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    Plan détaillé Texte intégral L’histoire de l’humanitaire : approche relationnelle et jeux d’échelles Les reconfigurations de l’héritage colonial Notes de bas de page

    L’humanitaire en guerre civile

    Ce livre est recensé par

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    Conclusion

    p. 323-330

    Texte intégral L’histoire de l’humanitaire : approche relationnelle et jeux d’échelles Les reconfigurations de l’héritage colonial Notes de bas de page

    Texte intégral

    1Davantage que comme le lieu de naissance d’un « nouvel humanitaire », c’est comme une fenêtre ouverte sur le monde de l’action humanitaire de la fin des années 1960 que cette recherche a souhaité aborder le conflit Nigeria-Biafra. Elle a montré les enjeux, les lignes de force et les tensions qui parcourent l’intervention internationale dans cette région africaine ainsi que les influences qui la travaillent. Mettre l’accent sur la multiplicité des acteurs et la diversité de leurs pratiques a permis de réfléchir aux marges de manœuvre dont ils disposent et à la façon dont ils conçoivent la crise, plutôt que de les figer dans des principes juridiques, normatifs ou moraux. Il s’agissait également de réintégrer dans cette histoire de l’humanitaire – dans la mesure où cela a été possible – les « terrains » sur lesquels l’action se déploie et les formes variées que peuvent prendre les relations entre ceux qui pensent, ceux qui mettent en œuvre et ceux à qui est destinée l’aide. Au final, l’ambition de cette recherche était donc de proposer une histoire de l’intervention au Nigeria-Biafra dont les questionnements ne soient pas circonscrits aux accomplissements ou aux échecs d’une opération ou d’une organisation particulière, mais ancrés dans une histoire globale des années 1960. L’apport de cette démarche se décline notamment sur deux registres.

    L’histoire de l’humanitaire : approche relationnelle et jeux d’échelles

    2Cette étude apporte tout d’abord une contribution à l’histoire des organisations humanitaires au xxe siècle, en montrant de manière détaillée et sur un terrain spécifique comment elles interagissent, cohabitent et s’influencent les unes les autres. Considérer le Biafra uniquement comme le lieu de la création de Médecins sans frontières, organisation qui symboliserait le renouveau de l’humanitaire, éclaire en effet insuffisamment la complexité du champ humanitaire contemporain dans lequel cohabitent missionnaires, ONG religieuses et laïques, Croix-Rouges, CICR, agences onusiennes et gouvernements.

    3Pour être menée à bien, cette histoire « relationnelle » passe par la prise en compte de plusieurs niveaux d’observation. C’est à la croisée d’impératifs locaux, nationaux et internationaux que s’élabore au quotidien l’action de ces acteurs. L’étude de ces jeux d’échelles a permis en premier lieu de complexifier une analyse présentée avant tout en termes de confrontation de principes ou de valeurs. Ainsi, il n’est pas possible de comprendre la relation entre les médecins français et le CICR si on ne la replace pas dans le cadre de la politique de l’exécutif français de soutien au Biafra, de la violence éprouvée sur le terrain et du rôle joué par le CICR sur la scène internationale. L’histoire du CICR, souvent abordée de façon cloisonnée, bénéficie tout particulièrement de cette perspective, en raison de son statut d’acteur international, de son ancrage très fort en Suisse et de sa volonté d’être un acteur opérationnel sur le terrain. La politique suivie par cette organisation résulte donc de la synthèse de différentes influences, parfois contradictoires, à l’instar des décisions prises pendant le conflit. En effet, ses principes éclairent moins sur son choix, à la fin de l’été 1968, d’intervenir sans l’accord formel du gouvernement nigérian, que la concurrence exercée par la Ligue, les Églises, les encouragements d’autres organisations et de certains gouvernements ou encore les critiques de l’opinion publique. La fin de ses opérations durant l’été 1969 illustre l’ambivalence d’un CICR qui souhaite continuer à agir sur le terrain, mais qui est dépassé à l’interne par l’ampleur d’une action de secours qui menace non seulement ses relations avec l’Afrique occidentale mais aussi sa propre survie.

