Un port face à l’Angleterre : Gravelines (1792-1802)
p. 177-197
Texte intégral
1La vie maritime française est particulièrement difficile à établir avec précision sous la Révolution même. En effet, avec l’abolition de l’Ancien Régime, les vieilles institutions disparaissent, et notamment, l’Amirauté qui avait en charge la navigation commerciale du royaume en levant des taxes sur tous les navires à la sortie (les congés) ou sur le tonnage à l’entrée, le plus souvent sur les étrangers (l’ancrage). L’essentiel de nos connaissances portant sur la conjoncture portuaire au xviiie siècle, provient de ces deux sources massives. Mais la loi du 13 août 1791 répartit les traditionnelles attributions de l’Amirauté entre les administrations de la Marine, de la Justice et des Douanes. Ces dernières héritent de la tenue des mouvements de la navigation. Ces mesures prennent effet à partir du 1er janvier 1792, le cahier de Gravelines en témoigne. Malheureusement la chute de la royauté en août, l’épisode jacobin immédiatement après, ajouté à la guerre généralisée en janvier 1793 entraînent la paralysie puis l’inexistence des organes centraux de l’État. L’absence de statistiques caractérise donc cette période qui va se poursuivre jusqu’à la reprise en main inaugurée par le Consulat. Entre temps s’est installée une vacance administrative fort préjudiciable pour le pays, et, encore plus, pour les historiens qui n’ont plus rien pour jauger et donc juger de l’état du commerce et de la marine durant cette décennie révolutionnaire, d’autant que les chambres de commerce, qui auraient pu suppléer cette béance, se sont retrouvées, elles aussi, supprimées. L’intérêt de ce petit document, resté anonyme, mais qui doit provenir de la douane locale, n’est ainsi plus à démontrer. Il est en main privée et remercions son possesseur de l’avoir sauvé, car le sort des archives locales en France est resté longtemps des plus problématiques.
2L’existence de ce petit cahier est à replacer dans le contexte mouvementé de l’époque. Six décrets et lois édités entre le 16 août 1790 et le 9 avril 1791 mettent fin à l’existence de l’Amirauté de France. Gravelines est un port dit oblique du siège de Dunkerque. C’est dans son compte rendu annuel que nous trouvons les chiffres de l’activité dudit port. Nous savons que le 28 novembre 1791, les registres de l’amirauté de Dunkerque – on ne précise pas lesquels – sont remis au commissaire aux classes1. En revanche, la gestion des greffes pose davantage de problèmes, ce qui explique la prorogation des prérogatives de l’amiral jusqu’au 1er juillet 1792 où la transmission des pouvoirs se fait au profit de la municipalité. Cela a des répercussions dans la tenue des registres se rapportant à la perception des droits de navigation. Le dernier registre de congés dunkerquois remonte à 17912 suivi d’un autre pour 1792 tenu par un nouveau venu Caffieri3 qui fera office de « receveur des droits de navigation en ce port ». Ce registre, paraphé par le président du tribunal de commerce4, permet de comprendre le passage de témoin. Les neuf premières lignes sont occupées par les sommes reçues par les neuf courtiers de navires qui remplacent alors les officiers de la cy-devant amirauté entre le 24 novembre et le 31 décembre 1791. Cela signifie que, dans les faits, l’amirauté locale n’existe plus depuis le 24 novembre, mais que ses droits continuent d’être perçus comme si de rien n’était et ce jusqu’au 11 février 1792. Aussi les droits de l’amiral s’élèvent à 1972 lt, les honoraires des ex-officiers à 1122 lt, ceux du maître de quay et du visiteur de navires à respectivement 401 et 140 lt. Nous en avons confirmation par l’existence d’un état des congés délivrés à Dunkerque et Gravelines dressé par Caffieri, envoyé à l’amiral et établi à la date du 11 février5. Ce registre, fort bien tenu, s’arrête le 30 juillet 1793, en bonne logique puisque la Convention vient de décréter l’embargo général des navires étrangers à partir du 1er juillet, mesure qui ne sera révoquée que le 23 mars 1794. Malheureusement, le trafic entre le 12 février et le 30 juin 1792 n’est pas inscrit. Y aurait-il eu une vacance administrative pendant près de cinq mois ? La réponse est négative car il existe un relevé mensuel des sorties pour toute l’année 1792 concernant le cabotage des navires français, hormis les Dunkerquois6. Chaque cahier est paraphé par Louis Toustain qui dirige l’arsenal et sera destitué le 14 janvier 17947. C’est donc un militaire qui authentifie des statistiques normalement tenues par la Douane nationale. C’est dans ce contexte encore très cadré que démarre la tenue du petit cahier gravelinois. Il est même possible de donner le nom du premier greffier grâce au registre dunkerquois8 qui mentionne un « état de Mons Boyer, receveur préposé au port de Gravelines » concernant la recette de juillet et août 1792, à savoir 23 congés à 2 lt 1 s 6 d. Pour la période de septembre à novembre, la chute est drastique : 2 congés à peine, plus un droit d’ancrage de 67 lt 4 s pour 192 tonneaux. En décembre, est mentionné un seul bateau français « par le préposé de Gravelines... sur permis de Petiton ». Le sieur Boyer a donc été probablement remplacé entretemps.
