîtres sont lavées dans le bassin ou à la pelle30 dans des corbeilles posées sur le sol.

18Enfin les tables ostréicoles sont les aménagements les plus récents en ostréiculture. Cette technique d’élevage surélevé n’est pas nouvelle. Elle a été utilisée pour l’huître plate en rivière de Pénerf, Étel ou au Croisic : ce sont les fameuses caisses dont nous avons parlé plus haut. L’élevage sur les tables a été introduit en rivière d’Étel en 1970-1972. Elles sont une réponse à la prolifération des parasites de toutes sortes comme le « Bézu » ou dorade royale mais aussi au vieillissement des caisses en bois. Les essais sont menés par des ostréiculteurs de la rivière d’Étel, de l’île de Ré et de Vendée. Des poches en plastique fournies par Norlac Plastique sont accrochées sur des tables métalliques. En 1975, suite à la première parasitose de l’huître plate, Marteilia Refringens, une partie des ostréiculteurs est autorisée à utiliser des tables et des poches. En effet, les méthodes traditionnelles d’élevage sur le sol ne sont plus possibles sur l’estran car le parasite y vit à l’état endémique. Dans le cadre du plan de relance de l’huître plate engagé la même année, l’État verse une subvention de 510 000 francs pour l’achat du matériel nécessaire. La section régionale de conchyliculture de Bretagne sud, organisme représentant les ostréiculteurs, est chargée de centraliser les demandes d’équipement. Elle achète aussi le matériel nécessaire à la coopérative ostréicole du Morbihan31. La technique de l’élevage en surélevé va s’étendre à toute la Bretagne Sud. Aujourd’hui, certains ostréiculteurs pratiquent encore l’élevage à plat mais ils sont minoritaires. La plupart d’entre eux continuent l’élevage en surélevé car le parasite vit toujours à l’état endémique sur l’estran.

19Dès la fin du xixe siècle, les ostréiculteurs ont aménagé les terrains concédés ou ont reconverti des zones laissées à l’abandon comme les marais salants. Ils ont conquis la terre (avec leurs maisons d’habitation et leurs chantiers), l’estran (avec les terre-pleins notamment) puis après la Seconde Guerre mondiale, la mer (avec l’élevage de l’huître en eau profonde notamment en baie de Quiberon ou à Cancale). Mais ces aménagements n’ont pas toujours été bien accueillis par les autres acteurs du littoral (populations locales, touristes, plaisanciers, baigneurs, pêcheurs et agriculteurs). La multiplication des conflits d’usage a conduit la profession à demander la création de zones spécifiques à l’activité ostréicole notamment à la fin des années 1970. Aujourd’hui, les ostréiculteurs sont confrontés à d’autres problèmes : intégration des chantiers dans le paysage, protection de l’environnement et de la qualité de l’eau mais aussi et surtout entente avec les autres acteurs d’un littoral de plus en plus convoité.

Notes de bas de page

1 Vercel R., La caravane de Pâques, Paris, Albin Michel, 1948.

2 Levasseur O., Histoire de l’huître en Bretagne, Morlaix, Skol Vreizh, 2006.

3 Ibid.

4 SHD Lorient, 4 P1/24.

5 AD Morbihan, 7 M 325.

6 AD Morbihan, S 1284.

7 Dalido P., L’huître du Morbihan, Paris, Librairie Marcel Rivière et compagnie, 1948.

8 Buron G., Les hommes du sel, Bretagne des marais salants, deux tomes, Morlaix, Skol Vreizh, 2000.

9 SHD Lorient, 4 P 1/46.

10 Cette partie sur Ludré est extraite de Dalido J., « La belle histoire de Ludré », dans Cahier de la société polymathique du Morbihan, n° 5, décembre 1997.

11 Dignac U., Rapports et correspondance du chef du quartier du Croisic, 1876-1915, recueillis et annotés par le vice-président du syndicat général de l’ostréiculture et des cultures marines et président du syndicat des mytiliculteurs, 291 p. Source privée.

12 AD Morbihan, 7 M 325.

13 Détroquage : action de détacher les huîtres du support où elles sont fixées, l’ostréiculteur détache le naissain du collecteur pour le mettre en demi-élevage en parc pendant un à deux ans.

14 Famille Y rencontrée en février 2004 à Locoal-Mendon.

15 AD Morbihan, 1335 W 162.

16 La plus célèbre d’entre elles est située sur l’îlot de Nichtarguer près de Saint-Cado-en-Belz.

17 SHD Lorient, 2 S/7.

18 SHD Lorient, 9 W 403.

19 AD Morbihan, 2 U 1270. Un trémail ou tramail est un filet de pêche.

20 AD Morbihan, S 1281.

21 AD Morbihan, S 1289.

22 AD Morbihan, S 1300.

23 Hinard G. et Lambert L., « Tableau de l’ostréiculture française », Revue des travaux de l’Office des pêches maritimes, t. I, fascicule 4, p 56-68.

24 AD Morbihan, S 1291. Les ostréiculteurs utilisent plusieurs mots pour désigner un même objet. Ainsi, en Bretagne Sud, ils parlent de chantier, à Arcachon de cabane.

25 AD Morbihan, S 1286.

26 AD Morbihan, S 1300.

27 AD Morbihan, S 1300.

28 Les ostréiculteurs du sud de la Bretagne appellent ces lieux des bassins. À Cancale, ce sont des parcs d’expédition, à Marennes des dégorgeoirs et à Arcachon, des claires.

29 Cette technique consiste à vider le bassin assez régulièrement pour que l’huître apprenne à garder son eau et finalement à supporter les longs voyages. Elle peut rester fraîche pendant plusieurs jours.

30 Appelée sloupette ou boguette selon les lieux.

31 Archives de la Section régionale de conchyliculture de Bretagne Sud (SRC), dossier sur le plan de relance de l’huître plate, 1975.


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