    4En deuxième lieu, la multiplication des points d’observations permet d’éclairer les dynamiques de coopération et de rivalité qui traversent le monde de l’humanitaire. Les mouvements organisés tels que le Mouvement de la Croix-Rouge, ou nés des circonstances spécifiques de la crise biafraise, tels que les organismes de coordination entre les Églises, en sont particulièrement révélateurs. En ce qui concerne le Mouvement de la Croix-Rouge, les concurrences se cristallisent dans les rapports conflictuels entre le CICR et la Ligue. Elles se manifestent autant au niveau du terrain, où il faut s’imposer comme l’interlocuteur principal de la Croix-Rouge nigériane, qu’au sein du Mouvement, où il s’agit d’affirmer le rôle de chacune d’elles en matière de coordination de l’aide. Des tensions apparaissent également entre le CICR et les Croix-Rouges les plus impliquées dans les opérations de secours, à savoir les Sociétés nationales du Nord de l’Europe qui sont soumises à la pression des opinions publiques. Malgré ces problèmes manifestes, la collaboration entre les membres du Mouvement semble tout de même fonctionner puisque, hormis la Croix-Rouge française, tous s’inscrivent dans les opérations menées par le CICR tant au sein du Biafra qu’en territoire fédéral.

    5Chez les organisations d’entraide religieuses, les lignes de tensions s’articulent différemment. Si elles parviennent à se coordonner sur le plan international, comme en témoigne la création du Joint Church Aid, elles rencontrent parfois plus de difficultés à travailler de commune entente sur le terrain. Cette situation tient au fait que seules les institutions qui mettent en œuvre l’aide humanitaire – les missions catholiques et protestantes, le Secrétariat catholique et le Conseil chrétien nigérian notamment – sont véritablement implantées sur place, contrairement à celles qui coordonnent les acheminements de secours. Un enjeu supplémentaire s’ajoute donc pour ces institutions qui mettent en jeu, dans la distribution de l’aide, leur influence et leur prestige. En effet, il ne s’agit pas seulement de démontrer à l’opinion publique occidentale qu’elles parviennent à se mobiliser pour pallier les souffrances de populations lointaines, mais aussi d’être efficaces et visibles sur le terrain dans une optique de présence sur les moyen et long termes.

    6Ce point soulève une troisième et dernière question : l’appréciation des conséquences des opérations de secours internationales sur le conflit en général et sur les structures locales en particulier. La guerre Nigeria-Biafra illustre en effet particulièrement bien l’impact de l’aide humanitaire dans les situations de conflit. En fournissant une visibilité et des moyens au régime biafrais, elle lui a permis de résister plus longtemps à l’offensive fédérale et a eu pour corollaire la prolongation de la guerre. De là à affirmer que les conditions de vie de la population civile auraient été plus enviables sans la mobilisation humanitaire, il y a un pas qu’il pourrait s’avérer hasardeux de franchir. Et c’est probablement ce qui explique pourquoi les organisations de secours ont assumé dans la majorité des cas leur décision d’intervenir. Certes, la durée du conflit aurait pu être réduite et les conditions de vie de la population civile revenir à la normale plus rapidement. Mais rien n’est moins sûr. Le régime biafrais aurait aussi pu trouver d’autres moyens pour perdurer. Rappelons en effet sa détermination et les soutiens des États dont il a bénéficié. Par ailleurs, comment s’assurer que les victimes de la famine n’auraient pas été plus nombreuses dans l’année 1968 sans les opérations de secours même si le conflit s’était arrêté plus tôt ? Du côté du gouvernement nigérian, aurait-on été moins regardant sur le comportement des troupes s’il n’avait pas fallu démontrer l’absence de génocide ?

