La gestion des plantations antillaises durant les guerres révolutionnaires : l’alternative des États-Unis et de l’Europe du Nord. L’exemple de l’habitation Maré à Saint-Domingue
p. 271-292
Texte intégral
1L’habitation sucrière Maré du quartier de l’Arcahaye, possédée pour un tiers en indivision par une famille de petite noblesse ancienne de la presqu’île guérandaise sur le littoral nord de l’évêché de Nantes, s’est trouvée dans la zone occupée par les Britanniques à Saint-Domingue de 1794 à 1798. Ayant échappé aux destructions entraînées par les révoltes d’esclaves qui gagnent cette partie centrale en mars 1792, elle a pu être relancée par le recours à des réseaux commerciaux américains et britanniques utilisant Hambourg comme place de redistribution en Europe. Sont ainsi valorisés les ports de New York, Philadelphie, Baltimore et principalement Londres. Grâce aux papiers privés de la famille Le Chauff de Kerguenec, il est possible d’évaluer la puissance et les performances économiques de cette habitation dans une comparaison entre sa situation à la veille de la Révolution et son redressement sous le régime britannique, mais aussi avec les résultats connus d’autres plantations sucrières de même taille1. Après l’adaptation au régime agraire mis en place par Toussaint Louverture, elle est victime du soulèvement des esclaves du quartier de l’Arcahaye qui s’opposent au débarquement des troupes de l’expédition Leclerc en février 1802.
2La trajectoire de cette habitation, suivie à travers une documentation privée de propriétaires, permet de saisir de l’intérieur l’impact des chocs successifs auxquels a été soumis le cœur du système colonial antillais français et de mesurer le degré d’efficience du recours aux réseaux commerciaux américains et britanniques face au blocage des routes maritimes françaises durant les guerres révolutionnaires.
L’habitation Maré à la fin de l’Ancien Régime
Caractéristiques
3L’habitation Maré est située au quartier des Vases, dans la plaine de l’Arcahaye, au nord de celle du Cul-de-Sac formant le fond du golfe commandé par l’île de la Gonave, entre les villes de Saint-Marc et de Port-au-Prince, dans la zone centrale de la partie française de l’île de Saint-Domingue, le cœur de la colonisation française au xviiie siècle. Dans le dernier tiers du xviiie siècle, tous les avis des contemporains, français comme étrangers, se rejoignent pour souligner l’importance cruciale de la zone française de cette île des grandes Antilles dans le vigoureux essor du commerce colonial, moteur essentiel de la croissance économique française. Le meilleur exemple en est donné par la monumentale description de Moreau de Saint-Méry2, créole de la Martinique et conseiller au Conseil souverain du Cap français. Cette richesse repose sur 8 500 grandes exploitations agro-industrielles esclavagistes composées de 793 sucreries, 54 cacaoyères, 3 152 indigoteries, 789 cotonneries, 3 117 caféteries, 182 guildiveries selon le dénombrement de l’intendant Barbé de Marbois en 17893. L’explosion quantitative de la traite négrière a totalement déséquilibré la composition interne de la population. En 1790, 40 000 Blancs dominent 10 000 personnes de couleur et plus de 450 000 esclaves4.
4La culture de la canne à sucre s’est imposée face à celle du tabac dans le dernier tiers du xviie siècle. En 1713, on compte déjà 138 sucreries dont seulement 55 dans la zone centrale5.
5Le vrai démarrage s’opère à la fin des années 1690 dans la plaine du Cap où la canne à sucre relègue l’indigo vers les points les plus secs en prenant possession des bords des rivières et des grandes plaines irrigables. Longtemps la plaine du Nord reste à la pointe de l’évolution technique que représente le sucre blanc ou terré en assurant les trois quarts de sa production tandis que la région Centre fournit les deux tiers du brut. Dans le dernier tiers du xviiie siècle, cette opposition s’estompe et les meilleures habitations du Cul-de-Sac et de Léogane rivalisent tout à fait avec celles du Nord dans leurs capacités productives et leur compétitivité. Les exportations de sucre brut montent de 21 millions de livres en 1721 à 73 millions en 1767 et 93 millions en 1788, suivies par celles du sucre terré qui exige une technologie plus poussée : 1,4 million de livres en 1721, 51,5 millions en 1767 et 70 millions en 1788. Le capital investi dans les 793 sucreries en 1789 (341 en brut et 452 en blanc) est estimé à plus 550 millions de livres tournois, soit environ 40 % de toute la fortune de Saint-Domingue6. Ceci permettait de fournir les trois quarts de la production mondiale de sucre.

Sucrerie Les Varreux, propriété de la famille noble angevine des Pays de Lathan, cédée aux frères Chaurand, grands négociants nantais en 1785. – La sucrerie Bellevue, propriété de la famille Fleuriot de La Rochelle, est située également au Cul-de-Sac. – La sucrerie Mellier, dans la plaine de Léogane, propriété de la famille noble angevine des Pays du Veau (parenté avec les Lathan). – La sucrerie Les Sources, propriété Galbaud du Fort (petite noblesse nantaise). – La sucrerie Macmemara, propriété de la famille noble irlandaise émigrée Stapleton qui construit sa puissance seigneuriale à Nantes (Dervallières), mais surtout à Trèves-Cunault, entre Angers et Saumur au xviiie siècle.
6Dans la plaine du Cul-de-Sac se maintient néanmoins une certaine diversité. En 1790, on y décompte 274 sucreries en brut, 65 en blanc, 29 guildiveries, 131 caféteries, 21 cotonneries, 15 indigoteries, une seule cacaoterie7. Dans la région de l’Arcahaye où le rapport entre terres de plaine et de mornes est le moins favorable de cette zone, la distribution reste plus équilibrée. Le tableau des cultures dressé en 1782 y recense 26 sucreries en brut, 13 en blanc, 39 caféières, 37 indigoteries et 12 cotonneries pour un rapport de 4 028 carreaux en plaine contre 13 427 en mornes8.
7L’habitation Maré relève de la catégorie des grandes plantations sucrières puisqu’elle est chiffrée à 144 carreaux (113 ha) en juin 1798, en y incorporant une place à vivres9. La famille Maré y ajoutait dans la même paroisse une place à indigo en position adjacente, ainsi qu’une caféière au fond Ferrier et une hatte à gros bétail au quartier des Matheux, à peu de distance puisque cette dernière était obligatoirement en lien étroit avec la plantation sucrière, ce qui porterait l’ensemble sucrier à environ 200 carreaux sur les 288 au total. Faute de documentation contemporaine, il est délicat d’apprécier sa valeur en 1789. Le recours classique aux estimations de la procédure d’indemnisation des années 1826/1833 fait problème car l’habitation a été totalement saccagée en février 1802. Il est impossible de mesurer le degré de remise en état jusqu’en 1823, date de l’évaluation des biens. Les héritiers sont ainsi crédités de 813 320 livres tournois10, sans mention de la place à indigo qui semble avoir été abandonnée, ce qui paraît sous-estimé étant donné la taille et les performances économiques de cette habitation. Une comparaison avec les estimations d’autres plantations de la même zone, tout spécialement celle des Varreux, appartenant à la famille de noblesse angevine des Pays de Lathan et acquise en 1785 par les frères Chaurand, grands négociants nantais, pour 1 025 000 livres tournois et évaluée 1 204 874 livres tournois ou encore celle de l’habitation Bellevue, appartenant à la famille rochelaise des Fleuriau et chiffrée à 1 729 323 livres tournois, invite à dépasser le million de livres et à retenir plutôt le niveau de 1,5 million de livres11. Rappelons comme mesure d’étalonnage que le prix moyen d’une sucrerie est estimé à 80 000 livres tournois pour le brut et à 230 000 livres tournois pour le terré en 179012.
Ses propriétaires et sa gestion
8Après deux générations d’exploitation par la famille Maré, le complexe de plantations est resté en indivision entre trois sœurs, héritières de leur père Jérôme Maré. Ces trois jeunes créoles, envoyées à Nantes au couvent des dames de Sainte-Élisabeth pour leur instruction, ont épousé dans ce port atlantique trois membres de la noblesse traditionnelle, de tradition seigneuriale et militaire13. Aucun des trois couples n’est allé s’installer, même provisoirement, à Saint-Domingue.