3Le document gravelinois se présente sous la forme d’un simple cahier de grandes feuilles (29 cm × 20 cm) sur lesquelles le greffier a inscrit simultanément sur deux pages, les entrées et les sorties. Il a énormément souffert de l’humidité, mais le texte reste lisible9. Les feuilles sont divisées en plusieurs colonnes donnant la date, le nom et le tonnage du navire, le nom du capitaine, le nombre d’hommes d’équipage, le port de provenance et celui de destination, enfin la nature de la cargaison, le tout concerne les arrivées. Pour le départ, le greffier se contente de la date et de la nature de la cargaison, les autres renseignements feraient double emploi. Nous disposons donc de l’équivalent des congés de l’ancienne amirauté, mais avec un descriptif précis de la cargaison, qui jusqu’alors, n’était connue que par les connaissements.
4Malheureusement, le document ne sera pas rempli de manière uniforme durant les dix années étudiées. Le greffier, après avoir inscrit les quatre premiers départs en janvier 1792, ne les reprend qu’en l’an vi, plus exactement en mars 1798. Ces départs ont existé puisqu’il mentionne pour l’Albion, arrivé le 3 novembre 1792, qu’il repart « chargé de bois provenant de l’échouement du Dublin » à destination de Stettin en Prusse. De même le 29 juin 1794, arrivent deux dogres qui font un aller-retour sur Dunkerque. Le nombre d’hommes d’équipage est passé sous silence jusqu’en janvier 1793, quant au tonnage, celui des navires de guerre nous reste inconnu. En revanche, à partir de l’an VI, le greffier, qui semble être le même tout au long de cette décennie, fournit le type de chaque navire et un luxe de détails sur les cargaisons et la navigation des bâtiments. Ainsi, pouvons-nous, par ce biais, établir la chronique des événements de mer devant Gravelines durant la Révolution.
5Gravelines, en 1792, est sorti de l’ombre. À la frontière du royaume de 1559 à 1659, mais du côté espagnol, le port n’a jamais pu réellement exister, puis la spectaculaire croissance de Dunkerque sous Louis XIV empêche tout développement maritime, trop proche de la place corsaire. Il faut attendre le creusement du nouveau chenal entre 1738 et 1740 pour que la petite ville connaisse un début d’essor, des plus modestes soulignons-le tout de suite. Se contentant de 10 à 20 congés annuels, l’amirauté en délivre beaucoup plus pour les cinq dernières années de l’Ancien Régime10 :
1787 | 1788 | 1789 | 1790 | 1791 |
37 | 46 | 109 | 85 | 52 |
6La courbe des tonnages confirme la flambée des sorties : 2000 tx en 1787, plus de 6500 tx en 1789.
7Ce commerce en nette hausse explique la demande simultanée d’Adrien Sneck pour devenir maître de quai et de l’ancien marin Spyns pour être courtier à Gravelines11. Mais leurs missives adressées à l’amiral sont datées du 6 et 11 septembre1789 et nous laissent à penser qu’ils n’ont pas conscience que la France entre dans une nouvelle ère.
8Le document comporte en réalité deux parties bien distinctes, non seulement par la présentation, mais par la césure chronologique induite.
9Nous avons le trafic portuaire de janvier 1792 à juin 1794, puis de mars 1798 au début 1802 : nous comptons un total de 134 entrées pour 50 sorties.
10Les arrivées restent régulières au début de la période considérée tout en s’amenuisant jusqu’à leur interruption en juin 1794.