    7Quant à l’impact des opérations sur les structures de secours locales, le cas de la Croix-Rouge nigériane durant les derniers mois du conflit exemplifie la place particulière occupée par les Sociétés nationales dans les pays du Sud notamment à la suite des indépendances, à l’interface entre le local, le national, et l’international. En tant qu’organisation nigériane membre du Mouvement de la Croix-Rouge, elle est en mesure de jouer un rôle spécifique au moment où le gouvernement nigérian réaffirme sa souveraineté vis-à-vis des opérations de secours. L’impact du conflit sur cette Société à plus long terme demeure toutefois méconnu. Montrer que malgré l’engagement des Églises au Biafra, le travail social des missions est encore apprécié par le gouvernement nigérian dans les zones à reconstruire, a permis d’amorcer une réflexion sur les compromis qui accompagnent le retour des missionnaires spiritains dans les régions repassées progressivement sous contrôle fédéral. Les archives du Secrétariat catholique du Nigeria laissent entrevoir des pistes prometteuses pour mieux saisir l’impact du conflit sur la façon dont les missions considèrent leurs œuvres sociales et médicales1. Ces questionnements mériteraient donc d’être approfondis. Ils rappellent plus largement la difficulté d’appréhender la réception sur place de l’aide humanitaire et la complexité des arrangements entre pouvoirs locaux et organisations occidentales. Toutefois, l’accès aux sources s’avère à l’heure actuelle toujours problématique dans le cas du Nigeria et la gestion mémorielle de la guerre reste délicate, le conflit demeurant un sujet polémique.

    Les reconfigurations de l’héritage colonial

    8Cette étude montre clairement comment l’action humanitaire qui se déploie dans les années 1960, avant de pouvoir être envisagée comme un « enfant de Mai2 », se trouve encore essentiellement marquée par le paradigme colonial. Les réponses mises en œuvre au Biafra s’élaborent dans le cadre de l’adaptation des sociétés européennes au processus de décolonisation. Dans ce contexte, l’humanitaire se propose comme un nouvel espace à investir, car il permet de reconfigurer les rapports entre l’Occident et le Sud. Le Biafra représente un cas particulièrement emblématique de ce processus, puisque les opérations de secours héritent à la fois des représentations, des savoirs et des pratiques constituées pendant la période coloniale, tout en s’insérant dans le mouvement humanitaire qui s’est développé sur le continent européen depuis la fin du xixe siècle. La rencontre entre ces différents univers se manifeste tout particulièrement sur trois plans.

    9Premièrement, elle s’exprime dans le rôle joué par les missionnaires catholiques et protestants – dont les missions ont été établies pour la plupart au xixe siècle –, qui constituent des relais incontournables entre l’Occident et le Nigeria. Leur influence apparaît décisive à plusieurs égards. En raison de leurs allers-retours entre l’Europe et le Biafra, ils contribuent à la médiatisation de la crise : ils diffusent les récits sur les souffrances des populations et facilitent la venue des journalistes occidentaux dans la province, une pratique que les autorités biafraises institutionnalisent ensuite. Ils jouent également un rôle décisif sur le terrain, en faisant office de « médiateurs » dans le processus d’internationalisation de ce conflit. Ils participent en outre à la mise en place et au déploiement des opérations de secours. Les organisations caritatives catholiques et protestantes occidentales s’appuient en effet sur le réseau de missions qui maillent le territoire de l’est du Nigeria pour la distribution de l’aide humanitaire. Celles-ci confient aux missionnaires la gestion des opérations, comme en témoigne la nomination de deux missionnaires spiritains, Anthony Byrne et Desmond Byrne, comme responsables des activités de Caritas internationalis. Par leur connaissance de la situation, ils constituent aussi des relais précieux pour les organismes qui souhaitent monter leurs propres opérations, tels que le CICR. L’activisme des missionnaires exerce enfin une certaine pression sur les organisations de secours traditionnelles en les poussant à l’action.