9La famille Le Chauff est possessionnée depuis au moins le xve siècle en Bretagne, dans les pays malouin et rennais. Des cadets de noblesse sont venus s’installer dans le comté nantais, non sans moyens comme le montre l’activité de rassembleur de terres et de constructeur de puissance seigneuriale de François-Marie Le Chauff (1696-1763), celui qui valide l’alliance créole pour son fils, à moins que le capital ne vienne surtout de son mariage avec Anne Cady à Guérande en 1730. La dot de la jeune créole (20 000 livres tournois) reste très modeste selon l’échelle nobiliaire provinciale, surtout lorsqu’il s’agit de places marchandes, et très loin des apports des négociants nantais14. Le couple a eu cinq enfants, quatre filles et un garçon. Les filles ont été mariées dans la noblesse provinciale militaire. Catherine Maré est décédée en 1807 et son mari en 180915.
10La gestion de l’habitation sucrière est restée dans la famille puisqu’elle a été confiée à Pierre Aubardier de Manègre, neveu de Charles, époux de Marie-Jeanne Maré. Cette relation parentale, justifiée par la recherche de la plus grande confiance possible, explique qu’il soit très bien rémunéré. Il cumule des gages fixes de 4000 livres coloniales par an avec une commission de 10 % calculée sur une base définie par les recettes amputées des « dépenses pour l’exploitation » qui n’intègrent pas toutefois les plus gros postes comme les achats d’esclaves et les gros équipements. Il est à noter que le fixe est cependant intégré dans les frais, rognant ainsi le produit de la commission. Ce contrat lui assure des revenus entre 16 000 et 34 000 livres par an, ce qui est hors normes16. Par comparaison, le gérant de l’habitation Fleuriot doit se contenter de 7 %, produisant environ 15 000 livres. Au-delà d’une faveur familiale, il est certain qu’il s’agit d’une stratégie volontaire de recherche de performances en intéressant au maximum le principal gestionnaire à la recherche du profit, au sein d’une politique de fort investissement productif à travers le renforcement de l’atelier d’esclaves, comme il sera établi ci-dessous. La qualité de la tenue des comptes et les résultats économiques de l’habitation montrent que ces avantages concédés ont donné des résultats.
Ses performances économiques
11La superficie cultivée en canne est en moyenne de 89 carreaux, dont 65 en roulaison et 24 en replantation de jeunes pousses, soit environ 45 % du total pour la seule roulaison ou 62 % pour l’ensemble mis en culture17. Selon Jacques de Cauna, « c’est la proportion habituelle sur une habitation bien tenue » comme en témoignent celles de Nolivos18 à la Croix-des-Bouquets (60 %, hatte non comprise) et de Bellevue au Cul-de-Sac (75 %), cette dernière qualifiée de « très bien tenue19 ». S’il en est de même pour l’habitation Macnemara dans la plaine du Cap (47 % ou 56/120 carreaux) et la sucrerie de la Ravine appartenant aux Beauharnais20 (50 % ou 116/226), toutes les exploitations sont loin d’atteindre un tel rapport21.
12Les comptes de régie et de vente couvrant les années 1785-1790 ne précisent guère le type de sucre fabriqué. Cependant, les fortes dépenses consacrées à la rémunération de raffineurs laissent entendre qu’il s’agit plutôt de sucre terré. Par ailleurs, la correspondance du gérant en 1801 et 1802 évoque une purgerie et une étuve, bâtiments habituels du terrage et du séchage. Selon les comptes de régie, l’habitation Maré se distingue par une production très élevée oscillant entre 600 000 et 800 000 livres poids, stabilisée autour de 750 000 livres à partir de 178722. Ceci paraît hors normes si l’on compare avec les résultats de l’habitation Fleuriau qui livre en moyenne annuelle 502 068 livres poids de sucre brut à partir de 60/80 carreaux plantés pour la période 1777-178923. Par comparaison, la sucrerie Nolivos, établie sur une « mauvaise terre » selon un rapport du temps, ne fournissait que 400 milliers de sucre brut pour 110 carreaux. L’explication pourrait venir de l’alliance du sol, de l’eau et de la chaleur, suite à un très bon drainage d’une zone originellement formée de marécages dont le quartier des Vases porte mémoire24. En termes de valeur monétaire, la tendance est à la hausse, avec un léger fléchissement en 1786, en partant de 250 000 livres coloniales pour atteindre les 400 000 livres en 1790, les sirops ne représentant jamais plus de 10 % de la valeur estimée au sortir de l’habitation. La valorisation monétaire profite certainement de la bonne qualité des sucres puisque l’habitation Maré parvient à vendre sa barrique de 1 500/1 600 livres poids entre 330 et 400 livres tournois quand celle de l’habitation des Sources, située dans la plaine de Léogane, doit se contenter de 300.
Maré | Bellevue | Sources | Nolivos | |
Surface roulée en cannes | 64,4 | 64,8 | 80 | 110 |
Production en livres poids, sucre brut | 1064496 | 507067 | 250131 | 400000 |
Esclaves | 300/372 | 256 | 130 | 178 |
Production/carreau | 16522 | 7825 | 3127 | 3630 |
Production/esclave | 2861/3548 | 1981 | 1924 | 2130 |
Tableau 1. – Comparaison de la productivité de la terre et de la main-d’œuvre dans quatre sucreries de la zone ouest.
13Le rendement sucrier calculé par rapport à la surface mise en roulaison se détache de la plupart des autres exemples fournis par l’historiographie25. Dans son étude sur l’habitation Fleuriau, Jacques de Cauna qualifie d’excellent le rendement obtenu, tout en notant des inégalités selon les parcelles dont certaines dépassent les 8 000 livres poids au carreau, le record s’établissant à 9 594 livres. Il complète en citant « la belle sucrerie de Madame Saintard, aux Vases, dans l’excellente plaine de l’Arcahaye, où seules les meilleures pièces approchaient les 10 milliers de livres en grande canne ». L’exemple viendrait conforter le point de vue de plusieurs contemporains qui estimaient les records productifs entre 15 et 18 milliers de sucre brut au carreau dans les habitations les mieux situées et les mieux gérées26. Le caractère exceptionnel du résultat obtenu a suscité une légitime interrogation critique vis-à-vis d’un biais statistique. La transformation en équivalent poids de sucre brut sur la base d’un rapport de 1 000 pour 1 500 livres poids selon la norme habituellement retenue est-elle une erreur qui survalorise la production ? Si la précision manque dans les comptes, l’importance des dépenses consacrées au terrage plaide dans ce sens. Faut-il prendre toute la surface plantée (89 carreaux), ce qui ramènerait à un chiffre plus raisonnable d’un peu moins de 12 000 livres poids au carreau pour le rendement ? Toutefois, le tableau produit pour l’habitation Fleuriau se limite bien à la superficie en cannes roulées27.
14L’estimation de la productivité de la main-d’œuvre se révèle plus délicate par manque de recensement d’esclaves. L’état des lieux dressé lors du séquestre de février 1798 retient le chiffre d’environ 200 esclaves, nécessairement inférieur à celui prévalant jusqu’aux troubles du printemps 1792. Il faut envisager un fort effectif quand on sait que le gérant Manègre a fait l’acquisition d’un atelier entier de 186 esclaves en 1785 en profitant d’une vente proposée par le grand négociant nantais Lieutaud de Troisville, également en possession d’une habitation sucrière à l’Arcahaye, à l’occasion d’un héritage reçu de la veuve Delorme, établie à Jacmel, sur l’habitation des Côtes de fer, dans la partie sud de Saint-Domingue. L’habitation laissée par Jérôme Maré à ses filles n’était pas sans esclaves. Devant cette incertitude, il a été retenu deux hypothèses : celle d’un doublement de l’effectif et celle d’une augmentation plus modérée limitant l’atelier renouvelé à 300 esclaves. Le montant d’acquisition s’élève à 372 000 livres coloniales, à raison de 2 000 livres en moyenne par tête, réglable en sucre selon un échéancier de six ans, ce qui sera presque complètement honoré selon un rythme légèrement différent à celui prévu initialement. L’absence de règlement en 1786 a obligé à surcharger toutes les années suivantes, avec un sommet en 1788 et 1789. On ne sait pas pourquoi la régularisation s’arrête après mars 1791, laissant un solde de 29 324 livres qui sera réclamé par les héritiers Lieutaud en 1824, entraînant un procès tournant à la défaveur des héritiers Le Chauff en 182928.