11L’autre période est beaucoup plus chaotique :

12Les chiffres montrent que Gravelines reste un tout petit port et le calcul du tonnage le confirme :

13 Remarquons que nous n’avons sous les yeux que le tonnage strictement commercial puisque le greffier ne note pas celui des corsaires ni celui des bâtiments de guerre. Le tonnage moyen des navires passe de 60 tx en 1792 à 47 tx en 1794 puis stagne (46 tx en 1801). Le phénomène de baisse en cache un autre : celui de l’excessive médiocrité des tonnages français face à celui des étrangers. Mais cet état de fait remonte bien dans le temps, surtout dans les ports de la Manche où escalent les gros charbonniers anglais et les transporteurs de bois danois et suédois12.
14Quoi qu’il en soit, le trafic est terriblement perturbé par les hostilités avec le Royaume-Uni : en 1793, il chute des trois quarts en nombre de navires ainsi qu’en tonnage. La reprise de 1802 s’explique tout simplement par la signature des préliminaires de paix le 1er octobre 1801 en attendant le paraphe définitif le 25 mars l’année suivante à Amiens. La période 1794-1800 est donc presque blanche à quelques exceptions près, mais soigneusement notées par le préposé des Douanes.
15En 1792, il est possible de dresser une géographie du trafic : d’où viennent les navires qui touchent Gravelines ? Que transportent-ils ?
Port de départ a | Nombre de navires | Tonnage | Sous-total |
Dunkerque | 9 | 443 | |
Boulogne-sur-Mer | 5 | 133 | |
Aber Ildut | 1 | 46 | |
Les Sables-d’Olonne | 1 | 90 | |
Île d’Yeu | 1 | 40 | |
Saint-Martin-en-Ré | 2 | 120 | |
Marennes | 20 | 1444 | |
Seudre | 1 | 72 | |
Sous-total français | 40 | 2388 | |
Londres | 1 | 36 | |
Sunderland | 1 | 80 | |
Portsmouth | 1 | 23 | |
Liverpool | 1 | 30 | |
Ostende | 1 | 71 | |
Rotterdam | 8 | 344 | |
Amsterdam | 1 | 36 | |
Mandal | 2 | 163 | |
Dantzig | 1 | 220 | |
Sous-total étranger | 17 | 1003 |
a. Trois ports sont restés non identifiés et ne sont pas inclus dans le tableau. Le total des navires passe à 60.
16L’année 1792 demeure donc dans la droite ligne de la conjoncture antérieure. Les 60 bâtiments font un total qui dépasse les 52 congés de l’année 1791. En tonnage, le port a reçu 3638 tonneaux contre 2680 tonneaux sortis en 1791.
17Dans le détail, 40 navires proviennent du royaume contre 17 de l’étranger, ce qui est remarquable pour le volume du trafic considéré, soit 30 % du tonnage total. Il faut mettre un bémol à cette ouverture sur l’extérieur, car le greffier distingue bien les escales prévues de celles de circonstances placées sous le vocable relâche. Le navire de Sunderland et quatre bâtiments de Rotterdam n’avaient pas prévu de se protéger dans le chenal de Gravelines, pas plus que celui de Portsmouth. Quant au vaisseau de Dantzig, il devait rejoindre Belfast et finit échoué. Cela fait un total de sept navires ce qui réduit drastiquement l’importance des ports étrangers.
18Gravelines ne sert presque pas d’avant-port à Dunkerque (13 % du tonnage), mais du fait de l’abolition de la gabelle et des péages intérieurs, il est le havre idéal pour faire remonter le sel vers l’Artois (42 % du tonnage).
19 C’est l’une des conséquences inattendues de ce début de la Révolution : les réseaux marchands sont directement touchés par cette simplification fiscale et jusqu’à présent, bien peu de recherche ont porté sur cet aspect de la circulation des marchandises, sauf exception13. Les cargaisons sont connues pour les 60 navires reçus dont il faut exclure tout d’abord huit arrivées sur lest14. Le produit phare est le sel mesuré en muids de Brouage : les 26 chargements rassemblent un volume proche de 3000 muids15. Ce total n’est rien à côté de celui que reçoit Dunkerque. En 1792, ce port reçoit 11966 muids, soit autant qu’en 1789, mais en réceptionne 30629 en 1790. L’abolition de la gabelle doit y être pour quelque chose16. Le genièvre est bien présent, mais au moins quatre des sept cargaisons sont le fait de relâches, et n’ont donc pas approvisionné Gravelines. Le bois est également signalé dans 11 cas, avec détail intéressant, cinq portant sur des bois propres à palissader, à partir de juin, ce qui serait peut-être à mettre en rapport avec les premières mesures tendant à mettre à niveau les défenses de Gravelines et de Dunkerque vis-à-vis des Autrichiens, la guerre étant déclarée depuis le 20 avril 1792.