    10Deuxièmement, cette étude a montré la prégnance du référentiel colonial dans les représentations que se font les humanitaires de leur théâtre d’intervention, ce qui contribue à structurer les relations entre les dirigeants nigérians et leurs interlocuteurs occidentaux. Les conséquences ne sont pas négligeables. Elles se matérialisent notamment dans la propension du gouvernement fédéral à appréhender les organisations de secours occidentales en termes néocoloniaux et à user de cet argument pour expliquer la totalité des difficultés qui parcourent leurs rapports. À l’inverse, le CICR, tout comme les représentants britanniques, essentialise ses interlocuteurs nigérians et analyse leur comportement au prisme de leur qualité d’« Africains ». L’association durable qui se forge dans l’imaginaire collectif occidental entre « Afrique » et « famine », ainsi que l’attribution d’un statut de « victimes » aux populations africaines constituent d’autres exemples significatifs. En effet, les représentations des populations en souffrance sont liées aux acteurs qui les véhiculent, et notamment aux organisations de secours qui les utilisent pour obtenir des soutiens moraux et financiers en Occident. Cet usage des photographies par les agences humanitaires est loin d’être spécifique au Biafra et connaît une longue tradition3. En revanche, au moment de ce conflit, il fonctionne d’autant mieux qu’il promeut des représentations qui s’inscrivent dans la continuité de celles de la période coloniale. Dans le cadre de celles-ci, les populations africaines sont déjà montrées comme dépendantes de l’apport de l’Occident pour devenir « civilisées ». Insister sur leur condition de « victime » induit à nouveau la nécessité d’une action occidentale pour les en sortir. Cette absence de subjectivité des victimes se prolongerait dans la pratique du témoignage, qui implique de prendre la parole à la place de « victimes sans-voix » n’ayant pas la capacité de s’exprimer4. Lors du conflit biafrais, les autorités sécessionnistes contribuent à ce développement, puisqu’elles voient dans la crise humanitaire un moyen de faire valoir leur cause sur la scène internationale, cause qui, tant qu’elle est présentée comme une lutte pour l’accession à l’indépendance, génère peu de soutien. Par ailleurs, l’insistance sur le caractère spécialement « civilisé » de la population biafraise permet aux représentations victimaires de fonctionner d’autant mieux qu’elles sont articulées avec la « modernité » du peuple biafrais, implicitement envisagée comme l’illustration de la réussite préalable de la « mission civilisatrice ».

    11Troisièmement, selon Philippe Ryfman, l’humanitaire accède à la fin des années 1960 « au statut de composante majeure du traitement international des conflits armés ou des catastrophes naturelles, en même temps qu’il s’ancre profondément dans les sociétés civiles des pays occidentaux, mais aussi du Sud5 ». La recherche montre que le contexte de la reconfiguration postcoloniale constitue une clé d’explication essentielle de cette évolution. Lors de la guerre du Biafra, investir dans l’humanitaire devient une option politique à part entière pour les gouvernements occidentaux. À une période où les rapports entre anciennes colonies et métropoles se métamorphosent, cet investissement se fait non seulement au nom d’un impératif moral de secours aux civils, mais répond aussi à des raisons différentes en fonction des gouvernements. Dans le cas britannique, soutenir les opérations de secours et faire preuve de préoccupation pour les victimes permet au gouvernement de continuer à fournir des armements au Nigeria, alors que cette attitude est largement questionnée au Parlement et dans l’opinion publique. Aux États-Unis, l’engagement financier et politique en faveur de l’aide humanitaire est clairement envisagé comme un moyen de maintenir une politique de non-intervention dans le règlement du conflit tout en contentant l’opinion publique sur le plan domestique. Pour la Confédération suisse, soutenir les opérations de secours est à la fois une manière de satisfaire l’opinion publique nationale, mais aussi de se positionner par rapport aux pays nouvellement indépendants en affirmant son « rôle humanitaire » et de contribuer au développement de la renommée et des activités du CICR en Afrique. Ce dernier est également considéré comme l’une des composantes majeures de la relation de la Suisse avec le monde issu de la décolonisation. Enfin, dans le cas français, l’aide humanitaire est envisagée comme un aspect de la politique de soutien à la cause et à l’indépendance du Biafra. Ces exemples illustrent particulièrement bien le mouvement « d’humanitarisation de la gestion des crises internationales6 », qui est notamment rendu possible dans le cas Nigeria-Biafra par l’absence d’un fort antagonisme Est-Ouest en raison de l’inexistence de véritable rhétorique révolutionnaire chez les belligérants. Cette « humanitarisation » s’inscrit d’ailleurs dans le contexte de la réévaluation des politiques d’aides matérielles et financières au sein des anciens empires. Au moment où les métropoles s’octroient le choix de répondre ou non aux demandes en expertises et en capitaux de leurs anciennes colonies7, envoyer des secours lors de crises humanitaires est moins coûteux mais nettement plus spectaculaire que de mettre en place des programmes majeurs « d’aide au développement ».