15Cet achat d’un atelier entier permet de comprendre les hautes performances économiques pointées. Cet investissement énorme éclaire nettement la conception capitalistique de la gestion de l’exploitation sucrière. L’installation d’une puissante force de travail doit assurer de hauts niveaux de production sans menacer sa productivité par surmenage, les profits attendus permettant de digérer la forte dépense initiale dans un délai relativement court. Les profils esquissés prouvent que le calcul n’était ni irréfléchi ni hasardeux. L’observation des caractéristiques démographiques du groupe mène aussi à la conclusion d’un apport de force de travail de qualité. Le transfert géographique a été fatal à une minorité sans doute mal en point puisque les migrants de Jacmel fournissent 24 des 29 décès enregistrés en 1785, chiffre bien au-dessus de la dizaine lisible en moyenne sur le reste de la période.
16Une comparaison entre diverses sucreries étudiées, sur la base du nombre d’esclaves et de la surface plantée, montre la position très avantageuse de l’habitation Maré quant à sa capacité de mobilisation de force productive. Avec un rapport susceptible d’osciller entre 3,4 (300/89) et 4,1 esclaves (372/89) par carreau planté, au-dessus des trois esclaves par carreau de l’habitation Fleuriau, elle confirme une nouvelle fois son caractère hors normes comme l’indiquent les chiffres livrés par David Geggus pour la plaine du Nord29 ou par Jacques de Cauna pour les plaines du Nord et du Centre30 tournant le plus souvent autour de deux esclaves par carreau. On pourrait se dire que le chiffrage est surévalué en arguant qu’une partie du nouvel apport était destiné à la caféière et à l’indigoterie. Pourtant les dépenses apparaissent bien sur les comptes de régie de la sucrerie.
17Un parallèle peut être établi avec la gestion des trois habitations Laborde situées dans la plaine des Cayes dans la partie sud de Saint-Domingue31. Ce négociant bayonnais enrichi dans le commerce des piastres achetées à Cadix et revendues dans les hôtels des Monnaies ou à la Compagnie des Indes, ami du marquis de Choiseul et banquier de la Cour de 1759 à 1767, a cherché à diversifier ses investissements en acquérant ses trois sucreries entre 1768 et 1771. Il s’est ainsi constitué un immense domaine de 1665 hectares dont 750 en plaine mobilisant le travail de 1 400 esclaves en 1 789 pour la production de sucre terré, ce qui en fait un géant à l’échelle domingoise. Dans une logique également très capitaliste, l’investissement dans la force de travail a été jugé stratégique. Il a concerné au total 2 273 esclaves dont 273 présents à l’achat, 493 repris sur d’autres ateliers et 1 507 débarqués des navires négriers. Au total, une injection de 4,5 millions de livres tournois.
18La dynamique économique et la bonne qualité de la gestion de la plantation Maré se lisent dans le parallélisme des courbes des recettes et des dépenses enregistrées dans les comptes de régie pour la période 1785-1790. L’importance du niveau de dépenses pourrait se lire comme un signe de faiblesse. En oscillant entre 40 % et 60 %, des recettes, il s’établit bien au-dessus de celui de l’habitation Fleuriau, le plus souvent autour de 25 % dans le second xviiie siècle avant de tomber à 16 % en 1790. C’est aussi supérieur aux montants de 30 % calculés à partir des comptes de la maison Henry Romberg, Bapst et Cie (1783-1793) et des 42 % des établissements Laborde. En récusant toute posture téléologique, il s’agit plutôt d’un pari sur l’avenir, puisque l’essentiel de la dépense est occasionné par l’investissement échelonné en esclaves, ce qui devait permettre au bout de six ans de hisser la production sur de très hauts niveaux et de profiter alors à plein d’une contraction significative des dépenses. On retrouve les mêmes écarts dans l’excellente gestion Leremboure sur l’habitation Fleuriau où les années de gros achats d’esclaves comme en 1778 et 1784 font grimper les dépenses d’une moyenne de 400 00 à 100 000 livres coloniales32.
L’habitation Maré dans le contexte révolutionnaire
19Dans l’île de Saint-Domingue, la Révolution se traduit dans un premier temps par une forte tension entre la population blanche, sous la coupe des grands planteurs qui ont monopolisé le pouvoir politique dans les conseils souverains au long du xviiie siècle, et la minorité croissante des libres de couleur. Les opinions divergent sur la traduction insulaire concrète des nouveaux principes adoptés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en août 1789. Quand les Blancs entendent s’en réserver l’application, les mulâtres libres prétendent en tirer toutes les conséquences en revendiquant l’égalité des droits civiques et politiques, en y incluant le droit de participer aux assemblées locales. La correspondance de Manègre, gérant de l’habitation, fait écho à ces clivages à travers un grand désarroi de son auteur qui oscille entre des appréciations assez contradictoires sur le mouvement autonomiste porté par certains colons, craignant avant tout l’érosion de l’autorité publique quelle que soit son orientation. L’assemblée de Saint-Marc du 15 avril 1790, épicentre de la dissidence, est d’abord jugée responsable de tous les maux, puis appréciée pour sa possible capacité à faire revenir le calme. Il est toutefois très soulagé après sa dissolution par le gouverneur33. Dissimulant mal son inquiétude qui va jusqu’à envisager la vente de ses biens coloniaux afin de rentrer en France, il se veut pourtant rassurant pour les propriétaires étant donné les performances de leur habitation34.
20Dans son décret du 15 mai 1791, l’Assemblée nationale constituante finit par satisfaire les revendications des libres de couleur. Toutefois, son absence de concrétisation suscite leur révolte dans la plaine du Nord. Le déclenchement des insurrections d’esclaves à partir de la fin août dans cette même zone considérée comme la plus riche de l’île renverse le rapport de force dans la nouvelle assemblée Législative, où nombre de députés se sont inquiétés d’une logique d’enchaînement. Dans le nord, les révoltes d’esclaves prennent une dimension sans précédent, dans une désertion des ateliers de plantations, souvent accompagnée de pillages et de massacres de colons ayant cherché à résister. Sauf exceptions localisées et sans trop de gravité, le centre dans lequel se trouve l’habitation Maré est épargné par l’embrasement jusqu’en mars 1792, date à laquelle les amis de Brissot accroissent leur influence à la Législative et entrent dans le gouvernement, ce qui se traduit par l’adoption du décret du 4 avril 1792 donnant entière satisfaction aux libres de couleur. Les commissaires et les troupes envoyées pour le rétablissement de l’ordre peinent à s’imposer au sein de l’extrême division des partis et des jeux tactiques engagés avec les esclaves insurgés dont la crise de Port-au-Prince de juin 1793 donne une belle illustration. Ceci conduit Sonthonax à proclamer la liberté le 29 août 1793 pour tenter de rallier les esclaves insurgés à la cause de la République en les soustrayant à l’alliance espagnole, politique qui sera officialisée par la Convention nationale dans son décret du 4 février 1794. Tout ceci a suscité une émigration croissante non seulement des colons mais aussi de leurs gérants en direction des États-Unis, de Cuba35 et de la Jamaïque. Fin avril 1792, Manègre dresse un état des lieux : l’habitation Maré est aux aguets, tout en se situant à l’écart des zones les plus affectées. Il a toutefois pris ses précautions en expédiant les archives vers les États-Unis où il envisage de se replier en cas de radicalisation après s’être mis à l’abri à Saint-Marc. Cette stratégie est partagée par Jean-Baptiste Arnodeau, gérant de l’habitation Fleuriau sise au Cul-de-Sac, qui se réfugie à Wilmington, dans le Delaware proche de Philadelphie, en laissant sur place la direction à l’économe, charge dans laquelle il avait débuté en 1775. Il évoque son retour dans une lettre du 19 décembre au propriétaire, mais aussi son impossibilité de rejoindre la plantation depuis Port-au-Prince en février 1793 suite au refus de l’atelier esclave. Le futur proche lui est favorable puisqu’il prend la place du procureur-marchand M. J. Leremboure, premier maire de Port-au-Prince, surnommé « le vieux Tigre » par Sonthonax et chassé par les commissaires civils, mettant ainsi un point final dans la rivalité entre les deux agents depuis 178836.