20Les années 1793-1794 sont inévitablement fortement marquées par les hostilités devenues générales à partir du 1er février 1793. Sur les 25 navires arrivés concernés, il faut exclure les quatre de janvier 1793 en simple relâche ou échoués. Restent donc 21 bâtiments, mais seuls quatre, à peine, concernent le commerce proprement dit, plus un échouement. Pour le reste, nous avons affaire à des mouvements de navires militaires, le stationnaire qui, comme son nom l’indique, garde l’entrée du chenal, ou à des corsaires en relâche ou encore à l’arrivée de quatre petites prises, hormis deux dogres de pêche nolisés par l’État pour servir de transport soit pour la Marine soit pour l’armée de terre.
21La période suivante (1798-1801) ressemble beaucoup aux années 1793-1794, mais la guerre s’est installée et, d’une certaine manière, la navigation s’y est adaptée. Seulement le conflit a changé de nature, il est devenu total sur mer, la neutralisation de la pêche n’existe plus, et le pavillon couvre de moins en moins la marchandise17. De plus, la situation géographique de Gravelines rend aussi cette navigation encore plus originale du fait de l’extrême proximité de l’Angleterre. Une liaison directe avec Douvres s’est installée, vouée au transport des passagers, peu nombreux, mais signalés par leurs nom, prénom, lien de parenté, domicile et profession, et à l’acheminement des dépêches pour le ministre, sans plus de précision, toutes référencées, mais concernant uniquement l’année 1798 (des n° 1 du 27 mars au n° 27 du 16 avril).
22Nous sommes en présence d’une liaison que nous pourrions qualifier de diplomatique plutôt qu’économique. Quant aux navires français, ils concernent comme précédemment, d’une part, des bâtiments canonniers si petits que la Marine ne leur attribue qu’un numéro et qui défendent tant bien que mal le littoral, alors qu’ils étaient destinés au transport des troupes de la République à travers le détroit, et d’autre part, toute une suite de misérables corsaires, armant des coquilles de noix prises par l’ennemi à la première occasion. Le Liberté de 4 tonneaux ou le Sans-Culotte de 6 tonneaux sont de parfaits exemples de ces expéditions suicides18. Remarquons que sur les 15 escales corsaires couchées dans ce cahier, une seule relève explicitement d’un corsaire local, le Liberté, armé par le Boulonnais Dutertre19 La navigation commerciale se réduit comme peau de chagrin. Sur les 30 arrivées de 1801, nous relevons en théorie, 14 navires marchands, mais seuls neuf d’entre eux apportent des marchandises différentes de celles de 1792. Si la Norvège fournit toujours ses produits forestiers, la nouveauté réside dans l’importation de produits coloniaux : café, cacao (13 sacs des États-Unis) et surtout sucre (en pain et raffiné est-il est bien spécifié). Exit l’exclusif colonial, le produit n’est plus ramené brut pour être transformé en métropole. Même Gravelines, port de peu d’importance, subit les conséquences de ce basculement économique qui font de Bordeaux et de Nantes les grands perdants, et des neutres, les nouveaux mais provisoires gagnants. Il n’est pas innocent de voir, pour la période 1798-1802, le greffier noter systématiquement la nationalité du navire. Le caractère implicitement soupçonneux du document peut être illustré avec le cas du Ville d’Oldenbourg, arrivé le 9 mai 1801 et reparti dix jours plus tard après « [avoir] été visité deux fois par toutes les autorités réunies ».
Nationalité | 1798 | 1801 |
Française | 4 | 13 |
Danoise | 3 | 2 |
Prussienne | 3 | 5 |
Américaine | 1 | 3 |
Suédoise | 2 | |
Anglaise | - | 1 |
Total | 13 | 24 |
Répartition des sorties selon la nationalité des navires.