    12Les acteurs non gouvernementaux bénéficient de cette reconfiguration qui se traduit par l’affirmation de leur rôle sur la scène internationale. D’une part, l’intérêt des États pour l’aide humanitaire laisse des espaces à ces organisations et leur permet d’obtenir des moyens. Qu’il s’agisse du CICR ou des ONG, si ces acteurs peuvent mettre en œuvre leurs opérations c’est aussi grâce aux appuis qu’ils trouvent auprès des gouvernements, qui constituent d’importantes sources de financement, de moyens logistiques et diplomatiques8. Surtout, en menant des actions humanitaires sur le terrain depuis l’Occident, ces acteurs confirment ou développent leurs capacités d’intervention dans des territoires éloignés de leur siège, au point que le prolongement des hostilités leur est même imputé. Les responsabilités qui leur sont conférées au moment de la crise biafraise et les difficultés qu’ils éprouvent à intervenir les amènent notamment à réfléchir sur la façon d’acquérir plus d’autonomie. D’autre part, le succès dans les sociétés civiles que rencontrent progressivement les ONG « humanitaires » peut s’expliquer par le fait que ces acteurs se révèlent propices aux reconfigurations des rapports entre les sociétés occidentales et les États nouvellement indépendants. Kevin O’Sullivan montre que l’aide aux pays issus de la décolonisation par le biais des ONG constitue un moyen, notamment pour les sociétés britanniques et irlandaises, de revoir leurs responsabilités et leurs rapports aux anciens empires9. De même, dans le cas de la Croix-Rouge puis de MSF en France, plusieurs volontaires réinvestissent leurs expériences dans de nouvelles structures plus adaptées à l’âge des indépendances, tout en continuant à s’appuyer sur les savoirs coloniaux. À cet égard, les French doctors illustrent particulièrement bien comment l’investissement dans l’humanitaire devient un moyen pour repenser le rôle de la France dans le monde, voire, comme l’évoque Bertrand Taithe, pour élaborer une nouvelle conception de l’universalisme français10.

    13Le Biafra constitue ainsi une expérience fondatrice pour une génération d’humanitaires qui font ensuite carrière dans « l’humanitaire », qu’il s’agisse des médecins français mais également des membres d’Africa Concern ou encore des délégués du CICR11. Tony Farmar rappelle par exemple qu’en 1972, lors des opérations de secours au Bangladesh, les volontaires internationaux qui se retrouvent dans la capitale Dhaka se remémorent régulièrement l’expérience biafraise à laquelle ils sont nombreux à avoir participé12. Certes, on n’assiste pas encore à l’engouement pour l’humanitaire qui caractérisera les années 1980, car le militantisme politique est alors la principale forme d’engagement dans les sociétés occidentales. Néanmoins, l’écho que reçoit le conflit dans de vastes secteurs de l’opinion publique démontre déjà tout le potentiel de la mobilisation en faveur des « victimes ». Avec la radicalisation des mouvements de la gauche extra-parlementaire des années 1970, qui débouche notamment sur les « années de plomb » en Italie et en Allemagne, et le progressif effritement du tiers-mondisme, l’humanitaire s’offre comme une nouvelle forme d’engagement. En France, le « sans-frontiérisme », dont l’identité se construit graduellement autour d’un activisme politique impliquant prise de risque et « témoignage13 », bénéficie tout particulièrement de ce changement. Mais celui-ci touche le monde de l’humanitaire dans son ensemble, l’engagement auprès des « victimes » devenant l’un des reflets de l’évolution des sensibilités occidentales envers les pays du Sud.

    Notes de bas de page

    1 ANN, Roman Catholic Missions, 1/174, « Report of the social welfare department of the catholic secretariat of Nigeria for the period of June 1 to September 30, 1970 ».

    2 L’expression est de Philippe Ryfman qui laisse d’ailleurs la question ouverte : P. Ryfman, « L’humanitaire, enfant de Mai ? », in P. Artières et M. Zancarini-Fournel (dir.), 68, une histoire collective (1962-1981), Paris, La Découverte, 2008, p. 736-745.

    3 Pour une histoire de la photographie humanitaire, voir H. Fehrenbach et D. Rodogno (éd.), Humanitarian Photography, op. cit.

    4 D. Fassin, La raison humanitaire, op. cit., p. 265-266.

    5 P. Ryfman, « L’humanitaire, enfant de mai ? », art. cité, p. 736-745.

    6 D. Fassin, La raison humanitaire, op. cit., p. 288.

    7 F. Cooper, « Writing the History of Development », Journal of Modern European History, vol. 8, n° 1, 2010, p. 15.

    8 Pour un exemple de l’ambiguïté de l’autonomisation de ces acteurs, voir Y. Denéchère, « Diplomaties privées et autonomisation des ONG humanitaires dans l’espace de la cause des enfants », Monde(s), n° 1, 2014/1, p. 119-135.