21Répondant aux alertes de Manègre37, François-Marie-Yacinthe Le Chauff a quitté la presqu’île guérandaise pour Saint-Domingue dans l’été 1792 pour parer aux possibles dangers dont était porteuse une motion votée au Cap exigeant le séquestre des biens des propriétaires absents. La communication entre les propriétaires et leurs gérants, quand ces derniers ont pu se réinstaller comme dans la zone d’occupation anglaise, va rester très difficile durant les guerres maritimes révolutionnaires. Il faut toutefois se méfier des déclarations officielles. Ainsi, lors du séquestre d’une partie de leurs biens métropolitains en février 1797 pour cause d’émigration d’un fils et d’une fille et son mari, les Le Chauff déclarent n’avoir aucune nouvelle de leur habitation, ce que dément la correspondance privée.
22Après avoir déclaré la guerre à la monarchie autrichienne et à la Prusse en avril 1792 dans l’illusion du succès rapide d’une croisade de la liberté, la France y inclut l’Angleterre le premier février 1793 en donnant une dangereuse dimension maritime à un conflit où la République se retrouve très vite isolée face à une coalition quasi générale de l’Europe, ce qui conduit les belligérants à récuser, transitoirement, les règles classiques du commerce des Neutres. Pendant la période de la Terreur, le « négociantisme » rejoint l’accusation d’« aristocratisme » dans le fonctionnement radical des lois des suspects et du Tribunal révolutionnaire, ce qui déstabilise le milieu négociant des grands ports coloniaux, souvent obligé de monnayer chèrement sa relative sécurité.
23La supériorité militaire de la Royal Navy se traduit par l’occupation anglaise de la pointe sud de Saint-Domingue à partir de septembre 1793, suivie de toute la zone centrale, de Saint-Marc à Léogane, englobant l’Arcahaye et l’habitation Maré. Les autorités britanniques prononcent le séquestre des propriétaires absents et de ceux qui n’ont pas donné signe de vie depuis un an. Les habitations sont affermées au plus offrant, une partie de la somme étant gelée afin de constituer un capital d’indemnisation au retour de la paix, le reste étant affecté au financement des troupes d’occupation. Cette politique parvient à susciter un mouvement anglophile parmi une partie des colons qui adhèrent au « traité d’alliance et de sécurité ».
24Les ravages de la fièvre jaune et les priorités stratégiques redéfinies par l’engagement guerrier contre l’Espagne en 1797 justifient le retrait britannique dont les conditions sont négociées d’avril à août 1798 par Toussaint Louverture, devenu progressivement le maître du reste de la partie française depuis son ralliement à la République en mai 1794. Il y a développé le système dit du « général-habitant », à travers l’affermage des biens des propriétaires absents, saisis au profit du domaine public, en faveur de ses officiers militaires dans des conditions financières très avantageuses. Lorsque l’arrêt du Directoire du 19 brumaire an VII (9 novembre 1798) remet les propriétaires absents, mais légalement représentés, en droit de récupérer leurs biens, cela déclenche une effervescence parmi tous ces possibles bénéficiaires, ce dont témoigne l’inflation des procurations chez les notaires nantais. Une chose est l’affirmation d’un principe, une autre est son application concrète sur le terrain. La perspective de la paix d’Amiens et l’envoi du corps expéditionnaire de Leclerc en décembre 1801 contribuent toutefois au renforcement de la tendance38, comme si pour ces métropolitains intéressés à la colonisation antillaise il était grand temps de tourner la page et de refermer une parenthèse qui n’avait que trop duré39.
Les performances dans l’alternative des États-Unis et de l’Europe du Nord
25L’imbrication des chronologies des guerres maritimes, de l’occupation partielle britannique de Saint-Domingue et du processus révolutionnaire en France confère une forte originalité à la gestion des solutions d’effacement des ruptures des échanges provoquées par ce contexte d’affrontement politique et militaire dans l’espace atlantique. Le recours aux Neutres était le moyen le plus classique utilisé en temps de guerre pour maintenir les échanges entre puissances adverses à un niveau acceptable. L’introduction de l’idéologie politique et sociale, dans ce qui n’était auparavant que des conflits impérialistes, perturba les données habituelles. Dès les premiers bruits de guerre, les grandes maisons, comme par exemple Henry Romberg, Bapst et Cie à Bordeaux40, avaient pris leurs précautions, dans ce cas d’autant plus aisément que le siège de la compagnie était basé dans les Pays-Bas autrichiens, proches de la jonction mer du Nord-mer Baltique où se concentraient les puissances maritimes spécialistes de ce genre de prestations. La politique autoritaire de Salut public menée par la Convention nationale et ses comités se traduisit dans le commerce international par l’instauration d’un embargo le premier juillet 1793, intégrant même les navires neutres jusqu’au 27 mars 1794, renforcé par l’interdiction d’exportation des produits de première nécessité à partir d’août 1793. Le recours aux Neutres pour la desserte des colonies françaises fut bloqué par la Grande-Bretagne dans son Ordre en conseil du 6 novembre 1793, ce qui déclencha de vives protestations des milieux d’affaire des États-Unis pour lesquels ce contexte s’avérait être une aubaine. La mesure fut nettement adoucie dans l’Ordre en conseil du 8 janvier 1794 qui en limitait l’application aux voyages directs entre les colonies ennemies et leur métropole. Un crochet par un port neutre pour y changer de papiers réintroduisait ainsi dans le commerce licite. En rupture avec leurs engagements de 1778 envers la France, les États-Unis basculèrent dans la neutralité le 22 avril 1793, position garantie par le traité de Jay avec la Grande-Bretagne le 19 novembre 1794. Leur flotte commerciale en tira un profit immense en jouant le rôle de redistribution d’une grande partie des productions des Amériques espagnoles et françaises. À la veille de la paix d’Amiens, les importations de la jeune république avaient été multipliées par quatre et leurs exportations par cinq par rapport à leurs niveaux respectifs en 1790/179241.
26La chute de Robespierre et la réaction thermidorienne, qui se traduisirent par une libéralisation de l’économie encadrée, trouvèrent leur prolongement dans le redressement militaire français et la signature de traités de paix avec la Prusse, mais surtout les Provinces-Unies et l’Espagne en 1795. Bordeaux profita particulièrement de ces nouvelles opportunités. Ses négociants frétèrent des navires neutres danois, hanséatiques et prussiens, mais surtout américains, ou bénéficièrent d’un prête-nom de même origine acceptant de couvrir à travers une falsification documentaire la propriété de leurs navires, opération facilitée par la présence d’un membre de la famille en terre étrangère de neutralité. Toutes ces tactiques de contournement, invisibles du point de vue des archives françaises, sont décrites en détail dans les papiers du consul en poste dans la cité girondine. Cette politique de neutralité sortit renforcée de l’élection présidentielle de 1796 qui vit la victoire d’Adams contre Jefferson. La politique agressive du Directoire, engagée avec la loi du 10 brumaire an V (31 octobre 1796) contre la navigation neutre transportant des produits anglais, n’amena pas les anciens alliés à composer, mais au contraire à abroger les anciens traités. Son durcissement dans la loi du 29 nivôse an VI (18 janvier 1798) déclencha une « quasi-guerre », sous forme de course maritime à partir de 1798, seulement adoucie par une entente directe avec Toussaint Louverture en 1799. Napoléon Bonaparte, premier consul, comprit vite l’intérêt d’un apaisement qui fut rendu possible par la convention du 30 septembre 1800 garantissant la sécurité au commerce et aux biens américains. La ligue des Neutres (Danemark, Suède, Prusse et Russie) suscitée par la diplomatie française en décembre 1800 eut pour principal effet, en dépit de sa rapide défaite militaire, d’inciter la Grande-Bretagne à la négociation. Les logiques impérialistes révolutionnaires demeurant en place de part et d’autre, la paix d’Amiens ne fut qu’une trêve avant la reprise du grand embrasement menant, pour sa dimension maritime, de Trafalgar au Blocus continental, jusqu’en 1815.