23Comme nous l’avons déjà fait remarquer, la part française se rapportant avant tout aux navires de guerre, restent les Scandinaves qui, depuis 1793, font de fabuleux profits en servant de transporteurs à la République française : le port de Gravelines, malgré sa petitesse, est aussi touché par le phénomène avec la ville de Sandfjord sur le Skagerrak, près de l’actuelle Oslo. Mais une ville, devenue prussienne en 1744, Emden20, constitue en réalité le seul lien commercial de Gravelines avec l’extérieur : huit navires, dont deux américains, en provenance de ce port résument parfaitement la situation. Les États-Unis apporte en deux voyages 79 barriques de sucre et 90 sacs et barils de café et remmène à Emden 31000 tourteaux de lin et de colza21. Le second navire le Boréas n’est pas prévu dans le scénario marchand habituel : c’est une prise faite par le Poisson Volant de Calais, amenée en octobre 1800 et qui repart probablement libéré le 7 mars 1801 avec près de 90000 tourteaux, toujours pour Emden22.
24Gravelines n’échappe pas à la règle commune. À l’instar des autres ports français, il subit les conséquences du blocus rapproché des Anglais. La Royal Navy a tiré les leçons des conflits antérieurs et sait que par cette pratique, elle asphyxie l’adversaire tant du point de vue militaire qu’économique. La seule différence, pour ce petit port flamand, est son immédiate proximité avec sa voisine d’outre-Manche, Douvres, qui peut être atteinte en deux à six heures. Mais c’est faire fi des aléas météorologiques qui, ajoutés aux dangers des bancs de Flandre, font des atterrages de Gravelines une zone périlleuse pour la navigation, d’où les relâches mentionnées. Calais, à 20 km à l’ouest, connaît le même problème : il est le seul port français à posséder sous l’Ancien Régime, à côté des habituels registres de congés tenus par le greffier de l’amirauté, un registre spécifique consacré au relevé des relâches23.
25En dehors du Reward de Dublin qui doit être renfloué en février 1792, le Saint-Johanes de 220 tonneaux s’échoue six mois plus tard, tout comme l’Albion en novembre et l’Utile de 100 tonneaux qui se brise à la côte. L’année 1793, malgré la guerre, voit encore deux échouements : le Deux Frères de 250 tonneaux et le Benjamin de 115 tonneaux. Remarquons que cinq accidents sur un total de 78 navires concernent toujours des unités de gros tonnage qui se font prendre au piège des bancs.
26De 1792 à 1802, Gravelines ne connaît donc qu’une seule année de navigation normale, la première, dont les modalités et la composition sont dans le droit fil de ce que ce port avait connu sous l’Ancien Régime. Dès 1793, les relâches et les prises constituent l’essentiel d’un trafic anémié d’abord et qui disparaît en juin 1794. Une reprise, si le mot peut convenir, ponctuelle seulement, n’intervient qu’en 1798, par la navette diplomatique, via Douvres. La navigation renaît en 1801 avec l’arrivée des neutres scandinaves. L’intérêt de cette courte étude est de montrer ce qui se passe dans un petit port français comme il y en a beaucoup à cette époque. C’est sa représentativité probable qui doit intéresser l’historien, fort démuni pour cette période. Faire circuler un navire, même au cabotage rapproché, même à l’abri de côtes aussi fortifiées que celles d’Artois et de Flandre, est devenu pour ainsi dire impossible aux marins français. L’emprise britannique est totale et beaucoup plus précoce qu’en Atlantique du fait que du clocher de Gravelines, il est possible de distinguer les falaises du Kent. Mais cette proximité géographique visible explique aussi la mise en place d’une flotte de débarquement vers l’Angleterre, et illustre également l’aveuglement des responsables de ce projet vis-à-vis des réalités quotidiennes de ce littoral. Mais n’avaient-ils pas l’excuse ou l’alibi de décider à partir de Paris, très loin de l’Océan ?
Annexe
Annexe 1. Navires arrivés à Gravelines de 1792 à 1802








Annexe II. Navires sortis de Gravelines (1792 à 1802)



Notes de bas de page
1 AN, G5-8, dossier n° 3.
2 AN, G5-78.
3 Il remplace Charles Destouches, dit le père, greffier depuis 1749 !
4 AD du Nord, L 6260.
5 AN, G5-311.
6 AN, F12-1675b. Cela permet de combler la lacune du registre L 6260 mais de manière partielle puisque les navires étrangers sont absents.