    9 K. O’Sullivan, « Humanitarian Encounters : Biafra, NGOs and Imaginings of the Third World in Britain and Ireland, 1967-1970 », Journal of Genocide Research, vol. 16, n° 2-3, 2014, p. 304.

    10 B. Taithe, « Reinventing French Universalism », art. cité.

    11 Outre B. Kouchner, voir par exemple la trajectoire de P. Grellety-Bosviel qui effectue d’abord des missions pour le CICR, part au Biafra dans ce cadre, fait ensuite partie des fondateurs de Médecins sans frontières, puis travaille pendant dix ans pour le CICR ; ou de J.-P. Hocké, engagé par le CICR au Nigeria, il devient délégué puis chef des Opérations au sein de l’organisation et ensuite haut-commissaire aux réfugiés pour les Nations unies. On peut également citer le père spiritain A. Finucane, qui participe aux secours pendant le conflit, puis rejoint Africa Concern où il s’occupe des secours au Bangladesh et au Cambodge avant de prendre la tête de l’organisation en 1981.

    12 T. Farmar, Believing in Action, op. cit., p. 51.

    13 E. Davey, From Tiers-mondisme to Sans-frontiérisme, op. cit., p. 214-217.

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    1 ANN, Roman Catholic Missions, 1/174, « Report of the social welfare department of the catholic secretariat of Nigeria for the period of June 1 to September 30, 1970 ».

    2 L’expression est de Philippe Ryfman qui laisse d’ailleurs la question ouverte : P. Ryfman, « L’humanitaire, enfant de Mai ? », in P. Artières et M. Zancarini-Fournel (dir.), 68, une histoire collective (1962-1981), Paris, La Découverte, 2008, p. 736-745.

    3 Pour une histoire de la photographie humanitaire, voir H. Fehrenbach et D. Rodogno (éd.), Humanitarian Photography, op. cit.

    4 D. Fassin, La raison humanitaire, op. cit., p. 265-266.

    5 P. Ryfman, « L’humanitaire, enfant de mai ? », art. cité, p. 736-745.

    6 D. Fassin, La raison humanitaire, op. cit., p. 288.

    7 F. Cooper, « Writing the History of Development », Journal of Modern European History, vol. 8, n° 1, 2010, p. 15.

    8 Pour un exemple de l’ambiguïté de l’autonomisation de ces acteurs, voir Y. Denéchère, « Diplomaties privées et autonomisation des ONG humanitaires dans l’espace de la cause des enfants », Monde(s), n° 1, 2014/1, p. 119-135.

    9 K. O’Sullivan, « Humanitarian Encounters : Biafra, NGOs and Imaginings of the Third World in Britain and Ireland, 1967-1970 », Journal of Genocide Research, vol. 16, n° 2-3, 2014, p. 304.

    10 B. Taithe, « Reinventing French Universalism », art. cité.

    11 Outre B. Kouchner, voir par exemple la trajectoire de P. Grellety-Bosviel qui effectue d’abord des missions pour le CICR, part au Biafra dans ce cadre, fait ensuite partie des fondateurs de Médecins sans frontières, puis travaille pendant dix ans pour le CICR ; ou de J.-P. Hocké, engagé par le CICR au Nigeria, il devient délégué puis chef des Opérations au sein de l’organisation et ensuite haut-commissaire aux réfugiés pour les Nations unies. On peut également citer le père spiritain A. Finucane, qui participe aux secours pendant le conflit, puis rejoint Africa Concern où il s’occupe des secours au Bangladesh et au Cambodge avant de prendre la tête de l’organisation en 1981.

    12 T. Farmar, Believing in Action, op. cit., p. 51.

    13 E. Davey, From Tiers-mondisme to Sans-frontiérisme, op. cit., p. 214-217.

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    • Martín-Moruno, Dolores. (2020) Introduction: Feeling humanitarianism during the Spanish Civil War and Republican exile. Journal of Spanish Cultural Studies, 21. DOI: 10.1080/14636204.2020.1842092

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