27Dans le contexte de l’occupation militaire britannique, les propriétaires et le gérant de l’habitation sucrière Maré se sont tournés vers les réseaux commerciaux anglais et états-uniens pour écouler leur production, non plus en priorité sur le marché français comme auparavant, mais en direction de l’Europe baltique et centrale via la place de Hambourg. Dans chaque port, les opérations sont confiées à une maison de commerce : Simond et Hankeys à Londres (48 % poids et 47 % valeur), Desdoity à New York (19 %), Benoist à Philadelphie (12 % et 13 %), Joong à Hambourg (11 %), Valck à Baltimore (7 %) et Baelde à Rotterdam (3 %). Par comparaison avec les ports utilisés dans le commerce américain avec Bordeaux, le choix est plus ciblé, écartant la Nouvelle-Angleterre qui tient le rôle prédominant et les États du sud, plus en marge42.
28Ce choix s’explique par l’importance relative des ports dans le marché international du sucre et découle de la maîtrise militaire de l’Atlantique par la Royal Navy, très favorable à l’essor commercial des États-Unis. La suprématie du relais londonien est en harmonie avec la très haute qualité des services offerts et par la structuration du trafic commercial du premier port du monde43. Pour 1798-1799, le marché américain, avec une valeur totale de 18 599 775 livres sterling échangées, représente 30,69 % du commerce extérieur et même 37,61 % si l’on retranche les produits entrés par cabotage, devant l’Europe du Nord et du Nord-Ouest avec respectivement 27,79 % ou 34,06 % et les marchés d’Asie pour 17,33 % ou 21,73 %. Le contexte des guerres révolutionnaires produit une mutation majeure avec l’explosion en valeur des exportations à destination de l’Allemagne (plus de 8 millions de livres sterling). Suite à l’interruption des réexportations françaises dominées par Bordeaux, la Grande-Bretagne s’est construit un quasi-monopole d’approvisionnement des marchés d’Europe du Nord et centrale, surtout par Hambourg. Londres domine surtout le sucre, en assurant entre les deux tiers et les trois quarts des importations. Jusqu’aux années 1780, presque tout le sucre importé était consommé sur le marché britannique, la consommation étant au moins cinq fois supérieure à la moyenne européenne. L’élargissement est donc spectaculaire.
29Selon l’appréciation de François Crouzet, l’Elbe est devenue pendant la Révolution française « la grande porte par laquelle le commerce britannique s’engouffrait en Europe44 », entraînant un presque doublement de la flotte de Hambourg, qui passe de 159 navires en 1788 à 280 en 1799. En 1788, 54 % des importations en valeur provenaient de la France qui réexportait sur la place plus du quart de ses denrées coloniales. Le renversement de situation est acquis en 1795. La comparaison de l’évolution de la moyenne des importations entre 1791-1793 et 1797-1799 révèle une hausse de 88 % pour le sucre, 86 % pour le café et 174 % pour le coton, principalement au bénéfice des Anglais et des Américains45. Cette croissance s’effectue surtout après 1795 lorsque l’occupation française de la Hollande ferme la voie du Rhin et déplace les routes vers l’est. La dynamique se nourrit d’une immigration française et flamande, mais principalement anglaise, avec naturalisation. Hambourg succède à Amsterdam comme principal centre financier du continent et place essentielle de compensation commerciale, en forte connexion avec la City de Londres. Le crack de l’hiver 1798-1799, provoqué par un blocage du port par les glaces pendant cinq mois, illustre à la fois la forte articulation avec Londres et la capacité de réaction grâce une entente entre les plus solides maisons46.
30Le décalage quantitatif entre les comptes de vente qui valorisent la maison londonienne Simond et Hankeys (47 % en valeur), devant celles des trois ports américains (39 %), celles des ports européens de Hambourg (11 %) et de Rotterdam (3 %), et les comptes courants illustrent parfaitement le rôle de Hambourg comme destination finale et comme centre d’apurement des comptes vis-à-vis des propriétaires. Sur les onze comptes courants présents dans les archives Le Chauff, huit sont tenus par François Prévost, la plupart du temps directement et dans un cas seulement par l’intermédiaire de Desdoity de New York. Deux sont produits par Simond et Hankeys et un autre par Valck de Baltimore. Un transfert s’est opéré entre 1795-1796 et 1797-1798 depuis Londres en direction de Hambourg, au sein d’une augmentation du volume financier en relation avec la relance de la production. La maison Paschen, utilisée par ailleurs par le négociant nantais Louis Drouin, est un intermédiaire actif sur la place de Hambourg auquel recourt la maison Valck de septembre 1796 à mars 1797. Plusieurs indices laissent à penser que les liens d’affaire avec la maison Drouin, antérieurs à la période révolutionnaire puisque nous retrouvons le nom de Grasset parmi les commissionnaires auxquels s’adresse l’habitation Maré47, ont continué à être mobilisés dans cette phase d’incertitude.
31Ce choix de la co-propriété Maré ne doit pas être isolé du contexte nantais, les propriétaires ayant pu recevoir de précieux conseils, voire des recommandations, de leurs anciens commettants sur la place ligérienne. En août 1792, Louis Drouin préfère écouler sur Amsterdam un important envoi de sucres expédié par sa maison de Saint-Marc, en recourant au service de la maison Hope et Cie. La déclaration de guerre française aux Provinces-Unies le conduit à transférer les fonds obtenus (200889marcs, soit environ 400000 lt selon les comptes de vente) sur la maison Paschen et Cie de Hambourg. Il s’agit du recours classique au commerce neutre puisque le négociant nantais demande de convertir la somme en marchandises pour Saint-Domingue48. Ce type d’opérations a été très gêné par l’ordre du Comité de salut public de faire procéder à la déclaration de tous les fonds envoyés à l’étranger en février 1794, suivi de leur confiscation effective pour Drouin à travers les agents de Carrier le 7 février an II (26 avril 1794). Même après la fin de la Terreur, la récupération de ce capital n’est pas chose aisée comme le prouvent les démarches de 1795 et la rédaction d’un mémoire récapitulatif en 180549. Ses derniers armements maritimes effectués à Nantes en juillet 1792 sont déroutés pour le retour vers les ports américains à l’exemple de la Louise envoyée à Baltimore à l’intention du sieur Reliquet. Une procuration du 15 janvier 1794 charge les sieurs Cazenave et Walker, négociants du lieu, de récupérer l’argent de la vente et le reste du café non encore écoulé.
32Dès le début de 1793, les frères Chaurand, acquéreurs de l’habitation Lathan sise à Léogane en 1785, demandent à leur gérant Hamon de Vaujoyeux de faire parvenir leurs produits dans les ports anglais ou à Hambourg et de faire transiter la correspondance via les ports des États-Unis. Le circuit utilisé repose ainsi sur la maison Wasse et Vaughan à Philadelphie, ville de résidence du consul général français, et la maison L’Hébusson frères à Londres50. Honoré-Anne Chaurand s’embarque en juin 1793 pour Saint-Domingue, mais passe ensuite à Philadelphie. Son frère Pierre-Louis doit obtenir la levée du séquestre de son appartement nantais comme suspect d’émigration en fournissant un certificat du consulat de New York attestant un passeport en règle et une présence pour affaires. Il ne reviendra jamais, épousant sur place en secondes noces Élisabeth du Trejet qui lui donnera une fille et décédant aux États-Unis en 1837. Pierre-Louis Chaurand doit aussi expliquer la présence de son neveu à Hambourg où il avait été envoyé à seize ans en 1791 apprendre la langue allemande et le commerce51.