7 Émile Mancel, « L’arsenal de la Marine et les chefs maritimes à Dunkerque », Bulletin de l’Union Faulconnier, t. 3, 1900, p. 433-437, biographie peu satisfaisante.
8 Collection privée, f° 17.
9 Depuis lors, il a été restauré et relié.
10 Christian Pfister-Langanay, « L’essor du port de Gravelines à la fin du xviiie siècle », Revue historique de Dunkerque et du littoral, n° 42, 2009, p. 129-148.
11 AN, G5-3, dossier n° 8.
12 Nous avons relevé le phénomène à Fécamp, voir « Le port de Fécamp (1782-1785) : de la guerre à la paix », Cinquièmes journées d’histoire de la grande pêche, Société d’archéologie et d’histoire de la Manche, Saint-Lô, 2014, p. 105-120. En 1784, le navire français fait 43 tx pour 78 au navire étranger.
13 L’exception étant le remarquable travail de Thomas Le Roux, Le commerce intérieur de la France à la fin du xviiie siècle, Paris, Nathan, 1996.
14 Dont le Liberté rempli de tonnes vides pour renflouer le Reward de Dublin, navire qui s’est probablement échoué devant Gravelines.
15 Exactement 2954 muids et 112 boisseaux.
16 Christian Pfister-Langanay, « Les relations entre Dunkerque et l’Ouest français de Louis XIV à la Révolution française », in Les sociétés littorales du centre-ouest atlantique de la préhistoire à nos jours, t. 1, Poitiers, Société des Antiquaires de l’Ouest, 1998, p. 323.
17 Silvia Marzagalli, op. cit., p. 67 et suiv. Renaud Morieux, Une mer pour deux royaumes, Rennes, PUR, 2008, p. 177-179, sur la fixation de la frontière douanière (1793), qui se concentre sur l’aspect spatial en ignorant le point de vue économique du phénomène. Le côté commercial stricto sensu n’est guère pris en compte dans le travail de R. Morieux.
18 Michael Simpson, « Cinq nouveaux rôles d’équipage corsaires dunkerquois (1778-1783) », Revue historique de Dunkerque et du littoral, n° 40, 2007, p. 321-344. Le Constant déplace 20 tx. Résultat confirmé par Christian Pfister-Langanay, « Les corsaires dunkerquois au xviiie siècle : leur mobilité géo-professionnelle. Quelques exemples », in Stéphane Curveiller (dir.), Se déplacer du Moyen Âge à nous jours, s. d., p. 185-197. Sur les 16 corsaires cités, neuf concernent la période révolutionnaire dont huit uniquement pour l’année 1793. Ces derniers déplacent entre 20 et 80 tx, tandis que le Furet de 1797 atteint les 10 tx. Tous ces rôles d’équipage sont ceux des corsaires dunkerquois pris par les Anglais et conservés à Londres, dans le fonds Hight Court Admiralty.
19 Il est nécessaire de reprendre la liste établie par Christian Borde, « L’annuaire des corsaires du Nord-Pas-de-Calais 1793-1815 », Revue de la Société dunkerquoise d’histoire et d’archéologie, n° 23, p. 257-267.
20 Si le trafic scandinave est maintenant bien connu par Pierrick Pourchasse, Le Commerce du Nord, les échanges commerciaux entre la France et l’Europe septentrionale au xviiie siècle, Rennes, PUR, 2006, excepté Hambourg, le rôle des ports allemands reste mal connu, en particulier ceux de la Frise orientale qui connaissent un essor considérable à la fin du xviiie siècle.
21 Silvia Marzagalli, op. cit, p. 70 et suiv. sur l’ampleur du commerce américain.
22 Nous sommes à la fin de la quasi-guerre avec les États-Unis, le traité de Mortefontaine étant ratifié le 30 septembre 1800. Cet épisode peut s’expliquer par la non-connaissance du corsaire de la signature de la paix et qu’il faut six mois pour que le capitaine américain puisse prendre la mer. Voir Ulane Bonnel, La France, les États-Unis et la guerre de course (1797-1815), Paris, Nouvelles Éditions latines, 1961.
23 AN, G5-59. Cahier de relâche en 1784, 1786 et 1787.
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