33L’exil de beaucoup de Français aux États-Unis perturbe la continuité de gestion dans les ports métropolitains à cause d’une rupture de la régularité de la correspondance et des prises d’initiatives non contrôlées de leurs relais antilllais. Même une organisation aussi bien structurée que celle de Louis Drouin, avec imbrication de deux sociétés de commerce à Nantes et à Saint-Marc, n’échappe pas à ces tribulations. La société en commandite de Saint-Marc, Nau, Champagne, Perrotin et Cie, formée en 1791, entre en collaboration avec des négociants américains52. Elle expédie sur New York à plusieurs adresses en 1795 : Phin et Ellice, John Pakk, P. Simon et Hankey fils. Lorsque René Nau passe aux États-Unis, il ne rend plus de compte de vente avant le premier mars 1797. Si le premier bilan financier est positif avec un solde de 36639 dollars (plus de 150000 lt), le dernier, du 26 messidor an XI (15 juillet 1803), enregistre un débit de 29631 dollars. Dans son mémoire de 180553, Louis Drouin se demande si ces opérations ont bien eu lieu pendant la durée de la société censée se clore en juillet 1796, et non après. Nau est accusé d’avoir détourné les fonds à son profit personnel. Au cours du procès tenu en 1807, ce dernier reconnaît avoir fait passer 230 000 livres à Londres et indique que Perrotin est allé en Jamaïque avec une autre partie des fonds. Le négociant nantais se déclare outré de la collusion avec les Anglais, « ennemis de l’État », mais n’est-ce pas un discours convenu pour emporter gain de cause en 1807 ?
34Les données fragmentaires fournies par les papiers de comptabilité conservés dans les archives privées de la famille Le Chauff permettent d’approcher les performances économiques d’une habitation profitant de la pacification anglaise, même si les inconnus demeurent hélas nombreux. Par opposition à la période 1785-1790, la documentation couvrant les années 1794-1798 ne comporte pas de compte de régie, mais seulement des relevés de chargement sur les navires et des comptes de vente dressés par les maisons de commerce. En termes de volume de production, les états de chargement soulignent d’abord les effets de la désorganisation provoquée par l’état d’insurrection des esclaves de mars 1792 à juillet 1794. Les deux premières années, la quantité de sucre obtenue est tombée à environ 150 000 livres poids contre 750 000 entre 1787 et 1790, soit une division par cinq. La relance est cependant effective, même si elle reste incomplète puisqu’à partir de 1796 on est entre 430 000 et 500 000 livres poids, soit une récupération à un peu moins des deux tiers. En raisonnant en chiffre d’affaires, la situation s’avère meilleure car le commerce sucrier bénéficie de l’inflation des prix provoquée par le contexte belliqueux. Le rythme reste délicat à interpréter suite à une discordance partielle entre les types de comptes. Si les comptes de vente de 1798 totalisent un résultat proche du niveau atteint en 1789-1790, autour de 220 000 à 230 000 livres tournois, l’écart considérable entre l’état de chargement et le résultat des ventes en 1796 pose problème puisqu’on y enregistre une belle hausse de production. L’hypothèse la plus vraisemblable tient dans la variabilité des cours. Alors que le gérant misait sur un très haut niveau, le climat de détente après les traités de paix de 1795 et l’essor massif du commerce des Neutres ont provoqué au contraire un affaissement54. L’évolution du poids relatif des frais des négociants par rapport au produit financier tiré de la vente souligne cependant une forte élévation faisant passer de 13 %/14 % en 1795-1796 à 29 %/30 % en 1797-1798. Ces chiffres traduisent les difficultés du transport maritime suite à l’addition de la dégradation des relations entre la France et les États-Unis menant à la « quasi-guerre » et à la poursuite du conflit avec les Britanniques.
35L’état des lieux dressé le 15 prairial an VI (3 juin 1798) lors du passage du séquestre anglais à celui de la République française55 indique la quasi-récupération de l’ensemble des terres travaillées en canne en chiffrant 70 carreaux pour un total de 144, alors que les données antérieures livrent une moyenne de 64 à 65 carreaux roulés augmentés de 24 carreaux de nouveaux plants. Le rapport, qui conclut sur le « bon état » de l’habitation, liste cinq magasins à sucre, un moulin à eau, cinq cabrouets et 39 cases de cultivateurs abritant environ 200 personnes, ce qui représente une amputation majeure de la main-d’œuvre. Il n’est pas question de purgerie et d’étuve, mais elles devaient exister56. Le cheptel approche 60 têtes de bétail dont 26 bœufs. L’impact de la phase insurrectionnelle est mesurable dans les observations parallèles. La caféière Maré est « abandonnée ». Deux sucreries des Maré d’Azincourt, autre branche familiale, sont dites pour l’une en « bon état », avec toutefois un cheptel non reconstitué et un atelier de moins de 30 personnes, et pour l’autre « incendiée », à l’exception de la maison principale. Un autre signe du redressement très important de la sucrerie Maré est le niveau très élevé du fermage fixé le 17 décembre 1798, très supérieur aux autres exemples connus57. Sans doute faut-il y lire l’action quasi continue du gérant Manègre, en contraste avec l’évolution chaotique de la plupart des plantations.
36L’absence des comptes de régie bloque toute tentative de calcul du revenu de l’habitation puisque nous ne connaissons pas les frais de production qui ne sont pas supportés par le négociant et surtout nous ne savons pas si le système parallèle de vente directe à des capitaines de navire ou des commissionnaires de Saint-Domingue, tel qu’il se pratiquait auparavant, a pu se maintenir et dans quelle proportion. La seule approche possible est de tabler sur l’hypothèse de sa disparition et de retenir une estimation des frais de production à partir des données disponibles pour 1785-1790, en tenant compte de la contraction du nombre d’esclaves et de la production. En soustrayant les sommes versées pour l’achat du groupe d’esclaves du total des dépenses pour 1785-1790, nous parvenons à une moyenne annuelle arrondie de 100 000 livres coloniales pour les frais de fonctionnement de l’habitation. Comme les résultats des deux premières années 1794-1795 correspondent au cinquième de la production à la veille de la Révolution, nous estimons les frais à 20 000 lc et nous les portons à 65 000 livres pour 1797-1798 en rapport avec une récupération partielle s’approchant des deux tiers. Pour éviter de sous-estimer ces frais dans une période de restauration de l’ordre ancien après une phase insurrectionnelle, nous maintenons ces données en équivalence de livres tournois, sans le calcul de contraction habituel. Ces bases conduisent à risquer le bilan financier suivant, simple indicateur de tendance.
37Les bilans des versements sur compte courant à la famille Le Chauff permettent de vérifier la validité de cette approche en ce qui concerne les ordres de grandeur58. Sur la base d’une valeur foncière estimée à un million de livres tournois pour tenir compte du contexte, cela aurait fait passer l’habitation Maré d’un taux de profit de 2 % à la relance à 20 % trois ans plus tard, à comparer au 18 % de la sucrerie Fleuriau juste avant la Révolution, bien au-dessus de la moyenne des sucreries de Saint-Domingue tournant plutôt autour de 8 %.
38Dans sa correspondance, François-Marie Yacinthe Le Chauff peut encore décrire en janvier 1802 une habitation d’une « tranquillité parfaite ». Au décès du gérant en mars 1798, l’affaire avait été confiée à son frère Manègre Dubreuil, dans une continuité du modèle, preuve de la bonne appréciation qu’en avaient les co-propriétaires. Sans doute porté par la vague de confiance soulevant tous les intéressés au système des plantations par l’envoi du corps expéditionnaire du général Leclerc, il ne voyait pas que c’était le calme avant la tempête. Le 6 février 1802, il est contraint de quitter l’habitation suite à l’insurrection des « cultivateurs » du quartier de l’Arcahaye « pour s’opposer aux troupes françaises qui étaient à bord des vaisseaux rendus et mouillés dans la rade du Port républicain59 ». L’habitation est saccagée. Maré d’Azincourt en fait état dans sa lettre du 22 mars 1802 : « Mon cousin M. Le Chauff croit qu’il a des fonds au continent ; il avoit à la vérité il y a trois ans 100 000 livres chez M. Benoist. Il les a retirées pour les employer à une guildiverie qui l’a ruiné. Il n’a plus rien60. » Manègre Dubreuil, qui fait état de fortes avances financières vis-à-vis des héritiers Maré, décède le 26 juin 1802. Après la saisie de Toussaint Louverture qui venait négocier sa soumission, la mort du général Leclerc, victime de la fièvre jaune, et la capitulation de Rochambeau en novembre 1803, Dessalines, nommé général à vie, proclame l’indépendance d’Haïti le 1er janvier 1804, première république noire issue d’une décolonisation.
Conclusion
39La trajectoire de l’habitation sucrière Maré sous la Révolution française, de la crise de l’Ancien Régime jusqu’au Consulat, permet de souligner quatre constatations qui viennent enrichir l’étude de l’impact de ce grand bouleversement multidimensionnel sur le système économique, en affectant le monde atlantique, l’un des espaces majeurs d’échanges dans un ensemble économique connecté à l’échelle mondiale. Une bonne gestion de mode capitalistique, reposant sur une intégration familiale et prenant appui sur une terre avantageuse bien aménagée et une exploitation intensive mais raisonnée du système esclavagiste, permet d’obtenir de très bons résultats en termes de production et de rentabilité. Les records avancés par des contemporains bons connaisseurs du terrain trouvent ici leur confirmation.
40Les tensions sociales et politiques enclenchées par le processus révolutionnaire à travers les révoltes des différentes catégories de population présentes à Saint-Domingue ont plus ou moins perturbé le système selon les lieux et les périodes. Atteinte tardivement par le soulèvement des esclaves sans destruction radicale, puis relancée grâce à l’occupation britannique, l’habitation meurt de la volonté de rétablissement de l’esclavage portée par les planteurs et les négociants des grands ports atlantiques et reprise par Napoléon Bonaparte, premier consul. Auparavant, elle avait tiré parti de la protection anglaise pour s’insérer dans le circuit de distribution dominé par des maisons de commerce de Londres et de Hambourg, utilisant les ports des États-Unis comme relais et le grand port de l’Elbe comme centre de redistribution pour l’Europe du Nord et de l’Est. Le redressement est effectif. Au-delà, c’est une illustration de la prégnance du modèle au sein des milieux d’affaires concernés, dans un rapprochement des planteurs et des négociants après les tensions de la seconde moitié du xviiie siècle autour du régime d’Exclusif. Fort de leur expérience du xviiie siècle où les guerres entre les puissances maritimes atlantiques européennes n’ont pas manqué, ces derniers veulent considérer la Révolution à Saint-Domingue et les guerres maritimes qu’elle a entraînées comme une parenthèse à refermer au plus vite pour repartir encore plus fort, sur le mode éprouvé du xviiie siècle triomphant. Ce faisant, ils ne prennent en compte ni la rupture politique et sociale engendrée par la Révolution, ni sa nouvelle nature impérialiste portée par des régimes politiques très différents signifiant le maintien de l’affrontement militaire avec le Royaume-Uni et le reste de l’Europe, donc l’allongement totalement inédit de la période de guerres maritimes. Si pour l’habitation Maré le destin a frappé en 1802, la naissance d’Haïti, première république noire à s’extraire de la colonisation, anéantit toutes ces espérances métropolitaines en 1804.
Notes de bas de page
1 Natacha Bonnet, Seigneurs et planteurs, entre Ouest atlantique et Antilles : quatre familles du xviiie siècle, thèse de doctorat, sous la dir. de Guy Saupin, université de Nantes, 2006. Il convient de se reporter à ce beau travail pour tous les détails supplémentaires. Dans cet article, l’auteur a élargi la comparaison avec d’autres habitations sucrières et surtout utilisé une autre méthode pour approcher l’évaluation de la rentabilité durant la période révolutionnaire.
2 Louis-Élie Moreau de Saint-Méry, Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de l’Isle de Saint-Domingue, Philadelphie, 1797-1798, 2 vol., éd. Blanche Maurel et Étienne Taillemite, Paris, Société de l’histoire des colonies françaises et Librairie Larose, 1958, 3 vol., p. 25
3 Jacques de Cauna, Au temps des isles à sucre. Histoire d’une plantation de Saint-Domingue au xviiie siècle, Paris, Karthala, 1987, p. 12. Pierre Pluchon, dans l’introduction de son édition critique du manuscrit de A. S. de Wimpffen, Haïti au xviiie siècle : richesse et esclavage dans une colonie française, Paris, Karthala, 1993, p. 43, suit les chiffres du commissaire aux colonies De Croisy, soit une très légère variante. Titre original : Voyage à Saint-Domingue pendant les années 1788-1789 et 1790.
4 Pierre Pluchon, op. cit., p. 203. Jacques de Cauna, Au temps des isles à sucre…, op. cit., p. 13. L’auteur retient respectivement 30000, 30000 et 500000 personnes.
5 Paul Butel, « L’essor antillais au xviiie siècle », in Pierre Pluchon (dir.), Histoire des Antilles et de la Guyane, Toulouse, Privat, 1982, p. 113.
6 Jacques de Cauna, Au temps des isle…, op. cit., p. 14.
7 Louis-Élie Moreau de Saint-Méry, op. cit., II, 950.
8 CAOM, G1 509, Greffe de Saint-Domingue. Tableau des cultures par nom des quartiers.
9 CAOM, 5 supsdom 4, État des habitations séquestrées de l’Arcahaye, 15 prairial an VI (3 juin 1798).
10 AD44, 4 Mi 209. Le principe est de multiplier par dix les revenus appréciés en 1823 pour tenir compte des pertes liées aux troubles révolutionnaires et surtout de la disparition du capital servile suite à la suppression de l’esclavage dans la république d’Haïti.
11 Natacha Bonnet, op. cit., p. 412-416.
12 Paul Butel, in Pierre Pluchon (dir.), op. cit., p. 116.
13 Mariages : 1760 : Catherine-Brigitte-Marguerite Maré et François Le Chauff, seigneur de Kerguenec ; 1762 : Marie-Julienne et Charles d’Aubardier de Manègre, capitaine de dragons ; 1765 : Adélaïde Julienne et Pierre de Marquessac, capitaine de cavalerie, chevalier de Saint-Louis, originaire de Périgueux, mais domicilié à Ancenis, ville de Loire entre Nantes et Angers.
14 AD44 4E2/759, 19 décembre 1760. Le seuil de la noblesse angevine est 10000 lt. À Bordeaux, 63 % des contrats nobles dépassent 51200 lt.
15 AD44 146J10. Partage de succession : 24 janvier 1810.
16 Natacha Bonnet, op. cit., p. 458.
17 Ibid. p. 207.
18 Jacques de Cauna, « L’habitation d’un Béarnais à Saint-Domingue : la sucrerie Nolivos à la Croix-des-Bouquets », Revue de Pau et de Béarn, 1985, n° 12, p. 213-232.
19 Jacques de Cauna, « La maquette d’habitation du musée d’Aquitaine. La sucrerie Nolivos et ses esclaves », Jacques de Cauna et Cécile Revauger, La société des plantations esclavagistes. Caraïbes francophone, anglophone, hispanophone. Regards croisés, Paris, Les Indes savantes, 2013, p. 33. L’auteur cite les habitations Chavannes au Trou (69/129 carreaux en 1770) et Belle-Hôtesse au Terrier-Rouge (90/140 carreaux).
20 Éric Noël, Les Beauharnais, une fortune antillaise, 1756-1796, Genève, Droz, 2003. Id., « Le sucre des îles, or blanc des Beauharnais à la fin de l’Ancien régime », Bulletin du Centre d’histoire des espaces atlantiques, n° 6, 1993, p. 77-98.
21 Natacha Bonnet, op. cit., p. 207. C’est supérieur aux Varreux (80/267 : 30 %) à Galbaud (80/300 : 26,7 %) Macnemara (120/56 : 46,7 %).
22 Ibid., p. 222.
23 Jacques de Cauna, Au temps des isles…, op. cit., p. 163.
24 Louis-Élie Moreau de Saint-Méry, op. cit., p. 925.
25 Natacha Bonnet, « L’organisation du travail servile sur la sucrerie domingoise au xviiie siècle », Philippe Hrodej (dir.), L’esclave et les plantations, de l’établissement de la servitude à son abolition, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 125-159.
26 Jacques de Cauna, Au temps des isles, op. cit., p. 163, cite S. J. Ducoeurjoly, Manuel des habitants de Saint-Domingue…, Paris, Lenoir, an X, vol. I, p. 109, et encore Hiliard d’Auberteuil, bien averti, qui avait affirmé que les sucreries bien gérées faisaient 15 %, suscitant une réfutation scandalisée des planteurs, p. 197.
27 Jacques de Cauna, op. cit., p. 258.
28 Natacha Bonnet, op. cit., p. 286-288.
29 David Geggus, « The slaves of British occupied Saint-Domingue : an analysis of workforces of 197 absentee plantations (1796-1797) », 1978, vol. 18, n° 1/2 (avr.-juill. 1978), p. 5-41. Les rapports variant le plus souvent entre un et deux esclaves par carreau. Le chiffre de 2,4 pour la sucrerie Macnemara est qualifié de « favorable ». « Les esclaves de la plaine du Nord à la veille de la Révolution française : les équipes de travail sur une vingtaine de sucreries », n° 136, 1982, p. 5-32.
30 Jacques de Cauna et Cécile Revauger (dir.), op. cit., p. 35-40. Dans le nord : 1,6 sucrerie d’Aux, 1,7 sucrerie Vaudreuil-Duras, 1,9 sur sucrerie Belle-Hôtesse, 2 sucrerie Caignet, 2,5 sucrerie Bongars. Les rapports supérieurs à 2 étaient habituels dans l’Ouest, ainsi sur les sucreries Lugé, Raby, Baudard Saint-James. Toutefois, la sucrerie Nolivos se contente du rapport de 1,4.
31 Bernard Foubert, « Colons et esclaves du sud de Saint-Domingue au début de la Révolution », Revue française de l’histoire d’outre-mer, 1974, n° 223, p. 199-217. Id., Les habitations Laborde à Saint-Domingue dans la seconde moitié du xviiie siècle, thèse Paris IV sous la dir. d’Yves Durand, 1990, p. 506, 518-519, 650-651.
32 Jacques de Cauna, Au temps des isles…, op. cit., p. 195.
33 AD44, 46 J 13. Lettre à Le Chauff du 24 août 1790. Manègre s’inquiète de la mobilisation de Léogane et se rassure avec la répression des comités rebelles de Port-au-Prince.
34 AD44, 146 J 13. Lettre à Le Chauff du 15 mai 1790 : « avec la grande fortune que vous avez, on ne doit point craindre les circonstances de la révolution pareille où nous sommes ».
35 Agnès Renault, « Les esclaves sur les plantations de café appartenant aux Français installés dans la juridiction orientale de Cuba (début xixe siècle) », Jacques de Cauna et Cécile Revauger (dir.), op. cit., p. 117-119. En janvier 1804, il y avait officiellement 18430 Français à Santiago de Cuba, la majorité arrivée entre 1798 et 1804 pour y développer du café. Ces planteurs en fuite étaient venus avec quelques esclaves, surtout des femmes et des enfants, dont une moyenne de 5, avec les deux tiers des exemples inférieurs à 4.
36 Jacques de Cauna, Au temps des isles…, op. cit., p. 64-81.
37 AD44, 146 J 13, Lettre du 29 avril 1792.
38 Laure Pineau-Defois, Les grands négociants nantais du dernier tiers du xviiie siècle, thèse de doctorat, université de Nantes, 2008, sous la dir. de Guy Saupin, p. 530. Notaire Chesnard. Acte du 14 brumaire an V (5 novembre 1801) : procuration de Louis Chaurand à Hamon de Vaujoyeux, encore à Wilmington aux États-Unis, pour se rendre sur leurs biens pour réclamer la mainlevée du séquestre. Acte du 19 Fructidor an X (6 septembre 1802) d’Éléonore Browne, veuve Guillaume Bouteiller, à Camfrancs, Thézan et Cie pour la même chose.
39 Olivier Pétré-Grenouilleau, L’argent de la traite : milieu négrier, capitalisme et développement, un modèle, Paris, Aubier, 1996.
40 Françoise Thésée, Négociants bordelais et colons de Saint-Domingue. « Liaisons d’habitation ». La maison Henry Romberg, Bapst et Cie, 1783-1793, Paris, Société française d’histoire d’outre-mer, 1972, p. 191.
41 Silvia Marzagalli, « Guerre et création d’un réseau commercial entre Bordeaux et les États-Unis, 1776-1815. L’impossible économie du politique », in Silvia Marzagalli, Bruno Marnot (dir.), Guerre et économie dans l’espace atlantique du xve au xxe siècle, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2006, p. 375-389.
42 Ibid., p. 386-387, 393.
43 Paul Butel, « La croissance du port de Londres au xviiie siècle », in Josette Pontet (dir.), Des hommes et des pouvoirs dans la ville, xive-xxe siècles, France, Allemagne, Angleterre, Italie, Bordeaux, Cesurb-Histoire, 1999, p. 58-68. L’auteur s’appuie sur les données de Patrick Colquhoun, A Treatise on the Commerce and Police of the Thames, 1800, tableau p. 61.
44 François Crouzet, L’économie britannique et le blocus continental, Paris, PUF, 1958 (réimpression Paris, Economica, 1987, p. 130).
45 Silvia Marzagalli, Les boulevards de la fraude. Le négoce maritime et le Blocus continental, 1806-1813, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1999, p. 74-84.
46 Ibid., p. 86. La faillite de la « Persent and Bädecker » de Londres entraîne celle de 54 maisons de commerce à Hambourg. On fonde une caisse d’escompte appuyée sur les plus solides maisons : Chapeaurouge, Parish and Co, Voght and Sieveking.
47 Laure Pineau-Defois, op. cit., p. 378. La société en commandite Grasset frères, Pitteu et Cie fonctionne de 1785 à 1791. Son responsable est Julien Grasset, négociant à Saint-Marc. AD44, 4E2/953. Notaire Girard de la Canterie, acte du 22 avril 1785 : procuration de Louis Drouin pour apurer les comptes avec la précédente société Drouin, Morel, Pitteu et Cie (1777-1784).
48 Ibid., p. 525.
49 Médiathèque de Nantes, 85 202/C65. BNF, 4-LB41-5278.
50 AD44, 101 J25 cor. Février 94. Vente de 77 barriques de sucre terré, pour 142 983 livres 17 sols.
51 Laure Pineau-Defois, op. cit., p. 528.
52 Ibid, p. 534-539.
53 Médiathèque de Nantes, 85202.
54 Natacha Bonnet, op. cit., comparaison tableau 222 et 422.
55 CAOM, 5 supsdom 4.
56 Maré d’Azincourt, cousin des Le Chauff, parle d’un investissement de 100 000 livres dans une guildiverie en 1799.
57 État du fermage du département de l’Ouest. L’habitation Maré est concédée à Beaunay moyennant 80 milliers de sucre par an. C’est dix fois plus que pour celle des Chaurand.
58 Natacha Bonnet, op. cit., p. 474-475. Nous avons repris certaines données de base tout en retenant une autre méthode plus rationnelle. Les versements sont de 6 624 lt en 1795 et de 9 624 lt en 1796. La multiplication par trois selon la co-propriété donne des résultats proches de nos calculs, respectivement 19 872 lt et 28 872 lt.
59 AD44, 146 J 13. Déclaration de Louis Aubardier Manègre Dubreuil devant notaire le 13 février 1802. Il indique avoir été chassé avec 17 autres propriétaires ou gérants sur ordre de Dessalines.
60 AD44 146 J 13.
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